Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

RÈGLES DE VIE

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Voici le premier commandement : je suis le Seigneur, ton Dieu, tu n'auras pas d'autre maître !


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Croire, c'est considérer Dieu comme présent.


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Croire, au sens propre du mot, ce n'est pas réciter nos professions de foi ; mais croire, au sens où Jésus l'entend, signifie : croire que quelque chose viendra, croire que Jésus veut quelque chose, croire que Jésus peut quelque chose.


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Nous ne devons jamais dire de quelque chose : « On ne pourra jamais le changer. » Celui qui dit cela n'est pas du Royaume de Dieu. Ceux qui se contentent de tout ce qui a cours dans le monde, ceux qui vont répétant : « Il n'y a rien à faire », sont ceux qui empêchent le Royaume de Dieu de venir. Cette parole est le plus grand ennemi du Royaume de Dieu ; elle frappe de paralysie ce qui doit devenir vivant sur terre.


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Quand le Royaume de Dieu approche, nous chrétiens devons être les hommes du progrès.


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Nous devons nous taire devant Dieu, et L'attendre. Élever la voix n'a jamais marché de pair avec le nom du Seigneur. Celui qui parle haut est bientôt forcé de baisser pavillon. Depuis Noé tous ont dû se taire. Ils prophétisaient : « je viens de la part du Seigneur », mais le monde les ignora. Quand le Sauveur dit à ses disciples : « Allez dans le monde entier », son dernier mot est : « je suis auprès de vous tous les jours », soit, en d'autres termes : « Faites attention, cela n'a pas été remis entre vos mains, c'est moi qui dois le faire. »

Ne fais point de bruit ! Si tu veux fonder une secte, alors mène tapage ; si tu veux de la gloire pour toi, alors fais du bruit. Mais si tu cherches le Royaume de Dieu, garde le silence. Le Royaume de Dieu n'arrive pas par nous, mais par Dieu. Nous n'attendons pas l'avènement d'une société améliorée. Le suprême divin qui se manifeste dans l'homme, et le pur humain, que Dieu ennoblit, ce n'est là que l'oeuvre des forces de Dieu lui-même.

On doit aussi être silencieux dans sa propre vie chrétienne. Il faut se garder des exagérations. Il ne faut pas non plus tant parler à tort et à travers sur la morale et la religion. Il ne faut pas non plus trop réfléchir sur soi-même. Si nous nous occupons toujours en pensée de nous-mêmes, nous ne sommes pas silencieux ; nous prenons alors soin nous-mêmes de notre propre salut. Il faut qu'il y ait aussi des gens qui sachent qu'ils appartiennent à Dieu, et qui restent néanmoins parfaitement naturels. On ne gagne rien à trop réfléchir ; les choses divines viennent dans le coeur sans qu'on le remarque. Dieu les met dans ton coeur par son esprit, et leur donne la vie ; ensuite elles se répandent d'elles-mêmes hors de toi, comme la respiration.


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Un ouvrier du Royaume de Dieu n'a pas la tâche plus facile que d'autres hommes. Toute la misère du monde atteint aussi la Communauté de Jésus-Christ. Jésus se charge de nos douleurs ; cette loi du support (portez les fardeaux les uns des autres) vaut également pour sa Communauté. Ce qu'il y a de douleurs dans le monde atteint aussi d'une façon quelconque les disciples de Jésus. Mais ceux-ci ne doivent pas succomber sous le poids comme d'autres hommes ; en le supportant en silence ils doivent surmonter peu à peu le fardeau des épreuves ; alors la clarté augmentera dans le monde. les hommes se sentiront allégés : et finalement les disciples de Jésus eux aussi seront soulagés.

