Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Le prix de ton âme.

-------

Je sais peu de paroles du Sauveur plus connues que celle-ci : « À quoi servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s'il perdait son âmes ? ou, que donnerait un homme en échange de son âme (Matt. XVI, 26.) ? »

Je ne suis jamais parvenu à comprendre comment des hommes peuvent être assez déraisonnables, qu'ils soient païens, juifs, mahométans, surtout s'ils sont chrétiens, pour passer avec insouciance devant cette déclaration du Sauveur. Elle porte en elle-même une divine évidence. Elle se justifie d'elle-même devant l'âme quand celle-ci est sincère.

Si les secrets que nous révélera l'éternité venaient à être dévoilés, je ne doute pas qu'on pût écrire un livre tout entier sur les effets salutaires de ce petit mot, tombé des lèvres du Sauveur du monde, au pied des montagnes du Liban. Et quel livre que celui-là ! Il ferait défiler devant nous des hommes, des femmes sur le point de s'engager dans des sentiers détournés, où leurs âmes auraient couru les plus graves dangers ; nous les verrions arrêtés par ce seul mot, venu à eux comme un messager céleste pour les avertir de la part de Dieu. Le livre nous parlerait de milliers qui étaient arrivés à la fortune, aux honneurs, à la célébrité, et tout prêts à être saisis par le vertige du succès, l'ivresse de l'orgueil ; mais voici, un chrétien fidèle est allé un jour à eux et a prononcé devant eux le mot de Jésus, ce seul mot. Peut-être est-ce l'Esprit de Dieu qui a tout à coup rappelé à leur coeur cette parole, et leurs yeux se sont ouverts, ils ont vu avec effroi l'abîme dans lequel ils allaient rouler, Ils sont rentrés en eux-mêmes.

J'en appelle à mes lecteurs. Quelqu'un d'entre eux ne pourrait-il pas nous raconter, rien qu'en consultant ses souvenirs personnels, les grandes choses que ce mot est capable d'accomplir ?

La parole dont il est ici question ne revêt toute son importance que lorsqu'on la replace dans son contexte. Nous sommes dans le site alpestre et solitaire de Césarée de Philippe, où Jésus a conduit ses apôtres. Là, dans le silence qui les environne, le maître leur a posé cette première question : « Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l'homme ? » Bientôt il en vient à cette seconde question plus capitale : « Et vous, qui dites-vous que je suis. » Devant cette dernière interrogation, l'écrirai-je, plus d'une fois je n'ai pu m'empêcher de songer à la question suprême, décisive, que le jeune homme pose à la jeune fille aimée depuis longtemps d'une affection silencieuse : « M'aimes-tu ? »
En cette circonstance ce fut le « Oui » attendu et désiré qui se fit entendre. Il retentit avec éclat dans la bouche de la petite communauté de disciples, laquelle se tenait un peu devant Jésus comme la fiancée devant son fiancé. Pierre se faisant l'organe de tous s'écria : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Dans cette confession, les disciples donnaient leurs coeurs et leurs vies. Et c'est assurément d'une voix joyeuse que Jésus félicita Pierre, qu'il mit le sceau de sa bénédiction sur le pacte qui venait d'être conclu.

Scène pleine à la fois de charme et de grandeur ! Mais, ô surprise ! en ce moment si doux, au moment où il vient de récompenser l'aveu de son apôtre en lui ouvrant les plus glorieuses perspectives, Jésus, par une dureté en apparence incompréhensible, se met à parler à ses disciples de ses souffrances et de sa mort. « Dès lors, nous est-il dit, il commença à faire connaître à ses disciples qu'il fallait qu'il souffrit beaucoup, qu'il fût mis à mort (Matt. XVI, 21.). »

Une soudaine horreur s'est emparée des auditeurs. Elle a surtout accablé Pierre, qui recule atterré. L'apôtre, pour en revenir à ma comparaison, éprouve les émotions de la jeune fiancée qui, venant de se lier pour la vie avec l'homme de son choix, inondée d'espérances radieuses, passerait de la joie à la peur, en entendant son bien-aimé tout à coup lui révéler un mystère effrayant, un secret formidable dans son existence, des luttes terribles à soutenir.

