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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



L'ORAISON DOMINICALE
Considérée comme un résumé du christianisme

ATHANASE COQUEREL

l'un des Pasteurs de l'Église réformée de Paris

 1850


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VI

LE DOUBLE PARDON DES OFFENSES

 Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. (Saint Matthieu, VI, 12.)

Mes FRÈRES,
Paix sur la terre ! Bienveillance envers les hommes ! Voilà les premiers articles de la seconde alliance, les premières promesses du Christianisme ; voilà, dès la Nativité, les premiers mots de cette langue nouvelle que l'Évangile venait apprendre aux hommes à parler entre eux et avec le ciel. Il est simple et naturel que l'Évangile commence ainsi : le Christianisme tout entier n'est qu'un système, un principe, un moyen, un enseignement de réconciliation et de paix, et c'est changer les termes, non les idées, que de le donner pour une loi de progrès : l'homme est un être aimant ; son progrès est impossible sans l'amour.

La réconciliation chrétienne, la paix chrétienne est double, pour ainsi dire : elle embrasse la réconciliation des hommes et de Dieu, et celle des hommes entre eux : l'une ne peut se fonder, se concevoir même sans l'autre. Si Dieu est le Père commun des hommes, si l'humanité ne forme qu'une famille, la paix entre les enfants et leur Père céleste et la paix de tous ces Frères entre eux sont inséparables et n'en forment qu'une. Aussi, Jésus a donné la sanction de son autorité infaillible et divine à cette féconde et salutaire pensée, que l'amour de Dieu et celui du prochain vont de pair et que de ces deux commandements le second est semblable au premier.

Sortie d'une bouche humaine, cette leçon eût semblé trop hardie ; les esprits d'une tendance mystique et d'une piété contemplative l'auraient accusée de dégrader l'amour dû à Dieu et de mettre le Créateur au niveau de la créature. Mais quel croyant peut contester contre le Christ le taxer d'exagération et refuser de tenir pour certain ce qu'il enseigne ? C'est donc une vérité acceptée, une vérité acquise au procès de l'égoïsme et de la charité, que nul ne peut aimer Dieu ou le prochain sans les aimer tous deux, et que de ces deux amours, l'un vaut autant que l'autre.

L'antiquité juive n'avait offert au monde qu'un premier aperçu de ces divins enseignements, qu'une première lueur de ces divines lumières, quoique le plus admirable, le plus touchant et même le plus long récit du premier livre sacré soit le récit d'un pardon ; et ce qui suffirait à montrer combien l'économie mosaïque était insuffisante et l'alliance nouvelle nécessaire, c'est que toute l'antiquité païenne (ainsi que le cours de cette étude nous a déjà fourni occasion de le reconnaître) avait fondé et sa religion et sa morale sur un principe bien différent, l'égoïsme, qui était censé régner dans l'Olympe, et qui, dès lors légitimé, régnait en maître sur la terre. Ne calomnions pas l'antiquité païenne. On y trouve de tout, grandeur d'âme, force d'esprit, fermeté de coeur, génie, patriotisme, désintéressement, magnanimité ; on y trouve même, en cherchant bien, l'idée du progrès ; on y trouve l'amour de la gloire, l'amour du beau et du juste ; mais, hélas ! que l'on y trouve peu de véritable amour !

Les anciens ne savaient pas aimer... Quelle distance de leur amour du concitoyen, restreint en des bornes si étroites, appuyé sur l'esprit de caste, sur l'orgueil héréditaire, sur la garantie mutuelle de privilèges exorbitants, à l'amour chrétien du prochain !
Quelle distance aussi du culte spirituel de gratitude, de confiance et de tendresse que nous offrons, à ce culte des religions de l'antiquité, toujours intéressé et toujours effrayé, dont le but constant est ou d'apaiser les dieux ou d'épier et surprendre leurs secrets ! L'égoïsme domine tout dans l'antiquité, et pour commencer à le désarmer, il a fallu, à côté de leçons sublimes, des exemples équivalents ; pour enseigner au monde la paix et l'amour, il a fallu l'amour de Christ ; pour enseigner le pardon des offenses, le dévouement, le sacrifice, il a fallu les pardons et le sacrifice de la croix.

