Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DISCOURS XIII.

La pite de la Veuve.


Après cela, Jésus, s'étant assis vis-à-vis du tronc, prenait garde à l'argent que le peuple y jetait; et plusieurs personnes riches y en jetaient beaucoup. Il vint aussi une pauvre Veuve gui y mit deux petites pièces de monnaie, qui valaient le quart d'un Sol. Alors Jésus, ayant appelé ses Disciples, leur dit. Je vous dis en vérité que cette Veuve, toute  pauvre quelle est, a plus donné qu aucun de ceux qui ont mis dans ce tronc. Car tous les autres ont donné de leur superflu, mais celle-ci a donné de son indigence, même tout ce quelle avait, tout ce qui lui restait pour sa subsistance. Marc, XII, 41 - 44.

 

LE trait d'histoire que rapporte notre texte nous présente un spectacle qui aquelque chose à la fois d'intéressant et de merveilleux. Une femme veuve et portant les livrées de la misère s'approche du tronc qui reçoit les offrandes, pour y déposer une partie de son nécessaire. Elle croit n'être point observée. Elle n'aperçoit parmi ceux qui sont rassemblés dans le sanctuaire personne dont elle imagine fixer l'attention; et le Fils de Dieu, le Juge du monde, celui qui sonde les coeurs, caché sous la forme d'un simple mortel, a les yeux sur elle; il voit avec complaisance son sacrifice; il en relève le prix.

Sans doute ce tableau est propre à remuer notre coeur, à frapper notre imagination; mais il n'est pas moins fait pour nous instruire que pour nous émouvoir.

Nous y trouvons un grand exemple et une grande leçon. Une pauvre veuve exerçant la charité la plus pure, la plus noble, la plus attendrissante; voilà l'exemple. Le Fils de Dieu donnant à cette bonne oeuvre sa juste louange et nous traçant les règles de la bienfaisance; voilà la leçon.

Écoutez, Chrétiens, avec docilité ce que nous allons vous dire dans la simplicité de notre coeur sur cet important sujet. Qui que nous soyons, nous pouvons en méditant ce trait de l'Évangile faire un grand bien à notre âme: nous pouvons apprendre à devenir toujours plus charitables et d'une manière toujours plus agréable au Seigneur. Dieu veuille que ce soit là le fruit de ce discours! Ainsi soit-il.

I. Si l'Évangéliste eût ajouté au récit de cet événement dont il a voulu conserver la mémoire, qu'il excita les murmures et le blâme de quelques-uns de ceux qui en furent les témoins, je n'en serais point surpris. Nous pouvons en juger par la sensation qu'il produirait de nos jours, par le langage que tiendraient sans doute plusieurs personnes à la vue d'une aumône qui leur paraîtrait si déplacée; car tout ce qui sort de la ligne vulgaire étonne les âmes communes et leur paraît exagéré.

Quoi, diraient-elles, vous avez peine à vous procurer le nécessaire, et vous voulez pourvoir aux besoins des autres! vous vous donnez les airs d'être charitable! Pour être bien entendue, votre charité ne devrait-elle pas commencer par vous-même et se borner à vous? Laissez, laissez aux riches le soin des malheureux. Faire du bien, c'est le devoir et l'avantage de leur condition; mais vous, n'ayez pas la vanité de vouloir les imiter. Ce serait vous mettre au niveau de vos supérieurs, et devenir la risée de vos égaux.

Vous le savez, mes Frères, un tel langage n'est que trop commun, et cependant rien de plus faux que de tels principes.

Le devoir de la charité nous est imposé à tous: aucun état n'a obtenu le malheureux privilège de refuser des secours à celui qui souffre; ou plutôt, l'heureux privilège de le soulager est celui de tous les états. Tous ceux qui ont un coeur fait pour aimer, tous ceux: qui vivent au milieu d'hommes qui sont leurs frères doivent s'intéresser à leur sort. Le champ des misères humaines est si vaste que la plus faible main peut y semer quelque bienfait.

