Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA TRANSFIGURATION.

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Environ huit jours après qu'il eut dit ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il monta sur la montagne pour prier. Pendant qu'il priait, l'aspect de son visage changea, et son vêtement devint d'une éclatante blancheur. Et voici deux hommes s'entretenaient avec lui : c'étaient Moïse et Elie qui, apparaissant dans la gloire, parlaient de son départ, qui devait s'accomplir à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient appesantis par le sommeil ; mais, s'étant réveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes qui étaient avec lui.
Au moment où ces hommes se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : Maître. il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie. Il ne savait ce qu'il disait. Comme il parlait ainsi, une nuée vint les couvrir ; et les disciples furent saisis de frayeur, en les voyant entrer dans la nuée. Et de la nuée sortit une voix qui dit : Celui-ci est mon fils élu : écoutez-le ! Quand la voix se fit entendre, Jésus se trouva seul. (Luc IX, 28-35.)

Vous n'ignorez pas que l'Eglise romaine appelle Carême les quarante jours qui précèdent la semaine sainte, et qu'elle a marqué cette période, qui est celle où nous nous trouvons, d'un cachet d'austérité et d'abstinence.
Quoique nous ayons des raisons de ne pas lui envier cette institution, nous y trouvons, comme en général à la base de chacune des erreurs du catholicisme, une idée belle et vraie, mais qui a été comme figée et matérialisée.

Cette idée, c'est l'utilité, la nécessité même d'une préparation intérieure et morale à la commémoration du sacrifice de Jésus-Christ, commémoration qui devrait être, qui doit devenir une vraie communion d'âme avec ce sacrifice. Un moyen de nous y préparer qui sera plus efficace, sous la bénédiction de Dieu, que l'abstinence d'une certaine classe d'aliments, c'est la méditation des événements qui ont précédé la mort du Sauveur et qui sont en relation directe avec cette mort. Telle est la transfiguration de Jésus-Christ.

Dans la pensée de Dieu, elle paraît avoir été destinée à fortifier l'esprit des disciples, et celui du Maître lui-même, en vue de la crise terrible qui approchait. Avant qu'ils fussent conduits, pour ainsi dire, jusqu'aux confins de l'enfer, Dieu a voulu leur donner un avant-goût et une révélation du ciel. C'est sous cet aspect que nous nous proposons aujourd'hui de considérer le mystérieux récit que nous venons de lire ; rien n'est plus propre, nous semble-t-il, que la vision qu'il nous apporte des choses célestes, à nous arracher à notre indifférence, à nous élever au-dessus de nos préoccupations et de nos convoitises terrestres, à réveiller en nous le désir et l'ambition de cette bienheureuse et éternelle communion avec Dieu, pour laquelle nous avons été créés, et par conséquent à nous faire sentir le prix de cette rédemption qui seule nous ferme l'enfer, nous ouvre le ciel, et par là transforme et glorifie, en quelque sorte, la terre elle-même.


I


Notre récit établit avant tout la réalité du ciel, société et séjour des saints et des bienheureux. Il nous met en présence d'êtres personnels, d'individus dont nous connaissons l'histoire, qui autrefois ont appartenu à la terre, mais qui aujourd'hui appartiennent au ciel, en viennent et y retournent. Volontiers on s'exprime aujourd'hui comme si le ciel n'était qu'un idéal, un état d'âme ; ce point de vue a sa vérité, sa raison d'être contre une conception trop matérialiste du bonheur des justes.

On a dit et l'on peut dire que le ciel ou la vie éternelle commence dès ici-bas dans le coeur du fidèle ; mais réduire le ciel à n'être qu'une abstraction, c'est méconnaître et contredire des déclarations très positives du Seigneur Jésus : « Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures ; si cela n'était pas, je vous l'aurais dit... Plusieurs viendront d'Orient et d'Occident, et seront à table, dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob ». La table est une image, je le veux bien ; mais le royaume, la maison du Père, la société des justes, est une réalité. Quand les misères et les scandales de notre pauvre terre nous contristent et nous désolent, quelle satisfaction pour la conscience, quelle consolation pour l'âme, de savoir qu'il y a quelque part une société où Dieu règne sans partage, où sa volonté est parfaitement accomplie et d'où le mal est banni !

C'est dire qu'en constatant la réalité du ciel nous en contemplons et nous en admirons la beauté et la félicité. Elles résultent des comparaisons que je viens de rappeler : une table abondamment servie, un héritage magnifique auquel tous les justes ont part ; une maison du Père, où toute la famille est réunie, un royaume de paix, de justice et d'amour.

Dans notre récit, cette beauté est figurée par la lumière qui environne les corps des personnages célestes et celui de Jésus lui-même, et qui fait resplendir ses vêtements d'une éclatante blancheur : « Il n'y a point de foulon sur la terre, dit naïvement Saint Marc, qui puisse ainsi blanchir. » Cela signifie que tout ce que nous connaissons de plus grand et de plus beau ici-bas ne peut nous donner qu'une faible idée de la splendeur et de la gloire futures. La lumière, cette première création de Dieu, n'a été en un sens dépassée par aucune autre ; elle est le symbole de la vérité, de la pureté, de la sainteté. Dieu est lumière, ses anges sont des anges de lumière, ses enfants sont des enfants de lumière.

Dans son « Paradis perdu », le poète Milton célèbre la lumière dans un hymne admirable et d'autant plus touchant que le poète était aveugle. J'ai un jour entendu chanter par des aveugles un cantique exprimant cette pensée que la mort, qui ferme les yeux des autres, ouvrirait les leurs.

Ceux-là comprennent ce sentiment et cet espoir, dont la vue est affaiblie par l'âge et qui sentent graduellement descendre sur eux les ombres de la nuit. Mais, fussions-nous doués de la vue la plus perçante, il y a, entre la lumière de la terre et celle du ciel, une différence comparable à celle qui existe entre les brumes du pâle et les splendides horizons de la Grèce ou de l'Egypte. Dans la nouvelle Jérusalem, il n'y aura plus de nuit ; le ciel est le séjour de la lumière : n'est-ce pas assez pour soupirer après le ciel ?

Notre texte nous dit encore la proximité du ciel. Si éloigné qu'il paraisse être, si impuissants que nous soyons à évaluer en kilomètres la distance qui nous en sépare, celle-ci est vite et aisément franchie par Moïse et Elie et quelques semaines plus tard, Jésus la franchira en sens inverse, porté sur la nuée dont l'éclat éblouit ses apôtres. Mais ce qui me frappe davantage et ce qui importe surtout, c'est que le ciel est moralement près de nous. Il s'inquiète de la terre ; il en a souci, puisqu'il prend la peine d'y descendre. La terre a beau être petite relativement aux dimensions de telle autre planète ou à celles du soleil, elle a une grande importance dans l'univers ; elle parait être le principal champ-clos où s'est engagée et se poursuit la guerre entre le bien et le mal, entre Dieu et Satan. Si le ciel s'émeut si profondément, c'est que la bataille décisive est toute proche ; elle aura pour théâtre le Calvaire.

Moïse et Elie s'entretenaient avec Jésus, dit notre évangéliste, de la mort qu'il allait souffrir à Jérusalem. Jésus nous assure que les habitants du ciel se réjouissent de la conversion d'un seul pécheur ; combien donc la rédemption de l'humanité n'a-t-elle pas dû les combler de joie ! La pensée de la sympathie, pleine de compassion sans doute, que ces bienheureux éprouvent pour nous, est singulièrement émouvante et réconfortante. Vous savez que nos frères de l'Église romaine ont l'habitude de se recommander à l'intercession des saints glorifiés. Nous ne les suivons pas dans cette voie, soit en raison des superstitions et des abus auxquels cette pratique a donné lieu, soit parce qu'aucun texte formel de l'Écriture sainte ne l'appuie ni ne l'autorise. Toutefois, il faut confesser qu'il est difficile de nous représenter l'intérêt et la sympathie que nos frères de là-haut éprouvent pour nous, sous une autre forme que celle de l'intercession. Quoi qu'il en soit, retenons cette pensée certaine de la proximité réelle et spirituelle du ciel. Parfois, ceux qui meurent dans la foi en ont l'intuition ; le bienheureux François Bonifas disait à sa dernière heure : « Que le ciel est beau ! » et « Qu'il est près ! »

Nous pouvons encore inférer de notre récit l'attrait du ciel. J'en atteste ce mot, naïf encore, de Simon-Pierre : « Seigneur, il fait bon ici, faisons-y trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, une pour Elle. » - « Il ne savait pas bien ce qu'il disait », remarque l'évangéliste ; il ne considérait pas qu'il y avait encore, pour Jésus et pour ses disciples, beaucoup à faire et beaucoup à souffrir ici-bas. Mais, plus le propos de l'apôtre était irréfléchi, plus il montre la fascination qu'exerçait sur lui la scène glorieuse à laquelle il assistait. Subitement transporté, pour ainsi dire, dans l'atmosphère céleste, il y respirait plus à l'aise, il se trouvait plus heureux qu'il ne l'avait jamais été en ce monde. Il ne manque pas de chrétiens pour qui l'impossibilité où ils sont de se représenter le ciel comme un séjour vraiment désirable, est un réel tourment. Toujours contempler Dieu, toujours chanter ses louanges d'éternité en éternité, ne sera-ce pas monotone et fatigant à la longue ? - Il y a dans ces pensées une double erreur : d'abord on se fait du ciel une idée trop étroite et sans doute fausse, ensuite on oublie que les penchants de notre nature seront renouvelés et appropriés à la vie céleste.

