Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

AVERTISSEMENT DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

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Ces discours, faits pour une paroisse de la campagne, conviennent principalement à des cultivateurs. C'est en quelque sorte un abrégé de morale à leur usage et à leur portée. Appelé à leur prêcher l'Évangile, je devais y puiser de préférence les instructions qui leur étaient propres; je devais m'appliquer surtout à leur faire aimer leur état, à leur en indiquer les écueils, les obligations, et le moyen d'y trouver le bonheur.

Le déclin de mes forces m'ayant obligé de remettre en de meilleures mains cette paroisse chérie, j'ai désiré que mes derniers jours ne lui fussent pas entièrement inutiles, et je viens lui payer une dette dont je me croyais encore chargé. Voilà le motif qui m'a déterminé à publier ces discours, que mon ancien troupeau recevra sans doute avec une prévention favorable, mais qui, en eux-mêmes, sont peu dignes de l'attention publique. Si ce petit ouvrage, malgré ses défauts, et ce qu'il a de particulier à mon Église, est accueilli avec indulgence; si l'on juge qu'il peut être mis avec quelque fruit dans les mains de l'habitant des campagnes, qu'il peut contribuer, avec le secours de la grâce divine, à le rendre meilleur et plus content de son sort, j'en bénirai Dieu, et je n'hésiterai plus à mettre au jour des sermons d'un autre genre, qu'on me demande depuis longtemps, des sermons faits pour les Chrétiens de toutes les classes et sur les sujets les plus importans de notre sainte Religion.

 



Aux habitants de la paroisse de Satigny

MES TRÈS-CHERS FRÈRES EN JÉSUS-CHRIST NOTRE SEIGNEUR!

Vous recevrez, je l'espère, avec quelque intérêt ces discours simples et familiers qui vous rappelleront votre ancien Pasteur, et qui font partie des instructions qu'il vous donna; c'est le dernier legs de sa tendresse.
Ce qu'il attend de vous, ce qu'il vous demande à son tour, c'est de lire avec recueillement et docilité ses dernières exhortations; c'est d'ouvrir vos coeurs à ces préceptes divins, à cette loi du Seigneur qu'il eut tant de plaisir à faire entendre, qu'il vous annoncera même après sa mort, et, en quelque sorte, du fond de sa tombe. 

Je joins à ces discours deux prières pour le culte que vous devez rendre à Dieu, soir et matin, dans vos maisons; pour ce culte si précieux, si propre à vous éclairer, à vous sanctifier, à vous consoler, à faire descendre sur vous toutes les bénédictions du Ciel.
Veuille l'Auteur de tout bien agréer les prières que je ne cesserai jamais de lui présenter en votre faveur! Qu'il vous bénisse! Qu'il daigne faire servir ces instructions évangéliques à votre bonheur présent et au salut de vos âmes.

Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu et la communication du Saint- Esprit soient avec vous tous ( 2 Cor., XIII, 13 )! Amen.




PREMIER DISCOURS

Le Cultivateur.

Dieu mit l'homme dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder. Genèse II,15.


Ainsi, mes Frères, la vie champêtre, fut la première destination de l'homme, et les travaux qu'elle demande furent ses premiers plaisirs. Il semble que le  Dieu qui venait de lui donner l'existence ne vit rien de plus propre à le rendre heureux. Il le fut en effet : tous les peuples ont gardé le souvenir de ces anciens temps; ils en ont tracé, sous le nom d'âge d'or, ces délicieuses peintures qui, nous offrant l'assemblage de la simplicité  des moeurs et de l'innocence de la vie, en réveillent le goût chez les hommes même les plus éloignés de la nature.

Mais, il faut l'avouer, ces beaux jours sont loin de nous.... Cependant, Chrétiens, ne nous reste-t-il rien de cette félicité première ? N'est-il aucun moyen de la goûter encore à quelque degré? Voilà ce que je viens examiner avec vous. C'est une grande règle de la sagesse de chercher dans son état, dans sa condition le bonheur ou les consolations qu'on y peut trouver. Vous serez, je m'assure, disposés à nous écouter sur cet intéressant sujet. Puissent nos réflexions vous faire aimer toujours davantage et la situation où Dieu vous a placés et les vertus qui peuvent l'embellir! Amen. 

