Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DISCOURS X.

La fertilité de la terre.


Tu célébreras une fête solennelle..... en l'honneur de l'Éternel ton Dieu...., après qu'il t'aura béni dans toute ta récolte et dans tout l'ouvrage de tes mains, et tu seras dans la joie, Deutéron., XVI, 15.


Mes Frères; Elle était bien intéressante cette fête des tabernacles dont vous venez d'entendre l'institution, et que célébraient les juifs après avoir serré les fruits de la terre. Logés durant quelques jours sous des tentes de feuillage, ils se rappelaient le temps où leurs ancêtres, sans propriété, erraient dans un désert stérile. Ce souvenir leur rendait plus doux le séjour de l'heureuse Palestine, et leur faisait mieux sentir les divers présens que le cultivateur reçoit de la Providence. Ils la célébraient chaque année cette fête, parce que du plus au moins la saison des récoltes est toujours celle des bienfaits, et doit toujours être celle de la reconnaissance. Ils la célébraient sans doute avec un redoublement de ferveur et de joie, quand le Ciel avait particulièrement béni leurs travaux, quand l'abondance était entrée dans leurs maisons.

Et quoi de plus juste que de rendre alors au seigneur un hommage solennel? Lorsque dans le temps des semailles nous confions à la terre le grain qui doit multiplier dans son sein; lorsqu'au retour du Printemps nous voyons nos champs se couvrir d'une tendre verdure et nos arbres parés de fleur, notre premier sentiment est de prier Dieu de réaliser nos espérances. Dans nos besoins, dans nos perplexités, dans nos inquiétudes, un mouvement naturel aussi prompt, aussi involontaire que la pensée nous porte à l'implorer. Est-il moins juste, mes chers Frères, de lui rendre grâces lorsqu'ils exaucé nos désirs? Ne serait il pas bien honteux pour le coeur de l'homme d'être moins disposé à s'élever à Dieu pour le bénir du succès, pour l'adorer dans la prospérité, que pour implorer sa protection dans l'attente, l'anxiété, l'infortune?

Lorsque dans un temps de calamités nationales je vois un peuple nombreux se presser dans le sanctuaire, où il vient invoquer l'arbitre de nos destinées, j'éprouve une émotion mêlée de douceur. Un spectacle plus doux encore et plus beau, c'est celui d'un temple rempli d'adorateurs conduits par la reconnaissance. Il me semble que la relation qui existe entre le Créateur et ses créatures me frappe alors d'une manière sensible et touchante. Dieu bénit, et l'homme rend grâces: le Ciel répond à la terre et la terre répond au Ciel.

Si l'Évangile n'exige pas de nous, d'une manière positive comme la Loi l'exigeait des Juifs à cette époque de l'année, des témoignages éclatans de sensibilité, cela tient sans doute en partie à ce qu'il s'occupe principalement de la grande destination de l'homme et cherche surtout à diriger ses regards vers les biens éternels.
Mais prenez garde aussi qu'en laissant à notre disposition ces démonstrations extérieures de reconnaissance, il nous demande le sentiment qui en fait un besoin; il veut qu'elles soient chez nous l'effet des mouvemens de l'âme et non pas seulement de l'obéissance à la loi.
Comme sous l'Évangile Dieu fait beaucoup plus pour l'homme; comme par ses bienfaits et son amour il presse son coeur de toutes parts, il veut en recevoir un hommage plus libre et plus volontaire: il se montre à son égard plus délicat, plus jaloux, et l'on peut dire qu'il lui prescrit moins, parce qu'il en attend davantage.
Je viens donc vous entretenir et des sentimens que nous devons éprouver dans les circonstances où nous sommes et des devoirs qu'elles nous imposent. J'aime à croire que vos coeurs sont disposés à m'entendre. Dieu veuille accompagner de sa grâce les réflexions que je vais vous présenter! Amen.


