Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ESQUISSES NORVÉGIENNES

suite

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En avant, dans le beau pays !

Notre bateau était de proportions très modestes. Quelques jeunes Anglais, déjà installés lors de notre arrivée, avaient accaparé, aux dépens des dames, les quelques bonnes places disponibles. À leur honneur, je dirai qu'au bout de quelques instants, ils vinrent nous offrir leurs sièges. Je les remerciai dans mon plus pur anglais. Lorsqu'ils surent que je suis un révérend pasteur et que, peu de temps auparavant, j'avais parlé en anglais à la foule qui se pressait dans le parc de Mildmay, leur respect pour moi devint considérable. Je crains que mes titres n'eussent produit moins d'impression sur de jeunes Allemands. Les Anglais ne sont pas assez simples pour croire que les ecclésiastiques apportent toujours avec eux l'ennui et sont les ennemis nés de la gaieté.

Nous devions rencontrer plus d'une fois ces jeunes gens dans le reste du voyage. C'étaient des étudiants venus d'Oxford ou de Cambridge. Ils étaient rieurs, aimaient à déployer leur force musculaire, à braver les éléments. Beaucoup plus sobres que nos jeunes Allemands, ils n'étaient point décorés de ces balafres que la manie du duel a mises en honneur dans notre jeunesse studieuse.

En avant dans le fiord de Stavanger ! La traversée dura de quatre à cinq heures. Les beautés de la nature norvégienne sont difficiles à décrire. Nous ne pûmes nous empêcher, devant elles, d'entonner nos plus beaux chants. Les airs allemands que nous faisions entendre plurent beaucoup à nos compagnons de route, anglais et norvégiens. La prima donna la plus fêtée eut envié les applaudissements qui nous furent prodigués. Un vieux marin vint serrer, à les broyer, les mains de mes filles. Il répétait, d'une voix émue, en norvégien : « Beaucoup de remerciements, beaucoup de remerciements, mille remerciements ! » Ce qu'il disait ainsi, et par là le lecteur verra les rapports du norvégien avec l'allemand : a Mange tak, mange tak, tusend tak ! »

Au débarquement, un élégant hôtel nous ouvrit ses portes. Le service y était fait, comme partout en Norvège, par d'aimables jeunes filles, tranquilles, intelligentes, d'une moralité à toute épreuve. Elles portaient le joli costume national. Peu d'entre elles connaissent l'allemand, mais elles devinent aisément à vos signes ce que vous demandez. Si vous êtes cordial, vous obtiendrez tout d'elles ; rien, si vous voulez recourir au ton impérieux. L'emploi de portier est naturellement confié partout à des hommes ; les portiers sont les seuls êtres, disons-le en passant, qui, dans les petits hôtels, comprennent l'anglais et l'allemand ; le personnel féminin ne connaît que la langue du pays. Les femmes, les jeunes filles desservent non seulement les hôtels, mais les magasins, les bureaux de poste, les téléphones et les télégraphes. Partout elles excellent à se tirer d'affaire. Je me suis laissé raconter que dans les importantes questions communales, les femmes, les demoiselles âgées de plus de vingt-cinq ans, exercent un droit de vote.

Le dehors et le dedans de notre hôtel sont de bois. Les lits, d'une propreté immaculée, ont l'apparence de machines propres à endurcir les muscles. À la croisée de chaque chambre un appareil de sauvetage. Une inscription, bien en évidence, avise le voyageur qu'en cas d'incendie, il pourra se confier avec sécurité à l'appareil. La morale du fait, c'est qu'en Norvège, où les hôtels sont construits en bois, on est constamment exposé au risque de l'incendie. Je ne sais si, dans l'éventualité prévue, les dames âgées ont eu toujours assez de présence d'esprit pour déployer l'appareil et s'installer dans son filet. Un Anglais, qui a écrit un livre pétillant d'esprit sur la Norvège, conseille aux aubergistes de placer devant les chambres à coucher de petits balcons de fer communiquant avec le sol par des escaliers de fer. Ne serait-il pas à craindre, avec l'innovation proposée, que du danger du feu on ne tombât dans celui des voleurs, et que les filous d'Europe, attirés par les escaliers de fer, ne se décidassent à affronter le mal de mer, à faire en grand nombre le voyage de Norvège ?

Après une nuit de bon sommeil, nous nous levions tout à fait dispos. Nous prenions un premier déjeuner et montions dans les équipages qui devaient nous conduire à Osen.
À ce propos, quelques mots sur la manière dont on voyage sur terre, en Norvège. La côte occidentale est dépourvue de voies ferrées. Elles ne seront jamais nombreuses dans cette région, tant du moins qu'on n'aura pas trouvé le moyen de mettre les trains en état de voler dans les airs, à la façon des oiseaux, ou de nager dans les ondes, à la façon des poissons. La configuration du pays s'oppose à l'établissement des chemins de fer. Les excursions se font donc, soit à pied, soit à cheval ; elles se font surtout en voiture. On a introduit récemment dans la contrée des calèches et des landaus. Mais l'équipage national est le stölkärre. Je place celui-ci à la tête de tous les véhicules de ma connaissance, au point de vue de la légèreté, et de la rapidité qu'il permet. C'est une petite charrette, aux deux grandes roues, avec une banquette pour deux personnes. Le siège du cocher, très rudimentaire, espèce de sellette, s'élève derrière la banquette. Les guides passent entre les deux voyageurs. La banquette n'est ni élégante, ni commode. Le dos en est très bas ; il est rarement rembourré et est porté par deux tiges de fer. Ceux qui craignent les cahots feront bien dès lors de regarder à deux fois avant de monter dans cette voiture.

