Ces discours, faits pour
une
paroisse de la campagne, conviennent principalement
à des cultivateurs. C'est en quelque sorte
un abrégé de morale à leur
usage et à leur portée. Appelé
à leur prêcher l'Évangile, je
devais y puiser de préférence les
instructions qui leur étaient propres; je
devais m'appliquer surtout à leur faire
aimer leur état, à leur en indiquer
les écueils, les obligations, et le moyen
d'y trouver le bonheur.
Le déclin de mes forces m'ayant
obligé de remettre en de meilleures mains
cette paroisse chérie, j'ai
désiré que mes derniers jours ne lui
fussent pas entièrement inutiles, et je
viens lui payer une dette dont je me croyais encore
chargé. Voilà le motif qui m'a
déterminé à publier ces
discours, que mon ancien troupeau recevra sans
doute avec une prévention favorable, mais
qui, en eux-mêmes, sont peu dignes de
l'attention publique. Si ce petit ouvrage,
malgré ses défauts, et ce qu'il a de
particulier à mon Église, est
accueilli avec indulgence; si l'on juge qu'il peut
être mis avec quelque fruit dans les mains de
l'habitant des campagnes, qu'il peut contribuer,
avec le secours de la grâce divine, à
le rendre meilleur et plus content de son sort,
j'en bénirai Dieu, et je n'hésiterai
plus à mettre au jour des sermons d'un autre
genre, qu'on me demande depuis longtemps, des
sermons faits pour les Chrétiens de toutes
les classes et sur les sujets les plus importans de
notre sainte Religion.
MES TRÈS-CHERS FRÈRES EN JÉSUS-CHRIST NOTRE SEIGNEUR!
Vous recevrez, je
l'espère, avec quelque intérêt
ces discours simples et familiers qui vous
rappelleront votre ancien Pasteur, et qui font
partie des instructions qu'il vous donna; c'est le
dernier legs de sa tendresse.
Ce qu'il attend de vous, ce qu'il vous demande
à son tour, c'est de lire avec recueillement
et docilité ses dernières
exhortations; c'est d'ouvrir vos coeurs à
ces préceptes divins, à cette loi du
Seigneur qu'il eut tant de plaisir à faire
entendre, qu'il vous annoncera même
après sa mort, et, en quelque sorte, du fond
de sa tombe.
Je joins à ces discours deux prières
pour le culte que vous devez rendre à Dieu,
soir et matin, dans vos maisons; pour ce culte si
précieux, si propre à vous
éclairer, à vous sanctifier, à
vous consoler, à faire descendre sur vous
toutes les bénédictions du Ciel.
Veuille l'Auteur de tout bien agréer les
prières que je ne cesserai jamais de lui
présenter en votre faveur! Qu'il vous
bénisse! Qu'il daigne faire servir ces
instructions évangéliques à
votre bonheur présent et au salut de vos
âmes.
Que la
grâce du
Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu et la
communication du Saint- Esprit soient avec vous
tous ( 2
Cor., XIII, 13 )! Amen.
Dieu mit l'homme dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder. Genèse II,15.
Ainsi, mes Frères, la
vie champêtre, fut la première
destination de l'homme, et les travaux qu'elle
demande furent ses premiers plaisirs. Il semble que
le Dieu qui venait de lui donner l'existence
ne vit rien de plus propre à le rendre
heureux. Il le fut en effet : tous les peuples ont
gardé le souvenir de ces anciens temps;
ils en ont tracé, sous le nom d'âge
d'or, ces délicieuses peintures qui, nous
offrant l'assemblage de la
simplicité des moeurs
et de l'innocence de la vie, en réveillent
le goût chez les hommes même les plus
éloignés de la nature.
Mais, il faut l'avouer, ces beaux jours sont loin
de nous.... Cependant, Chrétiens, ne nous
reste-t-il rien de cette félicité
première ? N'est-il aucun moyen de la
goûter encore à quelque degré?
Voilà ce que je viens examiner avec vous.
C'est une grande règle de la sagesse de
chercher dans son état, dans sa condition le
bonheur ou les consolations qu'on y peut trouver.