Si jamais nous dûmes éprouver cette joie qu'excite le spectacle de l'abondance; si jamais la nature sembla nous inviter à célébrer une fête de reconnaissance, c'est sans doute en ce moment.
Je sais qu'il est des hommes toujours mécontens. Prompts à murmurer quand la terre qu'ils cultivent ne répond pas à leur attente, ils se plaignent aujourd'hui de sa fécondité. Le Ciel avec toute sa puissance ne saurait les satisfaire. Ils ressemblent à ces Juifs qui blâmaient également et l'austérité de Jean-Baptiste et la douce indulgence de Jésus. On peut les comparer à ces enfans dont parle notre divin Maître, et leur faireaussi ce reproche:
on a joué de la flûte et vous n'avez point dansé: on a chanté des airs lugubres, et vous n'avez point pleuré (Luc, VII, 32.) . Mais ce n'est point à eux que je m'adresse: et que pourvoient mes faibles discours sur des coeurs que les bontés du Seigneur n'ont pu toucher? je ne parle qu'aux hommes religieux et sensibles. C'est eux que j'invite à porter leurs regards sur l'ensemble de nos récoltes. C'est à eux que je le demande, cette année n'a-t-elle pas été bénie entre toutes les autres?

Elle n'a été pour nous qu'une suite de saisons fertiles, un enchaînement de bienfaits. Les pluies salutaires et les chaleurs fécondantes ont été entremêlées au gré de nos souhaits. Il semble qu'elles aient paru tour-à-tour à la voix de l'homme dès qu'il les appelait par ses désirs. Depuis ces beaux jours du printemps où nous vîmes les premiers jets de l'herbe verdoyante jusqu'à ceux-ci qui terminent si richement pour nous les scènes de l'année, nous avons joui d'une température favorable. Aucune de nos récoltes n'a manqué, et plusieurs ont surpassé notre espoir. Les fruits de la terre ont été aussi délicieux qu'abondans.A tous ces égards l'année mil huit cent quatre sera long-temps célèbre: elle fera oublier celles dont on avait conservé la mémoire: nos enfans en parleront à leurs arrière-neveux; ils se plairont à leur raconter les miracles de sa fécondité.

Il y a plus: non-seulement la Providence nous a fait part des richesses dont elle couvrait la terre; mais elle nous à distingué par une protection spéciale. Nous avons été à l'abri de ces orages, de ces inondations qui ont désolé en divers lieux l'habitant des campagnes, qui entraînaient dans leurs terribles cours ses troupeaux, ses plantations, sa demeure.
Nous avons contemplé de loin ces malheurs, comme d'un rivage tranquille on contemple la tempête. Nous avons recueilli sous un Ciel propice, et serré, sans altération, ce grain précieux qui fait la nourriture de l'homme, tandis que nos voisins assaillis par des pluies continuelles l'ont vu se dénaturer, se détruire, s'anéantir sous leurs yeux au moment même de la récolte, au moment même où ils se croyaient sûrs d'en jouir. Et c'est ainsi, mes Frères, que par une réunion de grâces, dont quelques-unes nous sont particulières, Dieu frappe à la porte de nos coeurs, et semble nous dire aujourd'hui, comme autrefois aux Juifs:
Tu célébreras une fête solennelle à l'Éternel ton Dieu, quand il t'aura béni dans l'ouvrage de tes mains, et tu seras dans la joie.

I. Mais vous devez le comprendre, la joie dont parle mon texte n'est point cette joie terrestre de l'avidité qui calcule ce qu'elle possède, ni cette joie brutale de l'intempérance qui se promet d'être assouvie. C'est une joie noble et religieuse qui nous élève à Dieu, comme à l'auteur de toutes ces grâces. C'est cette joie dont nous trouvons de si beaux modèles dans nos Saints Livres, cette joie qui respire dans ces belles paroles du Roi Prophète: O Dieu! la louange t'attend en Sion: tu nous donnes le matin et le soir des sujets de te rendre grâces! Tu as visité la terre, tu l'as rendue féconde; tu as multiplié ses richesses; tu as béni les germes et les semences: tu as couronné l'année de tes bienfaits: les campagnes ont été couvertes de tes dons: elles se revêtent d'allégresse; elles élèvent la voix et chantent l'hymne de tes louanges (Ps. LXV.).

Mes Frères, telle est l'impression que doit faire sur notre âme la vue des saisons fertiles: et si l'on ne connaissait pas la grossièreté, l'ingratitude du coeur humain, on regarderait comme impossible qu'il ne l'éprouvât pas toujours; car cette abondance est:

1.° de tous les biens temporels celui que nous recevons le plus directement du Seigneur, et
2.° l'un des plus propres à nous émouvoir.

