Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



L'INDIFFÉRENTISME RELIGIEUX.

A. VINET
SERMON PRÊCHÉ DANS L'ÉGLISE FRANÇAISE DE BASLE
29 SEPTEMBRE 1833


***********

« Alors Pilate dit à Jésus : Tu es donc roi ? Jésus répondit : Tu le dis ; je suis né pour cela, et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est pour la vérité écoute ma voix. Pilate lui dit : Qu'est-ce que la vérité ? Et quand il eut dit cela, il sortit encore pour aller vers les Juifs, et leur dit : Je ne trouve aucun crime en lui. » Jean XVIII, 37-38.

Lorsque un Romain, nommé Ponce Pilate, que la naissance, les talents ou l'intrigue avaient élevé jusqu'à la sphère des plus hauts emplois, partit de Rome pour aller gouverner la Judée au nom de l'empereur Tibère il ne prévit pas sans doute qu'à un seul acte, à un acte obscur de son administration, allait s'attacher une immense et fatale célébrité.
Tout préoccupé des pensées matérielles qui se rapportaient à son rôle futur, nourri d'ailleurs, comme ceux de sa classe, dans le mépris de toutes les croyances, il ne s'avisa point, en touchant du pied les rivages de sa province, de penser qu'il abordait la terre des miracles, que l'air qu'il respirait était comme chargé de prophéties, que ce pays extraordinaire haletait, pour ainsi dire, dans une mystérieuse attente, qu'un drame divin allait s'ouvrir, et que lui-même, lui Pilate, allait prendre un rôle dans cet accomplissement des desseins de Dieu sur la race humaine.

Si, dans un mouvement de présomption, il se décerna d'avance quelque genre de gloire, il l'attacha, par la pensée, dans le firmament politique, d'où néanmoins son étoile est tombée, et il ne sut point que la Providence allait le choisir entre des milliers, pour être, jusqu'à la fin du monde, le type accompli de l'indifférence religieuse.

C'est pourtant là ce qu'il est devenu, mes frères ; toutes les qualifications qu'on peut lui donner, celles d'homme faible, d'homme ambitieux, de juge inique, rentrent dans celle d'indifférent.
C'est, de son caractère, le trait le plus original, et le plus digne d'être étudié ; c'est autour de ce trait que se rassemblent tous ceux que nous ont conservés de lui les Évangélistes ; et c'est le point de vue le plus instructif sous lequel se présente à nous ce personnage de sinistre et douloureuse renommée.

Mais avant d'abaisser nos regards vers ce type de l'indifférence, élevons-les vers celui que notre texte nous montre en face de Pilate. - Ponce Pilate et JÉSUS ! Quel contraste dans les personnes ! Quel contraste dans les discours !

Le magistrat romain, à qui une multitude furieuse demande la condamnation de Jésus, veut d'abord savoir de quoi Jésus est coupable. La calomnie, déconcertée par l'éclat de ses vertus et l'évidence de son innocence, a recouru, pour le perdre, à une de ces imputations énormes, qui se passent de preuves parce que leur invraisemblance même leur en tient lieu. Ses vertus, ses bienfaits ne sont plus niés ; mais on les érige en crimes ; l'admiration, la reconnaissance qu'il inspire sont, pour lui, des degrés vers le trône ; il marche à l'usurpation par la conquête des coeurs. Il a voulu se faire roi des Juifs ; faut-il en douter ? il l'a dit lui-même. Cette accusation, munie d'un tel commencement de preuve, renforcée de tant de clameurs, attache l'attention de Pilate sur un personnage qui, jusqu'alors, ne lui a paru que singulier. Il veut l'interroger.

Quel est son étonnement lorsque cet étrange accusé, bien loin de songer à se défendre, va au-devant de l'accusation, se charge lui-même avant d'être spécialement interrogé, et à cette question du préteur : « Qu'as-tu fait ? répond par ces paroles : Mon règne (il a donc un règne,) n'est pas de ce monde. Si mon règne était de ce monde, mes gens combattraient afin que je ne fusse pas livré aux Juifs ; mais maintenant mon règne n'est pas de ce monde. » (Maintenant ! ainsi donc il doit régner un jour.)

On n'en avait donc point imposé à Pilate ; l'aveu de l'accusé lui-même donne raison à ses accusateurs. Mais cet aveu, si volontaire, si spontané qu'il prévient l'accusation, est, sous ce rapport, si étrange qu'il a lui-même besoin d'être confirmé.
Pilate en provoque un second par une question plus spéciale, où le sujet de l'accusation est nettement articulé : « Tu es donc roi ? » Alors, de la bouche du souverain du monde sortent ces mémorables paroles :
« Tu le dis, je suis roi ; je suis né pour cela ; et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est pour la vérité écoute ma voix. »

Comme, du commencement à la fin de cette réponse, les impressions de Pilate doivent être différentes ! Les premiers mots lui présentent, dans la personne de Jésus-Christ, un ambitieux extravagant, qui, même dans l'absence de tous les moyens d'exécuter ses desseins, se tient si assuré de leur succès, qu'il ne songe pas un instant à les dissimuler. Mais les paroles qui suivent dérangent toutes les idées de Pilate. « Et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ! »

