UNIVERSITÉ DE FRANCE
STRASBOURG.
FACULTÉ DE THÉOLOGIE PROTESTANTE DE
STRASBOURG
LA PEINE DE
MORT
EST-ELLE EN OPPOSITION AVEC LE
CHRISTIANISME
THÈSE
PRÉSENTÉE
À LA FACULTÉ DE THEOLOGIE PROTESTANTE
DE STRASBOURG
ET SOUTENUE PUBLIQUEMENT
Le lundi 6 août 1838, à 5 heures de
l'après-midi
Pour obtenir le grade de bachelier en
théologie
PAR
FÉLIX BUNGENER,
BACHELIER ES LETTRES,
DE MARSEILLE (BOUCHES DU RHÔNE)
STRASBOURG
1838
***********
FACULTÉ DE THEOLOGIE DE
STRASBOURG
BRUCE, Doyen de la faculté
Professeurs de la faculté
MM. BRUCE
RICHARD,
FRITZ
JUNG
Président de la soutenance
M. RICHARD
Examinateurs.
MM RICHARD,
FRITZ
JUNG
La Faculté n'entend approuver ni
désapprouver les opinions
particulières du candidat
INTRODUCTION
CHANGER de face ou tomber dans l'oubli, tel est
aujourd'hui le sort de toutes les questions des
qu'elles ont occupé quelques instants
l'attention publique. Il en est une cependant
poursuit depuis près d'un siècle et
dans l'Europe entière sa marche grave et
lente.
Ni les gouvernements ni les écoles ne l'ont
entraînée dans leurs chutes : on
se la transmettra longtemps encore, toujours
importante, toujours nouvelle. C'est celle de la
peine de mort.
Les adversaires actuels de cette peine peuvent se
ranger, sauf un petit nombre, en deux classes. Les
uns en font une question de chiffres :
tableaux de recensement, archives des tribunaux,
des prisons et des bagnes, telles sont les
principales et même les uniques sources de
leurs arguments ; les autres veulent
émouvoir plutôt que convaincre, et
c'est de l'imagination, de la pitié, de
l'horreur, qu'ils attendent le triomphe de leur
cause.
En deux mots, la statistique et le
sentiment font à peu près tous
les frais de la lutte.
Il semblerait aussi, au premier abord, que le
christianisme y joue un assez grand
rôle : aucun auteur n'a pu l'en
écarter tout à fait et la plupart lui
accordent une place considérable. Mais,
après des pages souvent éloquentes,
souvent pleines, il faut le dire, de grandeur et de
poésie, un coup d'œil plus
sévère nous aura convaincus
bientôt que le christianisme si riche quant
à la forme, se réduit, au fond,
presque à rien.
Peu d'hommes, de nos jours, en ont fait
réellement une étude ; et, de
même que beaucoup de gens se disent
chrétiens, parce qu'ils ne
tuent ni ne volent, de même,
dans nos livres, le christianisme n'est souvent
qu'un léger canevas de
religiosité, livré à
tous les caprices de la sensibilité et de
l'imagination. L'on ne saurait croire combien de
sophismes sentimentaux ou poétiques nous
avons recueillis dans les lectures qu'exigeait ce
travail.
« Vous donnez la mort, vous,
disciples de celui qui est la vie !
- La justice de Dieu dépose son glaive, et
la nôtre le prend !
Pourquoi dire au bourreau frappe ! quand on
croit que Dieu pardonne ? »
Et cent autres idées de même force,
qui risquent singulièrement de faire oublier
au lecteur soit la gravité du sujet, soit le
respect dû à des écrivains
d'ailleurs honorables.
- Loin de nous la pensée de faire peser sur
tous nos adversaires la responsabilité de
semblables arguments ; mais nous avons cru
qu'il ne serait pas inutile d'examiner
posément et la Bible à la main une
question où le christianisme semble avoir
autorisé tant d'écarts.
S'il est des points que la théologie
embrouille et dont nous devons soigneusement la
bannir, il en est aussi où elle peut rendre
de grands services, moins encore par des solutions
directes qu'en nous forçant à quitter
le vague.
Elle n'a cependant pris chez nous, jusqu'à
ce jour, qu'une part assez peu active aux
discussions sur la peine de mort. On le
conçoit : une défaveur
machinale, assez indépendante de la valeur
des raisons, s'attache généralement
aux mesures sévères ou
réputées sévères.
Nous avons vu des partisans de la peine de mort
déclarer que jamais ils n'écriraient
une ligne en sa faveur ; d'autres allaient
jusqu'à dire qu'il serait triste, odieux
même, d'en trouver l'apologie dans la bouche
d'un ministre de l'Évangile. Abus de
sentiments et de mots !
Au pied de l'échafaud, sans doute, quand le
malheureux qui va y monter se jette dans nos bras
avec des larmes d'épouvante, quel ministre
de l'Évangile n'aimerait à lui dire,
s'il en avait le droit : « Vas en
paix et ne pèche plus ! »
Mais autre chose est de pleurer sur un frère
va mourir, et de méditer, législateur
ou philosophe, sur une peine qui fut
considérée six mille ans comme le
couronnement naturel et nécessaire du sombre
édifice de la pénalité.
Ce n'est pas au bruit de la hache, au milieu de ces
émotions
déchirantes, et lorsque la
sensibilité, mère de tant d'erreurs,
absorbe notre âme tout entière, que de
si hauts problèmes doivent être
résolus.
On nous recommande en littérature, en
philosophie, en politique, une scrupuleuse et sage
lenteur ; mais, dès qu'il s'agit de la
peine de mort et de son abolition, nos plus graves
écrivains semblent monter à
l'assaut : peintures effrayantes, sentiments
outrés, tout est bon, tout est mis en
œuvre ; on commence par nous placer en
face d'un cadavre, et après cela viennent
les anathèmes lancés au nom de
l'humanité sur quiconque osera ne pas
s'avouer convaincu.
Les partisans de la peine de mort, s'il faut en
croire leurs adversaires, se réduisent
à quelques hommes aveugles par les
préjugés et la routine : notre
cause est depuis longtemps et à jamais
perdue !
Et cependant, nous oserons l'affirmer :
malgré tous ces chants de triomphe et cette
universelle inondation d'ouvrages écrits
dans un sens qui n'est pas le nôtre, des
conversations fréquentes nous ont
révélé au moins autant d'amis
que d'adversaires.
Prouver ce fait est impossible ; aussi ne le
présentons-nous pas comme un argument :
il nous suffit d'y avoir trouvé des motifs
de courage et de confiance.
Voici les points que nous nous proposons de
démontrer.
I. L'Ancien Testament adopte la peine de
mort et ne fournit aucun argument contraire.
II. Le Nouveau Testament la suppose admise
et ne la combat ni par des leçons ni par des
faits.
III. Elle n'est pas en opposition avec
l'ensemble du christianisme.
IV. Parmi les inconvénients qu'on lui
reproche, les uns n'existent pas, les autres sont
inhérents à toute espèce de
peine ; la plupart enfin peuvent être
effacés ou considérablement
réduits.
Observation générale. Envisageant la
peine de mort en droit et non en
fait, nous la supposons toujours
appliquée aussi rarement, aussi
consciencieusement, aussi justement,
en un mot, qu'on peut l'exiger de
législateurs et de juges faillibles.
Les hommes en ont abusé, mais l'abus ne tue
pas le droit.
I. L'Ancien Testament adopte la peine
de mort et ne fournit aucun argument
contraire.
La peine de mort est dans la loi de
Moïse ; elle y est presque à
chaque page. Dire pourquoi et réfuter les
objections que cette rigueur a soulevées, ce
serait nous écarter de notre sujet.
Remarquons seulement qu'au milieu d'une si longue
énumération de cas emportant
condamnation capitale, il est impossible de voir
dans les mots « Tu ne tueras
point » l'inviolabilité
absolue de la vie de l'homme.
Nous ne comprenons pas comment des auteurs ont
ainsi pu donner au sixième commandement une
portée qui le mettrait en contradiction avec
tout le reste du Pentateuque. On ne va cependant
jamais jusqu'à nier que la peine de mort ne
soit dans le Code hébreu.
Emparons-nous du fait et voyons comment on essaye
d'échapper aux conséquences.