Vous serez, je m'assure, disposés à
nous écouter sur cet intéressant
sujet. Puissent nos réflexions vous faire
aimer toujours davantage et la situation où
Dieu vous a placés et les vertus qui peuvent
l'embellir! Amen.
Dans tous les temps on a
célébré le bonheur de
l'habitant des campagnes. Est-ce l'effet de la
prévention ? Ceux qui le vantent
oublient-ils les peines
inséparables de
cet état? Prennent-ils dans leur imagination
les couleurs dont ils l'embellissent? Si l'homme et
la nature n'avaient pas changé depuis cette
époque dont parle mon texte, où Dieu
plaça notre premier père dans le
jardin d'Eden pour le cultiver, la question seroit
décidée par le choix que fit pour lui
le Créateur. Mais Adam, doué d'une
jeunesse éternelle, cultivait une terre
neuve et féconde : il ne connaissait ni
l'épuisement des forces, ni les travaux
accablans, ni les maladies, ni ces fléaux
qui se promènent sur la terre, ni cette
guerre que font à l'homme tant d'animaux
qui, par force ou par ruse, cherchent à lui
ravir sa subsistance, ni toutes ces chances
funestes qui peuvent tromper notre espoir. Depuis
la chute de l'homme, quelles que soient et les
facultés dont il est enrichi et les
beautés dont la terre est encore embellie,
l'un et l'autre cependant portent l'empreinte de la
justice céleste; ils
portent la cicatrice de
sa
foudre.
Ces mêmes travaux qui doivent faire son
bonheur, lui sont imposés comme un
châtiment : Tu
mangeras ton pain à la sueur de ton
visage (Genèse,
III,
19).
Tout cela est certain, mes Frères : mais il
n'en est pas moins vrai que la vie champêtre
conserve pour nous un attrait propre à nous
rappeler qu'elle fut notre première
vocation. Cet attrait fait principalement sentir sa
puissance à ceux dont l'imagination est plus
belle, plus sensible; dont l'âme est plus
simple et plus pure; mais il n'est personne qui ne
l'éprouve du plus au moins. Qui vit jamais
avec indifférence dépouiller une
vigne chargée de fruits, lier en gerbes les
épis d'un beau champ, ou faucher l'herbe
odorante des prairies? Indépendamment de ce
charme attaché par la sagesse suprême
aux travaux de la campagne, l'état du
cultivateur réunit
plusieurs avantages qu'on ne peut lui
disputer.
Ses richesses sont les plus vraies; sa
propriété est la plus sûre de
toutes: il ne dépend point, comme l'artisan
et le négociant, du caprice de la mode : il
dépend moins qu'eux des guerres qui divisent
les nations; et quoique les circonstances puissent
augmenter, diminuer la valeur de ses champs, de ses
denrées, les uns et les autres n'en
conservent pas moins une valeur réelle qui
tient à la nature des choses.
Sous le gouvernement même le plus tyrannique,
le cultivateur demeure plus libre que l'habitant
des villes; il se console, il se distrait par le
travail; il se soumet aux fléaux politiques
comme à la grêle, à l'orage; et
la foudre qui tombe sur les palais des grands,
épargne d'ordinaire son humble toit.
L'emploi qu'il fait de ses forces est le moyen, non
le plus court sans doute, mais le plus facile, le
plus légitime de pourvoir à ses
besoins, ou d'augmenter ses revenus. Tandis
que les autres
manières d'acquérir sont si souvent
dangereuses ou criminelles, il est doux de pouvoir
se dire : Je ne dois ma subsistance qu'aux
bienfaits de la nature; je ne m'enrichis aux
dépens de personne. Ses travaux sont les
plus nécessaires à la
société; les productions qu'il
multiplie sont le premier aliment de l'homme; ils
font la richesse et la prospérité des
empires. Dans quelque rang que l'opinion le place,
cette idée doit remplir son coeur d'une
satisfaction pure et d'une juste
fierté.
Observons encore que ses travaux fortifient le
tempérament, prolongent l'âge de la
vigueur et favorisent la santé, non moins
que l'air qu'il respire, cet air balsamique et pur
que les malades viennent chercher, comme le
remède le plus efficace et le plus doux. Le
cultivateur peut mieux qu'un autre jouir de la
tranquillité de l'esprit, loin de cette
atmosphère agitée qui semble entourer
les villes, loin de ces scènes orageuses
dont elles sont trop
souvent
le théâtre.
