Considérez,
frères,
que parmi vous qui avez été
appelés il n'y a ni beaucoup de sages selon
la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de
nobles. Mais Dieu a choisi les choses folles du
monde pour confondre les sages ; Dieu a choisi
les choses faibles du monde pour confondre les
fortes ; et Dieu a choisi les choses viles du
monde et celles qu'on méprise, celles qui ne
sont point, pour réduire à
néant celles qui sont, afin que nulle chair
ne se glorifie devant Dieu.
(I
Cor. 1 : 26-29.)
Ces paroles, d'importance capitale, se sont
accomplies dans ma vie. Tous nos jours, dès
avant la fondation du monde, ont été
décrits dans le Livre de notre Dieu. Dans sa
toute-science, il connaît chacun et sait,
comme Providence, quels sont les hommes qu'il veut
et peut employer à la louange de sa gloire.
Son Esprit-Saint cherche à travailler en
tout homme et il veut que tous soient sauvés
et parviennent à la connaissance de son
salut.
Aussi loin que mes pensées se
reportent et que j'ai souvenance de ma vie, je
reconnais en tout la main paternelle et
fidèle de Dieu. Mon coeur est rempli de
louanges et d'actions de grâces en songeant
à ce que ce Dieu
bon a fait en moi et pour moi. Cependant, combien
ne doit-il pas faire preuve de grâce et de
patience jusqu'à ce qu'un homme commence
enfin à connaître ses voies
d'amour ! Il m'a ouvert les yeux sur son
merveilleux amour, sa grâce et sa
fidélité et je l'en remercie du
tréfonds de mon coeur. Tout ce que
j'écris ici doit le glorifier et être
un témoignage de sa grâce
surabondante, de sa providence et de sa
sollicitude.
Je naquis en 1868 à Dürrgraben,
commune de Trachselwald, endroit situé dans
une petite vallée latérale
très isolée de l'Emmental. Notre
maisonnette était bien solitaire,
éloignée de toute circulation, et
entourée de tous côtés par la
forêt et des buissons. Huit enfants
représentaient l'unique richesse de mes
parents et nous étions très pauvres
et méprisés. Mon père,
paralysé par suite d'une crise cardiaque, ne
pouvait se servir que d'une main mais, dans la
mesure de ses forces, il procédait du matin
au soir au défrichement de souches d'arbres
dans la forêt. Cependant, ma mère
endossait toute la responsabilité du
ménage et le souci de pourvoir à
notre subsistance. Bien souvent, elle eut
grand'peine à gagner suffisamment pour nous
permettre de manger à notre faim. Bien
qu'ignorant ; à ce moment-là les
bienfaits d'une communion personnelle avec Dieu,
elle arrivait cependant à
joindre les deux bouts, mais sa santé
déclinait ; elle était
chargée de soucis et de beaucoup de
chagrins. Dieu a pourvu, dans sa grâce,
à ce que je ne sois ni gâté, ni
dorloté ; en ce qui concerne les
vêtements, la mode ne jouait aucun rôle
chez nous et, si nous avions de quoi nous
vêtir et s'il nous était permis de
manger en suffisance, nous étions
satisfaits.
Il existe des signes avant-coureurs de la
grâce, et Dieu l'a démontré
à mon égard, même avant ma
conversion. À l'âge de cinq ans,
j'assistai à l'incendie de notre maisonnette
et, si je considère la suite des faits, je
dois dire que cet événement fait
partie intégrante des signes
précurseurs de la grâce. En effet, je
fus alors accueilli dans la maison de mon parrain,
riche paysan demeurant à Fluelen près
de Lützelflüh, et dont la mère
était croyante. Cette dernière
était très pieuse et sa conduite
témoignait de sa piété, bien
qu'elle n'eût pas encore passé de la
mort à la vie spirituelle. Mais elle
réalisa la paix de Dieu, la nouvelle
naissance, durant les dernières
années de sa vie. - Dieu fait grâce
aux humbles.
Elle avait fait un sujet de prière de
ses domestiques et bon nombre d'entre eux se
convertirent après son décès.
