Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DISCOURS VI.

Le désordre, source de ruine.


Celui qui ne gouverne pas bien sa maison aura le vent pour héritage. Prov. XI, 29.


VOILA, mes Frères, une vérité qu'il suffit d'énoncer pour en donner la conviction, une vérité effrayante, une vérité tous les jours confirmée par l'expérience. Eh! que sont mes faibles discours auprès de ses terribles leçons! Mais toute certaine et redoutable qu'elle soit cette vérité, il en est d'elle comme de beaucoup d'autres qui nous émeuvent et nous frappent au premier moment, et dont l'impression bientôt s'efface ou s'affaiblit. On en a une vue générale et confuse, mais on ne sait point l'appliquer à sa conduite, en tirer les conséquences rigoureuses qui en découlent.

Voilà pourquoi, mes Frères, il est bon d'y réfléchir: voilà pourquoi je me propose de vous en occuper aujourd'hui. Comme, lorsqu'une épidémie exerce ses ravages, on indique le régime à suivre pour s'en garantir, je veux fixer vos regards sur les précautions qui peuvent vous mettre à l'abri des inquiétudes et de la détresse.

Il semble au premier coup-d'oeil qu'un tel sujet soit étranger à notre ministère et à cette chaire d'où nous vous parlons des choses du Ciel et des grands intérêts de vos âmes. Mais les maximes de la Religion s'appliquent à tout: elle n'est point indifférente à votre bonheur temporel. Le Dieu que nous adorons aime l'ordre: il veut le voir régner dans nos demeures comme dans l'univers; et votre Pasteur qui vous est uni par les plus étroits liens, votre Pasteur qui s'est fait une si longue et si douce habitude de partager votre sort, pourrait-il voir sans douleur, sans effroi, les malheurs qui menacent tant de familles? N'est-ce pas un besoin pour son coeur et un devoir de son ministère de faire entendre des exhortations propres à les détourner? L'inconduite, d'ailleurs, trop souvent associée à d'autres défauts, amène naturellement à sa suite les désordres de tout genre; et, par le trouble qu'elle jette dans l'âme, par la désorganisation qu'elle y produit, si je puis ainsi parler, elle n'est que trop propre à la corrompre.

Cherchons donc ensemble, Chrétiens, les conseils que donne la sagesse pour éloigner de nous la pauvreté cruelle et les soucis rongeans. Loin de moi la pensée de jeter quelque blâme sur ceux qui sont déjà leur proie: gardons-nous de les condamner et de leur faire aucune application de ce discours. Ce sont les consolations, de l'intérêt, des services que nous devons aux malheureux, et non ces jugemens sévères, quelquefois injustes, qu'on est trop enclin à prononcer sur leur conduite. Ah! loin d'ajouter à leur peines, plût au Ciel qu'il fût en mon pouvoir de les adoucir! Mais je dois aussi faire ce qui est en moi pour préserver et pour sauver ceux qui ne sont pas encore perdus. Et vous, mes Frères, vous devez serrer mes paroles dans votre coeur, et en faire désormais la règle de votre conduite. Ainsi soit-il.

Il est plusieurs causes de ruine pour le cultivateur. Ne parlons aujourd'hui que de celles qui frappent moins et qui tiennent, au défaut d'ordre, a une mauvaise administration.
Celui qui gouverne mal sa maison, dit le sage, aura le vent pour héritage.

L'esprit d'ordre et de conduite se reconnaît partout: il embrasse les plus petits objets comme les plus grands. L'homme qui possède cette qualité précieuse ne laisse rien perdre par négligence, ou souffrir par oubli: toutes ses affaires marchent de front sans qu'aucune reste en arrière; il tient ses comptes en règle, il fait ses travaux dans leur saison, ses provisions dans le moment le plus favorable. Il met en réserve pour les jours mauvais, et ne se hâte pas de tout consumer..... Mais ici les détails seraient infinis: bornons-nous à quelques traits qui sont eux-mêmes les conséquences d'un grand principe dont le cultivateur doit se pénétrer profondément.
Ce principe, c'est que toute sa félicité consiste à ne point s'éloigner de la vocation que ses pères ont suivie, pour laquelle ils formèrent sa jeunesse, et que lui destina la Providence. Il doit en conserver précieusement les goûts, les habitudes; il doit y concentrer ses pensées et ses affections.