Quel office pour un roi ! Quelle étrange royauté ! Quelle confusion d'idées ! Pilate, qui ne sait pas apercevoir le plus faible rapport entre des idées aussi disparates, juge à l'instant qu'il a affaire à un rêveur, non point à un ambitieux. Un rêveur ! digne sujet d'une enquête judiciaire ! digne occasion d'un mouvement politique ! Son parti est bientôt pris. Et après avoir jeté à son accusé cette question dédaigneuse dont il n'attend pas la réponse : « Qu'est-ce que la vérité ? » il retourne vers les Juifs, et leur dit : « Je ne trouve aucun crime en cet homme-là. »

Certes, mes frères, tout est grand dans ce dialogue ; tout, sans en excepter les dernières paroles du Romain. Qui de nous, d'abord, n'est frappé de la déclaration de Jésus-Christ ? Il est roi ; mais de quelle manière ? et en quoi consiste sa royauté ?
La royauté est, dans l'ordre extérieur, le plus haut degré de dignité où puisse parvenir un homme au milieu de ses semblables. C'est, de plus, l'empire incontesté d'une volonté sur des milliers de volontés soumises. Mais pour mériter, à ces deux égards, le titre de roi, il n'est pas besoin d'un trône, d'un trésor, d'un territoire, d'une armée. Il y a des rois de la pensée, dont la couronne jette un plus grand éclat, et dont l'empire, moins senti peut-être et moins redouté, est plus réel, plus étendu, plus immuable.

L'homme de génie règne sur les âmes, il règne du fond du tombeau, il règne sur les générations qui ne sont point encore, et sa gloire est à lui comme son empire. S'il en est ainsi, comment ne pas étendre plus loin l'application du titre de roi ? comment le refuser à celui qui « est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ? » à la vérité, dis-je, à ce qui est plus que la matière, car c'est la pensée ; plus que la pensée, car c'en est la loi ; plus que l'opinion, car c'en est le juge ; plus que la volonté, car c'en est la règle ; à la vérité, dis-je ; non pas a une vérité particulière, mais à la vérité même, à la vérité de Dieu, à la vérité sur les rapports de la création avec le Créateur, à la vérité sur la destinée humaine, à la vérité qui embrasse toutes les vérités, qui doit leur survivre à toutes, et qui répond seule aux réalités éternelles ? Celui qui investi de cette vérité dans toute son étendue, vivant en elle, identifié avec elle, a pu dire à ses disciples : « Je suis la vérité, » est-il roi ou ne l'est-il pas ? Sa royauté n'est-elle pas au-dessus de tout ce qui peut porter ce nom sur la terre ? Et si une royauté suppose un royaume et des sujets, ces sujets, ce royaume lui manquent-ils ?
« Quiconque est pour la vérité écoute ma voix. »

Empire plus absolu que celui des Césars, plus profond que celui du génie. Ceux qui écoutent sa voix lui soumettent leur vie entière, lui obéissent dans toutes leurs obéissances, le placent, par l'adoration, au-dessus de toutes les principautés et de toutes les puissances, et lui reconnaissent le droit le plus illimité sur ce qu'il y a de plus intime dans leur être. Et son empire, en outre, est-il bien fondé ? Jugez-en : « Il est roi, il est né pour cela. »

Dans les profondeurs de l'essence divine, parole éternelle de Dieu, parole incessamment jaillissante du sein du Père, voué par sa divine énergie à faire, dans tout l'univers, rayonner la lumière de Dieu et retentir sa pensée, il était destiné au trône, et c'est pour l'occuper que, descendant de l'éternité dans le temps, il est né de notre naissance.
Au trône, dis-je, et à la croix ; car il est venu dans le monde, non seulement pour déclarer la vérité, mais pour lui rendre témoignage. La grande vérité, dont le résumé est le dévouement, il l’a scellée par le dévouement. Né pour la royauté, il ne l'a pas seulement reçue en héritage, il l'a généreusement conquise. C'est pour cela que ce roi puissant s'avance à la rencontre de la vengeance, prononce, sans y être provoqué, le mot qui le désigne au supplice, rend volontairement témoignage à la vérité, et donne ainsi pour double fondement à son règne la gloire de sa naissance et la gloire de son martyre.

Voyez-vous donc, ô Pilate, que l'homme qui est devant vous est véritablement roi ? Mais comment le verriez-vous ? Vous ne croyez pas même à l'existence de la vérité. « Qu'est-ce que la vérité ?" dites-vous. - Qu'est-ce que la vérité ! Grande parole, avons-nous dit. Proportionnée, dans son genre, à celle de votre divin interlocuteur. La moitié du genre humain vient de parler par votre bouche. « Qu'est-ce que la vérité ?" C'est le mot de l'indifférentisme. C'est le mot du siècle présent.

