Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Formalisme et religion.

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Dieu envoie parfois d'une manière soudaine des craintes salutaires. Je lisais tranquillement la Vie de St-François d'Assise, par Paul Sabatier, lorsque je reçus un choc intérieur du passage suivant : « Autant il est facile de ne pas entendre et de ne pas s'appliquer les exhortations des prédicateurs qui parlent du haut de la chaire et semblent accomplir une formalité, autant il est difficile d'échapper aux appels d'un laïque qui marche à côté de nous. » Il ressort de cette phrase que les paroles religieuses d'un paysan ou d'un ouvrier font plus d'impression que les nôtres, parce qu'on ne s'y attend point.

Un sentiment d'effroi s'empara subitement de moi. « Voilà qui s'adresse à toi, pasteur Funcke », me dis-je. Hélas, ce n'est que trop vrai ; la plupart considèrent nos discours comme une pure formalité. Le public suppose qu'en parlant nous faisons notre métier. Il en résulte qu'il ne nous prend pas très au sérieux. Ce préjugé est l'une des grandes causes de la stérilité de la prédication. Si l'orateur de la chaire se borne à remplir le devoir de son métier, je n'ai pas à me laisser ébranler par lui. Ses appels les plus chaleureux m'apparaissent comme des artifices de rhétorique.

Mes yeux s'humectèrent quand je lus la phrase transcrite plus haut. Je me sentis pressé de demander le secours de Dieu pour ma prédication : « Seigneur Jésus, m'écriai-je intérieurement, veuille empêcher par ta grâce ma prédication de dégénérer en une pure formalité ! Qu'elle soit toujours pénétrée de ton Esprit ! Sois moi en aide de telle façon que mes pauvres paroles apportent aux pécheurs l'écho vivant de ta parole ! Sois moi en aide, et que mes auditeurs t'entendent toi-même, comme aux jours où tu parcourais les campagnes ensoleillées de la Galilée. »

« La phrase, pensent peut-être quelques lecteurs, a produit son effet. Elle contenait, en réalité, une réflexion particulièrement utile aux pasteurs. » Je réplique : « Si elle concerne directement les orateurs de la chaire, n'aurait-elle rien à dire à ceux qui sont assis au-dessous de la chaire ? Leur visite à l'église n'est-elle jamais une pure formalité ? » Je rencontrai une fois une jeune domestique reçue auparavant par moi à la confirmation. Je la saluai et lui dis : « Où vas-tu de ce pas, mon enfant ? » Elle répondit : « À l'église. » - « Bien, tu sens le besoin de chercher Dieu », continuai-je en la regardant avec sérieux. Elle, toute troublée, se mit à balbutier : « Je ne comprends pas.... Chercher.... chercher Dieu ? » Je répétai tranquillement ma phrase. Elle prit alors un air aussi scandalisé que si je l'avais accusée d'un crime secret.

C'était, j'en conviens, une domestique. Une dame de la classe cultivée aurait-elle mieux accueilli ma demande ? N'aurait-elle pas murmuré : « Ah, quel mystique que ce pasteur ! » Au moins la domestique aura-t-elle peut-être réfléchi à ce que je venais de lui dire, et ma question l'aura-t-elle disposée à s'accuser finalement de formalisme.

Ce que je dis de la fréquentation des temples, je le dis également de tous les actes religieux. La prière, le culte domestique, la lecture de la Bible sont des choses divines, lorsque l'âme y intervient tout entière, en cherchant par le coeur Dieu. Le ciel s'ouvre, dans ces actes, sur nos têtes, ils émeuvent les compassions de Dieu, lorsqu'en les accomplissant, nous soupirons après l'éternité. Mais tous ces pieux exercices peuvent être exécutés pour la forme, dégénérer, sans qu'on le remarque, en pures cérémonies. L'abus sera d'autant plus à craindre qu'on y prendra moins garde.

Vous êtes né dans une famille chrétienne ; c'est sans contredit une grande bénédiction. Mais quand dès son enfance on a entendu lire la Sainte Écriture, prier, qu'on a pris l'habitude d'aller dans la maison de Dieu, on peut courir un grand danger - celui d'agir seulement dans un esprit d'imitation.

