Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



L'ORAISON DOMINICALE
Considérée comme un résumé du christianisme

ATHANASE COQUEREL

l'un des Pasteurs de l'Église réformée de Paris

 1850


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IV

LA VOLONTÉ DE DIEU

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! (Saint Matthieu, VI, 10.)

MES FRÈRES,
En étudiant l'Oraison Dominicale comme un résumé de la nouvelle alliance et de la Religion chrétienne, on est naturellement amené à se demander si la grande doctrine de l'immortalité y tient assez de place. Il est très remarquable que la prière du Seigneur n'y fasse allusion qu'indirectement, et il est essentiel de rechercher pourquoi notre divin Maître a pensé que c'était assez.
On peut être simple philosophe, sans croire à une vie future ; chez tous les peuples, on trouve une philosophie plus ou moins florissante selon l'esprit du temps, qui consiste à douter d'un avenir. Les conséquences de cette triste doctrine ne vont pas, en dernière analyse, à nier la sagesse de l'homme, mais à la renfermer entre les mêmes bornes que son existence, entre deux barrières de pure matière, entre deux néants : l'un qui précède la naissance, l'autre qui suit la mort, et qui laissent pour témoignage de nullité un peu de pourriture et des vers qui la dévorent.

On peut aussi, sans croire à une vie future, être simple moraliste. Si l'effort de raisonnement, ou pour mieux dire de sophisme, est plus pénible, il est facilité par le point d'honneur d'éviter l'aveu qu'on professe une doctrine, non seulement irréligieuse, mais perverse. C'est une morale, il est vrai, sans garantie, sans sanction, sans jugement ; une morale de pure convention, qui ne vient pas du ciel, puisqu'elle n'y retourne point ; une morale froidement abstraite, qui a l'amour-propre et l'intérêt pour bases ; à tout prendre, néanmoins, c'est une morale, et avec quelle intrépidité de confiance en leur honnêteté on entend certains hommes prétendre qu'ils n'ont pas besoin d'être immortels pour vivre en honnêtes gens !

Bien plus ; on peut être simple déiste, sans croire à une vie future. Le Dieu qu'enseigne le déisme est tellement une abstraction de l'esprit, sans miséricorde et sans amour, que ses adorateurs, quand il en a, osent à peine le nommer : Notre Père ! et ne sont ni forcés ni enclins à ajouter : qui es aux deux !
Comme ils l'enseignent plus qu'ils ne le prient, ses adeptes sont conduits à s'occuper de son infinité plus que de son amour, et s'ils acceptent l'idée d'une création positive, il leur importe peu et il n'importe pas davantage à leur dieu indifférent qu'elle ait été faite pour le temps, pour quelques années, pour quelques jours, ou pour toute une immortalité.

Mais il est impossible d'être chrétien sans se croire immortel. L'immortalité forme partie intrinsèque et constitutive de l'Évangile, au point que si vous croyez à votre propre néant, vous êtes obligé d'y jeter, pour ainsi dire, votre Christianisme tout entier.

Voilà pourquoi l'Évangile ne raisonne sur l'immortalité de l'âme que pour dissiper quelques grossiers préjugés ou juifs ou païens, et la présente partout comme un point de fait mis au-dessus de tout doute, comme une évidence dont il y a parti pris d'être convaincu. C'est là un premier motif qui explique pourquoi une allusion à la vie du ciel suffisait dans la prière du Seigneur. Si vous ne comptez que sur l'avenir du sépulcre, cette prière vous est inutile, comme le Christianisme.

La simple attente d'une autre vie n'est pas assez et ne rend point le Christianisme possible dans notre âme : il reste à savoir ce que sera cette immortalité, et sous l'empire de tous les cultes, l'idée qu'on s'en est faite a toujours été proportionnée à la Religion même ; incomplète et vide où la Religion n'était qu'un embryon religieux de ces doctrines primitives qu'on retrouve partout dans l'esprit des races les moins avancées ; sombre, dure, sanglante, où la Religion était empreinte d'un esprit de barbarie en rapport avec des moeurs guerrières et féroces ; amusante, joyeuse, impure, où la Religion, trop douce, enseignait le plaisir comme un dogme et n'ordonnait de rite que des orgies et des fêtes.