Mes frères, nous avons compris Jésus-Christ ; tâchons de comprendre Pilate. En disant : qu'est-ce que la vérité ? il n'a pas prétendu nier et mépriser toute vérité.
Homme du monde, homme d'action, il sait bien qu'il est des vérités à la portée des hommes, et ce que valent ces vérités. Il eût prêté l'oreille, et combien d'autres avec lui ! à Jésus-Christ annonçant quelques-unes de ces vérités subalternes qui intéressent notre vie passagère. Ni avant, ni après Pilate, ces vérités n'ont encouru le discrédit du genre humain. Encore aujourd'hui la soif en est grande, et la recherche infatigable. Ce qu'on s'impose de travaux et de sacrifices pour l'acquisition des vérités utiles, mérite à coup sûr une sorte d'admiration.
Dans cette sphère du moins, le monde paraît avoir compris cette parole évangélique qui dit que la porte large et le chemin spacieux conduisent à la perdition, et que la porte étroite est le chemin de la vie.

C'est à la grande vérité, à la vérité religieuse, que s'applique le dédain de Pilate. Il entend bien que c'est d'elle que Jésus veut parler, et il lui répond : Où est-elle cette vérité ? et que veux-tu que nous en fassions ?

Il est, mes frères, en dehors de tous les partis religieux, de toutes les sectes, et même de toutes les convictions, sur un terrain vague et aride, qu'on appelle l'indifférence, une classe d'hommes, à qui les questions et les préoccupations de cet ordre paraissent complètement étrangères, et qui, eux-mêmes, comme étrangers au milieu de notre espèce, puisqu'ils sont privés d'un des sens qui la caractérisent, n'éprouvent, ce semble, pour la religion ni haine ni amour, et sont, devant cette grande chose, sans crainte ni désir.

Autour d'eux, une foule d'hommes, penchés vers la terre comme eux, de temps en temps suspendent leur labeur, et, comme saisis d'une pensée soudaine, soulèvent vers le ciel un regard timide, et se demandent : Moi qui me sens vivre, moi qui ai commencé d'être, moi qui, à trente ou quarante ans de ce jour, n'existais pas sur la terre, et qui, dans moins d'années, n'y serai plus, moi qui reconnais une distinction essentielle entre le bien et le mal comme entre le blanc et le noir, et qui, par le seul fait de cette distinction, me sens rattaché à un autre monde que celui des couleurs et des formes, moi, dis-je, être raisonnable, être moral et responsable, d'où suis-je sorti et où vais-je ?

Eux, au contraire, comme s'ils avaient enfermé leur existence entre les deux termes de la naissance et de la mort, leur dignité entre les deux limites de l'infamie et de la gloire humaine, leur bonheur dans un horizon que bornent d'un côté la nature et de l'autre les affections terrestres, eux, d'un abîme dont ils n'ont point de souvenir vers un abîme dont ils n'ont point de connaissance, s'avancent décidés, imperturbables, et l'on pourrait croire intrépides, comme si la route devait être éternelle, ou comme si chaque lendemain était pour leur pensée une limite infranchissable.
L'abeille, en dessinant son alvéole, la fourmi en creusant ses magasins, ne sont pas moins préoccupées, on le croirait, d'un monde supérieur et d'une existence future ; et le plus noble, sinon le plus caractéristique de tous les éléments de notre nature, sans cesse refoulé en eux par la joie ou le souci de vivre, a fini par n'avoir plus de place parmi les phénomènes de leur existence, et par échapper à leur propre vue.
Mais comme les manifestations de la pensée religieuse chez autrui ne peuvent pas aussi bien se dérober à leur vue, dites-nous donc ce qu'ils pensent de tout ce mouvement, si différent du leur, de toute cette gravitation du reste de la race humaine vers l'invisible et l'immuable.

Laissons, mes frères, laissons parler leur silence. Il nous dit qu'à leurs yeux les hommes de religion sont apparemment d'une nature différente de la leur, des hommes qui suivent leur pente et qui font bien, des hommes qui, ayant un goût particulier, le cultivent, et pourquoi non, si cela leur fait plaisir ? quant à eux, ils n'en ont pas le loisir et n'en sentent pas le besoin ; par conséquent cela ne les regarde pas. « Suis-je donc juif ? disait Pilate aux Juifs qui venaient lui alléguer des passages de leur loi.
Sommes-nous de ceux-là ? disent les indifférents, qui ne se doutent pas que cela revient à dire : Sommes-nous hommes ? Faisons donc, poursuivent-ils, chacun notre route, sans nous gêner s'il se peut ; l'important n'est pas de penser une chose plutôt qu'une autre, mais de ne point s'incommoder mutuellement pour des pensées ; le temps est court, les moments sont précieux, les affaires commandent ; qu'on nous laisse faire les nôtres ; de notre part nous laisserons chacun faire les siennes ou n'en point faire.

Pressez-les de questions et d'objections ; demandez-leur s'ils savent ce que c'est que la vérité ; ils vous répondront qu'ils savent du moins ce qu'elle n'est pas.
« Elle n'a, quelle qu'elle soit, aucun contact avec la vie réelle. On peut fort bien sans elle s'enrichir, s'entourer de considération, devenir grand aux yeux des hommes, et, en général, régler sa conduite ; la voie est toute tracée ; quelques principes, vieux comme le monde, y suffisent et par-delà, pourvu qu'on sache à propos les modifier par les circonstances. C'est donc un hors-d'oeuvre manifeste, si même ce n'est pis. Ces grandes spéculations de l'esprit n'ont nulle proportion avec les questions de la vie ordinaire, qu'elles compliquent d'un élément hétérogène et souvent hostile ; l'embarras, l'hésitation, le scrupule en sont les résultats les plus ordinaires ; et s'il est vrai que la pensée de la mort empêche de vivre, il est tout aussi vrai que la pensée de Dieu empêche d'agir.

