Chacun, c'est un principe
généralement admis, tient à
son honneur. Partout, chez toutes les nations,
l'homme sans honneur, n'ayant souci que de ses
intérêts, perd l'estime
générale.
Il n'est pas douteux que le chrétien ne
doive tenir aussi à sa réputation.
Sans doute la Bible ne nous parle pas à cet
égard comme le monde. L'apôtre
écrit : « Ne recherchons
point la vaine gloire
(Gal.
V. 26.) » ;
« Ne faites rien par vaine gloire ( Phil.
II, 3.) ». Le
Sauveur a dit : « Comment
pouvez-vous croire ? vous qui tirez votre
gloire les uns des autres, et qui ne cherchez point
la gloire qui vient de Dieu seul
(Jean
V, 44). Il ressort tout au
moins de ces déclarations que ce que le
monde appelle honneur ne constitue pas toujours le
véritable honneur aux yeux du
chrétien. Ce n'est pas à dire
cependant que l'opinion du monde doive nous
être indifférente. Il est perdu,
l'homme qui cherche avant tout les applaudissements
de la foule, qui sacrifie constamment à la
popularité. Comme le coeur naturel ne
connaît et ne comprend pas Jésus, le
désir de plaire égare, quand il n'est
pas soumis à l'esprit de Christ.
Le chrétien et le mondain vivent dans deux
sphères différentes. Avez-vous une
piété vivante ? vous passerez
souvent aux yeux du grand nombre pour un
enthousiaste, un cerveau fêlé, un
naïf qui croit encore au miracle,
peut-être pour un caractère faible,
incapable de rien entreprendre sans y mêler
le bon Dieu. Parfois on répétera que
vous avez une âme servile, parce que vous
rendez grâces à Dieu de tout ce que
vous possédez et de tout ce que vous
êtes ; ailleurs on vous traitera
d'orgueilleux, parce que vous prétendez au
titre d'enfant de Dieu, parce que vous aspirez
à l'héritage de la vie
éternelle.
Le chrétien doit s'attendre à
être souvent incompris, même au sein de
sa famille. C'est là sa croix. Devant
l'opinion, il est le plus souvent affublé
d'un bonnet de fou. Aussi ne saurait-il compter en
ce monde sur beaucoup d'égards. Il marche
dans la voie des prophètes auxquels on
jetait l'épithète insultante de
traîtres, du Sauveur qui fut accusé
d'être un séditieux et cloué au
bois comme tel, des disciples les plus
fidèles de Christ mis à mort,
persécutés comme ennemis de
l'État et de l'Eglise. Aujourd'hui,
grâce à Dieu, nous n'avons plus
à redouter les tourments, mais on nous
considère toujours comme des obscurantistes,
des esprits arriérés. Il en faut
prendre notre parti, et nous le
prendrons d'autant plus facilement que cet opprobre
n'est pas pour nuire à la cause de
l'Évangile.
Évitons toujours de scandaliser inutilement
le monde. Celui-ci nourrit instinctivement un
idéal fort élevé du
véritable chrétien. Qu'un
piétiste fasse une grave chute, c'est un
bruit assourdissant de clameurs, ainsi que vous
l'aurez remarqué. S'il s'était agi
d'un athée, la chose aurait paru presque
naturelle. On applique, vous le voyez, aux
chrétiens, une mesure beaucoup plus
sévère qu'aux autres hommes. Et l'on
a raison. Cela, j'en conviens, n'est pas
agréable pour nous. Mais l'exigence est un
hommage rendu à la sainteté de
l'Évangile. Quand, il y a une trentaine
d'années, j'arrivais à Brème,
je me trouvai fortuitement assis pendant un certain
temps entre des messieurs qui causaient très
librement de personnages de ma paroisse. Ils ne me
connaissaient pas. De là leur abandon. La
correction des croyances n'était point pour
eux une garantie de la conduite. Loin de là.
Leur entretien avait pris à partie deux
orthodoxes. Il fut dit, sans se gêner, de
l'un d'eux : « C'est un
hypocrite ! Je l'ai vu à l'oeuvre
à la Bourse ! » Il fut dit
d'un autre : « Malgré son
étroitesse religieuse, c'est un coeur
d'or ; je lui confierais tout. Et si j'avais
besoin d'un service, j'irais le lui
demander. »
Je ne tiens point pour des hypocrites tous ceux que
le monde cherche à flétrir de ce nom.
Nous n'en devons pas moins faire notre possible
pour éviter cette
épithète. Et lorsqu'on répand
sur notre compte des bruits calomnieux, nous avons
le droit de recourir aux tribunaux. Autant que cela
est possible, ne laissons pas ternir notre nom.
Quand il nous est difficile d'obtenir justice des
hommes, remettons notre cause à Dieu, qui
juge justement et amène tôt ou tard la
vérité à la
lumière.
Je ne crois pas d'ailleurs que le devoir du
chrétien soit en tous temps d'exiger des
réparations. L'apôtre Paul
était prêt chaque jour à donner
sa vie pour son maître. Il a Même pu
dire : « Nous sommes sans cesse
livrés à la mort
(2
Cor. IV, 11.) ». Quand
sa tête tomba, il ne faisait qu'achever de
répandre son sang pour Christ. Cependant il
ne permit point qu'on l'outrageât dans les
circonstances où son support n'aurait servi
qu'à le faire taxer de timidité. Il
s'était laissé battre de verges sur
le marché public de Philippes, puis jeter en
prison. Toutefois, lorsque les magistrats de la
ville voulurent le libérer sans autre, il
exigea qu'ils vinssent personnellement le faire
sortir de prison. Il sauvegarda ainsi sa
dignité devant les hommes. À
Jérusalem, il en appelle à son droit
de citoyen romain et échappe ainsi à
la question qu'on allait lui appliquer par le
fouet.
J'ai montré que le chrétien ne
saurait être indifférent à sa
réputation aux yeux du monde. Il ne suit
point de là qu'il partagera toutes les
idées du monde sur l'honneur. Voici un
ancien étudiant, aujourd'hui magistrat ; il
porte sur sa
figure vingt-sept petites balafres, marques de ses
anciens duels. Il est très fier de ses
cicatrices. Évidemment ces traces de
coutures ne sauraient être pour nous un sujet
d'admiration, et je crois qu'ici les mondains sont
pour la plupart de notre sentiment. Autant louer
l'Indien à propos des chevelures
scalpées suspendues à sa ceinture.