Première objection. L'ancienne loi
est abrogée. -
Sans doute ; mais la question n'est pas
là. Abrogée pour nous dans son
ensemble, cette loi n'en a pas moins vu passer dans
la nôtre une bonne partie de ses
dispositions. La peine de mort est-elle du
nombre ? Voilà ce qu'il faut examiner,
et nous le ferons plus tard. Ou l'objection est
nulle ; ou elle revient à dire que la
peine de mort est abolie par la loi nouvelle.
Nous verrons si on peut le prouver.
Deuxième objection. Si le
Pentateuque fait autorité, il y aura
inconséquence tant que vous n'appliquerez
pas la peine de mort à tous les
délits qu'elle atteignait sous Moïse.
On a tiré grand parti de cette
idée ; Dieu sait à combien
d'amplifications et même de plaisanteries
elle a donné lieu.
La réponse pourtant nous semble facile.
Parmi tous ces délits punis de mort, il en
est un grand nombre que nos mœurs et notre
état religieux ou politiques ont
amenés à n'être plus que
d'imperceptibles fautes. Mais quant à
l'homicide (et c'est pour l'homicide
seulement que nous
réclamons la peine de mort) qu'a-t-il perdu,
depuis Moïse, de sa gravité et de son
horreur ?
Dieu a fait l'homme à son image. Telle est
la raison que Moïse allègue en
demandant le sang du meurtrier. Rien de transitoire
dans ce motif !
Si le crime n`a pas changé, s'il est le
même vis-à-vis des individus, de la
société, de la religion ; de la
nature, comment aurait-elle cessé
d'être juste et légitime, cette peine
dont le frappait une législation
inspirée ?
Ce changement, dit-on, existe en germe dans
l'Ancien Testament.
On cite à l'appui des déclarations et
des faits.
Psaume LI. Dieu ne prend point
plaisirs aux sacrifices. Mais l'auteur
ajoute : Le sacrifice agréable
à Dieu, est un coeur froissé et
brisé.
Il voulait donc simplement, dire que les
péchés s’effacent par la
repentance, et non par le sang de vils animaux.
Osée VI. Je prends plaisir
à la miséricorde et non aux
sacrifices.
Lisez le contexte : il s'agit encore de
sacrifices cérémoniels par opposition
à la repentance et à la
régénération du cœur.
Ezéchiel XVIII.
Prendrais-je plaisir à la mort du
méchant ?
Id. XXXIII. Je ne prend aucun
plaisir a la mort du méchant ; qu'il se
convertisse et qu'il vive.
Nouvel abus de mots. Le prophète aurait donc
voulu dire, lui ; zélé
défenseur de la loi et de la
nationalité juive, qu'un meurtrier, un
adultère, un profanateur du temple ou de
l'arche sainte, devaient être laissés
parmi les vivants !
Dans tous ces passages, dans vingt autres du
même genre et dont on s'est pareillement
servi, il est de la dernière évidence
que l'auteur n'a pas eu vue l'action des lois
civiles ni le châtiment humain des
criminels.
Il s'agit de fautes contre Dieu et d'un pardon qui
vient de Dieu : ici, comme dans
l'Évangile, la vie est l'approbation
et l'amour de notre père
céleste ; la mort est
l'état misérable d'une âme
séparée de lui ; mais la vie
terrestre et la mort physique sont
entièrement hors de cause.
Passons aux faits. - On n'en cite que deux, mais on
les cite partout.
Sont-ils donc d'une force entraînante ?
On va en juger.
Caïn tue son frère et, quoique les
hommes fussent alors sous la
direction immédiate de Dieu, n'est pas puni
de mort ;
David a mérité le dernier supplice
comme adultère et meurtrier. Il se repent et
sa tête n'est pas frappée.
Conclusion : Si la peine de mort était
légitime et que Dieu eût voulu
l'établir à perpétuité,
il n'aurait pas permis ces deux exceptions.
Mais autant vaudrait dire que, toutes les fois
qu'un criminel se dérobe à la justice
humaine, Dieu qui permet sa fuite proteste par cela
même contre la peine qu'il allait subir.
David, adultère et meurtrier, n'est pas
condamné à mort. Eh ! de
grâce ! par qui aurait-il pu
l'être ? Roi absolu, avait-il un
tribunal au-dessus de lui ?
Dieu lui pardonne, comme Dieu, en
considération de sa repentance ; mais
la loi humaine était forcément sans
action.
J'en dis autant pour Caïn. Qui eût
été son juge ? Adam.
Et son bourreau ? Adam aussi ; Belle
manière de se consoler de la mort
d'Abel !
Ni Caïn ni David ne pouvaient,
humainement parlant, être punis du
dernier supplice ; et de ce que Dieu
lui-même n'a pas jugé à propos
de s'en charger, de ce qu'ils ne les a pas
foudroyés, on voudrait conclure qu'il
préparait de loin l'abolition de la peine de
mort !
Mais Dieu défendit de tuer
Caïn
Voyez la Genèse. Épouvanté de
l'arrêt qu'il vient d'entendre : C'est
plus que je ne puis porter ! S'écrie le
fratricide ; je serai donc errant sur la
terre, et quiconque me trouveras me
tuera ! Non, reprend l'Éternel,
celui qui tuerait Caïn serait puni sept fois
davantage. »
Quiconque me trouvera, me tuera. Supposons
la chose arrivée : on a
rencontré Caïn ; on l'a
tué. Mais est-ce bien là la peine de
mort ? A-t-on jamais appelé ainsi
l'immolation du coupable, sans jugement et sans
procès, parla main du premier venu ? La
société n'existait pas encore ;
la mort de Caïn n'eût été
et ne pourrait être qu'une vengeance
individuelle, acte que toutes les
législations ont réprouvé.
Dieu s'y oppose donc et en prévient le
coupable ; mais cela ne prouve pas le moins du
monde qu'il l'eût soustrait au supplice, s'il
y avait eu des lois, un tribunal, une
société enfin pour l'y condamner.
L'isolement et l'exil furent donc la punition de
Caïn. Nous avons vu que
c'était la seule possible. Et cependant, qui
le croirait ? il y a dans ce fait, au dire de
certains auteurs, le germe du système
pénitentiaire.
« Dieu se contente, disent-ils, de
séparer le coupable du reste des hommes.
” Mais Dieu autorisa la mort dans une
innombrable foule d'occasions, et d'ailleurs,
qu'y-a-t-il de commun entre la
société d'alors et celle
d'aujourd'hui, entre nos lois tout humaines et ce
gouvernement miraculeux ; entre nos criminels
en si grand nombre et ce coupable unique
déchiré de remords, connu de tous,
abhorré de tous ; retenu au fond de sa
solitude par la main puissante de Dieu
lui-même ?
Concluons : L'Ancien Testament ne fournit,
soit directement, soit indirectement, aucune arme
contre la peine de mort.
Mais son autorité ne suffit pas. Allons plus
loin.
II. Le Nouveau Testament ne combat la peine
de mort ni par des leçons ni par des
faits.
En relisant avec soin et en vue de ce travail les
livres de la nouvelle alliance, deux remarques nous
ont frappé.
La première, c'est que nous étions
à chaque instant sur le point d'oublier le
but de cette lecture, tant il était rare que
nous eussions à noter quelques mots
susceptibles d'entrer, même de loin, dans
notre discussion ; et quoique nos adversaires
prétendent avoir été plus
heureux, ils nous accorderont au moins qu'un homme
dégagé de toute préoccupation
ne verrait dans les auteurs du Nouveau Testament ni
des partisans ni des adversaires de la peine de
mort. Pas un seul mot ex professo, tout le
monde en convient ; pas une phrase (nous le
montrerons) où l'on puisse affirmer que
l'auteur avait dans l'esprit, même
incidemment, l'idée de cette peine.
L'objection n'est pas sans réplique, puisque
nos adversaires en appellent à l'esprit
plutôt qu'à la lettre, mais, quoique
l'Évangile ne nous ait pas habitués
à des leçons philosophiques et
nettement formulées, si la question est
aussi grave qu'on le prétend, si la peine de
mort est un outrage à la nature, à la
religion, à l'Être
suprême,
L'absence de tout enseignement positif et direct a
certainement de quoi nous surprendre. Remarquez, en
effet (c'est notre seconde observation), que le
Sauveur et les apôtres ne se sont pas
contentés de proclamer en thèse
générale l'abolition de la loi :
toutes les idées mosaïques de quelque
importance, qui ne devaient pas rester dans la loi
nouvelle, ont eu leur abolition
spéciale.