C'est pourquoi les disciples de Jésus ne doivent jamais dire : mon Dieu ! préserve-moi, de ceci et de cela, je ne puis comprendre qu'il me faille supporter cela, j'ai toujours été un homme juste, j'ai toujours prié, et voici que ce qui atteint le monde m'atteint également ! Nous devons nous charger des maux de ce monde ; nous pouvons les supporter, car Jésus est vainqueur en nous et triomphe du mal qui pèse sur les hommes. Ainsi la Communauté de Jésus peut être une communauté qui libère le monde de son fardeau ; elle est ainsi le petit troupeau auquel est promis le Royaume. Un petit troupeau qui se sépare du monde et ne veut plus prendre part à sa vie et à sa souffrance, est pareil à une branche arrachée à l'arbre qui verdit encore un temps et ensuite se dessèche. Nous devons rester attachés à l'arbre de la vie des hommes, si gangrené qu'il soit. Le terme sera la fin de tout mal, provisoirement tu ne seras pas épargné, mais tu dois avoir en toi ce qui est éternel pour surmonter le mal.

Les disciples de Jésus connaissent encore une autre douleur, que les hommes n'ont pas, c'est qu'ils sont honnis à cause de Jésus. Ils doivent partager la douleur du Sauveur quand il voit que les hommes ne comprennent pas Dieu, la douleur qu'il souffre sur la croix, quand il est là cloué et abandonné de tous, méconnu de tous. Voilà la seule véritable douleur qu'ont les disciples de Jésus. Mais ils doivent prendre aussi sur eux cette croix, et dire : heureux sommes-nous d'être ainsi honnis et persécutés des hommes à cause de Jésus. Il faut que le combat soit enfin livré maintenant. Nous tous, qui cherchons le Royaume de Dieu, nous devons pouvoir être appelés les abandonnés, et pourtant rester heureux. Rien de nouveau ne se crée sans lutte, et cette lutte va jusqu'au sang. Mais précisément ce que nous souffrons pour l'amour de Jésus doit avoir une suite heureuse. Dans cette croix et dans cette souffrance vient le Royaume de Dieu. Malheur à nous s'il nous arrivait d'en vouloir à ceux qui nous injurient et nous persécutent ! Ils ne peuvent faire autrement et ne comprennent pas mieux. Nous devons pardonner au monde et supporter avec patience ce qui nous est imposé.


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Parce que Christ est avec nous, nous ne pouvons mépriser aucun homme ; nous devons même pouvoir pleurer toujours sur les pécheurs, et ne pas condamner en juges, ni avec colère ou dureté. Si Christ est en nous, nous devons traverser l'épreuve dans l'esprit de Celui qui n'a pas d'armepour se défendre, ni de bouche pour injurier. Il ne nous reste qu'à souffrir au milieu de la foule des pécheurs et à nous écrier : Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font.

D'année en année cela m'apparaît plus clairement : « Christ dans la chair » n'a ni dents ni défense, il ne peut que se taire comme l'agneau devant celui qui le tond, et tout remettre à Dieu. C'est là le joug dont le Sauveur a dit qu'il est léger. Mais si nous nous défendons, si nous désespérons des hommes et nous irritons contre leurs péchés, le christianisme devient terriblement lourd à porter. Par contre, c'est une tâche facile que de suivre l'Agneau de Dieu, qui porte sur lui les péchés du monde ; tâche légère devant Dieu ; car en l'accomplissant on est un avec Dieu et l'on a toujours une bonne conscience.

La tâche est lourde assurément pour les hommes, on succombe presque sous le poids. Il faut porter la croix. Mais cette croix de Jésus-Christ nous devient légère devant Dieu. Si l'on crie, se lamente, se défend ; si l'on devient méchant, parce qu'il faut tant souffrir, alors la pleine lumière de Dieu s'évanouit à nos yeux, et l'on ne peut, comme Jésus, demeurer joyeux et l'âme forte dans les plus amères douleurs ; on devient sombre. Rien ne rend plus sombre que l'amertume devant le sort. Mais si Christ est en nous, lui, l'Agneau de Dieu, alors nous pouvons surmonter beaucoup.


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Il y a sur terre une souffrance qui agit comme une délivrance. Si l'on souffre étant innocent, alors il y a victoire sur le mal. Christ nous en a laissé un exemple : sachez souffrir en bravant la souffrance, dans la certitude victorieuse que vous êtes plus grands que la souffrance. La souffrance passe, vous ne passez pas ; triomphez de la souffrance, surtout quand elle vous frappe innocents.