I. La première conséquence qu'il en doit tirer, la première règle à suivre pour bien gouverner sa maison, c'est d'éviter et de craindre toute spéculation, toute entreprise ambitieuse, hasardée, qui le distrairait de ses travaux, habituels, et de se défier de lui-même dans les occasions qui demanderaient des connaissances qu'il n'a pu acquérir.

La terre, voilà le fonds qu'il doit s'attacher à faire valoir. Cultiver la terre, voilà son talent; voilà sa science; voilà sa gloire. Il doit mettre son ambition; je ne dis pas à étendre, remarquez-le, mais à fertiliser son domaine. C'est là qu'est caché le trésor qui doit l'enrichir.
Celui qui cultive la terre, dit la Sagesse Éternelle, sera rassasié du fruit de ses mains (Prov. XII, 11). Les richesses acquises par de mauvais moyens s'envolent rapidement; mais celui qui les amasse par ses travaux, les voit s'accroître chaque jour; en labourant le champ de ses pères, il y trouve une nourriture abondante (Prov. XIII, 11).

Si cette voie de fortune, la plus sûre, la plus légitime, la plus honorable, paraît trop lente au cultivateur; s'il veut sortir de sa sphère; s'il se laisse séduire par des spéculations qui présentent l'appât d'un gain plus rapide, dès ce moment il est perdu: sur mille qui osent prendre cette route, à peine en est-il un qui réussisse. Et gardez-vous d'envier son sort: il marche dans un sentier glissant: quand il demeurerait ferme, ses succès suffisent pour le rendre suspect, pour en faire un objet de défiance et de jalousie. Avec sa simplicité première il a perdu le bonheur qui pouvait être son partage.

Mais revenons, et dans le cours ordinaire des choses, voyez quel est le sort de l'habitant des campagnes qui s'éloigne de sa vocation. Ses terres négligées dépérissent; la source des vrais biens tarit pour lui. Transporté dans un pays nouveau, il entre en relation, en concurrence avec des hommes qui, connaissant mieux ce terrain étranger, ont sur lui mille avantages, et peut-être l'avantage funeste de savoir mieux surprendre et tromper. Égaré par l'ambition, il ne jette plus autour de lui que des regards troublés; il ne sait plus distinguer ce qui est juste ou injuste, honnête ou déshonorant, sûr ou périlleux; il s'engage dans des entreprises peut-être condamnables, au moins disproportionnées avec ses forces: il vit dans l'attente et l'anxiété; il éprouve des mécomptes; il en redoute de plus grands: l'inquiétude et le malaise s'emparent de lui, et tandis que l'honnête cultivateur, qui sait se renfermer dans son petit domaine, remporte le soir au milieu de sa famille une humeur paisible et un front serein, l'homme dont nous parlons n'offre plus à la sienne qu'un visage sombre et contraint; par égard même pour sa tranquillité, il lui dérobe ses tristes secrets que trahissent ses rêveries et l'agitation de ses nuits.

Que sera-ce s'il va plus loin? si l'imagination éblouie, enflammée par des rêves de fortune, il confie le sort de sa famille, je ne dis pas à des spéculations qui ont au moins quelques probabilités de succès, mais au hasard, à des jeux, à des chances sur lesquelles ne peuvent rien le travail ni l'industrie; si, toujours plus acharné à poursuivre un gain chimérique à mesure qu'il perd davantage, il place sur une carte, il met à la loterie la subsistance de sa femme et de ses enfans; si, ne craignant pas de violer les lois de son pays, et de faire le périlleux métier de tromper le Gouvernement, il s'expose à perdre tout dans un fatal moment de surprise qui ne manque jamais d'arriver tôt ou tard?

Mais sans se laisser aller a des entreprises ambitieuses et folles, il y a encore des dangers pour le cultivateur, s'il ne sait pas se tenir sur ses gardes, se défier de ses lumières et demander conseil à propos. Il est remarquable que chacun juge assez bien des affaires et des projets de ses voisins, tandis que souvent il se fait illusion sur les siens propres, parce que la passion qui les suggère a l'art de les justifier. Qu'il serait donc important de ne jamais se décider à des travaux d'une certaine étendue, à des changement de culture dispendieux, à des achats, à des ventes, à des engagemens de quelque importance, sans avoir demandé conseil! De quel prix ne serait pas alors l'avis d'un ami désintéressé, clairvoyant; d'un de ces hommes sages, expérimentés, qui sont, pour ainsi dire, les Patriarches de l'agriculture!
L'homme prudent, dit Salomon, écoute les conseils, mais le chemin de l'insensé Lui paraît droit. Les desseins formés sans prendre conseil sont vains, mais ils ont un heureux succès quand on a consulté L'homme intelligent (Prov. XII, 15).

