Chers Catéchumènes,
Ce premier entretien que nous allons avoir est
comme la préface, ou le commencement, de
votre instruction religieuse. J'ai un grand
désir d'obtenir votre attention, de me faire
bien comprendre de vous, de parler à vos
consciences et de toucher vos coeurs : tout
cela n'est pas facile, mais j'ai beaucoup
demandé à Dieu de m'aider. Vous
aussi, lorsque, au cours de votre instruction, vous
rencontrerez quelque difficulté, priez Dieu
qu'il vienne à votre secours et il le
fera.
Je résumerai tout de suite ce
que j'ai à vous dire en
deux mots, que vous n'oublierez pas, je
l'espère : « Comme
Jésus ». Comme Jésus !
c'est en un sens le dernier mot, le sommet de la
vie chrétienne, la perfection, dont
nous-mêmes, vos instructeurs et vos pasteurs,
nous sentons encore bien
éloignés ; mais c'est aussi le
premier mot, parce que c'est le plus facile
à comprendre, et celui sur lequel on est le
plus d'accord. Il n'y a aucun de vous qui ne sache
que Jésus est bon, que personne n'a
été aussi bon que lui et, par
conséquent, que personne n'est aussi digne
de nous servir de modèle. Je le
répète, tout le monde est d'accord
là-dessus. Si vous entendez dire un jour que
vos pasteurs ont des opinions opposées, et
que l'un nie ce que l'autre affirme,
répondez hardiment : « C'est
fort exagéré ; la preuve, c'est
qu'ils nous disent tous, d'une même voix et
d'un même coeur : Comme
Jésus ! »
Puisque vous êtes des enfants, - ne soyez
pas trop pressés de ne plus l'être, -
c'est de Jésus enfant que je vais vous
parler. Au moment où s'est
passé l'incident qui va nous occuper, il
était plus jeune que le plus jeune d'entre
vous ; mais pour ceux-là même qui
ont 15 ou 16 ans, ce serait un grand honneur et un
grand bonheur de ressembler à cet enfant de
12 ans.
J'aime à penser que vous avez
bien écouté la lecture de
l'Évangile qui vous a été
faite, et que l'histoire qui y est contenue vous
est d'ailleurs déjà familière.
Pour plus de sûreté cependant, je vais
vous la raconter encore.
Jésus est souvent
appelé Jésus de Nazareth, parce qu'il
passa son enfance et sa jeunesse dans cette petite
ville de Galilée où habitait sa
mère Marie et son père adoptif
Joseph, lequel exerçait le métier de
charpentier. Ses parents, comme tous les Juifs
pieux, avaient l'habitude de se rendre, au moins
une fois par an, à Jérusalem, pour y
assister à l'une ou à l'autre des
fêtes solennelles établies par la loi
de Moïse. Jusque-là, l'enfant ne les
avait pas accompagnés ; mais la
douzième année était
l'âge où le jeune Israélite
devenait ce qu'on appelait un fils de la Loi. On
peut dire que c'est alors que commençait son
instruction religieuse. Jésus donc,
arrivé à cet âge, alla pour la
première fois à Jérusalem avec
ses parents pour la plus grande des fêtes
juives, celle de Pâques,
qui rappelait la sortie d'Égypte, et dont la
célébration durait huit jours. Nous
ne savons pas si Jésus fit quelque attention
aux détails du voyage, ou à la
capitale, qu'il voyait pour la première
fois. Ce qui est sûr, c'est qu'aussitôt
la fête commencée, ce qu'il voyait et
ce qu'il entendait, le temple, les rites, les
sacrifices, les paroles saintes citées, le
souvenir des délivrances accordées
par l'Éternel à son peuple, tout cela
l'émut, le captiva, le ravit, l'absorba
à tel point que tout le reste avait, pour
ainsi dire, cessé d'exister pour lui.
