Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



DANGERS DE LA PRÉDILECTION DES PÈRES ET DES" MÈRES
POUR L'UN DE LEURS ENFANTS.


Jean le Cointe
Pasteur de l'Église de Genève et Bibliothécaire.
 1815

***********

Sur ces paroles de la Genèse, Chap. XXV. v. 28.

Isaac aimait Esaü, mais Rébecca aimait Jacob.

C'est une partie de l'éducation aussi difficile qu'elle est importante, de tenir entre tous ses enfants un juste équilibre, de leur témoigner à tous une égale tendresse ; cependant, M. F., qu'il est rare que ce principe si universellement reconnu soit réduit en pratique !

Que de parents imitant le mauvais exemple d'Isaac, de Rébecca et de Jacob, témoignent hautement quelque préférence à l'un de leurs enfants, et qui, par ce caprice d'amour, font le malheur de toute leur famille ! C'est contre cette erreur, et du jugement et du coeur, que je viens m'élever aujourd'hui.

Oui, M. F., cette préférence marquée, qui outrage la nature, la religion et Dieu lui-même, est souvent,

1.° Injuste et basse dans son principe.
2.° Fatale à la paix domestique.
3.° Funeste à l'objet aimé.
4.° Préjudiciable à l'objet méprisé.

Oh si je pouvais dessiller les yeux des pères et des mères prévenus par une aveugle préférence, s'ils offraient à l'avenir à tous leurs enfants l'indulgence d'un ami, et une vive tendresse, combien serait salutaire le fruit de ce discours ! Ainsi soit-il !

I. re RÉFLEXION.

Je dis d'abord que cette préférence marquée, pour un enfant à l'exclusion des autres, est souvent injuste et basse dans son principe.
Si la cause de cet amour était juste et raisonnable ; si les talents, les qualités de l'esprit et du coeur, un bon naturel, un caractère doux et honnête, une obéissance prompte et gaie, une délicate sensibilité, une application soutenue à remplir ses devoirs en étaient la base ; je l'avoue, M. F., cet attachement plus vif aurait un prétexte plausible, il serait légitime, mais il faudrait ne le point manifester, le cacher avec soin.
Hélas ! il est rare que cette préférence soit fondée sur la vertu des enfants, le coeur dans sa bizarrerie se détermine par d'autres motifs. Le plus souvent, elle ne repose que sur des qualités accidentelles, qui ne devraient avoir aucune influence ; l'extérieur, l'apparence, voilà ce qui plaît, ce qui attire, ce qui fixe les sentiments !

Ici une jeune personne, comme un lys éclatant qui s'élève au-dessus des plantes dont elle est environnée, brille avec plus de splendeur que le reste de sa famille, et pour elle seule, des parents semblent avoir des yeux et un coeur.
Là c'est un jeune homme qui emporte toute la tendresse et les soins de sa famille, et dont tout le mérite peut-être, consiste à être seul de son sexe.
Ailleurs, c'est un enfant, qui doué de plus de tact et de finesse, a découvert le côté faible de ses parents, et prend sur eux un ascendant invincible.
Ailleurs, cet enfant est préféré, ou parce qu'il a fait éprouver le premier les douceurs de la paternité, ou parce qu'il est le dernier rejeton de la famille.

Ailleurs, en vérité, M. F., je n'ose rapporter ici les raisons par lesquelles on prétend justifier cette injuste et scandaleuse partialité, je crains presque de m'écarter de la gravité d'un discours chrétien, en répétant les termes même de l'écrivain sacré, Isaac préférait Esaü, dit Moïse, parce que la venaison (la chasse) était sa nourriture.
Quel sujet de se glorifier de la tendresse et de la préférence d'un père.
Quel mérite à priser que d'être habile à suivre les bêtes des forêts, et à les percer au milieu de leur course rapide ! Un fils peut-il s'enorgueillir d'un tel sentiment ?
Peut-être pères et mères, attribuez-vous à la caducité (vieillesse), à un cerveau qui se dérange, cette incroyable bizarrerie ; vous vous croyez mieux fondés, plus raisonnables ; et en le considérant de plus près, quelle différence y a-t-il donc entre vous ?