On le peut de mille manières, par des consolations, des conseils, des services, par le charme tout seul de la sympathie,
en pleurant avec celui qui pleure (Rom., XII, 15.). Et quant à l'aumône proprement dite, si elle est un devoir plus pressant pour celui qui est favorisé des biens de la terre, il n'en est pas moins vrai qu'à la réserve de l'homme qui la reçoit, il n'est personne qui soit entièrement dispensé de la faire, personne qui puisse n'user de ses biens que pour lui-même, soit qu'il les possède comme un héritage de ses pères, soit qu'il les aitacquis au prix de ses sueurs. Travaillez, dit Saint-Paul, afin d'avoir de quoi donner (Ephés., IV, 28.): et ce même Apôtre rendait témoignage aux Macédoniens, que dans leur extrême pauvreté ils avaient paru riches par leur bienfaisance, en donnant de bon coeur même au-delà de leur pouvoir (2 Cor., VIII, 2, 3. ).

Le pauvre sans doute n'est pas obligé de donner autant que celui qui est dans une situation plus aisée; mais il doit donner encore d'une manière assortie à ses facultés. Il s'agit d'un voisin, d'un parent dont les besoins sont plus pressans que les siens, et qui implore son assistance. Il s'agit d'un objet d'utilité publique, de quelque établissement d'un intérêt général, précieux à l'Église et à la Patrie. Dans ces occasions et d'autres semblables, la Religion attend aussi son offrande; ne fut-ce que la pite de la veuve, il ne peut la refuser sans se montrer insensible à la voix de son Dieu.

Pénétrée de ce devoir sacré, la sainte femme que nous vous proposais pour modèle, n'écouta point le langage d'une prudence toute mondaine. Je suis pauvre, il est vrai, se dit-elle à elle-même; mais je ne violerai point le commandement du Seigneur; je mets en Dieu ma confiance:
Celui qui donne au cultivateur de quoi semer ne m'abandonnera pas: il est puissant pour fournir à mes besoins et pour me mettre en état de multiplier mes bonnes oeuvres(2 Cor., IX, 10.).

Je suis pauvre, il est vrai; mais c'est précisément ma pauvreté qui me fait désirer de la soulager dans autrui. Les malheurs m'ont rendue sensible. Qu'il me sera doux de redoubler d'activité, de travail, pour adoucir le sort de quelque infortuné, pour contribuer à bannirdu coeur d'un de mes frères la douleur qui se renouvelle si souvent au fond du mien.

Que dis-je? c'est parce que je suis pauvre, oui, c'est parce que je suis pauvre que je trouve une jouissance plus délicieuse, que je goûte un plaisir plus doux à présenter au Seigneur ce tribut. Il connait mon indigence; il me tiendra compte d'un sacrifice inspiré par son amour.

On me parle de mes besoins. Ils sont très-bornés. Accoutumée aux privations, il m'en coûtera peu de faire encore quelque sacrifice. Mes premiers besoins sont de secourir l'infortuné, de goûter le plaisir de faire du bien. Mes premiers besoins sont de témoigner à l'Éternel ma reconnaissance pour les grâces dont il m'a comblée. Mes premiers besoins sont de m'attirer la bénédiction de mon Dieu, de m'amasser un trésor de bonnes oeuvres pour l'éternité. Mes premiers besoins, ma
nourriture, ma vie, c'est de faire la volonté de mon père qui est au Ciel (Jean, IV, 34.).

Mais si l'exemple de cette veuve pieuse nous présente la charité dans son héroïsme, les éloges que lui donna le Sauveur répandent un grand jour sur cette vertu: ils sont propres à nous en donner les idées les plus étendues et les plus justes.

II. 1° Quand je vois Jésus regarder avec intérêt les dons offerts dans le temple de Jérusalem, la première idée dont je suis frappé, c'est que l'aumône est une partie essentielle du culte que nous rendons au Seigneur, et que c'est là un devoir à l'observation duquel il veille d'une façon toute particulière.
Déjà sous la Loi Dieu avait donné ce précepte à son peuple (
Deutér... XVI, 16, 17.): Nul ne se présentera à vide devant la face de l'Éternel; mais chacun donnera à proportion de ce qu'il aura, et selon la bénédiction que l'Éternel son Dieu aura répandue sur ses affaires.