En ce qui me concerne, je dois dire que cette femme
m'a, en quelque sorte, arraché de mon
état par la prière ; toutefois
elle ne put voir la réalisation de son
désir ici-bas. Comme mon éducation
chrétienne lui tenait très à
coeur, elle m'apprit à lire la Bible, et
j'étais tenu (oui, j'étais
obligé) de me rendre chaque dimanche à
l'église
ou, si tel n'était pas le cas, de lire un
chapitre de la Bible ou une prière. Si cette
dernière alternative s'imposait, je ne
manquais pas alors de choisir un texte très
court. Toutefois, en lisant la Parole de Dieu,
j'étais obligé de reconnaître
que ma position n'était pas du tout la
vraie. Dans mon jeune âge, Dieu avait
déjà travaillé mon coeur,
mais, dans mon entourage, ainsi qu'à
l'église, on affirmait que nous devions tous
mourir comme pécheurs. De ce fait, je
continuais à faire partie de ceux qui, selon
leur opinion propre, croient en un Sauveur des
pécheurs ; je restais lié par le
péché tout en espérant
être sauvé par grâce.
Mes parents déploraient mon
insoumission mais, par contre, je ne manquais pas
d'obéir à mon parrain car je savais
pertinemment qu'il fallait lui obéir sans
condition. À la maison, je trouvais
continuellement motif à critique et, par
esprit de contradiction, je faisais l'opposé
de ce qui m'avait été ordonné.
Mais je craignais mon parrain et je lui
obéissais ; il ne me frappait jamais.
Chez lui, je me pliais à la discipline bien
plus qu'à la maison, car je savais
très bien qu'il voulait que ses ordres
fussent exécutés sans discussion.
Jamais il ne mentait, que ce soit dans ses
promesses ou dans ses menaces ; tous le
savaient et c'est la raison pour laquelle l'ordre
régnait dans sa maison.
Un incident est inoubliable pour moi. Un
jour, je partis avec une charrette pour chercher
une souche se trouvant au haut d'un pâturage
et provenant d'un défrichement.
Arrivé au bas du pâturage, je laissai
là ma petite voiture, pensant qu'il me
serait possible de faire rouler la souche
jusqu'à cet endroit. Cependant, et
contrairement à mes prévisions, elle
roula dans un étang rempli de boue et de
fange. Garçonnet de six ans, je n'eus plus
que le désir de la sortir de là.
M'enfonçant de plus en plus dans la vase, je
ne pus ni avancer, ni reculer. En dépit des
efforts que je fis pour me tirer de là, le
limon allait bientôt entrer dans ma bouche.
Enfin, je me rendis compte qu'il serait prudent de
ne plus faire aucun mouvement, ce qui me
préserva de m'enliser tout à
fait.
Comme je n'étais pas présent
au dîner et qu'ensuite on ne m'aperçut
nulle part, on s'inquiéta. Des recherches
furent entreprises, mais elles restèrent
infructueuses. Subitement quelqu'un se rappela
m'avoir vu partir avec une charrette.
Immédiatement, un domestique vint à
ma recherche. La vue du petit char lui fut un
indice et il continua son chemin jusqu'à la
digue entourant l'étang. Fouillant celui-ci
du regard, il aperçut tout à coup ma
tête aux cheveux blonds. Il me retira de
là ainsi que la souche et, nous ayant
placés tous deux sur la charrette, il prit
le chemin du retour.
Je demeurai chez mon parrain jusqu'à
ce que je fus astreint à fréquenter
l'école. C'est alors que mes parents me
rappelèrent. Par la suite, il me fut permis
de passer mes vacances chez lui, où
j'étais très bien reçu.
Souvent, il me chargeait de faire des
commissions ; la situation était tout
autre qu'à la maison. Lorsque maman
m'envoyait faire des achats, je devais me
présenter dans
les magasins au nom de ma pauvre mère et...
faire des dettes. Fréquemment l'on ne me
donnait rien, faute d'argent.
Les choses se passaient d'une manière
différente lorsque j'arrivais sur l'ordre de
mon parrain ; sans hésitation on me
donnait des choses représentant de fortes
sommes, même si je n'avais point d'argent. En
de pareilles circonstances, je pouvais partir avec
cheval et voiture, sans bourse, puisque j'agissais
pour mon parrain et non pour ma mère !
Comme garçon, je n'avais nullement
changé, mais les ordres dont j'étais
chargé émanaient de personnes de
conditions financières absolument
différentes. Plus tard, cela me fournit un
exemple frappant lorsque je songeai à la
façon dont nous nous présentons
devant le Père céleste ; combien
est grande aussi la différence, si nous y
allons au nom de Jésus ou en notre nom
personnel !
Chez mes parents, le matin il arrivait que
nous étions dans l'obligation de nous rendre
à l'école sans avoir mangé
quoi que ce soit. Je me souviens qu'une fois nous
eûmes l'aubaine, chemin faisant, de trouver
un morceau de pain dans une mare. Comme cette
trouvaille fut un sujet de plaisir ! Le tout
fut partagé honnêtement entre
nous.
Nos voisins avaient le bonheur de pouvoir
manger en suffisance, et combien de fois, en ce
temps-là, n'ai-je pas souhaité
être à leur place ! J'aurais tant
désiré me trouver dans une situation
analogue ! Lorsque je devais tirer une
charrette ou porter de lourds fardeaux, je
pensais : « Les garçons voisins
sont tout
de même à envier, puisqu'ils sont en
mesure d'utiliser le cheval et la voiture, et
même de s'asseoir sur cette
dernière ! »
À cette époque, les chutes de
neige étaient très fortes et le
chemin conduisant à l'école bien
long ; nous devions passer par des sentiers
étroits et tortueux. Dans notre
contrée, il était de coutume de
porter des guêtres par temps de neige, mais
je n'en possédais pas ! J'étais
chaussé de sabots bas et, par
conséquent, j'étais à
l'école tout le jour avec des pieds
mouillés ! De temps à autre, il
m'était permis de porter les guêtres
de mes frères ou soeurs, ce que je faisais
avec une grande joie et avec le sentiment
d'être quelqu'un ! Oui, nous avons
été bien pauvres.
Souvent j'ai vu ma mère en larmes
lorsqu'elle n'avait point d'argent et que telle ou
telle chose était si
nécessaire ! Elle pleura lorsque le
pain renchérit de cinq centimes, craignant
que son prix n'augmente encore de
quatre-vingt-quinze centimes à un franc.
Combien de fois n'a-t-elle pas supplié le
boulanger avec larmes de nous donner du pain, du
maïs ou quelque chose de similaire, sans
argent ! À cette
époque-là, les gens avaient honte
d'accepter l'assistance de la commune, et chaque
cadeau reçu procurait une grande joie. Un
certain voisin nous remettait un morceau de pain et
du fromage, en récompense du travail
effectué chez lui ; remplis de joie,
nous courions à la maison pour partager ce
don avec tous. Bien que les parts revenant à
chacun fussent réduites, notre joie
était grande. Dieu rémunérera
une fois grandement de
pareilsdonateurs !
Voilà ce qu'étaient nos conditions de
vie !
À la confirmation, je reçus le
texte : « Fortifie-toi et aie du
courage ! Ne crains point et ne sois point
effrayé devant eux ; car
l'Éternel, ton Dieu, marchera lui-même
avec toi, il ne te délaissera point et il ne
t'abandonnera point ». Puis suivait le
couplet du chant :
- Intrépide et sans frayeur
- Le chrétien n'a jamais peur,
- Où qu'il soit, toujours il veille.
- Même devant la mort
- Son courage point ne sommeille ;
- Il se sent encore plus fort !
Le pasteur a peut-être pensé, en me
remettant un texte aussi beau, que j'avais
été un bon
catéchumène ! Je plaçai
ce verset biblique à la paroi et, lors de ma
conversion, il me réjouissait lorsque je le
relisais ; je l'aime encore actuellement, car
ces paroles me désaltèrent et me
consolent : « Il ne te
délaissera point et il ne t'abandonnera
point ». Mais tout ceci se trouve
être subordonné à la
condition : « Ne crains point et ne
sois point effrayé » ; alors,
Dieu ne retire pas sa main et ne nous
délaisse point. Parfois, j'ai
été assailli par la crainte et il
m'est arrivé d'avoir peur mais si,
malgré la tentation, on
persévère dans la foi, Dieu
dit : « Il a
vaincu ! » La part des
incrédules sera l'étang ardent de feu
et de soufre, et les versets bibliques sont
à l'homme, soit en
bénédiction, soit en
malédiction. Nous avons un
Dieuqui nous permet de
réaliser de quelle façon il porte
ceux qui croient en lui, même en tremblant.
Si nous avons confiance en lui, nous sommes dans le
repos.
Lorsque je songe à la maison
paternelle, le fait que Dieu m'ait retiré le
premier de mon état de péché
me met dans l'étonnement ; ici encore,
c'est l'oeuvre de sa grâce et de son amour
insondables. Après ma conversion (mon
père ne vivait plus), le désir de
voir ma mère et mes frères et soeurs
se convertir se fit intense. La première
à se décider fut une soeur, la
seconde en âge. Je lui avais rendu visite
deux ou trois fois, la suppliant de se
convertir ; mais après mon
départ, elle plaçait un bâton
derrière la porte, résolue fermement
à en faire usage à mon égard
la prochaine fois. Elle fréquentait
assidûment l'église. Un jour
commentant l'histoire de Zachée, une
vérité s'échappa soudain de la
bouche du pasteur. En effet, il déclara
qu'il y avait lieu de rendre ce que l'on avait
dérobé ; cela concernait plus
particulièrement ma soeur, car elle avait
volé des pruneaux. Immédiatement,
elle se mit en route pour les payer puis, la chose
étant en ordre, elle vint chez moi. Nous
nous mîmes à genoux pour prier, mais
elle prétendit n'être pas à
même de le faire. Je lui
répondis : « Je ne me
lèverai pas avant que tu ne
cèdes ! » Une demi-heure
s'écoula ; enfin elle pria,
réalisant en même temps la paix de
Dieu. Le dimanche suivant et selon sa coutume, elle
se rendit à l'église où, dans
son sermon, le pasteur se rétracta au sujet
des paroles qu'il avait
prononcées,se rapportant
à la réparation des torts. Il
était trop tard ; ma soeur avait suivi
son conseil et réalisé la paix de
Dieu ; elle savait qu'elle avait agi selon la
volonté de Dieu en payant ce qu'elle avait
dérobé.
Lorsque je suppliais ma mère de se
convertir elle se défendait, disant :
« Vois-tu, Fritz, j'ai beaucoup souffert
dans ma vie ! » Alors je lui
répondais que malgré tout, elle
devait se convertir. Elle continuait
néanmoins, à baser son salut sur les
difficultés de sa vie.
Lors des ensevelissements, on entendait
souvent prêcher que les souffrances et les
difficultés supportées par la
personne décédée
étaient le motif de son salut et de son
acceptation auprès de Dieu. Ma mère
remplie de cette croyance, ne se laissait pas
dissuader. En fin de compte je lui dis (une
déclaration pareille à son
égard me coûta beaucoup) :
« Maman, tu nous as appris à voler
et à mentir ; tu es une mauvaise
mère ! » - Ce n'est pas
vrai ! répondit-elle. Je lui dis
alors : « Te souviens-tu de m'avoir
envoyé voler du bois, ainsi que des raves
sur le champ ? » Réflexion
faite, elle se remémora le fait. -
« Tu nous as appris à
mentir ! Tu nous ordonnais de dire que tu
étais absente lorsqu'un créancier
venait chez nous ! » Ici
également elle dut reconnaître la
véracité de la chose. Enfin, elle
s'écroula intérieurement. Se rendant
ensuite chez chacun de ses enfants (nous
n'habitions plus en commun), elle demanda pardon
à tous et s'humilia devant Dieu. Ma soeur
aînée qui, pendant un certain temps,
avait suivi les assemblées, chercha
à la détourner en lui faisant
remarquer que tout cela ne valait rien. Ma
mère en fut grandement
ébranlée, mais la seconde soeur - qui
était une enfant de Dieu - s'adressa
à elle en lui disant :
« Maman, ne veux-tu pas accepter ce que
Fritz a dit ? » Peu de temps
après, je rendis à nouveau visite
à ma mère qui, de loin
déjà, vint à moi. Avant
d'arriver auprès d'elle, il me fut permis de
constater qu'elle avait également
réalisé la paix de Dieu ; nous
nous embrassâmes, puis louâmes Dieu et
elle raconta les grandes choses que le Seigneur
avait faites pour son âme.
Au jour de ma détresse, je cherche le Seigneur.
(Psaume 77 : 3.)
