Il est deux paroles des saintes Écritures, sur lesquelles nous
appuyons ce que nous avons aujourd'hui à vous dire. Voici la
première :
« C'est pourquoi tout homme qui entend ces paroles
que je dis, et les met en pratique, je le comparerai à un homme
prudent qui a édifié sa maison sur le rocher ; et la pluie est
descendue, et les rivières sont venues, et les vents ont soufflé, et
ils sont tombés sur cette maison, et elle n'est point tombée ;
car elle avait été fondée sur le rocher. Mais tout homme qui entend
ces paroles que je dis et ne les pratique pas, sera comparé à un homme
insensé, qui a édifié sa maison sur le sable ; et la pluie est
tombée, et les rivières sont venues, et les vents ont soufflé, et ils
ont heurté contre cette maison, et elle est tombée,
et la chute en a été grande » (Matth.,
VII, 24-27).
Voici la seconde parole :
« Ayant été édifiés sur le fondement des apôtres et
des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre de l'angle »
(Ephés.,
II, 20).
MES FRÈRES,
Nous vous avons dit, il y a huit jours, que nous vous
présenterions, sur la divine autorité des Écritures, premièrement, le
témoignage de Dieu, et secondement, le témoignage des hommes.
Nous vous avons d'abord présenté le premier ; nous
avons vu comment le Père a voulu que ces deux grandes manifestations
de la Divinité, le Fils et l'Esprit, rendissent l'une et
l'autre témoignage à son Écriture. Ces témoignages sont divins ;
après les avoir entendus et compris, il n'y a plus qu'à les recevoir.
Nous avons aujourd'hui à vous présenter le témoignage des
hommes. Ce n'est plus la même chose. Le témoignage de Dieu n'est pas
seulement une preuve : c'est plus qu'une preuve. Nombreux sont
ceux qui ont quelques difficultés à comprendre
comment le soleil, qui s'est couché le soir à l'occident, se trouve le
matin à l'orient. Ils ne sauraient dire en vertu de quelle loi cela
s'opère ; ils n'entendent rien aux révolutions diurnes, à
l'écliptique, au lever et au coucher héliaques, cosmiques, ou
achroniques ; mais ils savent une chose : c'est que le
soleil est maintenant dans les cieux et qu'ils le voient. Tous les
astronomes, ou plutôt les astrologues du monde, voudraient leur
prouver le contraire, par leurs subtiles recherches, que leur croyance
n'en serait pas le moins du monde ébranlée ; ils
répondraient : Je le vois. Il en est de même de vous, mes frères,
qui avez entendu en vous le témoignage du Fils et du Saint-Esprit.
Malgré toutes les subtilités théologiques, vous savez que
l'Écriture est de Dieu.
Ceux même qui répandent sur cette Écriture de funestes
erreurs, ne sont pas insensibles, croyez-moi, à ce témoignage intime
de la Parole et de l'Esprit du Seigneur. Il y a aussi dans leur coeur
de saints accents qui plaident pour la Parole de leur Dieu. Mais il y
a un dualisme dans le chrétien, c'est-à-dire deux sagesses ; et
le mal se manifeste quand on cultive la sagesse d'en bas plus que
celle d'en haut. L'équilibre est alors rompu, et la chute est grande.
Mais ne pensez pas que cette sagesse du ciel soit tout à fait muette
en leur coeur. je leur dirais volontiers comme Paul : O roi
Agrippa ! crois-tu aux prophètes ?...
je sais que tu y crois ! Dieu donne à des âmes précieuses,
que Christ a rachetées, de se dérober à la foule, de se retirer dans
la solitude, comme le Seigneur, pour prier, d'y lire la Parole avec un
coeur simple, et alors, comme David, nous les entendrons
s'écrier : Ta Parole m'a rendu la vie ! Le fondement de
ta Parole est la vérité.
Si telle est la puissance du témoignage de Dieu, il n'en
est pas de même du témoignage des hommes ; nous ne sommes pas de
ceux qui mettent sur le même rang, ou à peu près, les écrivains sacrés
et les Pères et docteurs de l'Eglise. Cependant, les déclarations des
docteurs chrétiens ont une certaine signification. De même que, si
l'on veut savoir ce qu'a enseigné Mahomet, on aimera connaître ce
qu'ont pensé Abou-Bekr, Ali, Abou-Hanifah ; de même que si l'on
veut savoir ce qu'a enseigné Schleiermacher, on le demandera à ses
disciples en Allemagne ou ailleurs : de même pour la doctrine de
Christ, si la première chose c'est d'interroger le maître, il est
pourtant intéressant et utile d'interroger ensuite les disciples. Je
me propose donc, aujourd'hui, de vous exposer le témoignage des
disciples de Christ dans les deux plus grandes époques de l'histoire
de l'humanité : celle du commencement du christianisme, et celle
de la Réformation.