Vraiment, c'en est trop. Enhardi par l'encouragement qu'il a reçu du Sauveur après son aveu, Pierre ose reprendre le Seigneur. Il lui dit : « À Dieu ne plaise ! Cela ne t'arrivera pas. » L'intention était bonne, et pourtant le jugement porté par Jésus sur cet acte de Pierre est sévère. C'est avec une véhémence particulière, rare chez lui, qu'il repousse la suggestion de l'apôtre. Il le surnomme « Satan »

« Arrière de moi, Satan. » Satan dans la tentation du désert n'avait-il pas essayé d'éloigner Jésus de la croix ? Non content de cet avertissement donné à Pierre, Jésus poursuit en prononçant cette sévère instruction, qui s'adresse aux disciples de tous les temps : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive. Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la trouvera. »

C'est ici que se place le mot sur lequel j'ai attiré l'attention du lecteur : « Et que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s'il perdait son âme ? ou que donnerait un homme en échange de son âme ? » Il semble que le Sauveur veuille nous dire : Vous souhaitez couler ici-bas des années tranquilles, jouir de la vie, gagner le monde ! Vous êtes dans une grave erreur sur ce qui vous est avantageux. Le sage s'occupe de son âme, veut la garder, l'élever. Quand on néglige l'âme, on peut la perdre. Il n'est plus alors pour l'homme d'espoir ni de salut. Mais, lorsque le souffle d'en haut est descendu sur une âme pour la vivifier, elle s'avance au devant d'une grandeur et d'une gloire certaines. Une âme, ne l'oubliez pas, vaut plus que le monde entier.


II

Je vous le demande, qui s'était jamais ici-bas exprimé avec cette hauteur de vues ? « Gagner tout le monde, » avez-vous réfléchi à ce que cela embrasse ? Vous avez devant vous, en cet instant, tout ce que le monde vante et apprécie : honneur, réputation, l'amour le plus digne d'envie, la beauté la plus belle ! Ce n'est pas une illusion. Un clair soleil brille sur toutes ces réalités. Il vous suffit d'étendre la main pour les saisir ! Ne faudrait-il pas être fou ou avoir perdu toute capacité de jouir pour dédaigner tout cela ? Pourtant le Sauveur nous déclare que tout cela n'est pas digne d'un effort, si de la possession doit résulter la moindre blessure pour votre âme. Cette âme que nous avons, toute invisible qu'elle est, fût-elle celle du plus pauvre, du plus inconnu, est donc, d'après le mot de Jésus, infiniment plus précieuse que les splendeurs réunies de l'univers visible.
Certes, celui qui s'est exprimé ainsi croyait à l'existence de l'âme. Il croyait encore cette âme capable d'une vie divine et immortelle.

Dans un enseignement religieux donné à de jeunes garçons, je citais un jour la parole dont nous nous occupons. Un de mes jeunes auditeurs se mit à dire :

« Mais Jésus aurait dû tout d'abord prouver que nous avons une âme ! » L'élève qui parlait ainsi appartenait à la troisième classe du Gymnase et avait pris un accent légèrement railleur. Une bombe éclatant au milieu d'une compagnie de soldats ne produirait pas plus d'effet que cette exclamation intempestive du petit sceptique n'en eut sur mes catéchumènes. Les uns riaient, les autres se regardaient horrifiés. Tous s'attendaient à une verte réprimande, beaucoup peut-être à de la colère de ma part. Heureusement j'eus l'esprit de rester tranquille. Vingt ans se sont écoulés depuis l'incident. L'élève de troisième n'est plus en troisième. C'est un personnage du grand monde. Longtemps avant que nous nous séparâmes il apprit à reconnaître qu'il possède une âme immortelle et, chose plus importante encore, que Jésus est le Sauveur de cette âme. Aujourd'hui, s'il lit ces lignes, il ne pourra que sourire de son incartade qui avait pour but de jeter en moi quelque trouble.

Malheureusement des millions raisonnent à l'heure actuelle comme ce jeune garçon. Notre génération voit la fin d'un siècle ; dès lors elle est passablement sceptique, disposée à hocher la tête à la façon des vieillards, et manque de la simplicité avec laquelle il faut regarder la vérité si l'on veut la discerner. Elle réclame en tout et pour tout des preuves. Bientôt nos enfants raisonneurs voudront constater, sur le vu de leur acte de naissance, que leur père et leur mère ont légitimement droit à ce titre. Et l'acte ne détruira pas leur dernier doute... Ne sait-on pas qu'il est beaucoup d'actes falsifiés ? Pourquoi ne serait-ce point ici le cas ?

