Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DISCOURS V.

L'Hiver, ou la vie domestique.


A chaque chose sa saison. Ecclésiaste, III, 1.


FAIRE chaque chose en son temps, est une des maximes les plus importantes de cet esprit d'ordre si nécessaire à notre bonheur temporel, si nécessaire même à notre bonheur éternel. Il est pour chaque chose un moment convenable qu'il faut saisir, et passé lequel, nos mesures, nos soins, nos travaux, n'ont plus le même succès. Il est un moment propice pour tout, un moment pour vendre, pour acheter; un moment pour cultiver la terre, pour placer dans son sein la semence qu'elle fait germer, pour recueillir les fruits qu'elle donne: si le cultivateur ne sait pas saisir ce moment, il ne manque guère d'en être puni.
Il est un moment favorable pour tous les soins de la vie. Telle démarche faite en son temps eût pu vous gagner un protecteur, fléchir un ennemi, écarter un concurrent, assurer le succès d'une entreprise: plus tard, elle ne sert de rien.
Une indisposition légère se change en maladie, faute de quelques soins donnés à propos: cette maladie s'aggrave et devient mortelle par l'oubli d'un remède, salutaire à telle époque, inutile ou nuisible plus tard.

Je pourrais multiplier à l'infini ces détails: c'en est assez pour vous faire comprendre dans quel embarras, dans quels malheurs se plonge l'homme qui ne sachant pas donner le présent aux: soins qui lui sont propres, l'emploie sans cesse à réparer les torts du passé, ou bien, ajoute à ses premières négligences, par des négligences nouvelles.

La maxime de mon texte est d'une utilité si frappante, que la sagesse humaine toute seule suffirait pour nous en faire une loi. Elle devient bien plus sacrée pour le Chrétien qui lui donne une toute autre étendue, et l'applique non-seulement aux choses passagères, mais à des objets d'un ordre plus relevé.

En effet, mes Frères, placés ici-bas dans un état d'épreuve, nous devons considérer que chacun de nos jours répond à une partie de notre tâche; chacun de nos jours est chargé de l'accomplissement de quelque devoir, marqué par quelque tentation dont ce devoir tout seul est le préservatif. Nous ne pouvons pas le négliger ce devoir sans un double péril, sans nous rendre doublement coupables et pour n'avoir pas fait ce que nous devions faire et pour avoir cédé à la tentation.

Ces réflexions sont si justes, si naturelles, qu'elles peuvent s'offrir à nous dans toutes les circonstances; mais elles se sont réveillées chez moi plus vivement à cette époque de l'année, Vos travaux dans les autres saisons sont marqués par la nature. Accomplis avec foi, par un sentiment religieux, ces travaux sont des devoirs pour le cultivateur, et deviennent un préservatif pour son âme. Maintenant vos occupations seront moins tracées et les écueils de votre position plus nombreux.
L'hiver est pour vous la saison des loisirs: ces loisirs vous seront nécessairement salutaires ou funestes suivant l'emploi que vous en ferez. C'est à vous montrer les soins auxquels il faut les consacrer que cette méditation est destinée. Dieu veuille l'accompagner de sa grâce et graver dans vos coeurs les vérités que nous allons vous présenter! Ainsi soit-il.

I. Je distingue en trois classes les devoirs qui peuvent et doivent partager votre temps, devoirs de vocation, devoirs domestiques, devoirs religieux.

1.° Par les devoirs de vocation, j'entends ceux qui naissent de votre état, que vous impose le soin de votre fortune et de vos affaires.

Il n'est pas besoin de vous prouver que celui qui, durant le cours de la belle saison, ne songerait qu'à ses plaisirs, qui lorsque le printemps, l'été, l'automne l'appellent dans ses champs, dans ses vignes, dans ses prairies, laisserait ses terres en friche attester sa négligence, ou remettrait le soin de ses récoltes et de ses semailles en d'autres mains, sans même présider à leurs travaux, il n'est pas besoin de vous prouver qu'un tel homme nuirait à ses intérêts, manquerait aux devoirs de son état. Mais, dira peut-être quelqu'un, en hiver, dans cette saison morte où la terre ne demande rien à l'homme et ne lui donne rien, quels sont donc ces devoirs que notre condition nous impose?

Mes Frères, cette saison que l'on nomme
morte, et les plus sages d'entre vous le savent mieux que moi, n'est morte que pour le paresseux. Outre que dans les beaux jours elle permet encore à l'homme divers travaux extérieurs, dans les jours même où le ciel et la terre s'enveloppent de frimas, elle ne vous force pas à demeurer oisifs. Elle ne diffère des autres saisons à cet égard que parce qu'elle vous appelle à des occupations plus sédentaires.

Voyez cet homme distingué par son activité, son esprit d'ordre, son industrie, par combien d'inventions heureuses il sait occuper ses momens! Peut être s'est-il formé de bonne heure à quelqu'un de ces arts utiles qui sont pour l'homme des champs une précieuse ressource, qui peuvent employer amuser ses loisirs, embellir sa vie en lui fournissant le moyen d'ajouter pour lui- même ou pour les siens divers agrémens, diverses commodités à sa demeure.
Il prend plaisir alors à les cultiver. Il aime faire alors ce qu'il a projeté, ce qu'il a regretté de ne pouvoir faire en d'autres temps. Ce sont des comptes à régler, des réparations nécessaires à l'entretien de sa maison, au bien-être de sa famille: ce sont des revues d'arrangement, de propreté, tous ces détails si chers aux amis de l'ordre.
Il s'occupe d'avance de soins relatifs à la saison suivante: il choisit les semences qu'il veut confier à ses champs; il revoit, prépare, perfectionne les instrumens qui doivent l'aider dans ses travaux. Ainsi le sage cultivateur imite pendant l'hiver la terre qui le nourrit. Elle ne produit rien au-dehors; elle semble morte et inféconde, mais elle travaille en secret dans ses retraites; elle prépare en silence les dons qu'elle veut nous faire; elle se dispose à produire de nouveau quand le ciel sera plus doux.

2.° A ces premiers devoirs d'état de vocation, joignons les devoirs plus saints qui naissent de nos relations domestiques.

Un inconvénient trop réel de la vie du cultivateur, c'est que les travaux extérieurs, dont la nécessité lui commande impérieusement, l'obligent à perdre de vue ses enfans durant plusieurs mois, le forcent souvent à les abandonner à eux-mêmes, au hasard des liaisons, des habitudes dangereuses qu'ils peuvent former, du moins ne lui permettent pas de leur donner ces soins particuliers et suivis qui peuvent seuls assurer le succès des leçons publiques.

Des parens sages et vertueux gémissent de cette négligence forcée; ils regardent l'hiver comme un moment précieux où ils vont être entièrement rendus à leur jeune famille. C'est alors qu'ils s'occupent de leurs enfans avec une vigilance attentive, qu'ils les étudient jusque dans leurs jeux, extirpent les défauts naissans, comme la main soigneuse du jardinier arrache les mauvaises plantes que l'espace d'un jour suffit pour faire germer.
C'est alors qu'ils s'attachent à développer leur intelligence, qu'ils s'efforcent de former leur jugement, d'orner leur mémoire par des conversations à leur portée, par des récits intéressans.
C'est alors qu'ils examinent les progrès qu'ils ont faits dans ces premiers arts qui sont les élémens de l'instruction et qu'on enseigne à nos enfans.

Voyez ce tendre père rassembler les siens autour de la flamme brillante de ses foyers. Il les fait lire tour-à-tour dans nos Saints Livres; il dirige leur main tremblante qui s'essaie à former des caractères. Comme ces enfans paraissent joyeux et fiers de l'attention et des encouragemens qu'il leur donne! Heureuse famille! Quels ne seront pas ses succès, en recevant ainsi dans la maison paternelle des soins tendres et soutenus! Quelle influence surtout n'aura pas sur leur conduite à venir cette attention à former leur esprit et leur coeur!