Le Christianisme est venu, et il a déclaré l'impossibilité de connaître parfaitement le ciel et de se représenter, du sein de l'existence actuelle, l'existence meilleure qui nous attend. Ce que nous serons un jour n'est pas encore manifesté, dit l'apôtre, et cependant la prière du Seigneur élève notre âme au séjour bienheureux et nous en donne l'idée la plus conforme à la sainteté de l'Évangile, à l'excellence de sa morale, à la grandeur de notre destinée et à la gloire de notre création et de notre rédemption ; le ciel, c'est un séjour où se fait la volonté de Dieu.

Mes Frères, n'est-ce pas assez vous en dire, même dans cette prière ?
Je vais essayer de vous le démontrer, et j'espère y réussir, sans m'écarter de l'ordre admirable que suivent les demandes de l'Oraison Dominicale. Du règne de la vérité elle passe au règne de la vertu ; car la volonté de Dieu, c'est la vertu, la fidélité, l'intégrité.

I. Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel !... Il y a donc des habitants dans le ciel ; le ciel n'est pas un désert ; le ciel n'est pas un monde inutile et vide, qui ne sert à personne, ou si vous voulez quitter la langue des images pour celle des réalités, tous les justes de tous les siècles, admirés ou inconnus pendant leur passage ici-bas, tous les morts qui sont morts au Seigneur, sont vivants ; seulement leur vie est devenue l'immortalité ; l'immortalité est pour eux une existence comme la vie en est encore une pour nous, et il y a un avenir après la mort comme nous en connaissons un après la naissance ; naître est un début, vivre est un commencement ; l'idée de commencement entraîne celle de suite, de prolongement, de continuation ; cette suite ne peut être qu'une vie qui succède à une vie ; seulement, ce prolongement se prolonge à l'infini, cette continuation est immortelle.

Et n'y a-t-il d'existence et d'immortalité que l'existence et l'immortalité humaine ? En d'autres termes, les hommes sont-ils seuls avec Dieu dans l'univers ?
Notre globe et notre ciel sont-ils les seuls astres qui soient une patrie ?
Le firmament n'entend-il résonner d'autres chants de louanges que des hymnes humains ?
Et ces mondes répandus avec tant de profusion dans l'espace, ces mondes que l'humanité ne peut suffire à peupler, n'ont-ils d'usage que d'envoyer de temps à autre quelques scintillements de lumière au fond de nos yeux ?... Qui le croira ? Qui peut vouloir diminuer à ce point l'univers, rétrécir à ce point la création ?
Non, ces globes lumineux, qui obéissent dans leur marche aux mêmes lois que le nôtre, servent de domicile à des enfants de Dieu, dont les conditions d'existence nous sont inconnues, c'est-à-dire (si vous voulez une fois de plus passer des images aux idées et aux faits) il y a d'autres intelligences, d'autres saintetés, d'autres affections, d'autres félicités que celles de Dieu et de l'humanité, et ces êtres, supérieurs à nous, doués de facultés plus éminentes que les nôtres, créés pour une existence qu'aucune mort n'interrompt, ces êtres dont la Révélation atteste l'existence et qu'elle nomme les Anges, ces êtres plus saints et plus purs que nous, nous attendent et seront nos concitoyens. Nous n'avons actuellement de relations qu'entre nous ; à la mort, ou pour mieux dire, à l'immortalité, non seulement ces relations reprennent, mais nous en contractons de nouvelles avec les Anges.

Ces pensées vous sont familières ; vous aimez à y revenir ; et qui n'y revient avec délice ? Il me souvient de vous les avoir proposées à divers points de vue ; le plus touchant est celui de l'Oraison Dominicale. Écartez de votre esprit toute poésie imprudente, toute spéculation téméraire, et sans rien laisser à l'arbitraire des hypothèses, serrons de près ces pensées pour mieux saisir les leçons qui en découlent.

Dans le ciel habitent donc les Anges et les justes ; les Anges, qui y ont été toujours, depuis l'époque, inconnue à notre chronologie mortelle, où le Créateur les a tirés du même néant d'où nous sommes sortis et les a placés en leur rang ; les justes, qui y sont parvenus à une immortalité de gloire. Quel sens donneriez-vous à cette demande de l'Oraison Dominicale, si la certitude de l'existence des Anges et de l'immortalité des justes n'est point reconnue ?
Ces habitants de la patrie future, ces participants de l'alliance immortelle, Jésus nous les donne pour modèles ; Jésus qui connaît le ciel et que nous pouvons en croire, Jésus nous déclare que dans le ciel ils font la volonté de Dieu.

Ils la connaissent donc ! car il faut la connaître pour la pratiquer.