Mais je vous prie, si vous n'aimez votre fils que parce que ses manières dans le monde sont douces et aisées, parce qu'il se présente avec grâce, s'exprime avec goût, avec élégance, parce qu'après avoir perdu un temps précieux, pour la culture de l'esprit et du coeur, un maître habile est parvenu à faire éclater sa voix en sons harmonieux, ou à mettre dans ses mouvements une cadence et une mesure exacte, quelle est donc, je vous prie, sa supériorité sur Esaü ?

Isaac
retirait du moins de l'adresse de son fils une utilité réelle, la venaison (la chasse) était une nourriture qui soutenait sa tremblante vieillesse ; Mais vous, quel fruit vous revient-il de tous ces talents inutiles, achetés à si grands frais ?
Oui, je le dis en gémissant, l'enfant qui possède ces grâces extérieures, sera peut-être l'idole, que vous vous plairez à encenser ; tandis que cet autre enfant à qui la nature a accordé des dons plus utiles, ne recevra de vous qu'une faible approbation ; tandis qu'à vos yeux ses vertus seront peut-être des défauts, que vous appellerez sa modestie, sotte timidité ; sa réserve, manque d'idées ; le sens qui règne dans ses discours, une pesanteur, ou une simplicité qui ont besoin de support !
Mais les défauts de l'objet préféré, seront à vos yeux des vertus, sa pétulance une agréable vivacité ; son babil ou ses puérilités, une richesse d'idées, des traits d'esprit, des saillies ; son opiniâtreté, son orgueil, une noble fermeté de caractère ; vous aurez sur les yeux deux verres différents, et tous les deux magiques, l'un qui pare l'objet, l'autre qui l'enlaidit.

Pères et Mères, examinez-vous sérieusement, demandez-vous quelle est la raison, quels sont les motifs de votre préférence ? S'il n'y en a pas d'autres que votre amour-propre flatté, votre vanité satisfaite ; ne donnez point le nom de tendresse à cet amour, dont la source est impure, appelez le caprice, fantaisie ; c'est le seul nom dont il soit digne, puisque le mérite réel n'en est pas la base, qu'il est fondé sur un je ne sais quoi indéfinissable ; ce qui ne prouve que trop ce que j'avance, c'est que plus d'une fois on a vu ce fragile sentiment s'évanouir, s'anéantir avec la cause qui l'avait produit, on a vu ces enfants malheureux dont la beauté était passée, et la grâce fanée, devenir, je ne puis le dire sans horreur ! des objets d'aversion et de haine !

O parents indignes de la bénédiction que le ciel vous accorde, il aurait dû vous la refuser ! Que dis-je des parents ? Ah ! vous n'avez jamais connu les sentiments qu'inspire ce doux nom, et vous ne le méritez pas. Quoi ! le cri de la nature ne retentit pas au fond de votre coeur ! cet instinct qui parle aux animaux les plus sauvages, vous n'éprouvez pas sa puissance ! comment est-il possible, que ces innocentes créatures dont votre Père Céleste vous a confié le bonheur, vous les repoussiez de votre sein, vous leur fermiez vos entrailles ! N'est-ce pas une injustice à leur égard, un crime envers l'Être Suprême, qui veut que tous vos enfants vous soient également chers ?

II. e RÉFLEXION.

Je le sais, et je l'ai dit, M. F., il est possible que les qualités, les vertus, le caractère aimable d'un enfant, nous inspirent pour lui quelque prédilection, mais il faut alors en conserver le secret dans son coeur et le garder inviolablement, parce que le bonheur domestique, la première des félicités sur la terre, après celle d'une conscience paisible, ne peut subsister sans cette égalité de tendresse, et que cette préférence peut devenir entre des époux une source de division toujours renaissante.
Il est possible, sans doute, que le père et la mère fassent tomber leur prédilection sur le même objet, et de là pour l'un et pour l'autre un redoublement d'enthousiasme et d'aveuglement ; ils se plaisent alors à l'exalter à l'envi, à renchérir sur les éloges qu'ils lui prodiguent, ce qui échappe à l'un est observé par l'autre, recueilli avec avidité, et le bandeau qui couvre les yeux s'épaissit davantage ; on cherche, on épluche toute la conduite des autres enfants, pour y trouver des motifs d'éloignement.