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De même que le Sauveur a sa croix, de même nous devons avoir la nôtre. Cela prouve combien nous lui tenons de près. Sa croix, c'est sa participation au péché du monde (1). Le monde devient sa croix. S'il appelle à lui un disciple, il l'attire dans sa souffrance. Tout d'abord, il le délivre et lui dit : « Tu es un enfant de Dieu, tes péchés te sont pardonnés. » Mais ensuite, il est dit : « Celui qui ne se charge pas de sa croix, ne peut être mon disciple. »

C'est le commencement de la participation à la misère du monde. Cette participation pénètre profondément et nous entraîne dans une sorte de collision avec le monde ; et du fait de ce choc, la croix tombe sur nous. La croix c'est ce que le monde jette sur nous. Nous voulons nous charger du monde, il nous rejette, en partie par folie, en partie par malentendu, en partie par désespoir.

C'est aussi beaucoup par la faute du monde que les chrétiens sont devenus si extraordinaires ! Ainsi par exemple, les débuts du piétisme étaient une chose délicate et belle ; dans l'Eglise rigide, une vie cordiale et chaude s'est fait jour ; il y avait là un courant réchauffant, quelque chose qui venait du Sauveur. On voulait se charger du monde et on l'a fait. Combien d'oeuvres d'amour, auxquelles on n'avait pas pensé auparavant, ne doit-on pas au piétisme ! Mais ensuite le monde a frappé ces hommes au visage, et a amoncelé les injures sur eux. Ce fut sur eux la croix.

Quand une croix semblable s'appesantit sur l'un de nous, prenons garde de ne pas nous laisser aigrir. Le Sauveur ne s'aigrit jamais. Il voit la folie des hommes et pardonne. Là croix de Jésus n'est efficace que parce qu'il reste dans l'amour de Dieu. Dès qu'un homme a en lui cet esprit, la croix agit.

Une croix en soi, et pour soi, ne sert à rien ; il faut y joindre l'amour de Dieu ; et on ne l'a jamais épuisé. Il y a tant de disputes, même parmi les chrétiens ; on s'aigrit, on frappe autour de soi. Mais que celui qui veut prendre sur lui sa croix, imprime d'abord ceci dans son coeur : l'amour doit demeurer ! Si tu ne le peux pas, abandonne la croix.

Si quelqu'un a reçu une offense et ne peut pas l'oublier, qu'il reste éloigné de la croix du Christ. La croix du Christ ne devient lourde que si l'on prétend la porter en se laissant aigrir en même temps. Nous devons être de ceux dans l'âme desquels brille toujours l'amour de Dieu. C'est la force la plus sublime qu'il y ait au monde ; c'est par cette force que le Christ est vainqueur. Mais il doit avoir des disciples qui sachent aimer, comme il aime. Le zèle et la foi ne mènent pas à grand chose dans le Royaume de Dieu ; l'amour seul a le jugement droit, sait délier et construire. Cet amour réconcilie le ciel et la terre. et ramène à Dieu.


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La souffrance du Christ ne signifie pas : voici un homme qui traverse toutes les épreuves en héros, et reste cloué en croix comme si cela n'avait aucune importance ; mais bien : Christ est venu, s'unissant dans l'amour de Dieu aux afflictions du monde pour que celles-ci soient dénouées en lui. Et voici maintenant la définition de la vie des disciples du Christ : ce qui t'arrive ne t'est pas infligé pour faire de toi un héros, mais pour être dénoué et réconcilié en toi. C'est ainsi que le Christ « a porté dans sa chair sur la croix » les péchés et la mort ; il ne les a pas rejetés loin de lui, mais il s'en est emparé d'une main ferme et ne les a pas laissé échapper. Par là il se lie intimement avec les pécheurs et les prend dans l'obéissance avec lui sur la croix. Il s'est soumis afin de les lier tous à lui et de les porter jusqu'à ce sommet où le feu de l'amour de Dieu sépare le pécheur du péché.

C'est ce but que doit dorénavant poursuivre sa Communauté sur terre. Le Seigneur dans le ciel, et sa Communauté sur terre doivent se charger de l'iniquité et la dissoudre. Les péchés eux-mêmes, s'ils sont portés au Christ, peuvent être rachetés. Ce n'est pas pour rien que l'homme qui aspire Dieu doit lutter encore avec ses péchés. Par toi le péché doit expirer et la justice apparaître ; la mort doit exhaler son dernier soupir et devenir vie. Comment arriver à dénouer quelque chose si le Christ n'a personne sur terre ? Si aucun homme sur terre lie se donne à cette tâche, alors il y a des larmes dans le ciel.

Il nous faut être fidèles et ne pas prêter l'oreille aux voix séductrices qui s'élèvent toujours ainsi : « Dieu a-t-il jamais dit que tu doives tant souffrir ? » Toutes vos souffrances, même les plus infimes, portez-les en regardant en haut, à Dieu, et laissez-les de votre coeur monter à Jésus ; il les dénouera.


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Qu'ont fait les prophètes, comment tout spécialement Jésus a-t-il fait, pour faire comprendre au peuple ses péchés ? Si on les reproche aux gens en face, cela n'a point d'écho, car le péché bouche les oreilles et le coeur. Et si j'assemble beaucoup d'hommes, je n'ai pourtant pas le peuple ; et je suis loin d'atteindre en réalité les nombreuses individualités que j'ai là devant moi. Une partie d'eux-mêmes vient au-devant de moi, mais le plus profond de leur être, le plus intime, m'échappe. C'est du subconscient des hommes que provient leur folie, et c'est de là aussi que leur vient la claire intelligence pour la vérité et la justice.

Il n'y a qu'une manière d'enseigner aux hommes le chemin que le Sauveur nous a montré. Il est comme un agneau muet devant celui qui le tond ; il souffre sous le poids des péchés du peuple ; il les reconnaît. par son sang et par sa mort.

Nous devons être ceux qui portent les péchés, à la suite du Christ ; nous devons confesser sans ménagement les péchés du monde devant Dieu, savoir nous taire et souffrir, et porter en notre coeur les péchés devant Dieu, dire sans détour : ceci est un péché ; notre façon d'agir n'est pas bonne. Alors, où que nous allions ou soyons, il y a un témoignage vivant et muet contre le péché, et les gens le sentent. Ne frappons donc pas les gens au visage ! Cela ne sert à rien ! Avec la prédication extérieure on n'arrive pas à grand chose. Nous devons prêcher intérieurement. Nous avons une mission beaucoup plus haute que celle de juger les gens ; notre manière de prêcher est d'aider Jésus à porter sa croix, et d'être ceux qui souffrent devant Dieu. C'est ainsi qu'un père de famille doit porter les péchés de sa maison comme s'il était le coupable, et attendre le jour où par le jugement de Dieu les hommes le remarqueront et iront au devant de lui. Quand on souffre au milieu de la foule, pour l'amour de Dieu, on ne peut que porter sa douleur devant Dieu et soupirer : quand donc les yeux de ce peuple s'ouvriront-ils ? C'est là une prédication directe, qui va là où se trouve réellement le peuple.

Lorsqu'un homme, sans franchir les bornes de sa résidence, prêche ainsi intérieurement à son peuple, cherche la vérité de Dieu et s'y tient, implore la pitié et le pardon, et le jugement qui mettra à jour les péchés, son action s'étend au loin dans le monde entier.

C'est par une semblable prédication qu'arrive finalement le jugement dernier, celui dont il est dit : toutes les créatures de la terre se lamenteront. Je ne puis les forcer à se lamenter, aucun homme ne le peut. Mais ce que l'on prêche en esprit devant Dieu, agit dans le subconscient, dans ces régions invisibles d'où tout provient, le bien comme le mal. C'est là que nous devons prêcher, c'est là que nous devons attirer Dieu, là que nous devons dire : nous ne tolérerons plus cela ! Au nom de Jésus, nous ne souffrirons plus que de pareils courants de péchés cachés entraînent les hommes.

En agissant ainsi, nous ne devons pas condamner le pécheur ; mais nous devons condamner le péché, qui est la tentation de toutes les nations. Et nous deviendrons peu à peu, nous-mêmes des hommes qui demeurent en dehors de la tentation. Nous devons échapper à la grande contrainte qui pèse sur tous les peuples et devenir d'autres hommes, des hommes qui ne risquent pas d'être entraînés par les courants populaires tels que ceux qui nous entourent. C'est pourquoi il y a un tel scandale lorsque Jésus et ses disciples interviennent. Gardons-nous purs. Si nous avons en nous des tendances malsaines, alors qu'adviendra-t-il du monde ? Même ce qu'il y a de meilleur se changera en ténèbres. Mais si nous restons libres des courants du monde, nous pouvons annoncer aux foules leurs transgressions. Et cet avertissement est fait d'amour pur, de pur Évangile.


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Jésus ne répond pas au mal par le mal ; il reste auprès du Père, dans le ciel. Là, on ne frappe pas à tort et à travers ; là on ne médit ni ne méprise ; là on aime seulement du grand amour. Même la critique doit s'incliner devant l'amour, de sorte qu'aucun blâme ne peut venir écraser le pécheur, au contraire, il est délivré, libéré. Une parole de Jésus ne fait jamais mal, même quand Il dit : « Toi, hypocrite », ou : « Vous êtes des enfants de votre père le diable, de Satan. » Ce sont là des paroles qui sauvent, car elles sont toutes dites dans l'esprit de Dieu, qui ne méprise aucune de ses créatures. Il arrive qu'un jardinier doive attacher une plante, en émonder une autre, peut-être la couper jusqu'à la racine, mais il cherche à conserver ses plantes et non à les détruire. C'est ainsi que Dieu a aimé le monde jusqu'à donner son fils unique, afin que toutes créatures sortent du désarroi et soient sauvées.

C'est ainsi que Jésus devient le compagnon des péagers et des pécheurs ; il fréquente ceux qui, il est vrai, portent encore du mal en eux, mais qui pourtant lui ouvrent leur coeur d'une façon quelconque. Ceux-là lui paraissent propres à quelque chose. Il communie avec leur foi, il prend patience avec eux jusqu'au moment où ce qu'il y a de mauvais en eux disparaît.

C'est ce Jésus que nous devons suivre. Là où tous se répandent en invectives nous ne voulons pas injurier, là où tous condamnent nous ne voulons pas condamner ; là où tous tournent le dos, nous voulons prendre garde qu'il ne s'y trouve pas un pauvre enfant des hommes à qui nous puissions venir en aide. Il ne faut pas que l'on puisse dire de nous : ils ont répondu au mal par le mal, mais bien : ils ont répandu autour d'eux le pardon des péchés et se sont ainsi montrés de vrais disciples de Jésus-Christ.


70

Avez-vous déjà remarqué combien nous sentons nos coeurs s'élever quand, partout où nous allons et où nous séjournons, nous apportons la force qui pardonne les péchés ? Il n'est rien de plus grand, rien qui rende plus heureux, qui élève plus notre personnalité humaine, que cette puissance du pardon des péchés. À la vérité, si nous ne savions pas qu'il y a derrière nous la personnalité de Jésus-Christ lui-même, nous n'aurions pas le courage d'aller, avec le pardon des péchés, au-devant des hommes qui sont si souvent plongés dans les ténèbres. Mais si Jésus se tient derrière nous, nous avons le plein pouvoir du pardon.

Chacun est capable de juger et de condamner, c'est ce que fait surabondamment le monde. Mais ce pouvoir qui nous est accordé est le pardon des péchés, sans jugement et sans condamnation. Dans ce pardon des péchés réside la puissance divine de l'esprit, qui crée de nouveaux hommes. Pour qu'un homme devienne une nouvelle créature, nous devons aller à lui dans l'esprit de pardon : Tu appartiens à Dieu, c'est pourquoi tout, chez toi, peut être transformé, même si l'instinct du péché est encore en toi et quand bien même tu surprendrais encore en toi des rechutes. Si ta vie a été placée sous le pouvoir du pardon des péchés, sois consolé ; ta personnalité en émerge, elle est à Dieu. Mais maintenant, abandonne, toi aussi, quelque peu de ton entêtement ; ouvre la main, laisse tout tomber ; le principal est que ta vie intérieure se développe et croisse comme une personnalité qui vient de Dieu : son Esprit prend soin de toi afin que tu puisses arriver à la perfection.


