Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DISCOURS XII.

La résignation.


L'Éternel l'avait donné; l'Éternel l'a ôté; le nom de l'Éternel soit béni! Job, I, 21.


Il y a dans ces paroles un charme attendrissant qu'on ne peut définir. Celui qui les prononça, c'est ce Job dont vous connaissez l'histoire, ce Job si célèbre par ses malheurs et par sa patience. Elles nous offrent cette réunion de la simplicité de l'expression avec la grandeur des sentimens qui fait tant d'impression sur le coeur. Non moins instructives que touchantes, elles nous présentent, lorsqu'on les médite, les vrais caractères et les solides fondemens de la résignation.

Chrétiens! une de nos fonctions lesplus précieuses, les plus chères, c'est de verser la consolation dans vos âmes; mais, hélas! que pouvons-nous par nous-mêmes, malgré la tendresse qui nous fait partager vos peines? Toute notre puissance est dans la parole dont nous sommes les Ministres, dans le Dieu dont nous sommes les instrumens. Ce que nous lui demandons pour vous à ce Dieu, c'est la résignation, cette résignation qui n'est pas seulement le devoir de l'affligé, mais son unique ressource, mais sa consolation, j'ai presque dit, sa félicité.
Comme ce vent délicieux qui dans la fournaise rafraîchissait les jeunes Hébreux, elle fait goûter à l'affligé les plus doux sentimens, au milieu même des souffrances: elle lui fait goûter des sentimens d'autant plus doux qu'il souffre davantage et que le sacrifice qu'il offre a plus de prix.

Pauvres mortels, si souvent battus par les orages de l'affliction, sans cesse exposés à ses fureurs! venez vous former à cette vertus! précieuse; venez écouter les bienfaisans conseils de la Religion; venez contempler le plus beau modèle de résignation que l'ancienne Loi nous présente, et puissiez-vous ne pas l'admirer sans fruit!

S'il est une disposition nécessaire à l'homme, et d'un usage aussi général qu'absolu, c'est la soumission aux épreuves de la vie. Hélas! comme elle est mêlée de tristesse et de joie cette vie passagère! comme la tristesse et la joie sont près l'une de l'autre! comme les plaisirs rendent les peines plus sensibles! que de douleurs, de mécomptes, de pertes de tout genre auxquelles nous sommes assujettis ou exposés!
Usufruitiers ici-bas, rien autour de nous et en nous-mêmes ne nous appartient; tout nous échappe ou nous abandonne: un grand nombre de biens se refuse à nos désirs: ceux qui nous sont accordés ne le sont que pour un temps: la jeunesse et son éclat passent comme une fleur; bientôt plus redoutable, le temps porte ses ravages jusque dans l'intérieur, jusque dans la partie la plus précieuse, la plus essentielle de nous-mêmes; les forces de l'âme et de l'esprit s'épuisent avec celles du corps; les talens s'évanouissent avec la vigueur; les biens de la fortune, qui semblent pouvoir survivre aux autres avantages, prennent souvent des ailes et s'envolent: lors même qu'ils nous sont conservés, les jouissances qu'ils donnent s'émoussent avec nos organes, s'amortissent avec le feu de l'imagination, s'éteignent avec nos désirs.
Toute chair est comme l'herbe, et la gloire de l'homme est comme la fleur de l'herbe (I Pier., I, 24.). Les objets de nos affections, les biens du coeur, ces biens plus nobles et plus réels ne sont pas moins fragiles que tout le reste; ils peuvent nous être enlevés avec la rapidité de l'éclair, et nous laisser bouleversés, éperdus.

Nous ne pouvons changer cet ordresuprême qui règle les destinées humaines, et, par des vues infiniment sages, fait de cette terre une scène mouvante, où tout ne fait que passer et disparaître.

O homme! soumets-toi. Cette obligation, mes Frères, est si frappante, qu'il n'est personne qui la méconnaisse. Il faut bien se soumettre, dites-vous sans cesse; il faut bien se soumettre à ce qu'on ne peut empêcher: mais si c'est l'idée seule de la nécessité qui vous frappe, si c'est sous son joug que vous fléchissez, votre soumission triste, forcée, est celle de l'esclave qui s'irrite en secret contre la chaîne qu'il ne peut briser. Il est une autre soumission plus noble et plus douce, dont la Religion seule a le secret, et que l'Évangile nous enseigne; elle prend le nom touchant de résignation.
Cette résignation est l'acquiescement volontaire d'une âme religieuse aux décrets éternels dont tous les événemens divers ne sont que l'accomplissement. C'est l'acceptation des maux qu'elle souffre, une acceptation de respect et d'amour.