Je ne parle pas ici de purs hypocrites. Je parle de chrétiens qui ont l'habitude de dire en parlant des incrédules : « Ces affreux incrédules... ! » Ceux qui s'expriment ainsi sont peut-être sincères. lis trouvent les perspectives de la piété si belles, si émouvantes.. ! Cela n'empêche pas que leur coeur n'a jamais été labouré par le repentir. Aussi la bonne semence n'y germe-t-elle point.

Voici d'autres chrétiens, ayant grandi au sein d'une famille pieuse ; une heure sérieuse a sonné où ils ont réellement senti quelque chose des miséricordes infinies de Jésus, et goûté les puissances du siècle à venir. « Combien nous étions alors heureux ! » disent-ils avec un soupir. Mais ils sont retournés au monde, ils ont cessé de veiller et de prier et ils sont tombés dans le sommeil spirituel, ils ont continué à aller au culte public, à prendre part à la Cène, à prier, à lire la Bible, à participer à des réunions religieuses, à travailler à des oeuvres chrétiennes. Hélas ! tout cela n'est plus que du formalisme. Le souffle de Dieu ne passe plus sur eux. Il leur a manqué une conversion complète. Et c'est triste.

Un homme d'esprit appartenant au camp des libres-penseurs a dit : « Si Jésus-Christ revenait parmi nous, c'est dans le parti des orthodoxes et des piétistes qu'il trouverait les successeurs des pharisiens et des scribes, par lesquels il fut crucifié en l'an 33 de notre ère. » Nous rendrions facilement le coup aux libres-penseurs. Il n'y aurait qu'à demander si cette assertion n'est pas légèrement teintée de l'esprit de jugement du pharisaïsme. Je sais persuadé que la plupart des orthodoxes et des piétistes ne méritent nullement l'affront sanglant contenu à leur adresse dans ce mot.

Il n'en est pas moins vrai que les plus ardents ennemis de Jésus étalaient ostensiblement leur piété, qu'ils tenaient eux-mêmes Jésus pour le destructeur de la religion divine. Aujourd'hui ce serait une ironie que de demander : « Jésus a-t-il été pieux ? » Il est pourtant certain que les hommes pieux de son époque l'ont accusé d'impiété et de blasphème. Et c'est pour cela en partie que la croix a été dressée sur Golgotha.

Entre Jésus et l'orthodoxie de son temps régna une opposition aussi grande que celle qui existe entre l'eau et le feu. Tous les actes sur lesquels les scribes insistaient particulièrement : la prière, le jeûne, la fréquentation du temple, les sacrifices, les aumônes, le respect du sabbat, n'avaient de valeur aux yeux du Seigneur qu'autant qu'ils étaient inspirés par l'amour de Dieu et des hommes. Jésus a impitoyablement flagellé de son ironie ceux qui mettaient les choses saintes au service de leur vanité et les considéraient du point de vue d'un sec formalisme.

Le pharisien qui rend grâce à Dieu de ce qu'il jeûne, l'insensé qui veut enlever une paille de dessus son voisin et ne remarque pas la poutre menaçant son oeil, l'avare qui fait sonner de la trompette devant ses aumônes, toutes ces figures ont été gravées d'une manière ineffaçable dans la mémoire des hommes par la mordante indignation du Maître.

Comprend-on toujours la profondeur de la pensée religieuse à laquelle nous devons ces sévères exécutions ? Ce que Jésus a voulu dire, c'est que les actes pieux n'ont de prix que lorsqu'on cherche par eux la face de Dieu. Cette idée nous est-elle devenue familière ? Domine-t-elle notre piété tout entière ? Si ce n'est pas le cas, nous sommes en grand danger de tomber dans le péché des scribes et des pharisiens. Toutes les formes religieuses, quand l'âme en est absente, tombent sous le coup des reproches de Jésus. C'est, pour emprunter à Jésus notre qualificatif, de l'hypocrisie.

Est-ce peut-être une loi à laquelle sont astreintes les religions, qu'après avoir été jeunes et brillantes au jour de leur éclosion, elle s'ossifient et se pétrifient peu à peu ? Ce qui était vie et force en elles devient peu à peu formes et cérémonies. Et quand la mort spirituelle est là, malheur à qui ose dénoncer cet état de choses ! Il passe pour un impie. Le crime d'avoir dit la vérité à une génération qui ne s'en souciait plus a condamné Socrate à mourir dans Athènes et Jésus dans Jérusalem.

La loi que nous venons de formuler n'est-elle pas vraie du mosaïsme ? Ne l'est-elle pas encore du christianisme ? Je le crains. Seulement dans ce dernier habite une puissance de vie qui ne peut mourir et qui renouvelle constamment l'Eglise. Cela n'empêche pas les grands esprits parmi nous, ceux en qui Christ a vécu de la manière la plus manifeste, d'avoir toujours dû livrer bataille au formalisme.
Beaucoup de témoins de Christ ont été mis à mort à l'instar de leur Maître. Presque toujours ils se sont trouvés en lutte avec les chefs religieux.

Ce qu'un pouvoir ecclésiastique demande, c'est que la machine dirigée par lui fonctionne convenablement, c'est qu'on fréquente avec assiduité la table sainte, que les enfants soient baptisés, les mariages bénis dans les temples, que les pasteurs soient appelés à prononcer une allocution ou une prière lors des funérailles, c'est qu'il y ait des catéchumènes, et suffisamment de pratiquants aux cultes. En est-il ainsi, volontiers bon nombre d'hommes d'Eglise s'écrient : « Mon coeur, que te faut-il de plus ? Tout ne va-t-il pas à merveille ? » La jubilation augmente lorsqu'on peut ajouter : « La dernière statistique n'a-t-elle pas prouvé que le chiffre des participants à la table sainte est plus élevé cette année que l'année précédente de 0,07 pour cent ? »

Qu'un observateur un peu moins superficiel entreprenne d'ouvrir les yeux des satisfaits et leur crie, comme les fils des prophètes à Élisée : « La mort est dans le pot ! » il s'entend traiter de perturbateur. Il faut qu'il marche dans la voie de Savonarole, de Wiclef, de Huss, de Luther, de Calvin, de Whitfield, de Francke, de Spener, de Wichern. Celui-là ne manquait point de courage et mérite d'être loué, qui, un jour, dans une grande assemblée de pasteurs, osa faire la déclaration suivante : « Les oeuvres chrétiennes, je dis les oeuvres qui sont aujourd'hui l'honneur et la force de l'Eglise évangélique, la Mission intérieure, la Mission chez les païens, les Institutions de diaconesses, les Unions chrétiennes, ont été à leurs débuts regardées avec défiance par les pouvoirs ecclésiastiques ; leurs fondateurs ont été souvent arrosés par la pompe à incendie. »

J'en reviens à la réflexion par laquelle j'ai commencé ce chapitre. Nous sommes, nous théologiens et pasteurs, en grand danger de formalisme. Les laïques ne sont pas moins exposés que nous à ce péril. Se croire à cet égard en sûreté, c'est précisément montrer qu'on va tomber. Le costume favori du diable est le déguisement en ange de lumière. Quand il a rempli d'une béate confiance une âme, qu'il lui a persuadé qu'elle est pieuse, pleine de vie spirituelle, qu'elle n'a rien pour le moment à craindre des tentations, il a remporté son plus beau succès. Les pieux dormeurs, si nombreux dans l'Eglise, ne lui sont pas plus utiles que les morts spirituels. Dieu nous garde de la fausse monnaie du formalisme !



Tu as un témoin.