Les Apôtres inspires par le Saint-Esprit, en réglant la forme du culte chrétien, n'oublièrent pas d'y faire entrer l'aumône. Chaque Dimanche l'assemblée des fidèles se terminait par une collecte en faveur des indigens. Voici ce qu'écrivait Saint-Paul aux Corinthiens sur ce sujet:
A l'égard des aumônes qu'on recueille pour Les Saints, que le premier jour de la semaine chacun mette à part et apporte ce qu'il pourra, selon l'état de ses affaires (I Cor., XVI, 1, 2.).

Il en devait être ainsi sous l'empire d'une Religion qui fait de l'amour de Dieu et des hommes l'essence de la morale, le sommaire de la Loi; sous une Religion dont le Chef, Héros et Martyr de la charité, nous déclare qu'il regarde comme fait à lui même ce que nous ferons pour les plus petits de ceux qu'il daigne appeler ses frères, et s'engage à nous le rendre. Comment pourrions-nous espérer que notre culte fût agréable au Seigneur, que nos requêtes fussent exaucées, si nous refusions d'avoir égard à celle qu'il nous présente lui-même en faveur du pauvre, si nous lui refusions ses offrandes religieuses, dont il nous dit qu'elles sont
la Religion pure, et sans lâche, le sacrifice auquel il prend plaisir? (Jaq., I, 17Hébr., XIII, 16.)

Ah! celui qui aime Jésus aime aussi les pauvres. Ne pouvant faire monter son bien jusqu'à son Sauveur, il en fait part à ceux qui le représentent. C'est à Jésus qu'il paie, comme un tribut volontaire, comme l'hommage de son coeur, ce qu'il peut consacrer au soulagement des misérables: ses aumônes font partie de sa dévotion; et c'est en les envisageant sous ce point de vue qu'il y trouve le plus de douceur.

2.° Disons aussi  et c'est une vérité qu'on peut déduire de mon texte, disons que cette offrande de charité que nous présentons à Dieu dans son temple lui est particulièrement agréable, qu'elle a pour l'ordinaire plus de prix à ses yeux que les secours accordés aux pauvres en d'autres circonstances.

Ici, Chrétiens, je suis loin de vouloir déprimer les aumônes particulières. Ce sont elles, je le sais, qui nourrissent et développent la sensibilité: elles nous font connaître les besoins de nos semblables; elles nous accoutument à nous en occuper, à y prendre intérêt; elles tirent de notre âme des mouvemens, des témoignages de bienveillance et de sympathie qui ajoutent à nos dons un nouveau prix, une nouvelle consolation pour ceux qui en sont l'objet; et, relativement à nous-mêmes, elles dilatent, elles attendrissent notre coeur qui s'émeut délicieusement aux accens des bénédictions qu'elles nous attirent: elles forment entre les hommes un doux échange de compassion et de reconnaissance: elles rapprochent par le plus aimable des liens, celui des bienfaits, deux classes qui deviendraient sans elles étrangères l'une à l'autre et peut-être ennemies, la classe de ceux qui ont du superflu et la classe de ceux qui manquent du nécessaire.
Ainsi celui qui n'exercerait jamais la charité par lui-même, qui ne serait jamais entré dans la chaumière du pauvre pour le soulager par ses propres mains, serait étranger aux plaisirs les plus touchans de la vie; il ne connaîtrait qu'imparfaitement les mouvemens et les sollicitudes de la charité, et n'en remplirait pas entièrement les devoirs.

Cependant, mes Frères, je ne crains pas de le dire, l'offrande que nous déposons dans le Sanctuaire a plus de prix encore aux yeux du Seigneur, parce qu'elle remplit sa destination d'une façon plus entière et plus certaine, c'est-à-dire, qu'elle est plus particulièrement consacrée à Dieu, plus sûrement utile à l'indigent.