Le principe de la réconciliation, base et but de la Religion chrétienne, est consacré dans l'Oraison Dominicale. La prière du Seigneur, au point de cette étude où nous sommes parvenus, vous a déjà offert un simple et magnifique résumé des premiers et des principaux traits du Christianisme ; de ce résumé, la morale proprement dite, la morale pratique, considérée dans ses fruits, ses périls, ses combats, ses victoires, ne pouvait être absente, et en effet les dernières demandes portent d'abord sur les péchés commis dont le pardon est encore à obtenir, ensuite sur les péchés à venir dont l'occasion même est à éviter.

Et ce principe de la réconciliation, qui est à la fois la plus grande leçon et la plus grande espérance de la morale chrétienne, Jésus lui donne pour garantie et pour consécration le besoin du pardon divin, le désir du salut éternel. Pardonne-nous nos offenses !... voilà la réconciliation et la paix entre nous et notre Père céleste ; mais cette paix, Jésus l'a liée par une attache indissoluble à la paix des hommes entre eux ; il fait dépendre l'une de l'autre, en nous obligeant à dire : Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés !

Le texte, sans que je m'arrête à discuter des variantes de traduction qui n'entraînent nullement des différences de sens, m'appelle à examiner ces deux idées : nos offenses envers Dieu et celles de nos frères envers nous.

I. Pardonne-nous nos offenses !...
Pour tenir utilement ce langage, pour adresser avec sincérité celte prière, il faut qu'au fond du coeur d'où elle sort il y ait confession, repentir, amendement.

Confession : l'Évangile, à un point de vue, est un acte d'accusation divinement porté contre l'homme ; l'Évangile a pour point de départ le fait et le sentiment du péché, c'est-à-dire l'antique et déplorable souvenir d'un pas en arrière, d'un changement dans la condition morale et religieuse de l'humanité, d'un passage funeste du bien au mal, du vrai au faux, et la reconnaissance intime et personnelle qu'à cet état de péché chacun de nous a participé, que nul n'a fait en sa vie les progrès qu'il aurait pu faire, que nul n'est aussi bon et aussi éclairé qu'il pourrait l'être, que nul ne s'est plu toujours dans la vérité, la vertu et la religion. Le reconnaître et le confesser, non vaguement pour l'humanité en grand, mais pour son propre compte, est la première condition avant de dire à Dieu : Pardonne-nous nos offenses ; le nier, c'est se dire parfaits, on du moins assez justes, assez fidèles ; c'est contester contre Dieu, qui dans l'Évangile déclare tout homme convaincu de péché, et ceux qui le nient diront à Dieu autre chose, s'ils trouvent autre chose à dire ; mais ils ne peuvent dire : Pardonne-nous nos offenses !

Repentir : se confesser à soi-même ses fautes et n'en éprouver aucune repentance, c'est s'y enfoncer à plaisir et commettre une faute nouvelle ; c'est épaissir les ténèbres ; c'est agglomérer le mal. Une reconnaissance du mal sans regret du mal serait l'histoire de notre vie, mais non son amélioration, et que sert de revenir en arrière vers le péché, de repasser en idée par les chemins impurs suivis jusqu'alors, de compter ses iniquités une à une pour ne pas leur laisser même le nom d'iniquités et n'éprouver aucune tristesse à tous ces souvenirs de honte ?
Il y a là une contradiction flagrante qui déposera contre nous. Niez, s'il est possible, que le mal soit le mal, ou, s'il est possible, effacez votre part de mal des replis de votre mémoire, alors vous serez dispensés de le déplorer. Mais si le mal, par une illusion fatale, n'a pas pris pour vous l'apparence du bien, si Satan à vos regards ne s'est point déguisé en ange de lumière, donnez-lui son vrai nom, et si votre mémoire involontaire est remplie des témoignages de vos fautes, vous n'avez pas droit d'étouffer la tristesse de ces retours vers le passé ; soyez tristes de vos transgressions ; nourrissez dans vos âmes cette repentance pure et sincère dont saint Paul dit qu'on ne se repent point, et du sein de vos regrets pourra s'élever la prière : Pardonne-nous nos offenses !