Lorsque, la fête étant
terminée, ses parents partirent,
Jésus ne le remarqua pas. Ils
s'aperçurent bien, eux, de son absence, mais
sans s'en inquiéter. L'enfant était
toujours sage et méritait la plus
entière confiance ; on supposa qu'il
faisait route avec des voisins, parents ou amis, de
Nazareth. Mais, lorsqu'on arriva, le soir, à
l'étape où il fallait passer la nuit,
et que Jésus ne s'y trouva pas, ses parents
furent sérieusement
préoccupés. Ils retournèrent
sur leurs pas ; le lendemain fut
employé au voyage de retour : c'est
donc au matin du troisième jour qu'ils
trouvèrent Jésus dans le temple,
assis au milieu des docteurs, les écoutant,
les interrogeant et leur répondant.
Sa mère, émue et
surprise au plus haut degré, lui fit un
reproche - le premier, sans doute - doux, mais
pourtant injuste : « Mon enfant,
pourquoi as-tu fait ainsi ? Voici trois jours
que nous te cherchons, ton père et moi,
étant fort en peine » Jésus
parut aussi surpris de l'inquiétude de ses
parents qu'ils l'étaient, eux, de son
absence. Il répondit :
« Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne
saviez-vous pas qu'il me faut être
occupé aux affaires de mon
Père ? » On pourrait aussi
traduire « qu'il faut que je sois chez
mon Père. » - Ils ne comprirent
pas ce qu'il leur disait ; Jésus
pourtant ne fit aucune difficulté de partir
avec eux et de retourner à Nazareth. Il leur
était soumis. Il croissait en sagesse, en
stature et en grâce, devant Dieu et devant
les hommes, et Marie gardait et repassait toutes
ces choses dans son coeur.
Voilà le fait. En voici l'application.
Jésus, assis au milieu des docteurs, est
à mes yeux le catéchumène
modèle, et c'est dans la mesure où
vous entrerez dans son esprit et
où vous marcherez sur ses traces, que votre
instruction religieuse vous profitera.
D'abord, que fait-il ?
Il
n'enseigne pas, il ne prêche pas, comme on
l'a souvent supposé : ce rôle ne
convient pas à un enfant de douze ans. Comme
je l'ai déjà dit, d'après le
témoignage positif de
l'évangéliste, il écoute, il
répond, il interroge. Il écoute
d'abord : c'est votre premier devoir, à
vous aussi ; c'est pour cela que vos parents
vous envoient à nos leçons. Vous ne
serez donc pas de ces enfants légers et
inattentifs, qui se distraient et se dissipent
pendant que le pasteur parle, qui causent entre
eux, qui rient peut-être. Ils se privent
eux-mêmes, du bienfait de la leçon,
ils en privent leurs camarades, et ils font
beaucoup de peine à leur pasteur. Vous
écouterez comme fit sans doute Jésus,
de tout votre coeur, de toutes vos oreilles, j'ai
presque dit de vos yeux aussi. Je me
représente l'enfant Jésus fixant
successivement sur chacun de ceux qui parlaient le
regard de ses yeux clairs et profonds. C'est ainsi
que nous aimons à vous voir durant la
leçon, c'est ainsi qu'écoutait plus
tard Marie de Béthanie, assise, elle aussi,
aux pieds du Maître. Jésus assura
qu'elle avait choisi la bonne
part ; cela sera vrai de vous aussi si vous
écoutez de la même
façon.
Jésus répondait aussi,
et les docteurs, nous est-il dit, étaient
émerveillés de la sagesse de ses
réponses, sagesse à la fois enfantine
et divine. Les questions et les réponses
sont une partie essentielle de toute
instruction ; elles seules nous assurent que
l'élève a compris. Il faut donc
répondre quand on vous interroge. Si nous ne
pouvons attendre de vous d'aussi belles
réponses que celles de Jésus,
répondez du moins clairement, promptement,
avec réflexion pourtant, répondez
assez haut pour qu'on vous entende et sans attendre
qu'un camarade vous souffle la
réponse.
Jésus interrogeait enfin.
Ceci est plus rare, et pourtant il est dans l'ordre
qu'un élève sérieux et
attentif ait quelquefois des explications à
demander, et ne se gêne pas pour le faire,
par une timidité exagérée.