Hélas ! le duel dans les hautes classes
de la société est toujours en
certains pays envisagé comme un titre
d'honneur. Pourtant le bon sens suffit à
faire comprendre qu'on n'est point
sérieusement outragé parce qu'il a
plu à un fou de comparer vos jambes à
deux allumettes ou de parler du peu de poids de
votre cervelle. Si même on vous a
traité de lâche, en êtes-vous
avili tant qu'aucune preuve quelconque n'est venue
appuyer ce propos ? Et votre honneur s'en
portera-t-il mieux, quand vous aurez crevé
un oeil à votre insulteur ou que vous aurez
reçu vous-même une balle dans la
poitrine ? Le crime a-t-il cessé d'en
être un, lorsque pour l'effacer on a commis
un second crime ?
On sait que les officiers en Allemagne sont parfois
obligés de se battre entre eux, contre leur
conscience, contre les lois de l'empire. Un
résultat de ces duels auquel on ne prend pas
assez garde, c'est l'affaiblissement de la notion
de la justice, de l'égalité devant la
loi. Qu'arrive-t-il, en effet, lorsqu'il y a eu une
victime ? Le militaire est condamné
à quelques mois de détention dans des
conditions spéciales, tandis que le garçon boucher
qui, pour un motif aussi futile, a planté
son couteau dans le bras de son collègue,
est condamné à une peine vingt fois
plus sévère, sans espoir aucun
d'être gracié. Cela ne s'appelle-t-il
pas faire double poids et double mesure ?
Ce ne sont pas seulement aujourd'hui les duellistes
qui cherchent leur gloire dans ce qui est leur
confusion, ainsi que le dit l'apôtre Paul
(Philipp.
III, 19.). Il est dans la
société actuelle aussi des gens qui,
comme ceux dont parle Paul dans la suite du verset,
« font de leur ventre leur
Dieu ». Parce qu'on mange et boit dans de
la vaisselle d'argent, on n'est nullement excusable
de passer son temps à festoyer. Je jette un
voile sur un autre genre d'exploits, trop bien
porté dans le monde, au moins dans un
certain monde. Jusques à quand le
séducteur trouvera-t-il des sourires
complaisants, tandis que sa victime ne
connaît que le déshonneur ?
Ce que le monde appelle honneur est souvent
péché, plus souvent vanité.
Une prima-donna, qui depuis longtemps avait
cessé de paraître sur les planches,
avait l'habitude pour se consoler de sa retraite de
placer devant elle une urne. Dans cette urne
étaient les cendres de toutes les couronnes
de lauriers qu'on lui avait jetées, et
qu'elle avait brûlées. une fois
sèches. Pauvre idole ! Pauvre
femme !
Jung Stilling a dit : « Je suis
de noble race, attendu que mes ancêtres
étaient gens craignant Dieu. » Le
membre de phrase commençant par ce
« attendu que » aura surpris
plus d'un lecteur. Que serait-ce si l'on savait que
ces gens craignant Dieu étaient petits
paysans, minces artisans. Pourtant Stilling a
raison de parler comme il le fait. Il est issu
d'une famille distinguée, parce que cette
famille craignait Dieu. On sait que Livingstone
voulut faire graver sur la tombe de ses parents
cette inscription : « Ici reposent
(suivent les noms des défunts). Ils furent
pauvres et pieux. » Il n'avait pas honte
de proclamer devant le monde que ses parents
avaient été pauvres. On lui demanda
de retrancher ce mot dans l'épitaphe. Il le
maintint. À ses yeux le mot
« pauvre » se trouvait ici
ennobli par le mot « pieux »
qui vient après.
Pour la Bible, point d'autre grandeur non plus que
la piété. Avez-vous jamais lu ce que
dit Jérémie dans son chapitre
IXme :
- Ainsi parle l'Éternel
- Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse,
- Que le fort ne se glorifie pas de sa force,
- Que le riche ne se glorifie pas de sa richesse.
- Mais que celui qui veut se glorifier se glorifie
- D'avoir de l'intelligence et de me connaître,
- De savoir que je suis l'Éternel,
- Qui exerce la bonté, le droit et la justice sur la terre ;
- Car c'est à cela que je prends plaisir, dit l'Éternel.
Telle est la pensée divine. Ce n'est pas
la pensée naturelle de l'homme, ni
même celle du chrétien. Ne sommes-nous
pas à notre époque tous plus ou moins
mondanisés ? Ceux-là mêmes
qui seraient disposés à donner raison
aux premières paroles du prophète,
à proclamer avec lui qu'il ne faut se
glorifier ni de son argent ni de sa sagesse,
concluraient, je le crains, autrement que lui. Ils
termineraient en affirmant que la vraie grandeur
est, non pas de connaître Dieu, mais de faire
son devoir. En vérité, c'est bien
là une grandeur. Le domestique qui se met de
tout son coeur à son ouvrage, sans penser
avant tout à l'éloge et au salaire
possède une noblesse qui, devant la
conscience, l'égale à un prince.
Je demande la permission de citer ici quelques
lignes de Thomas Carlyle, adressées à
une domestique qui avait longtemps servi sa femme
avec la plus grande fidélité. Chaque
fois que revenait l'anniversaire de la naissance de
sa femme, Carlyle envoyait à la servante un
présent en argent, accompagné d'une
aimable lettre. Voici les lignes que je
désire transcrire :
« Je connais l'affection, la
piété, la fidélité, la
bonne volonté permanente avec lesquelles tu
t'es dévouée à ma compagne. Je
l'avoue, je n'ai rencontré, depuis nombre
d'années, aucune personne qui me parût
plus digne d'estime que
toi. »
C'est ainsi que Carlyle parlait à une pauvre
fille âgée, en lui envoyant une
gratification. Cher lecteur, la question sociale ne
serait-elle pas à moitié
résolue, si les classes supérieures
considéraient les travailleurs avec les yeux
de Carlyle ?