Cela est vrai, surtout quand il s'agit de ces affaires où il y a des formalités nombreuses et qui varient sans cesse. L'oubli d'une seule suffit pour ruiner le droit le mieux fondé. Occupé de ses travaux, il est presque impossible que l'homme des champs connaisse toutes ces formes: il ne pourrait les étudier qu'imparfaitement et peut-être aux dépens des soins de sa vocation. Il faut donc qu'il s'adresse en ces occasions à des hommes à portée d'en être instruits. C'est un bonheur particulier à ces campagnes, mes chers Frères, d'avoir auprès de vous des personnes capables de vous conseiller, de vous diriger sur tous ces objets, qui ne se refusent point à vos demandes, qui se plaisent même à vous prévenir, et qui comptent pour peu leur temps et leurs soins dès qu'il s'agit d'être utiles. Il serait inexcusable, sans doute, de négliger une ressource si précieuse.

II. Une seconde règle que l'esprit d'ordre et de conduite doit faire suivre au cultivateur, c'est de craindre les dettes.

Cette maxime ne s'applique point, vous le comprenez, aux personnes qui jouissant d'une fortune aisée, économes d'ailleurs, actives, laborieuses, sont obligées pour conclure une affaire très-avantageuse, de contracter quelques dettes fort inférieures à leurs ressources, et dont il est sûr qu'elles s'affranchiront bientôt. De telles personnes n'ont pas besoin qu'on leur fasse redouter le fardeau dont elles aspirent à se délivrer. Elles doivent, au contraire, se défendre d'une inquiétude excessive qui pourrait altérer leur confiance en la bonté divine, et resserrer la générosité de leur coeur.

Mais, à cette exception près, et lorsqu'il n'est pas placé dans des circonstances si heureuses et si rares, l'habitant des campagnes doit redouter les dettes comme son plus cruel fléau. C'est un labyrinthe dont il ne peut plus sortir quand une fois il s'y est engagé, et au fond duquel l'attendent l'angoisse et la détresse. C'est un ulcère malin qui chaque jour s'envenime et s'étend jusqu'à ce qu'il ait tout consumé. C'est une maladie dont les commencemens sont peu de chose, mais qui se termine presque toujours par la mort.

Qu'est-ce qui cause la perte de tant de familles? N'est-ce pas la funeste habitude d'acheter à crédit? On ne compte point avec soi-même; on croit devoir une bagatelle, et déjà c'est une somme à laquelle on ne peut suffire. Le moment de payer arrive enfin; il faut emprunter pour y satisfaire. Voilà la brèche ouverte; elle s'agrandira chaque jour jusqu'à ce que l'édifice entier soit écroulé. Cela est vrai, surtout du cultivateur. Il est aisé de sentir qu'il ne peut être heureux et tranquille qu'autant que son petit fonds est libre. Il y a une telle différence entre le revenu des terres et l'intérêt de l'argent, je dis même un intérêt légitime et modéré, que cette seule différence suffît à la longue pour ruiner sa fortune.

J'avouerai qu'il est des situations extrêmes où l'on est comme forcé d'emprunter pour nourrir sa famille, subvenir aux frais d'une maladie, réparer un mur qui chancelle... Plaignons ceux qui sont dans une telle situation, et ne les condamnons pas. Je leur dis encore cependant; essayez de toutes les ressources avant d'en venir à cette ressource fatale, qui ne soulage un moment que pour écraser ensuite. Si vous ne pouvez trouver des secours suffîsans dans la libéralité de vos protecteurs ou de vos amis, vendez plutôt; oui, je préférerais ce parti, vendez, s'il est possible, quelque chose de votre fonds, afin qu'au moins le reste vous appartienne, afin que le prix de votre journée soit à vous, afin qu'après avoir supporté pendant le jour les fatigues et les intempéries de l'air, vous puissiez respirer librement le soir, et réparer vos forces dans un sommeil sans inquiétude.

Mais si la nécessité d'emprunter eut des cas urgens est une nécessité déplorable, n'est-il pas ennemi de son propre bonheur, l'homme qui se charge d'un, tel fardeau sans nécessité, pour étendre, pour agrandir ses possessions, pour étaler aux yeux des autres une aisance qui n'est pas la sienne; l'homme qui ne craint pas de signer ces billets funestes qui exposent non-seulement ses fonds, mais sa personne même!
Ah! mes Frères, si vous êtes forces d'emprunter, n'allez pas jusque-là. Usez, s'il le faut absolument, du privilège du propriétaire qui peut offrir une assurance dans ses domaines. Gardez-vous au moins de passer ces limites. Et que ce soit, non l'amour-propre ou l'ambition, mais une indispensable nécessité qui vous fasse prendre ce parti. Hélas! que n'aurais-je pas à dire sur ce malheureux orgueil de la propriété? On se charge d'un poids qu'on ne peut porter; on se flatte que chaque année l'allégera, et chaque année le voit s'accroître. Loin de pouvoir rembourser une partie du capital, on ne peut même suffire aux intérêts. Voilà, voilà le symptôme décisif. Si, au retour de l'époque fixée, vos affaires sont en meilleur état, s'il y a diminution dans le fonds de vos dettes, prenez courage et soyez tranquille, sans cependant vous relâcher. Mais si le temps aggrave le mal; si vous restez en arrière, vous marchez à votre perte; il faut vous affranchir à tout prix. Mais cet orgueil de la propriété dont j'ai parlé s'y oppose encore. Quelquefois, je l'avoue, on ne peut vendre; plus souvent, on ne le veut pas; on aime mieux tout risquer que de laisser voir sa situation: on aime mieux s'appauvrir en effet, que de paraître plus pauvre aux yeux de ceux qui nous entourent: on aime mieux augmenter encore la masse des dettes que de prendre un parti sage et courageux: on espère, on espère encore; on espère toujours jusqu'au moment où la ruine vient fondre sur nous comme le vautour sur sa proie.

Parlerai-je après cela d'une autre espèce de dettes, de ces engagemens téméraires si communs de nos jours et que le Sage condamne si fortement dans ces paroles:
Celui qui cautionne pour l'étranger s'en trouvera mal; il est plus sûr de refuser. Ne soyez point du nombre de ceux qui répondent pour les dettes d'autrui; car, comment souffririez-vous qu'on vous dépouillât de vos vêtemens, ou qu'on vous chassât de votre lit pour vous l'enlever? Si vous avez cautionné pour votre prochain, vous êtes enlacé par vos paroles; vous êtes pris par votre promesse.... Dégagez-vous, comme un chevreuil qui s'échappe des mains des chasseurs, comme un oiseau qui se tire du piège qui lui a été tenduProv. XXII et VI).

Il est des cas, sans doute, où la prudence permet de rendre un tel service; mais quelle extrême circonspection ne demanderait-il pas! Il faudrait avoir, ce qui est bien difficile, une parfaite connaissance des affaires de celui pour qui on répond: il faudrait au moins que la somme pour laquelle on s'engage n'excédât pas ce dont nous pouvons supporter la perte. En général, comme parle Salomon,
il est beaucoup plus sûr de refuser, et cependant il n'est rien que l'on donne plus aisément. On accorde un cautionnement avec autant de facilité que s'il s'agissait seulement d'une journée de travail ou du prêt de quelques instrumens d'agriculture.

Il faut s'obliger mutuellement, dit-on. A Dieu ne plaise que je veuille affaiblir cette disposition; mais qu'entendez-vous par ce langage dans une telle occasion? Espérez-vous de votre frère un service de même nature? Eh! quel gain faites-vous à vous perdre pour lui, afin qu'il se perde à son tour pour vous! En résultera-t-il autre chose que de vous fournir l'un à l'autre les moyens de vous plonger dans le gouffre plus avant?

Mais c'est par un sentiment désintéressé; c'est par bonté, par complaisance. Ah! dites plutôt, par faiblesse, par imprévoyance, par aveuglement; car enfin, je vais vous mettre à l'épreuve.
Si votre voisin, votre ami vous demandait en pur don le quart, que dis-je? la dixième partie de la somme pour laquelle vous allez répondre, il éprouverait un refus; et vous vous exposez pour lui, à voir dans six mois, dans un an, les suppôts de la justice enlever vos meubles, vous arracher les instrumens de votre état, vous entraîner comme un criminel! Parce qu'il ne faut pas d'argent ce jour même, parce que vous pouvez dormir tranquille dans votre lit ce soir encore, vous comptez pour rien d'amasser des calamités terribles pour les jours qui suivront! O fatale imprudence, qui souvent n'est pas moins pernicieuse à celui qui la sollicite qu' à celui qui la commet! car s'il ne trouvait pas ce dangereux secours, il serait forcé de s'arrêter et ne perdrait pas du moins au-delà de ce qu'il possède.