J'aurais voulu entendre ces questions de
Jésus, à la fois simples et
profondes, qui durent plus d'une fois
déconcerter les vieux docteurs. Quant
à nous, soyez sûrs que vous ne nous
ennuierez pas, que vous nous ferez plaisir au
contraire, toutes les fois que vous nous adresserez
des questions - fussent-elles en même temps
des objections, - soit de vive voix, soit par
écrit.
Jésus aimait les leçons
religieuses qu'il écoutait dans le temple,
quoique ses instructeurs fussent loin d'être
parfaits, comme l'événement le prouva
plus tard. Nous avons déjà
constaté qu'il était tellement
fasciné par ces entretiens, que les choses
extérieures n'avaient plus
d'intérêt pour lui. Chers
catéchumènes, nous comptons que vous
aimerez les heures consacrées à votre
instruction religieuse, comme nous les aimons, nous
aussi, pour l'amour du Seigneur et pour l'amour de
vous. En conséquence, vous ne manquerez
jamais volontairement une de ces leçons,
moins nombreuses qu'il ne faudrait ; vous
aurez soin d'arriver toujours à l'heure,
c'est-à-dire un peu avant l'heure ;
vous ne verrez jamais dans votre instruction une
corvée, un labeur pénible. Vous ne
direz jamais : « Quel ennui !
voici l'heure de la leçon, et mon devoir
n'est pas fait ; je ne sais pas mes versets ou
mon catéchisme ». Sans doute, il
faut apporter dans l'étude de la religion
comme dans toute autre étude, - je pourrais
ajouter plus que dans toute autre
étude, vu son importance - de l'application
et de la régularité ; mais ce
n'est pas là chose difficile ou
pénible pour un catéchumène de
bonne volonté ; au contraire, il se
fera de son travail une joie.
Quant aux obstacles très
réels que plusieurs d'entre vous rencontrent
dans des occupations fort assujettissantes, et
rendues nécessaires, hélas ! par
le souci du pain quotidien de la famille, nous ne
sommes pas assez injustes pour n'en pas tenir
compte. Nous ne sommes pas des maîtres
sévères, mais des amis pleins d'une
affection paternelle pour vous. Nous serons
satisfaits, et le Seigneur le sera aussi, si l'on
peut appliquer à chacun de vous le mot que
Jésus prononça un jour à
propos d'une femme que j'ai déjà
nommée, Marie de Béthanie :
« Elle a fait ce qu'elle a
pu ».
Mais qu'est-ce qui attirait Jésus,
qu'est-ce qui lui plaisait, qu'est-ce qui
l'attachait à ce point, soit dans la
célébration de cette fête
à laquelle il avait assisté avec tant
de ferveur, soit dans
l'enseignement des docteurs ? Était-ce
la pompe des cérémonies ? Non.
Il sentait déjà sans doute, quoique
son âge ne lui permît pas encore de le
penser et de l'exprimer comme il le fit plus tard,
que ces dehors, ces rites, ces gestes sont sans
valeur par eux-mêmes, et que le seul culte
agréable à Dieu est le culte en
esprit et en vérité. Est-ce la
science des scribes et des docteurs de la
loi ? Hélas ! cette science
était la plupart du temps creuse et
vide ; elle ne pénétrait pas
au-delà de la lettre des textes
sacrés, et elle y ajoutait des traditions
humaines contre lesquelles Jésus dut
s'élever plus tard avec énergie. Mais
déjà l'esprit et surtout le coeur du
saint enfant allaient, à travers la lettre,
jusqu'à l'esprit ; à travers les
symboles, jusqu'aux vérités
éternelles ; à travers les
hommes, jusqu'à Dieu. Preuve en soit cette
parole : « Il me faut être
chez mon Père ».
Marie avait dit « ton
père » en parlant de Joseph ;
Jésus répond « mon
Père » en parlant de Dieu.
