Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

III

La lutte de Jacob.

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Genèse, XXXII, 24-31.

 Jacob étant demeuré seul, un homme lutta avec lui jusqu'à ce que l'aube du jour fût levée, et quand cet homme-là vit qu'il ne pouvait le vaincre, il toucha l'endroit de l'emboîture de l'os de sa hanche ; ainsi l'emboîture de l'os de la hanche de Jacob fut démise pendant que l'homme luttait avec lui. Et cet homme lui dit : Laisse-moi, car l'aube du jour est levée. Mais il lui dit : Je ne te laisserai point que tu ne m'aies béni. Et il lui dit : Quel est ton nom ? - Et il répondit : Jacob. Alors il lui dit : Ton nom ne sera plus Jacob, mais Israël, car tu as été le plus fort en luttant avec Dieu et avec les hommes. Et Jacob l'interrogea, disant : Je te prie, apprends-moi ton nom. Et il répondit : Pourquoi demandes-tu mon nom ? Et il le bénit là. Et Jacob nomma le lieu Péniel, car, dit-il, j'ai vu Dieu face à face et mon âme a été délivrée. Et le soleil se leva aussitôt qu'il eut passé Péniel, et il était boiteux d'une hanche.



Le patriarche Jacob était en route pour retourner dans sa terre natale. Il revenait de la Mésopotamie, et vingt ans se sont passés depuis qu'il n'a revu les lieux de son enfance. Ces vingt années avaient été bien dures, pleines de sueur et de travail, mais en les repassant dans son souvenir, Jacob les voyait toutes pleines aussi de la fidélité de son Dieu. Quand il était sorti de Canaan, il n'avait en main que son bâton ; aujourd'hui, en revenant au bord de ce morne Jourdain, il est entouré d'une nombreuse famille et suivi de riches troupeaux. Son coeur est pénétré de reconnaissance et il se sent trop petit au prix de tant de faveurs et de bienfaits. L'Éternel lui avait dit : Voici, je serai avec loi et je te garderai partout où tu iras, et je te ramènerai en ce pays, car je ne t'abandonnerai point que je n'aie fait ce que je t'ai dit. Les promesses de l'Éternel n'avaient point été des paroles vaines ; l'homme peut les oublier, mais le Dieu Fort de vérité ne les oublie point. Depuis, l'Éternel avait de nouveau parlé à Jacob et lui avait dit : Retourne en ton pays, au lieu de ta naissance, et je te ferai du bien.

Fondé sur cette nouvelle promesse, Jacob s'était mis en route ; il avait entrepris ce long et difficile voyage sur l'ordre de son Dieu, et non point par le simple désir de revoir son pays. Déjà il s'approchait de la Terre sainte ; encore quelques journées de chemin et il allait être au terme de ses peines. Mais c'est souvent en vue du port que l'on essuie les plus grandes tempêtes. Jacob est poursuivi par un souvenir qui, après bien des années d'oubli, renaît avec vivacité dans sa conscience.
Il se rappelle la tromperie dont il a usé autrefois envers son père, et la fraude dont il s'est servi pour enlever à son frère une bénédiction qui lui revenait comme étant l'aîné. Ce souvenir travaille Jacob. Esaü n'est point mort ; c'est un homme d'un caractère farouche, et chez les Orientaux, la vengeance s'hérite et se transmet souvent de génération en génération. Jacob va se trouver en présence de son frère, qui semble déjà prendre une attitude hostile, car des messagers viennent lui dire qu'il vient au-devant de lui à la tête de quatre cents hommes.
Cette nouvelle jette la consternation dans l'âme de Jacob ; il tremble, et à juste titre, pour lui, pour sa famille et pour ses biens. Son voyage va se terminer par une scène de meurtre et de pillage, si Dieu n'a pitié de lui. Il envoie de riches présents pour apaiser Esaü, au cas où il méditerait de sinistres projets ; mais ces présents ne rassurent point Jacob ; il sent bien qu'il a besoin d'une protection plus efficace que celle que lui a suggérée sa prudence. C'est dans la prière qu'il cherche sa sécurité et son repos, car il a appris par expérience que, lorsque l'orage gronde, Dieu seul est un rocher et une haute retraite.

