Dieu envoie parfois d'une manière
soudaine des craintes salutaires. Je lisais
tranquillement la Vie de St-François
d'Assise, par Paul Sabatier, lorsque je
reçus un choc intérieur du passage
suivant : « Autant il est facile de
ne pas entendre et de ne pas s'appliquer les
exhortations des
prédicateurs qui parlent du haut de la
chaire et semblent accomplir une formalité,
autant il est difficile d'échapper aux
appels d'un laïque qui marche à
côté de nous. » Il ressort
de cette phrase que les paroles religieuses d'un
paysan ou d'un ouvrier font plus d'impression que
les nôtres, parce qu'on ne s'y attend
point.
Un sentiment d'effroi s'empara subitement de moi.
« Voilà qui s'adresse à
toi, pasteur Funcke », me dis-je.
Hélas, ce n'est que trop vrai ; la
plupart considèrent nos discours comme une
pure formalité. Le public suppose qu'en
parlant nous faisons notre métier. Il en
résulte qu'il ne nous prend pas très
au sérieux. Ce préjugé est
l'une des grandes causes de la
stérilité de la prédication.
Si l'orateur de la chaire se borne à remplir
le devoir de son métier, je n'ai pas
à me laisser ébranler par lui. Ses
appels les plus chaleureux m'apparaissent comme des
artifices de rhétorique.
Mes yeux s'humectèrent quand je lus la
phrase transcrite plus haut. Je me sentis
pressé de demander le secours de Dieu pour
ma prédication : « Seigneur
Jésus, m'écriai-je
intérieurement, veuille empêcher par
ta grâce ma prédication de
dégénérer en une pure
formalité ! Qu'elle soit toujours
pénétrée de ton Esprit !
Sois moi en aide de telle façon que mes
pauvres paroles apportent aux pécheurs
l'écho vivant de ta
parole ! Sois moi en aide, et que mes
auditeurs t'entendent toi-même, comme aux
jours où tu parcourais les campagnes
ensoleillées de la
Galilée. »
« La phrase, pensent peut-être
quelques lecteurs, a produit son effet. Elle
contenait, en réalité, une
réflexion particulièrement utile aux
pasteurs. » Je réplique :
« Si elle concerne directement les
orateurs de la chaire, n'aurait-elle rien à
dire à ceux qui sont assis au-dessous de la
chaire ? Leur visite à l'église
n'est-elle jamais une pure
formalité ? » Je rencontrai
une fois une jeune domestique reçue
auparavant par moi à la confirmation. Je la
saluai et lui dis : « Où
vas-tu de ce pas, mon enfant ? »
Elle répondit : « À
l'église. » - « Bien, tu
sens le besoin de chercher Dieu »,
continuai-je en la regardant avec sérieux.
Elle, toute troublée, se mit à
balbutier : « Je ne comprends
pas.... Chercher.... chercher
Dieu ? » Je répétai
tranquillement ma phrase. Elle prit alors un air
aussi scandalisé que si je l'avais
accusée d'un crime secret.
C'était, j'en conviens, une domestique. Une
dame de la classe cultivée aurait-elle mieux
accueilli ma demande ? N'aurait-elle pas
murmuré : « Ah, quel mystique
que ce pasteur ! » Au moins la
domestique aura-t-elle peut-être
réfléchi à ce que je venais de
lui dire, et ma question l'aura-t-elle
disposée à s'accuser finalement de
formalisme.
Ce que je dis de la fréquentation des
temples, je le dis également de tous les
actes religieux. La prière, le culte domestique, la
lecture
de la Bible sont des choses divines, lorsque
l'âme y intervient tout entière, en
cherchant par le coeur Dieu. Le ciel s'ouvre, dans
ces actes, sur nos têtes, ils émeuvent
les compassions de Dieu, lorsqu'en les
accomplissant, nous soupirons après
l'éternité. Mais tous ces pieux
exercices peuvent être exécutés
pour la forme, dégénérer, sans
qu'on le remarque, en pures
cérémonies. L'abus sera d'autant plus
à craindre qu'on y prendra moins garde.
Vous êtes né dans une famille
chrétienne ; c'est sans contredit une
grande bénédiction. Mais quand
dès son enfance on a entendu lire la Sainte
Écriture, prier, qu'on a pris l'habitude
d'aller dans la maison de Dieu, on peut courir un
grand danger - celui d'agir seulement dans un
esprit d'imitation.