La méthode de Jésus n'était pas d'argumenter. Il énonçait la vérité, lui laissant le soin de se justifier. Bien que les matérialistes abondassent autour de lui, le Sauveur n'a jamais tenté de démontrer que nous avons une âme. Cela ne se démontre pas. S'il vous faut commencer par prouver, à grand renfort de pièces, à votre enfant que vous êtes sa mère, qu'il vous doit le jour, la vie, pensez-vous que vous en ferez jamais un fils reconnaissant ? Tant que la voix du coeur n'a pas parlé, toutes vos peines seront inutiles.

La voix du coeur a dans tous les temps révélé à l'homme qu'il possède une âme. C'est sans doute l'Évangile qui le premier a mis en pleine lumière le prix inappréciable de cette âme. Mais avant lui on se doutait de l'existence de celle-ci.
Un curieux recueil de cantiques rationalistes, oeuvre d'un passé heureusement disparu, contient les vers suivants :

Sûrement je suis immortel,
J'en ai la preuve légitime
Écrite dans mon for intime,
Je tiens l'argument pour réel.

Est-ce assez plat ? Est-ce que l'hypocondre lui-même ne sourirait pas en apprenant qu'on a pu envisager de tels vers comme de la poésie, même les chanter pieusement dans une église ? Une profonde vérité est pourtant renfermée dans cette prosaïque strophe. Quiconque s'est examiné avec attention sait qu'il n'est point absolument semblable à la taupe ou au limaçon. Le vif et actuel débat sur la parenté de l'homme avec l'animal, débat qui de temps en temps se ranime dans la presse, nous assure sans réplique que l'homme n'est pas un animal. S'il en était un, est-ce que la chose ne sauterait pas aux yeux ? Est-ce qu'on songerait à la prouver ? Est-ce qu'un animal raisonne d'ailleurs ? Oubliez-vous aussi le fait significatif, le grand fait de l'existence de la foi religieuse, de son histoire, de sa naissance avec le coeur humain ?

N'allez pas croire que je vais essayer ce à quoi Jésus s'est refusé, tenter une démonstration superflue, et stérile de l'existence de notre âme. Je n'en ai nulle pensée. Je dis seulement que ce mot de la première page de la Bible : « Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu (Gen. I, 27.) », éveille l'assentiment intérieur de chacun de nous. Tout ce qui s'est fait de grand dans le domaine de la religion et de la civilisation suppose chez l'homme une âme capable d'aspirations divines. Ôtez cette croyance, l'humanité descendra véritablement au niveau de l'animal.

« Oui, mais la science ! Les résultats acquis de la science ! » me crient plusieurs lecteurs dont le visage a pris un pli sérieux. D'après une opinion en effet assez répandue la science aurait prouvé que l'âme n'existe pas.

Le propos est d'une telle insanité que je sais à peine comment y répondre. J'aurais trop de choses à dire. En premier lieu la science n'existe pas. Ce qui existe ce sont des sciences diverses. Or, si je m'adresse à la philosophie, je ne l'entends nullement nier l'âme par l'unanimité de ses représentants. Vous me citez les sciences de la nature. Vous demandez si, à côté d'illustres savants, appartenant aux sciences physiques et croyant en la Bible, il n'est pas d'autres savants ayant écrit contre l'existence de l'âme ? Je l'avoue. Mais quelle est la raison de leur négation ? C'est qu'au bout de leur scalpel, de leur microscope, ils n'ont jamais rencontré une âme. Et qu'y a-t-il là d'étonnant ? Nos instruments découvrent-ils la substance de l'univers ? Ne laissent-ils pas autour de nous, à droite et à gauche, des abîmes de mystères ?

Les sciences physiques s'occupent des phénomènes du monde visible. Quant à l'invisible il demeure hors de notre portée. C'est lui qui est l'objet de la foi. Et la révélation fait connaître ce monde de l'invisible à quiconque a faim et soif de Dieu. Or, il est autant d'âmes altérées de vérité religieuse parmi les représentants des sciences physiques que dans n'importe quelle classe de la société.