Exemples.
Le sabbat de Moïse était un joug :
Jésus nous en dégage ;
les cérémonies étaient presque
toute la religion : Jésus les
déclare inutiles ;
le divorce était permis moyennant certaines
formalités : Jésus le
déclare criminel, tant que les plus graves
motifs ne sont pas rendu nécessaire.
Mais dans ces cas et dans beaucoup d'autres, pas la
moindre incertitude sur ses intentions ; les
passages sont clairs, nombreux, directs ;
l'auteur va même plusieurs fois
jusqu'à citer les propres paroles de
Moïse ; et pour la peine de mort, pour
une institution si nettement reconnue et
organisée dans l'ancienne loi, nous en
serions réduits à l'analyse
minutieuse de quelques faits, à quelques
vagues et contestables allusions !
Mais on le nie ; on prétend trouver des
déclarations d'une grande force.
Arrêtons-nous y donc quelques instants.
Rom. XII, 17. Ne rendez à
personne le mal pour le mal.
Trente-deux préceptes du même genre
contenus dans ce chapitre, et tous se rapportent
à la vie privée du Chrétien,
condamnent suffisamment l'usage qu'on veut faire de
ces paroles. D'ailleurs, prenez-y garde ; si
elles prouvent quelque chose, elles prouvent
infiniment trop ; car, à ce compte, il
ne suffit plus d'abattre les
échafauds : la prison la plus douce est
aussi un mal rendu pour un mal !
Même remarque sur. Le
verset 19 : Ne vous
vengez point vous-mêmes car la vengeance
appartient à Dieu.
Nous observons, d'un côté, que
l'apôtre s'occupe évidemment des
vengeances particulières ; de l'autre,
qu'une peine infligée légalement et
après consciencieux examen ne peut s'appeler
une vengeance.
L'emprisonnement et la plus faible amende
mériteraient le même nom.
Même observation encore sur le passage tant
de fois cité : « Il a
été dit à vos
pères : œil pour oeil et dent pour
dent ; mais moi je vous dis : ne
résistez point au
méchant, etc. »
Ces derniers mots conduisent droit à
l'anarchie, si l'on veut y voir autre chose qu'un
précepte de charité individuelle et
les appliquer à la
société.
Il est encore une foule de passages dont la
réfutation serait la même. Tous ont
trait à la conduite du Chrétien
vis-à-vis de ses frères, tous,
appliqués à la société
civile, seraient la ruine de toute
pénalité.
Évang. selon S.
Jean. IV. L'adultère
était puni de mort, et le Sauveur absout une
femme coupable de ce crime.
L'importance qu'on a donnée à ce fait
nous force d'entrer dans quelques
détails.
Et d`abord, quant à cette accusation
d'adultère, est-il bien sûr qu'elle
fût sérieuse et que la femme coupable
eût réellement à craindre un
arrêt de mort ? nous ne le pensons
pas.
Quels hommes, en effet, l'ont amenée
à Jésus ? des pharisiens, dit
l'évangéliste ; et ces docteurs
pétris d'orgueil, habitués dès
longtemps à se roidir contre les
leçons les plus touchantes, un seul mot de
leur ennemi leur aurait arraché leur
proie !
Ils voulaient, dit S. Jean, éprouver
Jésus, le mettre dans l'embarras, l'amener
à contredire Moïse, et ils se
désistent beaucoup trop vite pour que nous
puissions croire qu'ils eussent l'intention de
faire juger et condamner cette femme.
D'ailleurs (et cette remarque est décisive)
les décrets de Moïse contre
l'adultère étaient depuis longtemps
en pleine désuétude.
Je ne te condamnerai pas non plus, dit le
Sauveur. Douce parole, qui ne nous surprend point
dans sa bouche, mais dont il est aussi imprudent
que peu logique d'exagérer la
portée.
Jésus, dites-vous, réprouve par
là le châtiment terrible dont
Moïse avait frappé
l'adultère ; mais vous ne
prétendez sûrement pas que
l'absolution accordée au criminel doive
s'étendre au crime. Eh bien ! s'il y a
dans ces mots autre chose que l'expression pure et
simple d'un sentiment d'indulgence, ils disent
beaucoup plus que vous ne dites et que vous ne
voudriez dire.
Un souverain peut faire grâce, et la loi
reste intacte ; mais s'il abolit une peine
sans en substituer une autre, il déclare par
cela même que l'acte qui en était
passible cessera d'être
considéré comme un crime.
Jésus laisse en paix la femme
adultère : si c'est un prince qui
pardonne, rien de mieux ;
mais si ses paroles ont une valeur
législative, qu'il fixe une peine en
remplacement de la mort, ou nous serons
fondés à dire qu'il ne regarde pas
l'adultère comme punissable.
Je ne le condamnera pas non plus. Le Sauveur
pouvait-il conclure autrement ?
Les pharisiens s'étaient
retirés : fallait-il donc que cette
malheureuse femme, accablée de remords et de
honte, trouvât en lui un nouvel
accusateur ?
Et ce rôle odieux dont s'étaient
lassés des pharisiens, notre adorable
maître s'en serait chargé ! Que
leur avait-il dit à ces hommes ?
« Que celui de vous qui est sans
péché lui jette la première
pierre. »
Grande et sage leçon dans la morale
privée ; nouvelle source d'embarras
quand on exagère la valeur du fait.
Hommes et Chrétiens, nous ne devons jeter la
pierre à personne ; magistrats,
où en serait la société, s'il
nous fallait être des saints pour avoir le
droit de condamner ? Et c'est pourtant
là qu'on arrive, si l'histoire de la femme
adultère est un argument contre la peine de
mort.
Il s'agit d'un cas éminemment
spécial : on
généralise ; « il
s'agit d'un pardon religieux : on en fait un
acte de souveraineté temporelle. En vain
répétons-nous qu'il n'y a rien de
semblable dans tout le reste de la vie du Sauveur,
que les nombreux pardons de nos Évangiles
s'appliquent aux souillures de l'âme, et
jamais, absolument jamais, aux peines terrestres
que le coupable peut avoir encourues.
On franchit d'un bond toutes ces remarques ;
on en revient imperturbablement à la
même conclusion et le céleste ami
d'une pécheresse repentante n'est plus qu'un
de ces jurés imprudemment scrupuleux qui
foulent aux pieds l'évidence pour
déclarer l'accusé non coupable
et s'épargner l'ennui de l'envoyer à
l'échafaud.
Même dans ce système la conclusion
finale est fausse.
Admettons que le Sauveur ait eu en vue la peine de
mort ; ce sera la peine de mort pour
l'adultère. Nous aussi nous pensons que ce
crime ne doit pas être puni si
sévèrement ; s'ensuit-il que
nous réprouvons la peine de mort en
général ?
Passons à d'autres faits dont on n'abuse pas
moins.
Luc IX. Quelques disciples voulant
appeler le feu du ciel sur une bourgade
samaritaine, Jésus les reprend avec
indignation. - Eussions-nous le
feu, du ciel à nos ordres, nous ne croirions
pas faire un grand effort de tolérance en
laissant vivre une misérable bourgade qui
nous aurait refusé
l'hospitalité ; mais nous serions fort
surpris ensuite si on venait nous dire que nous
avons protesté par là contre la peine
de mort.
Voilà toute notre réponse.
Qu'on nous permette à notre tour une
question. Prenez le plus zélé
partisan de la peine de mort :
s'imaginera-t-il abandonner son système en
recueillant chez lui, par exemple, un pauvre
nègre déserteur bien qu'il sache que
la loi condamne ce malheureux à la
potence ? Non, sans doute, s'il lui reste
encore quelque sentiment d'humanité.