Au coucher du soleil une rivière s'était inopinément présentée devant lui. Il la fait passer à sa famille et à ses troupeaux, et après les avoir établis pour la nuit, derrière cette barrière naturelle, il revient seul sur l'autre bord pour y veiller, pendant que les siens dorment, pour y prier surtout, car il a grand besoin de répandre son coeur devant Dieu.
Mais au lieu de trouver le repos qu'il cherchait, Jacob rencontre un adversaire, et il a à soutenir avec lui une lutte qui dure jusqu'à l'aube du lendemain. Celte lutte mystérieuse à quelques égards se reproduit pourtant encore dans la carrière du chrétien, et c'est pourquoi il sera utile de chercher quelle en était la nature et de bien considérer quelle en fut l'issue.

Jacob étant demeuré seul, dit notre texte, un homme lutta avec lui, jusqu'à ce que l'aube du jour fût levée.

Quel est cet adversaire ? Jacob ne le reconnut pas sur-le-champ ; tout ce qu'il sentit dès le premier moment, c'est qu'il n'avait point affaire à un ennemi ordinaire.
N'est-ce pas de nous-mêmes qu'il est ici question ? Ne s'est-il jamais présenté sur votre route un inconnu qui ait lutté avec vous ?
Vous vouliez avancer, et vous vous sentiez retenu ; vous faisiez des projets, des entreprises, et un bras sortant de l'ombre vous barrait le chemin. Il faut être bien aveugle ou bien inexpérimenté pour ne pas convenir que bien des fois dans la vie, nous avions compté sans notre hôte, c'est-à-dire sans un plus fort que nous, contre lequel nous ne pouvions lutter.

Jacob ne vit point la face de son ennemi ; il aurait voulu que ce fût la face de son Dieu. Eh bien, je vous le demande encore, quand vous cherchez la face de votre Dieu, la trouvez-vous toujours facilement ?
Vous êtes seul, vous avez du silence, et vous croyez qu'il va vous être facile d'entrer aussitôt en prière. Mais au lieu de trouver le Seigneur, vous trouvez un ennemi ; que dis-je ? un seul ? il y en a souvent mille qui nous forcent à lutter et qui s'opposent à nos prières. Soucis du monde, inquiétudes pour l'avenir, abattement du corps, accablement de l'âme, - priez, si vous pouvez, quand tout cela vous remplit. Le Seigneur peut se cacher dans tout cela, mais ce n'est point là que nous le cherchons.

La lutte de Jacob est aussi une image de nos luttes avec les promesses de Dieu. Il faut souvent bien des efforts pour que ces promesses soient devant nous comme une réalité, pour que nous en sentions la force et l'action, et que nous ne les abandonnions pas à la vue de nos misères. La Parole de Dieu se présente souvent à nous comme un adversaire ; nous sommes effrayés en nous mesurant avec ce qu'elle nous demande ; elle nous frappe à coups redoublés, au lieu de nous remplir de confiance et d'amour. Jacob lutta avec son adversaire, jusqu'à ce que l'aube du jour fût levée. Hélas ! quelle que soit la longueur de ces nuits de combat où tout est noir autour de nous, ce n'est pas nous qui faisons la lumière. Il faut attendre qu'elle se lève et qu'elle reluise sur notre sentier.
L'adversaire de Jacob est étonné de trouver tant de résistance, et Jacob, de son côté, sent toujours plus que l'inconnu qui lutte avec lui ne veut pas sa mort ; mais quoiqu'il ait affaire avec un antagoniste qui est plus qu'un homme, plus qu'un ange peut-être, il poursuit avec ténacité le combat. Cela nous enseigne que plus nous luttons, plus nous gagnons en persévérance. Souvent, au fond même de nos misères, nous sommes soutenus par un de ces traits de lumière qui nous donnent un pressentiment de paix et une espérance lointaine que nous serons finalement vainqueurs.

Mais l'inconnu porte à son adversaire un nouveau coup qui le fait chanceler. Il est si violent, que la hanche de Jacob est démise et que ses forces naturelles sont comme brisées. Mais loin de s'avouer vaincu, il se jette tel quel au cou de son ennemi ; moins que jamais il veut le lâcher, et ce dernier est obligé de lui dire : Laisse-moi, car l'aube du jour est levée. Mais Jacob répond : Je ne te laisserai point que tu ne m'aies béni.

Il est donc vrai que c'est lorsque nous sommes faibles que nous sommes forts l que lorsque nos propres forces sont brisées, il n'y a plus en nous de résistance à la grâce de Dieu. Nous ne nous rendons à discrétion que quand tout ce qui vient de nous-mêmes nous échappe. Alors, moins que jamais, nous sommes disposés à lâcher Celui qui est fidèle, car il est toute notre ressource et c'est le moment où nous lui rappelons avec larmes la promesse en laquelle il nous a fait espérer. Suspendus comme par un fil, nous faisons appel à son amour. « Seigneur, lui crions-nous, veux-tu me laisser tomber dans l'abîme ? Je ne suis plus un homme, mais un ver ; que gagnerait ta gloire en l'écrasant ? Me rejetterais-tu pour toujours, ne continuerais-tu plus à m'avoir pour agréable ? Ta bonté est-elle épuisée pour jamais ? Ta parole a-t-elle pris fin pour toujours ? Le Dieu fort a-t-il oublié d'avoir pitié ? as-tu resserré tes compassions par ton courroux ? » Ah ! jamais une âme qui a été rendue capable de lutter ainsi, n'a lutté en vain ; celui qui a pu dire comme Jacob : Je ne te laisserai point que tu ne m'aies béni, est un de ces violents qui ravissent le royaume céleste.
Dieu est désarmé, et l'aube du jour va paraître. Quand un orphelin demande grâce et qu'il se donne tel qu'il est au Père des miséricordes, au Dieu de toutes consolations, Dieu est désarmé et l'aube du jour est prête à paraître. Ce n'est pas l'Éternel, c'est le pécheur qui est le plus fort ; ce n'est pas Jacob, c'est le Tout-Puissant qui est forcé de dire : Laisse-moi ; tu as été plus fort que moi, tu as prévalu.

Jacob demande à être béni ; quelle est la bénédiction qui lui tombera en partage ? L'homme qui a lutté avec lui lui demande : Quel est ton nom ? Et il répond : Jacob.
Alors l'inconnu lui dit : Ton nom ne sera plus Jacob, mais Israël ; car tu as été le plus fort, en luttant avec Dieu et avec les hommes.

Ce changement de nom correspond à un changement de rapports et à une autre condition spirituelle. Jacob est le nom naturel du patriarche ; Israël est le nom nouveau et que Dieu seul pouvait lui donner. Jacob veut dire : II a supplanté ; Israël signifie : il a lutté avec Dieu.

Le nom naturel de Jacob est une confession de son péché ; n'avait-il pas supplanté Esaü ? ne lui avait-il pas ravi par supercherie son droit d'aînesse et la bénédiction qui lui appartenait ? Mais Jacob a lutté avec Dieu ; se sentant tomber, il a mieux aimé tomber entre les mains de l'Éternel, que de tomber entre les mains des hommes. Vaincu, il a été vainqueur, en présentant à Dieu ses promesses. Et cet acte de foi lui a valu un nouveau nom ; Jacob sera nommé Israël, le pécheur sera désormais un soldat de Dieu ; il sera plus fort qu'Esaü ; ayant combattu avec Dieu lui-même, il pourra combattre sans crainte avec les hommes.

Heureux celui à qui Dieu a enlevé le témoignage qui lui venait du péché, et en qui il l'a remplacé par ce témoignage intime qu'il n'est plus contre lui, mais qu'il est pour lui !
Heureux celui dont la condition première est changée contre celle d'un élu, d'un saint, d'un bien-aimé ! Si sa vie propre lui rappelle son péché, ce n'est plus son vieil homme qui existe pour Dieu ; il est devant lui un nouvel homme ; tous ses péchés ont été jetés au profond de la mer.
Voilà la bénédiction que Jacob emporta au sortir de sa lutte. Mais Dieu seul peut changer ainsi les noms et nous placer dans un nouvel ordre de choses. Cette substitution mystérieuse est la grande oeuvre du Saint-Esprit. Mettez-vous sous la croix de Jésus, car ce n'est que là que ce miracle de grâce s'opère ; ce fut là que la malédiction du péché tomba sur le Saint et le Juste, et dès ce moment, il n'y eut plus aucune condamnation pour ceux qui étant en lui, vivent non selon la chair mais selon l'esprit.
Jacob, à son tour, voulut faire une demande au divin inconnu. Il l'interrogea en disant : Je te prie, apprends-moi ton nom. Et il répondit : Pourquoi demandes-tu mon nom ? et il le bénit là.

Jacob avait pressenti son Dieu, mais cela ne lui suffisait pas : il désirait avoir une connaissance plus claire de celui avec qui il avait lutté. Tel est aussi le besoin dont se sent pressé le chrétien. Certes, la connaissance du Seigneur est une excellente chose, mais sitôt que le coeur a été touché et qu'il a goûté combien le Seigneur est bon, il veut pénétrer plus avant dans le sanctuaire et entrer jusqu'à l'autel de ce Dieu qui est sa joie et son ravissement.

La connaissance du Seigneur est déjà à elle seule la vie éternelle ; mais si Jacob oublie, n'oublions pas, nous, que, tant que nous sommes dans ce corps, nous ne connaissons qu'imparfaitement, que nous ne voyons les choses que comme elles se peignent dans un miroir, que c'est par la foi que nous marchons et non point encore par la vue. « Pourquoi demandes-tu mon nom ? répond l'Éternel à Jacob ; ce nom te tuerait, si je levais sur toi la clarté de ma face. Adore dans la poussière ; tu ne vois ici-bas que les bords de mes voies ; mais combats comme un bon soldat de ton Dieu, et ton sentier sera comme la lumière resplendissante qui augmente son éclat, jusqu'à ce que le jour soit en sa perfection. » Et Jacob nomma le lieu Péniel ; car, dit-il, j'ai vu Dieu face à face, et mon âme a été délivrée. Le soleil se leva, aussitôt qu'il eut passé Péniel, et il était boiteux d'une hanche.

Péniel, c'est-à-dire la face de Dieu, la révélation de Dieu. Ah I nous pouvons nommer ainsi tous les lieux où le Seigneur nous a fait sentir sa présence ; tous les endroits qui ont été témoins de nos larmes et de nos combats ; toutes ces circonstances où, au lieu de lancer sa foudre sur nous et sur nos péchés, il nous a fait grâce, et où notre âme a été délivrée.
Péniel,
quel beau nom ! face de Dieu, lumière et vie, qui ne veut point consumer le pécheur, qui ne veut qu'épurer et guérir, faire renaître et délivrer !
Avez-vous, dans l'expérience de votre vie, une de ces rencontres où vous avez vu Dieu face à face, et où l'aube du jour s'est levée après une nuit de combats ? À partir de ce moment, Jacob ne craignit plus Esaü ; mais il lui resta de cette délivrance une infirmité pénible, une écharde dans la chair ; il était boiteux d'une hanche quand il repassa la rivière pour continuer sa marche.

Les chrétiens qui avancent le plus sont ceux que Dieu oblige à marcher avec une écharde, c'est-à-dire avec une infirmité, une misère qui les suit jusqu'au tombeau et qui leur rappelle ce qu'ils sont, quand ils seraient tentés de l'oublier. Nous ne vivons, comme Jacob, que des promesses de Dieu, de sa grâce libre et de sa miséricorde. Comme lui nous avons à combattre pour que ces promesses deviennent vivantes, pour nous enraciner dans la grâce et pour que la miséricorde qui nous a été faite se fasse distinctement sentir à notre coeur dans le don du nom nouveau que nous avons reçu en Christ. Mais à côté de ces témoignages d'amour, Dieu nous laisse avec le corps de mort, ses jougs et ses souffrances. Il veut que les armes avec lesquelles nous combattons ne soient point charnelles, et que nous ayons sans cesse recours à l'armure toute-puissante du croyant.
Le coeur, semble-t-il, devrait s'user dans ces luttes toujours renaissantes ; mais non ; sur le lieu même où Jacob avait lutté, il fut béni par l'Éternel. Le terrain de nos combats est aussi celui de la bénédiction. Nommez ces lieux-là Péniel, car la face de Dieu y fut sur vous. Cette face est dès maintenant le plus puissant des encouragements, comme elle sera plus tard un rassasiement de joie. Les disciples de Jésus furent remplis d'une vive joie en contemplant ses mains percées. Ils séchèrent leurs larmes, ils oublièrent leurs craintes ; leurs doutes disparurent ; les grandes et précieuses promesses leur devinrent aussi intelligibles que certaines, et s'appuyant sur elles, ils furent dès ce jour fermes, inébranlables, abondants en la foi et vainqueurs.


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