Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

V

Les habitudes.

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1 Tim., IV, 8.

 L'exercice corporel est utile à peu de chose, mais la piété est utile à toutes choses, ayant les promesses de la vie présente et de celle qui est à venir.



L'habitude
est au nombre de ces choses qui peuvent être un grand bien ou un grand mal, selon l'usage qu'on en fait. Les habitudes dirigent la vie. Nous sommes heureux ou malheureux selon ce que nous sommes habituellement. Aussi, pour juger du caractère de quelqu'un, il ne faut pas regarder à quelques actes isolés, mais aux tendances ordinaires de son coeur et de sa volonté. Un homme peut, dans telle occasion donnée, faire preuve de dévouement, sans que sa vie soit une vie dévouée ; un autre peut, à propos d'une épreuve, prier Dieu avec larmes, sans que ce soit un homme essentiellement pieux ; parce que le dévouement de l'un n'est point habituel, et que la piété de l'autre n'est point l'affaire vitale de son coeur. Il ne suffit pourtant pas d'avoir de bonnes habitudes pour faire des progrès dans la vie spirituelle. Les plus excellentes habitudes ne servent pas à grand chose quand elles ne sont pas imprégnées de vie et qu'elles ne sont qu'une sorte de mécanisme. Cela est vrai des habitudes ordinaires aussi bien que des habitudes religieuses. Il n'y a progrès que si les habitudes elles-mêmes sont un progrès de la vie et un état de croissance.

L'exercice corporel, dit saint Paul, est utile à peu de chose. L'Apôtre comprend sous ce nom les exercices de dévotion dont le souffle de Dieu s'est retiré et qui laissent l'homme tel qu'il est. C'est le souffle de la vie qui rend les pratiques religieuses utiles ; c'est lui et non pas elles qui nous fait prospérer ; la croissance spirituelle vient de la piété qui est utile à toutes choses. C'est elle qui doit alimenter nos pratiques. Les pratiques religieuses sans piété ne sont que du formalisme ou du galvanisme. C'est la piété, et pas autre chose, qui a les promesses de la vie présente et de celle qui est à venir. Elle réagit sur les habitudes ordinaires, et nous rend aptes à la vie de ce monde aussi bien qu'à celle du ciel.

Bien des gens s'imaginent qu'ils compromettraient leur carrière terrestre en se jetant dans la haute dévotion. Ils croient que la vie peut se diviser en deux parties, dont l'une appartient à Dieu et l'autre au monde. - Que cette parole de Paul leur ferme la bouche. Qu'elle leur enseigne que lorsque nos habitudes sont ce qu'elles doivent être, il n'est pas besoin d'avoir deux habits, l'un pour le dimanche, et l'autre pour les six jours qui suivent.
La vie tout entière devient un sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu. C'est là, dit l'Écriture, notre service raisonnable.

Jetons maintenant un coup d'oeil sur nos habitudes et voyons quelle influence elles ont sur notre vie. Il va de soi que je ne parlerai ici que des bonnes habitudes. Chacun convient que les mauvaises habitudes pervertissent la vie ; c'est une thèse qu'il n'est pas nécessaire de prouver. Mais les bonnes habitudes, disons-nous, peuvent dégénérer, et le bien peut devenir un mal, si l'esprit de vie se retire et qu'il ne reste que le cadre. Une lumière qui s'éteint n'est plus une lumière ; un corps sans âme n'est plus qu'un cadavre. Demandons-nous quel caractère portent nos habitudes ? Font-elles fleurir notre vie ou la dessèchent-elles ?

L'examen qui va suivre nous aidera à répondre à cette question.
Parmi les bonnes habitudes, j'en choisis quatre dont nous avons tous besoin, car elles sont aussi nécessaires à notre bien-être temporel qu'à notre prospérité spirituelle.