Dans tous les temps on a célébré le bonheur de l'habitant des campagnes. Est-ce l'effet de la prévention ? Ceux qui le vantent oublient-ils les peines inséparables  de cet état? Prennent-ils dans leur imagination les couleurs dont ils l'embellissent? Si l'homme et la nature n'avaient pas changé depuis cette époque dont parle mon texte, où Dieu plaça notre premier père dans le jardin d'Eden pour le cultiver, la question seroit décidée par le choix que fit pour lui le Créateur. Mais Adam, doué d'une jeunesse éternelle, cultivait une terre neuve et féconde : il ne connaissait ni l'épuisement des forces, ni les travaux accablans, ni les maladies, ni ces fléaux qui se promènent sur la terre, ni cette guerre que font à l'homme tant d'animaux qui, par force ou par ruse, cherchent à lui ravir sa subsistance, ni toutes ces chances funestes qui peuvent tromper notre espoir. Depuis la chute de l'homme, quelles que soient et les facultés dont il est enrichi et les beautés dont la terre est encore embellie, l'un et l'autre cependant portent l'empreinte de la justice céleste; ils portent  la cicatrice de sa foudre. 
Ces mêmes travaux qui doivent faire son bonheur, lui sont imposés comme un châtiment :
Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage (Genèse, III, 19).

Tout cela est certain, mes Frères : mais il n'en est pas moins vrai que la vie champêtre conserve pour nous un attrait propre à nous rappeler qu'elle fut notre première vocation. Cet attrait fait principalement sentir sa puissance à ceux dont l'imagination est plus belle, plus sensible; dont l'âme est plus simple et plus pure; mais il n'est personne qui ne l'éprouve du plus au moins. Qui vit jamais avec indifférence dépouiller une vigne chargée de fruits, lier en gerbes les épis d'un beau champ, ou faucher l'herbe odorante des prairies? Indépendamment de ce charme attaché par la sagesse suprême aux travaux de la campagne, l'état du cultivateur  réunit plusieurs avantages qu'on ne peut lui disputer. 
Ses richesses sont les plus vraies; sa propriété est la plus sûre de toutes: il ne dépend point, comme l'artisan et le négociant, du caprice de la mode : il dépend moins qu'eux des guerres qui divisent les nations; et quoique les circonstances puissent augmenter, diminuer la valeur de ses champs, de ses denrées, les uns et les autres n'en conservent pas moins une valeur réelle qui tient à la nature des choses. 

Sous le gouvernement même le plus tyrannique, le cultivateur demeure plus libre que l'habitant des villes; il se console, il se distrait par le travail; il se soumet aux fléaux politiques comme à la grêle, à l'orage; et la foudre qui tombe sur les palais des grands, épargne d'ordinaire son humble toit. L'emploi qu'il fait de ses forces est le moyen, non le plus court sans doute, mais le plus facile, le plus légitime de pourvoir à ses besoins, ou d'augmenter ses revenus. Tandis que  les autres manières d'acquérir sont si souvent dangereuses ou criminelles, il est doux de pouvoir se dire : Je ne dois ma subsistance qu'aux bienfaits de la nature; je ne m'enrichis aux dépens de personne. Ses travaux sont les plus nécessaires à la société; les productions qu'il multiplie sont le premier aliment de l'homme; ils font la richesse et la prospérité des empires. Dans quelque rang que l'opinion le place, cette idée doit remplir son coeur d'une satisfaction pure et d'une juste fierté. 

Observons encore que ses travaux fortifient le tempérament, prolongent l'âge de la vigueur et favorisent la santé, non moins que l'air qu'il respire, cet air balsamique et pur que les malades viennent chercher, comme le remède le plus efficace et le plus doux. Le cultivateur peut mieux qu'un autre jouir de la tranquillité de l'esprit, loin de cette atmosphère agitée qui semble entourer les villes, loin de ces scènes orageuses dont elles sont  trop souvent le théâtre. 
Vous le savez, mes chers Frères; combien de fois n'avons- nous pas vu ceux qui les habitent, durant les tourmentes des révolutions, se retirer dans nos hameaux comme dans un asile, retrouver au milieu de nous le calme de l'âme et des sens! Les passions qui fermentent dans ces murs, où sont entassés tant d'individus, tant d'oisifs, et qui trop souvent emportent l'homme loin de lui malgré lui-même, s'adoucissent dans les champs; elles trouvent peu d'alimens chez des hommes épars, à qui leurs travaux ne laissent pas de temps à perdre en discussions inutiles- Les dissensions sont plus rares chez eux; la jalousie même se change en une émulation louable; le succès de l'un n'est point un obstacle au succès de l'autre; on aime à se communiquer mutuellement ses observations, à instruire ses voisins, ses proches, à s'instruire auprès d'eux. 

Quel avantage encore pour le cultivateur dans l'affranchissement de toutes ces gênes de société, qui font un pénible esclavage; dont la contrainte s'étend sur les habits, sur la démarche, sur les paroles, sur les actions, sur tous les mouvemens; dans l'affranchissement de ces minutieux devoirs de société plus sévères, plus rigoureusement exigés que ceux de la morale!
Libre de toutes ces entraves, à l'abri de la persécution des importuns, maître d'employer à son gré sa journée, il possède toute l'indépendance que lui permet la nature, et que l'on peut goûter sans retourner à l'état sauvage. 

Quel art, enfin, que cet art qu'il exerce au milieu des plus belles scènes de la création, et sous cette voûte céleste où resplendit la gloire du Très-Haut! Quel art que celui qui l'invite à jouir tous les jours du spectacle de la nature, de cette nature toujours belle, toujours grande dans tous les temps, dans toutes les saisons, soit qu'un vent doux et léger  anime et féconde la terre, soit que l'orage la bouleverse et paraisse confondre les élémens; soit que le soleil étincelle sur une plaine de neige qu'il paraît semer de diamans, ou que le printemps revête sa fraîche et tendre parure; soit que l'été entremêle par l'or des moissons le vert de nos prairies, ou que l'automne, après avoir peint les feuilles de mille couleurs, les fasse tomber à nos pieds comme pour nous présager notre décadence.
Ces tableaux que chaque instant déploie à vos regards, sont bien plus variés et plus magnifiques que ceux qu'on achète à grand prix et qui décorent les palais des rois : leur effet ne se borne pas à exciter une admiration stérile : ils parlent au coeur le plus touchant langage; ils y font naître le recueillement, l'émotion, et par un charme secret l'élèvent jusqu'au grand Être qui forma toutes ces choses. 

Mais, quels que soient ces avantages, ils ne font pas nécessairement le bonheur  de l'habitant des campagnes; il faut savoir en jouir, les apprécier; il faut en tirer le fruit de salut qu'ils sont destinés à produire; il faut posséder les vertus qui leur sont assorties.

Examinons, Chrétiens, quelles sont ces vertus; et que les hommes mécontens de leur sort, car en tous lieux, hélas! il est des coeurs qui murmurent, se demandent avec impartialité si leur malheur ne vient pas surtout de ce qu'ils ne les ont pas. 

La première de ces vertus, c'est la simplicité. Simplicité de l'esprit, simplicité du coeur, simplicité dans toute la conduite. Je dis simplicité de l'esprit : et ne croyez pas, mes Frères, que j'entende par-là cette crédulité qui donnerait sur vous de l'avantage à ceux qui veulent vous surprendre. C'est un abus d'entendre ainsi le mot de simplicité. La véritable simplicité est opposée, non pas à l'instruction, au discernement, qualités si nécessaires à l'homme et au Chrétien, mais aux prétentions, à la vanité, à l'orgueil qui nous cachent la vérité. C'est la modération, la modestie, l'amour du vrai appliqués aux objets de raisonnement.