« Mais quand la vérité religieuse, au lieu de nuire, servirait, encore faudrait-il la trouver ; et qui l'a trouvée ? Quelques-uns s'en flattent ; agréable illusion, qu'il ne faut pas leur ôter. Quant à nous, nous ne la partageons pas ; nous ne croyons pas même que la vérité soit accessible. Une preuve nous suffit. Voici, d'un côté, des gens qui la voient tout entière dans une opinion ; voilà, de l'autre, des gens tout aussi convaincus qu'elle est dans l'opinion contraire. Qui d'entre eux a raison ? nous ne savons ; mais nous voyons qu'on peut être aussi fermement convaincu de l'erreur que de la vérité ; si la vérité paraissait sur la terre, elle devrait subjuguer tout esprit d'homme ; tant qu'il n'en sera pas ainsi, nous ne croirons pas à sa présence ; la seule vérité, ce sont les convictions ; ce qu'un homme croit, est pour lui la vérité ; il n'y a de réel que cela ; il est bon que chacun s'attache à sa propre conviction, et se règle sur elle ; nous nous réglons aussi sur la nôtre en négligeant des recherches qui nous paraissent oiseuses ; et, à notre manière aussi, nous sommes dans la vérité.

« Il est vrai qu'entourés d'un ordre de choses religieux qui est devenu, par le laps des temps, loi, coutume ou convenance du pays où nous vivons, nous jugeons à propos de nous y conformer pour l'extérieur ; et cela nous coûte peu. Nous n'irons pas engager notre repos et celui du monde pour une simple idée. Nous ne sommes convaincus ni de l'opinion d'autrui, ni de la nôtre ; nous n'en avons point. Nous ne voulons pas nous faire les champions d'un doute, et pour ce doute affronter le martyre. Il y a vraiment plus de charité et de philosophie à suivre les coutumes que nous voyons suivies. Nous ferons donc bénir nos mariages, baptiser nos enfants, ensevelir nos morts, suivant les rites de l'église où notre destin nous a fait naître. Si cela ne sert pas, cela ne nuit pas non plus ; ou plutôt cela sert sans doute, puisque cela contribue à la paix.

« Comment ne pas apercevoir, dans toutes les chances possibles, l'avantage de notre position ? Ceux qui adoptent quelque conviction particulière en matière spirituelle, courent un risque évident. S'ils sont dans le bon chemin, c'est bien ; les voilà sauvés ; vous le dites, et nous y consentons ; mais s'ils s'engagent dans le mauvais, les voilà perdus ; or les premiers n'étaient pas mieux convaincus que les derniers. Tous ont donc joué gros jeu. Nous serons plus sages. Nous marcherons entre ces deux routes périlleuses. On ne pourra pas, il est vrai, nous compter parmi les amis de la vérité, s'il y a une vérité ; mais à coup sûr, nous ne figurerons pas non plus parmi ses ennemis. Nous sommes indifférents, et ce mot seul exprime l'excellence de notre situation ; elle est, comme nous, indifférente ; si elle n'est pas brillante, du moins elle est sûre.

« Ce qu'il y a de certain, c'est que personne, parmi nos semblables, n'aurait bonne grâce à se plaindre. Précisément parce que nous ne sommes les amis d'aucun parti, nous sommes les amis de tous. Toute opinion est nécessairement hostile à une autre opinion ; nous, qui n'en avons point, nous ne pouvons ni inspirer, ni ressentir de la haine. Il serait à désirer, pour la paix du genre humain, que tout le monde fût indifférent comme nous ; mais nous savons trop que cela n'est pas possible ; que chacun donc suive sa conviction, et qu'on nous permette seulement de n'en point avoir. »

Telle est, débarrassée de ses langes, la pensée de Ponce Pilate et de tous les indifférents. Examinons-la, mes frères, avec quelque attention ; après quoi nous pourrons juger si la qualité d'indifférent constitue vraiment une position indifférente.

Il n'y a presque rien à dire à ceux, d'entre les indifférents, qui s'appuient sur ce que la vérité n'apporte aucun avantage temporel. Une indifférence fondée sur un tel principe est trop voisine de l'abrutissement, même la vérité n'apporterait ici-bas aucun profit que des troubles et de dangers, quand même il serait faux ce que dit l'Écriture, que la piété a des promesses pour la vie présente comme pour la vie à venir, toujours serait-il évident que le corps n'est rien au prix de l'âme, le temps au prix de l'éternité, que notre véritable vie est cachée en Dieu ; que Dieu seul est notre terme et l'accomplissement de notre destinée, et que quiconque se résout à vivre sans Dieu et sans espérance dans un monde d'où il doit demain sortir tout entier, se place par là même hors des conditions de l'humaine raison et presque de l'humaine nature.
C'est parce que ces vérités sont évidentes que nous n'espérons pas les prouver à ceux qui les rejettent. Dieu seul a des raisonnements à la hauteur d'une telle folie.