L'amendement est la dernière condition de ce voeu, l'amendement qui n'est que le repentir devenu pratique, changé de sentiment en acte, et passant du fond de l'âme dans l'extérieur de la vie.
Je sais et je confesse que l'humanité, dans sa faiblesse, est continuellement sujette à cette triste forme du péché qu'on appelle les rechutes ; je sais et je confesse que le repentir le plus vrai au début et longtemps le plus actif, n'est pas encore un bouclier invulnérable contre les flèches acérées du mal.
Mais il n'en est pas moins incontestable qu'un repentir de paroles, de protestations, de gémissements, même de prières et qui expire ainsi ; qu'un repentir qui n'aboutit à aucun effort d'amendement, n'en est pas un.

Se repentir, c'est se corriger. Se repentir, et de propos délibéré retourner à ses fautes, et retomber en recherchant la chute, c'est se condamner. Pierre, après ses reniements, a commencé par les larmes ; il a continué par les aveux, les promesses, les oeuvres ; vous savez comment il a persévéré, ... et quand la prière : Pardonne-nous nos offenses ! est envoyée au ciel sans qu'aucune bonne résolution l'accompagne, elle retombe comme une condamnation sur la tête de celui qui l'adresse.

Cependant, après la reconnaissance et le regret du mal, après le retour vers le bien et le vrai, rien n'est détruit, rien n'est effacé des péchés commis, des mensonges acceptés durant le passé de nos jours ; ils sont toujours là devant nous, dans toute leur difformité et avec leurs suites menaçantes ; ils sont toujours là, ombre noire au milieu des splendeurs de la vie, barrière fatale entre Dieu et nous... Ce qui seul les efface et les enlève, ce qui les ôte avec le temps de notre vue, ce qui décharge nos coeurs de leur insupportable poids qui rendrait tout impossible, même la vertu et la religion, c'est le voeu exaucé de la prière sainte, c'est le pardon de Dieu.


II. Mes Frères, je ne connais rien dans le champ immense du Christianisme dont on se fasse une plus fausse idée que le pardon des péchés. Trompée par les images si répandues dans l'Évangile et qui ont passé naturellement dans la langue religieuse universelle, de tribunal et de jugement, de sentences et de châtiments, de récompenses et de couronnes, de sacrifice et d'expiation, la piété, dans sa candeur, prenant tout à la lettre, se figure que Dieu pardonne comme un souverain qui fait grâce au lieu de laisser appliquer la loi, comme un père qui se laisse fléchir au lieu de maudire et de déshériter, comme un juge qui accepte une victime et consent à frapper l'innocent pour le coupable. Il n'en est rien.
Écartez de vos esprits toutes ces illusions empruntées aux choses humaines, voyez le vrai ; voyez en grand ; voyez les réalités divines sous les mots et les images, et vous reconnaîtrez que le pardon ou le salut consiste en trois bienfaits immenses, inappréciables, immortels, qui tous les trois reposent sur ce principe dominant :
- les peines ne sont que les suites du mal ;
- les récompenses, les suites du bien ;
- le méchant se punit et emporte son enfer en son coeur ; le juste se couronne et garde son ciel dans le sien.

Jésus, notre divin Sauveur, notre Rédempteur exalté, intervient à chacune de nos réconciliations avec Dieu, pour que le pardon céleste, trop matérialisé par les pompes du mosaïsme, conserve en nos âmes et dans notre vie ce caractère spirituel qu'il lui a rendu ; et Dieu, juste juge, intervient comme dans le gouvernement général du monde par sa providence, qui comprend sa justice.

Tout alors s'éclaircit.
Le pardon de Dieu consiste, d'abord, à adoucir pour nous les suites même temporelles de notre iniquité, à les rendre aussi peu amères que possible, à prévenir qu'elles ne corrompent sans ressource ce qui nous reste de bonheur. C'est là un des emplois les plus mystérieux de la Providence, un des actes les plus profonds de la sagesse suprême, souvent un de ses secrets les plus cachés. Et il ne faut pas moins que la sagesse qui sait tout, voit tout, combine et harmonise tout, pour suffire à ce soin, pour parvenir à ce but, pour faire jaillir le bien du mal, non pas seulement sur les témoins, les complices, les victimes du pécheur, mais sur le pécheur lui-même, quand il s'est repenti et corrigé...