J'ai dit plus particulièrement consacrée à Dieu. Dans quelque occasion que le fidèle exerce la charité, sans doute son coeur et ses regards s'élèvent avec émotion vers le Seigneur pour lui en offrir le tribut; mais dans ce temple il serait plus difficile, plus impassible de séparer ces deux idées. L'image de notre Créateur, l'image de notre divin Chef nous est présenté ici plus qu'en aucun autre lieu. Nous sommes sous ses regards; il est ici au milieu de nous; la piété préside à nos aumônes; elle- même les sollicite: c'est sous la forme d'une offrande que nous les présentons; nous les remettons en quelque sorte au Seigneur, avant de les offrir au pauvre: elles demeurent dans sa maison avant de passer dans la cabane du misérable.
Je dis encore
qu'elles remplissent en général plus sûrement leur destination. Un simple particulier ne peut connaître ni les besoins de tous, ni la proportion de ces besoins: quel que soit son discernement, il peut être souvent trompé; il peut l'être plus aisément que ceux dont l'état et le devoir exigent qu'ils s'informent exactement, qu'ils connaissent dans tous les détails la situation et le caractère des malheureux. Les plus dignes d'intéresser, ceux qui ne sont point familiarisés avec la honte de recevoir, se tiennent à l'écart; ils craindraient de dévoiler leurs besoins, mais leur coeur s'ouvre à la voix d'un Pasteur qui est leur confident naturel et le dépositaire accoutumé de leurs peines. C'est vers lui qu'un mouvement de sympathie les conduit dans les jours de leur détresse.

Quelle différence encore entre ces aumônes recueillies dans nos temples et destinées à soulager les enfans de la patrie, nos concitoyens, et celles que l'on distribue à la porte de nos demeures, à ces mendians de profession dont la démarche seule et l'aspect annoncent trop souvent que c'est un rôle qu'ils jouent; qui, lors même que leur extérieur est plus simple et plus vrai, nous mettent toujours dans cette cruelle alternative, ou de refuser peut-être notre assistance à un être souffrant, ou de nuire à la société en encourageant la paresse et l'artifice!
Ah! je ne veux point rétrécir vos coeurs et resserrer vos entrailles; j'applaudis à cette charité respectable dans sa crédulité même, et qui dans le doute aime mieux risquer d'être abusée que de refuser à un seul misérable des secours nécessaires; mais je dois pourtant, puisque mon texte m'en fournit l'occasion, vous faire sentir quelle distance il y a entre ce genre d'aumônes dont des inconnus sont l'objet, qu'on accorde souvent à l'importunité, et celles que la piété dépose ici pour le soulagement de nos frères, de ceux qui ont sur nous les droits les plus pressans et les plus sacrés.

Ajoutons enfin a l'égard de ces dernières, qu'elles acquièrent par leur réunion bien plus de consistance et une valeur plus grande. Cette réflexion s'adresse surtout à ceux qui ne peuvent offrir qu'un léger tribut. Ce petit secours isolé produirait peu d'effet, tout au plus le soulagement d'un instant ou d'un jour: c'est une goutte d'eau qui se perd ou s'évapore en tombant; mais cette chétive offrande, réunie à beaucoup d'autres, forme une masse considérable. Elle contribue à entretenir, à alimenter cette source bienfaisante qui coule dans le champ de l'Église pour désaltérer l'affligé. Ainsi des filets d'eau qui se perdaient dans les sables et n'étaient d'aucun usage, dès qu'on les réunit dans le même canal, forment un ruisseau qui va porter au loin l'abondance et la vie. Il n'est donc pas étonnant que le Sauveur du monde ait paru distinguer les aumônes qui se faisaient dans le temple. Mais quel jugement porta-t-il sur celle de la veuve en particulier?

3.° Je vous dis en vérité que cette veuve toute pauvre qu'elle est, a plus donné que tous ceux qui ont mis dans le tronc. Car tous les autres ont donné de leur superflu, mais celle ci a donné de son indigence, même tout ce qu'elle avait, tout ce gui lui restait pour sa subsistance.
Ces paroles sont bien remarquables, mes chers Frères; on ne peut les entendre sans faire un retour sur soi-même pour se demander si nos aumônes ont ce caractère de privation, de sacrifice, qui rendit celle dont il est question dans notre texte, si intéressante aux yeux de Jésus. La suite naturelle de cet examen doit être un sentiment d'humilité chez ceux qui donnent, non de leur nécessaire, mais de leur superflu; et je comprends dans cette classe non-seulement les personnes favorisées de la fortune, mais toutes celles qui jouissent de quelque aisance.