Certes, la fidélité au devoir
constitue déjà une noblesse. Ce n'est
pas toutefois une grandeur d'espèce
différente de la noblesse de l'enfant de
Dieu. La vie morale est un fruit de la foi. De
celle-ci procède le dévouement
à toute épreuve, tandis que la gloire
du monde pousse les peuples à s'armer les
uns contre les autres, à
s'égorger.
La vraie noblesse devant l'Éternel est de le
connaître. On ne connaît bien quelqu'un
que lorsque on a vécu dans sa
société. Pour connaître Dieu,
il faut également marcher dans sa communion.
Le péché, semblable à une
nuée épaisse, aux jours de l'ancienne
alliance séparait l'homme de son
Créateur. Le nuage a été
dissipé par Jésus-Christ. Le ciel est
désormais ouvert sur la tête de tous
les croyants. Le plus humble, quand il suit
Jésus, a le droit de dire en regardant vers
le ciel : « Abba, ô mon cher
Père ! ... » Il peut
être méprisé des hommes,
languir dans quelque cachot, il peut, comme Jean
Huss, monter sur un bûcher, coiffé
d'un bonnet figurant la tête du diable,
qu'importe ! cet homme est un enfant de Dieu,
il est l'héritier d'une couronne
éternelle.
La miséricorde de Dieu offre à tout
homme cette couronne. C'est
cette couronne qui est la grande distinction
sociale d'après l'Évangile. Elle
console le pauvre des chemins difficiles où
il doit avancer. Elle lui confère la plus
haute noblesse devant les grands de la terre qui
craignent Dieu. Pourquoi mépriseraient-ils
le pauvre ? Ils savent que l'humble est leur
égal dans la vie chrétienne, souvent
leur supérieur.
Faut-il vous dire à quoi l'enfant de Dieu,
qui se sent cohéritier du ciel avec
Jésus-Christ, mettra surtout sa gloire sur
cette terre ? En attendant la couronne
réservée dans le ciel et dont je
viens de parler, il se sentira grandi par la
pensée de travailler avec Christ au salut
des âmes.
« Si quelqu'un me sert, dit
Jésus, le Père l'honorera
(Jean
XII, 26.). » Il n'y a
pas ici deux réalités
séparées par un intervalle, comme si
le serviteur de Christ devait attendre pour
être honoré du Père. Il y a ici
deux actes, l'un de l'homme, l'autre de Dieu,
indissolublement unis. Le Père honore le
disciple de Jésus pour que ce disciple serve
Jésus. Le bonheur selon Dieu n'est pas de
vivre dans une contemplation perpétuelle,
c'est de servir. Où ce service n'existe pas,
il n'est pas non plus, soyez-en persuadé, de
véritable bonheur selon Dieu.
Oh ! Quelles pauvres représentations
nous nous faisons de la vie
chrétienne ! Des milliers de
chrétiens semblent n'avoir d'autre
préoccupation que celle de sauver leur
propre âme, d'obtenir une petite place dans
le ciel. On les entend soupirer et dire :
« Ah ! si j'étais seulement
sûr de l'avoir ! » Les
infortunés ! Ils se tourmentent de ce
qu'ils n'ont pas une pleine foi, l'assurance de
leur salut ; ils voudraient au moins
posséder quelque signe éclatant de
leur adoption, entendre une voix divine la
proclamer, avoir vu se produire dans leur vie des
événements merveilleux. Mais tout
cela ne nous est nullement promis. Le signe du
salut a été donné dans la
croix de Golgotha. Ce qui nous est demandé,
c'est de souscrire du fond du coeur à
l'oeuvre accomplie une fois pour toutes en notre
faveur sur le Calvaire. Croyez à cette
oeuvre, elle vous enseignera à regarder la
vie chrétienne autrement que comme une
jouissance ou une analyse perpétuelle de
soi-même.
Appartenons-nous réellement à
Dieu ? Nous ne pouvons nous borner à
nous occuper de notre âme. Ce ne serait
là que de l'égoïsme, sous le
masque de la piété. Il est malade, le
chrétien ne s'intéressant pas de tout
son coeur aux progrès du royaume de Dieu sur
la terre. Il est malade, le chrétien qui,
à la suite de Jésus, ne se
dépense pas pour le salut de ses
frères. Nous ne pouvons séparer notre
salut de celui des autres, puisque
Jésus-Christ a versé son sang pour
tous.
« Mais les autres ? »
telle fut la question posée par le martyr
espagnol Matamoros, lorsque les portes de son
cachot s'ouvrirent devant lui, et qu'il se vit
rendu à la liberté. Il pensait, en
s'exprimant ainsi, aux compagnons de souffrance
jetés avec lui en prison. Il unissait dans
son coeur leur sort et le sien. Vous êtes,
mon frère, sorti du cachot de la
condamnation, d'une vie sans Dieu, pour devenir la
propriété de
Jésus-Christ ; des chaînes sont
tombées de vos mains ; un rayon du
soleil éternel caresse votre front. À
votre tour de vous écrier aussi :
« Mais les autres ? Que puis-je
faire pour les autres ? » Si cette
question ne jaillit pas maintenant de votre coeur,
c'est qu'il n'est pas en bonne santé. Vous
êtes malade, eussiez-vous la connaissance la
plus parfaite du plan du salut, quand même
vous parleriez toutes les langues des anges.
Le Père honorera, non point ceux qui auront
parlé de Jésus-Christ, mais ceux qui
l'auront servi, dans la personne de ses
frères. Notre vrai titre d'honneur n'est pas
seulement d'être devenus des
cohéritiers de Christ, mais d'être
appelés à être ses
coopérateurs. Quelle gloire que
celle-là ! Christ est plus
élevé que nous, de la hauteur dont le
ciel s'élève par dessus la terre. Qui
oserait se comparer à cet être unique
en qui la divinité et l'humanité se
sont rencontrées ? Il a offert le
parfait sacrifice. Personne n'était avec lui
dans cette offrande. Il a été seul
à fouler au pressoir. Seul il reçut,
aux jours de l'Évangile, le pouvoir d'accomplir
des miracles.
C'est
sa force qui, plus tard, opère dans ses
disciples. « Jésus-Christ le
guérit, » dit Pierre au
paralytique Enée
(Act.
