Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DISCOURS VII.

L 'ivrognerie.


Malheur à ceux qui sont puissans à boire le vin. Ésaïe V, 22.


VOILA l'anathème que prononce la sagesse éternelle contre les infortunes qui se livrent à cette passion funeste. Il semble que pour les détourner de la voie malheureuse qu'ils suivent, ce serait assez d'y faire briller le flambeau de la vérité, de leur montrer que cette voie conduit à la mort (Prov.XIV, 12). Il semble qu'à cette vue ils devraient reculer épouvantés, semblables à l'homme qui découvre tout-à-coup l'abîme sur les bords duquel il posait le pied. Mais, hélas! telle est la déplorable adresse des passions, que lors même qu'elles nedétruisent pas l'autorité de la loi, elles nous en font éluder l'application, elles empêchent le transgresseur de se reconnaître pour tel; du moins elles lui fournissent des couleurs pour adoucir, pour pallier ses égaremens.

Les vices les plus grossiers, les plus honteux ont leurs illusions et leurs prétextes: l'ivrognerie qui fait tant de ravages dans la société, l'ivrognerie, dont la seule idée inspire naturellement la répugnance et le dégoût, trouve des apologistes: elle semble à ceux qu'elle perd, un penchant naturel, innocent, tout au plus un penchant malheureux qui les rend plus dignes de pitié que de blâme. Voilai comment, se séduisant eux- mêmes, ils se plongent toujours plus avant dans le bourbier de l'intempérance et pèchent avec sécurité! Il faut donc attaquer et détruire ces folles excuses dont ils se font un retranchement; il faut leur en faire sentir la vanité, le néant; il faut leur prouver que rien ne les dispense de combattre et de surmonter l'habitude fatale qui les domine.
Tel est le but de ce discours. Ce n'est point le désir de les confondre qui nous anime; c'est celui de les sauver; c'est le désir ardent de les rappeler à eux-mêmes, de contribuer à leur félicité présente, à leur bonheur à venir.
Veuille l'Esprit Saint ouvrir les coeurs de ceux auxquels je m'adresse et joindre à mes paroles l'onction divine de sa grâce!

Je ne m'arrêterai point, mes Frères, à tous les prétextes dont se sert le débauché pour s'abuser sur le crime et sur le danger de son état. Il en est plusieurs qui ne méritent pas d'être réfutés, et dont lui- même sentirait le faible s'il daignait y réfléchir.&emdash; II boit pour passer le temps, dit-il quelquefois; mais ce temps dont il parle comme d'une chose importune, comme d'un fardeau qu'il veut secouer, ne sait-il pas qu'il est pour l'homme, pour le cultivateur en particulier, un des biens les plus précieux, un bien dont rien ne répare la perte? Ne sait-il pas que toutes ses parties peuvent et doivent être marquées par d'utiles occupations?

Lorsqu'il prétend que c'est pour se distraire de chagrins domestiques ou d'autres malheurs, il sait bien que c'est dans la résignation aux décrets de la Providence qu'un Être intelligent et sensible doit trouver le soulagement, et que chercher dans le vin l'oubli de ses peines, ne sied qu'au scélérat qui n'a que l'affreuse ressource de l'abrutissement et du désespoir.
Lorsqu'il assure que s'il passe les bornes de la tempérance, c'est à l'occasion de certains marchés qui se traitent mieux ainsi, il sent bien encore que par ce langage il se présente comme un téméraire, qui joue les intérêts, la subsistance de sa femme et de ses enfans, dans un temps où il n'est pas à lui-même; ou comme un perfide, un déloyal qui cherche à troubler la raison de son frère, afin d'en profiter pour le surprendre et l'opprimer.
Lorsqu'il ajoute enfin qu'il ne veut pas, en se distinguant des autres, se faire accuser par eux d'austérité, il n'ignore pas combien il serait insensé d'offenser le Seigneur par une fausse honte, et de se perdre pour plaire à ceux qui sont déjà perdus.Toutes ces excuses et d'autres semblables que j'ai ouï répéter plus d'une fois, ne trompent pas même entièrement celui qui les met en usage; elles sont démenties par sa conscience, tandis que sa bouche les prononce. Il en est de plus spécieuses et mieux faites pour nous occuper.

I. L'ivrogne ne fait tort qu'à lui-même. C'est une maxime reçue par beaucoup de gens; car remarquez-le, ce n'est pas seulement le coupable qui parle ainsi; c'est presque le public; il semble qu'on envisage le débauché comme un objet de compassion plutôt que de mépris.