Vous le savez, mes chers Frères; combien de
fois n'avons- nous pas vu ceux qui les habitent,
durant les tourmentes des révolutions, se
retirer dans nos hameaux comme dans un asile,
retrouver au milieu de nous le calme de l'âme
et des sens! Les passions qui fermentent dans ces
murs, où sont entassés tant
d'individus, tant d'oisifs, et qui trop souvent
emportent l'homme loin de lui malgré
lui-même, s'adoucissent dans les champs;
elles trouvent peu d'alimens chez des hommes
épars, à qui leurs travaux ne
laissent pas de temps à perdre
en discussions inutiles- Les dissensions sont
plus rares chez eux; la jalousie même se
change en une émulation louable; le
succès de l'un n'est point un obstacle au
succès de l'autre; on aime à se
communiquer mutuellement ses observations, à
instruire ses voisins, ses proches, à
s'instruire auprès d'eux.
Quel avantage encore pour le
cultivateur dans l'affranchissement de toutes ces
gênes de société, qui font un
pénible esclavage; dont la contrainte
s'étend sur les habits, sur la
démarche, sur les paroles, sur les actions,
sur tous les mouvemens; dans l'affranchissement de
ces minutieux devoirs de société plus
sévères, plus rigoureusement
exigés que ceux de la morale!
Libre de toutes ces entraves, à l'abri de la
persécution des importuns, maître
d'employer à son gré sa
journée, il possède toute
l'indépendance que lui permet la nature, et
que l'on peut goûter sans retourner à
l'état sauvage.
Quel art, enfin, que cet art qu'il exerce au milieu
des plus belles scènes de la
création, et sous cette voûte
céleste où resplendit la gloire du
Très-Haut! Quel art que celui qui l'invite
à jouir tous les jours du spectacle de la
nature, de cette nature toujours belle, toujours
grande dans tous les temps, dans toutes les
saisons, soit qu'un vent doux et
léger anime et
féconde la terre, soit que l'orage la
bouleverse et paraisse confondre les
élémens; soit que le soleil
étincelle sur une plaine de neige qu'il
paraît semer de diamans, ou que le printemps
revête sa fraîche et tendre parure;
soit que l'été entremêle par
l'or des moissons le vert de nos prairies, ou que
l'automne, après avoir peint les feuilles de
mille couleurs, les fasse tomber à nos pieds
comme pour nous présager notre
décadence.
Ces tableaux que chaque instant déploie
à vos regards, sont bien plus variés
et plus magnifiques que ceux qu'on achète
à grand prix et qui décorent les
palais des rois : leur effet ne se borne pas
à exciter une admiration stérile :
ils parlent au coeur le plus touchant langage; ils
y font naître le recueillement,
l'émotion, et par un charme secret
l'élèvent jusqu'au grand Être
qui forma toutes ces choses.
Mais, quels que soient ces avantages, ils ne font
pas nécessairement le
bonheur de l'habitant
des
campagnes; il faut savoir en jouir, les
apprécier; il faut en tirer le fruit de
salut qu'ils sont destinés à
produire; il faut posséder les vertus qui
leur sont assorties.
Examinons, Chrétiens, quelles sont ces
vertus; et que les hommes mécontens de leur
sort, car en tous lieux, hélas! il est des
coeurs qui murmurent, se demandent avec
impartialité si leur malheur ne vient pas
surtout de ce qu'ils ne les ont pas.
1°La première de
ces vertus,
c'est la simplicité.
Simplicité de l'esprit, simplicité du
coeur, simplicité dans toute la conduite. Je
dis simplicité
de l'esprit : et ne croyez pas, mes
Frères, que j'entende par-là cette
crédulité qui donnerait sur vous de
l'avantage à ceux qui veulent vous
surprendre. C'est un abus d'entendre ainsi le mot
de simplicité. La véritable
simplicité est opposée, non pas
à l'instruction, au discernement,
qualités si nécessaires à
l'homme et au Chrétien,
mais aux prétentions, à la
vanité, à l'orgueil qui nous cachent
la vérité. C'est la
modération, la modestie, l'amour du vrai
appliqués aux objets de raisonnement.