Parlons d'abord de l'habitude du travail. Dieu veut que nous travaillions six jours et que nous nous reposions le septième. Le travail est commandé aux riches et aux pauvres, aux jeunes et aux vieux, car le travail, dans l'intention de Dieu, n'est pas seulement un gagne-pain, c'est un des plus puissants, moyens de développement. Mais pour bien travailler, il faut travailler habituellement ; un homme qui ne travaille qu'en amateur ou par intervalle, n'arrivera point aux mêmes résultats qu'un autre qui travaille avec suite et régularité. Le zèle qui s'évanouit devant la paresse, ou le zèle qui ne se soutient qu'en changeant de besogne, a presque tous les défauts du relâchement ou de l'inégalité. L'habitude du travail donne seule à notre carrière de la cohérence et de l'aptitude. Elle fait naître des idées nouvelles, elle conduit aux perfectionnements, elle aide à acquérir des vues justes sur les parties et sur l'ensemble de l'oeuvre que nous faisons, elle nous préserve des mauvais penchants par le déploiement soutenu de nos forces, elle donne à la volonté de l'énergie et de la persévérance. L'habitude d'un travail consciencieux a préservé bien des personnes de la contagion du mal, des soucis de la vie et d'une foule de tentations.

La première chose qu'il faut apprendre aux enfants, c'est à contracter de bonnes habitudes, et surtout à prendre goût à un travail régulier et assidu. Les caractères inégaux, capricieux et bourrus, viennent bien souvent d'une jeunesse qui n'a pas été formée à une activité sérieuse et soutenue. La meilleure manière d'arriver à l'habitude du travail, c'est de bien diviser la journée, et de suivre, s'il est possible, un système de tâches. Proposez-vous une besogne quelconque, puis découpez-la en parties, et assignez-vous chaque jour, de telle heure à telle heure, la portion de travail que vous croyez pouvoir accomplir ; ne la prenez ni trop grande ni trop petite, mais que ce soit votre tâche journalière ; faites-la comme si elle vous venait de Dieu. En continuant ainsi, non seulement vous ferez beaucoup d'ouvrage, mais vous travaillerez avec moins de fatigue et vous gagnerez en facilité et en intelligence. Il y a des difficultés qui, vues de loin, vous paraissaient des montagnes, et qui, lorsque vous les aurez affrontées courageusement et régulièrement, diminueront insensiblement et finiront par disparaître tout à fait.

Voyons maintenant comment cette première habitude, si utile, si nécessaire, peut cependant dégénérer. C'est quand elle devient, comme dit saint Paul, un simple exercice corporel.

L'assiduité peut devenir de la routine, et la régularité, de la monotonie. Qu'il s'agisse d'un teneur de livres, d'un conducteur de diligence ou d'un ouvrier de fabrique, ce qui fait la valeur de leur travail devant Dieu, c'est l'esprit dans lequel : ils travaillent.
J'avoue que ce sont là des états qui, plus que d'autres, peuvent devenir un mécanisme. Mais les occupations les plus saintes, les plus régulièrement continuées se réduisent vite à un simple exercice corporel, si l'on ne veille sur soi-même.
Il faut mettre de l'âme à toutes choses, et la piété seule donne de l'âme. Sans cet élément divin, tout travail devient monotone. Le travail matériel ou le travail de tête ne se soutient que par les inspirations du coeur, par l'amour. Il faut que nos forces soient continuellement retrempées dans l'amour divin, pour que notre activité soit un progrès et pour qu'elle conserve sa jeunesse. La piété seule donne la chaleur vitale, la continuité et la persévérance. On a dit que si deux anges avaient pour tâche, l'un, de gouverner un monde, l'autre, de balayer une rue, ils n'échangeraient pas leurs occupations l'un contre l'autre. La source de leur joie et de leur fidélité, saint Paul nous l'indique : ils trouveraient dans la piété qui est utile à toutes choses et qui a les promesses de la vie présente et de celle qui est à venir, une source de joie, de fidélité et de contentement parfaits.

Une autre habitude, qui nous est aussi nécessaire que celle du travail, c'est l'habitude des bonnes déterminations. Un homme résolu est un grand trésor ; mais il n'est pas donné à tout le monde de prendre une résolution. Je sais bien qu'il y a des situations où il est difficile de prendre un parti, et où il y aurait même témérité à se décider trop vite ; mais je ne parle ici que des cas ordinaires de la vie. Vous savez que c'est la volonté de Dieu qui doit déterminer la nôtre ; notre vie ne devient ferme et joyeuse, que lorsque nous entrons dans le plan de Dieu et que nous suivons ses appels. Plus nos déterminations se font attendre, plus nous avons à souffrir ; mais quand notre volonté est gagnée, toutes choses sont à nous. Dieu ne demande jamais que ce qu'il donne. Si Abraham a pu quitter son pays natal, aller au-devant d'un avenir voilé, porter le couteau sur Isaac ; si l'impossible lui est devenu possible, c'est qu'il avait été rendu capable de se déterminer pour Dieu. Soyez un homme d'action, au lieu d'être un homme indécis ou un temporiseur. La voie de l'Éternel est la force de l'homme intègre ; le premier pas est déjà la moitié du chemin.