Mais, si comme dans mon texte, l'objet de la prédilection n'est pas le même, si Isaac préfère Esaü, tandis que Rébecca chérit Jacob, que de conséquences funestes peuvent en résulter !
La froideur entre les époux, chacun prend le parti de l'objet de son affection, et la tendresse s'éteint ! Trop souvent, hélas ! les enfants violent les ordres qu'on leur donne, désobéissent, ou manquent à leur devoir. Celui qui est prévenu d'un amour aveugle pour l'enfant coupable, voudra, devant lui peut-être, l'excuser, le justifier, et trouvera trop amère la punition que l'autre lui infligera. Devant ce Juge séduit, le plus léger châtiment sera trouvé trop rigoureux, il recueillera les larmes de l'enfant, qui se précipitera dans ses bras amis, pour y chercher un asile ; les consolations offertes pour le calmer, l'aigriront contre celui qui l'aura puni avec justice.

Une Rébecca s'élèvera contre la rigueur d'Isaac, l'enfant concevra contre lui une aversion marquée, et la mère qui flatte ses caprices, aura tous les voeux de son coeur !
De là l'humeur entre les parents ; des reproches, tantôt sur leur sévérité, tantôt sur leur excessive douceur, tantôt sur leur aveuglement et leur partialité mutuelle, reproches qui affaibliront la tendresse conjugale, et sèmeront la défiance et les soupçons !
De là les ruses, les intrigues domestiques, une Rébecca mettra tout en oeuvre pour accumuler sur Jacob bénédictions, honneurs, richesses ; les détours, les obliquités ne seront que des ruses innocentes pour parvenir à son but, peut-être comme dans l'histoire qui suit mon texte, on prendra le nom de Dieu faussement pour cacher la supercherie, on abusera de la faiblesse d'un père, ou l'on profitera de l'absence d'Esaü qui ne pourra réclamer ses droits !
De là entre les enfants, les passions les plus violentes, les attentats les plus inouïs, jalousie, animosité, haine, désir de vengeance, projets homicides ! Oh ! qu'il est affreux de voir désunis par la faute des parents, pour de petits, pour de vils intérêts, ceux que l'amitié, les noeuds du sentiment, auraient dû lier de leurs puissantes chaînes ! Qu'il est affreux de les voir quelquefois s'élancer comme des bêtes féroces, les uns contre les autres ! Qu'il est affreux que des parents sèment ainsi la haine, et la laissent pour héritage à leur famille, que des frères soient ennemis !

Que de craintes, que d'angoisses, à cause du ressentiment d'Esaü, se serait épargnée Rébecca sur le sort de Jacob, si elle avait patiemment attendu que la Providence qui avait présagé sa grandeur future, eût accompli cette prédiction, par les voies de sa sagesse !
O Jacob, tu n'aurais jamais eu à pleurer le vertueux Joseph, si tu n'avais pas allumé la jalousie de ses frères, en le distinguant par ta tendresse, par de futiles ornements, refusés à tes autres fils !

Pères et Mères ! ne frémissez-vous pas à ces exemples des maux que cause cette aveugle prédilection ; ce n'est là qu'un commencement de malheurs, je dis que cette préférence est funeste à l'objet aimé ; c'est ma troisième réflexion.

III. e RÉFLEXION.

Oui, M. F., elle deviendra fatale cette préférence à l'objet de votre amour ; dès le moment qu'il connaîtra le faible de ses parents, il faudra que tout plie, que tout cède à sa volonté ; ses caprices seront des lois ; lui accorder toutes ses demandes, c'est lui rendre le plus mauvais service ; que feriez-vous de pis si vous étiez ses ennemis ?
Ce n'est pas un homme que vous élevez, c'est un tyran que vous formez, oui un tyran, qui dans la petite sphère il exercera son empire, montrera le germe de tous les vices, présomption, hauteur, opiniâtreté, humeur, voilà ce que votre funeste condescendance lui prépare !