L'homme doué de cette heureuse disposition,
évite ces recherches dangereuses qui mettent
en péril la raison et la foi; il ne se pique
pas de tout comprendre, de raisonner sur tout; il
con naît les bornes de l'intelligence humaine
et sait qu'on se perd dès qu'on veut les
franchir. Il ne s'attache pas dans ses
conversations à disputer, à briller,
mais à parler comme il sied à
l'honnête homme, au disciple de Jésus,
suivant cette exhortation d'un Apôtre : Que
tous
vos discours
soient propres à édifier, afin qu'ils
communiquent la grâce à ceux qui vous
écoutent
(Éphés.,
IV,
29). Il ne veut
apprendre enlisant que ce qu'il doit savoir; il
n'oublie pas que pour ceux qui n'ont que peu de
temps à donner à la
lecture, il est mille
fois
plus essentiel de bien choisir : il cherche
à s'instruire uniquement des
vérités à sa portée,
des vérités utiles au bonheur,
à la vertu : il aime à les puiser
dans leur véritable source; il aime à
les étudier dans cette loi claire
et parfaite qui donne la
sagesse au simple
(Ps.
XIX.,
8).
Ainsi la simplicité conduit à la
sagesse : loin d'être ennemie des
clartés véritables, elle les
répand dans notre âme; elle la
garantit des ténèbres et des
égaremens de la présomption. Elle est
l'ornement d'un beau naturel, la gardienne de cet
heureux instinct, de ce bon sens inestimable qui
vaut mille fois mieux que l'esprit. Ah! ne la
perdez jamais cette précieuse
simplicité. Elle vous servira pour la terre
aussi bien que pour le Ciel.
Elle protégera votre vie en vous
inspirant de vous-mêmes une salutaire
défiance, en vous faisant chercher d'utiles
conseils et recourir dans vos
affaires, dans vos embarras, aux hommes
éclairés et bien faisans qui vous
entourent. Elle vous préservera des
entreprises téméraires, des projets
ruineux. Elle éloignera de vous tous les
écueils. Vous lui devrez de conserver dans
toute sa pureté cet esprit droit, ce
jugement sain qui vous dédommage richement
des vaines con naissances que vos occupations ne
vous permettent pas d'acquérir.
Simplicité
du
coeur, droiture,
sincérité, bonne foi, candeur;
aimables vertus qui doivent distinguer
éminemment l'habitant des campagnes. Ce sont
elles qui font trouver du charme dans ses
entretiens, donnent une grâce naïve
à son hospitalité; et aux
témoignages de son affection, cette
expression touchante dont le coeur est ému.
Ce sont elles, mes chers Frères, qu'on
attend de vous. Comme la douceur est l'apanage de
la femme, le courage celui de l'homme, et que les
vices opposés sont chez
eux plus révoltans, ainsi,
parmi vous, la dissimulation, la mauvaise foi
auraient quelque chose de monstrueux et de contre
nature.
Enfin, mes Frères, simplicité
des
goûts,
simplicité dans les moeurs, dans les
vêtemens, dans les alimens, dans les
plaisirs, dans toute la vie. Voir votre sort
s'améliorer ferait ma plus douce joie.
Puissent la propreté, la décence, le
bien-être, une douce aisance embellir vos
demeures.
Hélas! que cet espoir est loin de nous!
Mais, dans cette supposition même, je vous
dirais encore :
Craignez tout ce qui vous ferait sortir de votre
état.
Craignez le luxe et ses dangereuses
nouveautés inconnues à vos
pères.
Craignez le, comme votre ennemi le plus
cruel.
Il substitue la gène et le tourment des
désirs au contentement que l'aisance devrait
produire. C'est un ulcère dévorant
qui consume par degrés, et amène
bientôt la mort.
Dans une situation qui vous
rapproche de la nature, il faut,
pour être heureux, avoir des goûts
simples comme elle. La Providence, en vous y
plaçant, voulut borner vos besoins et vos
désirs; le luxe et l'ambition qui les
étendraient sans cesse, tromperaient ses
vues sages et bienfaisantes; avec de grands revenus
vous vous trouveriez pauvres encore, et que
serait-ce avec vos revenus bornés et
chétifs? Les travaux forcés, les
expédiens funestes, l'inquiétude, la
dépendance, la détresse, la ruine,
telle serait la suite nécessaire de cette
disproportion fatale entre vos habitudes et vos
moyens.