Mais d'abord, mes chers Frères, rien n'est plus affligeant, plus suspect que cette indulgence, disons mieux, cette indifférence pour un dérèglement si fatal. Hélas! rien ne fait mieux voir combien nos opinions se règlent peu sur la loi de Jésus, combien elles sont corrompues par l'esprit du monde et les passions terrestres; car enfin pourquoi n'excusons-nous pas aussi bien les autres vices?
Pourquoi l'ambitieux, l'orgueilleux, l'avare, l'homme intéressé, ou ceux mêmes qui ne sont que soupçonnés de ces criminels péchés, deviennent-ils aussitôt pour nous un objet d'aversion?
Pourquoi nous inspirent-ils de la défiance et de la haine, tandis que nous sommes disposés à plaindre les victimes de l'intempérance?
Pourquoi tant de douceur pour les uns, tant de rigueur pour les autres?

Ah! c'est que peu sensibles aux grands intérêts de la vertu, de la gloire du Très-Haut, peu nous importe que ses lois soient transgressées: c'est que nous sommes blessés seulement de ce qui nous nuit et nous contrarie. L'avare peut nous refuser des secours; l'homme intéressé peut avancer sa fortune aux dépens de la nôtre; l'ambitieux s'élever au-dessus de nous l'orgueilleux nous humilier en quelque rencontre: voilà pourquoi nous ne saurions leur pardonner: le débauché nous paraît d'abord n'offenser que Dieu, voilà pourquoi nous l'excusons si facilement: voilà pourquoi nous disons, il ne fait tort qu'à lui-même.

Mais quand il serait vrai qu'il ne fait tort qu'à lui-même; quand par sa conduite la gloire du Seigneur ne serait point offensée, l'homme verra-t-il avec indifférence un de ses semblables se faire tort, un si grand tort à lui - même? L'homme verra-t-il avec indifférence un de ses semblables dégrader cette âme immortelle rachetée au prix du sang de Jésus, avilir la dignité de sa nature que la Parole Éternelle a daigné revêtir, remplacer l'expression de douceur et d'intelligence empreinte sur son front par telle de l'égarement, de la stupidité, et substituer l'image de la brute à celle du Créateur?
L'infortuné, du moins, pour qui s'opère cette dégradation, n'y sera- t-il point sensible? Est-il assez nul à ses propres yeux, se méprise-t-il assez lui-même pour croire, en se nuisant jusques-là, ne faire aucun mal réel?

Quoi donc! cet homme si sensible à la moindre injure, si profondément blessé d'un léger manque d'égards, si jaloux d'être considéré par ceux qui l'entourent, se fera-t-il de gaîté de coeur à lui même le plus sanglant affront? se couvrira-t-il tranquillement d'infamie?
Hommes infortunés! si vous êtes peu frappés de cette idée, ah! c'est que votre carrière avilissante n'est pas encore fournie; c'est que vous ignorez encore l'étendue de ce tort que vous vous faites à vous-même: mais lorsque vous vous verrez plongés au fond du précipice; lorsque la raison, qui ne brillera plus pour vous que par intervalle, comme l'éclair dans la tempête, vous en montrera la profondeur sans vous donner les moyens d'en sortir; quand vous ne serez plus pour la société qu'un spectacle, un objet de scandale; quand vos pieds chancelans, votre tête vacillante, une santé ruinée par les excès et la misère, une vieillesse précoce; quand tout vous avertira que le temps des folles joies a pris fin, que l'heure du jugement va sonner, nous direz-vous alors froidement, je ne fais tort qu'à moi-même?

Je ne fais tort qu'à moi-même! Mais l'homme peut-il en effet ne faire tort qu'à lui-même? Pense-t-il donc être indépendant? Envisage-t-il son corps et son âme comme une propriété dont il puisse disposer au gré de ses passions? Cette santé, ces biens, cette raison, ce temps qu'il perd dans la débauche, ne sont-ce pas des talens qu'il avait reçus pour un autre usage, des talens qu'il devait faire valoir pour avancer le règne de son Maître et le bonheur de ses frères? le Dieu qui lui donna des lois ne l'a-t-il pas uni à d'autres êtres par des relations qui les font souffrir de ses fautes, par des liens intimes et tendres qui les associent nécessairement à son sort?

