Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DISCOURS IX.

Les fléaux du Ciel.


La voix de l'Éternel crie.... Écoutez la verge et celui qui l'a assignée, Michée VI, 9.


EST-IL quelqu'un parmi vous qui soit affligé, sans que je le sois aussi? disait Saint Paul aux Corinthiens (2 Corint., XI, 29.). Telle est l'expression fidèle des sentimens d'un Pasteur. Et sans doute lorsqu'un père souffre dans ses enfans, il souffre dans la partie la plus sensible de lui-même. Que serait une douleur personnelle auprès du sentiment de leur douleur?

Voilà, mes chers Frères, ce que j'ai éprouvé dans cette calamité si générale et si terrible, à laquelle je n'ai rien vu d'égal depuis que j'habite au milieu de vous, et dont nos vieillards eux-mêmes ne se rappellent point d'exemple (
1). Je souffre pour chacun de vous et pour tous ensemble: mon coeur est navré du sentiment de vos pertes; il ressent vos inquiétudes; il envisage avec effroi toutes les conséquences de cet événement fatal. Quelle consolation vous donnerai je? Vous en attendez de ma bouche; vous êtes venus en chercher dans ce temple; et sans doute il ne vous trompe pas cet instinct de la nature, cet heureux mouvement qui vous conduit dans le sanctuaire au jour de la calamité. Mais que servirait un vain palliatif qui ne produirait qu'un soulagement passager? Il faut aller à la source du mal pour le guérir. Si le Maître du monde est irrité contre nous, en vain nous tournerions-nous de tous côtés, nous ne pourrons goûteraucune tranquillité réelle jusqu'à ce que nous nous soyons rapprochés de lui, réconciliés avec lui.

Aussi, mes Frères, indépendamment des impressions douloureuses qui me sont communes avec vous, mon coeur est agité d'autres sentimens qui naissent de l'intérêt de vos âmes et du ministère dont je suis revêtu. Je vois dans cet événement les desseins de la Providence sur ce troupeau; je vois les fruits salutaires qu'il peut produire, si vous le voulez; je vois le remède sortir du mal: je vois aussi le devoir qui m'est imposé d'élever la voix, de faire entendre ces accens: Écoutez la verge, afin d'ouvrir les yeux de ceux qui vivent encore dans l'illusion; afin de fortifier, de fixer les heureux mouvemens de ceux qui ont commencé à se tourner vers le Dieu qui nous afflige.

Souffrez donc, Chrétiens, que je sonde la plaie pour la guérir. Secondez- moi vous-mêmes par les dispositions de vos coeurs, par les sentimens de docilité, de recueillement, de componction qu'exige une telle circonstance.

Et toi, Grand Dieu, Dieu Sauveur, qui m'ordonnes de faire entendre la vérité sévère à ceux sur les douleurs desquels je voudrais répandre le baume le plus doux de la tendresse! Toi qui m'envoies auprès de ce peuple, comme tu envoyais jadis tes prophètes auprès d'Israël dans la disgrâce! ne m'abandonne point à ma propre faiblesse; mets toi-même dans ma bouche les paroles que je dois dire, et adresse les au coeur de ceux qui vont les écouter! Amen.

Écoutez la verge! Mais,direz-vous peut-être, venez-vous nous exhorter à sentir le coup dont nous sommes frappés? Manque-t-il quelque chose à notre affliction? Dans cette cruelle matinée où nos premiers regards aperçurent une gelée fatale blanchir nos campagnes, où, parcourant nos possessions, nous vîmes les tendres rameaux de la vigne déjà couronnés de riches grappes pencher languissamment leur tête, noircis et desséchés comme si la flamme les eût traversés, un cri gênerai de désolation ne fit-il pas retentir nos hameaux? Ne vit-on pas des larmes couler des yeux les plus mâles? La consternation ne se peignit-elle pas sur nos visages? N'est-elle pas encore empreinte sur nos fronts, et le trait poignant delà douleur au fond de nos âmes?

Sans doute, mes Frères, nous sommes affligés; nous le sommes profondément. Mais penseriez-vous que cette affliction, qui tient uniquement à la sensibilité de la nature, fût tout ce que Dieu demande de nous, tout ce qu'il a voulu exciter en nous? Il suffit d'être homme pour sentir la verge: il faut savoir l'écouter; il faut savoir entendre les leçons qu'elle nous donne; grandes leçons trop oubliées et trop nécessaires! leçon de piété leçon d'humiliation; leçon d'amendement et de repentir.