Dieu sait de quelle façon il doit
conduire les siens. Il savait ce qui m'était
salutaire car, dans ma jeunesse déjà,
il avait dirigé mon coeur. Je recherchais
tous les moyens possibles pour devenir riche, mais
il ne m'a pas permis de faire fortune. Aujourd'hui,
je vois combien il fut salutaire que Dieu ne
permette pas la réalisation de mes
plans.
Peu avant la fin de ma scolarité, mon
parrain me fit un dépôt de cinquante
francs à la banque. Il m'offrit aussi de
prendre à sa charge les frais
d'apprentissage d'un métier, à
condition que je reste une année chez lui.
Il me donnerait également quelque argent de
poche, tout en s'occupant de mes vêtements,
à moins que je ne
préfèrerester
définitivement chez lui. Dieu dirigea
probablement les choses afin que je saisisse
absolument à rebours le sens de ses paroles.
Je crus, en effet, qu'il me garderait chez lui
comme domestique. Plus tard, j'appris qu'il avait
pleuré lorsque je le quittai ; car il
avait eu l'intention de me faire don de sa grande
ferme ! Ensuite, s'étant
renseigné au sujet du métier que je
choisirais, il apprit que celui de charron me
plaisait. Il me le déconseilla vivement,
prétendant que tous les charrons
étaient pauvres et qu'il serait
préférable d'apprendre sellier ou
fromager. Quant à moi, je
préférais le charronnage. Il est vrai
qu'en ce temps-là ce travail était
l'un des plus mal rétribués.
Même en étant très
économe, il était quasi impossible de
joindre les deux bouts. Il y avait tant de charrons
que le travail ne s'obtenait qu'à
très bas prix. Été comme
hiver, il fallait travailler de bonne heure pour
terminer bien tard dans la nuit.
Mon apprentissage ne fut pas gai, mais les
privations ne me parurent pas insupportables, car
j'avais été habitué aux
privations et je n'avais pas ignoré la faim.
En quittant définitivement l'école,
j'avais pensé :
« Voilà, dès à
présent, tu peux faire ce que bon te
semble ; il n'y aura plus aucun obstacle
à cela ! » Puis, j'avais
espéré qu'à la fin de
l'apprentissage la vie serait plus clémente
et je voulus arriver à quelque chose ;
mes pensées et mes aspirations
étaient remplies de cet espoir, mais Dieu me
préserva à travers toutes les
tentations. Ce n'est que plus tard
queje me rendis bien à
l'évidence que ma vie aurait
été tout autre si Dieu ne m'avait pas
préservé. Deux fois, je fus sur le
point de me fiancer à une fille
fortunée, mais Dieu en avait
décidé autrement et ce n'est que
longtemps après que je m'aperçus que
Dieu avait d'autres vues à mon égard.
Déjà en ce temps-là, il voyait
la fondation de l'Assemblée
évangélique des frères.
C'est pendant ce laps de temps que je fis
mon premier cours de service militaire. J'avais
été renvoyé de deux ans parce
que j'étais chétif et petit. C'est
ainsi que je fis l'école de recrues à
vingt-deux ans. Je l'accomplis d'ailleurs avec
enthousiasme. Un certain fait m'a laissé un
souvenir vivant : Nous devions nettoyer nos
gamelles. La mienne était
complètement noire. Je frottais de toutes
mes forces. Malgré mes efforts, elle ne
changeait pas d'aspect mais je remarquai qu'elle
était imprégnée de goudron, de
sorte que plus je frottais plus le goudron se
répandait. Il m'était impossible de
l'enlever et nous n'avions pas d'eau chaude.
J'étais encore possédé par le
malin et il me suggéra l'idée de
saisir une occasion propice pour échanger ma
gamelle contre celle bien propre d'un
camarade.
Lors de ma conversion, je réalisai
quelque chose de semblable. Sans y parvenir, je
voulus nettoyer mon coeur. Il devait être
changé. Alors, je vins au Sauveur qui
ôta de mon coeur tous les
péchés et me fit don d'un coeur
nouveau, pur, selon cette parole :
« J'ôterai de votre corps le coeur
de pierre - souillé - et je vous donnerai un
coeur de chair,- un coeur propre,
pur ».
(Ezéchiel
36 : 26.) Seul,
je n'y serais jamais arrivé ; c'est
l'oeuvre de Dieu. Je renonçai à mes
efforts, lorsque je vis que c'était son
oeuvre.