Considérez maintenant ce couple respectable remplissant des devoirs d'un autre genre et non moins intéressans. Ils s'empressent de soigner, d'embellir les derniers jours d'un père, d'une mère, âgés, infirmes, que la bonté du Ciel leur conserve. Ils les dédommagent pendant l'hiver de l'espèce de solitude et d'abandon où ils sont forcés de les laisser quelquefois durant l'été. Ils réjouissent leur vieillesse par d'agréables entretiens, de douces distractions. Ils charment leurs souffrances en rassemblant autour d'eux toutes les jouissances qui sont en leur pouvoir. Ils les charment surtout par le sentiment qui les anime, bien plus précieux et plus doux que ces jouissances. Ils cherchent à deviner ce qui leur plaît, ce qui leur convient. Ils s'efforcent de prolonger leurs jours, de ranimer leur existence par ces attentions, par ces tendres soins dont l'effet est plus sensible sur l'habitant des campagnes qui n'y est pas accoutumé.

3.° Portons maintenant nos pensées sur des devoirs plus sacrés encore, sur les devoirs religieux que l'hiver nous invite à remplir.

O Dieu! toi qui
nous envoies les pluies du Ciel et les saisons fertiles! (Act. XIV, 17) tu as voulu sans doute que nos campagnes retentissent sans cesse de l'hymne de la reconnaissance, que l'âme du cultivateur s'élevât sans cesse à toi. Mais, hélas! ingrats que nous sommes, ces bienfaits même que nous tenons de toi nous distraient de toi. Les soucis de la vie présente nous absorbent tout entiers; ils absorbent jusqu'aux momens que nous devons te consacrer.
Ce jour de repos, destiné à nous retirer de leurs illusions, n'est pas toujours respecté; et lors même qu'aucune oeuvre défendue n'en profane la sainteté, notre âme ne sait point se déprendre tout-à-coup des objets de la terre: la suspension des travaux ne peut arrêter soudain le cours de nos affections, de nos pensées, de nos désirs: voilà pourquoi, Seigneur, tu as voulu qu'il y eût un espace de temps prolongé, une saison toute entière de relâche et de recueillement.

Oui, mes Frères, l'hiver qui ramène dans les villes la dissipation et les plaisirs bruyans, l'hiver, par un heureux privilège, est pour l'habitant des campagnes un temps de calme et de retraite; il est pour lui comme un long jour de repos, comme un long sabbat où tout l'invite à se rapprocher de son Dieu.

C'est alors que la nature triste et dépouillée, le bruit des vents qu'il entend mugir autour de sa tranquille demeure, les glaces qui l'environnent, tout fait naître dans son âme les pensées sérieuses. C'est alors qu'il doit songer à la destinée de l'homme, qui n'est pas seulement de parcourir un cercle de travaux matériels, d'amasser quelques biens pour tout abandonner ensuite, mais de se préparer pour une meilleure existence.
C'est alors qu'il doit penser à la courte durée de la vie qui passe ainsi que l'herbe des champs; qui, comme l'année, commence par la saison de l'éclat et des fleurs, et se ferme comme elle par la froide saison de l'impuissance, mais qui, pour le serviteur fidèle, sera suivie d'un printemps éternel.
C'est alors que plus libre des soins de la terre qui nous y attachent trop naturellement, son coeur doit s'élever vers le Ciel: c'est alors qu'il a plus de loisir pour faire des lectures pieuses propres à ranimer dans son âme le goût de la dévotion, à l'instruire de la volonté de son Dieu, de la science du salut.
Le rassemblement de la famille, la tranquillité dont elle jouit, l'invite à faire en commun ces lectures, à goûter le plaisir de mêler ensemble leurs pensées, leurs sentimens, leurs voeux. C'est alors qu'aucun obstacle ne s'oppose plus à l'établissement d'un culte régulier, de ce culte domestique qui fait le plus doux lien des familles, qui semble consacrer, sanctifier nos demeures et les changer en autant de sanctuaires d'où chaque jour nos prières s'élèvent au Seigneur et font descendre sur nous ses bénédictions.
Que ces devoirs sont sacrés et touchans, mes chers Frères! Ne serait-ce pas être bien coupable, que de les négliger? Mais les négliger, ce n'est pas seulement se rendre coupable, c'est encore se rendre malheureux.

II. En effet, Chrétiens, ceux qui les perdent de vue, par quelle illusion, par quel dangereux penchants sont-ils séduits? La retraite, un travail paisible et sédentaire leur paraissent insipides: les veillées de l'hiver ont besoin pour eux d'être animées par une société vive et nombreuse; ils cherchent le bonheur hors de chez eux, au milieu de la foule, dans les distractions et les plaisirs.

Est-ce là qu'on le trouve, mes Frères? je vous le demande. Quoi! ce désir insensé de se fuir soi-même, de s'éloigner de ses proches, ce désir insensé de mouvement, de bruit; cette sécheresse de coeur que produit la dissipation; cette répugnance pour l'ordre, le calme, les pensées graves et douces de la foi, ce serait là le chemin du bonheur!

Mais encore, donnerez-vous le nom de bonheur à cette joie folle et tumultueuse où l'âme n'est pour rien? N'est- ce pas en nous-mêmes que nous pouvons goûter le bonheur? Et si les objets extérieurs nous le procurent, n'est-ce pas quand ils sont en rapport avec cette âme, la plus noble partie de nous- mêmes?

Ah! que de mécomptes pour les adorateurs du plaisir! Combien de fois se vérifie à leur égard cette maxime de nos Saints Livres:
même en riant le coeur est triste! (Prov, XV, 13) Le souvenir des obligations dont ils s'affranchissent, ou des embarras sur lesquels ils veulent s'étourdir, vient souvent les troubler. Si pour quelques momens ils réussissent à s'en distraire, ils y retombent après plus tristement. Avec quel ennui, quel dégoût peut-être ne rentrent-ils pas dans cette maison où ils n'ont pas voulu chercher la félicité!

Mais le vide, le mal-aise secret qu'ils éprouvent n'est pas leur seul châtiment. Une fois sortis du cercle fortuné des devoirs, ils en ressentiront de mille manières les funestes conséquences.

L'habitant des campagnes, ne peut prospérer, vous le savez, que par une attention constante à tous les détails de l'ordre et de l'économie: il faut qu'il maintienne l'équilibre entre sa dépense et son chétif revenu: il faut même qu'il ait quelque chose en réserve pour les temps fâcheux: il faut que, semblable à l'insecte qui file en secret jusqu'à ce qu'il ait achevé le tissu dont il s'enveloppe, il travaille sans relâche pour améliorer sa condition. Son existence peut être embellie par les charmes attaches à la simplicité des moeurs, par les affections domestiques, par le beau spectacle de la nature étalé sous ses yeux, surtout par la piété que ces tableaux enchanteurs doivent réveiller dans son âme; mais sa vie est toute composée de travaux, de soins, de devoirs. Hélas! que deviendra-t-il s'il s'en éloigne? On ne contrarie point impunément sa destination.

1° Et d'abord comment sa fortune n'en souffrirait-elle pas? Elle souffre doublement et par la négligence des occupations utiles qu'il abandonne et par les dépenses auxquelles il est engagé. Où ira-t-il pour satisfaire la passion qui l'entraîne? Sera-ce dans des maisons bien réglées, chez des familles honnêtes et laborieuses? Non, ce n'est point là qu'il serait bien reçu: la répétition de ses visites fatiguerait bientôt; il sera donc forcé de prendre pour compagnons ces êtres nuls et décriés qui font profession d'oisiveté, de débauche. Ainsi donc celui qui, durant l'hiver, ne sait point s'occuper dans sa demeure, sera naturellement conduit dans ces lieux funestes, théâtre des excès du vin, du jeu, des bruyantes querelles. Tandis que sa triste compagne s'efforce d'épargner, de ménager pour l'entretien de ses enfans, il consume dans une nuit, peut-être dans un moment, ce qui suffirait pour les nourrir plusieurs jours. Qui peut décider où s'arrêteront les conséquences d'une telle conduite?
Qui peut décider quel est, je ne dis pas seulement le péché, mais le désastre qui n'en sera pas la suite? Puissent les maux qu'un tel homme attire sur les siens leur servir de leçon! Puissent-ils ne pas se lasser, se décourager de remplir tout seuls des devoirs qu'il enfreint!

Mais que sera-ce, si, comme on peut le croire, l'exemple du chef entraîne à l'imiter ceux qui sont dans sa dépendance! si la femme à son tour veut chercher le plaisir et délaisse sa maison, sa maison au bien-être de laquelle l'oeil vigilant, et la main soigneuse de la mère de famille était si nécessaire! si les enfans,de leur côté, à meilleur titre, à ce qu'ils pensent, veulent courir de fête en fête!

Après les avoir corrompus par leur exemple, les parens n'auront plus le droit ni le pouvoir de les retenir par leur autorité. Une indulgence funeste sera la suite de leurs premiers torts. Chacun conservera dans la saison des beaux jours l'habitude du plaisir prise durant l'hiver. Le goût de l'ordre et du travail est perdu pour toujours: la chaîne du devoir est rompue pour cette famille malheureuse. Semblable à un navire où l'eau pénètre de tous côtés et qui ne tarde pas à s'abîmer dans les ondes, elle est près de périr.
Déjà les alarmes et les privations se font sentir; déjà la perspective de la détresse est devant leurs yeux, un nuage sombre s'étend sur leurs têtes. Célestes pensées d'une Providence qui veille sur notre sort, d'un Dieu qui éprouve ceux qu'il aime, les délivre
quand il en est temps (I. Pier., V, 6), ou les dédommage avec usure dans une meilleure existence! vous ne calmerez point, vous ne soutiendrez point ces infortunés; ils se sont dès long-temps éloignés du Seigneur; ils ont commencé par trouver insipides les exercices de la dévotion; ils ont fini par les craindre comme ennemis de leur repos. Le tendre Père des hommes, leur Créateur, leur Rédempteur est devenu pour eux un Dieu étranger, inconnu (Act., XVII, 23); leur coeur n'avait rien à lui dire dans les jours de la joie; en retour il ne dit rien à leur coeur dans ceux de la tristesse.

2.° Trouveront-ils au moins quelque ressource dans leur tendresse mutuelle? Leur tendresse mutuelle, mes Frères! Mais la chaîne du devoir n'est -elle pas aussi celle de la tendresse? n'est-ce pas elle qui unit les âmes? Il est trop vraisemblable qu'ils ne connaissent pas ces délices des affections domestiques dont le Créateur a mis la source dans notre âme, trésor qui peut tenir lieu de tout, consoler de tout, et dont le charme, comme celui de la piété, redouble dans les malheurs qu'on ne s'est point attirés.
Et comment, dans une telle famille, l'affection n'aurait-elle pas fait place à l'indifférence, à l'aigreur? Chacun d'eux, accoutumé à s'isoler, n'est ramené à s'occuper des autres que par un sentiment d'irritation pour les accuser de la ruine qui les menace.

Les époux se reprochent mutuellement leur inconduite; ils maudissent en secret, tout haut peut-être, l'heure de leur union; ils s'irritent des négligences et des fautes de leurs enfans; ils s'irritent parce que ces jeunes plantes auxquelles ils ont refusé la culture, ne portent que des fruits amers. Les enfans se plaignent qu'on a négligé leur éducation, dissipé leur patrimoine. Chacun, méconnaissant ses torts et seulement frappé de ceux des autres, cherche à rejeter sur eux le fardeau du malheur commun.

3.° Et si l'excès de ce malheur, dissipant les illusions de l'amour-propre, les force enfin de s'envisager eux-mêmes, en seront-ils plus heureux? Hélas! le père se voit par sa faute étranger à sa femme, à ses fils, sans considération dans sa famille. Lors même qu'ils se taisent, il croit lire le reproche dans leurs regards: il se dit qu'aucune larme ne coulera sur sa tombe, et que sa mort ne sera pas pour les siens une perte, mais un soulagement.

La mère est contrainte de s'avouer qu'avec une conduite opposée, elle eût pu ramener au devoir son époux: elle sent avec désespoir qu'elle n'a point mérité le respect de ceux qu'elle a mis au monde, qu'elle doit s'accuser elle seule de leur manque d'égards; elle prévoit qu'elle sera méprisée, peut-être abandonnée dans sa vieillesse.

Leurs enfans sont livrés comme à ce tourment que la mauvaise conduite ajoute à l'infortune.
La jeune fille aperçoit tes conséquences funestes de sa frivolité. Aucun de ceux qu'elle a vus s'empresser autour d'elle, ne l'a désirée pour compagne: sa vanité, sa passion pour le plaisir ont effrayé l'homme d'un état convenable au sien qui aurait pu la rendre heureuse. Peut-être se voit-elle flétrie dans l'opinion par la légèreté de sa conduite, et devenue un sujet de confusion pour ses proches.
Le jeune homme sent qu'il a perdu dans la dissipation les années où il pouvait se former aux habitudes précieuses de l'ordre et du travail: il n'a plus la force de les reprendre.
Ils sont en proie l'un et l'autre à cette angoisse d'une âme déréglée qui va toujours croissant, fait mourir l'espérance, ne produit que sombres pensées et présages sinistres: ils craignent que le Ciel ne ratifie les imprécations échappées des lèvres de leurs parens offensés. Une voix qui les glace de terreur leur crie que les torts de ces parens ne les déliaient point des devoirs qu'ils avaient à remplir envers eux, et que si jamais ils deviennent pères, ils seront punis par ceux qui leur devront la vie.

En est-ce assez, Chrétiens? Concevez-vous combien il est dangereux de s'écarter de l'ordre et de la règle? Concevez-vous jusqu'où peut mener ce goût de plaisir trop commun dans nos campagnes, et qui semble à ceux qui s'y livrent si légitime et si naturel?

Opposons, Chrétiens, à ces tableaux lugubres un tableau plus doux à contempler. Transportons-nous par la pensée dans cette maison dont tous les habitans vivent les uns pour les autres sous la garde du devoir et de la piété.

Après avoir travaillé dans les champs durant le printemps, l'été, l'automne, en bénissant le Dieu qui répand ses biens sur la terre, ils passent l'hiver sous le toit domestique dans la retraite, l'activité, l'union. Tout respire chez eux l'ordre, la paix, la tranquillité. Par un heureux contraste avec la plupart des hommes dont le caractère et la situation perdent à être approfondis, plus vous les considérez de près, plus ils vous intéressent, plus ils vous semblent fortunés. Diligens et calmes, ils ne sont jamais en retard sur aucun point; ils font régulièrement le travail de chaque saison, et chaque saison leur paie son tribut: l'hiver même, qui pour eux est la plus paisible, n'est pas celle qui leur apporte le moins de profit.
La sérénité se peint sur leur visage: le sentiment de leur affection mutuelle, le sentiment de la protection divine qui repose sur eux, leur donne une heureuse sécurité sur l'avenir, et leur fait supporter avec gaîté les peines du présent. L'hiver, qui paraît triste à ceux qui ne connaissent pas les charmes de la vie retirée, leur semble toujours trop court: c'est pour eux le moment où ils vivent plus ensemble, où leurs travaux divers ne les séparent plus. Le temps s'enfuit dans ces douces soirées où ils travaillent, où ils s'entretiennent ensemble, où ils lisent ensemble la parole du Seigneur: souvent, dans cette aimable réunion, ils laissent passer le moment du repos; ils sont surpris par le son des heures qui les avertit de se séparer.

Puissions-nous voir ce tableau, Chrétiens, se réaliser dans toutes nos familles! Puisse la saison qui commence vous faire goûter à tous les plaisirs que je viens de peindre!

O Dieu! qui nous as donné le désir d'être heureux, et qui as voulu que ce désir ne pût être satisfait que dans une vie bien réglée, remplie par des travaux et des devoirs, conforme à tes préceptes divins, conforme à l'esprit de l'Évangile, esprit d'ordre, de retraite, d'amour! donne à tous ceux qui m'écoutent de trouver le bonheur en suivant la route que tu nous as tracée! Source éternelle de paix et de félicité! donne-nous de nous approcher de toi toujours davantage, en devenant tes imitateurs, en te consacrant chaque saison de l'année, chaque jour, chaque heure de notre vie! Ainsi soit-il.

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