Voyez-vous ce berceau royal déjà recouvert de deuil où vient d'expirer le malheureux fruit d'un perfide et sanglant adultère ; et se relevant du milieu de ces larmes, ce monarque, que les facilités de son despotisme orientaient conduit jusqu'au crime, et qui déploie une ardeur, une sincérité de repentance égale à la perversité de sa faute...
Cette mort si prompte, ce dernier soupir si voisin du premier, est, dans les vues de cette Providence qui dispose même pour les enfants des dédommagements de l'éternité, un adoucissement aux suites cruelles de ce forfait dont toute la fin du règne de David a été empoisonnée ; au moins, il n'a pas vu souffrir avec lui ce malheureux enfant, dont la vie n'aurait été qu'un long tourment et un prétexte continuel aux discordes domestiques et aux factions civiles...

Mes Frères, la mort vaut quelquefois mieux que la vie, même pour les survivants...
Et sur celle croix d'ignominie voisine de celle du Sauveur, expire un malfaiteur qui, pour suites de ses iniquités, s'est préparé, s'est choisi pour ainsi dire la mort la plus horrible ; mais il s'est repenti avec une force de volonté qui a été divinement reconnue, et la Providence, dans ses voies impénétrables et imprévues, fait coïncider sa mort avec celle de Jésus et dresser sa croix assez près de celle du Sauveur, pour que sa voix défaillante soit entendue par le Christ, qui lui accorde la promesse de l'éternel salut...
Quel adoucissement à cette mort, horrible suite de ses fautes ! De ces grands exemples, revenez à vous-mêmes, et soyez persuadés que lorsque, repentants et contrits, vous ne souffrez pas des résultats de vos transgressions comme vous pouviez en souffrir, il y a là une grâce de Dieu, le premier trait, le premier signe du pardon.

Ce sont des preuves prises dans la mort que je viens d'alléguer ; mais quand le pécheur a devant lui de longs jours encore, Dieu (c'est le second caractère du pardon divin) lui envoie des occasions, lui fournit des moyens de réparer ses fautes.

Pécheur, mondain, indifférent, impie, il s'est fait à lui-même le mal que devaient entraîner ses erreurs, et il a fait à d'autres celui que devaient causer ses exemples ; mais il s'est repenti, il s'est corrigé : la Providence lui vient en aide et suscite autour de lui des circonstances telles qu'il peut servir utilement la sainte cause du devoir et de la vérité, livrer avec succès le bon combat dans son intérêt et dans celui de ses frères, augmenter leurs vertus, leurs lumières, leur piété avec les siennes, travailler ainsi à leur bonheur comme au sien, et réparer, racheter le mal autant qu'il se répare en ce monde.
Pierre a renié lâchement trois fois, et que de courage il a su enseigner, lui si timide un jour ! Que de fidélités il a su fonder dans les coeurs, lui un jour si infidèle !...
Paul a cruellement persécuté les Églises naissantes, et dans le sang de ses persécutions il en a fondé des milliers ! Paul a complaisamment gardé les vêtements des bourreaux du premier martyr ; il se reposait ainsi, en attendant le sien.

Ces deux premiers traits du pardon sont du monde et du temps : il reste le ciel, il reste l'éternité, et le dernier trait qui reste, c'est le salut céleste, le salut qui arrête sur la limite de notre patrie actuelle les suites de nos transgressions, le salut qui consiste en une réconciliation immédiate, divine, éternelle entre Dieu et nous ; mystérieuse harmonie que notre amour de Dieu, notre admiration, notre gratitude, notre confiance, tels qu'ils se produisent dans cette vie, ne représentent qu'imparfaitement ; mystérieuse sécurité contre l'erreur, contre le mal, contre la souffrance et le deuil, que nous ne pouvons dès maintenant nous figurer assez vivement, non pour y croire, mais pour l'anticiper et en jouir trop tôt.

Mes Frères, ne soyons ni surpris ni inquiets de notre ignorance. S'unir à Dieu par la pensée, par la prière, par la foi, est un état de l'âme dont, entre nous, ici bas, on ne peut donner l'idée à ceux qui n'en ont point l'expérience et l'usage : quoi de surprenant que l'union de Dieu et de ses élus, de ses fidèles, sans cesse resserrée, sous les conditions de l'existence immortelle par la médiation du Sauveur, soit un composé de secrets ineffables dans la langue des hommes ? L'ignorance, ici, n'enlève rien à la certitude Nous ne pouvons douter des torrents de délices qui coulent aux célestes demeures ; mais pour les connaître, il faut s'y abreuver.