I

Je lisais récemment un ouvrage du théologien danois Kirkegaard. Je fus effrayé par la déclaration suivante, ainsi que je l'avais été par la phrase rapportée plus haut de Paul Sabatier : « La prédication exige une certaine hardiesse. Il n'importe, lorsque je monte en chaire, que le temple soit plein ou qu'il soit vide, que je m'aperçoive ou ne m'aperçoive pas du nombre des auditeurs. Ce qui est important pour moi, c'est qu'il y a là, en tous cas, un auditeur invisible, le grand Dieu auquel appartiennent les cieux et la terre. Je ne le vois pas, mais il me voit. Cet invisible auditeur sait si ce que je dis est conforme à la vérité, si je sens la vérité de ce que j'avance. »

Les paroles de Kirkegaard. me jetèrent dans un certain effroi, car je suis moi-même un prédicateur.
Je me consolai un peu en pensant que j'avais déjà eu la même idée que lui, songé à l'invisible auditeur devant lequel nous parlons. Mais l'avis d'autrui vous fait souvent plus d'impression que le vôtre. Et je fus saisi. Je suis décidé, lorsque désormais je monterai en chaire, à penser au témoin invisible de ma prédication. C'est devant lui que je parlerai. Et son souvenir me laissera plus ou moins indifférent au nombre de mes auditeurs visibles. Après tout, leur chiffre dépend du vent et de la pluie, de circonstances toutes particulières, même de la mode, car il est de mode d'aller écouter tel prédicateur plutôt que tel autre.

Je n'ignore pas qu'un prédicateur se trouve encouragé quand il a devant lui un bel auditoire. Une dame me disait récemment en parlant d'un orateur chrétien : « Il a quelque peu perdu de sa puissance apostolique. Cela n'est pas étonnant. Il n'avait pas autant d'auditeurs que la dernière fois ! » Je ne pus réprimer un sourire. Certainement il est désagréable de voir diminuer son auditoire. Mais la force apostolique n'a jamais dépendu du nombre plus on moins grand de ceux qui sont rassemblés pour écouter la parole de Dieu. Heureux le prédicateur qui donne une première pensée au témoin invisible devant lequel il va parler. Ce témoin en vaut mille. Son jugement prime tout. Il peut m'être agréable d'être loué des hommes pour mon discours. Cela m'est-il utile ? C'est une autre question. Et il s'agirait de savoir si le témoin invisible ne blâme pas ce que louent mes auditeurs et ne loue pas ce qu'ils blâment.

Une chose est certaine : le discours du prédicateur gagnera toutes les fois que celui-ci se dira : « J'ai Dieu pour auditeur. C'est en sa présence que je dois parler. » L'orateur qui a ce sentiment profond de la présence de Dieu retranchera de son exhortation mainte phrase pieuse, mainte prosopopée qui n'a d'autre but que l'effet. En échange il osera dire ce qu'il aurait tu peut-être, de peur de blesser. Il envisagera les âmes comme une argile que le divin potier veut façonner en se servant de lui, et il n'aura garde de s'abandonner à des inspirations toutes personnelles.


II

J'entends le lecteur murmurer : « Ah ! ce livre n'est pas pour moi. Il s'adresse aux pasteurs... » Si j'ai parlé des pasteurs c'est pour me frayer une voie jusqu'à votre coeur, mon cher lecteur. Croyez-vous que le grand témoin invisible soit seulement près de nous dans les lieux où nous l'invoquons ? Que vous soyez un ouvrier, une ouvrière, une servante ou une maîtresse de maison, partout vous avez, vous aussi, quelqu'un qui vous écoute et qui vous regarde, et ce quelqu'un s'occupe de votre activité avec la même attention que si vous étiez sur un trône. La force apostolique, le docteur Martin Luther la possédait sans aucun doute ; aussi ne faisait-il pas longue cérémonie quand. il avait à s'adresser aux grands de la terre, même aux cardinaux et au pape. Et voici ce qu'il a dit, avec une charmante bonhomie, de sa servante : « Aucun prêtre n'a jamais accompli une oeuvre aussi sainte que celle de ma vieille Lisbeth, avec son balai. » Luther n'a point voulu faire entendre, cela va sans dire, que le balai fut un instrument saint, ce qu'il a voulu affirmer c'est que la vieille Lisbeth accomplissait son travail ennuyeux, malpropre, méprisable peut-être aux yeux des hommes, en l'honneur de Dieu, en ayant devant les yeux l'invisible témoin, avec le désir ardent de lui plaire. Ce désir constituait la sainteté de son oeuvre. Un autre mot du réformateur me revient également en mémoire : « La servante pieuse qui s'applique tout entière à son service, soit qu'elle nettoie la cour, soit qu'elle transporte du fumier, le garçon de ferme qui laboure et sème en étant complètement à son affaire, s'en vont tout droit au ciel ! » Rien qui doive nous étonner dans ce nouveau jugement ! La servante et le garçon de ferme qui agissent sous le regard de Dieu sauront mourir aussi sous le regard de Dieu.