Ce chef de famille dont la compagne délaissée passe les jours dans les privations, les inquiétudes, et les nuits dans les pleurs, dont les enfans négligés, élevés au milieu du trouble et des querelles, reçoivent, au lieu de ces premières impressions qui doivent les porter à la vertu, l'influence d'un pernicieux exemple; ce père dénaturé qui consume dans la débauche le patrimoine de ceux auxquels il a donné le jour, l'argent qui devait servir à les instruire selon leur état, peut-être même leur étroit nécessaire, ne fait-il tort qu'à lui même?

Ce fils ingrat qui, loin de soutenir ses parens par son travail, de soigner, d'embellir leur vieillesse, verse l'amertume dans leur coeur par ses déréglemens, et peut-être, ce qui n'est pas sans exemple, leur enlève avec une basse cruauté le peu qu'ils ont pour vivre, ne fait-il tort qu'à lui-même?

Cet autre qui ne s'inquiétant point de satisfaire ses créanciers, comptant pour peu leurs droits, leurs besoins, oubliant que les cris de ceux qui l'ont servi s'élèvent, suivant l'énergique expression de l'Écriture (Jaq.V, 4),
s'élèvent au Ciel contre lui, leur dérobe, pour se livrer à la débauche, tout ce dont il peut disposer, ne fait-il tort qu'à lui-même?

Cet homme public qui s'abandonne à l'ivrognerie au mépris des devoirs de sa place et des intérêts dont il est chargé, ne fait-il tort qu'à lui-même? Ce pauvre enfin dont la honteuse misère est le fruit de la débauche, signe de son avilissement et non pas une conformité glorieuse avec son Rédempteur; ce pauvre qui, lorsqu'il a tout dissipé, recourant à la charité publique, vient usurper la portion des indigens dignes d'estime et d'intérêt. Ce pauvre qui fournit un prétexte à l'avare pour calomnier tous les malheureux et les soupçonner tous d'inconduite, ce pauvre qui met l'homme bienfaisant dans la pénible alternative de manquer à la prudence en ouvrant sa main, ou d'offenser l'humanité s'il lui refuse des secours, ne fait-il tort qu'à lui- même?

Mais sans insister davantage sur des exemples si touchans,si terribles, et pourtant si communs, je demanderai si, dans quelque situation que vous le supposiez, il est un homme assez indépendant pour ne faire tort qu'à lui-même, en se plongeant dans la débauche? Je l'ai dit: nous sommes liés les uns aux autres par des noeuds que nous ne pouvons rompre. Dans les vues bienfaisantes du Seigneur, ces noeuds sont des moyens de bonheur public et particulier. Si nous méconnaissons notre destination, ils deviennent une source de maux. Les biens que l'homme intempérant prodigue dans sa folie, en admettant qu'il n'ait point d'enfans ou de proches dont les besoins réclament ces biens, dévoient tourner au profit de la société: mieux employés, ils devaient faire prospérer le commerce, encourager l'industrie, fertiliser la terre, soulager les membres souffrans du corps de Jésus-Christ.

Ce temps que le débauché perd sans remords, il devait le faire servir au bonheur des hommes, à la gloire de son Dieu. Cette raison qu'il obscurcit, ce jugement, ces clartés de l'esprit qu'il éteint dans l'ivresse, ils lui furent donnés pour qu'il fût le guide et l'appui de ses frères; ils étaient destinés à leur faire goûter les leçons de la piété, à leur faire connaître, aimer les sentiers de la justice. La société, l'Église avaient des droits sur tous ces dons qu'il avait reçus pour elles et dont il leur dérobe l'usage. Il y a plus. Tandis que ses terres demeurent en friche et les instrumens de son métier suspendus sans qu'aucune main les mette en oeuvre, il n'en prend pas moins sa part, et plus que sa part de la subsistance commune; il se nourrit aux dépens des travaux de ses semblables et dévore le fruit de leurs sueurs; il consume sans rien produire.
Je vous le demande, une association composée de pareils hommes pourrait-elle fleurir? pourrait-elle subsister?

Mais encore combien d'atteintes portées à la pureté, à la pudeur, à la Religion! combien de péchés dont l'ivrogne devient la cause par le scandale qu'il donne! médisances dont il est l'occasion, criminelles excuses que ses amis allèguent pour le défendre, influence funeste qu'il exerce sur ses compagnons de débauche. Peut-être est-ce la séduction de son exemple, de sa compagnie qui les a perdus; peut-être les déréglemens où il les entraîne auront-ils pour eux des suites plus funestes encore que pour lui-même: imprécations, querelles, ruine, désespoir, tous ces maux, dont il est le premier auteur, retomberont sur sa tête. Combien de malheurs, de crimes, de catastrophes peut-être, dont il devra répondre au dernier jour!