Je ne parle pas ici de purs hypocrites. Je parle de
chrétiens qui ont l'habitude de dire en
parlant des incrédules :
« Ces affreux
incrédules... ! » Ceux qui
s'expriment ainsi sont peut-être
sincères. lis trouvent les perspectives de
la piété si belles, si
émouvantes.. ! Cela n'empêche pas
que leur coeur n'a jamais été
labouré par le repentir. Aussi la bonne
semence n'y germe-t-elle point.
Voici d'autres chrétiens, ayant grandi au
sein d'une famille pieuse ; une heure
sérieuse a sonné où ils ont
réellement senti quelque chose des
miséricordes infinies de Jésus, et
goûté les puissances du siècle
à venir. « Combien nous étions
alors heureux ! » disent-ils avec un
soupir. Mais ils sont retournés au monde,
ils ont cessé de veiller
et de prier et ils sont tombés dans le
sommeil spirituel, ils ont continué à
aller au culte public, à prendre part
à la Cène, à prier, à
lire la Bible, à participer à des
réunions religieuses, à travailler
à des oeuvres chrétiennes.
Hélas ! tout cela n'est plus que du
formalisme. Le souffle de Dieu ne passe plus sur
eux. Il leur a manqué une conversion
complète. Et c'est triste.
Un homme d'esprit appartenant au camp des
libres-penseurs a dit : « Si
Jésus-Christ revenait parmi nous, c'est dans
le parti des orthodoxes et des piétistes
qu'il trouverait les successeurs des pharisiens et
des scribes, par lesquels il fut crucifié en
l'an 33 de notre ère. » Nous
rendrions facilement le coup aux libres-penseurs.
Il n'y aurait qu'à demander si cette
assertion n'est pas légèrement
teintée de l'esprit de jugement du
pharisaïsme. Je sais persuadé que la
plupart des orthodoxes et des piétistes ne
méritent nullement l'affront sanglant
contenu à leur adresse dans ce mot.
Il n'en est pas moins vrai que les plus ardents
ennemis de Jésus étalaient
ostensiblement leur piété, qu'ils
tenaient eux-mêmes Jésus pour le
destructeur de la religion divine. Aujourd'hui ce
serait une ironie que de demander :
« Jésus a-t-il été
pieux ? » Il est pourtant certain
que les hommes pieux de son époque l'ont
accusé d'impiété et de
blasphème. Et c'est pour cela en partie que
la croix a été dressée sur
Golgotha.
Entre Jésus et l'orthodoxie de son temps
régna une opposition aussi grande que celle
qui existe entre l'eau et le feu.
Tous les actes sur lesquels les scribes insistaient
particulièrement : la prière, le
jeûne, la fréquentation du temple, les
sacrifices, les aumônes, le respect du
sabbat, n'avaient de valeur aux yeux du Seigneur
qu'autant qu'ils étaient inspirés par
l'amour de Dieu et des hommes. Jésus a
impitoyablement flagellé de son ironie ceux
qui mettaient les choses saintes au service de leur
vanité et les considéraient du point
de vue d'un sec formalisme.
Le pharisien qui rend grâce à Dieu de
ce qu'il jeûne, l'insensé qui veut
enlever une paille de dessus son voisin et ne
remarque pas la poutre menaçant son oeil,
l'avare qui fait sonner de la trompette devant ses
aumônes, toutes ces figures ont
été gravées d'une
manière ineffaçable dans la
mémoire des hommes par la mordante
indignation du Maître.
Comprend-on toujours la profondeur de la
pensée religieuse à laquelle nous
devons ces sévères
exécutions ? Ce que Jésus a
voulu dire, c'est que les actes pieux n'ont de prix
que lorsqu'on cherche par eux la face de Dieu.
Cette idée nous est-elle devenue
familière ? Domine-t-elle notre
piété tout entière ? Si
ce n'est pas le cas, nous sommes en grand danger de
tomber dans le péché des scribes et
des pharisiens. Toutes les formes religieuses,
quand l'âme en est absente, tombent sous le
coup des reproches de Jésus. C'est, pour
emprunter à Jésus notre qualificatif,
de l'hypocrisie.