On a dit, parmi nous, que l'autorité de l'Écriture est d'invention
postérieure au christianisme primitif. Cette assertion n'est pas
nouvelle. Plusieurs docteurs l'ont soutenue en divers temps.
Permettez-moi de vous en citer deux : l'un parmi les protestants,
et l'autre parmi les catholiques. Voici le premier.
En Allemagne, dans le milieu du siècle dernier, vivait un
savant protestant, dont Mme de Staël dépeint ainsi le caractère :
« Original et profond, il trouvait les paroles les plus précises
et les plus mordantes ; il était toujours animé dans ses écrits
par un mouvement hostile contre les opinions qu'il attaquait,
ressemblant à un chasseur qui trouve encore plus de plaisir dans la
course que dans le but. »
Ce savant s'appelait Lessing ; il est regardé par
les rationalistes eux-mêmes comme l'un des pères du rationalisme.
Comment le devint-il ? Selon le docteur Hase, rationaliste
lui-même, Lessing fut le premier à attaquer, en Allemagne, l'autorité
divine de l'Écriture, et à prétendre que le christianisme est
indépendant de la Bible. D'abord, il voulait conserver le
christianisme et ne sacrifier que la Bible ;
mais le christianisme s'en alla bientôt avec la Bible. Le vase étant
brisé, l'eau vivifiante se répandit et se perdit. Les doctrines
chrétiennes tombèrent l'une après l'autre.
Un savant théologien nous a donné une histoire de la
révolution qui s'accomplit en Allemagne depuis 1750 dans le champ de
la théologie (1). On en vint peu à
peu à cet ordre de choses déplorable, où l'on substitua, dans des
églises vides, des sermons sur la culture des pommes de terre, ou
autre objets utiles, à la prédication de Jésus-Christ.
Prétendre, comme Lessing, qu'on n'en veut qu'à l'autorité de la Bible,
et qu'on respecte le christianisme, c'est ressembler à ces Indiens de
l'Amérique, qui coupent le palmier à ras de terre : « Voyez,
disent-ils, les fruits restent ! » et ils mangent. Mais
attendez quelques jours - les fruits sont séchés, les branches sont
séchées, le tronc tout entier n'est que du bois sec ; et cet
arbre, qui devait donner, à vous et à vos enfants, un fruit si
agréable, n'est plus bon qu'à être coupé et jeté au feu.
Et que fit Lessing pour combattre l'autorité de la
Bible ? Précisément ce qu'on fait maintenant parmi nous.
« C'est une invention du catholicisme, » dit-il ;
seulement, il plaça cette invention, plus tard que
le temps des gnostiques, à l'époque du concile de Nicée, en 325. (2)
Si les rationalistes protestants prétendent que de
l'Écriture est une invention du catholicisme, voici maintenant les
catholiques romains qui prétendent qu'elle est une invention du
protestantisme.
Le second des docteurs que je voulais vous citer. est le
catholique romain Staphylus, qui, attaquant la Réformation avec le
zèle d'un apostat, mit au nombre des maximes inventées par la
Réforme, celle-ci : Major est auctoritas Scripturae quam Ecclesia.
« L'autorité de l'Écriture est plus grande que celle de
l'Eglise. »
Ainsi, quand il s'agit de l'autorité de l'Écriture,
catholiques romains et rationalistes protestants se rejettent la
balle : personne n'en veut. Cette autorité, selon chacun de ces
deux partis, est une invention de l'autre. On a renouvelé de nos jours
et parmi nous les idées de Lessing et de Staphylus, sur l'invention
tardive de l'autorité de l'Écriture. Cherchons à reconnaître la voix
des premiers siècles, et, à ce sujet, voyons s'ils ont cru, oui ou
non, que le recours à l'autorité de la Bible, que le biblicisme, est
le fléau de l'Eglise.
