Jacob étant demeuré seul, un homme lutta avec lui jusqu'à ce que l'aube du jour fût levée, et quand cet homme-là vit qu'il ne pouvait le vaincre, il toucha l'endroit de l'emboîture de l'os de sa hanche ; ainsi l'emboîture de l'os de la hanche de Jacob fut démise pendant que l'homme luttait avec lui. Et cet homme lui dit : Laisse-moi, car l'aube du jour est levée. Mais il lui dit : Je ne te laisserai point que tu ne m'aies béni. Et il lui dit : Quel est ton nom ? - Et il répondit : Jacob. Alors il lui dit : Ton nom ne sera plus Jacob, mais Israël, car tu as été le plus fort en luttant avec Dieu et avec les hommes. Et Jacob l'interrogea, disant : Je te prie, apprends-moi ton nom. Et il répondit : Pourquoi demandes-tu mon nom ? Et il le bénit là. Et Jacob nomma le lieu Péniel, car, dit-il, j'ai vu Dieu face à face et mon âme a été délivrée. Et le soleil se leva aussitôt qu'il eut passé Péniel, et il était boiteux d'une hanche.
Le patriarche Jacob était en route pour retourner dans sa terre
natale. Il revenait de la Mésopotamie, et vingt ans se sont passés
depuis qu'il n'a revu les lieux de son enfance. Ces vingt années
avaient été bien dures, pleines de sueur et de travail, mais en les
repassant dans son souvenir, Jacob les voyait toutes pleines aussi de
la fidélité de son Dieu. Quand il était sorti de Canaan, il n'avait en
main que son bâton ; aujourd'hui, en revenant au bord de ce morne
Jourdain, il est entouré d'une nombreuse famille et suivi de riches
troupeaux. Son coeur est pénétré de reconnaissance et il se sent trop
petit au prix de tant de faveurs et de bienfaits. L'Éternel lui
avait dit : Voici, je serai avec loi et je te
garderai partout où tu iras, et je te ramènerai en ce pays, car
je ne t'abandonnerai point que je n'aie fait ce que je t'ai dit. Les
promesses de l'Éternel n'avaient point été des
paroles vaines ; l'homme peut les oublier, mais le Dieu Fort
de vérité ne les oublie point. Depuis, l'Éternel avait de
nouveau parlé à Jacob et lui avait dit : Retourne en ton
pays, au lieu de ta naissance, et je te ferai du bien.
Fondé sur cette nouvelle promesse, Jacob s'était mis en
route ; il avait entrepris ce long et difficile voyage sur
l'ordre de son Dieu, et non point par le simple désir de revoir son
pays. Déjà il s'approchait de la Terre sainte ; encore quelques
journées de chemin et il allait être au terme de ses peines. Mais
c'est souvent en vue du port que l'on essuie les plus grandes
tempêtes. Jacob est poursuivi par un souvenir qui, après bien des
années d'oubli, renaît avec vivacité dans sa conscience.
Il se rappelle la tromperie dont il a usé autrefois envers son père,
et la fraude dont il s'est servi pour enlever à son frère une
bénédiction qui lui revenait comme étant l'aîné. Ce souvenir travaille
Jacob. Esaü n'est point mort ; c'est un homme
d'un caractère farouche, et chez les Orientaux, la vengeance s'hérite
et se transmet souvent de génération en génération. Jacob va se
trouver en présence de son frère, qui semble déjà prendre une attitude
hostile, car des messagers viennent lui dire qu'il vient au-devant
de lui à la tête de quatre cents hommes.
Cette nouvelle jette la consternation dans l'âme de Jacob ;
il tremble, et à juste titre, pour lui, pour sa famille et pour ses
biens. Son voyage va se terminer par une scène de meurtre et de
pillage, si Dieu n'a pitié de lui. Il envoie de riches présents pour
apaiser Esaü, au cas où il méditerait de sinistres projets ; mais
ces présents ne rassurent point Jacob ; il sent bien qu'il a
besoin d'une protection plus efficace que celle que lui a suggérée sa
prudence. C'est dans la prière qu'il cherche sa sécurité et son repos,
car il a appris par expérience que, lorsque l'orage gronde, Dieu seul
est un rocher et une haute retraite.
Au coucher du soleil une rivière s'était inopinément présentée devant
lui. Il la fait passer à sa famille et à ses troupeaux, et après les
avoir établis pour la nuit, derrière cette barrière naturelle, il
revient seul sur l'autre bord pour y veiller, pendant que les siens
dorment, pour y prier surtout, car il a grand besoin de répandre son
coeur devant Dieu.
Mais au lieu de trouver le repos qu'il cherchait, Jacob rencontre un
adversaire, et il a à soutenir avec lui une lutte qui dure jusqu'à
l'aube du lendemain. Celte lutte mystérieuse à quelques égards se
reproduit pourtant encore dans la carrière du chrétien, et c'est
pourquoi il sera utile de chercher quelle en était la nature et de
bien considérer quelle en fut l'issue.
Jacob étant demeuré seul, dit notre texte, un homme lutta
avec lui, jusqu'à ce que l'aube du jour fût levée.
Quel est cet adversaire ? Jacob ne le reconnut pas
sur-le-champ ; tout ce qu'il sentit dès le
premier moment, c'est qu'il n'avait point affaire à un ennemi
ordinaire.
N'est-ce pas de nous-mêmes qu'il est ici question ? Ne s'est-il
jamais présenté sur votre route un inconnu qui ait lutté avec
vous ?
Vous vouliez avancer, et vous vous sentiez retenu ; vous faisiez
des projets, des entreprises, et un bras sortant de l'ombre vous
barrait le chemin. Il faut être bien aveugle ou bien inexpérimenté
pour ne pas convenir que bien des fois dans la vie, nous avions compté
sans notre hôte, c'est-à-dire sans un plus fort que nous, contre
lequel nous ne pouvions lutter.
Jacob ne vit point la face de son ennemi ; il aurait voulu que ce
fût la face de son Dieu. Eh bien, je vous le demande encore, quand
vous cherchez la face de votre Dieu, la trouvez-vous toujours
facilement ?
Vous êtes seul, vous avez du silence, et vous croyez qu'il va vous
être facile d'entrer aussitôt en prière. Mais au lieu de trouver
le Seigneur, vous trouvez un ennemi ; que dis-je ? un
seul ? il y en a souvent mille qui nous forcent à lutter et qui
s'opposent à nos prières. Soucis du monde, inquiétudes pour l'avenir,
abattement du corps, accablement de l'âme, - priez, si vous pouvez,
quand tout cela vous remplit. Le Seigneur peut se cacher dans tout
cela, mais ce n'est point là que nous le cherchons.
La lutte de Jacob est aussi une image de nos luttes avec les promesses
de Dieu. Il faut souvent bien des efforts pour que ces promesses
soient devant nous comme une réalité, pour que nous en sentions la
force et l'action, et que nous ne les abandonnions pas à la vue de nos
misères. La Parole de Dieu se présente souvent à nous comme un
adversaire ; nous sommes effrayés en nous mesurant avec ce
qu'elle nous demande ; elle nous frappe à coups redoublés, au
lieu de nous remplir de confiance et d'amour. Jacob lutta avec son
adversaire, jusqu'à ce que l'aube du
jour fût levée. Hélas ! quelle que soit la longueur de ces
nuits de combat où tout est noir autour de nous, ce n'est pas nous qui
faisons la lumière. Il faut attendre qu'elle se lève et qu'elle
reluise sur notre sentier.
L'adversaire de Jacob est étonné de trouver tant de résistance, et
Jacob, de son côté, sent toujours plus que l'inconnu qui lutte avec
lui ne veut pas sa mort ; mais quoiqu'il ait affaire avec un
antagoniste qui est plus qu'un homme, plus qu'un ange peut-être, il
poursuit avec ténacité le combat. Cela nous enseigne que plus nous
luttons, plus nous gagnons en persévérance. Souvent, au fond même de
nos misères, nous sommes soutenus par un de ces traits de lumière qui
nous donnent un pressentiment de paix et une espérance lointaine que
nous serons finalement vainqueurs.
Mais l'inconnu porte à son adversaire un nouveau coup qui le fait
chanceler. Il est si violent, que la hanche de Jacob
est démise et que ses forces naturelles sont comme brisées. Mais loin
de s'avouer vaincu, il se jette tel quel au cou de son ennemi ;
moins que jamais il veut le lâcher, et ce dernier est obligé de lui
dire : Laisse-moi, car l'aube du jour est levée. Mais
Jacob répond : Je ne te laisserai point que tu ne m'aies
béni.
Il est donc vrai que c'est lorsque nous sommes faibles que nous
sommes forts l que lorsque nos propres forces sont brisées, il
n'y a plus en nous de résistance à la grâce de Dieu. Nous ne nous
rendons à discrétion que quand tout ce qui vient de nous-mêmes nous
échappe. Alors, moins que jamais, nous sommes disposés à lâcher Celui
qui est fidèle, car il est toute notre ressource et c'est le moment où
nous lui rappelons avec larmes la promesse en laquelle il nous a fait
espérer. Suspendus comme par un fil, nous faisons appel à son amour.
« Seigneur, lui crions-nous, veux-tu me laisser tomber dans
l'abîme ? Je ne suis plus un homme, mais un
ver ; que gagnerait ta gloire en l'écrasant ? Me
rejetterais-tu pour toujours, ne continuerais-tu plus à m'avoir pour
agréable ? Ta bonté est-elle épuisée pour jamais ? Ta
parole a-t-elle pris fin pour toujours ? Le Dieu fort a-t-il
oublié d'avoir pitié ? as-tu resserré tes compassions par ton
courroux ? » Ah ! jamais une âme qui a été rendue
capable de lutter ainsi, n'a lutté en vain ; celui qui a pu dire
comme Jacob : Je ne te laisserai point que tu ne m'aies béni,
est un de ces violents qui ravissent le royaume céleste.
Dieu est désarmé, et l'aube du jour va paraître. Quand un
orphelin demande grâce et qu'il se donne tel qu'il est au Père des
miséricordes, au Dieu de toutes consolations, Dieu est désarmé
et l'aube du jour est prête à paraître. Ce n'est pas
l'Éternel, c'est le pécheur qui est le plus fort ; ce n'est pas
Jacob, c'est le Tout-Puissant qui est forcé de dire : Laisse-moi ;
tu as été plus fort que moi, tu as prévalu.
Jacob demande à être béni ; quelle est la bénédiction qui lui
tombera en partage ? L'homme qui a lutté avec lui lui
demande : Quel est ton nom ? Et il répond : Jacob.
Alors l'inconnu lui dit : Ton nom ne sera plus Jacob,
mais Israël ; car tu as été le plus fort, en luttant avec Dieu
et avec les hommes.
Ce changement de nom correspond à un changement de rapports et à une
autre condition spirituelle. Jacob est le nom naturel du
patriarche ; Israël est le nom nouveau et que Dieu seul
pouvait lui donner. Jacob veut dire : II a
supplanté ; Israël signifie : il a lutté avec
Dieu.
Le nom naturel de Jacob est une confession de son péché ;
n'avait-il pas supplanté Esaü ? ne lui avait-il pas ravi par
supercherie son droit d'aînesse et la bénédiction qui lui
appartenait ? Mais Jacob a lutté avec Dieu ; se
sentant tomber, il a mieux aimé tomber entre les mains de
l'Éternel, que de tomber entre les mains des hommes. Vaincu, il
a été vainqueur, en présentant à Dieu ses promesses.
Et cet acte de foi lui a valu un nouveau nom ; Jacob sera nommé
Israël, le pécheur sera désormais un soldat de Dieu ; il sera
plus fort qu'Esaü ; ayant combattu avec Dieu lui-même, il pourra
combattre sans crainte avec les hommes.
Heureux celui à qui Dieu a enlevé le témoignage qui lui venait du
péché, et en qui il l'a remplacé par ce témoignage intime qu'il n'est
plus contre lui, mais qu'il est pour lui !
Heureux celui dont la condition première est changée contre celle d'un
élu, d'un saint, d'un bien-aimé ! Si sa vie propre
lui rappelle son péché, ce n'est plus son vieil homme qui existe pour
Dieu ; il est devant lui un nouvel homme ; tous ses
péchés ont été jetés au profond de la mer.
Voilà la bénédiction que Jacob emporta au sortir de sa lutte. Mais
Dieu seul peut changer ainsi les noms et nous placer dans un nouvel
ordre de choses. Cette substitution mystérieuse est la grande oeuvre
du Saint-Esprit. Mettez-vous sous la croix de Jésus,
car ce n'est que là que ce miracle de grâce s'opère ; ce fut là
que la malédiction du péché tomba sur le Saint et le Juste, et dès ce
moment, il n'y eut plus aucune condamnation pour ceux qui étant en
lui, vivent non selon la chair mais selon l'esprit.
Jacob, à son tour, voulut faire une demande au divin inconnu. Il
l'interrogea en disant : Je te prie, apprends-moi ton nom. Et
il répondit : Pourquoi demandes-tu mon nom ? et il le
bénit là.
Jacob avait pressenti son Dieu, mais cela ne lui suffisait pas :
il désirait avoir une connaissance plus claire de celui avec qui il
avait lutté. Tel est aussi le besoin dont se sent pressé le chrétien.
Certes, la connaissance du Seigneur est une excellente chose, mais
sitôt que le coeur a été touché et qu'il a goûté combien le
Seigneur est bon, il veut pénétrer plus avant dans le
sanctuaire et entrer jusqu'à l'autel de ce Dieu qui est sa joie et
son ravissement.
La connaissance du Seigneur est déjà à elle seule la vie
éternelle ; mais si Jacob oublie, n'oublions pas, nous, que, tant
que nous sommes dans ce corps, nous ne connaissons
qu'imparfaitement, que nous ne voyons les choses que comme elles se
peignent dans un miroir, que c'est par la foi que nous
marchons et non point encore par la vue. « Pourquoi
demandes-tu mon nom ? répond l'Éternel à Jacob ; ce
nom te tuerait, si je levais sur toi la clarté de ma face. Adore dans
la poussière ; tu ne vois ici-bas que les bords de mes
voies ; mais combats comme un bon soldat de ton Dieu,
et ton sentier sera comme la lumière resplendissante qui augmente
son éclat, jusqu'à ce que le jour soit en sa perfection. »
Et Jacob nomma le lieu Péniel ; car, dit-il, j'ai vu Dieu face
à face, et mon âme a été délivrée. Le soleil se leva, aussitôt
qu'il eut passé Péniel, et il était boiteux d'une hanche.
Péniel, c'est-à-dire la face de Dieu, la révélation de Dieu.
Ah I nous pouvons nommer ainsi tous les lieux où le
Seigneur nous a fait sentir sa présence ; tous les endroits qui
ont été témoins de nos larmes et de nos combats ; toutes ces
circonstances où, au lieu de lancer sa foudre sur nous et sur nos
péchés, il nous a fait grâce, et où notre âme a été délivrée.
Péniel, quel beau nom ! face de Dieu, lumière et vie, qui
ne veut point consumer le pécheur, qui ne veut qu'épurer et guérir,
faire renaître et délivrer !
Avez-vous, dans l'expérience de votre vie, une de ces rencontres où
vous avez vu Dieu face à face, et où l'aube du jour s'est
levée après une nuit de combats ? À partir de ce moment,
Jacob ne craignit plus Esaü ; mais il lui resta de cette
délivrance une infirmité pénible, une écharde dans la chair ; il
était boiteux d'une hanche quand il repassa la rivière pour
continuer sa marche.
Les chrétiens qui avancent le plus sont ceux que Dieu oblige à marcher
avec une écharde, c'est-à-dire avec une infirmité,
une misère qui les suit jusqu'au tombeau et qui leur rappelle ce
qu'ils sont, quand ils seraient tentés de l'oublier. Nous ne vivons,
comme Jacob, que des promesses de Dieu, de sa grâce libre et de sa
miséricorde. Comme lui nous avons à combattre pour que ces promesses
deviennent vivantes, pour nous enraciner dans la grâce et pour que la
miséricorde qui nous a été faite se fasse distinctement sentir à notre
coeur dans le don du nom nouveau que nous avons reçu en Christ. Mais à
côté de ces témoignages d'amour, Dieu nous laisse avec le corps de
mort, ses jougs et ses souffrances. Il veut que les armes avec
lesquelles nous combattons ne soient point charnelles, et que
nous ayons sans cesse recours à l'armure toute-puissante du croyant.
Le coeur, semble-t-il, devrait s'user dans ces luttes toujours
renaissantes ; mais non ; sur le lieu même où Jacob avait
lutté, il fut béni par l'Éternel. Le terrain de nos combats est aussi
celui de la bénédiction. Nommez ces lieux-là Péniel,
car la face de Dieu y fut sur vous. Cette face est dès maintenant le
plus puissant des encouragements, comme elle sera plus tard un
rassasiement de joie. Les disciples de Jésus furent remplis
d'une vive joie en contemplant ses mains percées. Ils séchèrent
leurs larmes, ils oublièrent leurs craintes ; leurs doutes
disparurent ; les grandes et précieuses promesses leur
devinrent aussi intelligibles que certaines, et s'appuyant sur elles,
ils furent dès ce jour fermes, inébranlables, abondants en la foi
et vainqueurs.
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