IX, 33.). Et voilà que
ce Maître, si grand, nous appelle
gracieusement, vous et moi, à poursuivre son
oeuvre. Quelle bonté de sa part !
Quelle condescendance ! Le Sauveur a voulu se
faire aider par nous, pour qu'une partie de la
gloire qu'il y a à accomplir l'oeuvre de
Dieu rejaillit sur nous.
Déjà de son vivant, Jésus
forme les siens à devenir ses aides. Il
réclame constamment leur concours, alors
qu'il aurait pu se passer d'eux. Un jour il prie
Pierre de pousser sa barque dans le lac, à
quelque distance du bord, pour
évangéliser de là le peuple
rassemblé. Il est probable que Pierre n'eut
pas seulement à donner quelques coups de
rame, mais à maintenir le bateau pour
l'empêcher de dériver. Aux noces de
Cana, Jésus aurait pu agir autrement qu'il
ne l'a fait : par exemple, multiplier, sans
réclamer l'assistance de personne, les
gouttelettes de vin demeurées au fond des
cruches, de façon à remplir
celles-ci. Il préfère recourir aux
services de ceux qui l'entourent. Il fait remplir
d'eau les vases de pierre : premier service
demandé ; ensuite il fait porter de
l'eau changée en vin à l'intendant du
repas : second service demandé. Quand
il nourrit les cinq mille, il ordonne aux
apôtres d'inviter les gens de la foule
à s'asseoir par rangées ; il
utilise les cinq pains et les deux poissons qui
constituaient
l'approvisionnement d'un jeune garçon ;
il les fait distribuer les uns et les autres par
les disciples ; il envoie enfin ceux-ci
ramasser les restes, de peur que rien ne se
perde.
Le plus grand des miracles accomplis par
Jésus, à mes yeux, est la
résurrection de Lazare. Le mort sort de son
tombeau, et Jésus, s'adressant à ses
disciples, leur dit :
« Déliez-le, et laissez-le
aller. » Celui qui venait de rendre la
vie à un cadavre n'aurait-il pas eu le
pouvoir de faire tomber d'un mot les liens du
frère de Marthe et de Marie ?
Assurément. S'il ne l'a pas fait, c'est
qu'il a voulu associer ses disciples à
l'accomplissement de son bienfait. Jésus a
accepté les dons de pieuses femmes ; il
a célébré l'offrande de Marie
lorsqu'elle répand sur ses pieds un parfum
de grand prix. Le jour des Rameaux, il envoie deux
de ses disciples lui chercher l'ânon sur
lequel il entrera à Jérusalem. Il en
envoie deux autres, le soir de la Cène,
préparer la salle où il mangera le
repas de la pâque. Il amène Pierre,
Jacques et Jean avec lui dans le jardin de
Gethsémané, tandis que les autres
apôtres sont restés dehors. Il demande
leur sympathie : « Restez ici, leur
dit-il, et veillez avec moi
(Matth.
XXVI, 38. ). » Il
semble qu'il ne puisse se passer d'eux.
Il avait prononcé auparavant cette
étonnante parole : « Celui
qui croit en moi fera aussi les oeuvres que je
fais, et il en fera de plus grandes, parce que je
m'en vais au Père
(Jean
XIV, 12.). »
J'imagine que cette promesse de
Jésus fut reçue par quelqu'un de ses
auditeurs avec un hochement de tête...
Pourtant ne se réalisa-t-elle pas une
première fois de la manière la plus
extraordinaire, lors de la Pentecôte, en ce
jour où à la suite du discours de
Pierre trois mille personnes se convertirent. Le
croyant dont le sens spirituel est quelque peu
développé comprend que l'ordre
laissé par Christ, en quittant ce monde, de
prêcher l'Évangile à toute
créature, s'adresse au plus humble disciple
aussi bien qu'au plus grand. Qui que vous soyez, si
vous avez la prétention d'appartenir
à Christ, vous êtes appelé
à le servir. C'est seulement dans le cas
où vous remplirez cette condition que le
Père vous honorera.
Notre Dieu n'emploie pas ses anges là
où il peut se servir des hommes. C'est ce
qu'on oublie trop souvent. Vous entendrez des
personnes pieuses s'écrier gravement :
« Le Seigneur a tout pouvoir
d'étendre son règne. À lui
appartient la puissance ! » Et vous
aurez, l'occasion d'observer parfois que les
mêmes personnes laissent au Seigneur le soin
de tout faire pour l'avancement de sa gloire. Elles
ne remuent pas le bout du doigt pour son nom. Elles
n'offrent pas une pièce de monnaie à
la mission. Rien de plus pitoyable que cette
attitude. C'est celle stigmatisée par
Jacques, lorsqu'il nous
entretient des personnes qui parlent et ne font
pas, qui ont des paroles onctueuses pour les
pauvres, les invitent à s'attendre à
la miséricorde de Dieu, à
l'intervention des anges, et n'ouvrent pas la main
pour quelque aumône. Soyez vous-même
l'ange secourable de Dieu auprès de ceux qui
souffrent ! De quel droit compter sur un
miracle du ciel, au moment où vous avez dans
votre bourse de quoi venir vous-même en aide
à votre frère ? Ah ! sans
doute, vous serez parfois impuissant à
soulager. Et ce sera alors le cas d'appeler Dieu
à agir à votre place. Dans la
règle, Dieu se sert de l'homme pour
répandre ses bienfaits. Il vous institue
l'économe de ses biens ; sachez donc
les gérer dans le but pour lequel il vous
les a confiés. Et que la pensée de
l'honneur qui rejaillit sur vous de ce divin
service vous fasse lever la tête !
Connaissez-vous ces vers de Kingsley où
résonne l'appel de Dieu :
- Vertus, formez une cohorte,
- Une troupe vaillante et forte,
- Pour le salut du monde las,
- De la terre qui meurt, hélas
- Amour, fidélité, courage,
- Rendez votre pur témoignage !
- Combattez chacun en son rang !
- Donnez-vous ! Versez votre sang !
Ces vertus que Kingsley appelle au combat, elles
fleurissent dans toute âme
décidée à servir Christ.