À Rome, à la fin du premier siècle, un ancien ou évêque
de l'Eglise, nommé Clément, probablement celui dont Paul dit aux
Philippiens : Clément dont le nom est dans le livre de vie,
enseignait dans cette ville antique, où Paul avait enseigné dans les
chaînes. - Voulez-vous savoir ce que vous avez à faire, vous qui
cherchez le salut ? Clément vous le dira : « Examinez
avec soin les Écritures (dit-il chap. XLV de son Épître aux
Corinthiens) ; elles sont les vrais oracles de l'Esprit-Saint.
Apprenez qu'il n'y a en elles rien d'injuste, ni de faux, ni de
simulé. »
À peu près au même temps, au commencement du second
siècle, dans Antioche, la métropole des chrétiens païens, comme
Jérusalem était celle des chrétiens juifs, un disciple de saint Jean,
Ignace, faisait briller le doux éclat des vertus chrétiennes.
Voulez-vous savoir quels sont ceux qui renient le
Seigneur et que le Seigneur reniera ? Ignace vous le dira :
« Ce sont ceux, dit-il, que ni les prophètes n'ont persuadé, ni
la loi de Moïse, ni l'Évangile (3). »
Ou bien demandez-vous la source de la vérité vers laquelle vous devez
en tout temps vous rendre ? Ignace vous répondra :
« Courez à l'Évangile, comme étant la personne même de
Jésus-Christ ; courez vers les apôtres, comme
étant le presbytère de l'Eglise. L'Évangile est la perfection de
l'incorruptibilité (4). Ignace
mourut martyr pour le nom de Jésus-Christ.
Dans l'antique Smyrne, qui prétendait avoir été le
berceau d'Homère, un chrétien vénérable, Polycarpe, aussi disciple de
Jean, rassemblait alors autour de lui de nombreux disciples.
Dites-vous : J'ai déjà cru au Seigneur, mais comment serai-je
édifié de jour en jour dans cette sainte foi ? Voici la
réponse :
« Paul, écrivait Polycarpe aux Philippiens (chap. III), Paul, qui, lorsqu'il était au milieu de vous, a enseigné parfaitement la Parole de la vérité, étant absent, vous a écrit des lettres auxquelles vous devez regarder pour être édifiés dans la foi qui nous est donnée. Ou bien voulez-vous savoir sur quelle autorité vous devez croire les choses du monde invisible ? Polycarpe argumente de I Cor., VI, 2, pour établir le jugement à venir : « Ne savons-nous pas, dit-il, que les saints jugeront le monde, comme Paul l'enseigne (5) ? »
Continuons. Nous trouvons bientôt, vers l'an, 130, les apologistes qui tiennent le premier rang à cette époque, et sont des docteurs très-versés et très-croyants dans les saintes Écritures. L'un d'eux, Justin, né à Sichem, célèbre longtemps comme philosophe, rassemblait à Rome, vers l'an 140, dans une maison de bains où il demeurait, les chrétiens qui parlaient grec, pour leur expliquer la Parole. Demandez-vous à Justin et à son disciple, Tatien, comment on naît de nouveau ? Ils vous répondront que c'est par la lecture des saintes Écritures qu'ils sont devenus chrétiens (6). La sainte Écriture, c'est leur mère.
« Des choses si élevées, disait encore Justin, ne peuvent être connues par la réflexion humaine, mais seulement par le moyen d'un don céleste qui est descendu sur les saints hommes. Ils n'avaient besoin, ni d'une éloquence selon les règles de l'art, ni de moyens ingénieux de dispute, mais seulement de remettre passivement leurs âmes pures à l'influence du divin Esprit. Comme un archet promené sur une lyre produit des sons, ainsi Dieu se servit de ces hommes pieux comme d'instruments pour nous faire connaître les choses célestes (7). »
Justin mourut martyr pour le nom de Jésus-Christ.
C'est à peu près alors, un peu avant et un peu après, que
s'agitent, surtout en Orient, les fameux gnostiques. Sans expliquer
cette hérésie, je dirai seulement que, tandis que des docteurs
modernes ont nié la déité de Christ, plusieurs gnostiques niaient la
vérité de son humanité. D'illustres docteurs les combattirent, et
surtout Irénée et Tertullien, vers l'an 180.
Nous y voilà, dit-on ; le catholicisme se forme, et
il invente l'idée, inconnue jusqu'alors, de l'autorité de
l'Écriture ! - Mais vous avez vu, mes frères, que cette idée fut
déjà celle de Jésus-Christ, des apôtres, des docteurs qui les ont
suivis. Autant vaudrait affirmer, ce me semble, que l'un des
imprimeurs de cette ville vient d'inventer l'imprimerie, connue depuis
Gutenberg ; ou que l'un des nombreux émigrants qui partent de
notre Suisse vient de découvrir l'Amérique. Où les
enverriez-vous ?