Une belle légende provenant des temps où la vie monastique était en pleine floraison, rapporte qu'un moine nommé Paul Gontran, que préoccupait et qu'obsédaient sans cesse la difficulté de se représenter le ciel et la crainte de s'y ennuyer à la longue, sortit un jour et s'engagea dans une forêt voisine. Après avoir longtemps marché, il arriva dans une partie du bois qu'il ne connaissait pas et qui lui parut merveilleusement belle. Bientôt il fut charmé et fasciné par un chant d'oiseaux dont l'harmonie dépassait tout ce qu'il avait jamais entendu. Ravi, absorbé, il perdait la notion du temps. Il finit pourtant par se dire : « Je ne puis tarder davantage à rentrer au couvent, on y sera en peine de moi ». Mais, - ô surprise ! - plus il approchait de ce vieil édifice où il avait passé tant d'années, moins il se reconnaissait ; l'aspect des lieux lui parut tout changé, et le visage des premiers moines qu'il rencontra était étranger pour lui. « Que se passe-t-il ? » dit-il à l'un d'entre eux, « je ne vous reconnais pas ; et vous me reconnaissez-vous ? Je suis Paul Gontran, votre frère. »
« Vous, Paul Gontran ? » lui fut-il répondu, « nous avons une vieille légende concernant un moine de ce nom. Toujours perdu dans ses méditations, il s'enfonça un jour dans la forêt et disparut. Toutes les recherches pour le retrouver, furent vaines ; mais il y a plus de cent ans que cela s'est passé ! »
Plein d'émotion et d'admiration, Paul Gontran s'écria : « O mon Dieu, pardonne à ma folie ! Je craignais que dans ton ciel la vie ne fût monotone et fatigante, et cent ans ont passé comme un rêve, tandis que j'écoutais une seule de tes harmonies. célestes. Que sera-ce, quand je serai dans ta maison ? » - Il y entra ce même jour.

Bannissez donc, mes frères, toute pensée et toute crainte de ce genre ; soyez sûrs que le ciel dépassera tout ce que vous pouvez imaginer et penser. La seule chose nécessaire est d'en suivre fidèlement le chemin. J'y reviendrai tout-à-l'heure. Mais auparavant, je voudrais, toujours guidé par notre récit, vous entretenir un moment des habitants du ciel.


II


Deux seulement de ces habitants sont mentionnés dans notre texte : ce sont Moïse et Elie. Pourquoi ceux-là, et ceux-là seuls ? On a rappelé qu'il y avait eu quelque chose d'exceptionnel dans la fin de l'un et de l'autre : Elie fut enlevé au ciel, Moïse disparut sans qu'il fut possible de trouver et d'ensevelir son corps. Les docteurs juifs assurent qu'il mourut d'un baiser de Dieu. La remarque est ingénieuse, mais si une considération de ce genre avait déterminé le choix des deux personnages, Hénoc semblait plus naturellement indiqué que Moïse. Il est plus probable que Moïse figure ici comme représentant de la loi, Elie comme représentant de la prophétie ; l'une et l'autre rendent témoignage à Jésus-Christ et aboutissent en quelque sorte à sa mort rédemptrice. Quoi qu'il en soit, d'après d'autres déclarations du Seigneur, Moïse et Elle ne sont pas, au moment où parle Jésus, les seuls habitants du ciel. Abraham, Isaac, Jacob, les prophètes, sans doute tous les justes de l'ancienne alliance, y ont été recueillis. Les disciples du Sauveur dont les noms sont inscrits dans les cieux, y ont déjà leur place marquée. Ce qu'on doit surtout retenir et inférer de notre récit, c'est que les bienheureux conservent leur nom, leur physionomie propre. leur identité personnelle ; ils semblent être immédiatement reconnaissables, et leur nom est comme écrit sur leur front, puisque Pierre désigne expressément Moïse et Elie, sans que personne les lui ait fait connaître.

Serrez dans vos coeurs ces pensées, ô vous qui craignez que la mort n'efface l'individualité, vous qui vous demandez avec inquiétude si vous retrouverez, si vous reconnaîtrez là-haut ceux que vous avez aimés ici-bas. Quand la pensée et la volonté de Dieu seront réalisées en nous, c'est alors que nous serons vraiment et tout-à-fait nous-mêmes.

Un autre habitant du ciel, le plus grand de tous après le Père, c'est le Fils de Dieu, c'est Jésus. Il est vrai qu'il est absent du ciel pour quelques jours encore, au moment où se passe la scène qui nous occupe. Il a seulement une rencontre provisoire avec deux de ses amis, de ses concitoyens de la nouvelle Jérusalem. Mais cette rencontre même nous assure qu'il n'a pas cessé d'appartenir au ciel, et nous dit à quel point le ciel est occupé de lui. On pourrait le comparer à un fils de roi qui aurait quitté sa capitale pour quelque expédition lointaine et périlleuse en vue du bien et de l'honneur de sa patrie, et. que tous ceux qu'il a laissés derrière lui ne cesseraient de suivre par la pensée avec l'attention la plus intense et la sympathie la plus ardente.

Oui, Jésus-Christ incarne et personnifie la cause du ciel, je veux dire la cause de Dieu, qui est aussi celle de l'Univers. L'attente du terrible combat qu'il va soutenir introduit, - chose inouïe ! - la souffrance dans le coeur du Père céleste, et fait pleurer de douleur et d'adoration les saints anges. Quand il aura vaincu, c'est en sa qualité d'Agneau immolé qu'il rentrera au ciel, qu'il en deviendra plus que jamais le centre, qu'il recevra les hommages de tous ses habitants, d'éternité en éternité.
O mon Dieu ! fais-nous la grâce d'apprendre aujourd'hui par la foi, par l'amour, le cantique que nous devrons demain chanter à sa gloire !

La scène de la transfiguration se complète par l'apparition d'un quatrième personnage (je parle des personnages célestes), c'est Dieu même. Mais Dieu ne se manifeste ni ici, ni nulle part ailleurs dans la Bible, sous les traits de l'auguste vieillard que des peintres ont eu la témérité de représenter.

Sur le Thabor, comme autrefois au désert, c'est une nuée, nuée lumineuse sans doute, mais une nuée qui descend sur la montagne et qui en environne le sommet. Les disciples, pauvres habitants. de la terre, sont saisis d'effroi quand ils entrent dans la nuée, et cela se conçoit ; mais ce n'est pas pour consumer les pécheurs que Dieu est venu ; de la nuée sort une voix : « C'est ici mon Fils bien-aimé, écoutez-le ». Peut-être devons-nous inférer de cette scène, qu'au ciel même Dieu ne sera pas visible, si ce n'est sous les traits de Jésus-Christ.. Contempler Jésus-Christ, ce sera bien voir Dieu face à face, puisque « celui qui a vu le Fils, a vu le Père ». Mais Dieu y fera sentir sa présence et entendre sa voix ; en nous sentant à notre tour enveloppés de la nuée, ce n'est plus de l'effroi que nous éprouverons, c'est un ravissement de joie et d'amour inexprimable. Dans cette attente, écoutons aujourd'hui le Fils de Dieu, donnons-lui nos coeurs, soumettons-lui nos volontés captives ; nul ne va au Père que par lui.


III


En ce qui touche le chemin du ciel, la leçon qui découle du récit de la transfiguration est aussi claire qu'émouvante ; elle peut se résumer en ces mots : Ce chemin passe par la croix.

Cela est vrai d'abord pour Jésus lui-même. Un pieux et profond interprète des Évangiles, Frédéric Godet, pense qu'étant exempt de péché, Jésus aurait eu le droit de monter au ciel sans passer par la mort, il ajoute que, sur la montagne de la transfiguration, cette possibilité lui fut présentée et cette voie lui fut ouverte, et qu'il choisit la croix. Mais alors, il y aurait eu là une sorte de tentation céleste, qui serait comme le pendant de celle du désert : peut-on admettre ce genre de tentation ? Écartons ces suppositions, et tenons-nous en au témoignage formel de l'évangéliste. Les célestes personnages réunis sur la montagne s'entretenaient de la mort qui attendait Jésus à Jérusalem. Cette mort était l'objet des délibérations de cet illustre conseil, ce qui montre la place centrale qu'elle occupe dans le plan divin. Moïse disait : « La loi transgressée exige une sanction, une réparation, une rédemption ». Elle disait : « La prophétie, dans ses plus hautes aspirations, tend à la personne du Rédempteur, du serviteur de l'Éternel souffrant pour les péchés de son peuple ». La voix divine confirme ce double témoignage de la loi et de la prophétie. Au dernier moment, Dieu a épargné à Abraham le sacrifice de son fils ; il ne se l'épargne pas à lui-même. Comme dit Saint-Paul : « Il ne fait pas l'économie de son propre Fils, mais il le livre pour nous tous ». Jésus dit déjà, quoique un rude et douloureux combat l'attende au dernier moment : « Père, que ta volonté soit faite ». Il est monté sur le Thabor pour être glorifié, il en descendra pour être crucifié.