L'avantage des stölkärres, outre leur légèreté, est de permettre d'embrasser toute la vue de l'horizon. Le dos du cocher ne se place pas comme un écran devant le voyageur et ne vient pas partager devant ses yeux le monde en deux. Après cela, ces charrettes n'ont pas d'abri contre la pluie. Même par le beau temps, on y souffre du soleil et de la poussière.

Mais que serait la charrette norvégienne sans le petit cheval qui la traîne ? L'incomparable coursier ! Il est de petite taille et produit l'effet d'un métis, né du cheval et du mulet. Il porte sur la tête une sorte de crête de coq faite de poils hérissés, c'est dire qu'on lui coupe les crins comme aux poneys. Les petits chevaux norvégiens sont tous ronds et gras « comme des conseillers, » me faisait remarquer un ami qui connaît mieux les conseillers que moi ! L'ardeur de ces petits chevaux est indescriptible. Ils attendent avec impatience qu'on leur rende les rênes et s'élancent, semblables à de véritables chevreuils. Voyez-les descendre les pentes les plus roides dans un galop vertigineux ! Nul frein, nul sabot à la charrette norvégienne. Les cochers n'ont pas même l'idée que leurs bêtes pourraient broncher, s'abattre. Je n'ai pas conseillé l'emploi de la charrette aux gens douillets, je ne saurais conseiller aux gens peureux le coursier norvégien. Mais je n'ai point ouï parler d'accidents survenus avec les stölkärres et leurs petits chevaux.

Voulez-vous gagner le coeur du cocher norvégien ? Vous n'avez qu'à louer son cheval. Il l'aime. Il ne le touche presque jamais du fouet, Il lui parle une langue pleine d'exclamations tendres, analogue à celle de la mère avec son enfant. Et le petit cheval comprend. Les rênes flottent sur son dos, rarement tendues. On le traite comme un être intelligent et il se comporte aussi comme un être intelligent. Veut-il boire aux sources ? On le laisse faire. Il n'abuse pas de la permission, ne s'ingurgite que très peu d'eau et repart aussitôt après d'un train enragé, pareil à celui dont courent les chasses enchantées de la légende.

Supposez nos cochers norvégiens placés à la tête de nos écoles. Ils appliqueraient là leur art de conduire avec douceur et confiance. Je me permets de croire que les bipèdes placés sous leur direction justifieraient pour la plupart celle-ci, quand bien même certains tempéraments ont besoin de la verge et de la sévérité. Tenez pour prouvé que celui qui réussit avec les animaux réussirait aussi avec les hommes. grâce à Dieu, les pédagogues aimant l'enfance ne sont pas rares aujourd'hui.

Le lecteur me pardonnera cette petite digression inspirée par la reconnaissance que je garde au petit cheval norvégien. Je n'ai jamais rencontré son pareil. Je ne puis m'empêcher de sourire en songeant à la folle vitesse avec laquelle il nous emporta si souvent, par exemple de Stalheim à Foss. On aurait dit que des puissances invisibles tourbillonnaient autour de nous et cherchaient à l'animer.

Nous arrivâmes trop vite, à mon gré, à Osen, sur les bords du lac de Suledalvand.
Je regrette de n'être ni peintre ni poète pour décrire dignement le lac de Suledalvand et le cadre de rochers à pic, montant jusqu'au ciel, qui l'environnent de tous les côtés. Pour charmer la traversée, mais surtout pour donner carrière à notre enthousiasme, nous nous mimes à chanter. Un petit incident se produisit alors. Nous sentions sur nous depuis quelques instants les regards d'un monsieur qui paraissait nous examiner. Il avait une expression spirituelle, des traits fins. Lorsque les dernières notes de l'air de Mendelssohn se furent envolées, il s'avança vers moi et me dit en allemand : « N'êtes-vous pas le pasteur Funcke ? » - « Comment le savez-vous ? » répondis-je assez sèchement. « Mais, me dit-il, vos chants montrent que vous êtes des Allemands ; et, de tous les Allemands, seul le pasteur Funcke a pu avoir l'idée de faire avec sa famille le pénible voyage de Norvège. » Au premier moment, je traduisis ces paroles en leur donnant ce mauvais sens : « Seul le pasteur Funcke est assez fou pour avoir emmené avec lui toute sa maison en Norvège. » Je me convainquis plus tard que cette remarque renfermait un compliment. Parcourir la Norvège avec une famille de huit personnes, et presque autant de malles, implique une volonté courageuse. J'avais enseigné que le meilleur moyen d'être heureux est de procurer de la joie aux autres. Le moyen de penser que je n'étais pas le premier à mettre en pratique mon précepte, nonobstant les difficultés sans nombre qui devaient en résulter pour moi ? C'était bien à une folie, mais à une noble folie que m'avait reconnu mon interlocuteur, pasteur lui-même, écrivain distingué, M. Jonas Dahl, de Stavanger.

