Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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LES JUGEMENTS TÉMÉRAIRES.


Jean le Cointe

Pasteur de l'Église de Genève et Bibliothécaire.

 1815

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 Sur ces paroles de l'Évangile St. Matt. Chap. VII. v.1

Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés.

MES Frères ! Les préceptes de morale nous sont donnés dans l'Évangile en termes généraux, ont besoin pour être bien compris de restrictions et d'explications ; Ne jugez point, dit le Sauveur dans mon texte ; voudrait-il arrêter le bras de l'autorité civile levé sur le coupable, dont le crime a troublé la paix et le bonheur de la société ? Non sans doute ! Le Magistrat ne porte pas l'épée sans cause, il est le serviteur de Dieu pour rendre la justice, et exercer le jugement !

Nous défend-il de juger les principes, la conduite, les moeurs de ceux avec lesquels nous sommes appelés à vivre ? Non sans doute, notre vertu et notre réputation, dépendent en grande partie de ceux avec lesquels nous formons des liaisons, et pour les conserver sans tache, Jésus nous ordonne de fuir ceux dont la conduite est déréglée, de n'avoir aucune communication avec eux, de rechercher les gens de bien du pays, afin qu'ils habitent avec nous ?

Ainsi notre Seigneur ne nous défend point de juger et de condamner ceux, qui sont déjà jugés et condamnés par une suite d'oeuvres mauvaises, par des égarements bien prouvés ; ce jugement, fondé sur la certitude et l'évidence des preuves, est juste et droit.

Que nous défend-il donc dans ce précepte ?
Ces jugements faits sans autorité, prononcés témérairement sur nos semblables ;
- ces jugements précipités, injustes et faux, fondés sur des bruits publics, des apparences, des préventions, ou sur une action particulière de la vie ;
- ces jugements, défavorables à notre prochain, que nous communiquons, que nous répandons sans charité, qui, s'ils n'attaquent pas directement sa probité, ses vertus, détruisent souvent, en partie, la réputation, la considération dont il jouit ;
- ces jugements, en un mot, enfantés par des passions vicieuses, des préjugés, l'orgueil, la malice et l'envie ; tel est le sens de ce précepte :

Ne jugez point ; recherchons les causes de ces jugements, et faisons-en sentir l'injustice et le crime : - Pressons ensuite le motif particulier de mon texte, ne jugeons point, afin que nous ne soyons point jugés.

Dans un sujet si vaste, M. F., qui nous offre une si grande abondance, une si grande variété de détails, nous ne choisirons que quelques traits particuliers : Heureux si nos réflexions nous empêchent de tomber dans le crime des jugements téméraires, et vous préservent du malheur d'être jugés vous-mêmes ! Amen !

CAUSES DES JUGEMENTS TÉMÉRAIRES.

NOS jugements téméraires ont trois causes principales :
1.° La précipitation de notre esprit ;
2.° La malignité de notre coeur ;
3.° Une action particulière de la conduite de notre prochain.

Ces trois causes nous font commettre trois crimes :
1.° Nos jugements précipités, choquent la vérité.
2.° Nos jugements défavorables, blessent la charité.
3.° Nos jugements portés d'après une circonstance particulière, violent les lois de la justice.

Développons ces trois idées.

I.° Une des causes principales de ces jugements téméraires qui sont si communs, c'est que nous n'aimons pas demeurer en suspens, rester dans l'incertitude sur le compte de notre prochain.

M. C. F., n'est-il pas arrivé souvent, qu'on vous ait demandé quelle idée vous vous formiez d'une personne, que vous avez rencontrée quelquefois dans la société, mais avec laquelle vous n'avez pas eu une liaison assez longue et assez intime, pour juger sainement de son caractère ?
Vous avez refusé faiblement de répondre à cette question indiscrète, dictée par une vaine curiosité ; on vous a pressé, on désirait votre opinion ; et au lieu de garder un sage silence, au lieu de demander du temps, de renvoyer à un examen impartial et approfondi ; au lieu de vous défier d'une apparence extérieure presque toujours trompeuse, vous vous êtes permis de juger, de décider dès le premier coup d'oeil ! Vous avez analysé ses traits, sa démarche, ses regards, le son de sa voix, ses manières ; vous avez commencé par l'éloge de ce qui vous a paru à son avantage, et d'après ces observations si courtes, si légères, si superficielles, vous avez tracé un portrait, ou le hasard a semé peut-être quelques traits de ressemblance, mais dont l'ensemble est fort différent de l'original ; et voilà votre frère cité, jugé, condamné !