Telle est celle dont Job nous offre l'exemple. Cet exemple est placé bien haut, je l'avoue. Job, par un coup de foudre, privé de ses biens, de ses nombreux enfans, tourmenté par de cruelles douleurs, et, dès les premiers instans, dès les premières paroles qu'il prononce, bénissant le Seigneur qui l'afflige, Job s'écriant, lorsque l'épreuve se prolonge:
Voilà, qu'il me tue, je ne laisserai pas d'espérer en lui (Job XIII, 15.). Job est l'un des modèles les plus sublimes que nous puissions nous figurer. Mais serait-ce donc pour nous une dispense de l'imiter? Plus éclairés qu'il ne le fut, avec des espérances et des consolations qu'il n'avait pas, du moins au même degré, ne tenterons-nous pas d'en approcher?

Pour y réussir, cherchons dans son âme les pensées qui le soutiennent. Chrétiens! j'y vois une idée dominante;une idée grande, énergique, féconde; l'idée de Dieu, qui fait tout ici-bas: l'Éternel l'avait donné, l'Éternel l'a ôté. Cette idée fait naître en lui deux sentimens qui produisent la soumission:

1.° Un sentiment de reconnaissance, l'Éternel l'avait donné
2.° Un sentiment de respect et d'amour,
l'Éternel l'a ôté, que le nom de l'Éternel soit béni! I. Job est animé d'un sentiment de reconnaissance. Il se rappelle que ces biens qu'il a perdus, ses richesses, ses enfans, la santé, c'est de Dieu qu'il les tenait, et il le bénit pour ce souvenir.

Mais est-ce dans le souvenir du passé, dans le souvenir d'un bonheur évanoui, que nous pouvons trouver des consolations à nos peines!
Hélas! ce n'est pas ce qu'on voit communément. Il arrive presque toujours que ce souvenir nous aigrit, et, par le contraste douloureux qu'il présente, rend notre situation plus amère. Je croyais avoir une aisance assurée pour mes derniers jours, et me voilà ruiné!
J'étais plein de force; aucun travail ne m'effrayait, et me voilà couche sur un lit de maladie!
J'étais heureux dans la possession de cet enfant d'une si belle espérance, dans la douce société de ce frère, de cet ami; je comptais sur eux pour embellir ma vieillesse, et me voilà seul sur la terre!
Ah! qu'il est cruel de perdre ainsi tout ce qu'on aimait! Ah! qu'ai-je fait au Seigneur pour qu'il m'afflige ainsi? Comment sa bonté peut-elle s'accorder avec ce que je souffre? Voilà ce qu'on entend répéter tous les jours. La félicité passée, au lieu d'être pour nous un sujet de bénir le ciel, nous paraît l'accuser: nous reprochons au Seigneur de l'avoir détruite; et loin de voir dans ces temps de calme et de douceur un motif de reconnaissance et de soumission, nous sommes plus mécontens, plus malheureux que si nous n'en avions jamais joui.

D'où vient cela, mes Frères? C'est peut-être que nous en avons joui en êtres indépendans. C'est que nous avons oublié, dans les années prospères, notre situation vis-à-vis de Dieu et la nature des choses terrestres. C'est que nous avons oublié notre petitesse et notre indignité; nous avons oublié les droits du Créateur et la fragilité des créatures: nous les avons regardées comme notre propriété, comme un juste salaire: nous les avons regardées comme des biens réels et durables: nous en avons fait l'idole de notre coeur. Voilà pourquoi, lorsque Dieu reprend ses dons, ce coeur s'étonne, se soulève, s'irrite; il nous semble essuyer une injustice; nous éprouvons un mécompte cruel, et nous doutons peut-être, o mon Dieu, de ton amour et de ta bonté.

Le fidèle n'oublie point que tout vient de Dieu, et que Dieu seul est immuable. Il voit ses bienfaits dans tous les avantages dont il jouit: sa santé, sa fortune, ses enfans, ses amis sont des présens du Seigneur. Il sait qu'il doit aimer ces présens moins que Celui qui les répand. Il en jouit avec reconnaissance; mais il ne pense pas avoir le droit d'en jouir toujours; il se rappelle qu'ils ne lui appartiennent pas; il se rappelle qu'ils lui sont prêtés par l'Éternel.
Cette idée fait qu'il use avec prudence,, avec réserve des objets de la terre, et en même temps, qu'il aime mieux ceux qu'il lui est permis d'aimer: il aime ses enfans, ses amis, ses proches plus tendrement et plus sagement; il craindrait davantage de leur causer des peines, de ne pas remplir envers eux tous les devoirs qui naissent de leurs relations mutuelles, d'empoisonner par quelques torts les courts momens qu'il passe avec eux, de se préparer des regrets, des remords pour le temps où il ne les aura plus. Si la Providence les lui retire, il est affligé sans doute, mais il n'est pas surpris: le mécompte de perdre ce qu'on espérait conserver, n'ajoute pas à sa tristesse, l'amertume et un trouble affreux. Il bénit le Dieu qui les lui reprend, pour le temps qu'il a daigné les lui laisser.