J'eus bientôt lié amitié avec mon collègue norvégien. Il proposa un chant qui pût être entonné par tous les hommes de l'équipage. Et il commença l'air national norvégien. Faut-il dire que la musique de cet air est la même que celle de l'air national allemand, de l'air national anglais et suisse ? On voit d'ici l'effet. Nous chantions, pour notre part, les paroles de l'air allemand ; nos Anglais celles de l'air anglais. Il en résulta une vaste et émouvante harmonie. On eût dit s'ébauchant déjà l'alliance des peuples. C'était pour la première fois, depuis que le monde existe, que les gigantesques portes de rochers du Suledalvand entendaient un chant exécuté en trois langues. Tous les visages souriaient. Mais mon nouvel ami, auquel était due l'inspiration de ce concert général, souriait plus que les autres. Je devais le rencontrer fréquemment encore. Il était venu passer ses vacances, avec sa famille, dans le voisinage et n'avait paru récemment a Stavanger que pour saluer le roi. Nous prîmes nos quartiers de nuit à Naes, au nord du lac. Nous nous trouvâmes encore fort bien. D'où nouvelle occasion pour moi de louer les hôteliers norvégiens. Notre jeune hôtesse était veuve. Elle ressemblait au modèle de la tristesse. Combien j'aurais voulu pouvoir lui dire un mot consolateur ! Hélas, je ne trouvai pas une seule parole à lui adresser en langue norvégienne.

Le lendemain, un monsieur norvégien se présente a moi et me dit en anglais : « Je viens de lire votre nom sur le livre des étrangers. Permettez-moi de vous assurer que je pense à vous chaque matin en lisant l'un de vos ouvrages, vos Méditations quotidiennes (1). Ma chère femme et moi, nous demandons à Dieu pour vous l'humilité et la foi. » Ce témoignage affectueux ensoleilla ma journée. Il remplaça pour moi l'astre du jour qui, pour la première fois, nous était caché par des nuages. Malgré un ciel gris, nous fîmes ce jour-là douze heures de chemin. La route nous conduisit d'abord à travers les gorges sauvages du Bratlandsdal, animées par un torrent impétueux et d'innombrables cascades ; elle nous mena ensuite de l'hôtel de Breifond, à travers des lacets sans fin, au sommet d'un col, où nos enfants purent s'amuser à se jeter de la neige. La vue dont on jouit de cette hauteur est grandiose. À vos pieds, la roche descend en précipice ; dans le lointain, vous apercevez la vallée d'Odde, sur le fiord du Hardanger, dominée par l'immense champ de neige du Folgefond. Ce champ de neige est situé à 4500 pieds de hauteur et n'a pas moins de quarante kilomètres de long sur dix environ de largeur. De tous côtés, des coulées de glace descendent jusque dans la vallée.

Nous avions gravi le sommet de la montagne à pied, pour ménager nos chevaux. Nous descendîmes l'autre versant avec la rapidité de l'ouragan. Nous nous arrêtâmes pourtant quelques instants au confluent de trois chutes d'eau bien connues des voyageurs, le Latefoss, le Skarsfoss, toutes les deux aux eaux bouillonnantes et précipitant leur course furieuse à travers les obstacles dans un nuage de vapeur, enfin l'Espelandsfoss, légère écharpe tombant d'une falaise à pic. Le lecteur sera peut-être heureux d'apprendre que le mot Foss, terminant les trois noms ci-dessus, vent dire chute d'eau.

Nous sommes dans la vallée, nous longeons un lac d'un mille de longueur. À l'ouest de la nappe d'eau se dresse le grandiose Buar-Brae. Brae signifie glacier, et le Buar-Brae est un des beaux glaciers du Folgefond. Bientôt se montrent à nous la petite église blanche et les hôtels souhaités d'Odde, station d'été, caravansérail d'hôtels situé à l'extrémité de la pointe sud du célèbre fiord du Hardanger. L'Hôtel Hardanger avait brûlé peu de temps auparavant et a été réédifié avec un grand luxe. Nous descendîmes ailleurs, dans un hôtel plus simple.

Le lendemain matin, il pleuvait à torrents. Toutefois vers dix heures le ciel s'éclaircit, et nous pûmes voir de plus près quelques-unes des magnificences des environs. Dans l'après-midi, nous finies un tour au Buar-Brae. À un quart d'heure d'Odde, nous retrouvions le lac longé la veille. Nous montâmes dans deux nacelles et nous dirigeâmes vers le torrent qui jaillit du glacier de Buar. La route conduisant au glacier est si pittoresque que quelqu'un de nous fit la remarque suivante : « Pour cette seule excursion, il vaut la peine de faire le voyage de Norvège. » Tout le long de la route, vous avez devant vous le glacier ressemblant à une énorme chute d'eau subitement congelée.