II. Éclairé sur ce point, forcé de reconnaître le tort qu'il fait à l'Église, à la société, le débauché nous dira-t-il encore, et qui de nous plus d'une fois n'a pas ouï tenir ce langage? je ne puis me corriger; je suis entraîné par mon tempérament; la bonté du Seigneur est infinie; il aura sans doute égard à ma faiblesse.

Mais, Chrétiens, pour avoir quelque titre à cette excuse, pour en appeler à son impuissance devant Celui qui sonde les coeurs, il faudrait sans doute avoir livré de grands combats; il faudrait s'être mis en garde avec soin, de bonne foi, contre les occasions de chute; il faudrait s'être armé contre soi-même, s'être prévalu de tous les secours que peuvent fournir le travail, la réflexion, la prière. Et où est l'homme, je vous prie, que l'on voie employer tous ces moyens, et les employer inutilement? Si celui qui nous dit, c'est mon tempérament qui m'entraîne, n'a jamais essayé de résister à ce tempérament; s'il en suit la pente malheureuse avec une molle lâcheté, s'il l'a fortifiée chaque jour par l'habitude; enfin, si loin de faire tous ses efforts avant de parler ainsi, il ne parle ainsi que pour se dispenser d'en faire, ah! ne sentez-vous pas que ce langage renferme et suppose autant d'impudence que de mauvaise foi?

C'est mon tempérament qui m'entraîne! Vous qui nous alléguez cette vaine excuse, j'interroge ici votre conscience, votre conscience qui vous dément. J'en appelle à ce malaise qui vous fait baisser les yeux à la vue d'un homme réglé dans ses moeurs, à ce secret murmure qui se fait entendre en vous, lorsque dans les jours consacrés au travail, portant vos pas au cabaret, vous rencontrez l'homme actif et laborieux qui va cultiver ses champs avec gaîté.

J'en appelle à cette pénible honte que vous éprouvez, lorsque les fumées du vin étant dissipées, votre mémoire vous présente le tableau de votre délire, ou qu'on vous raconte les scènes avilissantes que vous avez jouées. J'en appelle a ce remords qui, tel qu'un fer brûlant, perce de temps en temps votre coeur, lorsque vous envisagez votre ruine qui s'avance comme un nuage obscur, votre maison qui chancelle; lorsque vos enfans nus, pressés par la faim et baignés de pleurs, vous demandent du pain et des vêtemens; lorsque votre compagne vous accuse de leur commun malheur. Toutes ces choses vous disent que vous êtes libre d'être tempérant, que vous le seriez; si vous vouliez l'être.

C'est mon tempérament qui m'entraîne! Mais est-ce de la nature ou de votre lâcheté, est-ce de la nature ou de l'habitude que vous tenez ce tempérament? Ne vous rappelez-vous pas un temps où, libre du joug de cette passion honteuse, vous l'envisagiez avec horreur; où, portant vos regards sur l'ivrogne balbutiant, vous les détourniez avec mépris? Vous avez eu même quelque répugnance à surmonter en entrant dans cette carrière. Or, si l'habitude vicieuse a pu prendre un tel empire sur votre âme, pourquoi l'habitude opposée, l'heureuse habitude de la sagesse, ne pourrait-elle renaître et regagner l'ascendant qu'elle a perdu?

C'est mon tempérament qui m'entraîne! Ah! parler ainsi, mon cher Frère, c'est blasphémer le Dieu qui vous créa; c'est prétendre qu'il a mis ses lois en contradiction avec votre nature; c'est faire l'affreuse supposition qu'il est des hommes formés pour leur perte, des hommes auxquels, en leur prescrivant d'être vertueux, il refuse les secours nécessaires pour le devenir, tandis qu'il n'en est point qui ne trouve dans son propre coeur, dans la Religion, dans les grâces de l'Esprit-Saint des armes suffisantes pour résister au mal; tandis qu'il n'est personne à qui l'on ne puisse dire:
Celui qui est en vous est plus fort que la tentation (I Jean IV, 4); tandis qu'il n'est personne pour qui, surtout dans le commencement de la vie, il ne soit plus aisé, oui, plus aise de suivre le bon chemin que d'en sortir.