Tôt après l'école de
recrues, je me mariai à une pauvre servante
placée dans le voisinage et qui, pour toute
fortune, possédait la somme de 80 francs.
Moi-même je ne possédais rien ;
ainsi les complications ne furent pas bien
grandes ! Toutefois, notre bien était
quelque peu plus important que celui de Bunyan qui,
lors de son mariage, ne possédait qu'une
cuiller en commun avec son épouse. Nous en
avions tout de même une pour chacun et
d'autres ustensiles ! Notre mobilier se
composait alors d'un matelas valant 60 à 70
francs, d'une table (utilisée encore
à présent) pour la « salle
à manger » valant 1 fr. 30 !
Nous n'avions ni fauteuils, ni canapé. Des
bancs alignés le long de la paroi nous
suffisaient. Je confectionnai moi-même le
bois du lit, mais nous n'avions pas d'armoire.
L'installation de la cuisine ne coûta pas
bien cher. Nous étions heureux autant que
peuvent l'être des personnes inconverties.
Bien que nos dépenses fussent
limitées au strict nécessaire, nous
vivions dans la pauvreté et les
difficultés. En qualité d'ouvrier, je
gagnais hebdomadairement la somme de quatre
francs ; plus tard en qualité de
maître-charron, pour débuter je
reçus un salaire journalier de un franc.
Relevons cependant que pour arriver à ce
gain, il fallait être au travail de cinq
heures du matin à sept heures du soir, sans
prendre de repos à midi. Courageusement, ma
femmese mit à gagner en
faisant du travail rétribué à
la journée. Un jour, je pus m'établir
à mon compte, mais l'argent
nécessaire à l'achat de l'outillage
et de la réserve de bois me faisant
défaut, je dus faire des dettes. Toute notre
application et notre capacité de travail ne
purent arriver à bout de la pauvreté
et des difficultés qui surgirent alors.
Souvent, j'étais accablé, et
ma détresse me poussait à tourner les
regards vers Dieu. Il me semblait être un
homme des plus pieux. Sans ces angoisses
constantes, je n'aurais certes pas songé
à chercher Dieu : J'assistais
régulièrement au culte à
l'église. S'il m'arrivait de ne pas m'y
rendre deux dimanches de suite, j'avais
l'impression d'être un impie. J'allais
à l'église non pas pour
écouter la Parole mais seulement pour
tranquilliser ma conscience. Je priais beaucoup,
non pour être exaucé, mais uniquement
pour avoir prié ! Pendant le sermon, je
me demandais ce que j'allais entreprendre
l'après-midi, c'est-à-dire si je
jouerais aux cartes ou aux quilles. Fatigué,
par six jours de travaux pénibles, je
cédais souvent au sommeil et le mot :
« Amen », prononcé
à la fin du sermon représentait
chaque fois un bienfait pour moi, car il
n'était pas dans mes habitudes de rester
assis longtemps. Lorsque le jour de la communion
arrivait, je faisais un visage triste et je
baissais la tête, et c'est ainsi que je me
présentais devant l'autel ; puis je
m'en retournais à la maison avec cette
même tristesse. L'après-midi, je me
consolais en pensant : « Dimanche
prochain, il me sera permis de rejouer aux
cartes ! »
Je ne pouvais, en effet, me permettre cela
le dimanche du service de sainte Cène !
C'est donc à de telles manières
pieuses que j'avais recours. Beaucoup le font
encore aujourd'hui. J'étais un
pécheur pieux, un pécheur
d'église, et je tenais beaucoup à
elle. Si l'on mettait en pratique l'enseignement
que nous y recevions, il était aisé
de couvrir ses fautes et d'excuser ses
manquements.
Ainsi, je croyais être un
chrétien très pieux, et je me
trouvais être brave et intègre.
Toutefois, j'aurais désiré être
libéré uniquement de cinq
péchés, pensant que si je ne les
avais plus je ne saurais être confondu devant
le tribunal de Christ !