Que signifient donc les conclusions qu'on veut
tirer de ce que S. Paul (ép. à
Philémon) a recueilli et
protégé l'esclave
Onésime ? Un supplice affreux
était la peine du crime purement fictif de
cet homme ; le livrer aux bourreaux eût
été une action atroce, et, parce que
l'apôtre ne l'a pas commise, on ose dire
qu'il réprouvait également la peine
de mort pour des crimes réels et
inexcusables !
Luc XXIII. Jésus prie pour
ses bourreaux. Mais en quels termes ?
« Père, pardonne-leur, car ils
ne savent ce qu'ils font. »
Nous aussi, avec tous les codes raisonnables, nous
demandons la vie du criminel quand il n'y a pas eu
chez lui discernement. N`est-il pas,
d'ailleurs, assez évident ; que
Jésus n'avait point en vue la punition.
temporelle de ses ennemis ?
Le sanhédrin avait prononcé la
sentence ; le gouverneur en avait permis
l'exécution ; les bourreaux ne
faisaient que remplir leur charge : tous
étaient légalement en règle,
et on ne voit pas trop d'où aurait surgi un
tribunal pour expier le sang du Christ par celui
des accusateurs et des juges. Ce n'est donc pas
leur vie que Jésus demande.
Matth. XXVI. Pierre a voulu tuer un
des complices de Judas, et le Seigneur condamne
cette violence. - Rien, dans ce fait, ne se
rattache à la question de la peine de mort.
1° Malchus n'est pas un
assassin, puisqu'il vient seulement arrêter
Jésus ;
2° même, en le tuant il serait
légalement sans reproche, puisqu'il ne
ferait qu'obéir à ses
chefs ;
3° fut-il digne de mort, ce n'est pas à
Pierre qu'il appartient de le juger
ni de le punir ;
Voilà plus de raisons qu'il n'en faut pour
nous convaincre que le Seigneur a bien pu sauver la
vie à cet homme sans blâmer la peine
de mort. ...
« Tous ceux qui auront pris
l'épée, dit-il, périront par
l'épée. » On a voulu voir
dans ces paroles la condamnation absolue de
l'homicide ; on les a tordues jusqu'à
leur faire signifier que tuer un meurtrier, c'est
être un meurtrier soi-même.
Nous ne pouvons affirmer ; il est vrai, que
périra par l'épée signifie
périra par le glaive de la loi ;
mais si ce passage n'est pas pour nous, il est
encore moins pour nos adversaires ; et nous
nous en remettrions volontiers, sur ce point,
à la décision du premier venu.
Enfin,
I Cor. V. Un inceste a
été commis dans l'Église de
Corinthe, et S. Paul ne demande pas la mort du
coupable, bien que ce crime fût capitale chez
les Juifs. Mais,
1° il n'est pas sûr que
le coupable fût Juif ;
2° l'Église n'avait sur lui aucune
autorité légale et ne pouvait que
l'exclure de son sein ;
3° eût-elle demandé sa mort, les
tribunaux de Corinthe ne l'auraient pas
accordée ;
4° l'apôtre n'envisage que le scandale
causé dans l'Église : la
question du châtiment civil reste
complètement en dehors.
Tels sont les arguments scripturaires qu'on nous
oppose ; nous affirmons n'en avoir omis
sciemment aucun.
Il est temps de passer aux nôtres :
chaque pas va nous ramener à cette
idée que les auteurs sacrés n'ont
songé ni à attaquer ni à
défendre la peine de mort, et ne paraissent
pas s'être doutés qu'on dût
jamais l'attaquer ni la défendre.
On nous arrête ici. L'esclavage, dit-on, est
absolument dans le même cas, et qui oserait
pourtant soutenir l'esclavage ?
Nous répondons :
1° que l'esclavage n'a pour
lui, de l'aveu même de ses partisans, aucun
argument rationnel ;
2° que son illégitimité a
presque l'évidence d'un axiome ;
3° qu'il est nettement et formellement
incompatible avec le principe de
l'égalité des hommes ; base de
la morale chrétienne. l'esclavage est
né d'un abus ; le prétendu
droit de conquête : la peine de
mort a été souvent un abus ;
mais elle repose sur deux sentiments naturels et
irréprochables :
l'horreur du crime et le besoin de le voir puni.
Nos auteurs sacrés peuvent donc n'avoir
admis l'esclavage que comme un fait, sans que nous
devions nécessairement conclure qu'il en est
de même de la peine de mort. Reprenons.
- Notre attention s'est naturellement
portée avant tout sur le fameux chapitre
Ve de S. Mathieu, où le
Sauveur passe en revue divers articles de
l'ancienne loi ; et en particulier le
sixième commandement.
V. 21. Vous savez qu'il a
été dit aux anciens :
« tu ne tueras point, et qui tuera sera
punissable par le jugement (Ces derniers mots
ne sont pas dans le Pentateuque. Par le
jugement est assez vague ; mais comme la
loi que le Sauveur résume ici n'admet pour
le meurtre qu'une seule peine, qui est la mort,
nous traduisons : qui tuera sera puni de
mort).
Mais moi je vous dis, continue le Sauveur, que
lorsque, pour un sujet frivole, se met en
colère contre son frère, sera
punissable aussi par le jugement. Ce qui ne
veut point dire (et personne n'en a eu
l'idée) qu'il faille punir un accès
de colère comme un meurtre ; le Sauveur
entend simplement qu'il existe une liaison intime,
une espèce de parenté entre la
colère et l'homicide.
Mais, quelque sens qu'on donne à ce verset,
il est impossible d'y découvrir un seul mot
qui tende à abroger ou même à
restreindre la loi rapportée dans le
précédent.
« Moïse demande le sang du
meurtrier ; mais moi je vous dis que celui qui
s'emporte contre son frère est sur le chemin
qui conduit au meurtre. Jugez de là combien
il faut se garder de la colère !
Telle est évidemment la pensée du
Maître, et nous ne saurions y voir,
même en germe, l'abrogation ni la censure de
la peine de mort.
Pourtant (qu'on nous permette de le dire)
c'était le moment, ou jamais, de laisser
entrevoir ce blâme. Quatre autres
préceptes de Moïse sont examinés
peu après : le Sauveur se fait-il
scrupule d'en contredire trois ?
Pourquoi donc ne pas dire au moins un mot de ce
qu'on a appelé l'inviolabilité de la
vie de l'homme ?
On répondra qu'il s'occupe de morale
plutôt que de législation ; mais
un des préceptes qu'il attaque ensuite,
celui où il est parlé du divorce et
des lettres de divorce, touche autant à la
législation qu'à la morale ;
d'ailleurs, n'eût-il que des
lois morales en vue de cette
inviolabilité pouvait et devait
même trouver place dans son discours :
le mépris des formes
cérémonielles, l'amour des
ennemis ; la charité universelle que
Jésus demande quelques lignes plus bas,
avaient pour les Juifs. quelque chose de bien plus
étrange en théorie et de bien plus
difficile en pratique.
Deux paraboles se lient, quoique d'assez loin,
à notre sujet.
Dans la première
(Luc XIX) un roi fait mourir des
sujets rebelles ; dans la seconde
(Marc XII et Luc le maître de
la vigne punit de mort les assassins de son
fils.
On objectera que ces circonstances, purement
accessoires, ne concourent pas à
l'enseignement final des deux paraboles. Nous en
convenons ; mais il est peu probable que le
Sauveur eût attribué ; même
incidemment, au personnage principal et qui
représente Dieu ; un acte qu'il aurait
regardé comme illégitime.
Voyons maintenant Jésus en action et
menacé de cette même peine que,
dit-on ; sa doctrine repousse.
Jean XIX .Pourquoi ne me
réponds-tu pas ? lui dit
Pilate ; ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir
de te crucifier et celui de te
délivrer ? alors
Jésus : Tu n'aurais aucun pouvoir
sur moi, si tu ne l'avais reçu d'en
haut.
Il ne conteste donc pas le droit terrible que
Pilate s'arroge, il se borne à rappeler au
gouverneur » celui par qui
règnent les rois, et ces paroles, dans
un moment surtout où il n'avait plus de
ménagements à garder, ne permettent
pas de croire qu'il regardât le droit de vie
et de mort comme illégitime et abusif.