N'allez pas croire que vous avez à cultiver
chacune d'elles par des moyens particuliers. Vous
n'avez qu'à chercher l'esprit de
Jésus et elles se retrouveront en vous. Il
faut chaque matin, avant de nous plonger dans le
tourbillon des occupations, nous plonger dans
l'atmosphère de la vie de Christ et, dans le
sentiment profond de notre incapacité,
l'implorer pour qu'il nous attire à lui,
qu'il nous donne de le suivre. Il s'agit de nous
revêtir de sa foi, de sa charité, de
sa patience. Celui qui demeure en Christ devient
naturellement son témoin, qu'il parle on
qu'il se taise, qu'il soit un professeur ou un
artisan. Le chrétien véritable est
l'homme en qui l'on a confiance, auprès
duquel on cherche la vérité, auquel
on demande la pitié et le conseil. Quiconque
connaît la vie sait par expérience
que, dans leurs jours de trouble et de
détresse, les mondains s'adressent
volontiers, pour obtenir les secours dont ils ont
besoin, à ces piétistes dont Ils
souriaient pendant la prospérité.
Si vous voulez agir sur votre entourage, il vous
faut produire en celui-ci la conviction que vous
êtes à Christ, qu'il est pour vous
plus que tout, plus que vous-même. Une fois
intimement uni à Christ, vous saurez trouver
l'occasion favorable pour laisser tomber dans
l'oreille des membres de votre famille la parole
qui réveille, qui encourage, qui fait du
bien. Vous saurez bannir de votre demeure les
mauvaises lectures, y introduire les bons livres,
les distractions élevées. Mais la
condition dont je parle est indispensable. Avant
tout,
que
l'on soit persuadé, malgré vos
faiblesses, de la sincérité de votre
piété.
Une piété saine enseigne à
considérer les membres de la famille comme
le premier prochain. On sort beaucoup aujourd'hui
de chez soi. On se répand à droite et
à gauche, dans une multitude d'oeuvres
diverses. Trop souvent on n'a plus de temps pour
les siens. Les enfants se trouvent en
présence d'un père qui rentre
harassé, préoccupé, d'une
mère énervée par les visites,
les courses. Quelle dissipation que celle des
comités, des commissions, des bazars de
charité, des réunions, des meetings,
etc. !
N'est-il pas des chrétiens auxquels il y
aurait lieu d'apprendre que leur charité a
une première sphère où elle
doit s'exercer, à savoir entre les quatre
murs de leur maison ? Dieu nous garde du
romantisme dans la piété ! Je
comprends l'enthousiasme que peuvent exciter les
entreprises de la Mission intérieure, du
Relèvement moral. L'on goûte d'autres
émotions à se mouvoir dans un bazar
improvisé orné de fleurs, de belles
toilettes, où affluent les personnes de
distinction, à entendre une allocution
enflammée contre la réglementation du
vice. Et l'on se plaît moins à la
prière de ses petits enfants quand ils vont
se coucher. Cependant, devant Dieu, le second est
plus grand que le premier.
« Bravo ! Sagement
parlé ! » a dit quelqu'un.
Mais celui qui m'approuve ne serait-il pas de ceux
qui ne servent Jésus ni hors de leur maison,
ni dans leur maison.
L'excitation et l'agitation perpétuelles de
nombre de personnes pieuses ne sont pas une excuse
qui puisse couvrir la paresse, excuser ces
chrétiens qui se prélassent tout le
jour sur des coussins. Je n'oublie point d'ailleurs
que nous n'avons point à nous confiner
exclusivement dans notre intérieur. Chacun
de nous a son monde, des devoirs à remplir
envers ce monde. Pour les uns, la sphère des
relations s'étend infiniment plus loin que
pour les autres. L'influence d'un Spurgeon agissait
dans les cinq parties du monde, sur des milliers et
des milliers d'âmes ; cependant, la
pauvre couturière sourde-muette de ma
famille donne à six maisons, toujours les
mêmes, les six jours de la semaine. Mais dans
ces six maisons entre avec elle l'ineffable paix de
Jésus, qui resplendit sur son visage, Sans
prononcer une parole, elle accomplit son oeuvre de
chrétienne.
Oh ! si nous prenions à coeur le salut
de ceux au milieu desquels nous vivons, si nous
nous efforcions de les rapprocher un peu du
ciel ! Je n'entends point que nous ayons un
parler toujours religieux ou que nous recourions
à des moyens extraordinaires. Ce serait le
sûr moyen de manquer le but. Je fus plus
d'une fois froissé dans ma jeunesse, en
remarquant chez tel ou tel de mes interlocuteurs,
l'intention de frapper quelque grand coup sur ma
conscience. L'esprit de contradiction
s'éveillait aussitôt en moi. Je me
mettais en garde, ou en boule comme un
véritable hérisson. Plus d'un de mes
lecteurs a éprouvé la même Impression devant un
prêcheur intempestif. L'âme humaine a
ses délicatesses, ses
susceptibilités. Fritz Reuter est l'un des
écrivains actuels les plus
goûtés de l'Allemagne. Il raille
souvent dans ses écrits le convertisseur.
Penser à convertir les hommes, à peu
près comme l'on met un soulier sur la forme,
est absurde. À cet égard, je suis de
l'avis du poète. L'action de l'âme
chrétienne sur une âme doit être
sainte, chaste, tendre. Sinon elle se produira
à contre-fin.
La prière silencieuse devant l'homme est le
commencement d'une influence sérieuse. Elle
enseigne l'instant propice pour prononcer une
parole chrétienne. Qui n'a entendu quelqu'un
se plaindre de sa position, de ses chagrins, parler
de la vie de galérien - cette expression
s'entend tous les jours - qu'il faut mener ici-bas,
dire qu'il n'est plus personne à qui se
fier, qu'on ne sort jamais des traverses et des
difficultés ? Eh bien, voilà le
moment psychologique ! C'est l'heure de
montrer que l'on connaît un chemin où
se trouve la paix, menant à Dieu, dans
lequel les hommes ne trompent pas. Si votre
personne laisse une impression de
sérénité, soyez
persuadé que M. et N. vous
écouteront, se laisseront conduire par vous
plus près du but.
Oh ! si nous étions moins
désireux d'épargner nos forces !
Si nous nous occupions un peu moins de
nous-mêmes, de nos plaisirs, si nous
n'étions pas paresseux et
lâches ! Si, après avoir
prononcé tant de belles paroles sur le prix
infini de l'âme humaine, nous daignions, dans la
vie
pratique, songer aux âmes !
« Gagner une âme au Sauveur est
plus que gouverner un empire », me disait
poétiquement un chrétien haut
placé. Je ne pus m'empêcher de lui
répondre assez sèchement :
« Avez-vous jamais essayé de
gagner une âme au Sauveur ? »
Il ne répondit rien. Je crains que son
silence ne fût une réponse.
Un prédicateur que je connaissais beaucoup
recevait un jour la visite dune dame. Elle lui
disait : « Je ne saurais assez vous
remercier de vos prédications. Aucun mot ne
pourrait rendre tout ce que j'éprouve
après vous avoir entendu. Votre discours me
nourrit pour la semaine entière ».
Mon ami n'est pas méchant :
« Combien, dit-il, m'avez-vous
déjà amené
d'auditeurs ? » La dame prit la
question en mauvaise part. Ne connaissait-elle donc
personne qui eût besoin d'un aliment
spirituel ? Manquait-elle de l'amour
nécessaire pour montrer aux autres la route
de ce temple où elle affirmait trouver la
vie ? Supposons l'une de ses bonnes amies
souffrant des dents ou de la migraine, supposons
que la dame en question eût
possédé un remède
assuré contre ces maux, ne se fût-elle
pas hâtée de le vanter ?
Croira-t-on qu'elle ne savait comment s'exprimer
vis-à-vis de ses bonnes amies ? Quelle
femme a jamais été à court de
propos ? La vérité probable est
que son compliment n'était qu'un
compliment.
M. A. vous écrit qu'il a été
particulièrement heureux de lire votre
livre, qu'une nouvelle
lumière religieuse est
descendue, après cette lecture, dans son
âme, et... il n'ose recommander l'ouvrage ni
à B. ni à C., qui marchent dans le
doute et l'obscurité. Il craint de les
heurter. Et quand il les heurterait ! Le tort
ne serait-il pas du côté de ses
amis ? S'il vous arrivait d'entendre un ami
auquel vous auriez prêté quelque
magnifique cantique chrétien d'un
poète connu vous remercier par des paroles
de dédain, ne sauriez-vous supporter ce
déplaisir pour l'amour du
poète ? L'amour de Jésus devrait
également vous rendre capable d'affronter
quelque opposition pour son nom. Admettez que vous
rencontriez B. et C. dans la vie future - ce qui
n'est nullement impossible, croyez-le - et qu'ils
vous tiennent ce langage - « Tu nous
savais dans l'erreur. Tu connaissais le salut. Et
tu n'as pas voulu nous en montrer le
chemin ! » Que
répondrez-vous ?
Ayons seulement un sincère désir
de servir Jésus ; sachons, en pleurant,
le supplier de nous ouvrir les portes. Nous
n'attendrons pas longtemps l'occasion de nous
rendre utiles. Sûrement, il est toujours
périlleux d'enfoncer les portes, cela reste
vrai en matière
d'évangélisation ; mais
Jésus enseigne aux siens à frapper
doucement, à ouvrir sans bruit. Il n'est pas besoin
en général,
pour toucher une âme, de beaucoup
d'éloquence, d'une grande habitude ou d'une
grande science pédagogique, il n'y a
qu'à avoir le coeur à la bonne
place.
La veuve d'un pauvre allumeur de
réverbères avait sa porte à
côté de la porte d'un maçon
ivrogne, dont la famille se composait de nombreux
jeunes enfants. Le bruit, les querelles et les cris
remplissaient du matin au soir le logis du
maçon. Le mari rentrait ivre à
l'heure du repas, il avait perdu l'estime des
voisins. Et la femme ne s'entendait nullement
à diriger son ménage, à se
faire obéir de ses enfants, et elle
était aussi à blâmer. Rien
d'insolite à ce que la veuve eût
désiré échapper à une
pareille société, et même
changer d'appartement. Mais ce n'est point ce
qu'elle fit. Elle entreprit d'apprendre à la
femme du maçon l'art de la cuisine, du
raccommodage, de la couture, la bonne tenue d'un
intérieur. Bientôt le mari trouva du
plaisir chez lui, il s'aperçut que ses
enfants étaient peignés et
lavés ; il fut touché de la
douceur de sa femme. Un jour, il s'étonna du
changement qui s'était produit au sein de sa
famille. Un autre jour, il jetait contre un mur sa
bouteille d'eau-de-vie et sautait au cou de sa
compagne en lui demandant pardon. Un autre jour
encore, il s'en allait avec elle et la veuve
à la maison de Dieu. Je n'ai pas besoin de
dire que ce jour est revenu dans la suite tous les
dimanches.
Cette veuve n'avait-elle pas un grand coeur ?
Son coeur me paraît plus
grand que celui de l'homme de génie qui
n'est pas animé par la charité. Cette
femme a réellement servi Jésus.
J'admire la simplicité de son oeuvre. Mais
cette oeuvre resplendit également d'amour,
d'oubli de soi, de persévérance. Elle
témoigne encore de beaucoup de
prières. On n'arrive à rien en ce
domaine sans la requête. Pour bien se livrer
à l'intercession, il faut avoir senti son
impuissance. Celui-là seul qui a gémi
sur l'insuffisance de son esprit a qualité
pour s'occuper du salut des âmes. C'est la
bénédiction du travail spirituel,
auquel je vous convie après d'autres
âmes, de contraindre à la
prière, de forcer à entrer dans une
communion toujours plus intime avec le Sauveur. Qui
veut conduire quelqu'un sur la route du ciel doit
se placer d'abord sous l'influence de Christ, s'il
veut voir ses efforts couronnés de
succès.
Et plus l'amour de Christ vous aura amené
à vous dépenser pour une âme,
plus votre charité, au lieu de se refroidir,
s'enflammera. Sachez-le, l'amour grandit, non pas
tant par les enseignements et les arguments qu'il
entend, non pas tant par la vue des nobles exemples
qui sont placés sous ses yeux, que par les
renoncements accomplis par lui. Son aliment est le
sacrifice offert par lui. Regardez l'amour de la
mère pour son enfant. L'enfant n'a rien fait
pour gagner cette affection. Rien, absolument rien.
En échange, la mère a tout fait pour
lui. Et c'est pour cela qu'elle l'aime d'une
indicible tendresse, qu'elle est prête à verser
pour
lui le sang de son coeur. Nous
répétons, avec l'un de nos
cantiques :
- Forte est la main de mon Sauveur,
- Sa douce étreinte est éternelle.
- Il a fait trop en ma faveur,
- Pour cesser de m'être fidèle !
Ce qui est vrai de Jésus-Christ est vrai
de vous. Plus vous vous serez dévoué
pour quelqu'un, moins vous consentirez à
l'abandonner. Est-ce que vous vous
résigneriez à voir perdus en une fois
tous vos sacrifices ? Est-ce que votre amour
n'a pas crû avec chacun d'eux.
Vérité profonde : L'amour ne vit
pas seulement de ce qu'il reçoit. Et l'amour
que vous répandez autour de vous, loin
d'épuiser votre coeur, y suscitera de
nouvelles énergies, venant remplacer celles
qui s'étaient déployées.
Quelle joie d'avoir trouvé une âme qui
se perdait, de l'apporter à Christ !
Quelle joie si cette âme avait gardé
de nobles instincts au milieu de son
égarement !
Quelle joie encore, s'il s'agit d'une âme
enlaidie et souillée ! Le laboureur se
réjouit lorsqu'il goûte le fruit de
son travail. Il vous appartient de connaître
cette satisfaction.
Si l'amour se fortifie dans notre service
chrétien, il en est de même de la foi.
Rien n'est plus vivifiant pour la foi qu'une
victoire, que d'avoir réussi à
arracher un esprit à la puissance de
l'incrédulité pour le soumettre
à la puissance de la foi. Viennent pour vous les
jours
d'obscurité, de tentations, le souvenir de
cette âme, qui a reçu la vie, ensuite
de vos prières, sera pour vous un
témoignage de la réalité de
votre vie spirituelle. Car la vie seule produit la
vie. Il n'est donc pas de récompense plus
grande de l'effort chrétien que le spectacle
d'un coeur passé, grâce à soi,
de la mort à la vie.
Pourquoi n'avons-nous pas le courage de tenter
d'agir sur ce frère qui vit dans le trouble,
sur cette soeur qui suit une voie dangereuse ?
Nous voyons dans la Bible Philippe s'approcher de
l'officier éthiopien, Ananias aller visiter
Saul, Pierre se rendre chez le centenier Corneille,
Paul annoncer la bonne nouvelle an geôlier de
Philippes, chercher même à atteindre
un Félix, un Festus, un Agrippa. Est-ce
là seulement de vieilles histoires, bonnes
uniquement à être lues, qui ne doivent
engager à rien ?
Croyez-vous que Philippe et Pierre, Ananias et Paul
fussent faits d'une autre étoffe que
vous ? Cet officier qui est votre ami
n'aurait-il pas un aussi grand besoin du Sauveur
que le centenier Corneille, de
Césarée ? Ce magistrat, votre
parent, n'est-il pas dans une ignorance sur
Jésus-Christ égale à celle du
surintendant des finances de la reine
Candace ? Et vous, ma chère soeur,
n'auriez-vous pas parmi vos amies quelque Lydie
disposée à ouvrir son coeur au
Seigneur, si vous saviez lui parler du
Sauveur ?
Ces traits que j'ai rappelés ne nous sont
pas racontés seulement pour que nous les
admirions. Ils nous disent :
« Va et
fais de même ! » Vous vous
récriez sur votre incapacité. Les
uns, il est vrai, sont mieux doués pour ce
travail qu'ils ne pensent, et les autres beaucoup
moins qu'ils ne croient. À chacun est
réservé un succès plus ou
moins grand, plus on moins visible. Mais Dieu
réclame de chacun de la bonne
volonté. Là où ces
dispositions existent, l'occasion ne fait point
défaut.
« Personne n'entrera seul au
ciel », a dit un chrétien. Il
entendait par là que nous avons tous
à conduire au ciel, par notre influence,
d'autres âmes. Le mot est peut-être un
peu risqué. Certainement Dieu n'exige pas
rigoureusement de chacun, même du
chrétien qui s'est converti sur le lit de
mort, qu'il ait sauvé un frère, une
soeur, avant de donner la vie céleste. Ce
qui est sûr, c'est que le chrétien
doit savoir qu'il est appelé à
exercer par sa vie une action sur ceux qui
l'entourent.
J'ai parlé jusqu'ici de notre vocation dans
nos familles, dans le monde particulier où
nous vivons. Mais il est des croyants
invités à exercer un ministère
spécial au service du roi des cieux. Je
songe à ces hommes dévoués,
à ces nobles femmes qui se consacrent
à la Mission parmi les païens, ou
à la Mission intérieure ; je
pense à nos diaconesses, à nos
garde-malades dont le travail est si
précieux. De nombreuses portes sont ouvertes
aujourd'hui à ceux qui se sentent
pressés de donner tout leur temps à
Jésus-Christ. Mais la plupart ne sont pas
destinés à quitter leurs maisons, à renoncer
à une tâche terrestre. Tous, en
échange, sont obligés de tendre
à devenir des auxiliaires de
Jésus-Christ.
Hélas ! je crains que la
première moitié de l'oraison
dominicale soit prononcée par nous avec
beaucoup moins de ferveur que la seconde, où
se trouve la requête du pain quotidien. Nous
demandons la sanctification du nom de Dieu, la
venue de son règne, l'accomplissement de sa
volonté, sans comprendre à quoi nous
engage cette requête. Nous ne nous doutons
pas qu'elle doit nous pousser à l'action,
Oui, à l'action ! Toute vraie
prière se transforme bientôt en un
acte. Le chrétien dont la
piété est saine ne peut dire à
Dieu : « Ton règne
vienne » sans se poser aussitôt
cette question : « Que puis-je
faire, dans ma position, pour avancer le
règne de Dieu sur la
terre ? » La réponse
différera autant que les situations, les
relations et les capacités. Mais elle se
fera entendre toutes les fois que la question aura
été posée
sérieusement.