Quoi ! Irénée, Tertullien et d'autres inventent
contre les gnostiques l'autorité des Écritures ! Mais comment des
hommes, aussi distingués par leur intelligence que quelques
gnostiques, comment Héraclion, par exemple, et Marcion, se
seraient-ils donné tant de peine, et une peine si inutile, pour faire
parler en leur faveur les écrits de saint Jean, de saint Luc, de saint
Paul, si les Écritures n'avaient pas joui alors, aux
yeux de tous les partis, d'une autorité qu'il était impossible de
décliner ?
Si les docteurs orthodoxes avaient imaginé cette
invention pour réduire au silence leurs adversaires, comme on eût vu
tous les docteurs gnostiques signaler cette manoeuvre
déshonnête ! Ils n'en eurent pas la pensée. Cette preuve
scripturaire, qui leur était fort désagréable, était tellement établie
par l'autorité de Jésus-Christ et des apôtres, que les gnostiques
eux-mêmes cherchaient à l'employer en faveur de leurs doctrines.
Et quand ils virent qu'ils ne pouvaient y parvenir,
savez-vous ce qu'ils firent ? Ils dirent ce qui a été dit
récemment : que Jésus-Christ et les apôtres s'étaient accommodés
aux préjugés de leurs contemporains. « Les gnostiques, dit
Néander, sont les pères de la doctrine d'accommodation dans
l'Eglise chrétienne (8). »
Belle origine, vraiment ! Pour nous, nous ne nous soucions pas
d'emprunter nos procédés théologiques aux docteurs de l'Ogdoas,
de l'Abraxas, du Bythos, des Syzygies, du Jaldabaoth,
et de toutes ces rêveries sans fin.
Pourtant, il y a quelque chose de vrai dans l'assertion
que nous combattons. Oui, c'est bien alors. que le catholicisme
commence à se former. Mais lequel ? Le vrai
catholicisme, celui que vous et moi nous connaissons, le système qui
combat l'autorité souveraine que nous réclamons pour la Parole de
Dieu, la doctrine humaine qui met la tradition au-dessus de
l'Écriture.
Peut-être serez-vous curieux de savoir comment le
catholicisme a commencé dans l'Eglise ? Chemin faisant, j'ai
l'occasion de vous le dire.
Les gnostiques, voyant que leurs arguments scripturaires
ne servaient à rien, eurent recours à de prétendues traditions
secrètes qui leur venaient, disaient-ils, des apôtres.
Que firent alors les docteurs orthodoxes ? À ces
traditions secrètes, ils opposèrent l'enseignement public de l'Eglise.
Ils invoquèrent contre l'esprit rêveur et gnostique, l'esprit
historique manifesté par des faits. Mais ces docteurs chrétiens n'en
restèrent pas là. Il y avait deux anneaux dans leur raisonnement
contre les gnostiques et autres hérétiques. Ils leur disaient
d'abord : « Voyez ! vous êtes seuls ; toute
l'Eglise pense autrement que vous. » Mais ils se hâtaient
d'ajouter : « Ce que l'Eglise pense est démontré vrai par la
sainte Écriture. » - L'Écriture était donc toujours l'autorité
suprême sur laquelle reposait leur foi.
Cependant, mes frères, ce procédé si naturel a suffi pour
donner naissance au catholicisme.
L'Eglise et la tradition étaient, il est vrai, mises, par
les docteurs chrétiens, au-dessous de l'Écriture ; mais attendez
les siècles, et vous verrez qu'elles sauront bien se mettre au-dessus.
Toutefois, si le catholicisme, c'est-à-dire le principe opposé à celui
que nous défendons, commença au second siècle, ce ne fut qu'un faible
commencement. L'Écriture resta l'arbre majestueux qui élevait vers les
cieux son branchage, et dans les rameaux duquel les oiseaux de toute
la terre faisaient leurs nids.
La mauvaise semence, ce germe traditionnel qu'une main
imprudente laissa tomber en terre, ne parut d'abord que comme un
faible arbrisseau, et il fallut quelques centaines d'années pour que,
élançant ses branches, cet arbrisseau recouvrît l'arbre majestueux
près duquel il était planté. Autour de ces deux arbres, l'Écriture
d'un côté, la tradition de l'autre, se groupent les familles de la
chrétienté. Mais entre eux errent quelques esprits aventureux, qui ne
voulant pas, avec droit, de l'autorité traditionnelle de l'homme, et
refusant malheureusement de se soumettre à l'autorité scripturaire de
Dieu, voltigent ça et là sans abri. - Continuons notre voyage à
travers les siècles.