C'est pour le salut des hommes qu'il accomplira ce suprême sacrifice : il fallait, en vue de ce salut, que le Christ souffrît. En d'autres termes, pour l'humanité, le chemin du ciel passe par la croix. Pourquoi ? - Nous ne le comprenons que très imparfaitement, mais nous le savons par le témoignage positif du Sauveur lui-même : « Ceci est mon sang répandu pour la rémission des péchés de plusieurs », et par le témoignage unanime de ses apôtres. Sans doute un pardon sans effusion de sang, un salut qui n'aurait rien coûté au Sauveur, ni à Dieu lui-même, ne glorifierait pas comme il convient la justice et la miséricorde du Père et ne serait pas capable de remporter une victoire complète sur le péché en brisant l'égoïsme dans nos coeurs. « En ceci nous avons connu l'amour, dit Saint-Jean, que Jésus-Christ a mis sa vie pour nous ». L'amour, dans sa sublimité et dans sa perfection, ne se manifeste donc que par l'absolu sacrifice ; et comment serions-nous sauvés, si nous n'avions pas connu l'amour ?

Pour chacun de nous enfin, le chemin du ciel passe par la croix, je veux dire la croix de Jésus-Christ, d'abord contemplée et acceptée par la foi, puis appropriée et faite nôtre par l'amour. Dans ce travail spirituel qui nous unit toujours plus étroitement à Jésus-Christ, je discerne trois degrés. Le premier est, comme je viens de le dire, la foi qui accepte Jésus-Christ comme Rédempteur et unique espoir de l'âme coupable et perdue ; qui s'approprie la rémission des péchés, fruit de son sacrifice, par un « merci » dit du coeur et plein de confiance. - Le second degré est cette mort au péché, cette rupture complète avec le mal, que l'apôtre Paul nous montre comprise dans la foi vivante au Christ mort et ressuscité. « Vous avez été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, considérez-vous donc comme morts au péché et vivants à Dieu par Jésus-Christ ; offrez-lui et consacrez-lui vos membres comme instruments de justice. » - Le troisième degré de notre union avec Jésus-Christ est le service des hommes, sans lequel il n'y a pas de vrai service de Dieu. « Comme il a mis sa vie pour nous, nous devons aussi mettre notre vie pour nos frères ».

Tandis que Jésus avait un avant-goût du ciel sur le Thabor, vous savez ce qui l'attendait au bas de la montagne, ce qu'a représenté avec un art puissant, avec une merveilleuse intelligence des contrastes, le pinceau de Raphaël : un malheureux jeune garçon en proie à d'atroces convulsions ; le démon s'acharnant sur lui et refusant de lâcher sa proie ; les disciples effarés et impuissants ; les scribes triomphant de leur insuccès avec une maligne joie. Et vous savez comment, par son arrivée inattendue, Jésus rétablit le combat qui semblait perdu, reprit et releva en même temps ses disciples, réduisit au silence les scribes, ranima dans le coeur du père l'étincelle mourante de la foi et de l'espérance, chassa le démon et sauva l'enfant.

Ce matin nous avons gravi avec le Maître la sainte montagne et nous avons vu s'écarter un coin du voile qui nous cache le monde invisible. Si nous emportons dans nos âmes un rayon du ciel, séjour de lumière, de paix et de gloire, - du ciel notre patrie et notre héritage, - du ciel, centre et foyer des puissances du bien qui l'emportent infiniment sur celles du mal, nous sortirons de ce temple et nous entrerons dans les devoirs et le travail de la semaine, mieux préparés pour la souffrance et mieux armés pour la lutte, capables, en une mesure, comme notre Maître, de soulager ceux qui souffrent, de secourir les faibles, de relever ceux qui doutent et qui chancellent, de confondre les adversaires et de vaincre le démon !

Amen.

Nîmes, Petit-Temple, 16 février 1913.

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