Il est dit : « Étant monté en haut, il a emmené en captivité une multitude de captifs et il a comblé l'homme de ses dons ». Or, que signifie cela : « Il est monté », si ce n'est qu'il est aussi descendu dans les régions inférieures de la terre ? Celui qui est descendu est le même qui est monté au dessus de tous les cieux, afin qu'il remplît toutes choses. (Éphésiens IV, 8-10.)
Il est hors de doute que ce passage de Saint
Paul se rapporte à l'ascension du Seigneur.
L'apôtre y parle des circonstances qui ont
précédé ce glorieux fait, de
celles qui l'ont accompagné, de celles qui
l'ont suivi, et des bénédictions dont
il est la source pour l'Eglise de Dieu. Mais tout
lecteur attentif des Épîtres sait
combien Saint Paul, aussi bien que les autres
apôtres et que Jésus lui-même,
aime à rattacher sa pensée à
un texte de l'Ancien Testament.
Celui qu'il cite ici est emprunté au Psaume
soixante-huitième, l'un des plus grandioses
et des plus poétiques, mais aussi des plus
obscurs de tout le recueil. Aussi n'ai-je pas la
pensée d'en aborder l'interprétation,
qui m'éloignerait de mon sujet. Je
remarquerai seulement que, d'un aveu commun,
l'idée centrale du Psaume, c'est Dieu
prenant possession de son sanctuaire ; il a
dû être composé à
l'occasion de quelque dédicace ou
restauration de tabernacle ou de temple.
Par un symbolisme qui n'a rien
d'arbitraire, l'apôtre applique ce passage
à Jésus-Christ entrant dans le
sanctuaire céleste, en d'autres termes
à l'ascension du Sauveur. Il insiste sur les
mots « Il est monté »,
et fait le raisonnement suivant : Un
être divin, habitant le ciel, tel que le
Christ, n'a pu monter qu'à la condition
d'être descendu auparavant. Il est donc
descendu, puis remonté. Descendu
jusqu'où ? Jusqu'aux régions
inférieures de la terre (nous reviendrons
sur cette expression). Monté
jusqu'où ? Au-dessous de tous les
cieux. Par là, il remplit toutes choses de
sa présence. Ce sera, m'a-t-il
semblé, nous livrer à une
méditation très conforme à la
solennité de ce jour, que de
considérer Jésus-Christ, d'abord dans
sa descente ou dans son
abaissement, puis dans son ascension ou dans son
élévation, et de nous demander enfin
comment nous pouvons nous associer à l'une
et à l'autre, et quels fruits nous en devons
recueillir.
Jésus-Christ est d'abord descendu, car
dans la relation, ou pour être plus
précis, dans la réconciliation de
l'homme avec Dieu, c'est à Dieu
qu'appartient l'initiative ; c'est Dieu qui
fait les premiers pas. Toutes ses
révélations à Abraham,
à Jacob, à Moïse, aux
prophètes, sont déjà une
façon de descendre vers l'homme ; car,
d'une part, il s'accommode à sa faiblesse,
il s'humanise déjà pour être
entendu et compris de lui ; d'autre part, il
supporte avec patience, avec condescendance, les
ingratitudes, les infidélités, la
dureté de coeur, de ceux qu'il est venu
sauver, le feu dévorant de sa
sainteté habite dans ce chétif
buisson qu'est le peuple d'Israël, sans le
consumer. Mais voici le moment où il va
descendre tout au bas de l'échelle, pour
s'appeler Emmanuel, Dieu avec nous. Ce n'est pas,
en effet,
l'homme qui
se fait Dieu, c'est Dieu qui se fait homme.
Plusieurs de nos auteurs sacrés nous parlent
d'un principe divin préexistant :
sagesse, parole, image vivante, autre
lui-même de Dieu qui s'est fait chair,
disent-ils, en Jésus-Christ,
c'est-à-dire qui s'est assujetti à
nos conditions d'existence, qui est entré
dans toutes les limitations et dans toutes les
infirmités innocentes de la nature
humaine.