Peu après les gnostiques, vers l'an 180, sur les rives du
fleuve dont les eaux traversent notre beau lac, à Lyon, se trouvait un
disciple de Polycarpe, Irénée. Voulez-VOUS savoir ce
que vous avez à faire si vous aimez la vérité ?
« Efforcez-vous, vous dira Irénée, d'avancer, par une étude
journalière, dans les choses qui sont enseignées dans les Écritures (9). »
Et si vous demandez que l'on vous signale les dangers que vous devez
éviter, Irénée, vous répondra : « que le grand danger, c'est
d'abandonner les Écritures dictées par la Parole et l'Esprit de Dieu.
Laissant alors ce qui est vrai, certain, indubitable, continuera-t-il,
destitués vous-mêmes de raison, vous vous précipiterez dans de grands
périls (10). » Hélas !
oui, nous le savons ! Irénée mourut martyr pour le nom de Jésus.
Presque en même temps, vers la fin du second siècle, en
Égypte, à Alexandrie, la première ville du monde après Rome, près de
la colonne de Pompée et des aiguilles de Cléopâtre, un ancien de
l'Eglise, Clément, enseignait la jeunesse et tous les chrétiens.
Voulez-vous savoir comment se font les hérétiques ? Clément pense
là-dessus comme Jésus - « On devient hérétique, dit-il, quand
on ne se soumet pas aux Écritures. Il faut nécessairement qu'ils
fassent de très grandes chutes, continue-t-il,ceux
qui abordent de très grandes choses, s'ils ne tiennent pas la règle de
vérité qu'ils ont reçue de la vérité elle-même (11) »
Mais en quoi, direz-vous, consiste l'hérésie, l'essentiel
de l'hérésie ?... Clément d'Alexandrie vous l'apprendra.
L'hérésie consiste, selon lui, non pas dans telle ou
telle erreur, mais en ce que, abandonnant l'autorité des Écritures, on
cherche au-dedans de soi la raison de croire.
« De même, dit-il, que l'on dit d'amandes qu'elles sont vides, non seulement s'il s'agit de celles dans lesquelles il n'y a rien, mais aussi de celles dans lesquelles ce qu'il y a est inutile, de même aussi nous appelons hérétiques ceux qui sont vides des Conseils de Dieu et des enseignements de Christ, et qui, aussi amers qu'une amande sauvage, sont les princes et les auteurs de leurs dogmes (12). »
Clément ne veut pas que nous soyons les princes, les exarques
de nos dogmes : l'Écriture seule doit l'être.
Savez-vous ce que vous seriez, selon ce docteur égyptien,
si vous éloigniez de vous l'autorité des Écritures ? « Vous
seriez, dit Clément, comme de « méchants garçons qui chassent
leur maître d'école. » On sait pourquoi les
méchants garçons font cela.
Enfin, voulez-vous connaître la transformation qui
s'opérerait en vous, si vous abandonniez l'autorité de
l'Écriture ? Clément d'Alexandrie, vous le dira encore :
« Il en serait de vous, dit-il, comme de ceux qui furent infectés
du poison de Circé. »
Circé, vous le savez, était une fameuse magicienne des
païens qui, dit-on, changea les compagnons d'Ulysse en loups, en ours,
en autres bêtes, avec une liqueur qu'elle leur fit boire. « De
même, continue Clément, celui qui abandonne l'autorité de l'Écriture,
d'homme, devient bête. Mais, au contraire, ajoute-t-il, celui
qui, revenant de l'erreur, obéit aux Écriture et confie sa vie à la
vérité, est changé, en quelque manière, d'homme en Dieu ! »
Ainsi, selon l'illustre docteur d'Alexandrie, voilà l'alternative
d'homme en bête, ou d'homme en Dieu !
Parmi les disciples de Clément se trouvait, à Alexandrie,
un jeune enfant, devant le lit duquel son père, Léonidas, avait
coutume de prier, tandis qu'il dormait. Comme il avait atteint sa
seizième année, son père fut jeté en prison, et le garçon, voulant
aller partager son martyre, la mère fut obligée de
cacher ses habits. Origène, c'était son nom, devint le plus savant
docteur de l'Eglise, le fondateur de la critique et de l'exégèse. Or,
il vénérait les saintes Écritures, comme la Parole authentique et
infaillible de Dieu.