C'est mon tempérament qui m'entraîne! Mais où est le vice, où sont les excès qu'on ne pût justifier par une telle excuse? Les plus grands scélérats ne commettent les forfaits qu'en suivant la passion qui les possède. Ainsi donc, selon vous, le crime n'est crime que lorsqu'on s'y laisse aller avec répugnance! y trouver du plaisir, c'est devenir innocent, et nous serons jugés non d'après la Loi Sainte de Jésus, mais d'après les penchans d'une nature corrompue! Un tel principe n'est-il pas destructeur de toute morale, de toute Religion, et peut- il s'accorder avec l'idée d'un Dieu quirendra à chacun selon ses oeuvres, d'un jugement, d'une éternité?

C'est mon tempérament qui m'entraîne! Ah! rougissez enfin de cette excuse qui n'est pas faite pour l'homme et n'appartient qu'à la brute guidée par les sens, par un aveugle instinct. Peut-elle convenir cette excuse à des Êtres
formés à l'Image de Dieu, éclairés par le flambeau de la raison, avertis par la conscience, dirigés par une Loi Souveraine! Peut-elle convenir à des Chrétiens qui reconnaissent Jésus pour maître, que Jésus appelle aux plus pénibles sacrifices, qu*il appelle à crucifier la chair avec ses convoitises (Gal. V, 24), auxquels il enseigne que le royaume des Cieux doit être forcé, et que les violens y peuvent seuls entrer (Matt. XI, 12)?

C'est mon tempérament qui m'entraîne! Si pour celui qui tient ce discours elle est en effet venue cette époque fatale où l'homme, a près avoir long-temps servi le péché volontairement, est enfin garrotté de ses chaînes, tellement qu'il ne peut plus les rompre; si cette situation, qui fait frémir un coeur sensible et religieux, est réellement la sienne, à qui peut- il s'en prendre? N'est-ce pas parce qu'il a long-temps refusé d'écouter sa conscience qu'elle se tait pour toujours? N'est-ce pas parce que la plus noble partie, la partie spirituelle de lui-même a long-temps reconnu l'empire des sens? N'est-ce pas parce que son âme s'est longtemps soumise à son corps, qu'elle est enfin devenue matérielle comme lui? N'est-ce pas parce qu'il a long-temps abusé des grâces de l'Esprit-Saint que ce divin Esprit
contristé s'est retiré pour jamais? N'est-ce pas enfin parce que Dieu l'a rappelé long- temps en vain, a long-temps frappé sans fruit à la porte de son âme, qu'exerçant sur cette âme un jugement terrible, il ne lui parle plus, il le destine ce pécheur endurci à servir d'exemple à ses frères, à les effrayer, en leur montrant la turpitude de la débauche et ses lugubres conséquences?

Déplorable situation! Affreux tableau! Quel homme dont le front peut rougir encore et le coeur ressentir la honte, quel homme oserait s'y reconnaître et nous dire: je suis ce malheureux?

N'est-il pas bien triste, mes Frères, qu'un vice aussi funeste, un vice qui déshonore la nature et contrarie les lois de la Religion, un vice qui nous ôte le bonheur de la vie présente et de la vie future, ruine la santé, la fortune en même temps que la vertu, trouble la société non moins que l'Église, attaque la prospérité générale aussi bien que la félicité domestique, dont les conséquences enfin sur le temps et l'éternité sont si sensibles et si formidables; n'est-il pas bien triste qu'un tel vice trouve non-seulement des esclaves, mais des défenseurs; qu'on voie non-seulement des hommes qui s'y livrent, mais des hommes qui ne craignent pas de le justifier? Ah! loin de nous ces coupables excuses: en corrompant l'opinion publique, elles favorisent, elles étendent les ravages de l'intempérance; elles préparent la chute du faible, en détruisant chez lui l'horreur du vice, en le familiarisant d'avance avec un penchant plus redoutable pour nos campagnes que la grêle et les tempêtes.

Combien elles seraient plus heureuses ces campagnes, si jamais elles n'étaient souillées par les excès de la débauche! Ici, sous un beau Ciel, nous respirons l'air le plus pur: entourés des scènes paisibles et majestueuses de la création, nous entendons de loin le bruit des orages qui bouleversent la société. Ah! si les orages des passions ne venaient point troubler notre vie! Si notre âme, telle qu'un champ fécond, recevait la semence de vie que le Rédempteur y jette sans cesse, et la conservait pour donner d'heureux fruits aux jours de la moisson! Si le démon de l'intempérance n'enlevait pas cette semence précieuse!...

Mes chers Frères! que tout ce qu'il y a en vous de patriotisme, de charité, de foi, de piété, se réveille. Travaillez à vous inspirer les uns aux autres une nouvelle horreur pour l'ivrognerie. Ne parlez jamais de ce vice que pour en faire sentir la laideur ou pour déplorer ses ravages. Réunissez vos efforts, je ne dis pas seulement pour vous en préserver vous-mêmes, mais pour en garantir tous ceux qui dépendent de vous, ou sur qui vous exercez quelque influence, pour arrêter ses progrès, pour le bannir, s'il se peut, de cette contrée.

Chefs de famille! veillez sur vos enfans et vos serviteurs, surtout dans l'âge où leurs passions encore captives sont près de s'enflammer; retenez-les par votre autorité, par vos leçons, surtout par votre exemple; car, hélas! que pourraient les exhortations les plus belles, si vos actions ne les soutenaient pas? à moins que cette Providence qui sait tirer le bien du mal, ne fît de vos désordres une leçon salutaire pour vos malheureux enfans. 

Épouses et Mères! c'est votre tâche d'éloigner de l'intempérance vos époux et vos fils, par votre bonté, votre complaisance, vos tendres attentions, par le bonheur qu'ils goûteront dans leur demeure. Faites qu'ils ne soient jamais tentés de penser qu'ils se trouveraient mieux ailleurs. S'ils vous échappent malgré tant de soins, quelque légitimes que fussent vos plaintes, gardez-vous de les exhaler inconsidérément; attendez qu'ils soient devenus capables de vous entendre: ne vous livrez point même alors à d'amers reproches: faites parler votre douleur et votre tendresse. On a vu plus d'une fois la raison, la patience, la douce persévérance d'une femme Chrétienne ramener à l'ordre l'homme le plus abruti.

Jeunes personnes! vous pouvez aussi nous seconder. Fuyez les jeunes gens déréglés; rejeter les soins qu'ils vous rendent; dites hautement combien vous éprouveriez d'effroi d'unir votre sort au leur. Votre intérêt s'accorde avec celui des moeurs et de la Religion: le libertin, l'ivrogne, le dissipateur, quelque heureusement né qu'il soit, conservât-il même encore des qualités aimables, vous rendrait nécessairement malheureuses, vous ferait maudire l'heure où vous auriez mis dans ses mains votre destinée.

Anciens de cette Église, nos appuis, nos compagnons dans l'oeuvre du Seigneur! nous vous appelons à notre aide. Vous connaissez, vous déplorez, comme nous, les suites funestes de l'ivrognerie et de la sensualité. Vous sentez le prix de l'ordre et des moeurs; ne négligez rien pour les faire régner parmi nous. Vous exercez beaucoup d'influence sur vos amis, vos proches, sur le village soumis à votre censure; joignez au bon exemple, qui ne suffirait pas dans votre place, une surveillance sans relâche, une fermeté que rien n'ébranle. Que votre seule présence réprime le désordre. Ne souffrez jamais, sous aucun prétexte, qu'on enfreigne autour de vous les règlemens de police établis pour le prévenir. Voilà une de vos plus utiles, de vos plus importantes fonctions. Si vous la remplissez avec fidélité, vous mériterez la reconnaissance de l'Église et de la Patrie.

Unissez vos efforts aux nôtres, Hommes de bien, modèles de ce troupeau, sur qui mes regards se reposent avec complaisance! vous qui faites voir par votre conduite comment la sobriété s'allie à toutes les vertus! c'est à vous aussi qu'il appartient d'exhorter, d'avertir celui qui s'égare: c'est vous qui pouvez le faire avec succès. Ah! puisse votre zèle s'échauffer pour le maintien des moeurs dans cette contrée qui nous est si chère! Puisse le calme dont vous jouissez, l'estime dont vous êtes l'objet, affermir dans la bonne route les pas de la génération qui vous suit, et lui faire prendre la résolution salutaire d'y marcher toujours! Puisse votre exemple plus persuasif, plus puissant que tous nos discours, ramener à l'ordre
ceux qui vivent dans le dérèglement (I Thess., V, 14) Puissiez-vous, après avoir prolongé pour eux le temps de la clémence céleste, après avoir été leurs protecteurs auprès du Très-Haut durant cette vie, devenir pour celle qui doit la suivre les instrumens de leur salut et de leur éternelle félicité! Amen.

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