Vous devriez l'instruire dès l'entrée de sa vie, et c'est le temps que vous choisissez pour le corrompre ; toujours flatté, toujours encensé, il aura une haute idée de son mérite ; ce qui lui sera refusé excitera ses murmures ; ce qui croisera ses désirs, sera un sujet de chagrin.
A-t-il des frères ou des soeurs ? tous seront obligés de céder, il leur commandera, il les gourmandera (dominera, maîtrisera) s'ils ne se prêtent pas à ses caprices, souvent aussi injustes que bizarres ; il se jettera en pleurant dans vos bras, il les accusera ; et sans information, les innocents seront peut-être punis, parce que les larmes et les cris de cet enfant idolâtré, font leur procès et les condamnent !

Vous-même, comment obtiendrez-vous de cet enfant, l'exécution de vos ordres ? Il n'aura point l'habitude d'obéir, et le charme qui vous aveugle, ne peut être dissipé, que par quelque occasion singulière, quelque faute grave, à laquelle votre étrange prévention ne saura point trouver d'excuse. Ainsi vous aurez été les artisans de vos infortunes et des siennes ; sans doute la bonté, la complaisance sont les premières vertus que doivent posséder ceux qui dirigent une éducation, mais portées au-delà de leurs justes bornes, elles sont une faiblesse, et creusent un abîme de maux, il faut dans l'éducation réunir à la bonté, la fermeté ; à la complaisance, l'art de refuser ; à l'indulgence, la sévérité ; si vous ne connaissez pas cet heureux mélange, ce sage tempérament de vertus opposées, qui se balancent les unes par les autres, vous pourrez l'entendre quelquefois, cet objet de votre affection, se vanter, et vous blâmer de cet ascendant qu'il a usurpé sur vous, et vous rougiriez de honte si vous pouviez savoir ce que pensent et disent ceux qui l'ont entendu !

Que de contradictions pénibles vous lui préparez, lorsqu'il paraîtra dans le monde ! que de mortifications à souffrir ! Il y portera les mêmes passions que dans sa famille, et croyez-vous qu'il y trouve la même prévention ? Bien loin de là, une prévention défavorable le précède, on jugera, on examinera avec sévérité, chacune de ses actions et de ses paroles, on se moquera peut-être de ce que vous appelez des vertus, ses prétentions seront des ridicules, sa hauteur excitera l'aversion, son amour-propre sera humilié, ses volontés ne seront point exécutées, il aura mille chagrins, mille amertumes secrètes à dévorer ; et s'il se permet des vivacités, des menaces, on l'éloignera, parce qu'il se rend insupportable. Les coeurs sensibles le plaindront, auront pitié de ses travers ; c'est sur vous qu'en sera jeté le blâme, sur vous, Pères et Mères ! qui auriez pu le rendre l'ornement de la société, et n'en avez fait que le rebut et l'ennui ! Le plus infortuné des enfants, je le répète, est celui qui n'a point appris à souffrir la contradiction !

Ne nous dites point que le temps, et la raison parvenue à sa maturité, pourront le corriger ; quand cela pourrait être, pourquoi édifier ce qu'il faudra détruire ? Pourquoi lui donner de mauvais principes, de mauvaises habitudes qu'il faudra changer ?
Pourquoi faire le mal avec certitude, dans l'espoir vague d'un bien douteux dans l'avenir ?
Pourquoi attendre que sa raison découvre par des efforts, ce que vous pouvez lui inculquer facilement dès l'âge le plus tendre ?
Pourquoi attendre que la triste expérience du malheur lui donne des leçons utiles, que vous pouvez lui donner ?

Est-il bien sûr que ce changement s'opérera ! Les habitudes de la jeunesse ne sont-elles pas celles de toute la vie ? Si on parvient jusques à un certain point à s'en corriger, le naturel peut-il être si bien dompté, qu'il ne reprenne quelquefois son empire ?

Ne nous dites point que vous ne pouvez rien refuser à ses larmes, que ses cris vous poignardent le coeur ! Préférez-vous donc la satisfaction momentanée de votre enfant, à une satisfaction constante et durable ?
Eh ! laissez-le une fois verser des larmes, et pousser des cris sans lui accorder sa demande, et quand il verra que vous avez supporté sans céder, toutes ses sollicitations importunes, il sera plus avare de ses cris et de ses pleurs ; peut-être essaiera-t-il encore de remuer votre sensibilité par les mêmes moyens, mais l'inutilité de ses gémissements le corrigera, le rendra plus docile ; ainsi vous arracherez de sa route bien des épines déchirantes, car cette tendresse aveugle pour un enfant est souvent fatale à l'objet de votre préférence, c'était ma troisième réflexion.