1.° Leçon de piété. C'est la première que nous devons recevoir. Dieu est l'arbitre de notre sort: les causes secondes ne sont point les vrais moteurs des événemens; elles ne sont que l'instrument dont la Cause Première se sert pour accomplir ses desseins, pour récompenser ou pour punir.

C'est-là une vérité sur laquelle repose toute la morale, et qui suffirait seule pour nous attacher au devoir. La raison qui nous annonce un Dieu Créateur, Maître et Dispensateur de toutes choses, l'établit déjà cette grande vérité. Nos Livres Saints la confirment: elle nous est annoncée à chaque page de nos Écritures. Là nous lisons ces déclarations énergiques:
Les biens et les maux ne procèdent ils pas du commandement du Très-Haut! Je suis l'Éternel, et il n'y en a point d'autre qui forme la lumière et qui crée les ténèbres, qui donne la paix et qui envoie l'adversité. C'est moi l'Éternel qui fais toutes ces choses. C'est lui, c'est le Seigneur qui fait la plaie et qui la guérit. Celui qui plante et celui qui arrose ne sont rien; mais c'est Dieu qui donne l'accroissement. Si l'Éternel ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent y travaillent en vain. Si L'Éternel ne garde la ville, celui qui la garde fait le guet en vain. C'est en vain que vous vous levez de grand matin y que vous vous couchez tard et que vous mangez le pain de douleur; certes c'est Dieu qui donne du repos à ceux qu'il aime (Lament. de Jérém., III, 38; Es., XLV, 6, 71 Cor., III, 7; Ps., CXXVII, 1.2.).

Mais, quoi! serait-il possible qu'elle fût méconnue par l'habitant des campagnes cette vérité capitale? Serait-il possible qu'elle fût méconnue par le cultivateur qui lève sans cesse ses yeux vers le Ciel, soit dans ses craintes, soit dans ses espérances, qui voit partir du Ciel et les pluies salutaires et les chaleurs vivifiantes? Pourrait-il méconnaître le Dieu qui règne dans le Ciel, et qui de là fait descendre sur la terre ses bénédictions ou ses fléaux? Pourrait-il ignorer que c'est lui seul qui est le Maître de son sort et de sa fortune?

Sans doute, mes Frères, il n'est personne parmi nous qui osât nier cette vérité; mais c'est des lèvres seulement qu'on lui rend hommage. Il est une incrédulité du coeur qui consiste à l'oublier dans nos actions, à nous conduire comme si elle n'était pas démontrée. Il y a une illusion produite par l'amour des biens de la terre, qui fait que voyant seulement les causes secondes et visibles, on ne compte que sur les moyens humains, on n'emploie que les moyens humains, on ne pense, en un mot, qu'à faire soi-même son sort, comme s'il importait peu d'irriter le Tout-Puissant, ou d'attirer sur nous ses faveurs.

Or, je dis que cette illusion, je dis que cette incrédulité pratique est très-commune: elle est comme une maladie régnante dont la contagion s'étend tous les jours. Il seroit trop aisé d'en apporter des preuves. Voyez lequel l'emporte quand ce que nous devons à Dieu est en opposition avec les conseils de l'intérêt, même dans les moindres occasions. S'agit-il de faire un léger sacrifice pour se rendre dans le temple du Seigneur, pour envoyer nos enfans s'instruire de sa loi, pour sanctifier le jour qu'il s'est consacré, pour conserver ou rétablir la paix, pour remplir un devoir d'humanité? c'est toujours le culte, l'instruction, la loi du Sabbat, c'est toujours le devoir, c'est toujours Dieu qu'on sacrifie.
Le soin de lui plaire est le seul qu'on ne craigne pas de négliger: la crainte de l'offenser est la seule crainte dont on ne soit point touché; l'intérêt que nous avons à nous assurer sa protection est le seul intérêt qui ne frappe personne.

O vous qui pensiez être les artisans de vos destinées, l'avez-vous entendue cette voix qui a retenti dans nos campagnes:
«Dieu seul est le Souverain. C'est de lui seul que dépend le succès. Sans sa bénédiction, les travaux de l'homme sont vains et son espoir est  trompeur.»
Cette leçon vous semble-t-elle assez hautement proclamée? Est-elle assez énergique, assez terrible?

2.° Mais le coup qui nous a frappés n'est pas seulement destiné à nous la rappeler; il a encore pour but de nous punir: c'est un châtiment que Dieu nous envoie; il est irrité; nous sommes coupables; nous devons nous humilier sous sa main puissante. Leçon d'humiliation, c'est la seconde qui nous est donnée.
Serait-il quelqu'un parmi nous dont le coeur la repoussât cette leçon, dont l'âme aigrie par le malheur fût disposée à murmurer plutôt qu'à demander grâce?

Insensé, lui dirais-je, à quel nouvel attentat vous portez-vous? Quel en sera le fruit? Est-ce en outrageant le Très-Haut que vous voulez désarmer son bras levé sur nous?...

Mais je parlerais inutilement à des hommes à qui le Tout-Puissant lui-même parle en vain par l'organe terrible de ses fléaux. S'il en est de tels au milieu de nous, qu'il sortent de ce temple; qu'ils craignent de nous ravir le fruit de notre dévotion; qu'ils nous laissent avec notre Dieu, nous sommes rassemblés pour le fléchir: qu'ils ne viennent pas rallumer son courroux et s'opposer à l'efficace de nos prières. Pour nous, mes chers Frères, humilions-nous; rentrons en nous-mêmes, et reconnaissons les fautes qui ont attiré sur nous les fléaux du Ciel.

Je sais que l'adversité ne doit pas toujours être envisagée comme un signe de la colère céleste; mais je sais aussi que
Dieu fait des vents ses Anges, des flammes de feu ses Ministres (Ps. CIV, 4.), et que les calamités nationales ont toujours été regardées comme des châtimens. Je sais que l'histoire entière d'Israël n'est qu'une suite d'exemples de cette vérité: je sais qu'il y a telle circonstance où le rapport de la cause avec l'effet, des fautes avec le malheur qui les a suivies, ne laisse pas lieu au doute pour l'homme raisonnable et religieux. Or, Chrétiens, ne sommes-nous pas précisément dans cette circonstance? Hélas! mes chers Frères, ne sommes-nous pas punis précisément par où nous avons péché? Ce que l'on peut nous reprocher surtout, le vice dont l'influence s'étend parmi nous de jour en jour, n'est-ce pas cette avidité pour les biens de la terre qui fait qu'on ne songe qu'à s'enrichir, cet esprit d'intérêt qui porte les hommes à l'injustice, à la fraude et en particulier à l'oubli de Dieu, de son culte, aux profanations et aux scandales?

Si cette réflexion ne suffit pas pour nous apprendre à considérer nos malheurs sous leur vrai point de vue, que notre propre histoire nous instruise. Repassons les années qui ont précédé: nous étions loin sans doute d'être exempts de reproche; mais le jour du Seigneur nous était encore sacré; mais jusqu'à un certain point nous étions demeurés fidèles par comparaison du moins avec les peuples d'alentour. O Dieu! j'ai fait cette comparaison; j'ai nourri cette pensée avec trop de complaisance dans mon coeur? Alors, mes chers Paroissiens, vous étiez
ma joie et ma couronne (1 Thess., II, 19.). Alors aussi Dieu semblait vouloir nous conduire par des cordages d'amour (Os., XI, 4.); au milieu de l'agitation générale, nous jouissions du calme: les années fertiles se succédaient: l'Ange du Seigneur semblait avoir tracé une ligne autour de nos campagnes: les fléaux du Ciel qui parcouraient les pays voisins n'osaient la franchir, n'osaient approcher de nos villages.

Nous entendions raconter de tragiques histoires; nous entendions parler d'incendies, d'orages, d'inondations, à peine en ressentions-nous quelque légère atteinte. Mais par degrés l'esprit de piété, le respect pour le jour du Seigneur s'est affaibli parmi nous; le relâchement a gagné de proche eu proche. Chaque Sabbat a vu de nombreux, de nouveaux profanateurs. L'époque de la récolte, cette époque de bienfaits et de reconnaissance est devenue pour nous le moment d'offenser le Ciel avec plus d'audace. L'automne dernière, ces mêmes vignes, objet maintenant de deuil et de douleur, ces vignes qui semblent frappées de malédiction, et dont la seule perspective attristera si long-temps la nature et réveillera le sentiment de nos douleurs, ces mêmes vignes, quel homme peut résister à la force de ce rapprochement? ont été pour plusieurs l'occasion de profaner le Dimanche dès les premières heures du jour.

Alors enfin, ô mon Dieu! ta patience s'est lassée; tu as laissé échapper de ta main la verge fatale; en un instant, par un seul acte de ta volonté se sont évanouis et les travaux et les espérances de l'année. Ainsi s'est accomplie de nos jours cette menace que tu avais faite jadis par un Prophète:
On criera dans toutes les rues: hélas! hélas! Le laboureur et ceux qui savent planter la vigne mèneront deuil: il y aura des lamentations dans tous les vignobles; car je passerai tout au travers, a dit l'Éternel (Amos V, 16, 17.).

O vous tous qui avez offensé le Tout-Puissant! rentrez maintenant en vous-mêmes: dépouillez, dépouillez enfinces voiles d'illusions et de vains prétextes dont les replis fermaient à la vérité l'accès dans votre conscience. Voyez quelle calamité terrible vous avez appelée sur votre tête et sur celle de vos frères innocens......

Mais que parlé-je d'innocens? Non; non, point de distinction pareille entre des hommes pécheurs. Si les uns ont été hardis dans leurs transgressions, les autres ont été tièdes dans leur zèle, chancelans dans leur fidélité. Humilions-nous tous; nous sommes tous coupables.

Que le Pasteur s'humilie parce qu'il ne s'est pas élevé contre les profanations avec assez de persévérance et d'énergie; parce qu'il a laissé peut-être la chair et le sang affaiblir sa voix, l'affection et la tendresse amollir ses avertissemens, qu'il s'est découragé, rebuté trop tôt du peu de succès de ses efforts.

Que les Anciens du troupeau s'humilient, parce qu'ils n'ont pas été assez vigilans peut-être, assez exacts à donner l'exemple, assez fortement prononcés contre les scandales.

Que les plus fidèles d'entre nous s'humilient, pour n'avoir pas été assez ardens, assez fermes, assez soigneux de se défendre du mauvais exemple, et de le compenser par le leur, assez attentifs à ne pas dévier de la ligne droite.

Humilions-nous tous: Que le Pasteur, que les Anciens, que les justes, que les pécheurs, que les chefs de famille, que les jeunes gens, que le troupeau tout entier s'humilie. Prosternés par la pensée aux pieds du tribunal de la justice éternelle, présentons pour nous-mêmes cette belle confession que le prophète Daniel fit au nom des Juifs captifs à Babylone:
O Seigneur! o toi qui es le Dieu fort, le grand, le terrible! nous avons commis l'iniquité; nous nous sommes révoltés contre tes ordonnances: à toi est la justice et ànous la confusion de face. Ni nous, ni les principaux d'entre nous, ni le Pasteur, ni le peuple, n'avons été attentifs à ta loi. Ce mal nous est arrivé pour nous ramener à toi: maintenant détourne ta colère et ton indignation de dessus nous. Voici, nous ne te présentons point nos supplications, appuyés sur notre propre justice, mais sur tes grandes compassions et pour l'amour du Seigneur. O Dieu, prête l'oreille; exauce, pardonne; fais luire ta face sur ton peuple et sur ton sanctuaire (Dan., IX.).

3.° Ce ne serait pas assez de s'humilier: ce n'est là qu'un premier pas pour revenir à Dieu; ce n'est là qu'un premier acte du repentir: c'est l'amendement qui en est l'essence. Leçon d'amendement, c'est la troisième qui nous est donnée.

Sans doute, pour que Dieu revienne à nous, il faut que nous revenions à lui; sans doute, pour cesser de lui déplaire, il faut renoncer à tout ce qui lui a déplu. Le plus grand crime à ses yeux, ce qui l'irrite davantage, c'est de résister à ses coups; c'est de s'endurcir quand il nous frappe. Voilà le trait que l'Écriture emploie pour mettre le sceau au caractère du plus méchant des Rois de Juda; lorsque Dieu l'affligeait, il continuait toujours de pécher;
Achaz était toujours Achaz (2 Chron., XXVIII, 22.).Voilà le crime que l'Éternel a menacé des plus sévères châtimens. Si vous ne m'écoutez pas, disait-il aux Juifs, lorsque je vous aurai châtiés, et si vous vous élevez contre moi, je marcherai contre vous en ma fureur, et je vous châtierai sept fois autant (Lévit. XXVI, 27, 28.).

Faisons donc cesser parmi nous les profanations et les scandales. Après un châtiment si terrible, tout profanateur doit être envisagé désormais comme l'ennemi de tous. Que le jour du Seigneur soit vraiment sanctifié dans nos campagnes; que, suivant l'esprit de son institution, il soit consacré au culte divin, à l'examen de nous-mêmes, à de pieuses lectures, à des oeuvres de charité. Que l'on n'entende plus parler au milieu de nous de ces traits de mauvaise foi, de fraude, d'injustice, qui sont en abomination à l'Éternel, qui provoquent sa vengeance, qu'il reprochait si énergiquement à l'ancien peuple, et dont il disait:
Laisserais-je impunies de telles choses? (Jérémie, V, 29.)
Que cette nouvelle épreuve de l'instabilité des biens de la terre nous apprenne enfin à ne plus les aimer avec passion. Que cette leçon frappante sur notre dépendance tourne enfin nos regards vers le Dispensateur Souverain. Sortons enfin des illusions de cet esprit d'intérêt qui nous cache notre intérêt véritable. Reconnaissons, sentons que notre grand, notre seul intérêt, c'est de plaire au Seigneur et d'attirer sur nous sa protection. A ces premiers traits de la réforme qui doit s'opérer en nous, ajoutons-en deux plus particuliers que les circonstances actuelles prescrivent impérieusement, l'économie et la charité.

Une économie sévère, une austère frugalité peuvent seules nous aider à réparer de telles brèches. Les excès de vin seraient un scandale impardonnable aujourd'hui: dans une telle année, le seuil des cabarets ne doit être passé que par le voyageur qui demande un asile. Que le cultivateur s'en éloigne avec effroi. Que chacun mette sa gloire à faire régner l'ordre dans sa maison, à retrancher de sa dépense toute superfluité. C'est le moment de réformer en particulier ce luxe dans les repas qui s'est introduit parmi nous. Les personnes à qui leur fortune permettrait encore de s'y livrer, ne pourraient le faire sans insulter à la misère publique. Que tous ceux qui ont quelque superflu écoutent leur propre coeur; il leur dira que ce superflu est plus que jamais un objet sacré, qu'il est la part du pauvre.

Oui, mes chers Frères, quel que soit pour nous l'effet de la calamité générale, cette calamité même nous prêche hautement la charité. Malheur à celui à qui le sentiment de ses propres pertes ferait oublier l'homme qui souffre plus que lui! Malheur à celui à qui il reste plus que l'absolu nécessaire, et qui ne songerait pas à celui qui manque de ce nécessaire absolu! Pensez a tant de personnes qui ne vivent que de leur travail, et qui voient le fruit de ce travail dévoré d'avance; à tant d'autres chargées d'engagemens qu'elles ne pourront remplir; à tant de pères de famille qui, pour nourrir de nombreux enfans, n'ont que des bras qui ne seront point employés. N'entendez-vous pas les gémissemens de la douleur, les cris de la détresse, retentir au fond de vos âmes. Ne nous contentons pas de dire, que deviendront les pauvres? et ne pensons pas avoir satisfait à la charité par un vain mouvement de compassion. Songeons à les soulager efficacement. Faisons pour cela tout ce qui est en notre pouvoir, et la providence fera le reste. Ne craignons pas même d'outrepasser nos facultés. Si souvent nous tentons le Ciel par des fautes ou des témérités qu'il punit, essayons cette noble manière de tenter la Providence. Elle a bien su frustrer nos espérances et déjouer nos calculs; il ne lui sera pas plus difficile, de réparer nos pertes, si elle le juge à propos. Voilà, l'argent que nous avions confié à la terre s'est perdu, prêtons à l'Éternel, qui ne perdra point notre dépôt.

Si telle est notre conduite sous tous ces rapports; si nous nous attachons sincèrement à la piété, à la justice; si nous sommes assidus au travail, économes, charitables, la bénédiction du Ciel, n'en doutez-pas, luira de nouveau sur nous. Cette époque, si douloureuse aux yeux de la chair, sera précieuse aux yeux de la Foi. Je dis plus; en régénérant cette paroisse, elle préparera pour nous et pour nos enfans des années plus heureuses. Alors, dit l'Écriture:
L'Éternel nous fera du bien, et notre terre rendra son fruit (Ps., LXVII, 6.).