L'homme doué de cette heureuse disposition, évite ces recherches dangereuses qui mettent en péril la raison et la foi; il ne se pique pas de tout comprendre, de raisonner sur tout; il con naît les bornes de l'intelligence humaine et sait qu'on se perd dès qu'on veut les franchir. Il ne s'attache pas dans ses conversations à disputer, à briller, mais à parler comme il sied à l'honnête homme, au disciple de Jésus, suivant cette exhortation d'un Apôtre :
Que tous vos discours soient propres à édifier, afin qu'ils communiquent la grâce à ceux qui vous écoutent (Éphés., IV, 29). Il ne veut apprendre enlisant que ce qu'il doit savoir; il n'oublie pas que pour ceux qui n'ont que peu de temps à donner à la lecture,  il est mille fois plus essentiel de bien choisir : il cherche à s'instruire uniquement des vérités à sa portée, des vérités utiles au bonheur, à la vertu : il aime à les puiser dans leur véritable source; il aime à les étudier dans cette loi claire et parfaite qui donne la sagesse au simple (Ps. XIX., 8). 

Ainsi la simplicité conduit à la sagesse : loin d'être ennemie des clartés véritables, elle les répand dans notre âme; elle la garantit des ténèbres et des égaremens de la présomption. Elle est l'ornement d'un beau naturel, la gardienne de cet heureux instinct, de ce bon sens inestimable qui vaut mille fois mieux que l'esprit. Ah! ne la perdez jamais cette précieuse simplicité. Elle vous servira pour la terre aussi bien que pour le Ciel. Elle protégera votre vie en vous inspirant de vous-mêmes une salutaire défiance, en vous faisant chercher d'utiles conseils et recourir dans vos affaires, dans vos embarras, aux hommes éclairés et bien faisans qui vous entourent. Elle vous préservera des entreprises téméraires, des projets ruineux. Elle éloignera de vous tous les écueils. Vous lui devrez de conserver dans toute sa pureté cet esprit droit, ce jugement sain qui vous dédommage richement des vaines con naissances que vos occupations ne vous permettent pas d'acquérir.

Simplicité du coeur, droiture, sincérité, bonne foi, candeur; aimables vertus qui doivent distinguer éminemment l'habitant des campagnes. Ce sont elles qui font trouver du charme dans ses entretiens, donnent une grâce naïve à son hospitalité; et aux témoignages de son affection, cette expression touchante dont le coeur est ému. Ce sont elles, mes chers Frères, qu'on attend de vous. Comme la douceur est l'apanage de la femme, le courage celui de l'homme, et que les vices opposés sont chez eux plus révoltans, ainsi, parmi vous, la dissimulation, la mauvaise foi auraient quelque chose de monstrueux et de contre nature. 

Enfin, mes Frères,
simplicité des goûts, simplicité dans les moeurs, dans les vêtemens, dans les alimens, dans les plaisirs, dans toute la vie. Voir votre sort s'améliorer ferait ma plus douce joie. Puissent la propreté, la décence, le bien-être, une douce aisance embellir vos demeures. 
Hélas! que cet espoir est loin de nous! Mais, dans cette supposition même, je vous dirais encore : 
Craignez tout ce qui vous ferait sortir de votre état. 
Craignez le luxe et ses dangereuses nouveautés inconnues à vos pères. 
Craignez le, comme votre ennemi le plus cruel. 
Il substitue la gène et le tourment des désirs au contentement que l'aisance devrait produire. C'est un ulcère dévorant qui consume par degrés, et amène bientôt la mort. 