Eh! n'est-il pas juste, mes Frères, de tenir compte au Seigneur, si j'ose ainsi parler, des jours, des mois, des années de la jouissance? Méritions-nous qu'elle fût si long-temps prolongée? Ce passé que nous ne voulons rappeler que pour nous trouver plus à plaindre, ne faisait-il pas une partie essentielle de notre existence? Si nous l'oublions, c'est seulement quand il s'agit des bienfaits du Seigneur: nous savons bien nous en souvenir vis-à-vis de nos semblables lorsque nous les avons servis; vis-à-vis de Dieu lui-même quand nous pensons avoir bien mérité de lui. Vous laissâtes à cet homme, durant plusieurs années, l'usage d'une somme, d'une demeure, d'un objet quelconque qui vous appartient; n'estimez-vous pas, quand vous le retirez, qu'il doit vous être encore obligé pour ce temps de jouissance, qu'il doit même l'être toujours?
Que diriez-vous si, se prévalant de votre condescendance, et croyant avoir acquis des droits à ce que vous avez bien voulu lui prêter, il s'irritait quand vous le redemandez, il vous accusait de cruauté, d'injustice, il pensait ne vous rien devoir pour le passé?
Hélas! voilà pourtant ce que nous faisons à l'égard de Dieu. Si nous avons été fidèles à ses lois, si nous leur avons fait quelque sacrifice, si nous avons offert au Seigneur une preuve d'amour, quelque éloignée qu'en soit l'époque, nous prétendons qu'il s'en souvienne pour nous protéger, nous défendre, tandis que nous-mêmes, ô inconséquence! ô folie! nous oublions ses bienfaits dès qu'ils sont passés.

Il est des affliges sans doute, quoiqu'en très-petit nombre, auxquels ces reproches ne sauraient convenir. Ce qu'ils regrettent, ce sont moins les biens terrestres qui leur sont enlevés, que les consolations divines dont ils ont connu la douceur, et qu'un ébranlement terrible, causé par les violentes secousses du malheur, les empêche de goûter aujourd'hui. Ils n'oublient pas les bienfaits du Ciel quand il les retire; une sombre mélancolie leur fait penser qu'ils sont abandonnés de lui; elle voile pour eux la tendresse infinie du Dieu qui les éprouve. Mais, en général, il est trop vrai qu'il y beaucoup d'ingratitude dans nos douleurs.

Ah! mes Frères, montrons-nous plus reconnaissants envers le Bienfaiteur Souverain. La reconnaissance arrêtera le murmure sur nos lèvres: notre affliction changera de nature, et prendra un caractère de douceur, de tendresse: nous en serons déjà moins malheureux en nous rappelant ce temps de notre vie où
nous avons reçu les biens de la main du Seigneur (Job. II., 10.); nous en viendrons à trouver quelque charme dans ce souvenir; nous en viendrons à dire avec un mélange de joie au sein même des privations: L'Éternel l'avait donné.

Mais il y a plus: la reconnaissance produira en nous une autre disposition consolante; elle y produira ce sentiment de respect, d'amour, de confiance qui calme Job et le soutient:
l'Éternel l'a ôté; que le nom de l'Éternel soit béni!

II. L'Éternel l'a ôté! Ce n'est point le hasard, ce n'est point la malice des hommes qui me l'a ravi; non, c'est l'Éternel. Oserais-je me plaindre de l'Éternel? Ne me soumettrai-je pas à l'Éternel? Me soulèverai-je contre mon Créateur, mon Bienfaiteur Suprême? contre Celui qui, pour me faire rentrer dans la poudre, n'aurait qu'a retirer son souffle? contre Celui de qui je tiens tous les avantages qui me restent, et que je ne puis méconnaître sans devenir ingrat? de qui je tiens la vie, le mouvement, la faculté de penser, de sentir, d'aimer? Ce Dieu qui m'afflige, c'est ce même Dieu qui fut l'auteur de ma félicité. Il m'aima le premier (Jean, IV, 10.); penserais-je qu'il ne m'aime plus aujourd'hui? croirais-je qu'il m'afflige sans nécessité, qu'il se plaît à voir couler mes larmes? Non, non, il est constant dans son amour, dans ses miséricordes: je lui suis cher encore dans cette heure d'épreuve, comme lorsqu'il m'envoyait des jours sereins: s'il me traite avec rigueur maintenant, c'est par des raisons que j'ignore, mais un jour Je les connaîtrai.