Demandez-vous : Où puiserons-nous la connaissance ? Origène vous répondra :
« Pas ailleurs que dans les paroles même de Christ. » Demandez-vous encore : Que nous faut-il entendre par les paroles de Christ ? Le grand docteur vous répondra : « Pas seulement celles par lesquelles Christ a enseigné quand il a été fait homme. Déjà avant, comme Verbe de Dieu, Christ était dans Moïse et les prophètes. Mais aussi, après son ascension, Jésus a parlé par ses apôtres, selon ce que dit saint Paul : Est-ce que vous cherchez une preuve que Christ parle en moi ? » (2 Cor., XIII, 3.)
« Dans la recherche de si grandes choses, dit-il, encore, nous ne nous contenterons pas des sentiments ordinaires, mais nous prendrons, soit dans l'Ancien, soit dans le Nouveau Testament, le témoignage des Écritures, que nous croyons êtres divines, pour prouver ce que nous disons. »
Enfin, je ne puis m'empêcher de citer un passage que je prendrai de
préférence, non dans les propres écrits d'Origène comme les autres,
mais dans ceux d'un savant et pieux docteur de nos
jours, Néander, qui le cite avec éloge.
Si l'on veut savoir, dit Néander, comment la foi à un
Esprit divin, qui souffle dans toute l'Écriture, remplissait Origène,
et combien il était convaincu que cet Esprit ne se communique qu'à un
coeur humble et fidèle, qu'on lise ces mots, qui l'expriment avec tant
de beauté :
« Il faut croire qu'aucun mot de la sainte Écriture ne manque de la sagesse de Dieu, car celui qui a dit à un homme : Tu ne paraîtras pas vide devant moi (Exode, XXXIV), à plus forte raison ne dira lui-même rien qui soit vide ; car les prophètes prennent, comme ils le disent, de sa plénitude. C'est pourquoi il y a partout un souffle qui émane de cette plénitude, et il n'y a rien dans les prophètes, dans la loi, dans l'Évangile ou dans les lettres apostoliques, qui ne vienne de cette plénitude. Ce souffle, qui provient de la plénitude de Dieu, se manifeste à ceux qui ont des yeux pour voir la révélation de la plénitude divine, des oreilles pour l'entendre, un odorat pour en percevoir le parfum. Mais s'il t'arrive une fois, en lisant les Écritures, de rencontrer une pensée qui est pour toi une pierre d'achoppement et un rocher de scandale alors accuse-toi toi-même ! Ne te désespère pas ; sois certain que cette pierre de scandale renferme des pensées telles, que s'accomplira ce qui est écrit : Celui qui croit ne sera point confus. Croîs d'abord, et alors tu trouveras que ce qui te semblait un scandale est un grand gain (14). »
Si de l'Égypte nous nous rendons dans une autre partie de l'Afrique, nous rencontrons, au milieu du troisième siècle, à Carthage, un ministre zélé, Cyprien, qui tenait un peu trop à l'unité extérieure. Cependant, lui demandez-vous : Quand je n'ai plus de sagesse, quand le conseil, quand la vie me manque, que faire ? Cyprien vous répond qu'il faut aller aux Écritures.
« Si un aqueduc, dit-il, où l'eau coulait auparavant avec abondance, se dessèche tout à coup, ne va-t-on pas à la source (15) ? »
Il mourut martyr pour le nom de Jésus-Christ !
Mais à mesure que nous avançons dans les siècles, la
lumière et la vie commencent à décroître dans l'Eglise.
Pourquoi ? Parce que le flambeau de l'Écriture commence à
s'obscurcir, et que les lueurs trompeuses des autorités humaines
commencent à le remplacer. Après que l'empereur Constantin, vers le
commencement du quatrième siècle, a tendu vers l'Eglise le sceptre de
sa puissance, le mal devient plus grand. Mais, de
même qu'une lampe, au moment où elle va s'éteindre, jette tout à coup
une grande clarté, de même qu'un homme, peu avant de mourir, semble
quelquefois revenir à la vie, de même aussi le grand principe établi
par Jésus-Christ, l'autorité des Écritures, avant de s'éteindre dans
les ténèbres des Barbares, jette encore une fois de grandes lueurs.
Vers la fin du quatrième siècle se trouvait à Bethléem, près des lieux où était né le Seigneur, un ancien rival d'Origène pour la science biblique, Jérôme.