IV. e RÉFLEXION.

Enfin cette préférence est le plus souvent préjudiciable à l'objet de votre indifférence et de vos mépris ; je dis le plus souvent, car il arrive quelquefois, que ceux que l'on a injustement écartés de son affection, élevés durement et à l'école de l'adversité, sont plus propres à vaincre les obstacles, à réussir soit auprès des autres, soit dans le monde ; que dans cet abandon où on les a laissés, ils ont acquis une certaine sagacité, une expérience salutaire à se créer des ressources, à se faire des amis, et l'on a vu plus d'un exemple de ces enfants qui s'étant élevés eux-mêmes, sont devenus utiles à leurs pères et mères, et ont été bien plus respectueux que ceux qui toujours prévenus, ne préviennent jamais ; mais malgré ces exemples en petit nombre, ne peut-on pas dire que vous faites tout ce qui dépend de vous pour placer et développer dans le coeur de cet enfant rebuté le germe de tous les vices ?

Les enfants sont plus fins, plus observateurs qu'on ne l'imagine, ils découvriront bientôt votre prédilection pour l'un d'eux, votre indifférence pour l'autre. En dépit de vous-mêmes, se manifesteront les sentiments de votre coeur, tout les trahira ! L'un ne trouvera point chez vous, cette tendresse de regard, cette expression de sentiment qui suit partout l'objet de votre partialité ; vos ordres n'auront point ce ton doux, insinuant, honnête, avec lequel vous commandez, ou plutôt, vous priez l'autre de les exécuter.
Ont-ils eu tous les deux le malheur de vous désobéir ? La sévérité du châtiment tombera sur lui, et son frère sera pardonné, ou légèrement puni.
Peut-être le verra-t-il décoré d'une robe bigarrée, et s'entendra-t-il répéter qu'on fait pour lui plus qu'il ne mérite !
Sont-ils attaqués par la maladie ? Vous prodiguerez à l'un vos soins, vos attentions, vos secours ; vos craintes sur son sort vous arracheront des larmes, et l'autre vous verra froid à son égard, n'aura que les soins d'une froide pitié, en un mot, la différence dans le degré d'affection, en produira une frappante dans votre conduite envers lui, vous révolterez tous ceux qui en seront les témoins.

Et quels seront les sentiments de cet enfant méprisé ? Il ne paraîtra devant vous qu'avec timidité, avec réserve ; sur son visage se peindront l'embarras et les craintes de son coeur. Veut-il demander une grâce ? la parole expire sur ses lèvres, il sait d'avance qu'elle lui sera refusée, il s'y attend du moins ! rarement honoré d'un sourire d'approbation, lors même qu'il a déployé toute son application et son zèle, le découragement peut subjuguer son coeur, arrêter ses progrès, car le désir de la louange, est le mobile de tous les hommes, surtout des enfants. Si vous étouffez chez eux ce sentiment naturel, qui est souvent la source des vertus les plus éclatantes, quel ressort lui substituerez-vous ?
La crainte, dites-vous, la crainte ! Qu'elle soit le mobile des esclaves, non le partage d'un enfant ! l'amour doit être l'aiguillon qui l'anime au travail, l'émulation, les éloges doivent le porter à faire le bien avec activité, avec plaisir.

