Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DISCOURS II


 Isaac était sorti aux champs pour prier. Genèse XXIV, 63.  


MES Frères; C'est ici la maison du Seigneur. C'est ici, c'est dans ces parvis que le Créateur et le Roi de l'univers a voulu recevoir l'hommage des peuples assemblés. Ces édifices religieux, la plus belle sans doute et la plus utile des institutions humaines, élèvent naturellement nos pensées vers le Dieu auquel ils furent consacrés. Ils nous rappellent le besoin que nous avons de son secours, et les promesses qu'il a faites à ceux qui l'invoquent au nom de Jésus. Ils nous rappellent la nécessité de nous humilier devant lui, de lui présenter en commun le tribut de nos louanges, de nos prières, de nos actions de grâces. Ils nous invitent à nous arracher aux soucis, aux occupations de la terre, pour entendre les oracles de la vérité, les leçons de la sagesse éternelle, et nous unir les uns aux autres par les liens de la même foi.

Cependant ce serait se tromper beaucoup, et pourtant quelle erreur plus commune ? ce serait se tromper beaucoup de penser que nos devoirs envers la Divinité se réduisent à ceux que nous lui rendons dans son temple. 
Hélas! elle se relâche bientôt cette relation, quand elle est la seule qu'on soutienne avec lui. Quand on ne sait prier le Seigneur que dans le sanctuaire, on cesse bientôt d'y venir, ou l'on n'y apporte que son corps, si je puis m'exprimer ainsi; on y vient d'une manière toute extérieure et machinale.

C'est le culte particulier qui nous prépare au culte public. Ce sont les douces habitudes de la piété qui nous  appellent dans l'assemble des Chrétiens et font pour nous son attrait. Nos demeures doivent être aussi des temples d'où nos voeux chaque jour montent comme un parfum vers le Ciel. 
Là, sont de petites sociétés qui doivent lui demander des faveurs plus particulières, ou lui rendre grâces après les avoir reçues.
Là, sont de petites sociétés qui, comme la grande société, s'unissent d'une manière plus tendre, en offrant au Très- Haut leurs hommages en commun. 

Je vais plus loin. Il est un culte de tous les instans, de tous les lieux, que nous devons aussi lui rendre. Ce culte consiste dans les mouvemens d'une âme qui s'élève à lui. En effet, Chrétiens; l'univers entier est un temple tout rempli de la majesté de son Auteur; mais c'est pour nous, mes Frères, c'est pour l'habitant des campagnes qu'il est décoré avec plus de pompe et de magnificence. Ah! c'est à nous sans doute, c'est à nous surtout qu'il appartient de lui rendre ce
culte intérieur et constant. Par un avantage aussi distingué que précieux, les objets sensibles, intermédiaires dangereux qui cachent le Seigneur à l'habitant des villes, les objets sensibles nous parlent de lui, nous appellent à lui.

Heureux l'homme qui se plaît à écouter cette voix de la nature!
Heureux l'homme qui sait réchauffer sa piété par le grand spectacle de la création!
Tel est l'exemple que nous donna notre divin Maître dont le délassement le plus doux, après ses fatigues, était de s'entretenir avec son Père sur la montagne. Ainsi les Patriarches invoquaient l'Éternel sous la voûte des Cieux et dans le silence des lieux écartés. Ainsi, dans notre texte, Isaac sortit
aux champs pour prier.

Et ne croyez pas, mes Frères, que par cette expression il faille entendre nécessairement une requête proprement dite, une suite de phrases ou de discours. Je ne le pense pas; c'est le bonheur de se sentir plus près de son Dieu, que le  Patriarche allait chercher dans les ravissans tableaux de la campagne. 
Ce n'est point la parole qui fait l'essence de la prière : il est une manière de prier plus intime et plus douce, plus simple et plus sublime. Un ami est auprès de son ami, un époux auprès de son épouse; même en se taisant, leurs coeurs se parlent et s'entendent; ils jouissent de la douceur d'être ensemble.  Ainsi le fidèle, même sans rien demander ou sans rien exprimer à son Dieu, le prie cependant. Il le voit; il le sent; il se repose dans son sein. 

S'approcher de Dieu par le coeur, sentir sa présence, voilà la véritable prière. Elle est à la portée de l'enfant dont les idées sont encore confuses, du vieillard dont les facultés s'affaiblissent. C'est cette prière qui nous unit réellement à Dieu. C'est cette prière à laquelle je voudrais vous former. C'est cette prière à laquelle notre position nous invite. Et voilà pourquoi, mes Frères, j'ai consacré ce discours à vous rappeler cette intéressante vérité. 
Puisse-je la graver bien avant dans vos coeurs! Puisse-je vous aider à prendre l'heureuse habitude de voir Dieu partout, de vous approcher de lui sans cesse! Ainsi soit-il! 
Isaac sortit..... Jamais, en effet, la dévotion n'est excitée plus vivement que dans la solitude de la campagne. Le silence et le calme de la nature; mille objets qui fixent nos regards et nous disposent à réfléchir sur la cause qui les a produits; un sentiment plein de douceur qui nous attache à les contempler; le rapport de ces objets avec notre bon heur, tout se réunit pour favoriser le recueillement, pour élever l'âme, pour nous conduire sans efforts et presque involontairement à l'Auteur suprême de toutes ces merveilles.

Et dans quel lieu nous formerions- nous une idée plus grande, plus juste de sa puissance, de sa sagesse, de sa bonté, qu'au milieu de ses oeuvres? 
Ou nous instruirions-nous mieux de ce que peut faire sa Providence, qu'en observant de près ce qu'elle fait tous les jours, ce qu'elle met, pour ainsi dire, à chaque instant sous nos yeux ?

Voyez cette étendue que votre oeil ne peut mesurer. Ne réveille-t-elle pas en vous l'idée de l'infini ? Considérez cette vaste ordonnance, cette harmonie qui ravit les sens et prépare l'âme à l'émotion; cette variété, cette richesse inépuisable dans les détails; cette grandeur simple et imposante dans l'ensemble; à ces traits, qui ne se trouvent pas dans les ouvrages humains, votre esprit reconnaît la Divinité. 

Cette impression confuse et délicieuse que vous éprouvez tient à l'idée de toutes ses perfections réunies; elle vous dispose à tous les sentimens qui lui sont dûs.
Les Cieux, dit le Psalmiste (Ps. XIX. 1. 4), les Cieux racontent la gloire du Dieu Fort; il n'est point en eux de langage, et cependant ils parlent à l'esprit et au coeur; ils ont une éloquence plus persuasive que tous nos discours, une force de démonstration plus convaincante que tous nos raisonnemens. Aussi St. Paul déclare (Rom. I, 20), que les perfections invisible de Dieu se voient comme à l'oeil..... quand on considère ses ouvrages.
Mais si un regard jeté sur l'univers est déjà si propre à réveiller en nous le sentiment de la présence du Créateur, que sera-ce, si nous considérons en détail les divers phénomènes que nous présente le spectacle de la nature? Il est sans doute des momens et des époques où l'impression que l'âme en reçoit devient plus pénétrante, où s'élèvent en nous plus fortement les réflexions qui nous rappellent à notre Dieu. 

Qui jamais, par exemple, contempla le lever du soleil, et n'a pas senti ce que je viens d'exprimer? Quel moment  lorsque ce globe d'or, s'élevant dans l'orbite des Cieux, vient ranimer par sa présence la nature silencieuse et décolorée! D'abord il brille seul, comme s'il était le seul Être qui existât; mais aux premiers regards qu'il jette sur nos campagnes,chaque objet se dessine, reprend sa forme et sa couleur : le feu de ses rayons pénètre jusque dans la sombre obscurité des forêts les plus épaisses.
L' univers, suivant la belle expression d'un grand poète, semble sortir du néant. Quel plus noble emblème de ce Dieu, source de toute grâce et de toute beauté, qui peut faire paraître, quand il lui plaît, les choses qui ne sont pas  (Héb. XI, 3), répand ses bienfaits de tous côtés sur toutes les créatures, et a qui seul appartiennent la gloire et l'éclat! Quel plus noble emblème de ce Dieu Créateur, Rédempteur, qui nous a donné deux fois l'être, et dans nos Livres Saints. prend lui-même le nom de Soleil de justice! 

Mes Frères, dans ces instans où la nature se réveille, où le murmure confus et les cris d'allégresse de tant d'êtres animés succèdent au calme le plus profond, n'entendez-vous pas une voix qui nous invite à joindre notre hommage à l'hommage universel, à faire monter jusqu'au Seigneur nos premières pensées, nos premiers sentimens, à lui consacrer ses forces qu'il renouvelle et ce jour qu'il nous rend!

Un prodige du même genre et non moins frappant s'opère au sortir de l'hiver. L'habitude qui émousse tout ne peut y rendre personne absolument insensible. Tout est sans vie : la terre glacée semble dormir du sommeil de la mort : les arbres et les plantes sont froids et desséchés comme les ossemens au fond des tombeaux. Tout-à-coup la voix du Souverain se fait entendre. Le soleil fait sentir à nos campagnes sa chaleur fécondante : elles se couvrent d'une tendre verdure; tout s'anime; les rameaux des arbres, et jusqu'aux plus faibles arbrisseaux, rougissent comme s'ils étaient sensibles au plaisir de renaître; par degrés ils poussent de timides boutons : le paysage se peint des premières couleurs; en peu de temps la décoration magique du printemps est achevée. 

Ah! dans ces premiers jours, dans ces beaux jours de Mai, où la terre est parée des mains de Dieu même pour les plaisirs de l'homme, où la moindre plante s'empresse à fleurir autour de lui, comme si elle était chargée de lui offrir un tribut de jouissance; dans ces beaux jours de Mai, où le bonheur est dans l'air qu'on respire, où les animaux, les oiseaux, les insectes répandus avec profusion dans l'espace, semblent jouir avec délices de l'existence, et célébrer dans leur langage la bonté du Tout-Puissant, o homme! toi, pour qui se déploie ce tableau ravissant, ne sentirais-tu pas ton coeur ému, pénétré de joie et de reconnaissance, pressé du besoin de s'élever au Conservateur, au Bienfaiteur de l'Univers? 
Disciple de Jésus! ne penserais-tu pas que tu peux attendre de plus grandes choses encore, que les bienfaits dont tu jouis sont pour toi les gages de l'emblème de bienfaits plus grands; que dans la renaissance de la nature tu dois voir l'image de ta propre renaissance, de cette régénération qui doit s'opérer en toi ici-bas, aussi bien que de cette résurrection, de ce rajeunissement éternel que nous a promis le Sauveur du genre humain ?

Quelque vives cependant que soient les impressions que fait sur nous cette première scène, il est une circonstance plus propre encore à nous élever à Dieu, une circonstance où il semble que le coeur le plus froid soit comme forcé de s'ouvrir à la reconnaissance : c'est celle des récoltes qu'amène pour nous l'été. Heureux momens où ces épis, qui faisaient la parure de nos champs, tombent sous la faucille, où nos campagnes  retentissent des accens de la joie, où le passant s'arrête involontairement pour la partager, où l'on voit le cultivateur conduire, comme en triomphe, ces chars surmontés de gerbes dorées, que les animaux qui le servent semblent fiers de traîner!
Qu'il serait criminel celui qui ne ferait pas monter alors ses actions de grâces jusqu'à l'Auteur de tout bien!

L'habitant des villes peut se faire quelque illusion sur la main qui le nourrit; il peut, considérant l'édifice de sa fortune, être tenté de dire comme Nabuchodonosor :
C'est la force de mon bras qui l'a élevé (Dan. IV, 30); c'est à l'étendue de mes projets que je le dois, c'est à l'habileté des moyens que j'ai mis en oeuvre. Mais vous, mes Frères, qui ne savez pas même comment le grain que vous mettez en terre peut germer dans son sein, pouvez-vous oublier que Paul plante Apollos arrose, que Dieu seul donne l'accroissement (I Cor. III, 6) Et lorsque l'abondance entre dans vos greniers devenus trop étroits pour la contenir; lorsque l'on, voit une partie des présens de l'été demeurer entassé dans vos prairies, n'offrirez- vous pas au Ciel quelque tribut dans la personne du pauvre ? Ne direz-vous pas : Seigneur nos biens ne peuvent monter jusqu'à toi, mais j'en ferai une part pour mes frères indigens, desquels tu as dit : Je regarderai comme fait à moi-même ce qu'on aura fait au plus petit d'entre eux (Math. XXV, 40) ? Et la vue de ces dons ne produira-t-elle point de retour sur notre indignité? 
La bonté de Dieu ne réveillera-t-elle point en nous ce mouvement de repentir que la générosité fait naître dans les coeurs sensibles? Quel est-il, en effet, ce Dieu qui nous comble de biens ? 

C'est un Dieu que nous avons  offensé mille fois, que nous offensons tous les jours. L'homme est toujours rebelle envers lui; il est toujours bon envers l'homme. C'est peu que la terre continue de porter cet ingrat. Il ordonne aux saisons de lui payer un tribut régulier; le fruit succède à la fleur; jamais, malgré les temps les plus contraires, les récoltes de première nécessité ne manquent absolument; jamais, depuis près de six mille ans, le printemps, l'été, l'automne, l'hiver n'ont cessé de se succéder pour nous, et de paraître en leur rang. 
Hélas! tandis que nos bons mouvemens s'évanouissent
comme la rosée, que nos projets d'amendement sont comme une plante qui n'a point de racine; tandis que nous sommes toujours infidèles à notre Dieu, il ne se laisse point sans témoignage envers nous en nous faisant du bien (Act. XIV, 17). Mais si ce Dieu tout bon se plaît à nous faire sentir sa présence par les bienfaits qu'il répand, c'est quelquefois aussi par les coups dont il nous frappe qu'il en réveille l'idée dans nos âmes. 

Les biens et les maux nous viennent directement de lui (Lament de Jérémie, III, 38); l'Éternel l'a donné, l'Éternel l'a ôté (Job 1, 21). Voilà, dans les uns et les autres, le langage qui nous convient particulièrement. Lorsque, pour nous rappeler à lui par la crainte de ses jugemens, il cesse d'envoyer sur nos champs les rosées du Ciel et les pluies de la première et de la dernière saison (Jacq. V, 7), dans ces tristes jours de sécheresse, où la terre n'est plus qu'une poussière morte et inféconde, où les animaux altérés et languissans, les arbrisseaux desséchés, les arbres dépouillés de feuilles, les prairies consumées comme par le feu, annoncent de concert la désolation de la nature, ne  vous semble-t-il pas entendre cette voix : Éternel, caches-tu ta face, tes créatures sont troublées; retires-tu ton souffle, elles défaillent et rentrent dans la poussière (Ps. CIV, 29)! Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu (I Pier. V, 6). 

Comment l'homme, quelque présomptueux qu'il soit, se soustrairait-il alors au sentiment, à l'aveu de sa dépendance? Pressera-t-il les nuées dans sa main pour en faire distiller la pluie? L'achètera-t-il au prix de l'or? Mais tout l'or du monde ne peut faire couler de la rosée dans le calice d'une seule fleur. Tous les potentats réunis, tous ces monarques qui peuvent armer des millions d'hommes et verser des torrens de sang, ne sauraient faire tomber du Ciel une goutte d'eau. Et dans ces momens cruels où le cultivateur voit des nuages rembrunis s'amonceler sur sa tête, un jour sombre, effrayant, se répandre tout-à-coup sur la  nature; lorsque le bruit sinistre, le roulement du tonnerre lui présagent cette grêle, fléau si redouté dans nos campagnes, à qui s'adressera-t-il dans ses alarmes?
A qui demandera-t-il du secours? Immobile sur le seuil de sa demeure, n'est-ce pas vers le Ciel qu'il lève ses yeux? S'il est frappé, peut- il méconnaître la main d'où part le trait? N'est- il pas forcé de dire :
C'est toi qui l'as fait (Ps. XXXIX, 10)
S'il est épargné, s'il voit l'orage se dissiper en pluie, sa bouche ne doit-elle pas s'ouvrir d'elle-même pour prononcer ces paroles? L'Éternel soit béni! (
Job I, 21). 

Mais encore le moment qui va suivre n'est-il pas bien fait pour exciter dans son âme les émotions de la piété? Il parcourt ses domaines pour s'assurer qu'ils n'ont point souffert. L'air est devenu calme; les plantes, les fleurs relèvent leur tête; les oiseaux rassurés recommencent leurs concerts : tout annonce  que la Divinité est apaisée; il voit ce bel arc où se jouent les rayons du soleil, briller de mille couleurs, ce bel arc qui fut le gage du premier traité que le Très-Haut fit avec l'homme déchu. 

Comment ne se rappellerait-il pas la promesse consolante que le Seigneur y daigna joindre? Comment ne bénirait-il pas au fond de son coeur ce Dieu qui s'est souvenu dans tous les temps, qui se souviendra toujours d'avoir compassion, et qui voulut associer le doux sentiment de l'espérance à l'un des plus délicieux phénomènes de la nature?

Que dirai-je enfin? La dernière saison de l'année, l'automne, est celle qui nous offre à la fois plus de biens, et nous invite plus fortement aux réflexions salutaires. La campagne alors semble s'épuiser pour les besoins de l'homme. Pour lui mûrissent ces grappes, couleur d'or ou de pourpre, qui donnent une liqueur fortifiante: pour lui distillent l'huile et le miel: pour lui les arbres se dépouillent de leurs fruits colorés. La terre lui offre une seconde moisson; elle l'appelle à tirer de son sein ces racines précieuses qui, mieux que tout autre aliment, peuvent suppléer à la disette du grain. Mais en même temps que toutes ces richesses le pressent de bénir l'Auteur de son être, quelque chose de sérieux semble se mêler à sa joie, car c'est le dernier tribut que lui paie l'année. Le soleil, qui perd sa force et sa vigueur en signalant les approches de l'hiver, lui présage aussi cette froide vieillesse qui doit bientôt peut-être ralentir le cours de son sang. S'il jette ses regards sur le paysage décoloré, les changemens qu'il aperçoit l'avertissent de ceux que le temps opère en lui; le sifflement des vents, le bruit mélancolique des feuilles tombantes, sont comme les accens du tombeau qui l'appelle; et ces biens même qu'il place en réserve pour la saison morte, ne lui disent-ils pas assez de faire aussi provision de bonnes oeuvres, pour le temps où il ne pourra plus travailler, de mettre de l'huile dans sa lampe pour la nuit qui s'avance, pour le moment solennel où viendra l'époux? Je pourrais multiplier ces détails; mais il est temps de nous arrêter et de conclure ce discours. 

Il me semble, mes Frères, qu'on ne peut réfléchir sur les secours que la vie champêtre offre à la piété, sans être pénétré d'admiration pour les vues sages et profondes du Créateur. En nous donnant un goût naturel pour ce genre de vie, il a voulu sans doute nous attirer à lui par un de nos penchans les plus doux.

Hélas! combien de fois nous trompons ses vues bienfaisantes, nous séparons ce qu'il voulut unir! A travers la distraction des plaisirs et des affaires, ce penchant conserve son empire sur la plupart des hommes: ceux même que leur position condamne à ne jamais habiter les champs, se plaisent à venir quelquefois y respirer un air plus pur; on les voit dans les beaux jours sortir des murs qui les enferment et se répandre avec empressement dans nos campagnes; mais est-ce toujours pour adorer le Dieu qui les a décorées? Est-ce, comme Isaac,
pour prier ?

Il en est sans doute qui se joignent à notre dévotion, et l'animent par leur exemple; mais combien d'autres ne songent qu'à se livrer à une joie folle et bruyante! Combien qui ne craignent pas de profaner nos jours saints et nos fêtes solennelles, qui viennent insulter au Tout-Puissant au milieu de ses ouvrages! &emdash; En de telles occasions, mes Frères, songez qu'il ne vous est pas permis de vous borner à ressentir une douleur stérile: arrêtez les profanateurs; réprimez-les de toutes vos forces; opposez- leur tous les obstacles qui sont en votre pouvoir, surtout faites-les rougir par le spectacle de votre piété. Vous seriez plus coupables qu'eux; vous sans cesse entourés de la gloire du Très-Haut, vous seriez bien plus coupables; s'il cessait d'être présent à votre coeur.

Que ces hommes grossiers, comme il en est ailleurs, qui, cultivant le sein de la terre, ne savent pas même lever les yeux pour admirer le soleil levant, qui ne les arrêtèrent jamais avec ravissement le soir sur ces magnifiques couleurs dont il peint la chaîne des montagnes; que de tels hommes n'entendent pas la voix des cieux et de la terre qui proclament leur Auteur; que le spectacle de la nature ne les élève point à lui: ils sont des objets de pitié plutôt que d'indignation. Mais, vous, qui avez reçu plus d'intelligence et de sensibilité! vous, dont les facultés sont développées par l'instruction qu'on reçoit dans nos villages! vous, à qui il a été donné d'admirer les merveilles de la création! songez que si vous les admiriez sans en être émus, si vous les admiriez sans fruit, si vous sortiez aux champs non pour prier, mais pour mal faire, pour vous éloigner de la maison du Seigneur, vous appelleriez un jugement rigoureux sur votre tête. 
Ah! que la piété, si bien faite pour l'habitant des campagnes, vienne se réfugier parmi nous comme dans un asile! qu'elle vienne nous consoler de ces désordres, de ces excès dont la terre fut s i long-temps le théâtre, et que nous entendions réciter avec effroi! qu'elle vienne parmi nous conserver, rétablir la dignité de la nature humaine déshonorée par tant de forfaits!

Eh! quel être plus intéressant, plus respectable que l'homme des champs, lorsque, remplissant sa vocation naturelle, il forme avec le Seigneur cette intime relation à laquelle il est si fortement invité! C'est a lui que s'applique véritablement et d'une façon toute particulière cette belle expression; que
l'homme est le pontife du superbe temple de l'univers. Quel noble caractère le sentiment habituel de la présence du Très-Haut imprime sur son front! Quelle gravité assaisonnée du sel de la sagesse dans ses discours! Quelle consolation pour ses peines! Quel charme ajouté à ses innocens plaisirs! Quelle douceur dans sa disposition constante!

O enchantement de l'idée de Dieu et de la contemplation de la nature! croyez-moi, mes Frères, il n'est rien qui s'allie si délicieusement que l'impression de ces deux objets. La contemplation de la nature rend plus vive et plus sensible l'idée de Dieu, et l'idée de Dieu anime, embellit le spectacle de la nature: le coeur est alors comme inondé d'une volupté céleste; il conçoit, il savoure d'avance le bonheur des élus; il conserve le calme au sein de l'épreuve; dans les saisons contraires, dans les rigueurs de l'adversité, dans toutes les situations de la vie, il adore la volonté de son Dieu.

Prenez-la donc, Chrétiens, cette heureuse habitude de prier aux champs comme Isaac, de vous élever au Seigneur dans toutes les occasions, dans tous les  instans. Que l'idée de Dieu vous suive dans vos guérets et dans vos prairies: qu'elle vous accompagne lorsque vous allez au travail, lorsque vous en revenez; bientôt elle se réveillera d'elle-même dans votre âme, et vos yeux ne seront jamais frappés des oeuvres du Créateur sans que votre âme s'unisse à lui.
Mes chers Frères, vous dont le bonheur, vous dont les intérêts éternels font et feront toujours l'objet constant de ma sollicitude! si je pouvais, si je pouvais réussir a vous faire prendre l'heureuse habitude de vous élever au Seigneur, ce serait assez; je n'aurais plus besoin de vous adresser d'autre exhortation; ce serait assez pour régler vos actions, vos discours, vos pensées, tous les mouvemens de votre coeur. Vous ne viendriez plus dans ce temple m' entendre, en retraçant vos devoirs, vous reprocher quelquefois de les avoir négligés. Vous y viendriez pour donner l'essor à votre piété, pour offrir au Très-Haut, suivant les divers événemens de l'année, le tribut de la résignation ou de la gratitude. Je ne monterais dans cette chaire que pour lui présenter vos voeux, pour être l'heureux organe de votre ferveur, de votre amour. Nos exercices de piété ne se raient plus que l'effusion, la vive et touchante effusion de coeurs reconnaissans et soumis. 

O Dieu puissant et bon! dont tout nous entretient, que nous entrions enfin dans tes vues! que nous profitions des secours que ta bonté nous présente pour nous élever à toi! Grand Dieu! dont la majesté nous environne! que nous te voyions partout! que nous te voyions toujours! alors ces campagnes que tu as favorisées de tant de grâces seront vraiment l'image de cet Éden, où le plus beau privilège de l'homme innocent était de communiquer sans cesse avec loi.
Amen. Amen.

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