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Il faut que nous apprenions à prendre sur nous devant Dieu notre faute. On entend toujours encore dire partout : « Mais je suis innocent ; que Dieu détourne sa colère de moi ; je n'ai pas péché. » Personne ne veut avoir péché quand arrivent les épreuves ; ce sont les générations futures qui discernent les fautes du passé ; la génération présente fait rarement pénitence.

C'est pourquoi il faut que les chrétiens apprennent d'autant plus à prier, comme Daniel l'a fait (Chap. 9). Il se range lui-même parmi les coupables, et prend également sur lui la faute de ses pères, dont les péchés ont amené le malheur. Il se pénètre entièrement de cette conviction : ce qui nous arrive est juste, et si une grande miséricorde ne vient pas à notre aide, il n'y aura pas de secours possible, car Dieu est juste. Cette prière de Daniel pénètre à travers tout ; c'est une telle prière qui doit aussi l'emporter finalement par nous.

Beaucoup murmurent à demi quand ils sont dans la peine, et n'arrivent pas à dire : « C'est bien fait pour moi » ; leur façon de prier ne porte pas de fruits, cette prière ne va pas à Dieu. C'est justement quand quelqu'un, comme Daniel, - qui pourrait jusqu'à un certain point se croire juste, murmure, que cet esprit de révolte déplaît le plus à Dieu. Ce sont précisément les meilleurs qui doivent s'humilier le plus profondément en reconnaissant leurs fautes, et penser à tout ce que le passé aussi a déjà apporté de calamités et de misères ; car les péchés de nos pères pèsent également sur nous, et nous devons être humbles sous ce fardeau. Si nous voulons obtenir quelque chose, tout autre disposition d'esprit que celle de la prière de Daniel, est une erreur et une faute ; tandis que tout rapprochement vers cette mentalité portera ses fruits devant Dieu et peut aider à ce que nous recevions quelque chose du Ciel.


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La haine des hommes s'acharne contre toute vérité quand elle apparaît pour la première fois, non pas que les hommes ne veuillent pas comprendre la vérité, mais ils ne le peuvent pas ; ils ont peur de la vérité. Cette haine des hommes risque toujours de détruire à nouveau ce qui a été une fois manifesté comme vrai dans le monde. C'est pourquoi cela coûte une peine infinie de faire pénétrer une vérité dans le monde. Cette rage satanique des hommes a cloué Jésus sur la croix ; elle poursuit bien des hommes de sa haine et de ses calomnies aussitôt qu'ils ont une vérité quelconque à introduire dans le monde ; et il en sera toujours ainsi jusqu'à ce que les hommes aient été arrachés aux ténèbres.


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Si nous sommes des disciples de Jésus, aucun homme ne nous flatte plus. Le monde nous hait, quoi que nous fassions. Dieu, en nous, ne sera jamais compris, avant que le jour de Jésus-Christ ne vienne. En aucun temps le monde, n'a compris le Sauveur ; de même il ne comprend pas non plus les témoins en qui l'esprit de Dieu habite ; plus fortement Dieu se manifeste en quelqu'un, et plus on le hait. On peut se sacrifier corps et âme pour les gens - et c'est ce qu'on fait pourtant toujours, malgré l'abîme que l'on sent entre Dieu et les hommes - malgré tout, on ne sera pas compris. Tout disciple de Jésus doit s'y attendre, aussi devons-nous marcher de l'avant, sans nous en inquiéter.. N'ayez nulle crainte du monde, le plus qu'il peut, c'est de nous tuer !


74

Celui qui se sent offensé par la haine des hommes, et froissé et qui rend coup pour coup quand il est frappé pour l'amour de la vérité, n'est pas un combattant. Tout le combat consiste en ceci : faire jaillir de la vie pour autrui.
Même ceux qui nous haïssent doivent recevoir la vie. La lumière de la vie de Jésus-Christ me permet d'être fidèle jusqu'à la mort, si bien que je préfère encore mourir, plutôt que de me laisser arracher du coeur mon amour pour le monde.