III. Voilà le pardon de Dieu, tel que Jésus est venu l'apporter parmi nous, tel que du sein de sa gloire éternelle et divine il l'offre, il le dispense à ce monde de péché ; son oeuvre de charité et d'amour, scellée du sacrifice de la croix et du triomphe de sa résurrection, a consisté précisément à spiritualiser à ce point le pardon, à le replacer sur ses bases de liberté morale et à rétablir ainsi l'union de Dieu et de l'homme par la miséricorde et par la sainteté, par l'amour et le progrès ; son règne à la droite du Père consiste à le maintenir ; son jugement consistera à le manifester devant l'humanité entière...
Voilà ce que vous demandez en disant : Pardonne-nous nos offenses !

À
cette prière, comment Dieu répond-il ? Quelle garantie avez-vous d'une réconciliation en partie si mystérieuse ? Dieu a-t-il un gage à vous donner ? Oui, mes Frères ! c'est au fond de vos consciences que Dieu vous répond, et le gage qu'il vous donne, c'est la paix du coeur. Il est admirable que ces grandes promesses, ces grandes confiances qui font partie intrinsèque du Christianisme et qui, par leur côté divin, sont si loin de nous, se rapprochent de nous instantanément à l'aide des lumières, des réponses, des attestations de nos consciences ; tant il est vrai que le Christianisme, si divin dans sa partie divine, est conforme à notre coeur !

Quand on est réconcilié, on le sent, on le sait ; la paix ne peut pas être en nous à notre insu ; on ne se fait pas d'illusion sur le point de savoir si l'on est en paix ou en guerre avec Dieu, et il y a contradiction, mensonge, folie, à parler de réconciliation, quand on n'éprouve rien de la joie, de la sécurité, du calme délicieux et profond qu'une réconciliation inspire ; mais, en revanche, si on les ressent, si on en fait l'expérience, si le coeur bat sous celte pression de bonheur, si les yeux se baignent de larmes sous l'étreinte de ces émotions, douter de son pardon, c'est douter de soi-même ; c'est douter du Sauveur ; c'est douter de Dieu, et mettre un enfer de notre invention à la place du ciel qu'il nous promet et nous entrouvre.
Pierre était certain de son pardon quand il disait au Christ : Tu sais toutes choses ; tu sais que je t'aime !... Au même prix, vous serez certains du vôtre.

IV. La paix de Dieu et du monde n'est qu'une moitié du Christianisme ; son autre moitié, c'est la paix des hommes entre eux ; notre divin maître les a rattachées l'une à l'autre et scellées en un tout inséparable par l'obligation qui nous est faite de dire, non pas seulement : Pardonne-nous nos offenses, mais d'ajouter : comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.
Que celui donc qui prononce les premiers mots de cette demande, songe aux derniers et se mette en état de les proférer à leur tour !

Ce qui s'oppose le plus à la paix entre les hommes, c'est l'esprit de vengeance. L'envie est plus rare, a souvent honte d'elle-même, vit de peu, se cache et se change quelquefois en une admiration, involontaire peut-être, mais qui calme et désarme ; la concurrence, souvent, n'enfante que l'émulation ; la colère a des retours soudains qui la convertissent en pitié ; elle ne se prépare pas et s'use promptement ; l'égoïsme même peut ne point amener de discorde et se tenir à l'écart dans ses contentements sordides ; mais la vengeance, qu'elle soit penchant du coeur ou préjugé de l'esprit, instinctive ou raisonnée, la vengeance est le plus fatal obstacle à la paix ; elle est le dernier degré de toutes les autres passions, leur dernier résultat, leur dernier mot, leur but ; ce n'est pas seulement une animosité refoulée au fond de l'âme, une rivalité cachée dans les détours de la vie ; c'est la haine en pratique ; c'est la haine active, agissante, armée, souvent patiente, attendant son jour et à qui toutes les armes sont bonnes.