Mystère insondable, à
coup sûr, mais mystère qu'il n'est
peut-être pas possible d'écarter de la
doctrine chrétienne sans la
diminuer.
Ainsi, cet être divin qui, une
fois devenu homme, s'est appelé
Jésus-Christ, aurait échangé
le ciel pour la terre, la société des
anges pour celle des pécheurs, l'être
pour le devenir, la félicité pour la
souffrance, la perfection pour la sainteté
qui s'acquiert dans la prière, dans la
tentation et dans la lutte. Il a été
d'abord un petit enfant qui vagissait, inconscient
de lui-même, dans une crèche, puis un
homme, vraiment homme, homme tout entier,
dépouillé de tout ce qui
n'était pas humain, semblable à nous
en toutes choses, à la seule exception du
péché.
Qui mesurera la distance
parcourue,
la profondeur de cet
abaissement ? Aucune langue humaine ne nous
offre de mot capable de l'exprimer. N'es-tu pas
assez descendu, ô Fils de Dieu ? -
Non ! ce n'est qu'un commencement, ce n'est
qu'un premier pas, il te faut descendre plus bas
encore.
Quelles que soient les
misères inhérentes à la vie
humaine comme telle, il y a de grandes
inégalités entre les hommes, entre
leurs conditions, entre leurs destinées.
Certes, il aurait été facile au Fils
de Dieu d'occuper le premier rang ici-bas, qui,
pour lui, était peu de chose. Il aurait pu
réclamer et s'assurer les hommages des
hommes au milieu desquels il s'élevait comme
le cèdre au-dessus de l'hysope ;
étant exempt de péché, il
aurait pu prétendre à la même
immunité à l'égard de la
souffrance et de la mort. Il aurait pu commander
aux puissances ennemies de l'homme de
s'arrêter et de reculer devant lui et les
réduire à l'état du tigre, qui
lèche les pieds de son dompteur, Il a fait
juste le contraire. Il a repoussé avec
mépris la puissance et la gloire qui lui
étaient offertes par Satan. « Il a
pris la forme d'un esclave. » Il a
été l'homme de douleur, le Fils de
l'homme qui n'avait pas un lieu où reposer
sa tête, l'indigent qui vivait des aumônes de
quelques
femmes pieuses ; le prophète
méconnu, traité de Samaritain et de
démoniaque par ses adversaires,
bientôt repoussé par le peuple et
abandonné enfin par ses disciples. N'es-tu
pas assez abaissé, Seigneur ? -
Non ! ce n'est qu'un commencement ; il te
faut descendre plus bas encore.
Tout ce qui a
précédé, en effet,
n'était qu'un essai et qu'un apprentissage,
à côté de la Passion du
Sauveur. Maintenant nous le voyons, lui qui est
l'image et la gloire du Père, vraiment
abaissé, prosterné et couché
sur le sol, comme le dernier des suppliants,
demandant, avec des larmes et des sanglots, que,
s'il est possible, la coupe amère
s'éloigne, et ne l'obtenant pas ;
trahi, poursuivi, traqué,
arrêté, lié comme un
malfaiteur, traîné de tribunal en
tribunal, chargé de crimes imaginaires,
condamné à mort pour blasphème
et pour sédition ; bafoué,
souffleté, maltraité, torturé
par la canaille civile et militaire et aussi par de
graves magistrats qui se mettent de la
partie ; cloué enfin à la croix,
agonisant et expirant lentement parmi les
malédictions de la terre et, semble-t-il,
sous les anathèmes du ciel, car on l'entend
s'écrier : « Mon Dieu !
mon Dieu ! pourquoi m'as-tu abandonné ? »
Cette
fois, c'est à coup sûr le
dernier degré de l'abaissement ? - Pas
encore.
Notre texte nous montre le
Christ
descendant jusqu'aux régions
inférieures de la terre. Que signifie cette
expression ? On l'a entendue ainsi :
« jusqu'à la terre, région
inférieure par rapport au ciel. »
Cette traduction est soutenable, mais je ne crois
pas que ce soit la vraie. Comme l'auteur va
distinguer divers degrés de hauteur dans les
cieux, ainsi il me paraît qu'il distingue ici
divers degrés de profondeur, diverses
régions plus basses les unes que les autres,
dans la terre. La plus basse de toutes,
d'après une notion courante dans tout
l'Ancien Testament, c'est le séjour des
morts. C'est là que, d'après un
passage célèbre et mystérieux
de l'Épître de Pierre, qu'il m'est
arrivé d'expliquer dans cette chaire,
Jésus, après sa mort, est allé
porter l'Évangile aux plus grands de tous
les criminels, à ceux qui avaient
été rebelles au temps du
Déluge. Enfin nous touchons au fond ;
il n'y a pas plus bas. C'est jusque-là que
le Fils de Dieu est descendu. Pour donner une
idée de la bonté de Dieu, le
Psalmiste disait : « Autant le Ciel
est élevé au-dessus de la terre,
autant ta bonté est grande pour ceux qui te
craignent. » L'Évangile nous permet de faire
un pas
de
plus, et de dire que cette bonté est aussi
haute que le ciel est élevé au-dessus
des enfers. Des hauteurs inaccessibles du
séjour des bienheureux jusqu'aux profondeurs
insondables de l'abîme où
gémissent les âmes coupables,
voilà la distance que le Fils de Dieu a
parcourue pour sauver l'homme. Voilà
l'humiliation qu'il a acceptée. Voilà
le sacrifice qu'il a offert. Adorons,
bénissons, rendons grâces !
Si Jésus-Christ a pu descendre ainsi, il
ne pouvait pas, il ne devait pas rester en bas.
Cela n'était pas possible, parce qu'il est
le Saint, parce que Dieu est juste, et qu'en vertu
d'une loi inviolable, celui qui s'était
ainsi abaissé par amour devait être
élevé à proportion de son
abaissement. Cela n'était pas possible
enfin, parce que le sacrifice de
Jésus-Christ était
agréé de Dieu pour notre salut.
Après avoir suivi jusqu'au fond des enfers
notre race tombée, il fallait qu'il
montât au ciel pour y attirer et y
transporter après lui notre race
relevée.
Comme sa descente, son ascension
a
eu ses degrés. Le premier degré,
n'est-ce pas la descente aux enfers
elle-même, qui, vue sous un autre aspect,
nous a paru être le comble de
l'abaissement ? C'est vrai : le Seigneur
est descendu jusqu'aux régions les plus
basses de la terre, jusque dans les plus sombres
profondeurs du monde invisible ; mais il y est
venu, non pas en vaincu, mais en vainqueur ;
non pas en condamné, mais en
libérateur, en prophète et en roi.
« Il a prêché aux esprits
qui étaient dans la prison », dit
Saint-Pierre ; certainement il n'a pas
prêché en vain. Et quand Saint-Paul,
à son tour, nous le montre, dans notre
texte, environné d'une multitude de captifs,
il nous est impossible de ne pas penser aux
âmes nombreuses qu'il a
libérées des chaînes de Satan,
qu'il a arrachées à la prison des
enfers, qu'il a rangées sous le joug
béni de la grâce et qui ont
formé son cortège triomphal tandis
qu'il entrait dans les cieux. Voilà une
première revanche ; elle est digne du
Christ.
Le second degré de
l'élévation du Sauveur, mieux connu
de nous, c'est sa résurrection.
« Il était impossible qu'il
fût retenu par les liens de la
mort », dit encore Saint-Pierre. Il l'a
vaincue en la traversant. Il est
entré dans une vie supérieure et
divine, sur laquelle ni la mort, ni la souffrance,
ni le péché (pas même celui des
autres) n'ont plus de prise. Quelle douce et sainte
majesté que celle du Ressuscité quand
il dit à Marie-Madeleine :
« Ne me touche pas ! »
à ses apôtres : « La
paix soit avec vous ! Comme mon Père
m'a envoyé, je vous envoie. Voici, je suis
tous les jours avec vous » !