Il n'y a pas longtemps sans doute que les coryphées du matérialisme répétaient, aux applaudissements de nombreux disciples : « Ce que l'on appelle l'esprit est une fonction du système nerveux. Pensées, sentiments, volontés sont de pures sécrétions du cerveau. Tout finit pour nous à la mort. »

Ces accents néfastes se sont heureusement perdus dans les airs. Tel le croassement des corbeaux cherchant quelque cadavre à dévorer. On a découvert que ces vérités prouvées n'en étaient pas. Aujourd'hui nos savants montrent plus de réserve. Ils osent affirmer que notre vie est pleine de mystères et que personne n'a le droit de limiter l'essor futur de notre esprit. Ils n'identifient plus celui-ci avec le cerveau et voient seulement dans le cerveau le siège ou l'organe de l'activité mentale.

Au fond, les sciences naturelles ne sauraient démontrer que l'âme humaine n'existe pas, comme elles ne sauraient non plus démontrer qu'elle existe. L'existence de l'âme est l'objet d'une croyance instinctive, que l'on rencontre à tous les degrés de la civilisation, chez toutes les races. Mais ce qui n'était qu'une clarté vague est devenu une brillante lumière, grâce à l'Évangile.

Maintenant, dès que vous êtes persuadé d'avoir une âme, celle-ci prend à vos yeux une importance capitale. Les choses visibles sont fugitives. Notre vie visible tout entière est une vapeur qui tend à s'évanouir. Mais l'âme, parce que sa vocation est d'être immortelle, s'élève au-dessus des choses visibles autant que l'éternité au-dessus du temps. Dés lors, il s'agira pour nous, avant tout, de songer à l'éducation de cette âme, de l'éclairer, de la cultiver, de l'orner, de la rendre noble et sainte. Ce qui lui cause quelque dommage, comprenons-le, est un indicible malheur : « Que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s'il perdait son âme ? ou, que donnerait un homme en échange de son âme ? »

La contre-partie de cette parole serait celle-ci :
Quelle serait la perte subie par l'homme, quand bien même il perdrait tout le monde, s'il venait à gagner son âme ? Ne pensez point, lecteur, que je parle de la perte du monde avec un coeur léger. Nullement. Je liais les déclamations religieuses. Perdre tout le monde, ah ! ce n'est pas peu de chose. Voir sa fortune anéantie, n'en perdre même qu'une part, n'est pas mince affaire. Il est des gens que vous entendez dire : Qu'est donc cette vie ? Que sont ces biens ? Du sable, une vile poussière, un objet de tourment... Et vous les voyez extrêmement troublés, quand ce sable et cette poussière s'échappent de leurs mains. Quel souvenir angoissant que celui de la séparation de nos bien-aimés lorsque la mort nous les a pris ! À cette pensée, tel d'entre nous a senti son front se mouiller d'une sueur froide. N'est-ce rien encore que de voir sa santé atteinte, quand ce ne serait que dans un seul de nos organes ou de nos membres, oeil, bras, pied ? Comment qualifier enfin l'infortune de celui auquel la calomnie a ravi son honneur, sans qu'il lui soit possible de se réhabiliter ? Croyez-moi, c'est chose grave, chose amère que de perdre de la sorte le monde, un lot quelconque des biens de ce monde.

Mais cette perte deviendra immédiatement pour vous un gain, si elle vous engage à vous occuper davantage de votre âme. Nous devons les plus beaux hymnes de David aux persécutions du roi Saül. Celles-ci durèrent à peu près une dizaine d'années. David dut renoncer pendant ce temps à tout ce qu'il aimait, à la vie de famille, à l'amitié, à la réputation, à la liberté et à la sécurité. Mais il sut, en perdant le monde, garder son âme et la sauver. Comment cela ? En la consacrant davantage à Dieu. De cette consécration sont nés de beaux psaumes. Et une multitude de croyants pourraient affirmer également qu'ils ont goûté, au milieu des plus dures épreuves, d'ineffables bénédictions, parce que leurs douleurs les ont amenés à la fois à rentrer en eux-mêmes et à sortir d'eux-mêmes.

Une seule chose importe : notre préparation à notre vocation éternelle. Tout ce qui sert à ce travail est grand, tout ce qui l'entrave est petit, alors même que le monde l'appellerait grand.

Éternité, éternité,
Fais briller sur nous ta clarté !
Montre-nous le néant des choses misérables,
Mais grandis à nos yeux tous les biens véritables.
Éternité, éternité,
Fais briller sur nous ta clarté

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant