Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Signes précurseurs de la grâce

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Considérez, frères, que parmi vous qui avez été appelés il n'y a ni beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles. Mais Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages ; Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes ; et Dieu a choisi les choses viles du monde et celles qu'on méprise, celles qui ne sont point, pour réduire à néant celles qui sont, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu.
(I Cor. 1 : 26-29.)


Ces paroles, d'importance capitale, se sont accomplies dans ma vie. Tous nos jours, dès avant la fondation du monde, ont été décrits dans le Livre de notre Dieu. Dans sa toute-science, il connaît chacun et sait, comme Providence, quels sont les hommes qu'il veut et peut employer à la louange de sa gloire. Son Esprit-Saint cherche à travailler en tout homme et il veut que tous soient sauvés et parviennent à la connaissance de son salut.

Aussi loin que mes pensées se reportent et que j'ai souvenance de ma vie, je reconnais en tout la main paternelle et fidèle de Dieu. Mon coeur est rempli de louanges et d'actions de grâces en songeant à ce que ce Dieu bon a fait en moi et pour moi. Cependant, combien ne doit-il pas faire preuve de grâce et de patience jusqu'à ce qu'un homme commence enfin à connaître ses voies d'amour ! Il m'a ouvert les yeux sur son merveilleux amour, sa grâce et sa fidélité et je l'en remercie du tréfonds de mon coeur. Tout ce que j'écris ici doit le glorifier et être un témoignage de sa grâce surabondante, de sa providence et de sa sollicitude.


Maison paternelle et jeunesse.

Je naquis en 1868 à Dürrgraben, commune de Trachselwald, endroit situé dans une petite vallée latérale très isolée de l'Emmental. Notre maisonnette était bien solitaire, éloignée de toute circulation, et entourée de tous côtés par la forêt et des buissons. Huit enfants représentaient l'unique richesse de mes parents et nous étions très pauvres et méprisés. Mon père, paralysé par suite d'une crise cardiaque, ne pouvait se servir que d'une main mais, dans la mesure de ses forces, il procédait du matin au soir au défrichement de souches d'arbres dans la forêt. Cependant, ma mère endossait toute la responsabilité du ménage et le souci de pourvoir à notre subsistance. Bien souvent, elle eut grand'peine à gagner suffisamment pour nous permettre de manger à notre faim. Bien qu'ignorant ; à ce moment-là les bienfaits d'une communion personnelle avec Dieu, elle arrivait cependant à joindre les deux bouts, mais sa santé déclinait ; elle était chargée de soucis et de beaucoup de chagrins. Dieu a pourvu, dans sa grâce, à ce que je ne sois ni gâté, ni dorloté ; en ce qui concerne les vêtements, la mode ne jouait aucun rôle chez nous et, si nous avions de quoi nous vêtir et s'il nous était permis de manger en suffisance, nous étions satisfaits.

Il existe des signes avant-coureurs de la grâce, et Dieu l'a démontré à mon égard, même avant ma conversion. À l'âge de cinq ans, j'assistai à l'incendie de notre maisonnette et, si je considère la suite des faits, je dois dire que cet événement fait partie intégrante des signes précurseurs de la grâce. En effet, je fus alors accueilli dans la maison de mon parrain, riche paysan demeurant à Fluelen près de Lützelflüh, et dont la mère était croyante. Cette dernière était très pieuse et sa conduite témoignait de sa piété, bien qu'elle n'eût pas encore passé de la mort à la vie spirituelle. Mais elle réalisa la paix de Dieu, la nouvelle naissance, durant les dernières années de sa vie. - Dieu fait grâce aux humbles.