Peu d'instants après, son sang coulait sur
le calvaire. Mais quoique cette mort, gage
éternel du salut des hommes, soit
rappelée à chaque page dans tous les
livres du Nouveau Testament, nous ne voyons pas
qu'aucun des apôtres, tout en proclamant
l'innocence divine du Maître ; ait
attaqué en droit la peine qu'il avait
subie ; Le style vif et sans art de nos saints
livres est fréquemment coupé de
digressions tout aussi lointaines ; et si les
apôtres avaient recueilli des entretiens de
Jésus quelques enseignements, quelques
doutes contre la peine de mort, on ne
conçoit pas qu'ils n'en eussent rien
laissé voir à propos du supplice de
Jésus lui-même.
Écoutez S. Paul, lui qui attaque avec tant
de, franchise et de force, quand la
vérité le commande, les plus
chères idées de ceux qu'il instruit.
Ce n'est pas en vain, dit-il
(Rom. XIII), que le prince porte
l'épée. Or l'épée,
symbole du droit de punir, a toujours
été plus spécialement celui du
droit de vie et de mort. Cependant l'apôtre
n'ajoute aucune restriction : Le prince est
ministre de Dieu, dit-il. Et que trouvons-nous
un peu plus bas ? Tu ne tueras
point ! Rapprochement qui démontre
jusqu'à l'évidence une idée
à laquelle tout nous ramène, savoir
que ce commandement concerne l'individu et non la
société ou ses
magistrats. »
La peine de mort n'est donc pas en opposition avec
la lettre du Nouveau Testament.
La lettre tue, dira-t-on : aussi ne
voulons-nous pas nous en tenir là.
Observez cependant une chose. La lettre tue ;
mais c'est quand on en abuse, quand on presse le
sens des mots, quand on s'obstine à ne voir
dans une loi ou dans un livre que quelque phrase
isolée dont on fait son profit.
Rien de semblable dans tout ce qui
précède. Loin d'éplucher des
déclarations isolées, c'est toujours
par des rapprochements que nous avons
attaqué celles qu'on nous objectait. Nous
avons pris le livre tout entier ; nous avons
dit et essayé de montrer qu'il ne renferme
rien de contraire à notre
thèse : si cela doit encore s'appeler
la lettre, on conviendra, que cette
lettre se rapproche singulièrement de
l'esprit.
Quoique l'autorité des Pères et de
l'Église. n'ait aucune valeur à nos
yeux si elle ne nous semble d'accord avec
l'Écriture, il ne sera pas sans
utilité de nous transporter quelques
instants sur ce terrain. On l'a fait avant
nous.
On affirme,
1° que l'inviolabilité
de la vie de l'homme fut proclamée de
très bonne heure par les auteurs
chrétiens ;
2°que l`Église en fit un des points
fondamentaux de sa discipline. Examinons.
Augustin demande la vie des Donatistes ;
Chrysostôme défend d'assommer
les hérétiques.
Conclusion Augustin et Chrysostôme
réprouvent la peine de mort. Nommer l'auteur
de cet étrange raisonnement, ce serait
presque faire une satire.
On cite Origène : Que Je meure
plutôt que de donner la mort, et
Lactance : Le vrai sage aime mieux
périr que de faire souffrir.
Mais quel est ce juste, quel est ce
sage ? Voyez le contexte : il
s'agit du Chrétien persécuté.
Le législateur n'a donc rien à faire
ici.
On cite Basile : Tout homme qui en tue un
autre, l'eût-il fait involontairement et en
voulant se défendre, est un
meurtrier. »
L'exagération de cette idée lui
enlève toute valeur.
On cite Tertullien (apol. 57). Les
Chrétiens ont pour maxime de souffrir
eux-mêmes la mort plutôt que d'y
condamner personne.
Mais les Chrétiens n'avaient alors aucune
espèce d'autorité
légale ; et ce n'est point de
condamnations légales que parle
l'auteur.
Il vient de retracer les insultes auxquelles ses
frères sont exposés de la part du
peuple : on les poursuit comme des bêtes
sauvages ; on brûle leurs maisons et
leurs temples ; mais, quelque nombreux qu'ils
soient, ils n'opposent à leurs ennemis que
la douceur et la prière. Voilà le
sens du morceau.
On cite encore Augustin : Ne nous
hâtons pas de tuer les criminels, de peur
qu'en quittant cette vie par le supplice ils
n'aillent en enfer.
Nous ne pouvons mieux répondre que par une
autre citation du même auteur ; elle est
tirée, non pas d'une simple lettre comme la
première, mais du plus soigné de ses
ouvrages. (Voyez De Civit. Dei ; I, 21.)
Quasdam vuerô, etc. - Ceux qui en vertu
d'un pouvoir légal ont de mort des
scélérats, n'ont point
péché contre le précepte, tu
ne tueras point.
Voyez aussi Lactance, De irâ Dei, XVII. =Norn
exiguo ; etc.) Il vient de réfuter une
idée fausse et il ajoute : autant
voudrait dire que nos lois et que nos juges sont
coupables, parce que nos lois établissent la
peine capitale et que nos juges l'appliquent aux
scélérats.
On peut dire des Pères, comme des
auteurs inspirés que la peine de mort
était pour eux une de ces choses dont on ne
parle pas vu que personne ne les met en
question.
Ambroise seul (de Caïno et
abelé) discute brièvement le
droit de mort, et paraît se décider
contre ; mais comme il s'appuie principalement
sur l'histoire de Caïn et sur des
conséquences dont nous avons
démontré la fausseté, son
opinion ne saurait être pour nous d'un grand
poids.
Peu à peu, il est vrai, se manifesta dans
l'Église une tendance qui paraît
combattre la peine de mort. On connaît le
fameux adage : l'Église a horreur du
sang. Si nous nous bornions à observer
que tous les bûchers ou échafauds qui
s'élevèrent de Théodose
à Louis XIV diminuent prodigieusement la
valeur de ces mots, on ne manquerait pas de
répondre que peu importent les infractions
au principe et que l'essentiel est ici le principe
lui-même.
Eh bien ! nous l'accordons :
l'Église a horreur du sang.
Mais n'a-t-elle pas constamment reconnu, à
ce sujet, une distinction importante que vous
laissez dans l'ombre ? Ce droit de mort
qu'elle se faisait scrupule d'exercer
elle-même (peut-être par une tradition
du paganisme romain), elle ne le refusa jamais aux
souverains temporels. Un prince-évêque
eut, tout comme un autre prince, son tribunal et
son bourreau. Le pape, chef de l'Église,
a horreur du sang comme elle ; mais
cela n'empêche point le même pape,
souverain temporel, de faire conduire à la
mort les coupables que ses tribunaux y ont
condamnés.
Il n'est donc pas exact, que les anciennes,
traditions chrétiennes et
ecclésiastiques soient contraires à
la peine de mort.
III. La peine de mort n'est pas en opposition
avec l'ensemble du christianisme.
Rien de plus vague que les objections tirées
de l’esprit du christianisme. Quelques auteurs
les développent longuement ; la plupart
se contentent de les énoncer et regardent
comme une espèce d'axiome
l'incompatibilité de la peine de mort avec
la doctrine et la morale chrétiennes.
Tous les arguments dans ce sens reposent sur trois
idées, dont-ils nous suffit de dire quelques
mots :
1° rigueur de la peine
mort ;
2° patience et douceur prescrites à
tous les Chrétiens ;
3° soin que nous avoir du salut de nos
frères.
1. Quant à la première, nous
n'hésitons pas à la croire fausse.
Comment essaye-t-on de la prouver ?
Voyez. ce condamné, dit-on, qui
se roule dans son cachot au
milieu des angoisses du désespoir, et
demandez-lui si un demi-siècle de prison ou
de bagne ne lui semblerait pas
préférable à l'imperceptible
souffrance qui l'attend.
Il s'en faut bien, remarquerons-nous d'abord, que
tous les condamnés soient de cet avis. Mais,
acceptons le fait : un condamné
à mort, est-il un bon juge de la peine de
mort ?
Voyez ce malade il qui l'on va couper un
bras : malgré toutes les consolations
dont il est environné, il voudrait renvoyer
le chirurgien ; des mois, des années de
dépérissement et de souffrance
l'épouvanteraient moins qu'une
opération de quelques minutes.