Avons-nous davantage à dire aux indifférents qui le sont, disent-ils, par sagesse, à cause de l'impossibilité où est l'homme de trouver la vérité ?
Mes frères, c'est tout au plus ; car la légèreté des seconds n'a guère à reprocher, ce nous semble, à l'abrutissement des premiers. La vérité est inaccessible ! C'est-à-dire que ce Dieu, en qui néanmoins ils croient, après avoir libéralement pourvu à nos nécessités corporelles, n'aurait eu nul souci de nos nécessités morales, qui sont cependant son ouvrage aussi bien que les autres ?
Est-il possible qu'ils ne voient pas que, plutôt que de lui faire une telle injure, il est mille fois plus raisonnable de nous accuser nous-mêmes, et de conclure sans hésitation que l'homme ne connaît pas la vérité parce qu'il ne veut pas la connaître ?
Comment n'ont-ils pas compris que, fût-elle hors de la portée de l'homme, celui qui la chercherait avec obstination, celui qui mourrait en la cherchant, serait par là même plus près d'elle, serait en elle jusqu'à un certain point, et certainement dans de meilleurs termes à l'égard de Dieu que celui qui ne la cherche point ? Comment ne voient-ils pas que, si la possession de la vérité est l'accomplissement de notre destinée, celui qui la cherche sans se lasser à par là même accompli de son mieux sa destinée sur la terre ?

Ils sont découragés, disent-ils ! En vérité, ils ne se sont pas donné le temps de se décourager ! La plupart ont reculé après leur premier pas ; et devant quels obstacles ! Qu'ils en soient juges eux-mêmes : « Le monde n'est pas d'accord sur la vérité : donc il n'y a point de vérité ! Une grande fermeté de croyance accompagne les convictions les plus opposées : donc leur raison ne peut se reposer avec assurance dans aucune conviction. »

Ils n'ont garde d'appliquer ces raisonnements à des vérités d'une espèce plus grossière, et pour eux plus précieuse. Ils se riraient de celui qui s'efforcerait de les détourner, par de semblables motifs, d'une recherche intéressante pour leur fortune ou pour leur vanité. Même dans la sphère des sciences les plus abstraites, ils espèrent la lumière, II se flattent de l'avoir trouvée, ils défendent avec acharnement des persuasions conquises à la pointe du syllogisme. Mais qu'une religion se présente à eux sous l'appareil modeste d'une histoire ; qu'avec une admirable condescendance elle ait disposé ses preuves dans l'ordre des faits matériels ; il y a plus : qu'elle ait ramené toute la question de sa divinité à la simple et facile vérification d'un fait ; il y a plus encore : que, dans la lecture d'un livre moins étendu que tel de ceux que notre curiosité dévore en jour, elle ait enfermé, à l'usage des coeurs droits, un trésor d'évidences internes, pour faciliter la route aux plus faibles, et l'abréger aux plus occupés.

Voilà devant quelle tâche recule, effrayé, cet homme que l'analyse d'une fleur, le vol d'un moucheron, les propriétés d'une figure, absorberont pendant de longs jours et pendant de longues nuits !

Quand je vois, mes frères, le peu de temps et d'attention qu'on donne à ces recherches, j'y reconnais une telle légèreté que je cesse de croire à cette légèreté même. Si j'ai fait ce reproche aux indifférents, je le reprends. Il y a un fondement plus solide à leur indifférence. Il faut qu'ils aient, pour se tenir éloignés de l'Évangile, quelque meilleure raison qu'ils ne nous disent pas.
Est-ce parce qu'ils ne le connaissent pas ? Non, mais plutôt parce qu'ils le connaissent.
Est-ce parce qu'ils l'ont jugé faux ? Non, mais plutôt parce qu'ils l'ont soupçonné vrai. Il faut qu'ils y aient entrevu quelque chose qui les repousse. Peut-être ce soleil, qui n'a fait que passer devant leurs yeux, a-t-il, en fuyant, laissé tomber sur leur être une lumière qui les effraie.

Mais quoi, mes frères ? l'Évangile n'est-il pas une bonne nouvelle, un message de miséricorde, la proclamation d'un amour immense qui veut, pour chaque homme, amnistier le passé, consoler le présent, assurer l'avenir ? On peut hésiter à croire à un tel excès de bonté ; mais du reste, pris en lui-même, l'Évangile est fait pour attirer, non pour effrayer. Eh bien ! c'est cela même, c'est cet amour, c'est ce pardon qui les effraient.