Elle avait fait un sujet de prière de ses domestiques et bon nombre d'entre eux se convertirent après son décès. En ce qui me concerne, je dois dire que cette femme m'a, en quelque sorte, arraché de mon état par la prière ; toutefois elle ne put voir la réalisation de son désir ici-bas. Comme mon éducation chrétienne lui tenait très à coeur, elle m'apprit à lire la Bible, et j'étais tenu (oui, j'étais obligé) de me rendre chaque dimanche à l'église ou, si tel n'était pas le cas, de lire un chapitre de la Bible ou une prière. Si cette dernière alternative s'imposait, je ne manquais pas alors de choisir un texte très court. Toutefois, en lisant la Parole de Dieu, j'étais obligé de reconnaître que ma position n'était pas du tout la vraie. Dans mon jeune âge, Dieu avait déjà travaillé mon coeur, mais, dans mon entourage, ainsi qu'à l'église, on affirmait que nous devions tous mourir comme pécheurs. De ce fait, je continuais à faire partie de ceux qui, selon leur opinion propre, croient en un Sauveur des pécheurs ; je restais lié par le péché tout en espérant être sauvé par grâce.

Mes parents déploraient mon insoumission mais, par contre, je ne manquais pas d'obéir à mon parrain car je savais pertinemment qu'il fallait lui obéir sans condition. À la maison, je trouvais continuellement motif à critique et, par esprit de contradiction, je faisais l'opposé de ce qui m'avait été ordonné. Mais je craignais mon parrain et je lui obéissais ; il ne me frappait jamais. Chez lui, je me pliais à la discipline bien plus qu'à la maison, car je savais très bien qu'il voulait que ses ordres fussent exécutés sans discussion. Jamais il ne mentait, que ce soit dans ses promesses ou dans ses menaces ; tous le savaient et c'est la raison pour laquelle l'ordre régnait dans sa maison.

Un incident est inoubliable pour moi. Un jour, je partis avec une charrette pour chercher une souche se trouvant au haut d'un pâturage et provenant d'un défrichement. Arrivé au bas du pâturage, je laissai là ma petite voiture, pensant qu'il me serait possible de faire rouler la souche jusqu'à cet endroit. Cependant, et contrairement à mes prévisions, elle roula dans un étang rempli de boue et de fange. Garçonnet de six ans, je n'eus plus que le désir de la sortir de là. M'enfonçant de plus en plus dans la vase, je ne pus ni avancer, ni reculer. En dépit des efforts que je fis pour me tirer de là, le limon allait bientôt entrer dans ma bouche. Enfin, je me rendis compte qu'il serait prudent de ne plus faire aucun mouvement, ce qui me préserva de m'enliser tout à fait.

Comme je n'étais pas présent au dîner et qu'ensuite on ne m'aperçut nulle part, on s'inquiéta. Des recherches furent entreprises, mais elles restèrent infructueuses. Subitement quelqu'un se rappela m'avoir vu partir avec une charrette. Immédiatement, un domestique vint à ma recherche. La vue du petit char lui fut un indice et il continua son chemin jusqu'à la digue entourant l'étang. Fouillant celui-ci du regard, il aperçut tout à coup ma tête aux cheveux blonds. Il me retira de là ainsi que la souche et, nous ayant placés tous deux sur la charrette, il prit le chemin du retour.

Je demeurai chez mon parrain jusqu'à ce que je fus astreint à fréquenter l'école. C'est alors que mes parents me rappelèrent. Par la suite, il me fut permis de passer mes vacances chez lui, où j'étais très bien reçu.

Souvent, il me chargeait de faire des commissions ; la situation était tout autre qu'à la maison. Lorsque maman m'envoyait faire des achats, je devais me présenter dans les magasins au nom de ma pauvre mère et... faire des dettes. Fréquemment l'on ne me donnait rien, faute d'argent.

Les choses se passaient d'une manière différente lorsque j'arrivais sur l'ordre de mon parrain ; sans hésitation on me donnait des choses représentant de fortes sommes, même si je n'avais point d'argent. En de pareilles circonstances, je pouvais partir avec cheval et voiture, sans bourse, puisque j'agissais pour mon parrain et non pour ma mère ! Comme garçon, je n'avais nullement changé, mais les ordres dont j'étais chargé émanaient de personnes de conditions financières absolument différentes. Plus tard, cela me fournit un exemple frappant lorsque je songeai à la façon dont nous nous présentons devant le Père céleste ; combien est grande aussi la différence, si nous y allons au nom de Jésus ou en notre nom personnel !

Chez mes parents, le matin il arrivait que nous étions dans l'obligation de nous rendre à l'école sans avoir mangé quoi que ce soit. Je me souviens qu'une fois nous eûmes l'aubaine, chemin faisant, de trouver un morceau de pain dans une mare. Comme cette trouvaille fut un sujet de plaisir ! Le tout fut partagé honnêtement entre nous.

Nos voisins avaient le bonheur de pouvoir manger en suffisance, et combien de fois, en ce temps-là, n'ai-je pas souhaité être à leur place ! J'aurais tant désiré me trouver dans une situation analogue ! Lorsque je devais tirer une charrette ou porter de lourds fardeaux, je pensais : « Les garçons voisins sont tout de même à envier, puisqu'ils sont en mesure d'utiliser le cheval et la voiture, et même de s'asseoir sur cette dernière ! »

À cette époque, les chutes de neige étaient très fortes et le chemin conduisant à l'école bien long ; nous devions passer par des sentiers étroits et tortueux. Dans notre contrée, il était de coutume de porter des guêtres par temps de neige, mais je n'en possédais pas ! J'étais chaussé de sabots bas et, par conséquent, j'étais à l'école tout le jour avec des pieds mouillés ! De temps à autre, il m'était permis de porter les guêtres de mes frères ou soeurs, ce que je faisais avec une grande joie et avec le sentiment d'être quelqu'un ! Oui, nous avons été bien pauvres.
Souvent j'ai vu ma mère en larmes lorsqu'elle n'avait point d'argent et que telle ou telle chose était si nécessaire ! Elle pleura lorsque le pain renchérit de cinq centimes, craignant que son prix n'augmente encore de quatre-vingt-quinze centimes à un franc. Combien de fois n'a-t-elle pas supplié le boulanger avec larmes de nous donner du pain, du maïs ou quelque chose de similaire, sans argent ! À cette époque-là, les gens avaient honte d'accepter l'assistance de la commune, et chaque cadeau reçu procurait une grande joie. Un certain voisin nous remettait un morceau de pain et du fromage, en récompense du travail effectué chez lui ; remplis de joie, nous courions à la maison pour partager ce don avec tous. Bien que les parts revenant à chacun fussent réduites, notre joie était grande. Dieu rémunérera une fois grandement de pareilsdonateurs ! Voilà ce qu'étaient nos conditions de vie !

À la confirmation, je reçus le texte : « Fortifie-toi et aie du courage ! Ne crains point et ne sois point effrayé devant eux ; car l'Éternel, ton Dieu, marchera lui-même avec toi, il ne te délaissera point et il ne t'abandonnera point ». Puis suivait le couplet du chant :

Intrépide et sans frayeur
Le chrétien n'a jamais peur,
Où qu'il soit, toujours il veille.
Même devant la mort
Son courage point ne sommeille ;
Il se sent encore plus fort !

Le pasteur a peut-être pensé, en me remettant un texte aussi beau, que j'avais été un bon catéchumène ! Je plaçai ce verset biblique à la paroi et, lors de ma conversion, il me réjouissait lorsque je le relisais ; je l'aime encore actuellement, car ces paroles me désaltèrent et me consolent : « Il ne te délaissera point et il ne t'abandonnera point ». Mais tout ceci se trouve être subordonné à la condition : « Ne crains point et ne sois point effrayé » ; alors, Dieu ne retire pas sa main et ne nous délaisse point. Parfois, j'ai été assailli par la crainte et il m'est arrivé d'avoir peur mais si, malgré la tentation, on persévère dans la foi, Dieu dit : « Il a vaincu ! » La part des incrédules sera l'étang ardent de feu et de soufre, et les versets bibliques sont à l'homme, soit en bénédiction, soit en malédiction. Nous avons un Dieuqui nous permet de réaliser de quelle façon il porte ceux qui croient en lui, même en tremblant. Si nous avons confiance en lui, nous sommes dans le repos.

Lorsque je songe à la maison paternelle, le fait que Dieu m'ait retiré le premier de mon état de péché me met dans l'étonnement ; ici encore, c'est l'oeuvre de sa grâce et de son amour insondables. Après ma conversion (mon père ne vivait plus), le désir de voir ma mère et mes frères et soeurs se convertir se fit intense. La première à se décider fut une soeur, la seconde en âge. Je lui avais rendu visite deux ou trois fois, la suppliant de se convertir ; mais après mon départ, elle plaçait un bâton derrière la porte, résolue fermement à en faire usage à mon égard la prochaine fois. Elle fréquentait assidûment l'église. Un jour commentant l'histoire de Zachée, une vérité s'échappa soudain de la bouche du pasteur. En effet, il déclara qu'il y avait lieu de rendre ce que l'on avait dérobé ; cela concernait plus particulièrement ma soeur, car elle avait volé des pruneaux. Immédiatement, elle se mit en route pour les payer puis, la chose étant en ordre, elle vint chez moi. Nous nous mîmes à genoux pour prier, mais elle prétendit n'être pas à même de le faire. Je lui répondis : « Je ne me lèverai pas avant que tu ne cèdes ! » Une demi-heure s'écoula ; enfin elle pria, réalisant en même temps la paix de Dieu. Le dimanche suivant et selon sa coutume, elle se rendit à l'église où, dans son sermon, le pasteur se rétracta au sujet des paroles qu'il avait prononcées,se rapportant à la réparation des torts. Il était trop tard ; ma soeur avait suivi son conseil et réalisé la paix de Dieu ; elle savait qu'elle avait agi selon la volonté de Dieu en payant ce qu'elle avait dérobé.

Lorsque je suppliais ma mère de se convertir elle se défendait, disant : « Vois-tu, Fritz, j'ai beaucoup souffert dans ma vie ! » Alors je lui répondais que malgré tout, elle devait se convertir. Elle continuait néanmoins, à baser son salut sur les difficultés de sa vie.

Lors des ensevelissements, on entendait souvent prêcher que les souffrances et les difficultés supportées par la personne décédée étaient le motif de son salut et de son acceptation auprès de Dieu. Ma mère remplie de cette croyance, ne se laissait pas dissuader. En fin de compte je lui dis (une déclaration pareille à son égard me coûta beaucoup) : « Maman, tu nous as appris à voler et à mentir ; tu es une mauvaise mère ! » - Ce n'est pas vrai ! répondit-elle. Je lui dis alors : « Te souviens-tu de m'avoir envoyé voler du bois, ainsi que des raves sur le champ ? » Réflexion faite, elle se remémora le fait. - « Tu nous as appris à mentir ! Tu nous ordonnais de dire que tu étais absente lorsqu'un créancier venait chez nous ! » Ici également elle dut reconnaître la véracité de la chose. Enfin, elle s'écroula intérieurement. Se rendant ensuite chez chacun de ses enfants (nous n'habitions plus en commun), elle demanda pardon à tous et s'humilia devant Dieu. Ma soeur aînée qui, pendant un certain temps, avait suivi les assemblées, chercha à la détourner en lui faisant remarquer que tout cela ne valait rien. Ma mère en fut grandement ébranlée, mais la seconde soeur - qui était une enfant de Dieu - s'adressa à elle en lui disant : « Maman, ne veux-tu pas accepter ce que Fritz a dit ? » Peu de temps après, je rendis à nouveau visite à ma mère qui, de loin déjà, vint à moi. Avant d'arriver auprès d'elle, il me fut permis de constater qu'elle avait également réalisé la paix de Dieu ; nous nous embrassâmes, puis louâmes Dieu et elle raconta les grandes choses que le Seigneur avait faites pour son âme.


Choix d'une profession - Service militaire - Mariage.

 

Au jour de ma détresse, je cherche le Seigneur.
(Psaume 77 : 3.)


Dieu sait de quelle façon il doit conduire les siens. Il savait ce qui m'était salutaire car, dans ma jeunesse déjà, il avait dirigé mon coeur. Je recherchais tous les moyens possibles pour devenir riche, mais il ne m'a pas permis de faire fortune. Aujourd'hui, je vois combien il fut salutaire que Dieu ne permette pas la réalisation de mes plans.

Peu avant la fin de ma scolarité, mon parrain me fit un dépôt de cinquante francs à la banque. Il m'offrit aussi de prendre à sa charge les frais d'apprentissage d'un métier, à condition que je reste une année chez lui. Il me donnerait également quelque argent de poche, tout en s'occupant de mes vêtements, à moins que je ne préfèrerester définitivement chez lui. Dieu dirigea probablement les choses afin que je saisisse absolument à rebours le sens de ses paroles. Je crus, en effet, qu'il me garderait chez lui comme domestique. Plus tard, j'appris qu'il avait pleuré lorsque je le quittai ; car il avait eu l'intention de me faire don de sa grande ferme ! Ensuite, s'étant renseigné au sujet du métier que je choisirais, il apprit que celui de charron me plaisait. Il me le déconseilla vivement, prétendant que tous les charrons étaient pauvres et qu'il serait préférable d'apprendre sellier ou fromager. Quant à moi, je préférais le charronnage. Il est vrai qu'en ce temps-là ce travail était l'un des plus mal rétribués. Même en étant très économe, il était quasi impossible de joindre les deux bouts. Il y avait tant de charrons que le travail ne s'obtenait qu'à très bas prix. Été comme hiver, il fallait travailler de bonne heure pour terminer bien tard dans la nuit.

Mon apprentissage ne fut pas gai, mais les privations ne me parurent pas insupportables, car j'avais été habitué aux privations et je n'avais pas ignoré la faim. En quittant définitivement l'école, j'avais pensé : « Voilà, dès à présent, tu peux faire ce que bon te semble ; il n'y aura plus aucun obstacle à cela ! » Puis, j'avais espéré qu'à la fin de l'apprentissage la vie serait plus clémente et je voulus arriver à quelque chose ; mes pensées et mes aspirations étaient remplies de cet espoir, mais Dieu me préserva à travers toutes les tentations. Ce n'est que plus tard queje me rendis bien à l'évidence que ma vie aurait été tout autre si Dieu ne m'avait pas préservé. Deux fois, je fus sur le point de me fiancer à une fille fortunée, mais Dieu en avait décidé autrement et ce n'est que longtemps après que je m'aperçus que Dieu avait d'autres vues à mon égard. Déjà en ce temps-là, il voyait la fondation de l'Assemblée évangélique des frères.

C'est pendant ce laps de temps que je fis mon premier cours de service militaire. J'avais été renvoyé de deux ans parce que j'étais chétif et petit. C'est ainsi que je fis l'école de recrues à vingt-deux ans. Je l'accomplis d'ailleurs avec enthousiasme. Un certain fait m'a laissé un souvenir vivant : Nous devions nettoyer nos gamelles. La mienne était complètement noire. Je frottais de toutes mes forces. Malgré mes efforts, elle ne changeait pas d'aspect mais je remarquai qu'elle était imprégnée de goudron, de sorte que plus je frottais plus le goudron se répandait. Il m'était impossible de l'enlever et nous n'avions pas d'eau chaude. J'étais encore possédé par le malin et il me suggéra l'idée de saisir une occasion propice pour échanger ma gamelle contre celle bien propre d'un camarade.

Lors de ma conversion, je réalisai quelque chose de semblable. Sans y parvenir, je voulus nettoyer mon coeur. Il devait être changé. Alors, je vins au Sauveur qui ôta de mon coeur tous les péchés et me fit don d'un coeur nouveau, pur, selon cette parole : « J'ôterai de votre corps le coeur de pierre - souillé - et je vous donnerai un coeur de chair,- un coeur propre, pur ». (Ezéchiel 36 : 26.) Seul, je n'y serais jamais arrivé ; c'est l'oeuvre de Dieu. Je renonçai à mes efforts, lorsque je vis que c'était son oeuvre.

Tôt après l'école de recrues, je me mariai à une pauvre servante placée dans le voisinage et qui, pour toute fortune, possédait la somme de 80 francs. Moi-même je ne possédais rien ; ainsi les complications ne furent pas bien grandes ! Toutefois, notre bien était quelque peu plus important que celui de Bunyan qui, lors de son mariage, ne possédait qu'une cuiller en commun avec son épouse. Nous en avions tout de même une pour chacun et d'autres ustensiles ! Notre mobilier se composait alors d'un matelas valant 60 à 70 francs, d'une table (utilisée encore à présent) pour la « salle à manger » valant 1 fr. 30 ! Nous n'avions ni fauteuils, ni canapé. Des bancs alignés le long de la paroi nous suffisaient. Je confectionnai moi-même le bois du lit, mais nous n'avions pas d'armoire. L'installation de la cuisine ne coûta pas bien cher. Nous étions heureux autant que peuvent l'être des personnes inconverties.
Bien que nos dépenses fussent limitées au strict nécessaire, nous vivions dans la pauvreté et les difficultés. En qualité d'ouvrier, je gagnais hebdomadairement la somme de quatre francs ; plus tard en qualité de maître-charron, pour débuter je reçus un salaire journalier de un franc. Relevons cependant que pour arriver à ce gain, il fallait être au travail de cinq heures du matin à sept heures du soir, sans prendre de repos à midi. Courageusement, ma femmese mit à gagner en faisant du travail rétribué à la journée. Un jour, je pus m'établir à mon compte, mais l'argent nécessaire à l'achat de l'outillage et de la réserve de bois me faisant défaut, je dus faire des dettes. Toute notre application et notre capacité de travail ne purent arriver à bout de la pauvreté et des difficultés qui surgirent alors.

Souvent, j'étais accablé, et ma détresse me poussait à tourner les regards vers Dieu. Il me semblait être un homme des plus pieux. Sans ces angoisses constantes, je n'aurais certes pas songé à chercher Dieu : J'assistais régulièrement au culte à l'église. S'il m'arrivait de ne pas m'y rendre deux dimanches de suite, j'avais l'impression d'être un impie. J'allais à l'église non pas pour écouter la Parole mais seulement pour tranquilliser ma conscience. Je priais beaucoup, non pour être exaucé, mais uniquement pour avoir prié ! Pendant le sermon, je me demandais ce que j'allais entreprendre l'après-midi, c'est-à-dire si je jouerais aux cartes ou aux quilles. Fatigué, par six jours de travaux pénibles, je cédais souvent au sommeil et le mot : « Amen », prononcé à la fin du sermon représentait chaque fois un bienfait pour moi, car il n'était pas dans mes habitudes de rester assis longtemps. Lorsque le jour de la communion arrivait, je faisais un visage triste et je baissais la tête, et c'est ainsi que je me présentais devant l'autel ; puis je m'en retournais à la maison avec cette même tristesse. L'après-midi, je me consolais en pensant : « Dimanche prochain, il me sera permis de rejouer aux cartes ! »

Je ne pouvais, en effet, me permettre cela le dimanche du service de sainte Cène ! C'est donc à de telles manières pieuses que j'avais recours. Beaucoup le font encore aujourd'hui. J'étais un pécheur pieux, un pécheur d'église, et je tenais beaucoup à elle. Si l'on mettait en pratique l'enseignement que nous y recevions, il était aisé de couvrir ses fautes et d'excuser ses manquements.

Ainsi, je croyais être un chrétien très pieux, et je me trouvais être brave et intègre. Toutefois, j'aurais désiré être libéré uniquement de cinq péchés, pensant que si je ne les avais plus je ne saurais être confondu devant le tribunal de Christ ! C'étaient : le jeu de cartes, le jeu de quilles, les jurons, le mensonge et la passion de fumer. Je croyais qu'en fréquentant l'auberge je trouverais des clients. Cette habitude fit de moi un joueur de cartes et de quilles passionné. La passion du jeu de cartes m'attirait sans cesse au café. Lorsque j'y étais attablé, il arrivait fréquemment qu'un certain « mômier », revenant d'une assemblée, s'arrêtait pour boire sa petite chope ou ses deux ou trois décis ! Naturellement, cela m'encourageait à rester encore plus longtemps à ma place. En rentrant chez moi, je ne manquais pas de consoler ma femme, m'excusant et lui disant qu'un tel y était également ! Une fois même, je fixai une carte de jeu au dos de cet homme, qui s'en retourna ainsi à la maison ! Quelquefois, nous jouions aux cartes dans mon atelier jusqu'à l'aube. Ces nuits de jeu produisaient en moi des sentiments étranges.

J'étais également un menteur stupide ; d'ailleurs, le mensonge est toujours quelque chose de stupide ! Étant garçonnet, je rendis une fois visite à ma tante puis, m'en retournant à la maison, je racontai qu'on m'avait servi de la viande. Lors de la prochaine visite de ma tante, ma mère ne manqua pas de la remercier. Il s'avéra alors que j'avais raconté des choses ridicules et je fus démasqué comme menteur !

J'étais terriblement lié au tabac ! Malgré des malaises s'accentuant jusqu'à perdre l'appétit, je ne pouvais arrêter de fumer la pipe et, souvent, j'avais l'impression d'avoir la langue brûlée. On entend souvent parler de la saveur d'un bon cigare, mais je n'ai jamais été de cet avis. Désirant ardemment ne plus être asservi par ma pipe, je la brisai plusieurs fois, lançant les morceaux au loin ; mais toujours, et en dépit de l'état pitoyable qui m'attendait chaque fois, je devais recommencer. Lorsque je ne pouvais pas acheter du tabac, je remplaçais celui-ci par de la fleur de foin ; il ne m'était pas possible de rester plus de deux ou trois jours sans fumer. Que c'est triste ! Si on éprouvait de tels malaises en lisant la Bible, on ne recommencerait plus de la lire. Oui, le péché est la ruine des hommes !

Le lundi, le mardi et même le mercredi, souvent je ressentais encore les effets de mes excès. Je savais que c'était le résultat de mes passions. Les regards de ma femme disaient clairement : « Tu es le seul responsable de ta conduite de dimanche ! » Le travail pesait alors terriblement sur mes épaules. Combien la journée me semblait longue ! Tout en travaillant, je me demandais s'il n'était pas bientôt midi ? » Mais les aiguilles du cadran avançaient avec une lenteur désespérante ! Comme toute cette situation se modifia lors de ma conversion ! J'étais heureux et mes jours se succédaient rapidement.

J'avais été séduit également par le vol. Je me serais bien gardé de dérober de l'argent, il ne s'agissait pas de cela ; d'ailleurs, les occasions auraient été minimes, mais je volais d'autres choses telles que du bois, des cerises, des prunes, etc. Le méfait ne me pesait pas beaucoup si j'avais passé inaperçu. Mes péchés ne me faisaient point honte, j'en faisais même un sujet de vantardise auprès de mes semblables ! Cependant la grâce, par des signes précurseurs, fait retentir son appel partout. (Prov. 1.) Si je me trouvais dans la forêt le dimanche matin en train de braconner, avec mon fusil, et que le son des cloches de l'église arrivait jusqu'à moi, la grâce me reprenait : « Tu n'es pas au bon endroit ! » et elle me renvoyait à la maison. Malgré cela, les choses en restaient là et je continuais à servir le malin, suivant mon propre chemin. Le dimanche matin, j'étais à l'église et, l'après-midi, je jouais aux cartes ou aux quilles ; le diable prend grand plaisir à des gens de cette sorte !

Une fois, des comédiens passèrent dans notre village avec des chameaux, des singes et un ours attaché par une boucle nasale. Le dompteur faisait claquer son fouet et lui criait : « Hop là, hop là, hop là là ! ». Sous l'action du fouet, l'ours dansait. Le diable agit ainsi avec les hommes aussi longtemps qu'ils sont placés sous sa domination. Les tenant fermement liés, il leur crie aussi : « Hop là, hop là, hop là là ! » et, ainsi, ils doivent recommencer continuellement à jouer aux cartes, aux quilles, et à suivre les péchés de la chair ; même s'ils ne le veulent plus ; j'ai réalisé cela !

Je ne voulais plus fréquenter l'auberge, mais l'ordre était là : « Hop là, hop là ! » C'est bien triste, mais c'est ainsi, et pourtant, l'aide et la délivrance sont là pour chacun. Cependant, je ne le voyais et ne le savais pas ; je luttais contre la puissance du péché par mes propres forces.

Lorsque je m'en retournais à la maison en sortant de l'auberge et que j'apercevais mes enfants vêtus d'habits déchirés et portant des souliers troués, la voix de ma conscience s'élevait plus fort. Oh ! comme cela rongeait mon coeur ! Je devais bien convenir que j'aurais été à même de parer à bien des difficultés, sans mon ivrognerie et ma passion du tabac. Une certaine fois, je pus m'en rendre compte de façon évidente : Nous n'avions plus de pain et, pour tout argent, il restait vingt centimes. Si du moins nous avions possédé dix centimes de plus ! Cela nous aurait permis d'acheter le pain si nécessaire ! Je vis alors clairement combien je gaspillais mon argent, le sacrifiant au malin ! Les besoins de ma famille augmentaient et mes passions la jetaient de plus en plus dans la pauvreté. Je tombai malade et je craignis d'être à la charge de la commune avec mes enfants ; j'en eus honte.

Ayant pris plusieurs résolutions, je fis solennellement la déclaration suivante à ma femme : « J'ai été à l'auberge pour la dernière fois ! » Des déterminations de ce genre ne modifièrent aucunement la situation, et ma femme ne croyait plus à de telles paroles. Il m'était difficile de m'arrêter ; s'il m'eût été possible de le faire, je ne me serais jamais converti ! Lorsque j'étais en possession de quelque argent et que j'entendais mes camarades jouer aux quilles, j'étais attiré et je ne pouvais résister.

Combien de fois me suis-je mis à genoux sous un cerisier, lorsque je rentrais à la maison en sortant du restaurant suppliant Dieu : « Aide-moi ! » En ce temps-là, je lisais assidûment la Bible, mais vivre selon ce livre me paraissait impossible ; j'avais l'impression que nul ne saurait subsister. Maintes fois, j'oubliais mon chapeau à l'endroit où j'avais prié et, le jour suivant, je devais m'en retourner pour le chercher. Un jour du mois d'avril, je fis serment à Dieu, en levant les doigts, que je ne jouerais plus, ni aux cartes, ni aux quilles, jusqu'à Sylvestre. Cependant, je brisai cet engagement à Noël et, depuis ce moment-là, ce dicton me poursuivit continuellement : « Le chemin de l'enfer est pavé de bonnes résolutions ! » Selon « le train de ce monde et selon le prince de la puissance de l'air, de l'esprit qui agit maintenant dans les fils de la rébellion » on est esclave du péché, bien que sachant que c'est mal. Mais la force rédemptrice de Dieu se révèle à celui qui désire rompre sérieusement avec tous les péchés, non seulement avec ceux qui lui créent le plus de soucis. Certain de la victoire, le regard d'un tel homme se portera vers l'avenir et il témoignera avec joie : « C'est assez, en effet, d'avoir dans le temps passé accompli la volonté des païens, en marchant dans la dissolution, les convoitises, l'ivrognerie, les excès du manger et du boire, et les idolâtries criminelles. » (I Pierre 4 : 3.) Ce n'est que lorsqu'il veut rompre avec le péché, que l'homme se rend compte de la puissance de celui-ci, et il réalise ce qu'il est vraiment de nature. « Quiconque se livre au péché, est esclave du péché. Si donc le Fils vous affranchit, vous êtes réellement libres ! » (Jean 8 : 34-36.)

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