Un combat plus violent encore, mais tout à
fait du même genre, agite l'âme du
condamné : sa raison est presque
anéantie ; toutes ses facultés
se concentrent sur un seul point ;
l'échafaud dérobe à sa vue
tout ce qu'il y a par derrière de souffrance
et d'ennui pour ceux à qui l'on accorde la
triste faveur de ne pas y monter : s'il
pouvait l'envisager de sang-froid, il le
préférerait à quelques
années de simple détention.
Mais on retourne l'argument :
« Si la prison est plus dure que la mort,
de simples vols sont plus punis que l'assassinat.
”
Nous retournons aussi notre réponse. La
peine de mort agissant sur les âmes par
l'imagination bien plus que par la raison,
l'horreur imaginaire dont on l'entoure compense
suffisamment la rigueur qu'elle n'a pas en
réalité : plût à
Dieu qu'il en fût de même de toutes les
peines !
Où trouver, d'ailleurs, dans ce monde, une
peine strictement proportionnée au
délit ? Tel passera gaîment dix
ans au bagne ou plaisantera avec le bourreau ;
tel autre sera consumé de désespoir
et d'ennui, avant d'avoir achevé. Deux ans
de prison.
Nos lois portent bien : pour tel crime, dix
ans ; pour tel autre, réputé
double ; vingt ans ; mais il est une
foule de cas où dix ans sont plus que vingt,
et une seule année plus que dix. Entamer la
question sous ce point de vue, c'est se jeter dans
d'inextricables difficultés.
2. Quoi qu'il en soit, s'il est vrai que la peine
de mort n'est point exorbitante et que nous en
infligeons de plus sévères, que
deviennent tous ces appels à la douceur
évangélique ? On a vu plus haut
que toutes ces règles de
support et de tolérance ne peuvent concerner
que la morale privée, puisque,
appliquées à la morale publique,
elles n'iraient à rien moins qu'à
anéantir toute pénalité. En
quoi donc peut-on dire que la charité
chrétienne combat la peine de
mort ?
Savez-vous à quoi il est vrai que l'esprit
du christianisme s'oppose ?
Premièrement, à tout supplice pour
opinions religieuses ; car la
société, dans ce cas, peut
s'appliquer aussi bien que l'individu et sans nul
inconvénient réel les règles
de tolérance dont nous parlions ;
secondement, à toute espèce de
torture physique ou morale qui aggraverait les
angoisses du condamné.
Celui qui va périr, en effet, c'est encore
un homme et un frère ; juges, nous
l'aurons condamné : hommes et
Chrétiens, nous adoucirons autant que
possible l'horreur de ses derniers instants.
Il dépend presque toujours de nous que le
criminel ne maudisse ni la loi qui dicte
l'arrêt, ni les juges qui le prononcent, ni
la société qui le
réclame ; faisons-le convenir
lui-même (et on réussit
fréquemment) que sa condamnation est
juste ; et alors, de ce que la religion est
encore pour lui une tendre mère, il n'ira
pas conclure avec nos imprudents philanthropes que
sa mort est un outrage à la religion.
3. Mais, après la mort le jugement.
Si donc vous livrez au souverain juge des coupables
qui n'ont eu le temps ni de s'amender ni même
de se repentir, vous donnez à la peine une
effroyable portée. ”
L'objection est forte ; elle agit puissamment
sur la plupart des esprits. Voyons ce qu'elle a de
réel.
Sans doute c'est une chose terrible que de
tomber entre les mains du Dieu vivant. Mais un
seul jour se passe-t-il sur notre pauvre terre sans
que plusieurs centaines d'hommes, plusieurs
milliers quelquefois, soient appelés tout
à coup à comparaître devant
Dieu ? Nous ne parlons pas des
batailles : on dirait que nous excusons un
abus par un autre abus ; mais que les
accidents de toute espèce, que de maladies
trop violentes ou trop courtes pour que le patient
ait pu songer à son âme ! Tel a
eu dix années pour se réconcilier
avec Dieu ; tel autre n'a pas eu dix
minutes.
Et pourtant, sommes-nous en peine de la
manière dont toutes ces
diversités se concilieront un jour dans les
décrets de Dieu, avec les lois de son
éternelle justice ? Nous ne comprenons
pas, mais nous espérons
Cela posé, rien n'empêche de
considérer la mort d'un coupable comme un de
ces nombreux accidents qui hâtent chaque
jour, pour un si grand nombre d'âmes l'heure
du jugement dernier. L'identité, au fond
n'est pas complète, puisque la
volonté des lois se substitue dans ce cas
à celle de Dieu ; mais, par rapport au
criminel et à l'état de son
âme, la chose est la même : qu'il
périsse foudroyé en commettant son
crime, ou qu'il monte sur l'échafaud
quelques semaines après, l'Évangile
nous permet et la raison nous commande de croire
que son juge lui tiendra compte des occasions de
repentance dont il est privé.
À Dieu ne plaise que nous nous autorisions
de cette idée pour condamner
fréquemment et à la
légère ! Mais elle nous
paraît d'une grande force contre tous les
scrupules tirés de l'avenir du criminel. Ne
disons pas avec des paysans stupides :
“autant de guillotinés, autant de
damnés »
C'est nier la miséricorde et la
justice ; c'est adopter, dans ses
conséquences du moins, l'idée
superstitieuse que l'avenir éternel d'une
âme dépend de l'état où
elle se trouve à l'instant précis du
départ.
Cette idée elle-même, dans un sens,
est plutôt favorable que contraire à
la peine de mort. S'il est des condamnés qui
refusent les secours de la religion meurent dans
une affreuse impénitence, la plupart se
réfugient avec une docilité profonde
dans les bras du seul homme qui leur parle encore
de grâce et d'espoir.
Ce repentir, hélas ! est bien loin
d'avoir le mérite d`une conversion
spontanée et d'un solide amendement ;
mais c'est déjà beaucoup pour de
grands coupables, et on peut affirmer que la
plupart ne retrouveraient pas dans tout le cours
d'une longue vie des élans semblables de
componction et de foi.
Ce pénitent. de quelques heures dont vous ne
pouvez vous empêcher d'espérer le
salut peut-être aurait-il croupi tout le
reste de sa vie dans un état
d'indifférence et de piété
machinale. Peut-être même (et quoi de
plus fréquent) ce retard n'aurait servit
qu'à le rendre plus criminel. Vous trouvez
horrible qu'on tranche les jours
d'un homme qui commence à se
repentir ; mais vous oubliez qu'il n'eût
jamais commencé peut-être, si
l'échafaud et ses terreurs ne
s'étaient dressés devant lui.
On va nous arrêter sur ce mot
peut-être ; on dira que la plus
faible chance de conversion réelle et
durable doit suffire pour écarter la hache.
Mais,
1° que l'on se rappelle ce que
nous disions tout à l'heure de
l'équité du juge suprême, et
l'objection aura déjà perdu la plus
grande partie de sa force ;
2° l'idée, en elle-même, est
très contestable : est-il bien vrai que
l'espoir de régénérer quelques
criminels doive suffire pour leur sauver la vie de
tous ? Nous ne le pensons pas ;
3° trancher une vie qui serait peut-être
devenue honorable, c'est un mal sans doute ;
mais si la peine de mort a d'ailleurs pour elle des
arguments directs et positifs ; si la religion
ne la combat point, comme nous croyons l'avoir
démontré ; si elle est
légitime et nécessaire, comme nous
pensons qu'on peut le prouver : le mal dont on
parle s'efface et ne montre plus qu'une chose,
savoir que la peine de mort, comme toutes les
institutions humaines, n'est pas absolument exempte
de tout inconvénient.
Légitime et nécessaire,
avons-nous dit. Ces mots nous transportent au
centre de la question, et, bien que ce point de vue
ne soit pas le nôtre quelques idées
plus générales auront ici leur
place.
Punir, c'est priver d'un bien ; et
à l'idée de punir s'allie
naturellement celle d'une proportion entre la peine
et la faute. Cette proportion varie, suivant les
pays et les temps, pour tous les degrés
intermédiaires de l'échelle ;
mais il est un point où toutes les
législations se rencontrent :
Punir les plus grands des crimes par la perte du
plus grand des biens, (et le plus grand de tous
les biens, à tort ou à raison, aux
yeux de l'immense majorité des hommes, c'est
la vie). La question de droit
disparaît ; il 'n'y a plus qu'une
question de logique.