Heureux donc celui qui garde avec un soin
religieux, et fait régner dans sa maison la
simplicité de ses ancêtres, qui met sa
gloire à vivre comme ils ont vécu,
dont la seule ambition est de fertiliser ses
domaines pour les transmettre à ses enfans
avec une valeur nouvelle!
Heureux celui qui lorsque la Providence,
bénissant ses travaux, l'enrichit du fruit
de ses mains, ne veut se distinguer
que par des aumônes plus
abondantes, et ne forme pour lui-même que des
désirs innocens qu'il peut aisément
satisfaire. C'est à lui qu'appartient la
gaîté, cette gaîté
franche et véritable qui se trouve surtout
au village.
A la fin de chaque journée, il se couche
content; le matin, il retourne avec plaisir a ses
occupations; il meurt enfin aussi tranquillement
qu'il a vécu, car une vie calme et simple a
cela de remarquable, qu'elle passe avec douceur et
qu'on la quitte sans effort.
2.° Une seconde
disposition
nécessaire au bonheur de la vie
champêtre, c'est l'amour
du travail. La
terre est une mine qu'il faut
creuser profondément pour en tirer tous les
biens qu'elle renferme. Elle ne refuse jamais
à l'homme ses richesses, mais il faut les
arracher; ses dons sont toujours
proportionnés à l'ardeur avec
laquelle on la cultive, et, pour ainsi dite,
à la violence qu'on lui fait.
C'est cette vérité que les anciens
ont voulu nous enseigner par un
apologue ingénieux. Un père, au lit
de la mort, raconte un de leurs plus
célèbres poètes, tient ce
discours à ses fils rassembles :
Un trésor est caché dans mon champ;
si vous cherchez avec persévérance,
vous le trouverez. Après les premiers jours
donnés à la douleur, les enfans,
l'imagination remplie de cet avis, remuent,
renversent le champ précieux avec une ardeur
infatigable : ils n'y trouvent point l'or qu'ils
attendaient; mais la terre fécondée
par leurs bras produit des récoltes
abondantes. C'était le trésor
désigné par leur père.
La main du
diligent
l'enrichit, dit
Salomon (Prov.
X,
4). Cela est
vrai, surtout du
cultivateur. Fût-il né dans la
misère, s'il est laborieux, il saura s'en
affranchir, se faire une existence honorable,
indépendante. A-t- il reçu quelque
héritage de ses pères ? on le verra
prospérer entre ses
mains. Tandis qu'on ne peut considérer sans
tristesse la propriété du paresseux
qui laisse
croître les chardons, les orties y et tomber
en ruine ses cloisons
(
Prov. XXIV, 31),
l'oeil se repose avec plaisir sur
le domaine de l'homme actif, industrieux; on le
reconnaît du premier regard; ses champs sont
mieux cultivés, ses vergers mieux enclos; il
semble qu'une sève plus énergique,
qu'une végétation plus puissante
fasse fructifier tout ce qu'il possède.
C'est l'amour du travail encore qui préserve
l'homme des écueils les plus à
craindre dans nos villages, des jeux, des
querelles, des pernicieux conseils de la
misère. C'est lui qui le retient loin de ces
lieux funestes où tant d'infortunés
vont perdre dans le vin leur santé, leur
raison, le bonheur et la subsistance de leurs
familles. C'est le travail, sauve-garde des moeurs,
qui le sépare des compagnies dangereuses,
maintient ses passions
dans
le calme, et les garantit de cette activité
funeste que leur donne l'oisiveté. Il tient
par une liaison secrète à cet amour
de l'ordre et de la règle qui nous rend
fidèles à tous nos devoirs.