On vous a dit que vous aviez aperçu quelques nuances, saisi quelques rayons de la vérité, et vous vous êtes persuadés, que vous l'aviez saisie toute entière ; vous êtes devenus opiniâtres à combattre ce que l'on vous contestait, et autant vous aviez montré d'abord de défiance (méfiance) à parler, autant vous avez ensuite, avec un ton décidé, persisté dans l'opinion énoncée ; des discours de votre frère, vous avez tiré des conséquences sur sa manière de penser. 
- Il a parlé avec feu, et sur le champ vous lui avez prêté des passions ; 
- il s'est exprimé avec froideur, et vous avez appelé cette froideur, fierté, orgueil ; 
- il a combattu modestement vos idées, et parce qu'il n'a pas été en tout de votre avis, vous accusez son jugement, et lui refusez la justesse de l'esprit ; 
- il vous a parlé avec loyauté, avec franchise, et vous l'accusez de dureté, de rudesse.

Cette jeune personne, douée par la nature d'une figure intéressante, possède ces grâces extérieures, cet éclat qui frappe et attire les regards, elle paraît et on la juge ; on ne connaît point ses qualités aimables, et on cherche dans cet extérieur quelque sujet de critique ; sa parure, quelque modeste qu'elle soit, est remarquée, on lui prête des prétentions, un désir vif de plaire, un amour-propre ridicule, et il ne faudrait peut-être pour dissiper ces préventions funestes et odieuses, qu'étudier son caractère, digne à tous égards, d'approbation et d'estime !

N'est-il pas vrai, M. F., que souvent vous avez jugé avec cette précipitation, que souvent vous n'avez su résister à ce plaisir, parce que vous croyiez ainsi montrer toute la finesse, la sagacité de votre esprit, et cette connaissance du coeur humain, que vous prétendez avoir acquise par l'usage du monde ?
M. F., je vous le dis avec le Sauveur, Ne jugez point, de tels jugements sont contraires à la vérité !

La vérité exige du temps pour être connue, elle demande un mûr examen, on ne parvient à la découvrir, qu'avec des soins et avec lenteur. Les apparences trompent, les préventions égarent, et comme il s'agit ici d'un objet important, du caractère de votre prochain, de l'idée que vous vous en formez, de celle peut-être que vous en donnez à ceux avec lesquels il ne soutient aucune relation, et qui ne pourront point se désabuser ; comme votre jugement précipité influera sur leur manière de voir, s'ils sont appelés à le connaître ; renfermez dans votre coeur toutes vos pensées, suspendez votre décision, ne communiquez point vos sentiments.

La réputation est la vie morale de votre frère, c'est par elle qu'il jouit de la considération et du crédit.
Rappelez-vous que plus d'une fois vous avez été dans l'erreur, que plus d'une fois, cette malheureuse précipitation de votre esprit, vous a fait prononcer des jugements faux que vous avez redressés, que vous êtes revenus de préventions injustes, conçues à la légère, que vous avez pris dans la suite une opinion bien différente de votre première opinion, que votre expérience vous instruise ! 
Et voudriez-vous que sur des apparences aussi frivoles on jugeât votre caractère ? N'accuseriez-vous pas de témérité celui qui les donnerait pour la vérité ? Ne diriez-vous pas que c'est un travers d'esprit inconcevable, une méchanceté noire, d'oser ainsi sonder votre coeur, vos sentiments, de décider sur une connaissance aussi vague, aussi superficielle ? Comme vous condamneriez celui qui vous condamnerait avec cette précipitation ! Eh bien, cette témérité qui vous soulève, qui vous révolte, a été la vôtre, vous en avez fourni l'exemple et le modèle ; votre témérité a blessé autant votre prochain que la sienne vous blesse. Ne jugez point !

II.° Une seconde cause de la témérité de nos jugements, c'est la malignité de notre coeur. Par quelle fatalité arrive-t-il, presque toujours, M. F., que nous sommes disposés à concevoir de notre prochain une idée plutôt défavorable qu'avantageuse ?
C'est que, notre corruption, nous la cherchons dans nos frères, que nous espérons l'autoriser, la justifier par leur exemple, que nous rougissons moins à nos propres yeux lorsque nous croyons qu'ils nous ressemblent ! Quelquefois aussi, lors même que tout se réunit en leur faveur pour nous convaincre de leur innocence, nous les jugeons avec une rigueur excessive, une injustice scandaleuse. 
La malignité de notre coeur répand d'affreux nuages sur la conduite la plus exempte de blâme et de reproche, sur celle qui devrait être au-dessus du soupçon. Anne devant le Tabernacle invoque l'Éternel et lui demande un fils ; Héli voit le mouvement de ses lèvres, sans entendre ses paroles, et malgré la sainteté du lieu, malgré le caractère auguste dont il est revêtu, il la juge, et prend l'ardeur de son zèle pour l'agitation de l'ivresse !

Combien de fois nous avons jugé notre frère avec une égale dureté !
Cette personne est assidue au culte public, elle s'empresse à rendre à Dieu de légitimes hommages, son air de recueillement devrait nous faire juger favorablement de sa piété, et on se plaît à douter de la sincérité de ses sentiments, on la taxe d'hypocrisie !
Je me défie, dit-on souvent dans le monde , de ces gens qui affichent la dévotion, c'est un voile imposteur dont ils couvrent leurs passions déréglées, c'est un manteau dont ils s'enveloppent pour cacher leurs penchants vicieux ; ils se flattent d'en imposer, mais les dehors de la piété ne sont pas la piété même !
Coeurs pervers et corrompus ! rien n'arrête votre barbarie, vous calomniez la vertu la plus pure , elle devrait être l'objet de vos hommages, et vous la faites servir à vos dérisions , votre souffle impur essaie de la ternir , de flétrir son éclat, et Dieu la vengera de vos inculpations cruelles !

Job a perdu ses enfants, l'ennemi a enlevé ses troupeaux, il est couché sur un lit de douleur et de misère, un ulcère couvre son corps et le ronge ; ses amis, au lieu de le rassurer par le souvenir de sa conduite vertueuse et de sa bienfaisance, suspectent son intégrité, ils lui disent que des péchés criants, commis en secret, l'exposent à l'ardeur de la justice Divine, ils ajoutent ainsi l'insulte à l'affliction !
Hélas ! et lorsqu'un sort cruel, lorsque quelque accident imprévu accable l'un de nos frères, ne portons-nous pas quelquefois sur lui un semblable jugement ? Ne cherchons-nous pas dans le détail de sa conduite, ne fouillons-nous pas dans son coeur même, ce sanctuaire dont Dieu s'est réservé la connaissance, pour y trouver quelque tache ou quelque désordre qui serve de base à sa condamnation ? Nous voulons croire qu'il est l'artisan de son malheur, qu'il souffre par sa faute, que ses péchés l'ont enveloppé comme un filet, afin de justifier notre barbarie envers lui ! Ah ! l'homme que Dieu éprouve, l'affligé doit être pour nous un objet sacré, ses maux doivent nous inspirer le plus vif intérêt, la plus tendre compassion ; toujours il est un exemple de l'instabilité des biens de la vie ; peut-être un exemple nouveau d'une piété que Dieu épure ; un modèle qu'il nous offre de patience, de résignation, de soumission à sa volonté sainte !

Eh quoi ! la témérité de notre jugement étouffera-t-elle chez nous cette charité qui doit s'empresser à soulager les maux de notre frère, arrêtera-t-elle donc sa bénigne influence et ses salutaires effets ? Vous que de telles dispositions animent, qui jugez votre prochain avec tant de sévérité, osez-vous encore vous dire Disciples de ce Jésus, dont le commandement est la charité ?
Un des caractères de cette charité n'est-il pas de ne point soupçonner le mal ? et vous, non seulement vous le soupçonnez, vous envisagez tout sous une face défavorable ; vous donnez aux actions les plus innocentes, l'interprétation la plus sinistre, mais vous paraissez avide de la honte d'autrui !
Si du moins ce soupçon n'était qu'une pensée concentrée en vous-mêmes un secret inconnu aux autres, et renfermé dans votre coeur, alors vous ne seriez pas coupable ; mais c'est un jugement prononcé, public, porté sans motif, sans preuves ; quelquefois même, vous donnez beaucoup à entendre par des réticences, plus perfides que des réflexions, et la malignité de ce jugement, ne le rend-elle pas odieux et criminel ?