Mais il faut que nos déterminations soient des impulsions divines, autrement elles ne seront bientôt que de simples velléités. Rien n'émousse autant la volonté que les bonnes résolutions que nous tirons de notre propre fonds et que nous abandonnons aussitôt après. Il y a des hommes qui veulent toujours et qui ont toujours voulu, mais avec leurs résolutions ils en sont toujours au point de départ. Ils ont des élans, des efforts, mais ces enfants de leur volonté ne viennent que jusqu'au terme de leur naissance : arrivés là, il n'y a point de force pour enfanter. Ce sont des exercices, si l'on veut, mais des exercices en pure perte ; ces partis pris, ces déterminations arrêtées ne sont plus guère, à la longue, que des façons de parler, qui ne servent qu'à user la conscience.
Pendant ce temps, la vie s'écoule, on n'avance pas dans le bien, on s'endurcit par conséquent dans le mal. D'où vient ce fâcheux état ? De ce qu'on n'est point allé à la source. La piété qui inspire le travail est aussi ce qui donne de la fermeté à nos résolutions. Vous donc qui voulez toujours, mais qui n'exécutez pas ce que vous voulez, cherchez à avoir de la piété, avant de prendre des résolutions pieuses : vous la trouverez dans l'amour de Dieu. Donnez-lui votre coeur, et il vous donnera des résolutions durables. Quand Dieu vous possédera vous-même, votre volonté et vos oeuvres seront aussi à lui. Jusque-là vos élans ne vous soulèveront pas au-dessus de la terre ; vous ressemblez à un aigle qui veut s'élancer vers le soleil, mais qui retombe lourdement parce qu'on lui a lié les ailes.

L'habitude de souffrir est la troisième de celles que je veux examiner. La souffrance est le complément de la foi, mais pour souffrir avec bénédiction, il ne faut pas s'habituer à la souffrance.
Chaque jour amène sa peine, et cette peine, il faut la sentir, afin de la montrer à Dieu. Ce qu'il y a de tendre et d'humble dans la vie chrétienne, est un produit de la souffrance. De même que l'huile découle du pressoir, les expériences les plus bénies sortent des pressoirs de Dieu.
Parce qu'il nous aime, il nous châtie ; il nous châtie même habituellement afin de nous garder sous sa main, dans un sentiment de défiance de nous-mêmes, et dans une crainte salutaire de notre fragilité. Un homme dont la santé serait parfaite, qui n'aurait aucun fardeau à porter et qui ne souffrirait que rarement, serait probablement un chrétien bien superficiel. Mais quand on a appris sous la discipline du Saint-Esprit à regarder comme le sujet d'une parfaite joie les diverses afflictions qui nous arrivent, alors la prière reste vivante ; l'amour du monde perd son empire, les promesses de Dieu agissent, et l'éternité, avec son repos et sa glorieuse espérance, apparaît comme une si riche compensation, que l'affliction devient légère, comme l'est du reste toute affliction qui ne fait que passer.

Mais prenons garde : le bénéfice de la souffrance se perd, si la piété du coeur s'évanouit. Quand on souffre, il faut souffrir pour Dieu, dans le même esprit filial où Jésus-Christ notre Sauveur a souffert ; c'est cet esprit seul qui soutient et qui fait persévérer jusqu'à la fin. Sans lui on peut bien aisément s'égarer loin du Seigneur. L'âme s'ouvre alors à un esprit maussade ; on s'endurcit sous la croix, au lieu d'être converti par elle ; on peut même aller jusqu'à prendre en mal les épreuves qui nous arrivent, jusqu'à murmurer et à s'aigrir quand elles se prolongent. Ou bien l'on tombe dans l'apathie d'une âme usée, qui plie, qui s'affaisse, mais qui ne comprend pas le but de ses souffrances. Il y a beaucoup de manières de porter sa croix, mais il n'y en a qu'une seule de bonne et de profitable : c'est de faire l'expérience aux pieds de Jésus que son joug est aisé, et son fardeau léger.