C'étaient : le jeu de cartes, le jeu de
quilles, les jurons, le mensonge et la passion de
fumer. Je croyais qu'en fréquentant
l'auberge je trouverais des clients. Cette habitude
fit de moi un joueur de cartes et de quilles
passionné. La passion du jeu de cartes
m'attirait sans cesse au café. Lorsque j'y
étais attablé, il arrivait
fréquemment qu'un certain
« mômier », revenant
d'une assemblée, s'arrêtait pour boire
sa petite chope ou ses deux ou trois
décis ! Naturellement, cela
m'encourageait à rester encore plus
longtemps à ma place. En rentrant chez moi,
je ne manquais pas de consoler ma femme, m'excusant
et lui disant qu'un tel y était
également ! Une fois même, je
fixai une carte de jeu au dos de cet homme, qui
s'en retourna ainsi à la maison !
Quelquefois, nous jouions aux cartes dans mon
atelier jusqu'à l'aube. Ces nuits de jeu
produisaient en moi des sentiments
étranges.
J'étais également un menteur
stupide ; d'ailleurs, le mensonge est toujours
quelque chose de stupide ! Étant
garçonnet, je rendis une fois visite
à ma tante puis, m'en retournant à la
maison, je racontai qu'on m'avait servi de la
viande. Lors de la prochaine visite de ma tante, ma
mère ne manqua pas de la remercier. Il
s'avéra alors que j'avais raconté des
choses ridicules et je fus démasqué
comme menteur !
J'étais terriblement lié au
tabac ! Malgré des malaises
s'accentuant jusqu'à perdre
l'appétit, je ne pouvais arrêter de
fumer la pipe et, souvent, j'avais l'impression
d'avoir la langue brûlée. On entend
souvent parler de la saveur d'un bon cigare, mais
je n'ai jamais été de cet avis.
Désirant ardemment ne plus être
asservi par ma pipe, je la brisai plusieurs fois,
lançant les morceaux au loin ; mais
toujours, et en dépit de l'état
pitoyable qui m'attendait chaque fois, je devais
recommencer. Lorsque je ne pouvais pas acheter du
tabac, je remplaçais celui-ci par de la
fleur de foin ; il ne m'était pas
possible de rester plus de deux ou trois jours sans
fumer. Que c'est triste ! Si on
éprouvait de tels malaises en lisant la
Bible, on ne recommencerait plus de la lire. Oui,
le péché est la ruine des
hommes !
Le lundi, le mardi et même le
mercredi, souvent je ressentais encore les effets
de mes excès. Je savais que c'était
le résultat de mes passions. Les regards de
ma femme disaient clairement : « Tu
es le seul responsable de ta conduite de
dimanche ! » Le travail pesait alors
terriblement sur mes
épaules. Combien la journée me
semblait longue ! Tout en travaillant, je me
demandais s'il n'était pas bientôt
midi ? » Mais les aiguilles du
cadran avançaient avec une lenteur
désespérante ! Comme toute cette
situation se modifia lors de ma conversion !
J'étais heureux et mes jours se
succédaient rapidement.
J'avais été séduit
également par le vol. Je me serais bien
gardé de dérober de l'argent, il ne
s'agissait pas de cela ; d'ailleurs, les
occasions auraient été minimes, mais
je volais d'autres choses telles que du bois, des
cerises, des prunes, etc. Le méfait ne me
pesait pas beaucoup si j'avais passé
inaperçu. Mes péchés ne me
faisaient point honte, j'en faisais même un
sujet de vantardise auprès de mes
semblables ! Cependant la grâce, par des
signes précurseurs, fait retentir son appel
partout. (Prov. 1.) Si je me trouvais dans la
forêt le dimanche matin en train de
braconner, avec mon fusil, et que le son des
cloches de l'église arrivait jusqu'à
moi, la grâce me reprenait :
« Tu n'es pas au bon
endroit ! » et elle me renvoyait
à la maison. Malgré cela, les choses
en restaient là et je continuais à
servir le malin, suivant mon propre chemin. Le
dimanche matin, j'étais à
l'église et, l'après-midi, je jouais
aux cartes ou aux quilles ; le diable prend
grand plaisir à des gens de cette
sorte !