Terminons par des considérations tout
à fait pratiques : Si vous êtes
au service de Dieu, votre argent y est aussi. Pour
l'avancement du règne de Dieu sur la terre,
il faut beaucoup d'or. Cette pensée
paraîtra à plusieurs prosaïque,
indigne du spiritualisme chrétien. Elle est
pourtant l'expression de la vérité.
On ne saurait fonder un Institut de missions, un
Asile pour les buveurs ou les femmes tombées
sans ce nerf de la guerre. On raille la
charité chrétienne en disant :
« Ce
qu'elle sait, c'est demander toujours et
éternellement. » Mais que ne la
prévient-on, elle ne demanderait pas. Ceux
qui ne donnent que leur argent, même quand
ils en donnent beaucoup, ce qui est assez rare,
n'ont pas d'ailleurs à se glorifier. Ils
font infiniment moins que ceux qui donnent leur
énergie, le travail de leur cerveau, leurs
sueurs, leurs journées.
Quelqu'un qui connaît les hommes a dit :
« J'ai vu bien des convertis, mais je
n'ai pas vu que leur bourse fût
convertie ! » N'est-ce pas ce qui
démontre que les soi-disant convertis ne
l'étaient point ou ne l'étaient
qu'à moitié. Certainement on peut
juger de la piété à la
façon dont la bourse s'ouvre. Combien
d'oeuvres chrétiennes qui
végètent misérablement, dont
les directeurs sont harassés par les soucis
matériels, fleuriraient et
s'épanouiraient, si ceux qui les soutiennent
étaient un peu moins chiches ! Combien
de coeurs verraient tomber la chaîne qui n'a
cessé de les lier secrètement on
ostensiblement au monde, malgré leur
profession de foi chrétienne, s'ils se
décidaient à donner un peu plus de
leur superflu et même de leur
nécessaire !
Évitons tout malentendu. Ne nous laissons
pas prendre aux étiquettes. Toute
société qui se réclame de
Christ n'est pas pour cela de lui. Dès
longtemps l'on sait que tout ce qui brille n'est
pas or. Avant de donner, il a donc toujours
été opportun d'ouvrir les yeux. Cela
est nécessaire aujourd'hui plus que jamais. Nous
vivons à une
époque où règne la manie de
fonder des associations. Il semble que
l'activité chrétienne soit pour
plusieurs une sorte de sport. Gardez-vous
dès lors de vous laisser duper.
Mais si vous l'avez été, gardez-vous
de refuser votre concours à ceux qui servent
réellement Jésus-Christ. J'entends si
vous pouvez le prêter. Il n'y a
peut-être jamais eu dans le monde autant
d'oeuvres de charité sérieuses,
dignes d'être encouragées qu'à
l'heure actuelle. Votre sympathie, vos
intercessions doivent leur appartenir. Après
cela, je ne vous dis pas que vous soyez
obligé de leur accorder toujours des dons
matériels. C'est le cas si vous êtes
très riche. Sinon non. Vous n'êtes pas
non plus obligé de vous intéresser
par votre activité à toutes ces
oeuvres. Il faudrait se diviser à l'infini,
pour être de tous les comités, de tous
les bazars, de tous les centenaires ou
cinquantenaires, de toutes les fêtes
religieuses. On se dissémine, on
s'éparpille, on s'émiette en
s'efforçant de satisfaire chacun. Et l'on
n'a plus de temps pour soi, pour le recueillement,
pour la famille. Telle réunion enthousiaste
a voté une nouvelle oeuvre. Les promoteurs
se figurent que nous sommes obligés de les
aider. Ils iront répétant que tout
chrétien sincère a le devoir
rigoureux de les soutenir. Laissez-les dire, si
vous n'avez ni le loisir ni le moyen de marcher
avec eux. Il s'agit de savoir conserver sa
liberté.
Mais, quand le matin ou le soir vous vous approchez
de votre Sauveur par la prière, demandez-vous :
« Comment
pourrais-je désormais
servir mon Maître ? » Priez-le
de vous remplir de son Saint-Esprit, de vous
délivrer de votre paresse, de votre avarice,
de votre égoïsme, de l'habitude de vous
complaire en vous-même. Implorez-le, pour
qu'il vous arme de miséricorde, de sagesse
et de courage, d'un esprit joyeux et
conquérant, pour qu'il vous enseigne
à travailler, à donner, à vous
immoler en vue de sa gloire.
- Agneau sans prix ! Agneau sans prix !
- Qui subis une mort amère,
- Que tout mon sang te soit acquis,
- Mon coeur, mon existence entière !
Puisse ce cantique éveiller un
écho profond dans nos coeurs ! Avant le
combat, les gladiateurs, qui allaient s'entre-tuer
pour l'amusement du peuple romain,
défilaient devant la loge impériale
et répétaient : « Ave
Caesar, morituri te salutamus. » (Salut
César, nous qui allons mourir, nous te
saluons.) Nous nous immolons pour un chef qui a
donné sa vie pour nous. Ce n'est pas par
nécessité que nous souffrons et
mourons, comme le gladiateur antique, qui
était contraint de se soumettre au
trépas, qu'il le voulût ou non,
lorsque sa mort avait été
décidée par le peuple. Nous donnons
librement notre vie à celui qui l'a perdue
pour nous. Il est notre Souverain, mais aussi notre
Sauveur. Rien de servile dans notre soumission.
Elle est libre. C'est celle d'un coeur qui s'offre.
Nous savons
d'ailleurs
que par la mort, quand nous la subissons
patiemment, au service de Christ, nous allons
à la vie éternelle. L'apôtre
Paul écrit avec joie, reconnaissance :
« Nous sommes sans cesse livrés
à la mort. » Le chrétien
qui sert Jésus meurt également tous
les jours à lui-même. Cette mort
incessante, constamment renouvelée, est
notre véritable vocation.
Disciples de Jésus-Christ, nous lui dirons,
avec un poète chrétien :
- Nous sommes à toi,
- Prépare à la gloire
- Tes enfants, ô Roi !
- Grâce à ta victoire,
- Nous pourrons sans effort
- Te suivre dans la mort !
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