Sans doute, mes Frères, c'est un beau spectacle pour le Ciel et pour la terre qu'un riche, bienfaisant et craignant Dieu, humble au milieu de tout ce qui nourri l'orgueil, détaché des sens au milieu de tout ce qui les flatte, possédant, sans y mettre son coeur, tout ce qui séduit les faibles humains. Un tel homme est en quelque sorte le héros et la merveille de la foi. C'est un Abraham dont la générosité se répand au loin. C'est un Tobie que bénissent les enfans de son peuple. Il est à la fois l'ornement, l'exemple et le soutien de la société dont il est membre. Ses concitoyens le révèrent: le pauvre le bénit; il salue de loin sa demeure avec émotion, et les voeux que sa bouche profère montent jusqu'au trône de l'Éternel.

C'est encore un objet bien digne de nous intéresser, qu'un chef de famille dont la Providence bénit l'industrie et les travaux, dont la maison, embellie par l'ordre et par une aisance modeste, nous offre l'image des antiques moeurs, des vertus patriarcales, l'union, la piété, la bienfaisance, l'hospitalité naïve; qui fait part de son abondance à tout ce qui l'approche; qui ne renvoie jamais à vide celui qui l'implore; qui, aux douces époques des récoltes, se fait un devoir sacré de payer a l'Éternel, dans la personne du pauvre, la dîme de ses moissons et de ses fruits. En sortant de ses domaines, les indigens tournent la tête pour le voir encore et le bénir; ils s'éloignent joyeux et reconnaissans, chargés de la javelle dorée; ils font des voeux pour la conservation de sa fortune; ils demandent au Ciel pour lui des saisons fertiles; ils regardent sa prospérité comme la leur propre.

Ce sont là des citoyens précieux à l'Église et à la Patrie, et sur lesquels la pensée se repose avec attendrissement. Avouons-le cependant, mes Frères, quelque doux parfum qu'exhale leur bienfaisance, quelque éclat qu'elle jette, l'aumône du pauvre, cette aumône obscure, inconnue des hommes qui ne daigneraient pas même y arrêter leurs regards doit avoir plus de mérite aux yeux du Seigneur. Placée dans la balance éternelle, elle pèse plus qu'aucune autre; elle est inscrite avec plus de distinction dans les registres célestes.

N'en soyons pas surpris, mes Frères j elle se présente sous les traits d'un sacrifice. Le citoyen aisé, après avoir paye son tribut, retrouve chez lui les mêmes commodités, les mêmes douceurs, les mêmes ressources: sa situation n'a point changé; on peut dite qu'en donnant il n'a rien perdu, et ne s'est privé de rien; mais le pauvre retrouve dans sa demeure un surcroît de travail et d'indigence, des besoins plus pressons, des privations plus dures; il a rendu plus pesant un fardeau déjà difficile à porter; il a rendu plus pénible une situation déjà pénible; il a donné de son nécessaire.

L'effet de cette réflexion ne doit pas être seulement de nous inspirer un sentiment d'humilité en comparant son sacrifice au nôtre; elle doit encore animer la charité de ceux d'entre nous qui sont au-dessus du besoin ou favorisés des biens de la terre. Cet exemple doit leur faire comprendre quelle proportion leurs aumônes doivent avoir avec leur fortune, jusqu'où elles doivent s'étendre, quelle place elles doivent occuper dans leur vie, pour acquérir aux yeux du Seigneur ce caractère de dévouement et de sacrifice qui leur donne un si grand prix.

4.° Mais si les paroles du Sauveur sont propres à donner aux riches ces leçons salutaires, elles sont faites pour exciter une vive émotion, pour allumer une généreuse ardeur dans l'âme de ceux qui ne peuvent remplir le devoir de l'aumône, sans se condamner à quelque privation. 

Sans doute il leur en coûtera plus qu'à d'autres de le remplir; mais aussi leur gloire en sera plus grande et leur récompense plus belle: ils pourront s'appliquer cet éloge du Sauveur du monde:
En vérité, je vous dis que ceux-ci ont plus donné que tous les autres. Il semble que ce trait de nos Saints Livres soit rapporté exprès pour eux, pour les consoler de n'avoir que peu à offrir, pour les encourager à présenter ce peu, dont l'offrande est si précieuse au Seigneur.