Nous avions pris avec nous un des petits rameurs avec lesquels nous avions fait la traversée. C'est un charmant garçon de douze ans. Ma petite fille de neuf ans s'entendit fort bien avec lui. Elle tient de moi une inclination à regarder les petites gens comme plus intéressantes que les grandes gens. Je m'amusais de la sollicitude du petit chevalier pour sa petite dame. Il lui cueillait des fleurs, des baies, la prenait par la main quand la roche était glissante, la portait dans les passages étroits ou à travers les petits torrents. Les deux amis riaient à qui mieux mieux et babillaient dans un langage international dont ils étaient les inventeurs. Quand, me séparant du petit héros, je lui fis cadeau d'un pourboire inattendu, il me considéra avec des yeux si pleins de reconnaissance et d'étonnement que je ne puis les oublier.

Je ne risquerai pas une description du glacier, de la grotte de glace bleue. Que le lecteur curieux fasse, le voyage : il me remerciera de lui en avoir suggéré l'idée. La joie débordante de mes enfants qui n'avaient pas encore vu de près un glacier communiquait une nouvelle fraîcheur à mes impressions ; elle me donna, je n'en doute pas, des yeux meilleurs pour contempler, un coeur plus ému pour adorer. De retour dans nos barques, nous chantâmes nos plus beaux cantiques. Nos petits bateliers oubliaient leurs rames et nous regardaient d'un air rêveur. C'est avec peine que nous nous séparâmes d'eux.

Nous revîmes Odde dans la splendeur d'un soleil couchant. Un grand vapeur arrivant de Hambourg, Colombia, venait de jeter l'ancre à une certaine distance du quai d'embarquement du petit village. Il n'avait pas moins de 300 touristes à son bord. C'était une caravane du cap Nord. Les excursionnistes descendirent dans une multitude de petits esquifs préparés pour les recevoir. Ils regagnèrent également leur navire à la même heure. Les touristes faisant partie de ces grands convois de voyageurs, organisés pour le cap Nord, n'ont à s'inquiéter de rien. Tout a été prévu pour eux, arrangé de main de maître par l'administration. Il ne leur manque qu'une chose : la liberté, le plaisir de faire ce que l'on veut. Voilà pourquoi je ne prendrai jamais rang dans ces caravanes. Elles sont l'idéal de ceux-là seulement qui estiment par dessus tout le confort. Je connaissais quelques-uns des touristes amenés par le Colombia. Ils ne tarissaient pas d'éloges sur l'installation brillante de leur navire, sur ses menus dignes de Lucullus.

Nous passâmes la soirée sur la terrasse de notre hôtel, avec quelques-uns de nos anciens amis du Nordstjernen, que nous avions eus jusque-là pour compagnons de route. C'est avec des chants que nous solennisâmes, selon la manière allemande, l'adieu prochain, imminent. Parlez-moi des vieilles coutumes allemandes !



Ulvik.

Cette localité est située sur la rive nord du Hardangerfiord, tandis qu'Odde l'est sur la pointe sud.
C'est à Ulvik que devait nous conduire le navire le Vikingen. Nous avions pris en pénétrant sur le pont du vapeur, portant ce nom sonore et légendaire, un air quelque peu héroïque. Les Vikings (2), personne ne l'ignore, c'étaient ces rudes marins du nord, pirates et guerrier, méprisant le péril et la mort, qui écumaient il y a plusieurs siècles les mers, et conduisirent parfois leurs vaisseaux de corsaires jusqu'en Grèce et en Sicile ! Nos Vikings, à nous, n'avaient rien que de pacifique. Ils se balançaient, comme un coquet petit transport qu'ils étaient. Aussi nos idées guerrières firent-elles bientôt place à des images plus gaies.

Nous traversions le Hardanger du sud au nord. La beauté de ce fiord est célèbre. Il offre réunis tous les contrastes de la nature norvégienne : les hautes montagnes rocheuses, désertes, glacées, parfois rectilignes comme des murailles, les nappes d'eau bleue, les plaines fertiles, qui étendent leur végétation riante au pied des roides pics. Le Hardanger a quelques-unes des plus belles chutes de la Norvège et de l'Europe. Les femmes et les filles portent en général ici le superbe costume national. Je n'entreprendrai pas de le décrire, car une plume féminine serait plus compétente en cette matière que moi. C'est surtout le dimanche que cette parure est splendide ; mais elle s'étale tous les jours avec quelque recherche dans les hôtels, où elle est portée par le personnel féminin.

Quel beau matin que celui de notre départ ! Qu'il faisait beau fendre les vagues azurées ! Nous saluâmes à l'occident les hauts rocs, les interminables champs de neige, les glaciers du Folgefond. Le côté oriental n'est pas moins sauvage. Mais la montagne s'y divise et, par l'entrebâillement des gorges, on aperçoit, dans le lointain, des pâturages au velours printanier, de pittoresques villages, de magnifiques chutes d'eau.