III. La troisième règle que nous prescrit la sagesse, c'est de revenir à la simplicité des anciennes moeurs.

Dans tous les états, la prudence exige qu'il y ait une exacte proportion entre la dépense et le revenu. On ne peut s'écarter impunément de ce principe; mais le cultivateur, dont les gains sont lents et presque insensibles, serait bien plus coupable en le perdant de vue.

Il y a plus; il a besoin, pour être heureux, que ses goûts, ses habitudes soient en harmonie avec sa vocation: il faut que sa vie soit simple comme ses travaux, qu'il se nourrisse des denrées qu'ont fait croître ses mains, et qu'il achète au-dehors le moins possible. Voilà le régime qu'il doit suivre, même en des temps prospères. Que deviendra- t-il, si dans les jours malheureux, lorsque l'embarras de ses affaires demande la plus sévère économie, il conserve des habitudes de luxe et de dépense!

Ah! mes chers Frères, sachons
écouter la verge et celui qui l'a assignée(Mich. VI, 9). La belle tâche de rappeler la simplicité des moeurs nous regarde tous: il en est peu d'entre nous à qui elle ne soit imposée du plus au moins par leur situation. Et quand il n'y aurait point d'intérêt propre, leur devoir n'en est pas moins d'y concourir.

C'est aux principaux à donner l'exemple; il en sera mieux suivi: c'est un noble devoir qu'ils ont à remplir. D'autres l'ont fait avant eux. Il est, dans les murs de Genève, il est des riches bienfaisans qui, pour ne rien retrancher à leurs aumônes, ou même pour les rendre plus abondantes en des jours malheureux, s'imposent des privations qui paraîtraient dures à plusieurs d'entre nous. Et qu'ils ne nous disent pas qu'ils se plaisent à fêter leurs amis. Quoi! en donnant un exemple mortel au pays qu'ils habitent! Mais encore, quelle bienveillance empoisonnée pour ceux qui en sont l'objet! Ils les humilient, leur imposent la mortification de rester au-dessous d'eux, ou plutôt, car ceux qu'ils reçoivent avec appareil n'auront pas la force de prendre ce parti, on les verra tomber dans le piège tendu sous leurs pas; on les verra se mettre à la gêne, pour imiter l'exemple qui leur est donné, déguiser leur détresse sous un étalage de luxe, et sacrifier à la vanité, quand ils sont près de manquer du nécessaire.

Mais si la sobriété, la simplicité sont un devoir aujourd'hui pour les riches eux-mêmes, à combien plus forte raison pour ceux dont les affaires sont en mauvais état! Quel spectacle de voir des dépenses ruineuses en des maisons menacées de désastre, de voir des jeunes gens se livrer au goût du plaisir et de la dépense, quand la personne de leurs pères n'est pas en sûreté! Quelle indécence chez ces enfans! Quelle faiblesse chez les parens trop tendres qui le permettent!

Ah! qu'il n'en soit pas ainsi, parmi nous, mes chers Frères! Que chacun examine sa position, ses ressources, ses charges. Retranchez avec courage tout ce qui vous a nui, tout ce qui doit être retranché. Sondez la plaie, comme un chirurgien habile et ferme, pour couper jusqu'à la racine du mal.

Que les mères de famille se montrent dignes de ce beau titre, en faisant régner dans leurs familles une sage économie. Qu'elles n'oublient point ce que dit l'Écriture:
La femme prudente fait sa maison, mais celle qui manque de conduite la détruit infailliblement (Prov. XIV, 1). Qu'elles secondent, qu'elles encouragent leurs époux qui les en récompenseront à leur tour par une confiance sans réserve, en ne craignant pas de recevoir de leurs bouches d'utiles conseils.