Passons enfin à une quatrième et dernière habitude, celle d'entendre la vérité. Quiconque est pour la vérité, entend sa voix. Soit que vous interrogiez votre conscience, ou la Parole sainte, vous entendrez une voix solennelle qui domine toutes les autres voix. Elle est souvent dure à ouïr, souvent humiliante ; car elle blâme, et l'on aime mieux être loué que d'être repris, on préfère se voir en beau que de se voir en laid. Mais la vérité est la réalité, et une vérité qui condamne vaut encore mieux qu'une erreur qui abuse.
Aimez la vérité, écoutez-la habituellement, de quelque côté qu'elle vous vienne. Appliquez votre coeur à l'instruction et vos oreilles aux paroles de la science. Celui qui garde l'instruction, tient le chemin qui tend à la vie. Il nous faut tous comparaître devant le tribunal de Christ ; pensons à cette heure solennelle et la vérité nous sera chère.
La vérité est la vie de Dieu, c'est elle aussi qui nous jugera. Mais cette habitude encore, comme toutes les autres, peut dégénérer quand on en vient à confondre les notions de la vérité avec l'autorité de la vérité. Il faut être saisi par la vérité, pour qu'elle fasse son oeuvre en nous. Depuis longtemps vous entendez l'Évangile, et les voix qui l'annoncent sont bien nombreuses autour de vous : pourquoi les conversions sont-elles donc si rares ? C'est que l'on fait de la vérité une affaire de formule et de prédication ; on apprend la religion, on n'en vit pas ; elle ne fait pas nos délices ; notre coeur est blasé, rassasié. La chose la plus rare de nos jours, c'est un chrétien joyeux. Il y a autour de nous un air lourd, un christianisme qui étouffe et qui vient de l'habitude stérile d'entendre la vérité. Mais la foi ne vaut que ce qu'elle produit ; l'exercice corporel est utile à peu de chose, mais la piété est utile à toutes choses ; elle a les promesses de la vie présente et de celle qui est à venir. Voilà comment notre argent peut se changer en écume, et comment notre breuvage peut être mêlé d'eau. On croit retenir le fond et l'on n'a plus que la forme ; on va à la rencontre de l'époux avec une lampe bien ornée, mais fumeuse ; il y a plus de vierges folles dans l'Église que nous ne le pensons.

« Peut-on, demanderez-vous peut-être, rendre la vie à des habitudes qui ont dégénéré ? à un travail qui n'est plus qu'un mécanisme ? à une volonté qui jamais n'exécute ? à une série d'épreuves qui ne sont pas en bénédiction ? à un auditeur de la vérité qui n'en sent plus le prix ? »
En douter, ce serait perdre de vue que le monde est le champ, et l'Église, le jardin que Dieu cultive. Les puits d'eau vive et les ruisseaux découlants du Liban n'ont pas tari. Le souffle de l'Esprit peut revenir des quatre vents et rendre toutes choses nouvelles, dès que votre coeur sentira comme une souffrance ces besoins intimes qui ne sont pas satisfaits, et cherchera avec l'avidité de la faim et de la soif la rosée d'en haut, la manne céleste, le miel découlant du rocher.
Vous êtes né pour la vie et non pour la sécheresse. Ce qui vous manque, existe. Si quelqu'un a soif, dit Jésus, qu'il vienne à moi et qu'il boive.

S'il y a des affligés et des misérables qui cherchent des eaux et qui n'en ont point, et dont la langue périt de soif, lui l'Éternel les exaucera ; lui, qui est le Dieu d'Israël, ne les abandonnera point. Il fera sortir des fleuves des lieux élevés, et des fontaines du milieu des vallées ; il changera le désert en étangs d'eau et la terre sèche en sources d'eaux.

Ce qui se passait au temps des apôtres peut se renouveler ; il y a des baptêmes de feu pour toute Église qui prie, pour toute âme qui implore la grâce de Dieu. L'Évangile n'a pas fait son temps, il est fort d'une éternelle jeunesse. Vous verrez ce que seront vos habitudes, quand elles seront au service du Dieu trois fois saint. Vos travaux et vos résolutions, vos souffrances et votre culte feront affluer vers vous cette grâce qui est plus précieuse que l'or, plus ferme que les montagnes. Rejetez loin de vous ce qui n'a que l'apparence de la vie et demandez ce qui est réel.

Vos pères, qui étaient mauvais sous beaucoup de rapports, n'ont pourtant jamais manqué de vous donner de bonnes choses quand vous les leur demandiez ; combien plus le Père céleste, le seul bon, donnera-t-il son Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent avec ferveur ?

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