De brunes voiles sillonnaient en tous sens la surface de l'onde. Çà et là des pêcheurs jetaient leurs filets. Car ces fiords sont extrêmement poissonneux. On sait que le poisson est, avec le bois, presque l'unique richesse de la Norvège. De là vient que celle-ci a un chiffre relativement faible d'habitants, que la population de l'Allemagne, par exemple, est vingt fois plus dense. Sur les bords du Hardanger, les maisons de bois, couvertes d'un vernis brun-rouge, sont plus nombreuses qu'ailleurs. Mais c'est surtout la pointe nord, avec Ulvik, qui est le plus peuplée. Ici la population est considérable, et l'on pourrait se croire en Suisse, à Appenzell ou à Thoune.

Vers midi, les rochers du fiord se rapprochèrent, se resserrèrent tellement, que nous nous demandions où passerait notre navire. Mais il fila par une étroite porte et pénétra dans la baie d'Ulvik. Quel ravissant tableau nous avions sous les yeux ! Au nord, Ulvik avec sa blanche église et ses hôtels ; au fond, s'étageant toujours plus haut, les pâturages de la montagne, gardant leur fraîcheur printanière. Ils sont parsemés de fermes en grand nombre. Derrière, les contreforts, les hautes sommités de pierre au front couronné de neige et de glace. De bonnes routes sillonnent la contrée dans tous les sens. Notre coeur battait, tandis que nous attachions nos regards sur ce tableau, car nous devions passer trois semaines à Ulvik.

L'hôtel où nous descendîmes est bâti sur une petite langue de terre avançant dans le fiord. Il s'appelle Hôtel Brakenae, et est pourvu de nombreux balcons donnant sur la mer. Nous trouvâmes là cette hospitalité, véritablement patriarcale, dont nous avons si souvent joui en Norvège, qui pousse l'hôtelier à s'occuper de tout ce qui peut contribuer au plaisir, au bien-être des voyageurs. Deux légères gondoles étaient à la disposition des étrangers logeant dans l'hôtel.

Les trois semaines que nous passâmes à Ulvik furent un jour de délices trop rapidement écoulé. Parmi ceux qui ont voyagé, les uns préfèrent la mer, les autres les magnificences des Alpes, des troisièmes les vastes forêts frémissantes au souffle des brises, et leur intime poésie. Je dirai que la Norvège unit les trois genres de beauté : la beauté de la mer, celle de l'Alpe au front poudré de neige et celle des forêts.

Sans doute les bois du pays n'ont pas tout à fait la même grandeur que ceux de l'Allemagne, de la Thuringe ou du Hartz. Les bouleaux et les pins abondent ici. Mais les premiers sont splendides. La verdure a dans cette contrée autant de fraîcheur en août qu'en mal. Peut-être cela vient-il de ce que le printemps commence plus tard en Norvège. Autre différence, il n'y a pas ici autant d'oiseaux que chez nous. Mais les colombes sauvages, les oiseaux de proie, les oiseaux aquatiques s'aperçoivent en grand nombre. La faune norvégienne habite surtout dans les eaux, douces ou salées. Inimaginable est le nombre des poissons. En échange, le grand gibier est rare : peu de chevreuils, peu de cerfs, le renne ne se trouvant à l'état sauvage que dans certaines régions. Cependant les forêts norvégiennes ont le charme des terres vierges et inconnues. À peine découvre-t-on de temps en temps dans leurs profondeurs quelques traces de sentiers. Il semble que l'on soit transporté dans le monde primitif, à l'origine des choses et des êtres, dans ce troisième jour de la création où les arbres grandirent, selon leur espèce, à l'ordre de Dieu. Il fait bon errer à l'aventure dans ces vastes solitudes. En été, on ne risque point d'y mourir de faim. Des espaces de plusieurs kilomètres sont couverts de fraises, de mûres sauvages. On s'étonne que la Norvège, faute de mains, sans doute, ne pratique pas l'exportation des confitures.

Pour ne rien taire, j'ajouterai qu'il est en Norvège un nombre inouï de fourmis. Partout vous vous heurtez à leurs colonies. On dirait, à voir agir les Norvégiens, qu'ils ont pris comme modèle le petit insecte. Toutefois, que personne ne redoute les fourmis norvégiennes. Elles se sont souvent livrées à des évolutions sur nos corps. Il n'en est résulté pour nous aucun inconvénient. Les petites bêtes paraissent d'innocente nature.

O Ulvik, Ulvik ! Mon coeur soupire vers toi, quand ton nom traverse ma pensée. La poésie et les arts auraient besoin de s'unir pour rendre dignement ta contrée paradisiaque ! Mais, en unissant leurs efforts, ils resteraient encore au-dessous de la réalité. Je suppose qu'un peintre réussit à rendre l'étonnante lumière dans laquelle se baignent les montagnes et les glaciers à l'heure du soir, on trouverait ces couleurs exagérées, car les teintes du paysage, à l'heure que j'indique, ont un éclat qui dépasse tout ce que l'on peut imaginer.