Entre la peine de mort et la plus
légère amende existe une relation
intime. Si vous accorder. Au législateur le
droit de vous punir dans votre fortune et votre
liberté, il est irrésistiblement
conduit à vous punir aussi dans votre vie.
Voilà notre question réduite à
ses termes les plus simples ; longtemps elle
n'en a pas eu d'autres. La peine
de mort n'était que le complément
naturel et logique de tout système de
pénalité.
Cette remarque est importante, mais la
difficulté n'est que reculée. Nous
allons y venir directement.
Posons d'abord en principe, que toute sanction
connue à l'avance de celui qui l'encourt est
par cela même légitime. Un objet
à vendre, en effet (qu'on nous permette
cette comparaison), a beau être taxé
un prix exorbitant : s'il n'existe pour
l'acheteur ni nécessité ni
contrainte ; le vendeur est dans son
droit ; il blessera la délicatesse
peut-être, mais non la justice.
La peine de mort (comme toutes les peines) n'est
autre chose que le prix auquel on achète,
non pas la permission, mais la possibilité
de certains actes. Tant qu'il n'y a pas contrainte,
commettre ces actes, c'est accepter la sanction.
Punissez de mort le plus simple vol vous aurez des
exécutions sans nombre et d'atroces
injustices ; et cependant, s'il est
universellement connu dans le pays, que tout vol
mène à l'échafaud, on ne
pourra point appeler ces horreurs
illégitimes : summa
injuria n'empêchera point summum
jus.
Mais voici la grande objection. « Pour
que le marché fût valable, il faudrait
que l'homme eût des droits sur sa propre
vie : nul ne peut céder ce qu'il n'a
pas. »
Nous nous garderons bien de répondre avec
quelques auteurs que, si le marché est
vicieux, la faute en est tout entière au
criminel, puisqu'il se met dans le cas d'un homme
payant ses dettes avec un bien dont il n'est que le
dépositaire.
Cette réponse a deux inconvénients,
elle admet le fait que l'individu n'a aucun droit
sur sa vie, et elle suppose la
société prenant en payement une
valeur dont elle sait que le débiteur n'est
pas propriétaire. Nous répondons en
niant le principe : il n'est pas vrai que
l'homme n'ait aucun droit sur sa vie.
Ces paroles vont peut-être surprendre et
choquer ; nous supplions qu'on nous entende
jusqu'au bout.
Une somme importante m'est confiée : je
la dépense. Que ce soit pour une mauvaise
action ou pour une bonne, je suis coupable :
j'ai usé d'un droit que je n'avais pas.
Une autre somme m'appartient ; je la
dépense.
Mon but est-il bon ou mauvais ? Peu
importe ; on pourra blâmer l'usage que
j'ai fait de ma fortune ; mais, tant qu'il
ne s'agit que de droits, si j'ai celui de
l'employer à des actes honorables, j'ai
aussi celui de l'employer à quoi que ce
soit.
Cela dit, nous demanderons s'il n'est pas un
certain nombre de cas où l'homme dispose de
sa vie sans que nos plus scrupuleux moralistes
aient l'idée de lui en contester le droit.
Payer de sa personne dans une guerre
défensive et juste, dans un incendie ou dans
une inondation, a toujours été
regardé, non seulement comme une chose
permise, mais encore comme un devoir. Eh
bien ! si je n'avais réellement
aucun droit sur ma vie, l'action la plus
héroïque ne serait pas moins que le
suicide un attentat aux droits de Dieu ; et
s'il m'est permis de dire à la
société : « dispose de
moi pour ton salut, quand les hommes ou les
éléments te menacent, » je
puis aussi lui dire : « prends ma
vie quand j'aurai commis telle ou telle
action. »
Ma vie est à moi comme l'eau qui me
désaltère, comme la maison qui
m'abrite, comme les mets de ma table, comme la
fortune que j'ai acquise ou reçue, comme
tous les biens, en un mot, dont la religion nous
apprend à remercier la Providence : il
n'en est aucun dont je ne puisse faire un usage
criminel ; mais, si j'en suis
blâmé ici-bas et puni dans l'autre
vie, ce n'est pas pour avoir usé de
ces biens, puisque j'en étais le
maître ; c'est pour en avoir mal
usé.
Et qu'on ne dise pas que nous infirmons ici la
culpabilité du suicide ; nous ne
faisons que la changer de place, et la fonder sur
une considération plus claire et plus
positive. J'ai le droit de me suicider, tout comme
celui de jeter à la mer l'argent ou les
objets précieux qui constituent ma fortune.
Mais cette fortune ainsi détruite,
c'était le patrimoine de mes enfants ;
c'était au moins celui d'un certain nombre
de parents et de pauvres à qui je me
devais : je suis donc coupable de l'avoir
anéantie ; mais j'avais le droit de
l'anéantir. Dans le suicide, même
droit, et, en même temps, culpabilité
du même genre quoique infiniment plus
grande.
Je quitte lâchement le poste que m'avait
assigné la Providence ; je donne
à mes concitoyens un
funeste exemple ; je dérobe à
mes proches un appui qui leur était
du ; à la société un
membre qui pouvait et devait lui être
utile ; en un mot, j'anéantis un bien
dont j'aurais dû tirer parti pour mon
avantage et celui de mes frères :
voilà où est mon crime, et il est
grand.
Que les hommes et Dieu me condamnent ! mais
leur réprobation ne sera pas une preuve que
le droit dont j'ai abusé ne
m'appartînt pas.
« La vie est un don de Dieu. »
Sans doute ; mais ne peut-on pas en dire
autant de toutes les choses dont on use ou dont on
abuse ici-bas ? Vous ;objectez que les
autres biens peuvent nous venir des hommes, tandis
que la vie ne peut venir que de Dieu ; mais,
de ce que Dieu seul peut nous la donner,
s'ensuit-il que Dieu seul ait droit de nous la
ravir ? La raison des deux idées est
loin d'être évidente, et nous doutons
fort que tous ceux qui les associent aient
préalablement examiné en quoi la
seconde découle de la première.
Quant à la nécessité de
la peine de mort, on en a fait un sujet
immense ; qu'il serait possible, selon nous,
de réduire considérablement.
On s'évertue à prouver (ce qui n'est
pas difficile) qu'un criminel est aussi incapable
de nuire entre quatre bons murs que dans la
fosse ; on démontre sans plus de peine,
que Rousseau va trop loin quand il dit, en parlant
de la société et du criminel :
il faut que l'un des deux
périsse.
Mais, si nous avions à traiter cette
question, ce n'est pas sur ce terrain que nous
accepterions la lutte. De ce que la
société peut vivre, à
la rigueur, sans que le criminel périsse, il
ne résulte pas nécessairement que la
vie du criminel doive être conservée.
Non, ce n'est pas simplement de vivre et de
se garantir qu'il s'agit ; ce n'est
même pas non plus de punir un
misérable ; c'est de donner aux lois et
à la nature outragées une haute et
solennelle satisfaction, satisfaction dont la
convenance et la nécessité n'en sont
pas moins réelles bien qu'on ne puisse les
démontrer par des chiffres.
Un emprisonnement n'atteindra jamais ce but. Vous
aurez beau y joindre, comme on le propose,
l'exposition publique et la cérémonie
du glaive passé sur la tête : le
pouvoir des cérémonies va diminuant
de jour en jour, et quand même (ce qui est
plus que douteux) vous
parviendriez à faire de la
vôtre quelque chose de sérieux et
d'effrayant, jamais vous ne nous ôterez
l'idée pénible, que votre
législation ne met aucune véritable
différence entre le meurtrier et le
délinquant de police correctionnelle ;
« Pour moi., disait un bon vieillard, en
parlant de l'exécution d'un parricide ;
je n'ai jamais été voir guillotiner,
et je n'irai jamais ; mais je respire plus
à l'aise quand je sens que de pareils
monstres sont morts. »
Ces paroles, nous les avons entendues, et le
sentiment qu'elles expriment, un plus naturels et
des plus universels qui existent, nous paraît
la plus forte preuve de la nécessité
d'une sanction capitale.