Est-ce peut-être une loi à laquelle
sont astreintes les religions,
qu'après avoir été jeunes et
brillantes au jour de leur éclosion, elle
s'ossifient et se pétrifient peu à
peu ? Ce qui était vie et force en
elles devient peu à peu formes et
cérémonies. Et quand la mort
spirituelle est là, malheur à qui ose
dénoncer cet état de choses ! Il
passe pour un impie. Le crime d'avoir dit la
vérité à une
génération qui ne s'en souciait plus
a condamné Socrate à mourir dans
Athènes et Jésus dans
Jérusalem.
La loi que nous venons de formuler n'est-elle pas
vraie du mosaïsme ? Ne l'est-elle pas
encore du christianisme ? Je le crains.
Seulement dans ce dernier habite une puissance de
vie qui ne peut mourir et qui renouvelle
constamment l'Eglise. Cela n'empêche pas les
grands esprits parmi nous, ceux en qui Christ a
vécu de la manière la plus manifeste,
d'avoir toujours dû livrer bataille au
formalisme.
Beaucoup de témoins de Christ ont
été mis à mort à
l'instar de leur Maître. Presque toujours ils
se sont trouvés en lutte avec les chefs
religieux.
Ce qu'un pouvoir ecclésiastique demande,
c'est que la machine dirigée par lui
fonctionne convenablement, c'est qu'on
fréquente avec assiduité la table
sainte, que les enfants soient baptisés, les
mariages bénis dans les temples, que les
pasteurs soient appelés à prononcer
une allocution ou une prière lors des
funérailles, c'est qu'il y ait des
catéchumènes, et suffisamment de
pratiquants aux cultes. En est-il ainsi, volontiers
bon nombre d'hommes d'Eglise
s'écrient : « Mon coeur, que te
faut-il de plus ? Tout ne va-t-il pas à
merveille ? » La jubilation augmente
lorsqu'on peut ajouter : « La
dernière statistique n'a-t-elle pas
prouvé que le chiffre des participants
à la table sainte est plus
élevé cette année que
l'année précédente de 0,07
pour cent ? »
Qu'un observateur un peu moins superficiel
entreprenne d'ouvrir les yeux des satisfaits et
leur crie, comme les fils des prophètes
à Élisée : « La
mort est dans le pot ! » il s'entend
traiter de perturbateur. Il faut qu'il marche dans
la voie de Savonarole, de Wiclef, de Huss, de
Luther, de Calvin, de Whitfield, de Francke, de
Spener, de Wichern. Celui-là ne manquait
point de courage et mérite d'être
loué, qui, un jour, dans une grande
assemblée de pasteurs, osa faire la
déclaration suivante : « Les
oeuvres chrétiennes, je dis les oeuvres qui
sont aujourd'hui l'honneur et la force de l'Eglise
évangélique, la Mission
intérieure, la Mission chez les païens,
les Institutions de diaconesses, les Unions
chrétiennes, ont été à
leurs débuts regardées avec
défiance par les pouvoirs
ecclésiastiques ; leurs fondateurs ont
été souvent arrosés par la
pompe à incendie. »
J'en reviens à la réflexion par
laquelle j'ai commencé ce chapitre. Nous
sommes, nous théologiens et pasteurs, en
grand danger de formalisme. Les laïques ne
sont pas moins exposés que nous à ce
péril. Se croire à cet égard
en sûreté, c'est
précisément montrer qu'on va tomber.
Le costume favori du diable est le déguisement en
ange de
lumière. Quand il a rempli d'une
béate confiance une âme, qu'il lui a
persuadé qu'elle est pieuse, pleine de vie
spirituelle, qu'elle n'a rien pour le moment
à craindre des tentations, il a
remporté son plus beau succès. Les
pieux dormeurs, si nombreux dans l'Eglise, ne lui
sont pas plus utiles que les morts spirituels. Dieu
nous garde de la fausse monnaie du
formalisme !
Je lisais récemment un ouvrage du
théologien danois Kirkegaard. Je fus
effrayé par la déclaration suivante,
ainsi que je l'avais été par la
phrase rapportée plus haut de Paul
Sabatier : « La prédication
exige une certaine hardiesse. Il n'importe, lorsque
je monte en chaire, que le temple soit plein ou
qu'il soit vide, que je m'aperçoive ou ne
m'aperçoive pas du nombre des auditeurs. Ce
qui est important pour moi, c'est qu'il y a
là, en tous cas, un auditeur invisible, le
grand Dieu auquel appartiennent les cieux et la
terre. Je ne le vois pas, mais il me voit. Cet
invisible auditeur sait si ce que je dis est
conforme à la vérité, si je
sens la vérité de ce que
j'avance. »
Les paroles de Kirkegaard. me jetèrent dans
un certain effroi, car je suis moi-même un
prédicateur.