Dans une situation qui vous rapproche de la nature, il faut, pour être heureux, avoir des goûts simples comme elle. La Providence, en vous y plaçant, voulut borner vos besoins et vos désirs; le luxe et l'ambition qui les étendraient sans cesse, tromperaient ses vues sages et bienfaisantes; avec de grands revenus vous vous trouveriez pauvres encore, et que serait-ce avec vos revenus bornés et chétifs? Les travaux forcés, les expédiens funestes, l'inquiétude, la dépendance, la détresse, la ruine, telle serait la suite nécessaire de cette disproportion fatale entre vos habitudes et vos moyens. 
Heureux donc celui qui garde avec un soin religieux, et fait régner dans sa maison la simplicité de ses ancêtres, qui met sa gloire à vivre comme ils ont vécu, dont la seule ambition est de fertiliser ses domaines pour les transmettre à ses enfans avec une valeur nouvelle!

Heureux celui qui lorsque la Providence, bénissant ses travaux, l'enrichit du fruit de ses mains, ne veut se distinguer que par des aumônes plus abondantes, et ne forme pour lui-même que des désirs innocens qu'il peut aisément satisfaire. C'est à lui qu'appartient la gaîté, cette gaîté franche et véritable qui se trouve surtout au village. 
A la fin de chaque journée, il se couche content; le matin, il retourne avec plaisir a ses occupations; il meurt enfin aussi tranquillement qu'il a vécu, car une vie calme et simple a cela de remarquable, qu'elle passe avec douceur et qu'on la quitte sans effort. 

2.° Une seconde disposition nécessaire au bonheur de la vie champêtre, c'est l'amour du travail. La terre est une mine qu'il faut creuser profondément pour en tirer tous les biens qu'elle renferme. Elle ne refuse jamais à l'homme ses richesses, mais il faut les arracher; ses dons sont toujours proportionnés à l'ardeur avec laquelle on la cultive, et, pour ainsi dite, à la violence qu'on lui fait.

C'est cette vérité que les anciens ont voulu nous enseigner par un apologue ingénieux. Un père, au lit de la mort, raconte un de leurs plus célèbres poètes, tient ce discours à ses fils rassembles : 
Un trésor est caché dans mon champ; si vous cherchez avec persévérance, vous le trouverez. Après les premiers jours donnés à la douleur, les enfans, l'imagination remplie de cet avis, remuent, renversent le champ précieux avec une ardeur infatigable : ils n'y trouvent point l'or qu'ils attendaient; mais la terre fécondée par leurs bras produit des récoltes abondantes. C'était le trésor désigné par leur père.

La main du diligent l'enrichit, dit Salomon (Prov. X, 4). Cela est vrai, surtout du cultivateur. Fût-il né dans la misère, s'il est laborieux, il saura s'en affranchir, se faire une existence honorable, indépendante. A-t- il reçu quelque héritage de ses pères ? on le verra prospérer  entre ses mains. Tandis qu'on ne peut considérer sans tristesse la propriété du paresseux qui laisse croître les chardons, les orties y et tomber en ruine ses cloisons ( Prov. XXIV,  31), l'oeil se repose avec plaisir sur le domaine de l'homme actif, industrieux; on le reconnaît du premier regard; ses champs sont mieux cultivés, ses vergers mieux enclos; il semble qu'une sève plus énergique, qu'une végétation plus puissante fasse fructifier tout ce qu'il possède. C'est l'amour du travail encore qui préserve l'homme des écueils les plus à craindre dans nos villages, des jeux, des querelles, des pernicieux conseils de la misère. C'est lui qui le retient loin de ces lieux funestes où tant d'infortunés vont perdre dans le vin leur santé, leur raison, le bonheur et la subsistance de leurs familles. C'est le travail, sauve-garde des moeurs, qui le sépare des compagnies dangereuses, maintient  ses passions dans le calme, et les garantit de cette activité funeste que leur donne l'oisiveté. Il tient par une liaison secrète à cet amour de l'ordre et de la règle qui nous rend fidèles à tous nos devoirs.