À son disciple bien-aimé enfin, dans
la vision qui introduit l'Apocalypse :
« Je suis le premier, le dernier, le
Vivant ; j'ai été mort et voici
je vis au siècle des siècles, et je
tiens les clefs de la mort et du séjour des
morts » !
Le troisième degré de
l'élévation du Christ, c'est
l'ascension elle-même. « Il arriva,
dit Saint-Luc, pendant qu'il bénissait ses
disciples, qu'il se sépara d'eux et fut
élevé au ciel. » Cela nous
suffit. Nous n'avons pas à poser ici des
questions de topographie céleste, à
nous demander si le corps du Seigneur a donc
voyagé parmi les étoiles, si le ciel
des élus et des anges est situé dans
l'hémisphère boréal
plutôt que dans l'hémisphère
austral. Ce que nous voyons dans l'ascension de
Jésus, c'est une vision, d'ordre surnaturel,
comme sa résurrection, accordée aux
disciples, accommodée à leur
faiblesse, et destinée
à leur faire comprendre, d'une part, que les
apparitions du Ressuscité avaient pris
fin ; d'autre part qu'il allait dans la
gloire, auprès de Dieu. Notre foi se
contente de cette affirmation, que l'astronomie
moderne est aussi incapable d'infirmer que de
confirmer.
Paul ne dit pas seulement que
Jésus est allé au ciel, mais qu'
« il est monté au-dessus de tous
les cieux. » Il y a donc des
régions diverses dans le ciel ;
Jésus a atteint la plus haute. Paul,
lui-même, fut une fois transporté dans
une vision jusqu'au troisième ciel ;
Jésus est monté plus haut que cela.
Tous les anges l'adorent, toutes les puissances
célestes lui sont soumises, disent les
apôtres. Il a reçu un nom qui est
au-dessus de tout autre nom. Il s'est assis
à la droite de Dieu, c'est-à-dire
qu'il règne avec lui :
« Toute puissance, dit Jésus
lui-même, m'est donnée dans le ciel et
sur la terre. »
Pourquoi règne-t-il ?
De
quelle façon exerce-t-il cette puissance, si
ce n'est pour bénir et pour sauver ? Il
ne peut se renier lui-même.
« Étant monté en haut, dit
notre texte, il a emmené une multitude de
captifs ; il a comblé les hommes de ses
dons. » Et l'apôtre explique,
aussitôt après, que les dons qu'il
mentionne, ce sont les grâces du Saint-Esprit
départies
à l'Eglise, et en particulier à ses
conducteurs et serviteurs. En effet, le premier
acte du Seigneur glorifié fut d'envoyer
à ses disciples le Saint-Esprit qu'il leur
avait promis. Comment douter qu'il n'agisse de
même dans tous les siècles ?
Sachez donc, mes frères, que, pareil
à « ces fontaines qu'on
élève pour les
répandre », (1) Jésus-Christ,
notre
frère et notre Sauveur, est monté au
ciel et a été revêtu de la
toute-puissance afin de pouvoir nous accorder en
abondance les grâces du Saint-Esprit,
précisément celles dont nous avons
besoin. À toi, conscience troublée et
tourmentée, le pardon de tes
péchés ; à toi, esprit
chancelant, la lumière ; à toi,
coeur aride, l'amour à toi, volonté
débile, la force ; à toi, pauvre
ministre de l'Évangile, les dons qui te
manquent pour remplir efficacement ta sainte et
redoutable tâche.
La main du Seigneur est toujours
pleine et s'ouvre sans cesse pour répandre
sur nous ses trésors. Ce qui nous manque,
c'est tantôt la prière pour les
implorer, tantôt la foi pour les recevoir,
tantôt la fidélité pour les
employer ; mais cela même, nous voulons
l'attendre de lui. Notre texte nous le présente
sous les traits
d'un général vainqueur qui distribue
à ses soldats le riche butin qu'il a
conquis. Or, le butin que Jésus-Christ nous
a acquis par son obéissance jusqu'à
la mort et par sa douloureuse victoire, c'est le
Saint-Esprit, en attendant le ciel. Adorons,
bénissons, rendons grâces !
En attendant le ciel, ai-je dit. Si nous sommes
disciples de Jésus, si nous sommes
appelés et disposés à marcher
sur ses traces, avant de monter comme lui, il nous
faut comme lui descendre. Non pas du ciel, sans
doute, puisque nous n'y avons jamais
été, mais des hauteurs illusoires de
notre orgueil. De notre orgueil social, d'abord.
Alors que le Seigneur Jésus, qui seul
était grand, a pris la forme d'un esclave,
ne serait-ce pas une honte et un mensonge de nous
croire supérieurs à d'autres, parce
que nous avons un peu plus d'argent, ou même
un peu plus d'instruction ? Ce n'est pas un
mérite chez nous, car nous n'avons que ce
que nous avons reçu ; mais c'est une
responsabilité, et une
responsabilité écrasante ; de
ces privilèges exceptionnels, qu'avons-nous
fait pour la gloire de Dieu et pour le service de
nos frères ? C'est donc aussi des
hauteurs de notre orgueil moral et religieux qu'il
nous faut descendre. Nous nous appelons
chrétiens ; or le christianisme ne
consiste pas en paroles, mais en vertu.
Où est l'extraordinaire
chrétien dans notre conduite ?
Où est la joie du salut ? Où est
l'amour brûlant pour Dieu et le zèle
dévorant pour sa cause ? Où est
le souci jaloux de la pureté qui s'arrache
l'oeil et se coupe la main plutôt que de
s'exposer à tomber dans le
péché ? Où est la
charité qui pardonne toujours, qui rend le
bien pour le mal, qui donne sa vie ?
Ah ! descendons, mes
frères, descendons plus profondément
que nous l'avons fait encore dans nos
consciences ; laissons la lumière du
Saint-Esprit et l'exemple du Christ nous montrer ce
que nous sommes. Il a, lui, le Saint, plié,
gémi, crié presque avec
désespoir sous le poids de nos
péchés, et nous, les coupables, nous
les portons allégement ;
peut-être ne nous est-il pas encore
arrivé de nous approprier vraiment, en nous
frappant la poitrine, la supplication du
péager : « O Dieu ! sois
apaise envers moi qui suis
pécheur ! » Je viens de rappeler que
Jésus a
porté les péchés des hommes.
Si nous sommes ses disciples, nous devons le faire
aussi à notre façon, dans notre
mesure ; ce n'est pas seulement notre
misère personnelle, c'est celle de la
famille, de l'Eglise et de la société
dont nous faisons partie, qui doit peser sur nous.
Dimanche dernier, un jeune
serviteur
de Dieu nous en traçait un effrayant
tableau. Il nous montrait l'athéisme
étendant ses ravages en France ; la
ruine morale de notre patrie déjà
commencée et préparant sa ruine
matérielle ; les progrès de
l'alcoolisme, de la débauche, de la
criminalité, de la criminalité
juvénile surtout ; le nombre des
décès tendant à
dépasser celui des naissances, et combien
d'autres faits du même genre ! Suffit-il
de dire : « C'est
lamentable ! » et d'ajouter à
part soi : « 0 Dieu ! je te
rends grâces de ce que je ne suis pas comme
ces gens-là » ? Ce serait une
dangereuse illusion. Nous sommes, nous,
protestants, atteints par le mal plus
profondément que nous n'aimons à
l'avouer. Et d'ailleurs, l'Eglise chrétienne
peut-elle se croire innocente de la
décadence et de l'apostasie de la
société chrétienne ? Il
est plus que probable que beaucoup de nos
libres-penseurs et de nos athées ne le
seraient pas, si nous leur avions parlé de Jésus-Christ,
et surtout
si nous le leur avions montré dans nos
personnes et dans nos vies.
Aussi bien, si l'on nous a
parlé dans nos temples de la faillite de
l'athéisme, ailleurs on a pu parler de la
faillite du christianisme, et à l'appui de
cette thèse on n'a pas manqué de
faits à citer : lieux de culte plus ou
moins désertés, diminution du nombre
des baptêmes, des convois funèbres
religieux, des premières communions, courant
presque irrésistible qui entraîne du
côté de l'indifférence ou de
l'incrédulité la jeunesse de nos
Églises et de nos familles.
En vérité, il ne
s'agit pas de retirer notre épingle du
jeu ; ce qu'il nous faut, c'est une repentance
qui soit une mort, une descente aux enfers avec
Jésus-Christ. Il faut que la grâce de
Dieu suscite des hommes qui, comme Jésus,
soient purs - au moins relativement - de la
corruption régnante, mais qui, comme lui, en
portent le fardeau par une compassion sans bornes,
et qui, pour délivrer ses esclaves et ses
victimes, ne craignent pas de descendre jusqu'aux
régions les plus basses de la terre.
Ceux-là auront part aux souffrances de
Jésus-Christ, mais aussi à sa
victoire.
Jésus-Christ a vaincu. Il
n'est descendu que pour monter, entraînant
après lui une multitude de bienheureux captifs. Sa
victoire est la nôtre et ces captifs, c'est
nous-mêmes. Chrétiens, nous ne pouvons
pas rester dans les bas-fonds du
découragement, puisque notre Maître
est au ciel. Toutes les humiliantes constatations,
toutes les tristes découvertes que nous
faisons en nous et autour de nous, ne doivent avoir
pour effet que de nous attirer plus fortement vers
Jésus-Christ et de nous presser d'attirer
à lui nos semblables. Essaierai-je
d'indiquer les degrés par lesquels, à
sa suite, il nous élève vers
Dieu ? Après nous avoir inspiré
l'humiliation et la confession des
péchés, dont j'ai déjà
parlé, il nous accorde le pardon de nos
fautes.
Pécheur, le message de
grâce que Jésus a porté
jusqu'au fond de l'abîme est aussi, et
à plus forte raison, pour toi ; il a
tout accompli pour ton salut ; après
s'être livré pour tes offenses, il est
ressuscité pour ta justification, puis
monté au ciel pour intercéder pour
toi et pour t'envoyer son Esprit. Quand nous
recevons cet Esprit, il nous rend participants de
la vie du Christ ; il répand dans nos
coeurs son amour ; il nous affranchit de
l'empire du péché en allumant en nous
une passion de justice et de sainteté plus
forte que la convoitise ; en un mot, il
opère en nous l'oeuvre de la sanctification,
qui est comme une ascension
morale et qui nous permet de faire chaque jour un
pas vers le ciel, comme nous faisons chaque jour un
pas vers le tombeau. Il nous rend capables aussi
d'être en bénédiction à
nos frères et de devenir collaborateurs du
Christ pour leur salut. Quand notre tâche
sera terminée, alors se réaliseront
pour nous, et la promesse du Maître :
« Je viendrai et je vous prendrai avec
moi, afin que là où je suis vous
soyez aussi », et l'espérance de
l'apôtre « Il m'est meilleur de
déloger pour être avec
Christ. »
Sera-ce le dernier terme, le
plus
haut degré de l'ascension ? Il ne le
semble pas : le salut de l'individu ne peut
être complet que par le salut de l'ensemble,
par l'établissement définitif du
royaume de Dieu. Le jour même de l'ascension
du Sauveur, des anges dirent aux
apôtres : « Ce Jésus,
qui a été élevé d'avec
vous dans le ciel, en reviendra de la même
manière que vous l'avez vu
monter. » Cette espérance, celle
du retour de Jésus-Christ, traverse tout le
Nouveau-Testament. Quand il viendra dans sa gloire,
quand toute résistance sera vaincue ou
brisée, quand tout genou fléchira
à son nom, alors ce sera la perfection,
alors il n'y aura plus de haut ni de bas ; entre
les nouveaux cieux et
la
nouvelle terre, il n'y aura plus de
différence ni de distance, car le Christ
remplira tout, selon le mot de notre texte, et
« Dieu sera tout en
tous. »
Adorons, bénissons,
espérons ! Mais n'oublions jamais que
« quiconque a cette espérance en
lui se purifie comme lui aussi est pur. »
Amen.
Nîmes, Grand-Temple, Ascension, 19 mai 1909.
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