Une fois, des comédiens
passèrent dans notre village avec des
chameaux, des singes et un ours attaché par
une boucle nasale. Le dompteur faisait claquer son
fouet et lui criait : « Hop
là, hop là, hop là
là ! ». Sous l'action du
fouet, l'ours dansait. Le diable
agit ainsi avec les hommes aussi longtemps qu'ils
sont placés sous sa domination. Les tenant
fermement liés, il leur crie aussi :
« Hop là, hop là, hop
là là ! » et, ainsi,
ils doivent recommencer continuellement à
jouer aux cartes, aux quilles, et à suivre
les péchés de la chair ;
même s'ils ne le veulent plus ; j'ai
réalisé cela !
Je ne voulais plus fréquenter
l'auberge, mais l'ordre était
là : « Hop là, hop
là ! » C'est bien triste,
mais c'est ainsi, et pourtant, l'aide et la
délivrance sont là pour chacun.
Cependant, je ne le voyais et ne le savais
pas ; je luttais contre la puissance du
péché par mes propres forces.
Lorsque je m'en retournais à la
maison en sortant de l'auberge et que j'apercevais
mes enfants vêtus d'habits
déchirés et portant des souliers
troués, la voix de ma conscience
s'élevait plus fort. Oh ! comme cela
rongeait mon coeur ! Je devais bien convenir
que j'aurais été à même
de parer à bien des difficultés, sans
mon ivrognerie et ma passion du tabac. Une certaine
fois, je pus m'en rendre compte de façon
évidente : Nous n'avions plus de pain
et, pour tout argent, il restait vingt centimes. Si
du moins nous avions possédé dix
centimes de plus ! Cela nous aurait permis
d'acheter le pain si nécessaire ! Je
vis alors clairement combien je gaspillais mon
argent, le sacrifiant au malin ! Les besoins
de ma famille augmentaient et mes passions la
jetaient de plus en plus dans la pauvreté.
Je tombai malade et je craignis d'être
à la charge de la commune avec mes
enfants ; j'en eus
honte.
Ayant pris plusieurs résolutions, je
fis solennellement la déclaration suivante
à ma femme : « J'ai
été à l'auberge pour la
dernière fois ! » Des
déterminations de ce genre ne
modifièrent aucunement la situation, et ma
femme ne croyait plus à de telles paroles.
Il m'était difficile de
m'arrêter ; s'il m'eût
été possible de le faire, je ne me
serais jamais converti ! Lorsque
j'étais en possession de quelque argent et
que j'entendais mes camarades jouer aux quilles,
j'étais attiré et je ne pouvais
résister.
Combien de fois me suis-je mis à
genoux sous un cerisier, lorsque je rentrais
à la maison en sortant du restaurant
suppliant Dieu :
« Aide-moi ! » En ce
temps-là, je lisais assidûment la
Bible, mais vivre selon ce livre me paraissait
impossible ; j'avais l'impression que nul ne
saurait subsister. Maintes fois, j'oubliais mon
chapeau à l'endroit où j'avais
prié et, le jour suivant, je devais m'en
retourner pour le chercher. Un jour du mois
d'avril, je fis serment à Dieu, en levant
les doigts, que je ne jouerais plus, ni aux cartes,
ni aux quilles, jusqu'à Sylvestre.
Cependant, je brisai cet engagement à
Noël et, depuis ce moment-là, ce dicton
me poursuivit continuellement : « Le
chemin de l'enfer est pavé de bonnes
résolutions ! » Selon
« le train de ce monde et selon le prince
de la puissance de l'air, de l'esprit qui agit
maintenant dans les fils de la
rébellion » on est esclave du
péché, bien que sachant que c'est
mal. Mais la force rédemptrice de Dieu se
révèle à celui qui
désire rompre sérieusement avec tous
les péchés, non seulement avec ceux qui lui
créent le plus de soucis. Certain de la
victoire, le regard d'un tel homme se portera vers
l'avenir et il témoignera avec joie :
« C'est assez, en effet, d'avoir dans le
temps passé accompli la volonté des
païens, en marchant dans la dissolution, les
convoitises, l'ivrognerie, les excès du
manger et du boire, et les idolâtries
criminelles. »
(I
Pierre 4 : 3.) Ce n'est que lorsqu'il veut
rompre avec le
péché, que l'homme se rend compte de
la puissance de celui-ci, et il réalise ce
qu'il est vraiment de nature. « Quiconque
se livre au péché, est esclave du
péché. Si donc le Fils vous
affranchit, vous êtes réellement
libres ! »
(Jean
8 :
34-36.)
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