L'offre distincte du salut gratuit est, dans la vie de chaque homme, une grande crise qui se termine diversement suivant les dispositions diverses que cette annonce rencontre en nous.
Nous trouve-t-elle châtiés, condamnés dans notre conscience, le mot de grâce qu'elle fait retentir à nos oreilles vient remplacer dans notre coeur d'ineffables angoisses par une joie ineffable. Tranquillement assis dans le sentiment de notre propre justice, elle nous enlève cet appui pour se mettre à la place ; afin de nous enrichir, elle nous dépouille ; afin de nous élever, elle nous abaisse, et commence par faire du juste de la veille le pécheur du lendemain.
Libres, j'entends de cette mauvaise liberté qui n'est qu'un esclavage, elle nous offre un bienfait dont l'acceptation compromet à jamais notre liberté, en nous obligeant envers Dieu d'une telle manière que dès lors nous ne nous appartenons plus ; elle nous fait, avec une sainte violence, rebrousser vers sa loi par le chemin de ses miséricordes, elle nous arrache au monde pour nous donner à lui.

En un mot, elle porte les atteintes les plus redoutables à notre orgueil et à notre égoïsme. L'âme en juge ainsi du premier regard ; et de là vient aussi que ce premier regard n'est suivi d'un second que lorsqu'on y est contraint par la grâce de Dieu immédiatement, ou par quelqu'une des circonstances dont sa grâce dispose.
Il est trop prouvé que, pour la plupart des hommes, la première impression de la bonne nouvelle est de l'effroi ; effroi vague, effroi à peine reconnu, et dont on n'obtient pleine conscience que lorsqu'une vue plus exacte de l'objet qui l'a causé est venue en approfondir l'empreinte.
À quelques-uns pourtant un premier regard suffit pour haïr ; les autres, effleurés seulement par cette impression, se détournent à temps, évitent une seconde atteinte, n'y pensent désormais que précisément assez pour ne s'y plus exposer, se plongent encore plus avant dans les distractions du monde, et, tranquilles dès lors, quoiqu'ils aient peut-être emporté dans leur âme le germe d'une angoisse future, sont classés à juste titre, et se classent eux-mêmes, parmi les indifférents.

Tel est leur caractère ; ils ne haïssent pas, mais ils marchent sans cesse au bord de la haine, séparés de cette disposition par une distance à peine appréciable. Il y a dans chaque indifférent l'étoffe d'un ennemi, étoffe qui attend l'occasion de se dérouler.

Or cette occasion vient pour plusieurs. La vérité, qui a dit : « Maintenant mon règne n'est pas de ce monde, » a fait assez entendre qu'un jour son règne serait de ce monde. Partout où elle paraît. elle aspire à passer de l'idée dans les faits : il faut qu'elle y passe, qu'elle les transfigure à son image. Alors l'indifférent se voit peu à peu cerné par des faits qui le harcèlent dans son indifférence ; en vain voulait-il être neutre : la vérité, qui ne veut pas l'être, le provoque et le force pour ainsi dire à la guerre par d'incessantes hostilités.
Soyez, semble-t-elle dire, soyez pour votre compte tout ce qu'il vous plaira ; mais tout autour de vous j'ai un monde à changer ; ces coeurs, qui vous appartenaient sans réserve, je les réclame ; ces institutions, qui vous dérangeront, il me les faut ; cette réforme, qui va vous gêner, je ne puis m'en passer ; ce bruit, qui vous incommode, est nécessaire à mes desseins. Vous ne voulez pas changer ; soit : mais tout va changer autour de vous ; et les faits qui vous entourent ne seront en harmonie avec vous qu'autant que vous vous résoudrez à vous mettre vous-mêmes en harmonie avec eux.

Mes frères, vous voyez bien qu'il faut une fois se décider ; quand la vérité devient pratique, de spéculative qu'elle était, le contrat qu'on avait fait avec elle se résilie de lui-même ; ce n'est qu'à l'idée qu'on avait promis l'indifférence ; aux faits on doit quelque chose de plus.

Mais la vérité ne vous tendit-elle aucun de ces pièges, il en est un peut-être auquel vous n'échapperez pas. L'exemple de Pilate vous en avertit, mes frères.
Lorsqu'il apprend que Jésus-Christ n'est venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité, il sort vers les Juifs et leur dit : « Je ne trouve aucun crime en cet homme. »
Quel mal, en effet, peut faire au monde un rêveur ? Ces gens-là ne demandent pas bien strictement leur part des bénéfices de la vie ; et, à tout prendre, ce sont des associés assez commodes. Néanmoins, tournez un feuillet de cette histoire, et lisez : « Pilate fit prendre Jésus, et le fit fouetter. » Et plus loin : « Prenez-le vous-mêmes, dit-il, et le crucifiez ; car, « quant à moi, je ne trouve aucun crime en lui. »

Vous vous trompez, Pilate ; vous avez trouvé un crime en cet homme ; c'est celui de s'être gratuitement constitué le témoin de la vérité, laquelle vérité n'est rien. La morale, le droit, l'intérêt public, c'est quelque chose ; et si Jésus-Christ n'eût témoigné que pour eux, dans le sens du moins où vous les entendez, qui sait ? - peut-être l'auriez-vous défendu ; mais vous compromettre, vous exposer pour défendre un homme qui défend la vérité, laquelle n'est rien ! voilà certes, ce que vous ne ferez pas. Si ce rêveur périt, vous en serez fâché, mais aussi qu'avait-il affaire de se mettre en péril pour une rêverie ? Il a cherché son sort ; il l'a rencontré ; avant qu'il soit trop tard, vous en détachez le vôtre.