Son danger le plus fréquent est de naître d'un premier mouvement, de jaillir d'un seul bond. Que de vengeances auxquelles on ne pensait pas l'instant avant de les satisfaire, et dont on s'est étonné, désespéré même l'instant après !
Les passions qui demandent réflexion sont moins dangereuses que celles dont l'assouvissement est d'ordinaire instantané ; la vengeance tient des deux, tantôt s'amassant avec lenteur au fond du coeur qu'elle corrode, tantôt éclatant avec une méchanceté soudaine et alors irrésistible ; c'est un serpent sur le chemin qui tantôt s'élance, tantôt se tient à l'affût.
Son illusion la plus dangereuse, comme elle impose souvent des sacrifices, jette en des périls et souvent prépare de cruelles représailles, est de prendre un faux air de courage, de dignité, de grandeur d'âme, et vous savez à quel degré de folie le préjugé qui l'ennoblit a été porté et dans l'antiquité et de nos jours. Dans l'antiquité il a donné naissance à ce droit contre lequel Moïse a fait une de ses lois les plus ingénieuses, à ce droit effroyable du vengeur du sang, qui autorisait le plus proche parent de la victime à prendre sa place et à ravir la vie au plus proche parent du meurtrier, droit héréditaire qui éternisait la discorde et la haine et les faisait descendre de père en fils, de génération en génération, avec une tache de sang à chaque transmission.
De nos jours, c'est le même préjugé, devenu plus poli dans ses discours, plus élégant dans son allure, qui a donné crédit au système du duel ; le duelliste moderne est l'héritier direct du vengeur du sang des siècles anciens, héritier chrétien d'une atroce folie païenne, et quand on regarde de près à ce code régulier de la vengeance moderne, on n'y trouve, pour excuses, que les imperfections de la législation qu'il faudrait compléter, l'autorité de l'exemple, la force de l'usage, le respect humain, et pour principe, ce faux honneur qui déplace l'infamie, et, au lieu de la laisser au coupable de l'insulte, en rejette sans ombre de justice une part sur l'innocent qui l'a reçue...

Qui compterait les flots de sang que ces faussetés morales ont fait couler ? Qui compterait les larmes qu'elles ont fait répandre à des mères, des épouses, des enfants orphelins ? Et que sera-ce si, dans ce funèbre calcul, aux vengeances individuelles ou héréditaires, vous ajoutez tout ce qu'ont enfanté de maux et de deuils les vengeances nationales, les vengeances religieuses ?
Des tribus et des cités, des peuples entiers, des races entières, se prenant en haine constante et furieuse pour cause de voisinage, ou de diversité d'origine, ou de différence de couleur, et trouvant partout des prétextes de vengeance et de guerre, parce que le moindre accident de la vie ordinaire se traduisait en une mortelle offense ; et depuis que le spiritualisme chrétien a nécessairement enfanté des nuances opposées de doctrine, église contre église, secte contre secte, clergé contre clergé, se prétendant offensés dans leur culte en prenant fait et cause pour Dieu, entassaient guerre sur guerre et persécution sur persécution pour punir des torts que Dieu ne punissait pas.
Ainsi les fureurs chrétiennes ont répondu aux fureurs antiques ; la vengeance avait changé de masque sans changer d'arme ; la haine puisait dans l'Évangile même un prétexte de plus, et dans la chrétienté, tout était chrétien, au moins de nom, même la vengeance.

V. Notre divin maître, humble et doux de coeur, qui n'a jamais haï, mais qui savait combien, hélas ! le coeur humain est facile et prompt à haïr ; qui n'a jamais rendu que le bien pour le mal, et qui s'est laissé crucifier en priant pour ses bourreaux ; notre divin maître a voulu recommander et sanctionner l'oubli des injures et des torts d'une manière toute spéciale ; il a voulu mettre ce devoir hors ligne ; il a voulu le rattacher à notre prière la plus auguste et la plus accoutumée ; il a voulu que ce devoir en fût inséparable ; il a voulu que tous ses disciples fussent forcés de dire à Dieu : Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés !

Mes Frères, votre pardon par Dieu dépend ainsi du pardon de vos frères par vous-mêmes, et comme le pardon des offenses est le secret de la paix du monde, il est aussi le moyen et le gage de la paix du monde et de Dieu.

Ah ! c'est que tous nous sommes offenseurs et offensés. Je vous parlais du vengeur ancien, du duelliste moderne, des haines héréditaires, nationales, religieuses. Écartez de vos esprits ces vieux souvenirs et ces vastes fureurs ; revenez à votre vie privée. Nous sommes tous, dans toutes les nuances de nos conditions, tellement pressés les uns contre les autres dans ce monde ; les chemins sont si étroits, les avenues vers toutes choses si gardées, et la foule est si grande ; il y a de tous côtés tant de rencontres et tant de rivalités et de froissements, tant de ménagements à garder et tant de mécomptes à subir ; il y a tant de moyens d'humiliation pour s'humilier mutuellement ; nos intérêts divers sont tellement enchevêtrés et croisés de mille façons et varient d'un point à l'autre avec une rapidité si décevante, que chacun a subi et fait subir quelque offense, quelque dommage, quelque chagrin...