Je me consolai un peu en pensant que j'avais
déjà eu la même idée que
lui, songé à l'invisible auditeur
devant lequel nous parlons. Mais l'avis d'autrui
vous fait souvent plus d'impression que le
vôtre. Et je fus saisi. Je suis
décidé, lorsque désormais je
monterai en chaire, à penser au
témoin invisible de ma prédication.
C'est devant lui que je parlerai. Et son souvenir
me laissera plus ou moins indifférent au
nombre de mes auditeurs visibles. Après
tout, leur chiffre dépend du vent et de la
pluie, de circonstances toutes
particulières, même de la mode, car il
est de mode d'aller écouter tel
prédicateur plutôt que tel autre.
Je n'ignore pas qu'un prédicateur se trouve
encouragé quand il a devant lui un bel
auditoire. Une dame me disait récemment en
parlant d'un orateur chrétien :
« Il a quelque peu perdu de sa puissance
apostolique. Cela n'est pas étonnant. Il
n'avait pas autant d'auditeurs que la
dernière fois ! » Je ne pus
réprimer un sourire. Certainement il est
désagréable de voir diminuer son
auditoire. Mais la force apostolique n'a jamais
dépendu du nombre plus on moins grand de
ceux qui sont rassemblés pour écouter
la parole de Dieu. Heureux le prédicateur
qui donne une première pensée au
témoin invisible devant lequel il va parler.
Ce témoin en vaut mille. Son jugement prime
tout. Il peut m'être agréable
d'être loué des hommes pour mon
discours. Cela m'est-il utile ? C'est une
autre question. Et il s'agirait de savoir si le
témoin invisible ne
blâme pas ce que louent mes auditeurs et ne
loue pas ce qu'ils blâment.
Une chose est certaine : le discours du
prédicateur gagnera toutes les fois que
celui-ci se dira : « J'ai Dieu pour
auditeur. C'est en sa présence que je dois
parler. » L'orateur qui a ce sentiment
profond de la présence de Dieu retranchera
de son exhortation mainte phrase pieuse, mainte
prosopopée qui n'a d'autre but que l'effet.
En échange il osera dire ce qu'il aurait tu
peut-être, de peur de blesser. Il envisagera
les âmes comme une argile que le divin potier
veut façonner en se servant de lui, et il
n'aura garde de s'abandonner à des
inspirations toutes personnelles.
J'entends le lecteur murmurer :
« Ah ! ce livre n'est pas pour moi.
Il s'adresse aux pasteurs... » Si j'ai
parlé des pasteurs c'est pour me frayer une
voie jusqu'à votre coeur, mon cher lecteur.
Croyez-vous que le grand témoin invisible
soit seulement près de nous dans les lieux
où nous l'invoquons ? Que vous soyez un
ouvrier, une ouvrière, une servante ou une
maîtresse de maison, partout vous avez, vous
aussi, quelqu'un qui vous écoute et qui vous
regarde, et ce quelqu'un s'occupe de votre
activité avec la même attention que si
vous étiez sur un trône. La force
apostolique, le docteur Martin Luther la
possédait sans aucun doute ; aussi ne
faisait-il pas longue cérémonie quand. il
avait à s'adresser aux grands de la terre,
même aux cardinaux et au pape. Et voici ce
qu'il a dit, avec une charmante bonhomie, de sa
servante : « Aucun prêtre n'a
jamais accompli une oeuvre aussi sainte que celle
de ma vieille Lisbeth, avec son balai. »
Luther n'a point voulu faire entendre, cela va sans
dire, que le balai fut un instrument saint, ce
qu'il a voulu affirmer c'est que la vieille Lisbeth
accomplissait son travail ennuyeux, malpropre,
méprisable peut-être aux yeux des
hommes, en l'honneur de Dieu, en ayant devant les
yeux l'invisible témoin, avec le
désir ardent de lui plaire. Ce désir
constituait la sainteté de son oeuvre. Un
autre mot du réformateur me revient
également en mémoire :
« La servante pieuse qui s'applique tout
entière à son service, soit qu'elle
nettoie la cour, soit qu'elle transporte du fumier,
le garçon de ferme qui laboure et
sème en étant complètement
à son affaire, s'en vont tout droit au
ciel ! » Rien qui doive nous
étonner dans ce nouveau jugement ! La
servante et le garçon de ferme qui agissent
sous le regard de Dieu sauront mourir aussi sous le
regard de Dieu.