Indépendamment de tous ces avantages, le
travail par lui-même est une source de joie. Dieu
plaça
notre premier père dans Éden pour le
cultiver. Adam
heureux devait travailler; il devait travailler
pour être heureux. Que de réflexions
ce seul mot fait naître! Je ne m'y
arrêterai point; mais je vous dirai que c'est
encore ici que nous retrouvons en nous dans toute
sa force le sentiment de notre destination. Le
travail est pour l'homme, en effet, la distraction
la plus puissante et la plus douce : il charme ce
mal-aise, que nous appelons ennui, qui se
mêle à notre existence, et se fait
sentir même au jeune enfant dès qu'il
passe un jour entier dans l'inaction; il le charme
mieux que les amusemens les plus recherchés.
Ces amusemens ne mettent pas dans
l'âme la gaîté vive et pure dont
sont animés ces chants qui font
résonner nos campagnes à la fin d'un
beau jour, souvent même dans les temps les
plus contraires, au milieu des travaux et sous le
poids de la chaleur.
Mille exemples vous attestent, mes chers
Frères, ces nombreux avantages du travail;
et, sans doute, il n'est personne dans cette
assemblée qui n'ait fait du moins
quelquefois l'essai des plaisirs qu'il procure.
Pénétrez-vous donc de son influence
sur votre prospérité, sur votre
bonheur; et comme c'est au premier âge de la
vie que l'homme peut mieux en prendre l'habitude et
se rendre capable de le soutenir, accoutumez de
bonne heure vos enfans à partager vos
travaux; joyeux de vous imiter, ils s'y porteront
avec empressement: il est mille soins dans les
campagnes qui sont propres
à leur âge. Et
quelle douceur vous goûterez, aidés de
leurs jeunes mains, en prévoyant qu'ils
feront bientôt votre richesse! Quel
soulagement pour vous, quand ils seront
arrivés à l'âge de la force!
Quel repos d'esprit, lors qu'appelés
à les quitter, vous pourrez vous dire : En
leur laissant l'amour, du travail je leur laisse un
héritage indépendant des hommes et
des événemens.
3.°Mais
élevons-nous, mes
Frères, et portons enfin nos pensées
sur une troisième disposition
nécessaire, la plus nécessaire de
toutes pour assurer votre bonheur. C'est l'esprit
religieux,
l'esprit
religieux que tout inspire, que tout nourrit dans
la vie champêtre.
Je suis
incrédule dans mon cabinet, quand je
converse avec des savans,
disait une personne
distinguée par ses talens, mais
séduite par la fausse
philosophie du siècle, et
cependant
je ne sais pourquoi dans les champs,
quand je me promène, l'idée
d'un
Dieu, d'une Providence pénètre mon
âme et l'attendrit.
Je n'en suis point surpris, mes Frères; la
Divinité qui se cache d'ordinaire sous les
causes secondes, se dévoile pour vous. Elle
agit directement sur votre fortune. C'est son
soleil qui mûrit vos moissons, ses pluies qui
fécondent vos champs. Tandis que,
renfermé dans l'enceinte des villes, le
fidèle est comme privé de la
présence de son Dieu; tandis que,
forcé de s'en distraire par les occupations
de la journée, il vit comme un ami
séparé de son ami, et ne se console
qu'en dérobant quelques heures à la
société pour penser à lui;
plus heureux à la campagne, tout l'entretien
de son Dieu : il le voit, lui parle, l'entend sans
cesse : le bruit retentissant du tonnerre lui
annonce sa puissance; le chant des oiseaux, le vol
des insectes, la vue de ces milliers d'êtres
animés dont nous n'apercevons
peut- être que la moindre partie, le
pénètrent de la bonté de ce
Dieu qui sème la vie et le
bonheur dans l'univers. Pendant le silence d'une
belle nuit, à la vue de ces feux
étincelans dont le firmament resplendit, il
aime à se perdre, à s'anéantir
dans le sentiment de la grandeur de son Dieu.
Ainsi, mes Frères, ce que l'histoire
sacrée semble nous faire entendre,
lorsqu'elle nous dit qu'avant la chute de notre
premier père, le
vent du soir lui
annonçait la
présence de son Dieu, ce divin
privilège de l'homme innocent à qui
Dieu daignait se communiquer, n'est pas
entièrement perdu pour vous.
Que l'esprit religieux sied donc bien à
l'habitant des campagnes! Comme il l'honore et
l'ennoblit! C'est pour lui une vertu d'état,
de vocation. Et comment ne pas soupçonner un
vice secret, une plaie dans l'âme de celui
qui, placé au milieu des merveilles de la
nature, entouré de la gloire et des
bienfaits du Créateur, n'a point de plaisir
à s'élever à lui, n'est point
pressé du besoin de l'invoquer, de le
bénir!
Mais quelque coupable qu'il soit, il est plus
à plaindre encore. La nature, pour lui sans
âme et sans vie, fixe à peine ses
regards, ou n'excite en son coeur qu'une vaine et
stérile admiration. Ses succès ne
sont point embellis par la reconnaissance, ni ses
peines adoucies par la résignation : ses
biens, dont il méconnaît la source, ne
sont pour lui qu'un écueil, une
facilité pour se plonger dans la
débauche, une chaîne de plus qui
l'attache à la terre : les craintes, les
soucis agitent son âme, comme les vagues
tumultueuses soulèvent le sein de la mer;
l'ambition, l'avarice le tyrannisent et le
dégradent; l'amour du travail, oui, l'amour
même du travail n'étant plus
dirigé par la religion, cesse d'être
pour lui une vertu; ce n'est plus qu'une
inquiète avidité, une insatiable
ambition; en un mot, cet esprit
d'intérêt, cette passion basse et
rongeante qui dessèche l'âme et ne lui
laisse goûter aucun
repos.
Pourquoi faut-il, mes Frères, que tant
d'exemples confirment ce que j'avance ? Pourquoi
voyons nous tant d'insensés qui ne savent
pas régler leur coeur, embellir leur
existence par le sentiment de la
piété, qui dénaturent et
perdent tous les biens que leur prodigua la
Bonté céleste?
O Religion sainte! viens nous consoler, nous
enchanter par le tableau du bonheur que
tu peux répandre dans nos hameaux, en y
faisant régner ton esprit. Conservatrice de
la simplicité, de la pureté des
moeurs, tu donnes à tes enfans la
prudence
des
serpens, avec la simplicité des
colombes
(Matth.,
X,
16). Par tes
leçons divines, tu
apprends à l'homme à rendre son
travail vraiment salutaire pour les individus et
pour la société. Tu rapproches les
coeurs, tu resserres les liens du sang; tu fais
vivre les concitoyens comme des frères.
Dociles à • ta voix, animés du noble
désir de plaire
à leur Père céleste, de suivre
les traces de leur Sauveur adorable, ils se
consolent dans leurs misères; et combien
l'idée de Dieu, cette grande idée
pré-sente à leur esprit,
imprimée dans leur coeur, vivifie et pare
pour eux la nature!
Comme elle leur fait trouver plus léger le
fardeau de la vie! Quels charmes elle prête
à leurs joies innocentes! Ils la voient
cette main divine qui s'ouvre et répand ses
biens, sur la terre. Pour la
célébrer, ils joignent leurs accens
religieux aux concerts des créatures : ils
font retentir au loin les champs et les bois de
l'hymne de la reconnaissance. Quel
délicieux sentiment n'excite pas en eux
le retour des jours de fête! Avec quel
empressement ils se rendent dans la maison du
Seigneur! Quelles douces impressions font sur ces
âmes simples et pures, les prières, le
chant des cantiques, l'explication de la parole de
Dieu!
Après avoir joui de ce bonheur dont une
sainte habitude leur a fait un
besoin, ils s'en retournent
satisfaits, émus, serrant dans leur coeur
les leçons de la sagesse: leurs
récréations, leurs amusemens durant
le cours de la journée, gardent l'empreinte
de ces sentimens de la piété. Le
lendemain ils reprennent leurs occupations
champêtres; ils retrouvent de nouvelles
forces avec un nouveau courage; sûrs de la
protection de celui qui donne à l'homme la
vigueur, aux plantes l'accroissement, à la
terre sa fertilité.
C'est dans ce cercle de travaux, de plaisirs et de
vertus que s'écoulent en paix leurs jours.
Ils en voient approcher la fin sans regret, sans
tristesse: ils remettront en paix leur âme
dans les mains de ce Dieu qui la leur a
donnée, ils tourneront vers lui leurs
derniers regards; ils s'endormiront en paix dans
son sein, en le bénissant d'avoir
envoyé son fils au monde,
afin que quiconque croirait en lui ne
pérît point (Jean,
III,
16). Et
cette même foi
qui charma leur vie, adoucira
pour eux les angoisses, éclairera le sombre
passage de la mort.
Réunissez maintenant, mes Frères, les
vertus dont nous avons parlé, la
simplicité, l'amour du travail, la
piété; et peignez-vous le bonheur
d'une famille qui les fait régner dans son
sein.
Elle n'est pas à l'abri, je l'avoue, des
accidens et des revers de l'humanité; mais
ces maux sont adoucis par les consolations de la
foi. La main pesante de la pauvreté peut
quelquefois s'y faire sentir, mais on n'y
connaît point le tourment de la
cupidité trompée ou de l'orgueil
humilié; et si l'on en excepte ces cas
imprévus qui sortent du cours ordinaire des
choses, une telle famille jouit de l'aisance.
Là, vous verrez des vieillards
vénérables, blanchis dans les
honorables travaux d'une carrière utile, des
pères respectés, des enfans soumis,
ingénus, à l'abri des nombreux
écueils de l'oisiveté. Le voyageur
qui s'arrête dans leur
demeure, y respire, si je puis ainsi parler, un
parfum de vertu; en voyant leur union, leur
gaîté, leur confiance, leur
résignation aux décrets de la
Providence, saisi d'un respect involontaire, il dit
en secret: Voilà le vrai bonheur,
voilà la vraie philosophie.
Tel est même le prix de ces vertus que nous
vous avons prêchées, telle est leur
convenance avec la constitution de l'homme et sa
félicité, qu'elles peuvent
améliorer toutes les situations. Oui, mes
Frères, quel que soit votre état,
quel que soit le lieu de votre séjour, si
vous ne connaissez que les besoins de la nature; si
votre coeur et votre esprit sont simples comme
elle; si vous savez remplir tous vos momens par des
occupations utiles; si votre âme est nourrie
des délicieux sentimens de la
piété, fortifiée, agrandie par
les espérances de l'Évangile, vous
serez heureux, autant du moins qu'on peut
l'être ici-bas. Ces vertus sont faites pour
tous les hommes; elles sont
faites pour les peuples comme pour les
particuliers, pour les villes comme pour les
hameaux.
Mais ne l'oubliez jamais, mes chers Paroissiens;
c'est à la campagne qu'elles sont plus
faciles et plus nécessaires. Puissent-elles
être toujours votre partage! Puissiez-vous
être jaloux de les faire régner dans
vos maisons et de les transmettre à vos
enfans!
Et toi, Grand Dieu, qui conduisis en ces lieux mes
pas, toi qui lias mon coeur à ce troupeau,
jette sur eux un oeil propice! Auteur de toute
grâce excellente, fais toi-même fleurir
parmi nous ces dispositions précieuses! Que
ta bénédiction repose toujours sur
ces campagnes! Que le cultivateur voie toujours sa
propriété respectée, et
recueille avec sécurité le fruit de
ses travaux! Que la guerre et ses horreurs ne
viennent jamais dévaster nos champs,
incendier nos demeures, troubler le paisible cours
de notre vie!
Surtout, Seigneur, et c'est
ici que s'émeuvent et tressaillent toutes
les fibres de mon coeur, que nous puissions, que
nous sachions toujours nous rassembler dans ce
sanctuaire! que nous venions toujours avec
empressement fortifier, consoler, échauffer
nos âmes aux pieds de tes autels! Que ces
chefs de famille dont j'ai béni l'union; que
les gens, sur qui j'ai répandu les eaux du
baptême, à qui j'ai fait con
naître le sacrifice et la loi de
Jésus; Grand Dieu! qu'ils ne se privent
jamais des secours de cette religion divine qu'ils
ont appris à aimer! Que la
génération qui les suit jouisse comme
eux de l'inestimable avantage d'une
éducation chrétienne!
Et que tous ensemble, après avoir
été unis dans cet Éden que tu
nous as donné à cultiver, nous le
soyons encore et plus parfaitement dans
l'Éden céleste, dans le séjour
éternel de la paix et de la
félicité!
Amen.
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