Que nous restera-t-il d'amour chrétien au coeur et de charité chrétienne dans la vie, si nous ne savons pas mutuellement nous pardonner, s'il faut relever toutes ces injures qu'on s'inflige mutuellement par trop de promptitude de parole, d'acte ou de décision ?
Changez alors ce monde en une arène où le plus fort et le plus habile auront seuls raison, où la lutte sera sans trêve et sans fin ; mais alors ne parlez plus d'Église chrétienne ; vous n'avez plus de dieu que l'égoïsme, la haine, la vengeance, et ce dieu-là, l'Évangile de Jésus n'enseigne pas à le prier.

Non, c'est le Dieu qui veut pardonner et qui, pour pardonner à ses enfants, exige qu'ils se pardonnent entre eux, c'est le Dieu de clémence et d'amour que l'Évangile enseigne à prier, et Jésus ayant rattaché d'une manière inséparable l'intérêt de votre salut éternel au devoir de l'oubli des injures, il en résulte qu'il n'y a que deux prières à adresser :

Pardonne-moi mes offenses, comme j'ai pardonné à ceux qui m'ont offensé ; j'ai oublié leurs fautes envers moi, leurs fautes de justice, de protection, de pitié, de reconnaissance ; oublie mes fautes envers toi ; traite-moi, au jour du jugement, au seuil de l'éternité, avec autant de douceur que j'ai traité pendant ma vie mes rivaux, mes envieux, mes ennemis, mes persécuteurs ; efface de ton livre mes transgressions, comme j'ai effacé leurs injures de mon coeur. O Dieu ! j'ai pardonné, pardonne-moi !

Chrétiens, refusez-vous d'adresser cette prière ?.. Dès lors, voici la seule qui vous reste ; voici celle que vous préférez :

O Dieu ! souviens-toi de mes offenses, aussi fidèlement que je me suis souvenu des offenses reçues de mes frères ; traite-moi dans la justice comme je les ai traités selon la mienne ; je n'ai point pardonné, ne me pardonne point ; je me suis vengé, venge-toi sur moi à ton tour, et puisque j'ai haï, ô Dieu ! prends soin de me haïr.

Chrétiens, devant l'alternative de ces deux prières, tout chrétien est placé.
Je vous renvoie à vous-mêmes pour ce choix inévitable, et je vous déclare que vous cherchez en vain un prétexte pour y échapper, un prétexte pour vous venger et haïr en sécurité. Christ a pris soin de ne vous en laisser aucun.
Ne dites pas : On m'a trop grièvement offensé, et je fais une exception... Grièvement !... et vous, comment avez-vous offensé Dieu ?...
Ne dites pas : On a trop oublié et ma supériorité et mes bienfaits... Et vous, quelle supériorité avez-vous devant Dieu ? Tous ses bienfaits, comment les avez-vous reconnus et employés ?....
Ne dites pas : Je pardonne ; mais je me tiens à distance et je m'éloigne sans retour de celui qui m'a outragé... Et vous, si Dieu s'éloignait ainsi de vous !...
Ne dites pas enfin : J'oublie, mais au moins je ne suis pas tenu de rendre le bien pour le mal... Et vous, si Dieu ne vous rendait pas le pardon après l'offense, mais au contraire, après l'offense, la vengeance et la condamnation !...

Mes Frères, vous chercherez en vain, il n'existe pas de troisième prière à offrir ; choisissez donc la bonne part qui ne vous sera point ôtée ; ne vous condamnez pas vous-mêmes ; n'implorez point sur vos têtes la vengeance divine chaque fois que vous proférez la prière du Seigneur ; fondez les réconciliations futures du Ciel sur celles de la terre... Pardonne !... Voilà la paix du Ciel !...
Pardonne comme nous pardonnons ! Voilà la paix de ce monde. Faites que l'une vous conduise à l'autre, et qu'il vous soit beaucoup pardonné, parce que vous aurez beaucoup aimé.




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