1.° Tout vient de Dieu sans doute. C'est lui qui bénit l'industrie de l'artisan, les travaux du guerrier, les calculs du négociant; mais sa main se cache pour eux sous le voile des causes secondes. Ils peuvent rapporter à eux- mêmes leurs succès: ils peuvent oublier Celui qui fait leur destinée.

Il n'en est pas de même du cultivateur: il n'y a point d'intermédiaire entre son Dieu et lui. Plus heureux, placé plus près de toi, Seigneur, il est tel que les oiseaux de l'air sur qui tu étends ta main pour leur dispenser la nourriture. C'est à lui surtout qu'on peut appliquer ces paroles pleines d'énergie:
Caches-tu ta face! les créatures sont troublées. Retires-tu ton souffle? elles défaillent (Ps. CIV, 29.). Tu as daigné, je l'avoue, lui permettre de concourir avec toi à la reproduction des fruits de la terre.
Tu as daigné lui donner une part dans l'oeuvre mystérieuse de la nature; mais vous le sentez, Chrétiens, sans le secours du Ciel, en vain vous vous accableriez de travaux, vous vous épuiseriez de fatigues, en vain vous vous coucheriez tard; en vain, devançant le lever du soleil, vous guideriez la charrue, vous traceriez péniblement le sillon, vous jetteriez avec art une semence choisie dans une terre bien préparée, ou vous tailleriez la vigne et l'arroseriez de vos sueurs, tout cela ne servirait de rien; tout cela ne produirait pas un seul brin d'herbe, une seule feuille, sans la bénédiction du Seigneur; sans la Chaleur du jour et la fraîcheur des nuits; sans l'heureux mélange des rayons du soleil et des douces rosées ou des pluies bienfaisantes; sans l'action de cet air tour-à-tour frais, tiède et brûlant qui féconde la terre, sans toutes ces choses sur lesquelles vous n'avez pas la moindre influence; en un mot, sans le travail invisible de cette Providence qui est l'âme de la nature.
C'est donc à toi seul, o Éternel, que nous devons les saisons fertiles. C'est de tous tes bienfaits celui où il nous serait le moins permis de te méconnaître.

2.° Ajoutons que c'est un des plus propres à émouvoir nos coeurs. Nous avons une disposition naturelle à nous réjouir au spectacle de la fertilité des campagnes. Une heureuse récolte fait éprouver une agréable émotion à ceux même qui n'y ont pas d'intérêt personnel. Cela tient sans doute à un sentiment confus de l'utilité de ces biens, de leur nécessité, de leur influence sur la prospérité publique; et la réflexion ajoute une nouvelle force à ce sentiment.

En effet, mes Frères, il est divers présens de la Providence qui peuvent contribuer à la douceur de notre vie, la force, l'adresse, l'intelligence, la gaîté, une bonne réputation et d'autres encore: mais quel que soit le prix de ces avantages, on ne saurait dire qu'ils soient indispensables; on peut vivre sans les posséder. Il n'en est pas de même de ces alimens qui font la nourriture de l'homme et des animaux, qui chaque jour renouvellent nos forces et notre vie. Que deviendrions-nous, Grand Dieu, si tu cessais de nous les dispenser? Que deviendrions-nous, si la terre que tu as chargée de nous les présenter, cessait de les produire, si les saisons se succédaient en vain, si le printemps, l'été, l'automne passaient sans nous offrir leur redevance accoutumée?

Pour vous en faire quelque idées rappelez-vous, mes Frères, ce que vous avez éprouvé lorsqu'une seule de vos récoltes a manqué. Quel cri de douleur fit retentir nos campagnes, lorsque la vigne déjà parée de grappes fut atteinte de la gelée! Quel n'était pas en d'autres temps votre abattement, votre anxiété, lorsque le vent du midi resserrant le grain encore caché sous l'épi trompait l'espoir de vos moissons, ou lorsqu'une sécheresse brûlante consumant l'herbe des prairies, vous voyiez dépérir vos troupeaux languissans, vous étiez forcés de livrer au fer et le boeuf laborieux et la vache nourricière!
Si la privation ou la réduction d'un seul des présens de l'année vous semblait si cruelle, que serait-ce de la privation de tous! Que serait-ce d'une stérilité générale qui amènerait parmi nous l'affreuse disette!