La nuit étend à peine son pouvoir sur cette terre bénie. Quand, vers onze heures du soir, nos deux gondoles glissaient, semblables à des cygnes, sur les eaux profondes du fiord, tandis que nos chants étaient répétés par l'écho des montagnes, on se serait cru à la fin du jour. La lune avait de la peine à dessiner son disque, tellement l'éther dans lequel elle apparaissait vaguement était plein de lumière diffuse.

J'arrête mes descriptions. Qui a le projet de faire le voyage de Norvège n'a nul besoin d'elles. Et, d'autre part, je ne veux pas rendre jaloux ceux auxquels ce plaisir est refusé. Qu'ils se consolent en pensant aux beautés du monde à venir, devant lesquelles s'effaceront les beautés de la Norvège, de la Suisse, de l'Italie ou de la Grèce. C'est là-haut, dans le ciel, mon cher lecteur, que notre faculté d'admirer, à vous et à moi, trouvera incessamment à s'exercer ! À une condition, c'est que vous et moi soyons reçus dans le ciel.



NOS DIMANCHES

Ils ont laissé passablement à désirer, pour diverses causes. Ainsi que je l'ai raconté, notre premier dimanche se passa en mer. J'avais projeté de célébrer ce jour-là par un petit service divin sur le pont ; le mal de mer m'ôta toute velléité de donner suite à mon projet. Je crois que peu de passagers d'ailleurs eussent été en état ce jour-là de louer Dieu.

Mon dernier dimanche s'est écoulé à Gadvangen, dans le Sognefiord. En ce lieu point d'église, point de service religieux public non plus. J'utilisai pour notre culte la salle de concert de l'hôtel. Tandis que nous chantions, avec accompagnement du piano, un choral, notre digne hôte, qui nous avait entendus, entra pour se joindre à nous. Je le vis s'essuyer les yeux. Évidemment nos chants l'émouvaient. Un peu plus tard dans la journée, J'eus le plaisir de m'entretenir assez longuement avec lui, sur un petit banc placé devant sa porte. J'étais assis entre sa compagne et lui. Il parlait fort bien l'anglais, et nous pûmes causer du repos du dimanche. Est-ce le résultat de cette conversation religieuse, de nos chants ? Toujours est-il que beaucoup de nos dépenses ne se trouvèrent point portées dans l'addition. Je fis remarquer à l'hôtelier l'extraordinaire erreur commise à son préjudice. Il me répondit ; « Mais laissez, laissez donc ! une si bonne famille ! » J'emportai de ces paroles une impression bienfaisante. Elle était moins inspirée par le plaisir d'avoir eu ma bourse singulièrement ménagée que par celui d'avoir rencontré chez un hôtelier des sentiments de fraternité chrétienne.

Mes trois autres dimanches se sont passés à Ulvik. Nous pûmes nous apercevoir à Ulvik que les dimanches en Norvège sont réellement des dimanches, bien que leur solennité soit souvent troublée par l'absence de scrupules chez les touristes. Le premier dimanche, le temps était d'une beauté exceptionnelle. Ce jour-là, le ciel était si bleu qu'il nous semblait vouloir s'ouvrir sur nos têtes. Les montagnes étaient baignées de lumière ; les glaciers se miraient dans le fiord, dont l'onde tranquille semblait se recueillir pour prêter l'oreille à quelque voix divine. Tout à coup la cloche sonna. Il n'y en avait qu'une et c'était une petite cloche, celle de la petite église du lieu. Mais ces accents étaient répétés par les parois de rochers voisines, de telle façon qu'on eût dit tout un carillon.

Dès que la cloche avait commencé à sonner, le fiord s'était couvert d'une quantité d'embarcations. C'étaient les familles des paysans, des pécheurs ; elles s'en venaient au temple. Femmes et filles portaient leur costume multicolore qui a bravé la mode. Je pus admirer à loisir leurs ornements de filigrane d'argent, finement travaillés et exécutés par des artistes du pays. Beaucoup d'entre elles avaient manié les rames ; après avoir sauté à terre, elles rétablissaient l'ordre de leurs toilettes et passaient la main sur leurs cheveux. De jeunes mères, ayant leurs enfants sur leurs genoux, étaient pittoresquement groupées sur de grands blocs de granit. D'autres, la tête penchée, allaient faire une visite au cimetière avoisinant la petite église, porter des fleurs sur des tombes.

Quand la cloche sonna pour la seconde fois, chacun entra dans l'église. Nous entrâmes aussi. J'eus le plaisir de voir que toutes les positions sociales étaient représentées dans l'auditoire. Je laissai échapper un soupir en pensant à l'abandon où, en Allemagne, les classes cultivées laissent le temple. Elles n'y brillent que par leur absence.