Et quel feu de jalousie, de haine peut-être vous allumez dans son coeur contre ses frères ! La jalousie est la passion de l'enfance, plus que les autres passions ; la plus légère inégalité dans les bienfaits excite des murmures, et s'il n'y a aucun motif dans cette inégalité, vous serez vous-même taxé d'injustice ! Dans un caractère violent, emporté, et après des preuves multipliées d'indifférence, il s'élèvera contre vous dans son coeur des sentiments que l'horreur m'empêche d'exprimer ; pour se soustraire à ce qu'il appellera tyrannie, il fuira la maison paternelle, cherchera loin de vous les douceurs que vous lui refusez, vous reconnaîtrez vos injustices. Hélas ! sera-t-il temps encore de les réparer ? Si son caractère est doux, honnête, prévenant, sensible ; si votre prévention contre lui n'est qu'un caprice ; quels sentiments de tristesse et d'amertume le dévoreront en secret ! Quelles peines en effet plus cruelles, plus déchirantes peut éprouver le coeur d'un enfant, s'il voit que son obéissance, son amour, ses soins, tout ce qu'il fait et peut faire pour ses parents, n'est compté pour rien, qu'il cherche en vain à leur plaire, qu'il ne peut y réussir, que rien ne peut surmonter leur froideur, et le dégoût qu'il leur inspire !
Non ! Je ne suis plus étonné que la mélancolie, quelquefois le désespoir aient pénétré leurs âmes, que le combat violent qu'ils soutenaient intérieurement, que le chagrin qui les rongeait, aient été la cause de maladies terribles, qui, plus d'une fois les ont précipités dans la tombe.
Je ne suis point étonné que plus d'une fois de tels infortunés aient répété, que le jour qui les délivrerait de la vie, ils le bénissaient d'avance, et désiraient le voir bientôt arriver,

Tels sont, Pères et Mères, les malheurs affreux dont votre partialité peut être la cause.
Quel repos, quel bonheur pourriez-vous goûter, quels reproches ne vous feriez-vous pas pendant le reste de votre vie ? Votre conscience vous laisserait-elle un moment de tranquillité ? L'image effrayante de cet enfant devenu votre victime, victime innocente, ne serait-elle pas un poison lent, un vautour cruel acharné sur votre coeur ?
Vous seul ignorerez peut-être qu'il périt par vos coups, car son respect, son amour commanderont le silence, il voudra vous éviter ces tourments ; mais une fois en vous rappelant les circonstances diverses de votre conduite envers lui, après la perte peut-être de votre enfant chéri, vous vous ferez des reproches sanglants et superflus, vous aurez creusé la tombe de l'un par un excès de tendresse, celle de l'autre par un excès de dureté !
Ou si la mort n'a point mis un terme à ses chagrins, s'il vit sans moeurs, sans principes, sans honneur, si la négligence de son éducation lui a ouvert la voie spacieuse du désordre, qu'il scandalise par ses excès sa patrie et déshonore sa famille, ah ! ses fautes seront les vôtres, elles vous seront imputées, et au jugement des hommes et au jugement de Dieu.
Oui, la plus cruelle des douleurs pour un père, c'est d'être condamné à pleurer sur la vie de son enfant, qu'il a rendue par sa négligence malheureuse et criminelle !
Ah ! s'ils osaient, Pères et Mères ! ces infortunés objets de votre indifférence, vous faire entendre le cri de leur coeur ; s'ils osaient, ils vous diraient avec angoisse, avec un profond saisissement !

« O vous de qui je tiens la vie, à qui le Ciel a remis le soin de ma félicité, vous de qui j'avais droit d'attendre des sentiments d'indulgence et d'amour, par quelle fatalité suis-je l'objet de votre indifférence, de vos mépris ? Quel est donc à vos yeux mon crime ? Vous aimer, vous chérir, ah je cède à ce doux sentiment ; obtenir de vous un tendre retour, voilà mon ambition, et malheureux que je suis, tout est inutile !
Ah ! la Nature dans votre coeur ne parle-t-elle pas comme dans le mien ? Ne fait-elle pas sentir à un père pour son enfant ce qu'elle lui fait éprouver pour son père ?
Hélas ! si vos entrailles me sont fermées, où trouverai-je de l'attachement, de l'amour ? Je suis donc un être isolé, qui ne tient à rien sur la terre, le rebut de la Nature !
Oui ! rendez-moi votre tendresse, ou reprenez vos funestes dons, arrachez-moi cette vie, elle est un fardeau qui m'accable ? délivrez-vous de moi, délivrez-moi de moi-même !
Mais non ! il est facile à un père d'aimer son enfant, ah ! vous céderez à mes instances, ma voix touchera, pénétrera votre coeur, et dans le mien navré de votre indifférence, un sourire, une marque d'affection ramènera le bonheur et la joie ».