Indépendamment de tous ces avantages, le travail par lui-même est une source de joie.
Dieu plaça notre premier père dans Éden pour le cultiver. Adam heureux devait travailler; il devait travailler pour être heureux. Que de réflexions ce seul mot fait naître! Je ne m'y arrêterai point; mais je vous dirai que c'est encore ici que nous retrouvons en nous dans toute sa force le sentiment de notre destination. Le travail est pour l'homme, en effet, la distraction la plus puissante et la plus douce : il charme ce mal-aise, que nous appelons ennui, qui se mêle à notre existence, et se fait sentir même au jeune enfant dès qu'il passe un jour entier dans l'inaction; il le charme mieux que les amusemens les plus recherchés. Ces amusemens ne mettent pas dans l'âme la gaîté vive et pure dont sont animés ces chants qui font résonner nos campagnes à la fin d'un beau jour, souvent même dans les temps les plus contraires, au milieu des travaux et sous le poids de la chaleur.

Mille exemples vous attestent, mes chers Frères, ces nombreux avantages du travail; et, sans doute, il n'est personne dans cette assemblée qui n'ait fait du moins quelquefois l'essai des plaisirs qu'il procure. Pénétrez-vous donc de son influence sur votre prospérité, sur votre bonheur; et comme c'est au premier âge de la vie que l'homme peut mieux en prendre l'habitude et se rendre capable de le soutenir, accoutumez de bonne heure vos enfans à partager vos travaux; joyeux de vous imiter, ils s'y porteront avec empressement: il est mille soins dans les campagnes qui sont propres à leur âge. Et quelle douceur vous goûterez, aidés de leurs jeunes mains, en prévoyant qu'ils feront bientôt votre richesse! Quel soulagement pour vous, quand ils seront arrivés à l'âge de la force! Quel repos d'esprit, lors qu'appelés à les quitter, vous pourrez vous dire : En leur laissant l'amour, du travail je leur laisse un héritage indépendant des hommes et des événemens.  

3.°Mais élevons-nous, mes Frères, et portons enfin nos pensées sur une troisième disposition nécessaire, la plus nécessaire de toutes pour assurer votre bonheur. C'est l'esprit religieux, l'esprit religieux que tout inspire, que tout nourrit dans la vie champêtre. 

Je suis incrédule dans mon cabinet, quand je converse avec des savans, disait une personne distinguée par ses talens, mais séduite par la fausse philosophie du siècle, et cependant je ne sais pourquoi dans les champs, quand je me promène, l'idée d'un Dieu, d'une Providence pénètre mon âme et l'attendrit. 

Je n'en suis point surpris, mes Frères; la Divinité qui se cache d'ordinaire sous les causes secondes, se dévoile pour vous. Elle agit directement sur votre fortune. C'est son soleil qui mûrit vos moissons, ses pluies qui fécondent vos champs. Tandis que, renfermé dans l'enceinte des villes, le fidèle est comme privé de la présence de son Dieu; tandis que, forcé de s'en distraire par les occupations de la journée, il vit comme un ami séparé de son ami, et ne se console qu'en dérobant quelques heures à la société pour penser à lui; plus heureux à la campagne, tout l'entretien de son Dieu : il le voit, lui parle, l'entend sans cesse : le bruit retentissant du tonnerre lui annonce sa puissance; le chant des oiseaux, le vol des insectes, la vue de ces milliers d'êtres animés dont nous n'apercevons peut- être que la moindre partie, le pénètrent de la bonté de ce Dieu qui sème la vie et le bonheur dans l'univers. Pendant le silence d'une belle nuit, à la vue de ces feux étincelans dont le firmament resplendit, il aime à se perdre, à s'anéantir dans le sentiment de la grandeur de son Dieu.

Ainsi, mes Frères, ce que l'histoire sacrée semble nous faire entendre, lorsqu'elle nous dit qu'avant la chute de notre premier père,
le vent du soir lui annonçait la présence de son Dieu, ce divin privilège de l'homme innocent à qui Dieu daignait se communiquer, n'est pas entièrement perdu pour vous.
Que l'esprit religieux sied donc bien à l'habitant des campagnes! Comme il l'honore et l'ennoblit! C'est pour lui une vertu d'état, de vocation. Et comment ne pas soupçonner un vice secret, une plaie dans l'âme de celui qui, placé au milieu des merveilles de la nature, entouré de la gloire et des bienfaits du Créateur, n'a point de plaisir à s'élever à lui, n'est point pressé du besoin de l'invoquer, de le bénir!

Mais quelque coupable qu'il soit, il est plus à plaindre encore. La nature, pour lui sans âme et sans vie, fixe à peine ses regards, ou n'excite en son coeur qu'une vaine et stérile admiration. Ses succès ne sont point embellis par la reconnaissance, ni ses peines adoucies par la résignation : ses biens, dont il méconnaît la source, ne sont pour lui qu'un écueil, une facilité pour se plonger dans la débauche, une chaîne de plus qui l'attache à la terre : les craintes, les soucis agitent son âme, comme les vagues tumultueuses soulèvent le sein de la mer; l'ambition, l'avarice le tyrannisent et le dégradent; l'amour du travail, oui, l'amour même du travail n'étant plus dirigé par la religion, cesse d'être pour lui une vertu; ce n'est plus qu'une inquiète avidité, une insatiable ambition; en un mot, cet esprit d'intérêt, cette passion basse et rongeante qui dessèche l'âme et ne lui laisse goûter aucun repos. 

Pourquoi faut-il, mes Frères, que tant d'exemples confirment ce que j'avance ? Pourquoi voyons nous tant d'insensés qui ne savent pas régler leur coeur, embellir leur existence par le sentiment de la piété, qui dénaturent et perdent tous les biens que leur prodigua la Bonté céleste?

O Religion sainte! viens nous consoler, nous enchanter par le tableau du bonheur que tu peux répandre dans nos hameaux, en y faisant régner ton esprit. Conservatrice de la simplicité, de la pureté des moeurs, tu donnes à tes enfans
la prudence des serpens, avec la simplicité des colombes (Matth., X, 16). Par tes leçons divines, tu apprends à l'homme à rendre son travail vraiment salutaire pour les individus et pour la société. Tu rapproches les coeurs, tu resserres les liens du sang; tu fais vivre les concitoyens comme des frères. Dociles à • ta voix, animés du noble désir de plaire  à leur Père céleste, de suivre les traces de leur Sauveur adorable, ils se consolent dans leurs misères; et combien l'idée de Dieu, cette grande idée pré-sente à leur esprit, imprimée dans leur coeur, vivifie et pare pour eux la nature!

Comme elle leur fait trouver plus léger le fardeau de la vie! Quels charmes elle prête à leurs joies innocentes! Ils la voient cette main divine qui s'ouvre et répand ses biens, sur la terre. Pour la célébrer, ils joignent leurs accens religieux aux concerts des créatures : ils font retentir au loin les champs et les bois de l'hymne de la reconnaissance. Quel délicieux sentiment n'excite pas en eux le retour des jours de fête! Avec quel empressement ils se rendent dans la maison du Seigneur! Quelles douces impressions font sur ces âmes simples et pures, les prières, le chant des cantiques, l'explication de la parole de Dieu!

Après avoir joui de ce bonheur dont une sainte habitude leur a fait un besoin, ils s'en retournent satisfaits, émus, serrant dans leur coeur les leçons de la sagesse: leurs récréations, leurs amusemens durant le cours de la journée, gardent l'empreinte de ces sentimens de la piété. Le lendemain ils reprennent leurs occupations champêtres; ils retrouvent de nouvelles forces avec un nouveau courage; sûrs de la protection de celui qui donne à l'homme la vigueur, aux plantes l'accroissement, à la terre sa fertilité. 

C'est dans ce cercle de travaux, de plaisirs et de vertus que s'écoulent en paix leurs jours. Ils en voient approcher la fin sans regret, sans tristesse: ils remettront en paix leur âme dans les mains de ce Dieu qui la leur a donnée, ils tourneront vers lui leurs derniers regards; ils s'endormiront en paix dans son sein, en le bénissant d'
avoir envoyé son fils au monde, afin que quiconque croirait en lui ne pérît point (Jean, III, 16). Et cette même foi qui charma leur vie, adoucira pour eux les angoisses, éclairera le sombre passage de la mort. 

Réunissez maintenant, mes Frères, les vertus dont nous avons parlé, la simplicité, l'amour du travail, la piété; et peignez-vous le bonheur d'une famille qui les fait régner dans son sein.  
Elle n'est pas à l'abri, je l'avoue, des accidens et des revers de l'humanité; mais ces maux sont adoucis par les consolations de la foi. La main pesante de la pauvreté peut quelquefois s'y faire sentir, mais on n'y connaît point le tourment de la cupidité trompée ou de l'orgueil humilié; et si l'on en excepte ces cas imprévus qui sortent du cours ordinaire des choses, une telle famille jouit de l'aisance. Là, vous verrez des vieillards vénérables, blanchis dans les honorables travaux d'une carrière utile, des pères respectés, des enfans soumis, ingénus, à l'abri des nombreux écueils de l'oisiveté. Le voyageur qui s'arrête dans leur demeure, y respire, si je puis ainsi parler, un parfum de vertu; en voyant leur union, leur gaîté, leur confiance, leur résignation aux décrets de la Providence, saisi d'un respect involontaire, il dit en secret: Voilà le vrai bonheur, voilà la vraie philosophie.

Tel est même le prix de ces vertus que nous vous avons prêchées, telle est leur convenance avec la constitution de l'homme et sa félicité, qu'elles peuvent améliorer toutes les situations. Oui, mes Frères, quel que soit votre état, quel que soit le lieu de votre séjour, si vous ne connaissez que les besoins de la nature; si votre coeur et votre esprit sont simples comme elle; si vous savez remplir tous vos momens par des occupations utiles; si votre âme est nourrie des délicieux sentimens de la piété, fortifiée, agrandie par les espérances de l'Évangile, vous serez heureux, autant du moins qu'on peut l'être ici-bas. Ces vertus sont faites pour tous les hommes; elles sont faites pour les peuples comme pour les particuliers, pour les villes comme pour les hameaux. 
Mais ne l'oubliez jamais, mes chers Paroissiens; c'est à la campagne qu'elles sont plus faciles et plus nécessaires. Puissent-elles être toujours votre partage! Puissiez-vous être jaloux de les faire régner dans vos maisons et de les transmettre à vos enfans!

Et toi, Grand Dieu, qui conduisis en ces lieux mes pas, toi qui lias mon coeur à ce troupeau, jette sur eux un oeil propice! Auteur de toute grâce excellente, fais toi-même fleurir parmi nous ces dispositions précieuses! Que ta bénédiction repose toujours sur ces campagnes! Que le cultivateur voie toujours sa propriété respectée, et recueille avec sécurité le fruit de ses travaux! Que la guerre et ses horreurs ne viennent jamais dévaster nos champs, incendier nos demeures, troubler le paisible cours de notre vie!

Surtout, Seigneur, et c'est  ici que s'émeuvent et tressaillent toutes les fibres de mon coeur, que nous puissions, que nous sachions toujours nous rassembler dans ce sanctuaire! que nous venions toujours avec empressement fortifier, consoler, échauffer nos âmes aux pieds de tes autels! Que ces chefs de famille dont j'ai béni l'union; que les gens, sur qui j'ai répandu les eaux du baptême, à qui j'ai fait con naître le sacrifice et la loi de Jésus; Grand Dieu! qu'ils ne se privent jamais des secours de cette religion divine qu'ils ont appris à aimer! Que la génération qui les suit jouisse comme eux de l'inestimable avantage d'une éducation chrétienne! 
Et que tous ensemble, après avoir été unis dans cet Éden que tu nous as donné à cultiver, nous le soyons encore et plus parfaitement dans l'Éden céleste, dans le séjour éternel de la paix et de la félicité! Amen. 
 

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