Résisteront-ils à l'attrait d'un tel exemple? Diront-ils en eux-mêmes? ce que je possède m'est nécessaire; je ne peut rien en détacher. Mais, mon cher Frère, n'en employez-vous aucune partie pour satisfaire vos passions, votre sensualité, votre vanité? Et vous refuseriez au Seigneur le même sacrifice! Vos besoins sont-ils aussi pressans qu'étaient ceux de la veuve que nous vous proposons pour modèle? Elle donna de son indigence, dit le Sauveur. Feriez-vous de vos biens un abandon aussi universel? Ah! prenez garde que cette excuse n'ait son principe dans une secrète sécheresse du coeur, dans un attachement trop grand aux biens du monde, dans un désir criminel de vous conserver toute entière la portion que vous en avez.

La crainte de l'avenir vous retiendrait-elle? Nous direz-vous que tout ce que vous pouvez épargner sur vos besoins particuliers doit être mis en réserve pour les accidens imprévus, pour les temps fâcheux? Sans doute, mes Frères, la prudence veut qu'on s'en occupe, mais la meilleure précaution que vous puissiez prendre pour cet avenir qui vous inquiète, c'est de vous assurer un protecteur puissant, capable de subvenir à vos besoins.

 Eh, quoi! vous défieriez-vous de la Providence? Révoqueriez- vous en doute sa sagesse et ses bontés, malgré l'expérience que vous en avez faite tant de fois? Voudriez-vous être le prudent du siècle, vous faire votre sort à vous-mêmes et ne compter que sur vous? Et ne craignez-vous point que le Seigneur ne vous laisse égarer dans vos propres voies, qu'il ne vous abandonne à vos propres efforts, qu'il ne les bénisse pas?
Alors s'accompliraient en vous ces menaces de l'Éternel:
Vous semez beaucoup, mais la moisson est chétive. On regardait à beaucoup, et voilà tout est revenu à peu, parce que j'ai soufflé dessus (Agg., 1, 6, 9.), Mais qu' est-il dit de l'homme charitable? Celui qui donne au pauvre n'éprouvera point de disette. Celui qui en a pitié prête à l'Éternel qui lui rendra son bienfait (Prov.,XIX, 17; XXVIII, 27.). Ah! soyez assidus au travail; ayez de l'ordre dans vos affaires, de l'économie dans votre maison, de l'éloignement pour les débauches, et livrez-vous sans crainte aux sentimens d'un coeur humain. Comptez alors sur la bénédiction de Dieu; comptez que vos aumônes se placent comme un dépôt dans son sein paternel: comptez sur l'accomplissement de cette promesse qui est faite à vous et à vos enfans (Hébr., XIII, 5.): Je ne vous laisserai point; je ne vous abandonnerai point. Donnez, et l'on, vous donnera (Luc., VI, 38.).

C'est donc pour vous-mêmes, Chrétiens! c'est pour vos vrais intérêts, vos intérêts présens et éternels, que je souhaite porter la persuasion dans vos âmes, et vous trouver dociles aux leçons du Sauveur. C'est pour vous faire éprouver la vérité de cette parole de l'Écriture:
L'homme bienfaisant se fait du bien, à lui-même (Prov., XI, 17.). C'est pour vous assurer toutes les bénédictions de Dieu, toutes les récompenses promises à la charité.

Pour la plupart, vous ne pouvez donner que peu; donnez-le avec plaisir, de bon coeur, à propos, en suivant les règles que nous avons tracées; et ce Jésus qui prenait garde aux offrandes que présentaient les Juifs, aura les yeux sur la vôtre. Si vous avez à coeur de lui montrer que vous êtes animés de son esprit, que vous ressentez pour le pauvre quelque chose de cette compassion qu'il a ressentie pour nous, n'en doutez pas, il recevra avec bonté cet hommage de votre reconnaissance, il remplira vos coeurs de joie, et vous rendra au centuple votre bienfait. Amen.

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