« C'est la doctrine de l'Esprit, disait-il, qui nous est transmise dans les livres canoniques ; si les conciles établissent quelque chose qui lui soit contraire, je l'estime une impiété (16). - Si l'on parle sans l'autorité des Écritures, continue-t-il, ce n'est qu'un babil qui ne mérite pas de foi (17). Tout ce qui n'a pas pour soi l'autorité des Écritures, dit-il enfin, peut être méprisé aussi facilement que prouvé (18). »
En même temps se trouvait à Constantinople, comme patriarche, un homme pieux et zélé, nommé la Bouche-d'Or, Chrysostôme. Dites-vous peut-être: Au milieu de toutes les voix qui se font entendre, que faut-il que je croie ?
« je vous prie et, je vous supplie, vous répond la Bouche-d'or, que, fermant les oreilles à toute autre voix, nous suivions pour règle le canon de la sainte Écriture (19). »
Ailleurs, il dit sur le psaume XCV :
« Si quelque chose est affirmé sans l'Écriture, la pensée de l'auditeur demeure boiteuse ; mais si c'est de l'Écriture que la voix procède, le discours de celui qui parle et l'esprit de celui qui écoute sont également affermis. »
En même temps enseignait à Hippone, en Afrique, un évêque célèbre, Augustin. Dites-vous, mes frères : Mais, enfin, quel est l'auteur de la sainte Écriture ? Augustin vous l'apprendra :
« Toute l'Écriture, vous dira-t-il, a été écrite par les doigts de Dieu, c'est-à-dire par le Saint-Esprit qui remplissait les hommes de Dieu (20). »
Dites-vous : Quand nous nous réunissons pour discuter avec ceux qui ont une opinion contraire, que faut-il faire ? Augustin nous l'apprendra :
« Emportons du milieu de nous, vous dira-t-il, tous nos papiers et tous nos livres, et que le Livre de Dieu seul s'avance (21) ! ... Écoute Christ parlant ! Écoute la vérité enseignant ; que l'on n'entende plus : Je dis ceci ! je dis cela ! mais que l'on entende : Le Seigneur dit ces choses ! ».
« Quelqu'un me demandera-t-il : Pourquoi, voulez-vous que l'on ôte nos livres du milieu de nous ? je réponds : Parce que je ne veux pas que l'on prouve quoi que ce soit par des documents humains, mais par des oracles de Dieu. - Lisez-nous ceci de la loi, ceci des prophètes, ceci des Psaumes, de l'Évangile, des Épîtres des apôtres : LISEZ-NOUS - ET CROYONS ! (22) »
Mais, direz-vous : Augustin était catholique ! je
répondrai : Il paraît, en ce cas, qu'il y a des catholiques
d'espèces fort différentes, car voici ce que disait Augustin :
« Il ne faut pas penser comme les évêques catholiques, s'ils
pensent quelque chose qui soit contraire aux Écritures canoniques de
Dieu (23). » Plaise à Dieu
que beaucoup de catholiques pensent ainsi, et même beaucoup de
protestants, qui pourraient bien être pour ce principe fondamental du
protestantisme moins protestants qu'Augustin.
Ici, mes frères, il faut nous arrêter : l'arbre
sauvage a crû, et déjà ses branches vont recouvrir le bel arbre des
Écritures. Le flambeau des oracles de Dieu, qu'avait allumé
Jésus-Christ et qu'avaient tenu fidèlement ses disciples, s'obscurcit
de plus en plus et va presque s'éteindre dans le monde... Qu'arrive-il
alors ?... Ce qu'il arrive ?
Le soleil se cachant, les ténèbres couvrent la
terre... La vérité s'en va, la vie s'en va, la sainteté s'en va, la
charité s'en va, l'espérance s'en va, l'ordre s'en va, la paix s'en
va, la liberté des Églises de Christ s'en va...
Tout, tout s'en va, parce que l'autorité de la Parole de
Dieu s'en est allée. Sans doute, il y eut d'autres causes encore qui
contribuèrent aux ténèbres ; mais je n'hésite pas à le dire, la
principale, c'est qu'un voile fut alors jeté sur la sainte Écriture,
sur sa divine autorité.