Nous lisons dans les premières pages de la
Bible qu'Hénoc marcha avec Dieu, et qu'il ne
mourut point parce que Dieu le prit. Pourquoi
monta-t-il donc au ciel ? Pour avoir eu sans
cesse devant les yeux l'invisible spectateur des
actions humaines. Il n'est rien de plus haut que de
marcher ainsi avec Dieu, même sous l'alliance
de grâce. Ce qui est nouveau dans l'Évangile, c'est
que Dieu
soit plus près de l'homme en Jésus
qu'il ne l'avait jamais été, c'est
que ce Dieu saint soit devenu notre bon Père
céleste, c'est que nous sommes
réconciliés avec lui par la croix,
c'est que l'accès de son trône nous
est ouvert. Combien il est plus facile de marcher
avec Dieu, depuis qu'il s'est
révélé à nous surtout
comme un Dieu d'amour. Et il n'est rien de plus
grand, ainsi que nous le disions, que de se laisser
conduire pas à pas par ce saint et
bienveillant témoin que nous avons à
nos côtés.
On dira qu'il convient de rappeler d'abord nos
devoirs envers les hommes : les serviteurs, par
exemple, ont à s'occuper de la
volonté de leurs maîtres. Oh !
croyez qu'en cherchant avant tout la gloire de
Dieu, vous ne manquerez pas à bien remplir
vos obligations envers les hommes.
La tradition rapporte que dans les premiers
siècles de l'Eglise deux femmes esclaves
eurent un jour dans la maison de leurs
maîtres le dialogue suivant : L'une
disait en croisant les bras :
« Bénis soient les dieux !
Nous pourrons aujourd'hui nous accorder une mesure
comble de plaisir, manger et boire à notre
gré, car nos maîtres sont
sortis. » L'autre, qui connaissait
Jésus-Christ, lui répondit
tranquillement : « Mon Maître,
à moi, est toujours à la
maison. » Elle s'en alla aussitôt
à son travail habituel, comme si elle avait
été surveillée. Qui ne
souhaiterait en nos jours, où les relations
des maîtres et des domestiques sont souvent
difficiles, d'avoir une pareille servante ?
Dieu donne à nos domestiques d'autre part
des maîtres disposés à se
souvenir qu'ils ont un Maître dans le ciel
auquel ils devront rendre compte, un Maître
qui veille sur les âmes à eux
confiées, qui veut les voir traitées
avec respect et amour, comme des âmes pour
lesquelles Jésus-Christ est mort !
Voyez-vous ce que gagneraient nos écoliers
à ce que leurs instituteurs parlassent et
agissent toujours en classe sous le regard de
Dieu ? Je me représente ces derniers se
recueillant, leur enseignement fini, et entendant
Dieu leur demander s'ils ont traité leurs
élèves comme de futures
majestés spirituelles, destinées
à être associées à la
gloire du Sauveur.
Ne croyez-vous pas que le médecin serait
plus aimable avec ses malades, s'il apercevait
toujours Dieu entre eux et lui ? Et l'avocat,
le juge, ne verraient-ils pas la
bénédiction d'en-haut reposer
davantage sur leur oeuvre, s'ils traitaient les
criminels avec lesquels ils ont affaire en se
rappelant que la miséricorde de Dieu appelle
au repentir les plus grands pécheurs. Le
sentiment du devoir, la fidélité
à sa vocation, l'énergie et le
zèle sont singulièrement
stimulés par cette pensée de
l'invisible spectateur, en présence duquel
nous nous mouvons.
Mais j'entends maintenant quelqu'un dire autre
chose : « Il faudra donc renoncer
à la gaieté et à la bonne humeur. Comment être
joyeux en pensant continuellement à
Dieu ? » Reproche insensé,
offensant même pour Dieu. Que vous a donc
fait notre Père céleste, pour vous le
représenter comme un être sombre, dur
et implacable envers ceux qui pensent à
lui ? Pourquoi sa présence
arrêterait-elle le sourire sur nos
lèvres ? N'est-il pas l'auteur de tout
don parfait ? N'est-ce pas lui qui allume
chaque soir au firmament les petites étoiles
scintillantes qui pare de fleurs parfumées
la prairie, qui a créé les oiseaux
aux chants joyeux ? Ne fait-il pas luire tous
les jours son soleil sur les méchants comme
sur les bons ? Et le coeur de Dieu n'est-il
pas la source intarissable d'où jaillit
toute clarté ?
Comment pouvez-vous imaginer que le Père des
lumières se plaise à voir
régner la nuit dans notre vie ? En
vérité, Dieu aime la joie, il n'aime
pas à nous dire : non. Et il se trouve
avoir répandu, non pas seulement dans
l'âme de l'enfance rieuse, mais dans la
nôtre l'aspiration à la joie. Ce
désir qu'il inspire, il veut aussi le
satisfaire.
Croyez-vous donc que nos enfants sont moins joyeux
dans leurs jeux, lorsqu'ils voient l'oeil du
Père céleste les suivant avec
bienveillance ? Pensez-vous qu'ils
éprouvent je ne sais quel serrement
intérieur à se rapprocher en esprit
de ce Père qui, en un sens, est si loin de
nous ? Pensez-vous qu'ils sont malheureux en
fuyant ce qui lui déplaît ? J'en
appelle au lecteur qui a eu le bonheur d'avoir un
père terrestre sage et bon. Est-ce que la
présence de ce père le remplissait de
crainte aux jours de son enfance ? Le souvenir
de l'invisible témoin nous fera sans doute
renoncer à certaines joies ; mais ces
joies-là ne sont pas dignes de leur nom. La
présence de Dieu bannit seulement de nos
vies ce qui est mauvais, et ce qui est mauvais rend
toujours tôt ou tard malheureux.
Vous êtes, par exemple, invité
à des noces. Si vous y allez en gardant le
souvenir de la présence de Dieu, vous vous
abstiendrez naturellement de toutes ces
plaisanteries déplacées, de ces
compliments exagérés et menteurs, de
ces flatteries qui sont volontiers à l'ordre
du jour dans cette sorte de fêtes. Vous
veillerez à éloigner de vous la
dissipation. Vous serez bienveillant envers
chacun ; vous jouirez avec reconnaissance d'un
repas, de la conversation, des
récréations auxquelles vous prendrez
part. Et vous deviendrez par là même
un convié aimable, dans la plus haute
acception du mot. Partageant la joie des autres,
vous contribuerez à la joie
générale. Et au retour, rentré
dans votre chambre, vous pourrez remercier Dieu,
puis vous endormir d'un sommeil tranquille. En vous
éveillant le lendemain matin, vous ne
commencerez pas par vous frapper le front en
murmurant « Hélas, quelle sottise
j'ai donc dite hier au soir ! Quelle sottise
j'ai faite ! Comment vais-je sortir de
là ? » Vous irez au contraire
à votre travail avec joie, peut-être
en chantant. Et il en sera de même de toutes
vos actions, soit que vous vous soyez amusé
à tresser une guirlande de
fleurs, soit qu'il y ait devant vous une corbeille
de pommes de terre à peler, que vous ayez
à visiter un malade, à faire votre
bilan à la fin de l'année ou à
raboter des planches.
La pensée de la présence de Dieu est
un secours dans chaque détresse, une
lumière dans chacune de nos
obscurités. O face lumineuse de Dieu, pleine
de sainteté et d'amour, de douceur et de
patience à notre égard, tu t'es
dévoilée dans tout ton éclat
en Jésus La sagesse serait de t'avoir sans
cesse devant nous
L'Évangile est d'une admirable
simplicité. Dans leur folle, les hommes en
ont fait un tissu de raisonnements ou
d'énigmes incompréhensibles. En
réalité l'Évangile est
inexprimablement simple. Il ne vous demande que de
marcher avec Dieu, comme Hénoc, comme un
enfant marche avec son père, la main dans la
main. Dieu n'est-il pas devenu notre Père
par la croix de Jésus-Christ ?
- Vivre sous le regard du Maître,
- L'avoir pour son Roi, son Seigneur,
- À lui se donner, vouloir être,
- Cela seul réjouit le coeur.
- Ne vouloir, n'avoir de science
- Que par lui ; ne rien accomplir
- Qu'avec lui ! Douce accoutumance,
- Paix qui dépasse le désir !
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