Malheureusement le culte public célébré à Ulvik ne pouvait m'offrir une grande édification. Le petit orgue était asthmatique ; l'organiste, excellent paysan, vrai chrétien dont j'ai fait la connaissance, n'avait jamais senti passer sur son front le souffle de sainte Cécile. Les cantiques chantés étaient d'origine allemande. J'éprouvai un grand ennui en comprenant à peine quelques mots de la liturgie et de la prédication. L'orateur était plein de dignité, dans la maturité ; il avait une expression agréable et paraissait animé de la force d'En-haut. Un des assistants me dit que le discours était précisément ce qu'il devait être, étant donné les auditeurs. Je remarquai que les hommes suivaient la prédication avec une visible attention. Un grand nombre de femmes étaient distraites par les soins de leurs petits enfants qu'elles avaient apportés là. Il fallait les faire tenir tranquilles. On leur donnait dans ce but des tartines, des biscuits. Quand le marmot faisait trop de bruit, on l'emportait. Des gens entraient et sortaient constamment. C'était la liberté norvégienne dans toute son étendue. Les portes étaient demeurées ouvertes et la rumeur du dehors s'ajoutait à celle du dedans. Même des quadrupèdes s'étaient glissés dans l'auditoire : un grand chien noir se sentit pressé d'appuyer un instant, par de vifs aboiements, une période du prédicateur.

Je ne me lassais pas d'admirer le sang-froid du pasteur, qui poursuivait sa démonstration sans se laisser distraire. À sa place, j'aurais été dès longtemps troublé et aurais perdu le fil de mes idées. Mon cher collègue dominait de haut tous ces incidents.

Après la prédication, il y eut une heure d'instruction pour les enfants. Comme j'ai soixante ans sonnés, je pensai qu'elle ne me concernait point et que je pouvais m'éloigner, la conscience tranquille. Sous le portique, mon attention fut attirée par un groupe de femmes et de jeunes filles, au centre duquel trônait un ravissant bébé attendant d'être baptisé. Le peintre le plus réaliste n'eût eu qu'à copier le groupe, sans y rien changer, pour faire l'oeuvre la plus idéale. Les deux dimanches suivants, il n'y eut pas de culte public à Ulvik. Les paroisses de ce pays ont souvent plusieurs milles carrés, et tandis que, chez nous, la même église se trouve parfois desservie par plusieurs pasteurs, le même pasteur norvégien a fréquemment à desservir plusieurs églises. Le manque de communications l'empêche d'officier dans toutes chaque dimanche.

Quoiqu'il n'y ait pas plus d'une vingtaine d'Anglais à Ulvik, l'Eglise d'Angleterre y a envoyé un ecclésiastique. Il officia, le 2 août au matin, dans le temple. J'étais parmi les assistants. Je fus peu édifié et me souvins, en l'entendant, du mot de Christ - « N'usez pas de vaines redites. » Je ne saurais dire combien de fois il répéta pendant le service Notre Père et le Symbole des apôtres. À un moment donné, il lut toute une série de psaumes, enfilés bout à bout, dont les vers devaient alternativement s'appliquer à la petite communauté anglaise et au prédicateur. Il résulta de tout cela que l'excellent homme disposa de moins de dix minutes pour son sermon dont le sujet était : Le bon Samaritain. Ses changements de position pendant le culte, où il se plaça tantôt à droite, tantôt à gauche de l'autel, ses génuflexions devant l'autel, me laissèrent une pénible impression.

L'après-midi du même dimanche, ce représentant de la Haute-Eglise officia de nouveau. Je permis à ma fille aînée de tenir l'orgue pendant ce service. Je voulais faire acte de tolérance, mais la permission n'eut pas d'heureuses conséquences. Mon collègue, homme peu pratique, avait oublié d'aviser le souffleur. L'aimable épouse du révérend essaya avec un courage héroïque de remplir le poste vacant, mais ne put poursuivre longtemps, et l'orgue se tut subitement.

Un mot sur l'architecture religieuse de la protestante Norvège. La Norvège a des ingénieurs éminents, dont les travaux excitent l'admiration. Mais ses architectes religieux ne paraissent pas s'être donné grand'peine. Les édifices religieux construits par eux de nos jours ressemblent à ces maisonnettes de bois avec, lesquelles nous avons joué dans notre enfance, et qui figuraient des bergeries : ce sont de grands rectangles badigeonnés de blanc, avec une chaire et des bancs, flanqués d'une tour haute de cinq mètres. Le style suprême en architecture religieuse semble être de faire fi du style. Seules les petites villes sont une exception. Mais elles ont peu d'importance en Norvège. La franchise m'oblige à conseiller aux Norvégiens de cultiver davantage sous ce rapport leur esthétique, et de mettre leurs édifices religieux en rapport avec les magnificences de leur nature.

Dans le passé, ils ont su mieux s'y prendre. Je ne parle pas des cathédrales déjà mentionnées. Je songe à ces églises de bois, vieilles de six à sept cents ans, connues sous le nom de Stavekirkes. Je fus charmé par l'une d'elles, que j'ai vue près de Bergen. Elles ont une teinte brun foncé, chaude à l'oeil. Elles se composent d'une série de constructions, toujours plus légères, mais du même genre, superposées les unes aux autres, en pyramide, et s'achevant en un clocheton svelte, élancé vers le ciel.