Peignez-vous un instant les horreurs de cette famine dont le nom seul glace le coeur. Peignez-vous vos enfans pâles et abattus, vous demandant un pain que vous ne pourriez leur donner. Comment achèterons-nous du blé, s'écrient les infortunés Égyptiens? Et, après avoir donné en échange leur or, leurs maisons, leurs terres, ils viennent, pour enobtenir, s'offrir à l'esclavage eux et leur famille (
Genèse, XLVII.). Jacob troublé envoie ses fils en Égypte; il se résout, malgré sa juste défiance, à leur remettre Benjamin, à se séparer de ce fils chéri, la seule consolation de sa vieillesse (Genèse, XLIII.). Pressé par le besoin impérieux de la faim, l'homme est capable de tout: il se porte à toutes les extrémités du désespoir et trop souvent du crime.

Qu'elle est douce au contraire, qu'elle est heureuse cette sécurité que produisent les saisons fertiles! Qu'il est doux de voir la terre que nous cultivons nous prodiguer ses trésors! qu'il est doux de n'avoir pas à craindre la détresse pour les siens et pour soi-même! Et quelle augmentation de joie, de penser que cette même aisance, cette même tranquillité que nous goûtons, règne autour de nous! Quelle consolation de penser que les indigens, les indigensqui doivent être l'objet de notre sollicitude la plus tendre, mais auxquels, pour la plupart, nous ne pouvons offrir que de faibles secours, ou du moins, des secours suffisans, quelle consolation de penser qu'ils auront moins à souffrir, qu'ils recevront davantage, qu'ils auront leur part à la prospérité publique, et qu'ils ne demeureront pas étrangers à notre joie!

Il est impossible sans doute que ces idées, ces émotions n'excitent pas une vive émotion dans une âme sensible et religieuse. Il est impossible qu'elle ne s'élève pas au Souverain Bienfaiteur dans un vif sentiment de ses gratuités.

II. Mais en de telles circonstances ce ne serait pas assez de le bénir en secret; ce ne serait pas assez de faire monter jusqu'à son trône des actions de grâces particulières. Comme c'est ici une bénédiction nationale, et publique, la reconnaissance de l'homme doit avoir le même caractère: il faut qu'il vienne alors avec un zèle nouveau dans la maison du Seigneur, le célébrer avec ses frères, et joindre ses voeux, ses louanges à celles de l'Église. C'est alors que nos temples doivent être remplis d'adorateurs émus et fervens.

O mon Dieu! quel souvenir, quelle affligeante pensée vient ici flétrir mon âme, oppresser mon coeur! Est-ce donc là l'effet que tes faveurs ont produit sur nous? Cette dernière récolte, en particulier, qui a passé de si loin notre attente, a-t-elle ranimé notre zèle pour ton service, notre empressement pour ton culte?
Ah! tes temples étaient presque déserts. Et où étaient-ils ces ingrats qui demeuraient loin du sanctuaire, qui n'éprouvaient pas le besoin si naturel à un bon coeur, de rendre grâces au Dieu qui bénit? Ils étaient tout entiers aux soucis de la vie, se jetant, comme la brute, sur les fruits de la terre, sans lever les yeux vers le Ciel: ils t'offensaient, Seigneur, pour prix de tes bienfaits; et, sous prétexte de cette même abondance qui vient de toi, ils troublaient la tranquillité de tes Sabbats et profanaient le jour que tu t'es réservé.

Ici, Chrétiens, ne pensez pas que je veuille user d'une rigueur excessive. Je sais que sous la Loi, Néhémie reprit avec force ceux des Juifs qui foulaient au pressoir ou qui portaient leurs denrées à Jérusalem le jour du Seigneur. Je sais que dans les beaux jours de l'Église, que dis-je? du temps même de vos pères, on n'aurait pas eu l'idée qu'il fût nécessaire de prendre sur le Dimanche pour cueillir le fruit de la vigne. Je sais qu'un Chrétien vraiment fidèle et fervent n'eût point trouvé dans les circonstances un motif suffisant pour se le permettre, et que se reposant sur la Providence, il n'eût pas douté de pouvoir faire toute son oeuvre en travaillant six jours. Mais je ne suis que trop porté à accorder quelque chose au relâchement du temps où nous sommes et à
la dureté des coeurs, pour parler le langage de l'Écriture.
Bien loin d'avoir à me reprocher à cet égard une sévérité inflexible, je répondrai peut-être un jour de mon indulgence au tribunal du Souverain Juge. Et si la première partie du jour du Seigneur eût été consacrée à la reconnaissance; si j'avais eu la consolation de voir dans ce temple une réunion nombreuse de fidèles empressés à rendre grâces au Ciel, j'aurais cherché moi-même des excuses à ceux qui, après avoir rempli ce devoir, se seraient occupés du soin de leur récolte: j'aurais cherché à me persuader qu'ils y étaient forcés en quelque sorte, ou croyaient l'être par l'embarras d'une excessive abondance. Mais que personne ne se fasse illusion: je dois vous le déclarer; il n'est point d'excuse pour celui qui eu de telles circonstances ravit à son Dieu le Dimanche tout entier, le passe tout entier sans rien faire pour lui, absorbé par les soins, enseveli dans les inquiétudes de la terre.

Tout homme qui, sans avoir commencé ce jour sacré par rendre au Seigneur un tribut d'actions de grâces, se permet d'en violer le repos, n'est aux yeux du Ciel, à ceux de l'Église, qu'un ingrat et un profanateur.

Et comment pourrait-il goûter cette joie douce dont je voudrais vous voir pénétrés? Non, non, elle n'est point faite pour lui: son coeur ne peut l'éprouver ni même la concevoir. Il ne connaît point l'enchantement de la reconnaissance religieuse, de cette reconnaissance qui nous montre dans les bienfaits de notre Dieu un gage de son amour et de sa protection; de cette reconnaissance qui porte à la fois dans son âme et la sécurité de l'avenir et l'avant-goût de grâces plus précieuses, d'une félicité plus pure. La pensée des présens du Seigneur est associée pour lui au souvenir de ses transgressions: elle doit réveiller en lui des impressions pénibles: du moins réduit aux sensations de l'homme terrestre et animal, sa joie est une joie inquiète, accompagnée d'agitations et de soucis: c'est un fruit assaisonné d'amertume et environné d'épines.

Vous seuls pouvez vous réjouir, petit troupeau qui, dans ces jours de délaissement et de mélancolie, avez été ma consolation! vous qui avez montré dans cette occasion, que vous cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice (
Matth. VI, 33.), que les intérêts présens ne sauraient vous faire oublier les intérêts éternels, et qui avez su les concilier! vous qui n'avez point cessé de venir dans la maison de Dieu avec empressement, avec ferveur, et qui déplorant, comme nous, l'ingratitude du grand nombre, avez joint vos voeux aux nôtres pour en obtenir le pardon.

III. Mais, indépendamment d'un hommage public de gratitude, il est un autre devoir compris dans la joie religieuse: il est un autre devoir que nous imposent les gratuités de la Providence. Ce devoir est en général d'aimer de tout notre coeur un Dieu qui nous comble de biens, de mettre en lui notre confiance, d'obéir à ses lois avec fidélité, avec zèle, et plus particulièrement, d'entrer dans ses vues, en faisant de ses dons l'usage auquel il les destine; usage de charité, usage de tempérance.

Voilà ce que vous a dit votre coeur, fidèles qui, même avant de serrer vos récoltes, en avez offert à notre Sauveur les prémices dans la personne de l'indigent, ou du moins en avez formé le projet, en avez pris l'engagement avec vous-mêmes! Puisse la bénédiction du Ciel que vous attirez sur ces contrées, fertiliser vos champs et faire prospérer votre maison!

Sans doute, mes Frères, c'est là un devoir également juste et doux à remplir dans les circonstances où nous sommes. Eh! qui pourrait resserrer sa main, lorsque le Seigneur ouvre la sienne? Qui pourrait refuser au Bienfaiteur Suprême une légère offrande de ce qui vient de lui? Qui pourrait refuser au pauvre une modique part de l'excès de son superflu? Où est celui qui, ne sachant pas même où placer les présens de l'année, ne consentirait pas a en faire passer quelque partie dans ce séjour éternel où nous ne trouverons, où nous ne posséderons de trésors que ceux qui seront amassés par la bienfaisance?
Non, mes chers Frères, je ne crains pas que l'on ait à vous reprocher un tel excès d'aveuglement et d'insensibilité. Je me plais à reconnaître qu'en général ce n'est point là le vice de ce troupeau. Je me plais à penser que dans chacun de nos villages, les familles indigentes recevront de leurs voisins plus fortunés quelques provisions pour l'hiver, et pourront mêler leur voix aux accens de la joie publique.

Mais, hélas! puis-je m'assurer aussi que les grâces du Seigneur ne seront pas une occasion de chute pour un grand nombre d'entre nous, que plusieurs d'entre nous ne les tourneront pas en dissolution? Qu'il serait coupable cependant celui qui oserait en faire un si funeste usage! O Dieu!
tu te rends témoignage en nous faisant du bien, en nous envoyant les saison fertiles (Act. XIV, 17).

C'est ainsi que tu nous montres ce que tu es. C'est ainsi que tu fais briller à nos yeux tes perfections divines, ta puissance et ta bonté. Et l'homme, en retour, l'homme que tu as distingué entre toutes les créatures mortelles, l'homme que
tu as couronné de gloire et d'honneur (Ps. VIII, 6.), l'homme que tu as formé à ton image, au lieu de se rendre aussi témoignage par une conduite sage et noble, descendrait du rang où tu l'as placé, se mettrait de niveau avec l'animal destitué de raison, perdrait dans une joie brutale son intelligence et sa dignité! Il ferait de cette abondance même que tu destinais à répandre dans sa demeure la paix et la sécurité, un sujet de troubles et de désordres! Elle lui fournirait l'occasion d'exciter les alarmes de son épouse, de faire couler ses pleurs, de se donner en spectacle à ses enfans!

Suis- je donc réservé, Grand Dieu, à contempler cet affreux tableau dans ces campagnes qui me sont si chères? Ah! s'il en est ainsi, de tant d'épreuves diverses par lesquelles tu m'as fait passer, o mon Dieu, ce serait la plus cruelle, et après t'avoir vu durant le cours d'un long ministère, employer tour-à-tour, pour fléchir ces âmes que tu m'as confiées, les faveurs, la terreur de l'exemple, les menaces, les châtimens, je serais forcé de penser que cette abondance que tu nous envoies est un présent de ta colère, une punition plutôt qu'un bienfait, et que tu abandonnes ces hommes coupables à leurs penchans déréglés en leur fournissant les moyens de les satisfaire.
Et lorsque, pour te venger de nos transgressions, tu nous retirerais les saisons fertiles, lorsque ton bras redoutable s'appesantirait sur nos têtes, nous aurions nos malheurs à leur reprocher; nous serions forcés de leur dire que ce sont eux qui ont appelé sur nous tes fléaux.

Ils se réjouissent cependant ces hommes inconsidérés; ils se livrent à une joie animale et grossière; mais quelle en sera la suite? Quel sera pour eux le fruit de cette abondance dangereuse dont ils abusent? L'habitude funeste de l'intempérance, de l'oisiveté, du désordre, les divisions domestiques, la maladie, la ruine, une vieillesse accablée de tous les maux que la débauche entraîne après elle. Que dis-je, une vieillesse? N'avez-vous jamais ouï raconter l'histoire tragique de quelque infortuné que la mort a frappé au milieu de ses excès, dont l'âme enveloppée des vapeurs de l'ivresse a été transportée soudain devant le Souverain Juge, et dont le cadavre inanimé offrait encore l'effrayante expression de la débauche et du délire?
Ah! prenez garde, ce sont les paroles de votre Sauveur? c'est la voix qu'il vous fait entendre du haut du Ciel,
prenez garde que vos coeurs ne s'appesantissent par les excès de la gourmandise et de l'ivrognerie. Veillez et priez, de peur que ce jour, le grand jour du jugement, ne vous surprenne (Luc XXI, 34,36.).

Mais où me suis-je emporté, mes chers Frères? et dans ce moment où je vous ai rassemblés pour vous entretenir des gratuités du Seigneur et vous inviter à vous en réjouir, faut-il que de lugubres présages sortent malgré moi de ma bouche? Ah! qu'ils ne se réalisent point ces présages! Réunissons-nous pour prévenir un si grand malheur.

Que ceux à qui leur place et l'autorité dont ils sont revêtus fournissent des moyens efficaces pour maintenirl'ordre, les déploient tous en ce moment critique. Qu'ils fassent exécuter avec fermeté les ordonnances relatives à cet objet important, et qu'ils punissent sévèrement ceux qui oseraient y contrevenir. Qu'ils soient ainsi les gardiens, les bienfaiteurs de nos campagnes. Qu'ils les sauvent de leur perte. Nous les en conjurons au nom des gens de bien, au nom de tous les amis de l'ordre, au nom de la société? au nom de la Religion: et sans doute ils ne voudront pas, en laissant le champ libre à la licence, prendre sur eux la terrible responsabilité de tous les excès, de tous les crimes, de tous les accidens tragiques qui pourraient en être l'effet.

Que les chefs de famille fassent régner plus que jamais dans leurs maisons l'ordre et la régularité des moeurs. Que dans ces longues soirées d'hiver ils retiennent leurs fils autour du foyer paternel. Qu'ils ne permettent pas à leurs serviteurs de s'en éloigner. Qu'ils emploient les nombreux loisirs de cette saison à des soins utiles, à des lectures pieuses, et qu'ainsi ces heures dangereuses qui pouvaient leur être en piège, tournent au profit de l'instruction, de la vertu, de l'intimité domestique.

Vous tous, Chrétiens, qui êtes venus adorer le Dieu qui nous bénit, et qui désirez sans doute que la paix et le bonheur règnent dans nos familles, dans notre petite communauté, employez toute votre influence pour retenir ceux avec qui vous avez quelque relation. Prononcez-vous fortement en faveur du bon ordre. Montrez avec énergie votre dégoût, voire horreur pour la débauche.

Tous ensemble, mes chers Frères, revenons à notre Dieu avec sincérité, avec abandon, avec zèle. Réparons pendant le cours de cette saison, dont le calme est destiné a nous rappeler à nous-mêmes, réparons tant d'offenses, tant de profanations, tant de jours passés sans songer à lui. 

Et que demande-t-il de nous, si ce n'est que nous l'aimions, que nous mettions notre plaisir à nous approcher de lui, à être avec lui; que nous le servions ainsi
en esprit et en vérité (Jean IV, 24.) afin que nous soyions heureux sur la terre (Ephés. VI, 3.).

Oui; c'est en nous conduisant ainsi que nous pourrons être heureux. Alors nous pourrons nous réjouir des bienfaits du Seigneur; nous pourrons espérer qu'il ne nous retirera point sa protection; nous pourrons envisager ses faveurs temporelles comme le gage de faveurs plus précieuses, et la félicité de cette vie passagère sera pour nous le présage d'une félicité plus excellente. C'est vers elle, en effet, qu'il faut tourner nos regards et nos pensées. Hélas! les biens de la terre sont toujours mêlés d'épines et d'amertume: ilsont un caractère d'imperfection qu'on ne sent jamais mieux qu'en les possédant, et c'est lorsqu'ils abondent qu'on éprouve leur insuffisance.
Exclusifs par leur nature, dès que tous les possèdent, ils baissent de valeur; ils sont environnés de soucis, mêlés d'anxiété, accompagnés de fatigue. Vous l'avez éprouvé dans cette dernière époque; elle a été pour tous une époque d'embarras, de travaux excessifs, et pour plusieurs, de peines et d'inquiétudes.

Aspirons, aspirons à ces biens éternels qui seuls désaltèrent pleinement le coeur de l'homme, et ne lui font jamais éprouver ni satiété ni dégoût; à ces biens éternels dont le charme sera d'autant plus doux et le prix d'autant plus grand qu'ils seront le partage d'un plus grand nombre, et dont la jouissance, loin d'être pour nous une occasion de trouble et d'agitation, sera accompagnée de la paix et du repos éternel.

Plusieurs disent, qui nous fera jouir des biens? O Éternel! lève sur nous la clarté de ta face (Ps. IV, 7.)! O Dieu! donne-nous ta grâce qui vaut mieux que la vie (Ps. LXIII, 3.)!

C'est ce que nous te demandons par Jésus-Christ, auquel, comme à toi, Père céleste, et au Saint-Esprit, un seul Dieu béni éternellement, soient la gloire et l'adoration aux siècles des siècles! Amen.

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