Nous lisons dans les premières pages de la Bible qu'Hénoc marcha avec Dieu, et qu'il ne mourut point parce que Dieu le prit. Pourquoi monta-t-il donc au ciel ? Pour avoir eu sans cesse devant les yeux l'invisible spectateur des actions humaines. Il n'est rien de plus haut que de marcher ainsi avec Dieu, même sous l'alliance de grâce. Ce qui est nouveau dans l'Évangile, c'est que Dieu soit plus près de l'homme en Jésus qu'il ne l'avait jamais été, c'est que ce Dieu saint soit devenu notre bon Père céleste, c'est que nous sommes réconciliés avec lui par la croix, c'est que l'accès de son trône nous est ouvert. Combien il est plus facile de marcher avec Dieu, depuis qu'il s'est révélé à nous surtout comme un Dieu d'amour. Et il n'est rien de plus grand, ainsi que nous le disions, que de se laisser conduire pas à pas par ce saint et bienveillant témoin que nous avons à nos côtés.

On dira qu'il convient de rappeler d'abord nos devoirs envers les hommes : les serviteurs, par exemple, ont à s'occuper de la volonté de leurs maîtres. Oh ! croyez qu'en cherchant avant tout la gloire de Dieu, vous ne manquerez pas à bien remplir vos obligations envers les hommes.

La tradition rapporte que dans les premiers siècles de l'Eglise deux femmes esclaves eurent un jour dans la maison de leurs maîtres le dialogue suivant : L'une disait en croisant les bras : « Bénis soient les dieux ! Nous pourrons aujourd'hui nous accorder une mesure comble de plaisir, manger et boire à notre gré, car nos maîtres sont sortis. » L'autre, qui connaissait Jésus-Christ, lui répondit tranquillement : « Mon Maître, à moi, est toujours à la maison. » Elle s'en alla aussitôt à son travail habituel, comme si elle avait été surveillée. Qui ne souhaiterait en nos jours, où les relations des maîtres et des domestiques sont souvent difficiles, d'avoir une pareille servante ?

Dieu donne à nos domestiques d'autre part des maîtres disposés à se souvenir qu'ils ont un Maître dans le ciel auquel ils devront rendre compte, un Maître qui veille sur les âmes à eux confiées, qui veut les voir traitées avec respect et amour, comme des âmes pour lesquelles Jésus-Christ est mort !

Voyez-vous ce que gagneraient nos écoliers à ce que leurs instituteurs parlassent et agissent toujours en classe sous le regard de Dieu ? Je me représente ces derniers se recueillant, leur enseignement fini, et entendant Dieu leur demander s'ils ont traité leurs élèves comme de futures majestés spirituelles, destinées à être associées à la gloire du Sauveur.

Ne croyez-vous pas que le médecin serait plus aimable avec ses malades, s'il apercevait toujours Dieu entre eux et lui ? Et l'avocat, le juge, ne verraient-ils pas la bénédiction d'en-haut reposer davantage sur leur oeuvre, s'ils traitaient les criminels avec lesquels ils ont affaire en se rappelant que la miséricorde de Dieu appelle au repentir les plus grands pécheurs. Le sentiment du devoir, la fidélité à sa vocation, l'énergie et le zèle sont singulièrement stimulés par cette pensée de l'invisible spectateur, en présence duquel nous nous mouvons.


III

Mais j'entends maintenant quelqu'un dire autre chose : « Il faudra donc renoncer à la gaieté et à la bonne humeur. Comment être joyeux en pensant continuellement à Dieu ? » Reproche insensé, offensant même pour Dieu. Que vous a donc fait notre Père céleste, pour vous le représenter comme un être sombre, dur et implacable envers ceux qui pensent à lui ? Pourquoi sa présence arrêterait-elle le sourire sur nos lèvres ? N'est-il pas l'auteur de tout don parfait ? N'est-ce pas lui qui allume chaque soir au firmament les petites étoiles scintillantes qui pare de fleurs parfumées la prairie, qui a créé les oiseaux aux chants joyeux ? Ne fait-il pas luire tous les jours son soleil sur les méchants comme sur les bons ? Et le coeur de Dieu n'est-il pas la source intarissable d'où jaillit toute clarté ?

Comment pouvez-vous imaginer que le Père des lumières se plaise à voir régner la nuit dans notre vie ? En vérité, Dieu aime la joie, il n'aime pas à nous dire : non. Et il se trouve avoir répandu, non pas seulement dans l'âme de l'enfance rieuse, mais dans la nôtre l'aspiration à la joie. Ce désir qu'il inspire, il veut aussi le satisfaire.

Croyez-vous donc que nos enfants sont moins joyeux dans leurs jeux, lorsqu'ils voient l'oeil du Père céleste les suivant avec bienveillance ? Pensez-vous qu'ils éprouvent je ne sais quel serrement intérieur à se rapprocher en esprit de ce Père qui, en un sens, est si loin de nous ? Pensez-vous qu'ils sont malheureux en fuyant ce qui lui déplaît ? J'en appelle au lecteur qui a eu le bonheur d'avoir un père terrestre sage et bon. Est-ce que la présence de ce père le remplissait de crainte aux jours de son enfance ? Le souvenir de l'invisible témoin nous fera sans doute renoncer à certaines joies ; mais ces joies-là ne sont pas dignes de leur nom. La présence de Dieu bannit seulement de nos vies ce qui est mauvais, et ce qui est mauvais rend toujours tôt ou tard malheureux.

Vous êtes, par exemple, invité à des noces. Si vous y allez en gardant le souvenir de la présence de Dieu, vous vous abstiendrez naturellement de toutes ces plaisanteries déplacées, de ces compliments exagérés et menteurs, de ces flatteries qui sont volontiers à l'ordre du jour dans cette sorte de fêtes. Vous veillerez à éloigner de vous la dissipation. Vous serez bienveillant envers chacun ; vous jouirez avec reconnaissance d'un repas, de la conversation, des récréations auxquelles vous prendrez part. Et vous deviendrez par là même un convié aimable, dans la plus haute acception du mot. Partageant la joie des autres, vous contribuerez à la joie générale. Et au retour, rentré dans votre chambre, vous pourrez remercier Dieu, puis vous endormir d'un sommeil tranquille. En vous éveillant le lendemain matin, vous ne commencerez pas par vous frapper le front en murmurant « Hélas, quelle sottise j'ai donc dite hier au soir ! Quelle sottise j'ai faite ! Comment vais-je sortir de là ? » Vous irez au contraire à votre travail avec joie, peut-être en chantant. Et il en sera de même de toutes vos actions, soit que vous vous soyez amusé à tresser une guirlande de fleurs, soit qu'il y ait devant vous une corbeille de pommes de terre à peler, que vous ayez à visiter un malade, à faire votre bilan à la fin de l'année ou à raboter des planches.

La pensée de la présence de Dieu est un secours dans chaque détresse, une lumière dans chacune de nos obscurités. O face lumineuse de Dieu, pleine de sainteté et d'amour, de douceur et de patience à notre égard, tu t'es dévoilée dans tout ton éclat en Jésus La sagesse serait de t'avoir sans cesse devant nous

L'Évangile est d'une admirable simplicité. Dans leur folle, les hommes en ont fait un tissu de raisonnements ou d'énigmes incompréhensibles. En réalité l'Évangile est inexprimablement simple. Il ne vous demande que de marcher avec Dieu, comme Hénoc, comme un enfant marche avec son père, la main dans la main. Dieu n'est-il pas devenu notre Père par la croix de Jésus-Christ ?

Vivre sous le regard du Maître,
L'avoir pour son Roi, son Seigneur,
À lui se donner, vouloir être,
Cela seul réjouit le coeur.
Ne vouloir, n'avoir de science
Que par lui ; ne rien accomplir
Qu'avec lui ! Douce accoutumance,
Paix qui dépasse le désir !

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