L'enfant, dans la bouche duquel sa mère, pour lui rendre la santé, fait couler un breuvage amer, sait-il pourquoi elle en use ainsi? Cependant, dès qu'il sent qu'il est dans ses bras, il s'apaise et pleure avec moins de véhémence. Ah! n'existe- t-elle pas entre le Seigneur et ceux qu'ila formés cette tendre sympathie qui unit les enfans et les pères?
Pauvre et chétive créature aux prises avec l'adversité, je me débats, je pleure, j'ignore pourquoi je souffre, mais je reconnais la main paternelle de mon Dieu: c'en est assez pour me calmer. Il m'a tout donné; il m'a donné son Fils: la plus sensible offense que je pusse faire à sa tendresse, ce serait d'en douter un seul moment. C'est l'Éternel qui me l'ôte ce bien que je regrette; mais lui, qui me l'a donné, ne peut-il pas me le rendre ou m'en dédommager richement.

Voilà ce que pensait Job, bien plus infortuné que moi; Job, au comble du malheur. Sa confiance ne fut point trompée; il retrouva des avantages plus précieux que ceux qu'il avait pleurés.

Elle est sublime sa confiance, car il ne fut pas éclairé par
le Soleil de justice; il ne faisait que pressentir; il ne voyait qu'à travers un voile cette éternité qui renferme de si riches compensations; il disait néanmoins: Je sais que mon Rédempteur est vivant.... je le verrai de mes yeux(Job XIX, 25, 26.). Soutenu par cette pensée, il baisait la main qui l'avait frappé.

Et nous, mes Frères, enseignés par le Fils de Dieu lui-même; nous auxquels il a dévoilé les desseins du Très-Haut, les mystères de l'adversité,les merveilles du royaume des Cieux; nous qui savons que le Seigneur afflige ceux qu'il aime, et qu'il se sert du feu de la tribulation pour épurer les âmes, et les porter plus brillantes et plus belles à plus de gloire et de félicité; nous, Chrétiens, nous à qui notre auguste Chef, le Prince de l'éternité, a daigné frayer la route et dire cette fortifiante parole:
Si vous souffrez avec moi, vous régnerez avec moi (2 Timoth., II, 12.); nous qui voyons ce Maître adorable assis dans les Cieux, où il nous attend,d'où il nous appelle, nous aurions moins de calme et de foi que Job!

O vous qui pleurez! quel que soit le sujet de vos peines, essuyez vos larmes, cessez vos plaintes, ne faites plus entendre les accens de la tristesse, mais ceux de l'espérance, d'une espérance divine,
d'une espérance qui ne confond point (Rom., V, 5)

Est-ce l'indigence qui vous abat? Le Maître du monde vous dit par ma voix:
Je ne vous laisserai point (Hébr., 13, 5.). Celui qui nourrit les oiseaux de l'air, ne prendra-t-il pas soin de vous (Matth., VI, 26.)? Et ne savez-vous pas que si Lazare est fidèle et soumis, les Anges le porteront dans le sein d'Abraham (Luc, XVI, 22.)? Est-ce la maladie, les infirmités? Le Tout-Puissant ne peut-il pas vous rendre votre vigueur première? Après tout, dans peu de temps, au lieu de ce corps douloureux et fragile où votre âme habite comme dans une tente, vous retrouverez un corps glorieux, immortel, incorruptible, qui ne connaîtra point les souffrances et la misère dont le premier fut tourmenté.

Pleurez-vous un objet trop aimé? Eh! ne le voyez-vous pas au sein de la gloire, à côté de Jésus? La seule peine qu'il éprouve vient du trouble auquel vous vous abandonnez. Dans quelques jours il vous sera rendu; vous serez réunis. Quoi! une séparation d'un moment, voilà ce qui trouble votre âme, bouleverse votre imagination! voilà ce qui l'emporte sur les promesses de votre Dieu, sur ses bienfaits passés et ses bienfaits à venir, sur les plus sûrs garans de sa tendresse, sur les témoignages inouïs de son amour, sur la rédemption et l'éternité!

O Dieu! pardonne à tes faibles créatures; pardonne à tes tristes enfants.  O Père des hommes! mets toi-même dans notre âme les sentimens que tu veux de nous. Donne-nous de penser sans cesse que tout vient de toi: cette pensée pour nous la source de la force et de la paix. Donne-nous d'adorer tes décrets et de te bénir dans toutes les situations de la vie.
Heureux désormais si nous savons t'offrir l'hymne de la reconnaissance, de la confiance, de L'amour! Heureux si, dans les situations les plus pénibles à la chair, nous savons dire avec le même coeur que Job:
L'Éternel l'avait donné, L'Éternel l'a ôté; que le nom de l'Éternel soit Béni! Amen.

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