La charité n'approuve le mal ni ne l'autorise, elle donne un tour favorable à toutes les actions qui peuvent être interprétées en bien ; elle a plus de penchant à excuser, qu à juger ; elle est lente à parler, et constante à espérer, elle loue les qualités, les vertus, elle couvre les péchés et ne croie pas aisément le mal, elle se fait une espèce de conscience, de scrupule, d'écouter toutes les idées qui se présentent, de leur donner du poids et de l'autorité, la vraisemblance est loin pour elle de la certitude, elle attend que la vérité soit pleinement éclaircie !

Ah ! qu'il vaut mieux, M. F., être trompé par une trop grande facilité à bien juger, que de l'être par une trop grande rigueur à condamner ! Le premier de ces sentiments est doux et calme, le second est orageux et pénible ; Ne jugez point, parce que vos jugements contraires en premier lieu à la vérité, blessent en second lieu la charité.

III.° Une troisième cause de nos jugements téméraires et faux, c'est que nous prononçons sur le caractère de notre prochain, d'après une action particulière, et que nous en tirons une conclusion générale.

Non, M. F. ! Il n'y a point d'homme qui ne pèche, le plus juste a ses faiblesses et ses imperfections, le plus juste est celui qui en a le moins ! Hélas ! Lorsque l'homme vertueux dément son auguste caractère, ce n'est point un sentiment de plaisir ou de joie, que nous devons éprouver ; un sentiment de tristesse, de douleur doit pénétrer notre âme, et produire un retour sur nous-mêmes !

Ah ! si l'or le plus pur en un plomb vil est changé ; si l'étoile la plus brillante a perdu son éclat ; que deviendra celle dont la splendeur est inférieure, sa lumière ne sera-t-elle pas changée en ténèbres ?
Eh bien le juste s'est rendu coupable, mais sa faute commise sans dessein, sans intention, sans volonté, n'a été qu'un court moment d'oubli, il a résisté avant de céder, il a combattu avant d'être entraîné, il est pécheur, mais il n'est pas corrompu ; il est coupable, mais il n'est point dépravé !

Et depuis quand une action isolée, constitue-t-elle l'opinion, que nous devons nous former de nos semblables ? 
Admettez ce principe pour le bien qu'ils opèrent, et comme vous n'en trouverez aucun qui n'ait fait dans sa vie un acte de vertu, il n'en est aucun que vous ne puissiez croire vertueux ! Et d'ailleurs pour juger de ce seul fait avec justice, avec équité, il faudrait connaître et la force de la tentation, et la surprise du moment, et les regrets qu'il a éprouvés de sa faute ; peut-être est-elle effacée par ses larmes et sa repentance, et pendant que vous le condamnez sur la terre, il est absous, justifié dans le ciel ! Mais vous vous plaisez à soupçonner que cette faute est un péché d'habitude, qu'ayant violé ce devoir, il enfreindra cet autre, et que tous les jours de sa vie ressemblent à ce jour malheureux !
Voilà donc l'homme de bien, condamné sans information, sans être entendu, voilà son caractère noirci, ses moeurs décriées, ses vertus effacées par une tache légère, des années de courage et de sagesse dont on ne tient plus aucun compte, à cause d'un moment d'erreur !
N'est-il pas contraire à la justice de ne choisir, de ne trier, si je puis le dire, que ce qui est à sa charge, et d'éloigner, de rejeter tout ce qui peut l'excuser, le justifier ?
C'est ainsi que les impies, ne considèrent dans le roi prophète, qui fut longtemps l'homme selon le coeur de Dieu, que les crimes dont il se rendit coupable, ils semblent ignorer toutes les vertus sublimes qui jusques alors avaient constamment brillé dans sa vie, et la sincérité de sa douleur, la vivacité de sa repentance, qui effacèrent sa transgression !
D'après ce barbare principe, comment supporteriez-vous vous-même un si cruel examen ?

Votre conduite pourrait-elle mériter encore un regard d'approbation ? Non l'homme le plus vertueux, le plus sage, le plus attaché à ses devoirs, cet homme qui est l'objet de l'amour de son Dieu, que la société estime et respecte, si vous rassembliez ses fautes légères, ses péchés d'inadvertance et de surprise, ses petits travers, et que vous les présentassiez sous ce jour défavorable ; cet homme l'objet de l'amour de son Dieu que la société estime et respecte, ne serait plus qu'un objet de mépris, et presque un monstre !
Quelle réputation ne serait pas en lambeaux, si on se permettait de juger d'une manière aussi injuste et scandaleuse ?
Quelle vertu ne serait pas consumée, plutôt qu'épurée, en passant par ce creuset ! Ne jugez point, car vos jugements violent toujours quelqu'une des lois les plus sacrées, les plus essentielles au bonheur de la société, ils violent les trois grands principes de l'Évangile, la vérité, la charité, la justice ! Je le répète, Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés, c'est le motif de mon texte, et le second point de ce discours.