Accoutumez, dès le premier âge, vos enfans à la sobriété, à la simplicité des vieux temps; ne mettez point ces petites et intéressantes créatures sous le joug des habitudes dispendieuses qu'il est si difficile de secouer. Si vous ne pouvez leur laisser une fortune assurée, indépendante, du moins, je vous en conjure par votre amour pour eux, ne leur préparez point des privations pénibles, des tentations dangereuses qu'ils n'auraient peut-être pas la force de soutenir. Inspirez-leur de bonne heure le goût du travail et de la retraite, et ne regrettez point pour eux la jouissance des plaisirs de leur âge. C'est une fleur qui passe bientôt: songez à leur faire cueillir le fruit précieux de la sagesse qui dure toujours.

Hésiteriez-vous encore? Attendriez-vous qu'il ne fût plus temps! Le sacrifice de quelques jouissances des sens vous semble-t-il trop difficile? Où est donc la dignité de l'homme? où est la force et l'élévation du Chrétien? Quelle différence d'ailleurs entre ces privations nobles et volontaires qu'on s'impose à soi-même, et ces privations humiliantes, forcées, ces privations du nécessaire que le désordre amène à sa suite!
Êtes-vous retenus par l'amour-propre, par la crainte puérile de paraître déchoir aux yeux de vos voisins? Mais pensez-vous donc qu'ils ignorent votre position? Ne vous abusez pas. Ils la voient mieux que vous-mêmes, parce qu'ils la voient sans illusion. Ils vous jugeront avec rigueur; leur coeur se fermera pour vous à l'intérêt, à la compassion, s'ils n'aperçoivent aucun changement dans vos dépenses. Ils applaudiront, au contraire, à des résolutions sages et vertueuses. C'est le seul moyen de salut qui vous reste. Et croyez-moi, si le Ciel vous laisse la force et la santé, vous avez encore de grandes ressources, la bénédiction du Tout-Puissant, des enfans honnêtes et bien nés que cette conduite attachera à vous par ces liens de l'estime et du respect qui ajoutent tant à la tendresse. Voilà des biens encore à votre portée; et vous pouvez entrevoir dans l'avenir le prix de vos travaux et de vos sacrifices, l'indépendance et la sécurité.

Maintenant, mes chers Frères, j'ai déchargé mon coeur au milieu de vous. Je vous ai dit la vérité: c'est de ma bouche que vous deviez l'entendre. Qui avait droit de vous la dire, si ce n'est celui qui vous parle au nom du Seigneur, votre père spirituel de qui vous avez si long-temps éprouvé l'affection, qui depuis si long-temps ne fait qu'un avec vous?

Si vous écoutez mes discours avec docilité; si vous les serrez dans votre coeur: si vous les mettez en pratique; si vous prêtez l'oreille à cette voix du Ciel qui vous rappelle à la sagesse; si le malheur produit en vous l'effet qu'il doit produire; s'il opère une régénération dans nos moeurs (hélas! c'est ma seule espérance), nous pouvons encore être heureux, et ces jours sombres seront comme les tristes jours de l'hiver qui préparent une saison douce et fertile.

Mais s'il en était de cette exhortation comme de tant d'autres; si l'impression s'en effaçait au sortir de ce temple; si vous ne deviez vous la rappeler qu'au jour de la ruine, comme une sinistre prophétie; si j'étais condamné à demeurer le témoin de la décadence de ces campagnes, de ce troupeau, objet de tous mes voeux, de toutes mes affections; si j'étais condamné à contempler plus longtemps le spectacle d'un pays sur lequel plane la ruine, où la misère dévorante étend ses ravages comme un torrent, sans qu'il se fasse dans les esprits aucun retour sérieux, dans les moeurs aucun changement, où l'on se joue encore sur les bords de l'abîme; comme si le besoin de s'étourdir ajoutait aux folies qui nous ont perdus!....

Écartons cette affreuse idée. Grand Dieu! c'est là le signe de cet aveuglement qui précède les jugemens redoutables. C'est ainsi qu'agissait cette nation malheureuse que le déluge allait engloutir.

O Dieu! incline toi-même leurs coeurs à la sagesse, et que désormais, se conformant tous à tes divines leçons, ils éprouvent que la
piété a les promesses de la vie présente aussi bien que de celle qui est à venir (I Timoth. IV, 8). C'est ce que nous te demandons par Jésus-Christ, auquel, comme à Toi, Père Céleste et au Saint-Esprit, soient honneur, gloire, adoration aux siècles des siècles. Amen!

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