Pères et Mères, si ce langage de douleur, si ces cris de l'angoisse vous trouvent inflexibles, c'est à tes foudres, ô mon Dieu ! à éclairer leur aveuglement, à fondre leur dureté !

Vous, enfants malheureux, objets de l'indifférence ou du mépris, recevez quelques avis, quelques consolations ; sans doute vous êtes dignes de tout l'intérêt des âmes sensibles ; que votre conduite soit prudente et réfléchie ; ne vous laissez point abattre par les terreurs d'une imagination rembrunie, ou les alarmes d'un coeur froissé et brisé ; que l'espérance, toujours vivante dans votre coeur, ranime son courage ; tôt ou tard, en votre faveur, la nature parlera ; il ne peut être sans remède, cet éblouissement qui vous cache aux yeux de vos parents ; pour le dissiper, forcez-les par vos vertus à rougir de leurs torts à votre égard, à vous rendre leur estime ; qu'une obéissance, accompagnée de manières douces, aisées, flatteuses, que des prévenances délicates et soutenues prouvent que vous possédez le coeur d'un enfant sage et soumis, que votre douceur, votre modestie, votre application, vos succès, l'estime de vos amis et de vos maîtres, l'éloge répété de votre caractère, forment une espèce de cri général et unanime qui attaque leur indifférence, et triomphe de leur froideur ; que toutes les attentions, les égards d'un amour tendre et sincère, soient les leviers puissants, par lesquels vous ébranliez leur amour et leur tendresse ; par votre constance, vous saisirez la victoire ! Ah ! si tous vos efforts étaient mutilés, vous auriez cette idée consolante d'avoir rempli vos devoirs, et de mériter les bénédictions célestes ! Oui ! vous avez dans les cieux un père, devant qui il n'y a point d'acception de personnes, celui qui le craint et qui s'attache à la justice lui est agréable, vos efforts par lui sont comptés, il voit vos sentiments, récompensera vos vertus, la couronne est déjà préparée !

Et vous jeunes gens, en faveur desquels l'amour paternel parle avec force, avec partialité, n'abusez jamais de ce penchant, au préjudice de ceux que la tendresse, comme la naissance, devait rendre vos égaux. Quelle belle occasion vous est offerte de peindre la bonté de votre coeur, la noblesse de votre caractère ! faites rejaillir sur ceux que la nature vous a unis par les liens les plus intimes, les effets, l'excédant de cet amour qui vous est accordé, et qui leur était dû ; élevez et faites briller aux yeux de vos parents, et à leur plus grand avantage, les qualités de vos malheureux frères ; excusez leurs fautes, adoucissez par des complaisances la rigueur de leur sort, que vos discours, que vos actions annoncent la bonté, la fraternité, non la hauteur ou le caprice ; que cette sorte d'élévation dont vous jouissez, soit à vos yeux un titre, un moyen, un motif, de dispenser des bienfaits, de déployer de nouvelles vertus !
Ils vous pardonneront alors cette supériorité, vous gagnerez leurs coeurs, ils seront enchaînés par la reconnaissance, vous posséderez en eux des amis vrais et sincères, non des envieux et des jaloux ; si par une de ces inconstances du coeur humain, dont la société nous offre des exemples, vous perdiez cette préférence, et qu'elle leur fût accordée ; modestes comme vous, dans cet avantage d'un moment, ou d'un caprice, votre famille sera le lieu de la paix, de la cordialité, du bonheur ; les témoins de votre union, diront avec attendrissement ; voyez comme ils s'aiment ! Oh ! qu'il est doux, qu'il est agréable de voir ainsi des frères s'entretenir dans l'union et dans la paix ! Quelle félicité peut-on comparer à celle-là ! l'amour diminue leurs peines, augmente leurs plaisirs, ils sont heureux les uns par les autres !

Aimez-vous réciproquement, et après cette vie d'un jour, passée dans le bonheur ; vous en saisirez une nouvelle dans le ciel, où vous posséderez une félicité sans nuage et sans fin ! Amen ! Amen !


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