PUNITION DES JUGEMENTS TÉMÉRAIRES.

Il n'est aucune de nos erreurs, M. F., qui ne porte avec elle sa punition, et cela est vrai surtout des jugements téméraires ; si vous vous les permettez, vous serez aussi jugés.

1.° Les hommes vous jugeront ;
2.° Dieu vous jugera.

I.° Les hommes vous jugeront : N'est-ce pas, je vous prie, une maxime admise dans le monde comme incontestable, que l'on ne prête aux autres que les sentiments qu'on a soi-même, qu'on ne les juge guère que d'après ses propres opinions, ses idées, ses pensées secrètes ?

C'est par une conséquence de ce principe que l'homme de bien, sévère pour lui-même, est indulgent à l'égard des autres ; parce que son coeur ne se laisse point prévenir en mal par une démarche dont il n'aperçoit pas distinctement les motifs et le but ; parce qu'il ne prête pas, sans des raisons convaincantes, un mauvais dessein, une intention vicieuse ; son coeur pur ne soupçonne pas le mal, il voudrait en douter encore, lors même qu'il est avéré ; il sait que de faibles nuages diminuent la clarté du jour, mais ne le font point disparaître, que les ombres passent, que la lumière demeure !

Ainsi l'indulgence à l'égard des autres est une preuve de la réalité, de la sincérité des vertus ; tandis que plus on se montre sévère, inflexible, plus on engage les autres à juger mal de nous ! Et cela n'est-il pas évident ?

D'où vient que vous jugez, que vous condamnez sur des apparences ? n'est-ce pas parce que vous avez éprouvé les petits orages des petites passions, parce que votre mémoire vous rappelle une circonstance, une erreur de votre vie, avec les sentiments qui vous ont alors animé ; et vous prêtez à votre frère et vos sentiments et votre erreur, parce que la circonstance où il se trouve paraît semblable à celle où vous vous trouviez vous-même !
N'est-ce pas parce que vous vous plaisez à attribuer à votre frère un égarement réel, et que votre honte paraît en diminuer à vos yeux ? Un coeur qui n'est pas pur exhale des vapeurs infectes et nuisibles, il les répand sur les actions d'autrui pour les ternir et les dénaturer !

Oui, en condamnant les jugements téméraires, en sentant tout leur crime et toute leur injustice, nous ne pouvons, M. F., (c'est un sentiment dont nous ne sommes pas les maîtres, et qui s'élève involontairement dans notre coeur) nous ne pouvons que nous défier de la vertu d'un homme qui, avec une curiosité barbare, examine la conduite de son frère, épluche tous les détails de ses actions, en sonde les motifs, et qui entasse des subtilités et des arguments pour prouver que ces motifs sont criminels, ou du moins peu louables.
Nous ne pouvons que nous défier de la probité de cet homme qui sans cesse élève des soupçons sur celle d'autrui, et qui croit que l'on n'attend que l'occasion de lui nuire.
Nous ne pouvons que former des jugements désavantageux contre une femme qui au lieu de défendre la réputation des personnes de son sexe, les couvre de blâme, les déchire, fait ressortir leur imprudence, ou s'en entretient avec plaisir.

Croyez-vous qu'après avoir si témérairement jugé et censuré les autres, vous éviterez leurs jugements et leurs censures ? Croyez-vous qu'on vous ménage, vous qui ne ménagez personne ? 
Croyez-vous qu'après avoir condamné vos frères avec tant de sévérité, vous ne serez pas condamné de même ? 
Que votre conduite fournisse quelque preuve ou quelque apparence contre vous, et on se servira de la même mesure dont vous vous êtes servi, on dira que vous ne méritez ni égard ni charité, puisque vous n'avez accordé ni l'un ni l'autre ; vous serez jugé d'après vos propres principes, et votre fausse, votre caustique vertu sera estimée comme elle doit l'être !
Voilà les beaux fruits que vous retirerez de cette subtile pénétration, de cette connaissance du coeur humain dont vous vous glorifiez, vous aurez donné la plus mauvaise opinion de votre caractère et de votre coeur ; vous aurez levé, sans y penser, le voile qui couvrait sa honte et ses faiblesses ; ils retomberont sur vous, pour vous briser, tous ces jugements précipités et cruels que vous avez portés contre votre prochain ; on vous accusera d'avoir jugé de ses sentiments par l'abjection des vôtres, et si l'on ne vous témoigne pas le mépris que vous inspirez, ce mépris n'est pas moins réel. Ne jugez donc point vos frères afin qu'ils ne vous jugent point !


II.° Mais si vous évitez les jugements des hommes, vous n'échapperez point à celui de Dieu ; Dieu vous jugera.
Condamner ainsi vos frères, c'est usurper son autorité, seul il est notre Créateur, notre Maître, notre Législateur ; seul il doit être notre Juge ; seul il a le droit de nous demander compte de nos actions, de nos pensées les plus secrètes ; seul il connaît nos coeurs et a le droit de les sonder.

En jugeant vos frères, vous essayez de lui ravir son autorité, vous vous asseyez sur son trône, et croyez-vous qu'il laisse cette usurpation, cet outrage impuni ? Vous vous rendez coupables de désobéissance ; y a-t-il un précepte de sa loi plus clair, plus positif que celui qui vous interdit ces jugements téméraires ?
Y a-t-il un précepte sur lequel on puisse involontairement se faire moins d'illusions ?
J. Christ ne cesse de répéter : Ne jugez point afin que vous ne soyez point jugés, car selon que vous jugerez on vous jugera. Ne jugez point selon les apparences, mais jugez d'un droit jugement.
Les Apôtres après lui donnent la même leçon, et comme les Corinthiens avaient péché à cet égard, St. Paul leur dit avec énergie : Qui es tu, toi qui juges ton frère, et pourquoi le condamnes-tu ?

Je vous le demande aussi, Chrétiens ! Qui êtes-vous, vous qui jugez vos frères ? En avez-vous le droit ? Cela ne vous est-il pas défendu ? Dieu vous a-t-il révélé le secret des coeurs ? Ou plutôt ne vous rendez-vous pas ainsi coupables à ses yeux ? Oui, coupables de désobéissance, de précipitation, de manque de charité, d'injustice ?

Lorsque vous paraîtrez devant son Tribunal, que l'intérieur de votre âme sera dévoilé, comment pourrez-vous subsister en jugement ?
Dans ce moment où vous êtes plus particulièrement sous ses yeux, rappelez-vous, si vous le pouvez, combien vos jugements téméraires ont été multipliés, avec quelle malignité la plupart ont été faits, et voyez à ce seul égard combien vous êtes coupables !
Combien de fois vous avez violé les premières lois du christianisme ; manqué à la vérité, à la charité, à la justice !
Combien vous avez fait éprouver de sentiments douloureux et pénibles à ceux dont vous avez terni la réputation !
À cette idée, à ce souvenir, l'effroi doit s'emparer de votre coeur, le nombre de vos péchés surpasse celui des cheveux de votre tête. Comme vous devez redouter ce jugement dans lequel le Juge suprême se servira de la même mesure dont vous avez usé envers les autres, et où un jugement sans miséricorde sera exercé contre ceux qui n'auront point usé de miséricorde !
Grand Dieu ! Qui pourra subsister devant toi ! Quel est l'homme qui puisse espérer d'être justifié devant ta face !
Ah Seigneur ! inspire-nous cette charité, ce support, cette indulgence, qui nous sont si nécessaires pour devenir les objets de ta clémence et de ton amour ! Cette charité qui est patiente, pleine de douceur et. de modération, qui produit les fruits heureux de la concorde et de la paix, qui changera notre société sur la terre en un paradis anticipé !

Et vous, M. F., prévenez ce jugement de Dieu en vous jugeant vous-mêmes ; votre coeur, je ne saurais trop le répéter, votre coeur, voilà l'étude à laquelle vous devez donner tous vos soins, voilà la connaissance la plus importante, la plus essentielle ; 
- en le purifiant, vous tarirez une des sources les plus fécondes de vos jugements téméraires ; 
- en le formant à la vertu, à la charité, vous étoufferez cette malignité qui répand ses tristes nuages sur la conduite de vos frères, et aimés de vos semblables, aimés de votre Dieu, vous goûterez sa paix, et si votre coeur ne vous condamne point, vous pourrez paraître avec assurance devant sa face.
Amen !


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