À cet égard, les disciples de Jésus font souvent des fautes : ils bataillent trop avec autrui. Nous devons seulement être les témoins de la vie, dans l'amitié, dans la bonté, dans la fidélité de Dieu envers tous les hommes ; supporter dans nos coeurs toute contradiction et, même envers notre ennemi le plus acharné, tenir ferme à cette vérité : Tu appartiens à Dieu, je lutte pour cela sur cette terre, il faut que tu deviennes enfin un homme de bien.

On ne peut éternellement calomnier et haïr. Plus nous sommes fidèles, plus la haine se consume devant nous. La haine n'a qu'un temps, l'amour est éternel et dure éternellement.


75

Nos droits humains se dressent contre le droit de Dieu. Nous nous imaginons avoir toutes sortes de droits. Comme pères nous croyons avoir un droit sur nos enfants, comme maris un droit sur nos épouses, comme maîtres un droit sur nos serviteurs. Si Dieu appelle l'un de nous comme prêtre, évêque, homme de science ou bienfaiteur, celui-ci s'en forge un droit. Et avec ces droits-là, nous opprimons les autres hommes. C'est pourquoi Jésus appelle tous ceux qui l'ont précédé, voleurs et assassins.

Où voyez-vous Jésus se targuer de son droit ? Il ne regarde pas comme une usurpation pour lui d'être égal à Dieu (Philip. II, 6 et 7) ; il ne se prévaut pas d'être d'une naissance supérieure, ni d'être élevé au-dessus de tous les autres hommes. Il se fait le serviteur de tous ; il ne se laisse pas introniser comme roi, il renonce à ses droits. Et ceci il le réclame aussi de ses disciples : qui veut me suivre, qu'il renonce à soi-même, qu'il renonce à ses droits. En nous targuant de nos droits nous perdons notre qualité d'hommes ; en renonçant à nos droits, nous devenons des hommes véritables. Où sont les disciples de Jésus qui renoncent à leurs droits et deviennent des hommes véritables ? Où sont ceux qui en appellent à Dieu et au droit de Dieu ? Le secours ne viendra aux hommes que si, comme serviteurs de Dieu, nous représentons son droit sur terre ; car c'est alors que Dieu vient comme juste protecteur de l'honneur de tous les hommes.


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Entre Dieu et les hommes il n'y a pas place pour des lois, car toute loi fait abstraction de l'individualité. Le but suprême de la communion avec Dieu est de mûrir et d'achever la personnalité, la valeur individuelle d'un homme.

Mais parce que dans nos rapports avec Dieu, il peut ne pas y avoir de lois, il ne faut pas s'imaginer qu'il peut en être de même dans nos rapports avec les hommes. L'absence de lois dans mes rapports avec Dieu me rend capable de supporter toutes les lois humaines. La liberté avec Dieu m'aide, quand cela est nécessaire, à être esclave sur terre ; je suis cependant toujours libre ; je surmonte le mal par le bien, l'esclavage par ma liberté en Dieu. Voilà pourquoi ce n'est pas bien de vouloir faire servir cette liberté du chrétien à des fins révolutionnaires. Ce n'est pas par la force du poing ou du bras ou de l'épée que nous pouvons faire triompher le bien dans le monde. Nous devons, dans cette liberté avec Dieu, surmonter intérieurement l'esclavage du monde ; nous devons pénétrer avec notre liberté au sein de l'esclavage du monde, afin que la volonté de Dieu soit manifestée parce que nous sommes là, c'est-à-dire parce que Christ est en nous. Nous transmettons la délivrance au monde, mais ce n'est pas nous qui le délivrons. Nous abandonnons ce qui est humain à la mort, afin que ce qui est divin vive.


77

Il est très important d'être « positif ». De plus en plus la critique doit cesser ; elle n'obtient pas grand chose. Il s'agit aujourd'hui de bâtir. Et l'on ne bâtit qu'en permettant, à chacun d'avoir sa valeur propre, en reconnaissant à chacun le droit de servir Dieu et de rechercher le bien à sa façon.