J'eus d'excellents rapports avec mon collègue anglais et mon collègue norvégien, surtout avec le second, qui possédait assez bien l'allemand. Nous avions essayé d'abord, pour nous comprendre, du latin. Mais la tentative ne réussit pas. Alors mon jeune ami, qui savait mieux l'allemand qu'il ne le croyait, se décida à user de cette langue.

Mon embarras de ne pas entendre le norvégien et de ne pouvoir le parler a été souvent grand. Mais j'ai trouvé en bien des cas d'aimables interprètes. C'est ainsi qu'une dame danoise, appartenant à la bonne société, et en séjour à Ulvik, vint me prévenir, après le service religieux en langue norvégienne que j'ai raconté, qu'une paysanne désirait me voir. Elle était elle-même disposée à me servir d'interprète. Elle me conduisit donc au cimetière, où elle me présenta à dame Ingeborg Nielsen, laquelle, revêtue de son plus beau costume de paysanne, m'attendait, donnant la main à une gracieuse petite fille. Je ne m'étendrai pas sur la beauté de cette femme, que des peintres ont souvent fait poser. Si les reines avaient la moitié de la grâce avec laquelle elle m'accueillit, de sa dignité, de son charme, elles trouveraient partout, j'en suis sûr, des sujets disposés à s'incliner devant elles. Bientôt des larmes jaillirent de ses yeux. Elle attribuait à mes écrits sa conversion, qui avait fait pour elle de Jésus-Christ le brillant soleil de ses jours. J'avais toujours cru jusqu'alors que mes livres étaient lus seulement par des lecteurs cultivés. J'étais confus de l'impression produite par mes écrits sur une personne du peuple. Dès lors, plus d'un paysan, plus d'un cocher, plus d'un travailleur, plus d'un pêcheur m'a dit d'une voix émue : « C'est à vous que je dois de connaître Jésus-Christ. » J'ai appris en Norvège la bonté avec laquelle le Seigneur a daigné employer ma plume pour en faire un instrument de salut auprès des âmes.

Quelques jours plus tard, nous allions en famille faire une visite à dame Nielsen. Nous ne pûmes jouir de sa maison : on la bâtissait ; en attendant que la demeure nouvelle fût prête, la famille se contentait d'une installation provisoire. Les coffres sont entassés sur les coffres ; il n'importe ! L'excellente femme n'éprouve aucune gêne. Son mari non plus. Il vient d'égorger un mouton, et fait à distance, avec sa main sanglante, le geste de nous saluer. Les enfants qui jouent dans le pré sont appelés. Leurs jolies figures sont si fraîches qu'on les dirait tissées de la rosée des fleurs et de la lumière du soleil. Bientôt une collation est sur la table. Après y avoir fait honneur, nous dûmes, en partant, emporter des roses et des oeillets. Les fils de dame Ingeborg voulurent à tout prix manier nos rames et prirent plaisir, dans le trajet, à nous désigner les sites les plus beaux de la contrée.

En partant, j'avais dit à dame Nielsen que je lui donnerais ma photographie. Elle vint la chercher un dimanche. Comme il n'y avait pas de service, elle avait assisté ce jour-là à une réunion. Elle me parla, toujours par l'entremise de la dame danoise dont la présence était nécessaire à nos entrevues, de la joie qu'il y a d'appartenir à Christ. Il me parut qu'elle avait plus d'assurance que je n'en ai, moi pasteur, lorsque j'aborde des sujets religieux avec des étrangers. Et je me réjouis de l'entendre exprimer ses sentiments chrétiens.

Un lecteur craint-il que ma vanité ne trouve une certaine satisfaction à raconter cette histoire ? Que ce lecteur se tranquillise ! Dieu prend soin, par ses dispensations providentielles, de me maintenir dans l'humilité, et les hommes, pour leur part, y travaillent aussi. Mes livres ne m'ont pas rapporté grand'chose, au point de vue du monde ; mais il a plu à Dieu de s'en servir pour se former un petit peuple de croyants dans les montagnes sauvages, sur les bords des fiords de la Norvège. Ce petit peuple de paysans et de bateliers chrétiens prie pour moi. Et cette pensée rend ma route plus sûre, met mon coeur au large.

Post-scriptum. Il va sans dire qu'Ingeborg Nielsen est un nom supposé. Le nom réel, je ne le dirai pas. L'excellente femme dont il s'agit pourra, sans cela, je le confesse, se reconnaître dans ces lignes. J'ai assez de confiance dans sa piété pour penser que, cas échéant, il ne naîtra chez elle aucune pensée d'orgueil. Elle apprend chaque jour, comme moi, au pied du trône de Dieu, que tous les hommes sont poudre et cendre les grands et les petits, ceux qui louent aussi bien que ceux qui sont loués.

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