Nous avons dès lors le moyen âge, avec ses barbaries, ses
sottises et ses horreurs. Il y a encore beaucoup de théologiens :
l'un s'appelle le docteur très subtil, l'autre le docteur très
résolu, un troisième le docteur très singulier ;
mais ni les uns ni les autres ne sont des docteurs très
scripturaires. Ils ne pensent pas à étudier, à expliquer, à
répandre la sainte Écriture. La dialectique est leur fort, et c'est
avec la philosophie qu'ils prétendent faire de la théologie. Telles
seraient, mes frères, les ténèbres, tels seraient les
désordres, telle serait la barbarie dans laquelle, avec l'aide
d'autres doctrines dissolvantes fort, répandues de nos jours, on
replongerait maintenant la chrétienté, si l'on réussissait dans la
tentative audacieuse de nous enlever la lumière du ciel, la divine
autorité de la sainte Écriture du Seigneur.
Toutefois, au milieu de cette profonde nuit du moyen-âge,
se conserve ça et là quelque clarté ; et même on voit apparaître
de temps en temps, dans les lieux les plus ténébreux, de subites
lueurs. D'où, viennent-elles ? Toujours de ce que, conduits par
l'Esprit-Saint, des hommes ont saisi le flambeau des Écritures presque
éteint, et l'agitant dans les airs, en ont ranimé la flamme.
Dans d'humbles vallées des Alpes, au nord du mont Viso et
près des sources du Pô ; vivent au moyen âge de simples
chrétiens, qui conservent les traditions essentielles de la primitive
Église. Demandez-leur ce que doit faire celui qui n'a pas la vérité,
afin de l'atteindre :
Regarde l'Escriptura del fin commenczament.
Qu'il regarde l'Écriture du fin commencement !
Insistez sur quelque erreur, et remarquez comment ils la combattent :
Un riche marchand, Pierre Valdo, paraît au douzième siècle dans la
superstitieuse ville de Lyon, et beaucoup d'âmes, parmi tous les
peuples, sont amenées par son moyen à la connaissance de Christ.
Lui direz-vous : Comment l'as-tu fait ? Il vous
répondra :
« J'ai choisi un prêtre savant et un jeune secrétaire. Le prêtre a traduit et dicté en langue vulgaire les Écritures ; le jeune homme les a écrites. Puis, ayant ainsi les livres de la Bible, je les ai fait copier, je les ai répandus, expliqués, prêchés... »
Direz-vous : Et qu'a fait Rome ?
« Ah ! Rome, vous répondra-t-il, a défendu, par l'archevêque de Lyon, d'exposer les Écritures (ne intromitterent se de Scripturis exponendis). Et le fameux pape Innocent III a déclaré que, puisque toute bête qui touchait la montagne devait être punie de mort, il était interdit à tout laïque (simplex aliquis et indoctus) de toucher la sainte Écriture. »
Ce pape arrogant et cruel croyait que le biblicisme est le fléau de
l'Eglise.
Un docteur, Jean Wicleff, paraît en Angleterre au
quatorzième siècle, et répand une grande lumière qui dure jusqu'à la
Réformation.
Lui demanderez-vous de vous faire connaître le principe
avec lequel il a dissipé les ténèbres ? Il vous répondra :
« Le voici : Aucun écrit n'a d'autorité ou de valeur qu'autant que la pensée qu'il exprime provient de l'Écriture sainte. »
Lui dites-vous : Et comment avez-vous agi ?
« J'ai traduit en langue anglaise la sainte Écriture, vous répondra-t-il, en sorte que, maintenant, des femmes, des laïques, la connaissent mieux que des ecclésiastiques et des savants. Aussi les prêtres s'écriaient-ils : It is heresy to speake of the holy Scripture in English ! »
Ils n'aimaient pas le biblicisme.
Un prédicateur puissant, Jean Huss, prêche au
commencement du quinzième siècle, dans l'Oratoire libre de Bethléhem à
Prague, en Bohême. Les prêtres le brûlent vif à Constance ; mais
il a été l'organe de Dieu pour répandre une vie
chrétienne qui durera jusqu'à la Réformation, ou plutôt qui dure
encore. Vous approcherez-vous de son bûcher et lui demanderez-vous,
quel était, selon lui, le principe de la foi ?
« Tout chrétien, dira-t-il, est tenu de croire toute vérité que le Saint-Esprit a posée dans l'Écriture. »
Vous le voyez : toujours et partout où il y a eu de la lumière et de la vie, il y a eu l'Écriture. Dans tous les siècles et dans le moyen âge même, là où a été l'Écriture a été aussi le christianisme évangélique, le protestantisme chrétien. Il a commencé avec Jésus-Christ et n'a jamais entièrement disparu de la terre.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |