Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DISCOURS VIII.

Le luxe; fléau des campagnes.


Ceux qui portent des habits magnifiques et qui vivent dans les délices, sont dans les palais des Rois. Luc VII, 25.


Ces paroles supposent évidemment que le luxe et les plaisirs sont l'apanage de ceux qui vivent près des Rois, dans les grandes cités, et sans doute ils paraissent leur convenir mieux qu'à d'autres. Ils leur sont pourtant nuisibles à eux-mêmes, parce qu'on ne vit guère dans les délices sans que le coeur et l'esprit ne s'appauvrissent, sans qu'on ne s'éloigne de Dieu. Mais combien ce genre de vie est plus funeste au cultivateur dont il contrarie absolument la destination, au cultivateur dont les revenus sont si bornés, dont les dépenses par conséquent doivent l'être aussi, qui gagnant peu doit vivre de peu, qui placé près de la nature doit ne connaître que les besoins et les plaisirs qu'elle donne! Pour lui le luxe est le plus grand ennemi du bonheur. Heureux quand il conserve l'esprit de son état, le goût de la retraite et de la simplicité des moeurs, il devient, quand il s'en éloigne, le plus misérable des êtres.

C'est ce que je veux vous montrer aujourd'hui. Dieu veuille mettre la persuasion sur mes lèvres et la docilité dans vos coeurs! Amen.

Que l'habitant des campagnes serait fortuné, qu'il serait intéressant s'il savait remplir sa destination et se contenter des jouissances que le Créateur a préparées pour lui dans un sommeil tranquille, une santé robuste, une nourriture simple et frugale, dans les tableaux variés et touchans de la nature, dans le calme des passions, et la douce exemption des inquiétudes et des soucis!
Que j'aime à me représenter une réunion de tels hommes! Leurs âmes sont en rapport avec les objets qui les environnent. Entrez dans leurs demeures; l'ordre et la propreté les décorent: au premier regard vous pensez y trouver la droiture, la candeur, l'hospitalité; vous n'êtes point trompés dans votre attente. Durant la semaine ils se livrent à d'utiles travaux, et ne sont point tentés de les quitter avant la fin de la journée pour aller en des lieux funestes à leur fortune, à leur santé, satisfaire de honteuses passions. Ils ne désirent pas un autre délassement que celui qu'ils trouveront le soir au sein de leur famille, autour de leurs foyers.

Après avoir travaillé six jours sans interruption, quelle douceur ensuite ils goûtent à se reposer le septième dans le sein de leur Dieu! C'est pour eux que cette grande et belle institution du sabbat est vraiment bienfaisante; leur corps en a besoin, leur âme aussi bien que leur corps en ressent la salutaire influence. Ils viennent humilier dans le sanctuaire ce front qui porte l'honorable empreinte du travail et de la chaleur. Le reste de la journée se passe en famille et se partage en récréations innocentes, en devoirs religieux. On lit ensemble la parole de Dieu. On se promène ensemble dans les champs qu'on a cultivés. On admire ensemble le spectacle de la nature.

Je me plais à considérer le chef de chaque famille régnant dans sa demeure comme un patriarche respecté; car, n'en doutez pas, mes Frères, l'obéissance des enfans tient essentiellement à cette éducation mâle qui se perd avec la simplicité des moeurs. Assis à sa table au milieu des siens, il savoure avec eux des alimens grossiers que l'appétit assaisonne. Il ne connaît point pour ses en- fans les inquiétudes de l'avenir; il ne dit pas, comment pourvoirai-je à leur établissement? Que deviendront-ils quandje ne serai plus? L'éducation qu'il leur a donnée prévient toutes ces sollicitudes. Ses fils intègres et laborieux ne manqueront jamais du nécessaire: leur richesse est dans leurs bras nerveux et dans l'habitude d'être contens de peu de chose. Modestes et soigneuses, ses filles n'ont pas besoin de porter de l'or dans les familles où elles entreront: leur goût pour la retraite, leur simplicité, leur économie, leur activité font une assez riche dot.

Le temps s'écoule pour cette heureuse famille dans un cercle de travaux et d'innocentes récréations: régulière et variée comme la nature, leur vie dans chaque saison se compose de travaux et de plaisirs différens. Ils gagnent peu, mais ils dépensent moins encore, parce qu'ils ne connaissent point les besoins de la mollesse et de la sensualité. A la fin de chaque année ils savent mettre en réserve une petite somme pour payer les impôts, pour voir aux cas fâcheux, aux accidens, aux maladies, et soulager leurs voisins indigens.

Ce sont de tels hommes, mes Frères, qui peuvent se voir renaître avec plaisir dans des enfans nombreux: au bout de peu d'années ce nombre n'est plus un fardeau, mais une richesse. Ce sont de tels hommes qu'enrichissent les saisons fertiles, parce qu'ils n'en consument pas les produits en dépenses vaines. Ce sont de tels hommes qui peuvent supporter les mauvaises récoltes sans abattement: la bénédiction du Seigneur repose sur eux; ils goûtent le bonheur que donnent les espérances de la piété, la tranquillité du coeur, la pureté de la vie, le sentiment de remplir la tâche que le Seigneur nous impose et d'occuper dignement la place où il nous a mis. ici-bas.

Supposons, au contraire, que séduit par le fol espoir d'ajouter à ses jouissances, l'habitant des campagnes se laisse aller à la tentation d'imiter les moeurs des villes, que deviendra-t-il? Hélas! les années les plus fertiles ne l'enrichiront point; elles ne feront qu'alimenter chez lui l'esprit du luxe et donner l'essor à ses goûts dangereux. Les revers au contraire seront terribles, accablans; ils le trouveront sans ressource. Une éducation plus molle énerve sa constitution; des maladies inconnues ne tardent pas à se développer, à se répandre; ce ne sont plus des crises violentes mais de courte durée, dont un fort tempérament triomphait presque toujours; ce sont des maux qui tiennent à un secret principe de dépérissement, à des nerfs affaiblis par le changement d'habitude, à l'intempérie des saisons contre laquelle il n'est plus endurci: il ne sent plus en lui cette mâle vigueur qui le rendait capable de tout supporter. Cependant ses besoins s'augmentent et se multiplient, tandis que ses moyens sont toujours les mêmes ou toujours plus réduits: l'équilibre est rompu, l'harmonie détruite entre les revenus et la dépense; pour y remédier, il consume sa vie et s'accable de travaux.

La première conséquence d'une telle situation c'est le dégoût de son état dont la simplicité des moeurs fait toute seule le charme. Il s'irrite qu'on le juge heureux quand il se trouve à plaindre: il se compare avec les hommes qui suivent une autre vocation et leur porte envie. Bientôt l'esprit d'intérêt prend possession de son âme; l'or lui semble le premier des biens; ses projets, ses pensées ont pour unique but d'en acquérir; il se laisse séduire par des entreprises téméraires: il leur suffit de présenter une chance de gain pour enflammer son imagination; quelquefois même il abandonne ses occupations accoutumées, laisse à d'autres mains le soin de conduire sa charrue pour se livrer à des spéculations criminelles ou funestes, pour entrer dans ces routes de la fortune semées de précipices, égalementpérilleuses pour le repos et pour la probité.
Alors disparaissent par degrés la loyauté, la candeur, la droiture, l'humilité, toutes ces vertus antiques et naïves qui faisaient son caractère et lui méritaient le respect et l'affection: il leur substitue l'orgueil qui cherche la louange et s'applaudit lui-même: il leur substitue une coupable finesse dans tout ce qui tient à l'intérêt. Toutes les fois qu'il traite avec ses frères, il s'étudie à les surprendre; dès lors chaque circonstance qui vous met dans le cas d'approfondir ses procédés vous révèle quelque secret honteux, et plus il devient digne de blâme, moins il peut le supporter.

A mesure que le coeur se corrompt, le jugement s'obscurcit: mille fausses maximes, mille sophismes abominables viennent soutenir, autoriser la mauvaise foi. L'art de tromper n'est plus qu'habileté; l'art de s'enrichir aux dépens de ses semblables, une adresse légitime: la conscience s'endort d'autant plus aisément que l'esprit de la Religion s'éteint, que sa voix affaiblie ne rappelle plus l'homme à lui-même.
Six jours ne suffisent plus pour travailler; on dispute, on refuse au Créateur celui qu'il s'est réservé; il est souvent profané par des scandales odieux, presque toujours absorbé par des travaux domestiques qui retiennent loin du sanctuaire. La vanité même fournit des excuses pour n'y point venir: quelques-uns s'en dispensent sous prétexte qu'ils ne sont pas assez bien vêtus pour s'y présenter, comme si l'on se rendait dans ces temples, non pour offrir son hommage au Père des hommes, au Maître de l'univers, pour s'humilier tous ensemble à ses pieds, mais pour disputer la parure et se donner en spectacle les uns aux autres.

L'éducation religieuse des enfans se ressent bientôt de cette même fatale influence: rien ne la prépare plus; on l'abrège autant qu'il est possible; le moindre embarras suffit pour l'interrompre: cette affaire, la première de toutes, est subordonnée à toutes celles de la vie; on n'envoie plus dans les écoles et dans les temples ces malheureux enfans de la charité qui ne sont confiés que sous cette condition expresse; le désir sordide d'en tirer le plus grand parti l'emportera sur un engagement que l'honneur, l'humanité, la Religion devait rendre si sacré. Le Seigneur n'est plus invoqué dans l'intérieur des maisons; on ne lit plus ensemble sa parole; son idée même ne se réveille plus que rarement dans les âmes tout occupées des soins de la terre, toutes possédées par le désir de ses biens périssables. Alors aussi le Tout-Puissant courroucé détourne ses regards et retire sa bénédiction d'une contrée où son nom n'est plus craint, n'est plus imploré par la généralité des habitans.

A Dieu ne plaise, mes chers Frères, que ce tableau nous convienne jamais dans tous ses traits! A Dieu ne plaise que ce soit jamais là notre histoire! Il est encore parmi nous plusieurs familles respectables chez qui la simplicité des moeurs nourrit la probité et la Religion. Heureuses familles, formées sur le modèle et les préceptes de Jésus, où l'on voit les enfans conserver la modestie, la frugalité de leurs pères et ne devenir plus riches que pour faire des aumônes plus abondantes! Ceux même qui se sont laissés séduire par l'esprit du luxe, n'ont pas encore atteint le dernier période de corruption qu'il entraîne.

Néanmoins un oeil attentif, que dis- je? l'oeil le moins attentif n'aperçoit-il pas dans notre situation des symptômes alarmans? N'est-ce pas une vérité reconnue et tous les jours répétée, que l'éducation se relâche de plus en plus, que les moeurs s'amollissent, que l'on ne vit plus comme l'on vivait, que l'on n'est plus ce que l'on était jadis?
Hélas! ces campagnes long-temps favorisées du Ciel ne conservent plus que le renom de leur ancienne prospérité. Je vois les plus sages, les plus âgés d'entre vous, ceux qui connurent la génération précédente, je les vois gémir sur le présent, je les entends regretter les anciens jours; je les entends dire:
«On était heureux «alors; on n'avait pas besoin de travailler le dimanche; on n'avait point d'inquiétude; avec une nourriture plus simple et sous des habits plus grossiers le coeur était plus content.»

En écoutant ces discours, quelles pensez-vous que soient les sensations de votre Pasteur, qui depuis si long-temps s'est accoutumé à faire de votre bonheur présent, de votre bonheur à venir, l'objet de toutes ses pensées, qui s'est tellement identifié avec vous, qui a tellement uni son sort au vôtre, qu'il ne peut plus être heureux que de votre bonheur et malheureux que de vos peines? Ces signes effrayans de dégradation, de décadence ne sont-ils pas autant de traits douloureux qui percent mon coeur? Et que ne dois-je pas éprouver encore, lorsque recevant la triste confidence de la détresse secrète des familles, voyant l'indigence et la faim menacer un grand nombre d'entre nous, frapper à la porte de plusieurs demeures où elles n'étaient jamais entrées, j'oppose à ce tableau déchirant des usages de luxe qui ne sont pas encore détruits?

Mais, diront peut-être quelques personnes, vous nous demandez l'impossible: Comment rompre toutes ses habitudes pour revenir à des moeurs qui ne sont plus de notre temps?

Ah! mes chers Frères, ce n'est pas moi qui le demande: c'est l'impérieuse nécessité; c'est votre intérêt le plus pressant. Et s'il en était autrement, qui plus que moi serait disposé à regarder avec indulgence vos amusemens et tout ce que vous croyez propre à vous rendre heureux?

Mais non, je ne vais pas même jusque-là; je ne demande point ce que je n'ai pas l'espoir d'obtenir. Je sais trop quel est le fatal pouvoir de l'habitude; je sais trop qu'après un long terme elle devient une seconde nature, et que d'ordinaire on porte sa chaîne toute la vie, quand une fois on s'en est lié. C'est sans doute une considération terrible qui devrait faire frémir de prendre des habitudes qu'on n'est pas assuré de pouvoir garder toujours impunément.&emdash; Mais enfin, je n'en demande point le sacrifice si vous pouvez encore y pourvoir sans vous perdre: je demande moins sans doute que ne se prescriront à eux- mêmes les plus sages et les plus vertueux d'entre vous: je me réduis à demander ce qui est rigoureusement nécessaire, indispensable.

1.° Et d'abord, mes Frères, c'est le retranchement ou la diminution de toutes ces dépenses extraordinaires et d'éclat qui sont d'usage parmi nous en certaines occasions.
Ces usages, vous le savez, ont pris naissance dans des temps où ils étaient l'unique récréation qu'on se permit. Nos Pères se plaisaient à célébrer les époques intéressantes de la vie; mais économes, laborieux et retirés dans le cours ordinaire des choses, ils pouvaient sans effort fournir à ces dépenses auxquelles souriait la sagesse elle-même. Dans une situation bien différente, nous avons conservé leurs fêtes et nous y joignons mille autres occasions de plaisir et de dépense. Ainsi d'anciens usages, innocens et doux en d'autres circonstances, sont changés en abus dont tout le monde se plaint, et dont personne n'ose secouer le fardeau.

Je sais que cette faiblesse qui fait redouter à l'excès d'être accusé de parcimonie ou de blesser quelque membre du cercle où l'on vit, se rencontre souvent chez les caractères les plus doux et les plus généreux; mais en comparaison des intérêts de là société, de l'humanité, de la Religion, que sont ces considérations timides? Je dis plus; toutes frivoles que fussent ces craintes, elles n'ont plus de fondement. Eh! je le demande, quel homme sensible peut rapprocher dans sa pensée ces fêtes, ces rassemblemens nombreux, cet étalage de prodigalité, du dénument, de la détresse où se trouvent tant de malheureux, sans que son coeur se serre ou se soulève?
En de telles occasions, celui qui saura s'en tenir à l'indispensable et donner l'exemple de la simplicité, ne verra pas une joie moins pure animer la fête, et il aura pour lui l'assentiment de toutes les consciences, l'approbation de toutes les personnes raisonnables et vertueuses. Ce que je vous demande:

2.° mes chers Frères, c'est de ne vous permettre aucune jouissance de luxe; et j'entends par-là tout ce qui n'est pas d'absolue nécessité, sans faire une anticipation sur l'avenir, c'est-à-dire, sans vous demander à vous-mêmes: Dans un an, dans un mois, dans une semaine, que penserai-je de cette dépense? M'en applaudirai-je alors? cet argent que je vais sacrifier, ne serai-je pas bien plus content de l'avoir réservé pour les besoins de ma famille, pour soulager des parens, des voisins malheureux? Mon but est de me procurer le plaisir; ne puis-je pas m'en procurer un plus doux en faisant tressaillir le coeur de la veuve et de l'orphelin?

Ah! mes Frères, si tant d'hommes que n'arrête point le malheur des temps, et qui semblent poursuivre les amusemens avec plus de fureur que jamais, s'interrogeaient ainsi; s'ils se disaient à eux-mêmes:
«Que fais-tu, malheureux? Tu vas consumer ce qui suffirait pour nourrir ta famille plusieurs jours; et si ce n'est pas son nécessaire dont tu disposes, c'est celui du pauvre; c'est ce que ton Sauveur te demande pour les infortunés comme pour lui-même. Arrête: crains de faire un sacrilège. Va chercher ailleurs des plaisirs plus purs, plus touchant. Va porter à quelqu'un de tes frères la consolation, la santé, la vie. Va ranimer les membres souffrans du corps de Jésus-Christ»
Sans doute, mes chers Frères, de telles pensées ne leur permettraient pas d'aller plus avant: ils reculeraient en frémissant, effrayés de s'être vus près de succomber à la tentation.

La pensée des pauvres, la pensée des malheureux, voilà pour un bon coeur, pour un disciple de Jésus, l'arme la plus forte, la plus sûre contre les séductions du luxe. Le Chrétien parfait ne serait pas même ébranlé par ces séductions: son unique désir est de retrancher toujours plus sur lui-même pour pouvoir donner davantage, mais nous, mes Frères, nous qui sommes faibles et imparfaits, fixons du moins une part à la bienfaisance en même temps qu'à la mollesse ayons pour principe invariable de ne jamais nous permettre une superfluité sans mettre en réserve au même instant une somme d'égale valeur pour faire une oeuvre de charité. Cette règle si simple et si juste, fidèlement observée, aurait une extrême influence sur notre conduite: peut-être suffirait-elle pour nous corriger insensiblement.

3. Ce que je vous demande enfin, mes Frères, au nom de vos intérêts les plus chers, c'est de former vos enfans à la simplicité des moeurs. Vous les aimez ces enfans: leur bonheur est l'objet de vos voeux les plus ardens. Si quelqu'un vous indiquait le secret assuré de les mettre à l'abri des revers et de l'indigence, vous l'écouteriez avec reconnaissance, avec transport. Eh bien, mes Frères, nous qui ressentons aussi pour ces jeunes gens des mouvemens paternels, nous venons vous enseigner ce secret; nous venons vous l'enseigner au nom de la Religion. Ce secret, c'est la simplicité des moeurs.

Elle ne leur donnera pas, je l'avoue, le moyen de satisfaire aux besoins de la mollesse et de la vanité: mais formés à son école, ils ne les connaîtront point, ce qui revient au même. S'ils savent vivre de peu, ne seront-ils pas plus riches que ceux qui possédant davantage, dépensent plus encore? Apprenez-leur donc à la chérir cette précieuse simplicité. Formez leur corps et leur âme de manière qu'ils ne soient jamais tentés de s'en écarter. Qu'une éducation mâle, que l'habitude du travail et de la fatigue leur fasse un tempérament robuste. Donnez-leur le goût de l'ordre qui prolonge la durée de tout ce qu'on possède, le goût de l'économie et de la frugalité qui pourvoient à peu de frais aux nécessités de la nature. N'imitez-pas ces parens inconsidérés qui par une fausse tendresse, faisant part à leurs enfans de toutes leurs jouissances, les lient de bonne heure des chaînes qu'eux-mêmes portent, leur donnent des besoins, des habitudes qui seront pour eux un piège, qu'ils conserveront peut-être aux dépens de l'honneur et de la probité.

Mais c'est surtout l'âme des jeunes gens qu'il faut préparer de bonne heure pour la rendre inaccessible aux tentations du luxe. Hélas! combien d'enfans malheureux dont le coeur et l'esprit sont infectés d'opinions dangereuses par ceux même qui devaient les en préserver! Ils n'entendent jamais leurs parens s'entretenir des jouissances du luxe sans un accent d'envie, et de celui qui les goûte, sans dire des yeux ou des lèvres: II est bien heureux. Ainsi, dès l'enfance ils sucent le poison; ils sont imbus de cette erreur fatale que l'or est le premier des biens. Les plaisirs qu'il procure excitent déjà leurs désirs; rien un jour ne les arrêtera pour en acquérir.

Vous, au contraire, efforcez-vous de former le jugement et le sens moral de vos enfans. Faites-leur distinguer soigneusement le contentement de la richesse; l'honneur, de l'éclat. Attachez- vous a leur donner un juste sentiment du véritable bonheur et de la véritable gloire. Voilà l'infaillible moyen pour que les jouissances du luxe n'aient plus de prix à leurs yeux. Faites-leur observer comment les sensations les plus douces viennent, non de la superfluité, de la recherche, mais des besoins satisfaits.
Opposez l'appétit avec lequel ils prennent un repas frugal qu'a précédé l'exercice, à la satiété qu'ils éprouvent quelquefois dans ces fêtes où le nombre des mets produit souvent le dégoût. Qu'ils comparent ce repos délicieux qui suit la fatigue, ce sommeil plein de charme qui termine une soirée laborieuse, au vide, à l'ennui d'une journée passée dans l'oisiveté. Qu'ils reconnaissent, qu'ils sentent le sens profond de ces paroles de l'Écriture:
Pourvu que nous ayons de quoi nous nourrir et nous vêtir, cela doit nous suffire (I Timot. VI, 8).

Dites-leur surtout, que
c'est du coeur que procèdent les sources de la vie (Prov. IV, 23). Pour leur donner le sentiment de cette vérité, appelez en témoignage leur propre expérience: demandez-leur quand ils éprouvent la joie la plus vive et la plus pure: est-ce au milieu du tumulte, du bruit et des fêtes? n'est-ce pas plutôt lorsqu'ils reçoivent les bénédictions du pauvre assisté par leurs jeunes mains, lorsqu'ils obtiennent l'approbation de leurs parens dont ils ont réjoui le coeur, en s'acquittant des devoirs de leur âge?

Apprenez-leur à ne rougir que de ce qui dégrade l'homme réellement, du vice, de la mauvaise conduite, jamais de la simplicité des moeurs ou de l'obscurité de la vie.
Dites à vos fils, que dans la plus humble demeure, sous le vêtement le plus grossier, le cultivateur intègre a droit aux égards de l'homme qui pense, et qu'il les obtient plus sûrement que celui qui cherche à s'élever aux dépensde la probité.
Dites-leur, que ce qui fait la gloire et la dignité de l'homme, c'est la droiture, la charité, la piété, et non pas un vain éclat. Rappelez-leur ces paroles de Jésus à ses disciples:
Qu'êtes-vous allés voir au désert? Un homme vêtu d'habits magnifiques? Non, Jean- Baptiste était vêtu de poils de chameau et se nourrissait de miel sauvage; néanmoins, ajoute le Sauveur, je vous dis que parmi les fils des hommes, il n'y en a point eu de plus grand que lui (Luc VII, 24, 25, 27).

Que vos filles soient élevées d'après les maximes de ce grand Apôtre qui apprend si bien à leur sexe en quoi consiste sa véritable parure. Loin de leur proposer des ajustemens pour récompense de leurs progrès ou de leur docilité, faites-leur comprendre combien ce genre de mérite est frivole et ridicule. Dites-leur, redites-leur sans cesse, que ce n'est pas à l'apparence, mais au coeur, que Dieu regarde, que les enfans les plus agréables à ses yeux sont les enfans parés d'innocence et de modestie; que le monde lui-même applaudit à la vertu, au lieu qu'il nous dispute toujours les avantages extérieurs.

Répétez-leur souvent ces belles paroles dictées par l'Éternelle Sagesse:
La grâce trompe; la beauté s'évanouit, mais la femme qui craint le Seigneur sera louée (Prov. XXXI, 30). Qu'elles soient pénétrées de cette vérité, que la gloire de la jeune fille, ce qui la fait désirer dans les familles et rechercher par un époux estimable, ce n'est pas de beaux habits, de vaines prétentions qui feraient redouter en elle une compagne dissipée, mais le goût de la retraite, l'économie, l'activité, l'amour de ses devoirs, en un mot, les vertus qui promettent une digne épouse, une bonne mère. Que l'ingénuité soit sur leur front; que la pudeur colore leur teint; que la sensibilité timide et le respect filial animent leur physionomie; et je me plais à reconnaître que ce portrait convient à plusieurs de nos jeunes personnes. Que l'ordre, la propreté, la décence fassent leur parure: elles n'auront pas besoin de vains ornemens pour intéresser et pour plaire. Veillez sur ce dépôt précieux. A moins d'une nécessité pressante, gardez-vous de les éloigner de votre maison avant que leur caractère soit formé. Qu'elles croissent à l'ombre du toit paternel, comme la fleur des champs s'épanouit sous le chêne loin du souffle des vents.

Attachez-vous encore à prolonger l'empire de l'autorité paternelle. N'avancez point en imprudens le terme où vos enfans seront reçus au nombre des membres de l'Église. Croyez-en votre Pasteur lorsqu'il cherche à reculer cette époque: il agit alors en ami plus attentif que vous-mêmes à vos vrais intérêts. La raison est un fruit qui mûrit tard. Combien de jeunes gens se figurent être des hommes lorsqu'ils sont encore des enfans! Tandis qu'ils auraient encore un besoin absolu des sages directions d'un père, indépendans, impatiens du frein dans sa propre maison, ils se livrent bientôt, sans que rien les arrête, au goût du plaisir et de la dissipation. Conservez donc avec soin dans vos demeures ce respect de l'âge et de l'autorité paternelle, cette hiérarchie patriarcale, seul garant de l'honnêteté comme de la simplicité des moeurs.

J'ose le penser, mes Frères, des enfans formés sur de tels principes ne seront pas aisément séduits par la mollesse et la vanité: ils feront votre consolation, votre gloire; ils porteront dans votre, âme la paix et la sécurité: le moins opulent d'entre vous pourra dire en quittant ce monde: je laisse à ma famille un riche héritage, la probité, l'amour du travail et la simplicité. De tels enfans ne seront pas un legs moins précieux pour nos campagnes: ils arrêteront les progrès du mal; ils nous retiendront sur le penchant de l'abîme. Que dis-je? ils feront revivre les antiques moeurs: ils ramèneront les beaux jours de l'Église; ils rappelleront sur nous la bénédiction du Ciel.

Voilà, mes chers Frères, les conseils que la Religion vous adresse; voilà les ordres qu'elle vous donne. Plus que jamais ils sont de saison: c'est le moment plus que jamais de renoncer à l'amour du plaisir, aux dépenses vaines, aux habitudes coûteuses. Nos malheurs, nos espérances, les châtiment et les bienfaits du Seigneur, le passé, le présent, l'avenir, tout nous en fait la loi. Les maux que nous avons soufferts ont laissé des traces profondes j l'épuisement où ils nous ont jeté ne peut cesser en quelques jours; il faut, pour retrouver notre ancienne prospérité, déployer tout ce que peuvent la sobriété, le travail, une sévère économie: il faut entrer ainsi dans les vues de ce Sauveur adorable, qui, né pauvre et vivant de peu, voulut nous apprendre à mépriser le luxe et les vanités: il faut entrer dans les vues de ce Dieu qui nous rappelle avec tant de force à la sagesse: il faut nous rapprocher de lui. Alors nous aurons la douceur de penser que nos peines ne seront point perdues, et que la Providence bénira vos efforts. Alors, Seigneur.

Par ta faveur nous verrons de nos yeux
Ta gloire encore habiter en ces lieux.
Ainsi soit-il.

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