Ils s'unissent ainsi à Dieu leur créateur et à Jésus leur roi ; cette obéissance est un lien.

Ils sont libres ; c'est-à-dire, ils emploient au gré de leur volonté les puissantes facultés dont le Créateur les a revêtus ; une obéissance morale ne peut être qu'un acte de liberté.

Ils font la volonté divine sans mécontentement, sans délai, sans diminution. Un murmure contre une loi parfaite est une révolte ; un délai en est une autre ; on est en état de rébellion pendant qu'on hésite ou qu'on diffère ; sans diminution, sans offrir une demi-obéissance : une loi parfaite n'a rien de trop, et retrancher du commandement pour retrancher de l'obéissance, c'est usurper sur le législateur et prendre d'autant sa place. Non, la docilité du ciel est entière ; la volonté de Dieu, c'est toute sa volonté ; ce ne serait point la faire que de la faire en partie.
Et de cette conformité persévérante de la volonté des Anges et des Saints avec celle de Dieu même résulte qu'ils sont heureux ; car il est contradictoire qu'un être, quel qu'il soit, puisse se rendre malheureux en faisant la volonté de Dieu. Il ne peut provenir que du bien de l'accomplissement d'une volonté toujours souverainement parfaite, et pour des êtres consciencieux et saints, dont la destinée est d'accomplir des commandements et des lois et de vouloir ce que Dieu veut, le bonheur est à ce prix.

II. Il m'était indispensable de faire passer devant votre esprit ces principes et ces faits, et il m'importe, avant d'aller plus loin, de vous amener à convenir que je les produis devant vous sans les défigurer par l'ombre même d'une exagération.
Toutes ces pensées sont implicitement renfermées dans cette demande de la prière du Seigneur, et celle demande, vous ne pouvez l'amoindrir, en baisser le niveau, en diminuer le contenu ; vous ne pouvez, par une lâcheté d'humilité, désirer moins que votre Sauveur ne vous ordonne de demander.
Pesez donc attentivement la solennelle grandeur de ce voeu, et ne craignez point de vous avouer à vous-mêmes qu'en chaque redite de l'Oraison Dominicale vous souhaitez (et ce voeu doit être aussi sincère et libre que tous les autres), vous souhaitez que la terre ressemble au ciel, la vie à l'immortalité ; vous souhaitez que les progrès de ce côté du tombeau répondent à ceux du côté immortel et céleste ; vous souhaitez que les hommes rivalisent avec les Saints et les Anges ; vous souhaitez que la volonté de votre Père se fasse, réellement et à la lettre, sur la terre comme au ciel... Il est dit que le tout de l'homme est de suivre les commandements de Dieu... Mes Frères, il est admirable que le tout de l'homme soit aussi celui des Anges et des Saints.

À ce point de notre méditation, à ce résultat de notre raisonnement, je vois de loin éclater les sourires de l'incrédule et du mondain ; ils se récrient contre la grandeur de ces pensées, et nous déclarent que les promesses chrétiennes sont des impossibilités ; ils se réjouissent que l'Évangile berce le monde de chimères et que le Christianisme, semblable à tant de systèmes humains, ne soit qu'une utopie.
Eh quoi ! nous diront-ils, vous croyez à la perfection dans le ciel et vous rêvez, en priant, cette perfection dans le monde ; vous voulez donc ravir à l'homme ses passions, pour ne lui laisser que des vertus, et vous croyez que ce temps viendra !... "

III. Mes Frères, quelque incertitude qui plane sur l'avenir de l'humanité, quelque longue que doive être la lutte du bien contre le mal, quelque éloignée que soit la victoire définitive, nous ne pouvons désirer moins, et rien ici ne ressemble à ces trompeuses utopies qui promettent le progrès dans un avenir donné, ne laissent rien mûrir, escomptent le temps d'avance et ne savent jamais le mettre de leur côté.

Quant au droit, ce qui est vrai du ciel, ainsi que je vous l'ai démontré, est vrai de la terre. Dieu, le maître souverain ; Dieu, le législateur parfait, ne peut exiger, s'il ne veut se contredire, qu'une parfaite obéissance ; il se détrônerait lui-même à exiger moins ; le législateur suprême peut-il abdiquer ou se démentir ?
Prescrire moins aujourd'hui qu'hier serait avouer qu'hier il prescrivait trop, il donnait trop à faire, et ce serait ravir toute sainteté, toute autorité à ses commandements.
Une loi morale, et surtout une loi divine, est positive, absolue, immuable, ou perd tout caractère de loi.

Si donc vous avez, vous les créatures morales de ce monde, le même maître que les Saints et les Anges, servez-le comme ils le servent ; si vous êtes soumis, vous ses sujets de cette existence, à la même législation qu'eux, obéissez comme ils obéissent, et que la volonté de Dieu soit faite sur la terre comme au ciel !

IV. Quant au commandement en lui-même, quel est le caractère de la morale de l'Évangile ?
Y trouvez-vous des accommodements avec nos passions mauvaises, des concessions à nos habitudes, à nos goûts d'iniquité ?
Jésus transige-t-il avec le péché ?
Distingue-t-il, comme les lois humaines, entre les petits et les grands préceptes ?
N'enseigne-t-il pas au contraire que, pour être fidèle dans les grandes choses, il faut l'être aussi dans les petites, et quand il donne en deux lois d'amour le sommaire de la loi, n'a-t-il pas soin de déclarer que le second commandement est semblable au premier ?
Citerez-vous un mot de l'Évangile qui affaiblisse l'idée sainte du devoir et qui admette avec cette idée un compromis ?

Non, vous trouvez dans l'Évangile une morale descendant, sans rien perdre de sa force et de sa pureté, aux plus minimes obligations de cette vie, aux plus intimes émotions de nos coeurs ; les paroles de nos lèvres, les regards de nos yeux sont réglés, et aussi, dominant sur le tout, liant dans un faisceau de sainteté toutes ces leçons, vous trouvez, couronnement divin de cette morale toute divine, l'ordre d'aspirer à être parfait comme Dieu est parfait, saint comme il est saint, et miséricordieux comme il est miséricordieux. Chrétiens selon l'Évangile, vous ne demandez donc rien de trop en souhaitant que la volonté de Dieu soit faite sur la terre comme au ciel.

V. Quant à l'accomplissement du voeu, elle a déjà, dans ce monde, été faite ainsi ; une fois, il est vrai, une fois seulement ; mais c'est assez pour prouver qu'elle y est possible, et c'est de cette preuve que le monde avait besoin. Jésus a accompli sur cette terre la volonté de Dieu comme elle s'accomplit dans le ciel ; Jésus a achevé toute la tâche qui lui a été donnée à faire, et il l'a achevée entre une crèche semblable à votre berceau et une croix de douleur semblable à votre lit d'angoisse ; il l'a achevée au milieu de circonstances et de conditions purement humaines, aussi humaines que celles qui font votre destinée, marquent votre place et marqueront votre tombe ; au milieu de faiblesses comme les vôtres, la faim, la soif, la fatigue, le sommeil ; au milieu de difficultés comme les vôtres, l'injustice, la calomnie, l'ingratitude, la haine ; au milieu d'une pauvreté comme la vôtre, car il n'avait pas de lieu où reposer sa tête ; au milieu d'amitiés et d'affections comme les vôtres, car il avait un ami et il a béni en mourant sa mère, sa mère à laquelle il avait été soumis et c'est ce Jésus dont il est dit que, semblable à vous en toutes choses, excepté le péché, il vous laisse un exemple, afin que vous suiviez ses traces, de sorte que celui qui croit en Christ doit vivre comme le Christ a vécu et se montrer encore conforme à lui dans sa mort.

Vous le voyez : appelés à la perfection, Dieu vous a donné un modèle parfait... O Dieu ! que cet exemple profite à tes enfants et que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel !

VI. Mais notre nature, direz-vous encore, notre nature faible, perverse, corrompue ; notre nature dégénérée par tant de siècles de péchés accumulés, par tant d'éclatantes leçons d'iniquité, par cette longue imitation successive de fautes que l'Écriture nomme la postérité du mal, notre nature peut-elle s'arranger d'une si haute aspiration, et devant un but si lointain, désespérant d'y atteindre, les hommes ne se lasseront-ils pas d'y marcher ?...
Il est vrai ; votre nature est pécheresse ; aussi le premier pas vers la perfection est la délivrance du mal, et j'aurai à revenir sur ces pensées en étudiant avec vous la dernière demande de la prière de Jésus ; j'aurai à vous montrer comment l'idée que l'homme est pécheur s'accorde avec celle de sa perfectibilité. Cependant votre nature même, malgré sa corruption, offre une preuve de plus que ce progrès est le seul à poursuivre dans vos efforts, le seul à demander dans vos prières.
Votre nature est pécheresse ; elle ne l'a pas toujours été ; l'humanité n'a pas commencé par le mal, mais par le bien ; par la honte, mais par la gloire ; par l'erreur, mais par la vérité ; vous n'avez pas été créés à l'image du démon, pour vous en aller vers lui ; vous avez été créés à l'image de Dieu, allez donc vers lui, c'est-à-dire vers la perfection ; sa voix vous y rappelle, parce sa volonté vous y destinait, parce que sa création vous en avait revêtus, et qu'ainsi en vous proposant ce but de l'accomplissement parfait de la loi, source d'une parfaite félicité, vous redevenez simplement ce que vous deviez être.

Dieu vous ramène à votre origine ; Dieu vous rend à vous-mêmes en vous rendant à lui, et c'est précisément parce que l'innocence est perdue qu'il faut que la sanctification soit atteinte...
O Dieu ! que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! car la création et la rédemption toujours se touchent, se tiennent, se supportent l'une l'autre et finissent par se confondre en une seule oeuvre de bonté et d'amour.

Aux premières pages de l'Écriture sainte, dans les premiers souvenirs de l'humanité naissante, nous voyons l'homme formé à la ressemblance de Dieu, se rapprochant sans cesse de son créateur et toujours en société, en relation intime avec lui ; dans les derniers enseignements de sa parole, dans les leçons définitives de l'Esprit saint, nous voyons l'homme aspirant à l'imitation de Jésus, et renouvelant en lui par cette imitation la ressemblance de Dieu dont Jésus est l'image...
Saint et sublime enchaînement de notre origine qui est le bien, de notre retour qui est un salut, et de notre destinée qui est le bien suprême, le bien près de Dieu et de Christ, le bien dans une existence de perfection et d'immortalité.

Entre deux, entre le péché qui nous arrête et le bien qui nous invite, entre le monde et le ciel, entre la vie présente et la vie immortelle, pour moyen de ce retour à Dieu, s'offre sans cesse comme un soutien et un appel, comme une espérance et une perspective, le voeu de la prière sainte : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel !


Tout n'est pas dit pour faire ressortir la grandeur de ce souhait de l'oraison du Seigneur ; il a une extension qui reste à vous signaler, dût votre piété s'inquiéter encore et craindre timidement de trop demander. Que ta volonté, est-il dit, soit faite sur la terre comme au ciel !
Sur la terre !... Le mot emporte avec lui l'idée de l'universalité. Où voulez-vous, en priant ainsi, que la volonté de Dieu se fasse ? Partout. Et, comme l'adoration, comme la vérité, il faut que la vertu devienne universelle. Le monde tout entier est compris dans votre désir ; il y aurait impiété comme foi et aussi comme charité à excepter un point du sol commun que le pied humain foule aujourd'hui. Vous ne pouvez dire à Dieu, le Père de tous : Seigneur, que ta volonté se fasse par toute la terre, excepté où demeurent ces races que je méprise, ces peuples que je hais, ces Églises qui ne sont point mon Église, ces familles de mes constants ennemis, de mes constants rivaux !... Vous ne pouvez parler ainsi ; car alors, à l'instant même où vous demanderiez que les lois de Dieu s'accomplissent, vous en violeriez d'une façon abominable la plus sainte de toutes, celle de la charité. .. En priant ainsi, vous priez pour tous, ou vous ne priez pas pour vous-même.

Oui, pour tous ! Le progrès peut être et doit être universel ; il n'y a pas, pour l'humanité, de vertus impossibles, ou ce ne sont point des vertus ; il n'y a pas de lois impraticables, ou ce ne sont point des lois.
Sur le chemin qui mène au ciel, qui mène à Dieu, tout homme peut marcher, et il y marchera d'autant mieux s'il brise, en passant, de sa main libre et tranquille, toutes ces barrières prétendues saintes, que le fanatisme et le mensonge y ont dressées autrefois. Notre père qui est aux Cieux ne déshérite aucun de ses enfants. Le Créateur n'a voué personne au péché, à la perdition, à la mort; ce ne sont là que d'impuissantes erreurs, aujourd'hui condamnées, indignes de notre conscience et de notre raison, et où l'orgueil sectaire ne trouve plus à s'abriter.

Dieu dit à tous les Caïn, avant que la haine ait enfanté le crime : Si tu fais le bien, ne sera-t-il pas approuvé ? et à tous les Paul, tourmentés comme d'une écharde en leur chair. Dieu dit : Ma grâce te suffit ! Nul n'est tenté au-dessus de ses forces.
Notre responsabilité suppose notre puissance. La sanction de la loi accomplie, c'est la récompense ; la sanction de la loi transgressée, c'est la punition. Mais avant la récompense, avant la punition, la sanction de la loi pour le législateur lui-même et pour tous ceux qui ont à la suivre est double : c'est sa promulgation et sa possibilité, et vous embrassez donc l'humanité entière dans ce voeu : Ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

Comme théorie, me direz-vous encore, tous ces principes sont incontestables ; mais que gagnons-nous à l'évidence de la théorie, quand l'application réelle en semble impossible ? Qui peut s'attendre à ce que tous les hommes s'astreignent aux lois de Dieu, et vivent et meurent fidèles au devoir ?
Mes Frères, sous ces chênes de Mamré, voyez vivre cet homme nommé Abraham, dont le livre de vérité vous dit qu'il marcha avec Dieu et qu'il fut l'ami de Dieu.
Sous ces tentes des déserts d'Arabie, voyez vivre cet homme nommé Moïse dont il est dit qu'il n'eut qu'un mouvement de doute en sa vie et qu'il mourut sur le sein de Dieu.
Plus tard, voyez vivre ce saint Jean, l'ami de Christ ; ce saint Jacques auquel l'Église naissante avait donné le surnom de Juste. À peine aurait-on trop demandé pour eux, en priant à leur intention dans ces termes : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! N'oser leur appliquer, pour ainsi dire, celle prière, serait faire injure à leur gloire.

Cet Abraham et ce Moïse, un saint Jean, un saint Jacques, n'étaient que des hommes comme nous tous, soumis à la même loi, secourus par la même grâce. Autour d'eux, il nous sera facile de placer en idée une famille docile à leur ascendant, fidèle à leur exemple, émule de leur intégrité, et ici encore vous direz avec confiance : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Ces familles, si vous les réunissez, forment une tribu. Ne pouvez-vous vous représenter une tribu sainte aussi bien qu'une sainte famille ?
Dans ce cercle plus étendu, les mêmes vertus cessent-elles d'être praticables ?
Non, sans doute, et si la voix du patriarche dit avec confiance, pour moi et ma maison, nous servirons l'Éternel, cette voix peut être entendue et entraîner tous les coeurs après elle... et vous, avec confiance encore, vous direz : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel !

Chrétiens, que vos esprits se laissent entraîner à cette facile progression et s'épargnent les inutiles lenteurs de ma voix. Avancez, avancez plus rapidement où ces premières pensées précipitent votre attention... Ce qui sera vrai d'une tribu le sera d'une cité ; ce qui sera vrai d'une cité le sera d'une nation ; puis d'une race ; puis d'une chrétienté ;
puis de l'humanité entière... En un mot, ce qui est vrai d'un homme l'est de tous, et sans vous préoccuper des distances incommensurables de l'avenir, vous rappelant que Dieu a le temps d'amener tous les progrès, ne vous lassez point de dire : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel !

Qu'ai-je essayé cependant, et de quel vain détour ai-je fait usage pour vous faire avouer comme par surprise que cette demande de la prière du Seigneur n'est point une vaine exagération ? Comme les messagers d'Achab cherchant pendant la sécheresse un peu d'herbe verdoyante, j'ai suivi tous les filets d'eau, au lieu de m'en aller au domicile des prophètes...

Mes frères, il s'agit de faire un ciel de la terre, et votre esprit recule devant les difficultés de l'oeuvre, et vous demandez si elle est possible.
Pour sortir de ce doute, commencez par vous-même ; commencez par votre famille, votre maison, votre Église ; efforcez-vous de faire de votre intérieur un ciel terrestre, un ciel anticipé, en attendant le véritable ; essayez, et je vous donne d'avance vos essais pour réponse et pour preuve. Quand on étudie à fond l'Évangile, On y découvre celle grande vérité, que l'enfer, le seul enfer réel, est dans le coeur des méchants ; en conséquence, le ciel est dans le coeur des bons. Mettez donc le ciel dans votre coeur, et délivrés de toute triste défiance, ce sera désormais avec des ravissements de joie, avec la plus douce effusion de charité que vous redirez : O Dieu, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Vous le redirez ainsi jusqu'au jour de la délivrance, où vous n'aurez plus à former le souhait pour vous-même, parce que celui qui est mort est affranchi du péché.


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