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Des institutions, des usages, des coutumes s'incrustent, et l'on redoute avec raison d'abandonner d'anciens chemins. Il faut se garder de détruire des routes existantes, avant d'avoir de nouveaux chemins sur lesquels l'humanité puisse continuer sa route.


79

Le gouvernement de Dieu réclame des hommes libres ; mais il ne veut pas des démolisseurs. On peut être libre sans rien renverser. On peut demeurer libre en toutes circonstances, libre sous le gouvernement de Dieu, avec cette certitude : Dieu le Père, et Jésus le Roi transformeront ce qui doit être changé. Il a le monde dans sa main ; le gouvernement du monde ne nous a pas été donné à nous. Ceux qui sont libres en Dieu, même s'ils sont les sujets des hommes, deviennent infiniment forts et réalisent de véritables progrès, précisément parce qu'ils sont libres et ne se querellent avec personne, parce qu'ils abandonnent entre les mains de Dieu tout ce qui vient à eux comme les choses se présentent, et n'agissent que là où elles leur tombent tout naturellement dans les mains.

Ce qui nous rend faibles, c'est de nous imaginer, dans la dépendance où nous sommes, que les circonstances doivent être de telle ou de telle façon, et qu'autrement nous ne pouvons pas être des chrétiens. Or nous n'avons rien à changer. Le grand cancer rongeur, qui s'est installé au cours des siècles dans les cercles chrétiens, provient de ce que l'on s'est imaginé devoir faire des choses pour lesquelles nous n'étions nullement créés. Or nous sommes uniquement créés pour être des enfants. Nous sommes des enfants, aujourd'hui ainsi, demain autrement.

Parfois notre Père se retire, nous nous retirons alors avec lui ; si notre Père se tait, nous nous taisons aussi ; quand il se révèle de façon retentissante, nous parlons aussi. Parfois notre Père nous disperse ; alors nous nous séparons les uns des autres ; puis il nous rassemble à nouveau, alors nous nous réunissons de nouveau. Dans la soumission, nous sommes de fidèles sujets qui ne pensons que : « Mon Seigneur et mon Dieu, c'est toi qui agis ! »


80

Comme disciples de Jésus, nous devons être des brebis parmi les loups. C'est à peu près le contraire de ce qui est de règle dans l'histoire de l'humanité. Dans l'humanité règne ce qu'on appelle la lutte pour la vie, comme dans la nature. Or, à la loi qui veut que les faibles soient sacrifiés, Jésus oppose celle-ci : non, les forts périssent, les faibles vivent ; ce qui est grossier, inhumain, mordant et cruel n'a pas d'avenir sur terre ! Abandonnez donc la lutte pour la vie ! Jésus l'a abandonnée sur la croix ; il remet sa cause au Père dans le ciel, et meurt. Faites donc, vous aussi, la paix avec tous les hommes, et confiez-vous en l'Esprit de Dieu ; soyez des brebis parmi les loups. Que celui qui le peut s'arrache les dents. Ne mordez plus, ne cognez plus, ne frappez plus ! Ne t'expose pas toujours à des querelles inutiles. Quand tu estimes avoir raison, ne te jette pas sur ton prochain comme un loup ou un tigre ; sois un petit agneau ; et si le loup furieux gronde et hurle, alors, éloigne-toi, tu n'as pas le devoir. de tuer le loup, laisse-le hurler et va-t-en. Le petit agneau ne se met pas devant le loup hurlant ; le serpent ne s'expose pas au pied de l'homme.

Mais si tu dois t'en aller, que cela soit avec joie, dans l'amour de Dieu : Jésus vit, voilà ma vie ! À la fin tes ennemis en seront aussi impressionnés. Pourtant soyez prudents quand vous confessez Dieu ; beaucoup le font de manière qui blesse les autres, et cette confession n'est souvent qu'une nouvelle manière de mordre les autres. Que celui qui veut confesser sa foi le fasse dans l'amour de Dieu qui nous rend doux et dignes. Nous devons être nobles et pleins de tact de sorte que l'on reconnaisse en nous l'amour que Dieu a pour les hommes.

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