IV : Parmi les inconvénients que
l'on reproche à la peine de mort, les uns
n'existent pas ; les autres sont
inhérents à toute espèce de
peines ; la plupart enfin peuvent être
effacés ou réduits.
1° La peine de mort n'admet pas de
degrés.
Vice monstrueux quand elle est
prodiguée ; en Angleterre, par exemple,
où elle frappe également le vol d'un
mouton et l'homicide. Mais, sur un nombre
quelconque de criminels, si le moins coupable l'est
encore assez pour mériter clairement et de
l'aveu de tout le monde la peine qu'il va subir,
où est l’injustice ?
D’ailleurs, là détention
perpétuelle (ou tout autre maximum de peine
en remplacement de la mort) présenterait le
même inconvénient : là
aussi, il n'y aurait plus de degré.
2° C'est une arme terrible entre les mains
d'un mauvais prince ou un peuple en
révolution.
Mais de quoi n'abuse-t-on ? Toutes les lois,
tous les préceptes ont enfanté des
injustices et des folies.
On parle de tyrans : les cachots de la
Bastille sous Louis XI ; les plombs de Venise,
les oubliettes de l'inquisition, tant d'autres
lieux ; d'où on eût
été heureux de sortir pour aller au
supplice, montrent assez qu'un despote aura
toujours les moyens d'être cruel, quand
même (ce qui est peu probable) il ne
relèverait pas l'échafaud.
On parle de peuples en démence ; mais
le supplice, dans ces moments affreux. ne peut plus
s'appeler la peine de mort : c'est un
assassinat.
L'arme est dangereuse, comme vous le
dites ; mais, quoi qu'on
fasse, la main qui voudra s'en servir saura bien
toujours la retrouver sous une forme ou sous une
autre. Ce n'est pas en l'arrachant des mains de la
loi que vous rendrez désormais impossibles
les horreurs qui ont souillé notre
histoire ; c'est en éclairant, en
moralisant les peuples, et surtout en leur faisant
accepter peu à peu le joug salutaire d'un
christianisme pur et relevé ;
3° Convenez cependant, nous dit-on, que la
peur de mort crée ou entretient chez les
peuples un certain instinct sanguinaire.
Ne confondez pas le fond et la forme, la peine de
mort et l'exécution publique. Il n'est
certes pas besoin d'une sensibilité bien
vive ni d'une haute noblesse de sentiments pour
comprendre ce qu'a de hideux l'empressement de la
foule autour d'une tête qui tombe ; mais
presque tous les partisans de la peine de mort se
prononcent aujourd'hui contre la publicité
de l`exécution.
Il y a longtemps que l'on propose une
demi-publicité, qui, sans augmenter les
angoisses du patient, frapperait les esprits d'une
religieuse terreur. La foule pourrait contempler au
milieu de son lugubre cortège le malheureux
qui marche à la mort ; mais elle ne
verrait pas tomber sa tête. Elle se
presserait autour d'une enceinte
funèbre ; ses yeux ne seraient
frappés ni des horribles frayeurs de
certains coupables, ni de l'effronterie cynique de
certains autres ; mais son imagination,
violemment ébranlée, assisterait au
drame sanglant, et le tintement d'une cloche, ou
seulement un drapeau noir, lui en annoncerait le
dénouement.
Nous pensons, du reste, qu'on exagère les
mauvais effets de l'exécution publique.
Autour de l'échafaud, nous l'avouons, se
presse toujours un cercle plus ou moins
épais de gens qui viennent là comme
au théâtre ; mais l'immense
majorité des spectateurs est
profondément émue, car ils sont
accourus presque tous, bien moins par
curiosité réelle, que pour pouvoir
dire qu'ils ont vu. Autre chose est, d'ailleurs, de
s'habituer à voir de sang froid tomber une
tête, et de prendre soi-même du
goût pour l'assassinat. Depuis l'abolition de
la torture, la cruauté des bourreaux
est un mot vide de sens ; leur
ministère se réduit à
lâcher une détente, et encore n'est-il
pas rare qu'on les voit détourner les
yeux.
L'exécution, dîtes-vous, est au fond
un meurtre, et la vue d'un meurtre ne peut
être que funeste. Mais si le peuple sait que
ce meurtre expie un meurtre, si le condamné
ne périt que pour avoir fait périr,
le remède n'est-il pas à
côté du mal ?
Et quant à la monomanie homicide, cette
horrible folie qui fait commettre le meurtre sans
intérêt, sans haine et par un
déplorable instinct d'imitation, ce n'est en
général pas la vue du sang des
criminels, mais le récit ou la vue des
crimes qui la fait naître
Nous avons trouvé partout de
singulières exagérations sur le
compte du bourreau. Qu'une populace ignorante
l'abhorre, cela se conçoit, il serait
fâcheux même qu'un bourreau fût
complètement à nos yeux. un homme
comme les autres.
Mais que des gens nous en fassent un Paria et une
espèce de monstre, c'est ce qui a droit de
nous surprendre dans un siècle où
l'on dit. tant que la profession n'avilit pas
l'homme, La sienne est de tuer quand on lui
dit : tue ; n'est-ce là
aussi celle du Soldat ? et pourtant,
malgré leur juste horreur pour la guerre,
ces mêmes hommes qui attaquent si vivement le
bourreau sont bien loin d'appeler infâme tel
soldat ou officier qui a tué dans sa vie
plus d'hommes, peut-être, que tous les
bourreaux du royaume.
On ferait un livre des contradictions
amassées sur ce sujet et sur bien d'autres
dans la question de la peine de mort.
4° La justice humaine peut se tromper, et
la peine de mort est irréparable.
On nomme des victimes. Plût à Dieu
qu'il y en eut moins ! Mais qui nommerait, qui
pourrait compter tous les criminels dont la
culpabilité ne souffre pas le plus
imperceptible doute ! Deux sur mille (on l'a
calculé), tel a été en France,
depuis le commencement de ce siècle ;
le nombre des condamnés dom l’innocence
a été reconnue ou
soupçonnée trop tard. Au lieu de
deux, mettons quatre ; ajoutons six pour ceux
dont l'innocence n'aura pu se faire jour ;
nous aurons dix sur mille, ou un sur cent, et les
progrès de l'administration judiciaire,
joints à l'inspection toujours plus
rigoureuse du public sûr les magistrats,
diminuent de plus en plus les chances d'erreur.
Reste donc à savoir si une proportion
aussi minime (et nous croyons
l'avoir amplement exagérée), doit
balancer tout ce que nous avons dit et tout ce
qu'on peut dire en faveur de la peine de mort. Nous
déplorons autant que personne les erreurs
sanglantes de la justice humaine, mais nous ne
pensons pas qu'elles doivent entrer en compte dans
l'examen rationnel et théorique de cette
peine ; car, au moment que la
société la croit nécessaire et
l'adopte, un innocent frappé par hasard au
milieu de tant de coupables, c'est un citoyen qui
périt pour les lois et la paix de sa patrie.
« Mais son dévouement n'est pas
volontaire, et sa mort est
affreuse. »
Oui ; mais si vous admettez l'âme
immortelle et une compensation future des maux de
la vie, qu'est-ce qu’un supplice non
mérité, sinon une épreuve plus
dure, il est vrai, que beaucoup d'autres, mais dont
le plus juste des juges saura bien
dédommager la victime ?
Malheur, sans doute, mille fois malheur au juge
dont la sacrilège insouciance laisserait
à Dieu le soin de corriger dans l'autre vie
des arrêts témérairement
prononcés l Mais s'il y apporte autant
d'attention et autant d'humanité que
possible, qu'il prononce sans crainte :
irréparable sur la terre, la peine de mort
ne l'est pas dans le ciel.
CONCLUSION.
La peine de mort doit
être maintenue.
Puissent les progrès de l'instruction morale
et religieuse des peuples rendre de plus en plus
rares les occasions de ces terribles
exemples ?
Puissent-ils disparaître un jour avec les
crimes qui les appellent !
Voilà comment nous
entendons l'abolition de la peine de mort.
Dans ce sens, c'est le plus ardent de nos
vœux, et nous sommes heureux et fiers d'un
ministère qui nous appelle à y
contribuer.
FIN.
(Source:
Google)
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