C'est qu'il y a, mes frères, dans le coeur de l'indifférent, en dépit de son impartialité et de son prétendu respect pour les convictions sincères, un fond de mauvaise humeur, toute prête à s'épancher sur l'homme qui vient, au nom d'une idée, troubler le repos du monde, ou donner un autre cours à ses agitations.

Quiconque attache peu de prix à la vérité, accorde peu d'intérêt à ceux qui la cherchent ; et, de ne pas les comprendre jusqu'à les blâmer, mes frères, il n'y a qu'un pas.

Faites votre compte que peu, même d'entre les généreux, se compromettront pour les représentants d'une idée religieuse. Il n'y a pas de principe qui tienne contre le manque d'affection et de sympathie : l'indifférent, le plus favorable en théorie à la liberté des opinions, se lasse bientôt de protéger des gens qui, selon lui, auraient tout aussi bien fait, pour eux et pour tout le monde, de demeurer en repos. Qu'ils fassent eux-mêmes leur chemin ; qu'ils deviennent forts, et on les défendra.
Aller au secours du vainqueur est la sagesse universelle. Il y a mieux encore : si l'opinion persécutée devient l'opinion dominante et la base du culte national, l'indifférent s'y rangera à sa manière, en participant à toutes les pratiques extérieures d'une foi qu'il ne partage pas ; l'amour du repos composant toute sa religion, l'hypocrisie entre dans son système ; défendre son droit de ne rien croire, ce serait déjà croire quelque chose ; ce serait rendre un hommage à la vérité ; et l'indifférent a dit : « qu'est-ce que la vérité ? »
L'hypocrisie est donc le complément naturel de l'indifférence ; seulement on la pare d'un nom meilleur : ce sera condescendance, accommodation, sacrifice à l'intérêt de la paix ; on dira, après un philosophe, « que le monde n'a que faire de nos pensées, mais que le dehors est engagé au public. »

Vous voyez de combien d'abrutissement, d'une part, de combien de légèreté, de mauvaise foi, d'égoïsme et d'hypocrisie, de l'autre, l'indifférentisme est composé. Faut-il s'en étonner ? l'indifférentisme est la négation du principe de toute morale.

La vérité et la vertu, qu'on cherche à diviser, ne sont, en principe, qu'une même chose. La vertu, qui n'est que la réalisation de nos vrais rapports avec l'auteur de notre être, suppose nécessairement la connaissance de ces rapports.
Pour accomplir la dernière fin de son être, il faut que l'homme la connaisse ; et pour cela il faut qu'il connaisse Dieu. Coupez le noeud vivant par où la vertu tient à la vérité, s'en abreuve, s'en nourrit, la vertu n'est plus qu'un instinct moral, très facile à dénaturer, une vague tradition, qui, délayée avec les pensées d'un coeur corrompu, s'affadit, se décolore et s'efface. En lui-même d'ailleurs, l'indifférentisme est déjà une dégénération de l'âme ; et c'est sans doute de chute en chute, et par une longue suite de dégradations, que l'âme humaine a pu arriver à cet état, où, bien loin d'aimer Dieu, bien loin même de le craindre, elle en est à ne plus s'en soucier. L'indifférence, dans une âme, ce n'est pas la maladie, c'est la mort vivante ; l'indifférence, chez un peuple, est une mort nationale.

C'est dans cet horizon, mes frères, c'est dans la vie de tout un peuple qu'il faut considérer l'indifférentisme pour le bien apprécier. Il est des principes qui, pour manifester tout leur caractère et déployer tous leurs effets, demandent de l'espace. Un principe négatif, surtout, a besoin d'être observé dans une masse d'individualités réunies.
Un homme indifférent peut n'offrir à l'observateur aucun trait bien révoltant : mais qu'est-ce qu'un peuple indifférent ? En d'autres termes, qu'est-ce qu'une société humaine d'où Dieu s'est retiré ? Quel est, en dehors des sentiments religieux, le sentiment assez puissant pour faire de cette société un tout réel, une unité vivante ?

L'instinct, les affections naturelles peuvent encore, au milieu de beaucoup de causes de relâchement, entretenir les relations privées ; le sentiment religieux est seul proportionné à une existence nationale. Si vous voulez voir les relations publiques fondées sur autre chose que la nécessité, animées par autre chose que par le mouvement fébrile des passions ou par l'impulsion violente des circonstances, vivifiées en un mot comme un corps sain par un sang pur, ne demandez ces grands effets qu'à la religion.

Une société sans religion est un corps sans âme. Tous les législateurs l'ont senti ; tous ont vu que le respect des choses saintes est la vie, et l'impiété la mort des institutions politiques, et que fonder une cité sans religion, c'est entreprendre de bâtir en l'air. Et encore vous permettra-t-on de supposer que, vers les cimes de la société, les vertus publiques s'alimentent pour ainsi dire de leur substance même, de leur activité, de la gloire qui leur est promise ; mais il n'en est pas ainsi des classes inférieures de la société ; le véritable esprit public des masses, c'est l'esprit religieux ; Dieu seul peut aider au pauvre peuple à se sentir citoyen. Ces multitudes, qui comprennent Dieu, mais qui entendent peu les abstractions des nos systèmes politiques et même les abstractions de la morale, ne connaissent, hors du nom de Dieu, aucun mot qui les unisse profondément.

Sans Dieu aussi, elles ne comprennent pas le devoir. La foi religieuse, en fuyant, emporte la foi morale. Les serments n'ont plus de terreur ; les actions sont jugées par le succès ; la liberté n'est que l'isolement des volontés, la défiance organisée et la consécration de l'égoïsme ; les calamités publiques sont sans dignité et sans consolation.
En un mot, l'absence des convictions religieuses dessèche la société, la réduit peu à peu en poussière ; et les révolutions, où les peuples croyants retrempent quelquefois leurs ressorts, sont aisément mortelles pour les peuples sans foi.

L'indifférent est-il donc, par rapport aux hommes, dans une position indifférente ?
Mes frères, je m'en rapporte à vous. Sa position est-elle indifférente par rapport à Dieu ? Pour le savoir, transportez-vous par la pensée devant le trône du jugement. Contemplez, à la lumière de l'Évangile, la scène du dernier jour. Que voyez-vous ? À la droite du souverain juge, ses amis ; à sa gauche, ses ennemis.

Où sont les indifférents ? Forment-ils une classe intermédiaire ? Non, vous n'en voyez point.
Ont-ils disparu de l'univers de Dieu, comme s'il ne s'y trouvait point de place pour eux ? Vous ne le croyez pas. Il faut donc les chercher parmi les amis ou parmi les ennemis de Dieu.

Parmi les amis ? Mais Dieu a dit que ceux-là, seuls entreront dans le royaume des cieux, qui auront fait sa volonté sur la terre : et ils ne se sont pas même mis en peine de la connaître. Dieu a dit qu'il faut être né de nouveau pour avoir accès dans ce royaume ; et ils sont demeurés toute leur vie dans les langes impurs du vieil homme. Et ils y sont volontairement restés ; et ils n'ont pas même été hommes nouveaux par le désir ; et ils n'ont pas même appartenu à la vérité par l'amour de la vérité ; et bien loin d'avoir brisé les chaînes honteuses de l'erreur et du péché, ils ne les ont pas même senties !

Dieu est un Dieu jaloux, pour qui la neutralité même est une injure, qui veut tout notre coeur, qui ne peut pas vouloir moins, qui ne se tient pas pour plus offensé de la haine qu'on lui porte (haine impuissante ! haine ridicule !) que de l'amour qu'on lui refuse : et ils ne l'ont point aimé ; et ils ont aimé ce qu'il hait ; et ils ne l'ont pas même honoré de leur haine ; ils ne l'ont jugé digne que de leurs mépris !

Car la haine, mes frères, tout horrible que cela est à dire, la haine vaut mieux que l'indifférence. Il y a un hommage dans la haine. C'est un aveu qu'on a senti, de l'Évangile, au moins les vérités qui condamnent et qui blessent. C'est une manière étrange, mais authentique, d'accuser réception du message de paix. C'est un commencement d'intelligence, que peut suivre une intelligence plus pleine.
La haine a été souvent la préface de l'amour, après que l'âme a supporté victorieusement une crise solennelle. Mais l'indifférence, qui marque la plus grande distance de l'homme à Dieu, est le dernier des outrages.
Ne vous appuyez donc plus sur elle, ô indifférents ; et ne dites plus que votre neutralité vous garde ; guerre timide et lâche, elle ne peut que vous perdre. Sortez plutôt de cette position sans nom. Soyez ce que vous êtes. Classez-vous comme vous serez classés devant Dieu. Et si vous ne pouvez être amis, soyez du moins ennemis. C'est le voeu de ceux qui vous aiment et qui vous plaignent.

Bien loin de vous savoir le moindre gré de votre indifférence, bien loin d'y reconnaître à leur égard une sorte d'amitié, ils se sentiront plus rapprochés de vous quand vous vous croirez plus éloignés d'eux. Ils espéreront que cette flèche, plantée dans votre chair, cette flèche que, pareils à l'oiseau blessé dans l'aile, vous porterez désormais partout où vous irez, vous forcera de descendre des hauteurs de votre orgueil vers Celui qui vous l'a lancée, et qui seul peut vous l'arracher.

L'indifférent qui s'est élevé jusqu'à l'inimitié, ne peut plus retomber dans l'indifférence. Il n'y a plus pour lui qu'une chance, qui est d'aimer. Multipliez-vous donc parmi les indifférents, ennemis de la vérité, c'est-à-dire coeurs atteints par la vérité, coeurs convaincus de misère et de péché, coeurs où l'oeuvre de l'Esprit céleste a commencé et se poursuivra peut-être, coeurs qui avez entrepris contre Dieu cette lutte mystérieuse, où la palme du triomphe est réservée au front du. vaincu !
Et puissiez-vous, après avoir par votre retraite éclairci les rangs de l'indifférence, grossir par votre conversion les rangs des amis de Dieu, de Jésus-Christ et de la vérité !



Table des matières
 

- haut de page -