Mais pouvons-nous concevoir de telles espérances? Une conversion générale sera-t-elle pour nous en effet le fruit de la calamité? Ah! mes chers Frères, j'aurais osé le penser à l'entrée de mon ministère, dans ces jours de la jeunesse où l'on espère tout. Mais lorsque les années ont produit en nous la triste connaissance des hommes et des choses, comment se flatter que l'adversité fasse sur le grand nombre une impression durable? Comment se flatter qu'elle opère un changement dans les moeurs publiques? Que se passera-t-il parmi nous, hélas?
Les plus justes s'humilieront: les autres seront plus retenus peut-être durant quelques semaines: peu-à-peu les âmes rentreront dans leur assiette ordinaire: l'habitude reprendra son empire; chacun retournera à son train de vie; peut-être même on s'éloignera de Dieu davantage: car, tel est l'effet du malheur, il aigrit s'il ne touche pas: peut-être se fera-t-on des circonstances un prétexte pour violer le Sabbat plus hardiment, pour offenser le Ciel avec plus d'audace; un prétexte pour s'endurcir, pour fermer son coeur à la compassion et sa main à l'indigent.

Et quelle en sera la suite? O Dieu! quel triste avenir se dévoile à mes regards! De mes lèvres qui voudraient bénir, sortent malgré moi de funestes présages. La bénédiction du Très-Haut qui semble abandonner insensiblement cette paroisse, se retirera pour toujours: la colère du Ciel pèsera sur nous: malheurs particuliers, calamités nationales, saisons infertiles enchaînées les unes aux autres, que de moyens qui lui serviront à punir notre endurcissement; on verra l'aisance et le bien-être s'enfuir du milieu de nous, et bientôt il ne restera plus de trace de cette ancienne prospérité dont l'idée semblait unie au seul nom, du Mandement.
Alors, mes chers Frères, mais trop tard, vous vous rappellerez ce discours: mes paroles qui dans ce moment ne font sur vous qu'une faible impression, mes paroles vous sembleront prophétiques. Quelqu'un de vous peut-être les répétera tristement à ses enfans, lorsque je ne serai plus, lorsque je me reposerai à coté de vos pères qui m'attendent près de ces murs; heureux d'avoir été retiré du monde avant de voir la misère et la détresse s'avancer sur ceux que j'ai tant aimés, avant de les voir rejetés du Seigneur.

Mais, Grand Dieu! sera-ce donc là notre sort? Je ne puis soutenir la perspective que je viens de tracer. O Dieu! qu'il n'en soit pas ainsi! Écoute notre ardente supplication, pour l'amour de ton Christ, dont le nom adorable est réclamé sur cette Église. Que nous ne soyons point tels que ces hommes dont il est dit que,
frappés de tes plaies, ils blasphémaient ton nom, et mordaient leur langue dans la violence de leur douleur; mais qu'ils ne se repentirent point? (Apoc., XVI, 10, 11.) Que, par notre pénitence et notre résignation à ta volonté, nous prévenions de nouveaux coups de la justice!

Mes chers Frères, il est encore temps de fléchir le courroux céleste; il est encore en notre pouvoir de ramener la prospérité publique. Vous êtes émus, je le vois; votre coeur s'ouvre au repentir; venez promettre au Seigneur soumission, obéissance, fidélité: levez- vous; prions-le tous ensemble d'avoir pitié de nous.

Dieu puissant et bon! Dieu Sauveur!jette un regard sur nous; jette un regard sur tes enfans humiliés. Tu te sers des châtimens pour rappeler à toi les coeurs égarés. Voila, nous entendons ta voix; nous sommes disposés à revenir à toi:
puisque ce mal nous est arrivé à cause de nos mauvaises oeuvres, nous ne voulons plus retourner à enfreindre tes ordonnances (Esdr., IX, 13, 14.).
Éternel, notre Dieu! fixe ces heureux mouvemens dans nos âmes! Daigne y verser aussi la consolation et l'espérance! Que nous sortions de ce temple plus religieux et plus fidèles! Que le sentiment de nos douleurs soit allégé par celui de ta paix et de ton amour, par celui de notre réconciliation avec toi en Jésus- Christ! Amen.


(1) Le 17 Mai 1802 une gelée détruisit tout le jet des vignes qui promettaient une récolte abondante; perte très-douloureuse dans un pays de vignoble déjà bien malheureux.
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