Personne avant lui n'avait appelé Dieu mon
Père, avec cet accent, avec cette
intensité de foi et d'amour, avec cette
ferme et joyeuse conscience d'une relation filiale
avec Dieu. On peut dire que cette première
parole de Jésus enfant contient en germe
toute sa doctrine, la connaissance et la révélation
de Dieu
comme Père, et toute sa morale,
l'entière consécration au service du
Père céleste et à
l'accomplissement de sa volonté. C'est cette
doctrine et cette morale qui vous seront
enseignées, chers
catéchumènes. Le monde n'a jamais
entendu et n'entendra jamais une doctrine et une
morale qui puissent être comparées
à celles-là, à celles de
Jésus-Christ. Assurément il vaut la
peine d'apporter à cette étude toute
votre conscience et tout votre coeur. Si votre
instruction religieuse atteint son but, il y aura
désormais au fond de vos âmes, comme
au fond de celle de Jésus,
déjà à douze ans, un
« Il faut » souverain ; il
faut que je connaisse mon Père
céleste, que je croie en lui, que je l'aime,
que je lui appartienne ; que je vive
dès ici-bas près de lui par la foi et
par l'obéissance, pour habiter demain chez
lui dans l'éternité. Ce serait beau,
n'est-ce pas ? Ne disons pas :
« ce serait », mais,
« ce sera », par la grâce
de Dieu.
Pour recevoir cette impulsion morale si
salutaire, nul âge n'est plus propice que
celui où vous vous
trouvez.
Le passage de l'enfance à
l'adolescence est, chez tout être humain, le
moment d'une crise qui, la plupart du temps,
décide de son avenir. On peut affirmer en un
sens qu'il n'en a pas été autrement
de Jésus lui-même. À la
vérité, il y a entre lui et vous deux
différences : la première, c'est
qu'à ce moment décisif il
était, comme nous l'avons déjà
rappelé, plus jeune que vous ; il n'est
pas étonnant, n'est-ce pas ? que son
développement religieux ait
été plus précoce que le
nôtre ?
L'autre différence, beaucoup
plus importante, c'est que, n'ayant jamais fait le
mal, Jésus n'avait pas besoin de se
convertir. On ne peut donc pas parler de crise chez
lui au même sens que chez un homme ou un
enfant pécheur ; toutefois, même
dans un développement parfaitement
régulier, il y a des moments plus importants
qui constituent des points de départ
nouveaux, et qu'on pourrait comparer aux noeuds de
la tige d'un arbrisseau. Tel fut, pour l'enfant
Jésus, son premier voyage à
Jérusalem. S'il ne s'agissait pas d'un
véritable événement dans sa
vie spirituelle, l'évangéliste, qui
ne nous apprend d'ailleurs rien de l'enfance du
Seigneur, n'aurait pas raconté avec tant
d'insistance ce détail unique. En outre,
l'étonnement des parents
de Jésus qui, pour la première fois
probablement, ne comprennent ni ses actes, ni ses
paroles, atteste qu'il s'est produit chez lui
quelque chose de nouveau. Chez l'enfant juif, sage
et pieux, le Fils de Dieu, le futur Messie
s'éveille et se manifeste, pareil à
un jeune aiglon qui aurait été
élevé dans une basse-cour, et qui
tout-à-coup déploierait ses
ailes.
Eh bien ! ce que nous
souhaitons, ce que nous demandons à Dieu,
c'est que chez vous l'instruction religieuse
amène une crise pareille, une crise
d'élévation et d'affranchissement.
Mais il faut insister sur la différence
déjà rappelée chez vous,
pécheurs, cette crise impliquera le repentir
de vos fautes et le renoncement au mal elle
s'appellera conversion. Toute instruction
religieuse qui atteint pleinement son but aboutit
à une conversion. Que Dieu vous fasse la
grâce, et à nous aussi, d'avoir
toujours devant les yeux ce but sacré !
Mon dernier mot... excusez-moi si j'ai
parlé plus longtemps que je n'aurais voulu.
Je suis un vieillard, et depuis
le vieux Nestor du grand Homère, les
vieillards ont, entre autres défauts, celui
d'aimer trop les longs discours - mon dernier mot,
disais-je, sera celui de
l'évangéliste. Mais quel
est-il ? Supposez que vous entendiez lire
notre récit pour la première
fois ; quelle fin lui
prêteriez-vous ? qu'est-ce qu'il devrait
nous apprendre, à votre avis, au sujet du
jeune Jésus après son retour à
Nazareth ? - Plus d'un d'entre vous,
peut-être, imaginerait quelque chose comme
ceci : « Jésus continua
à vivre exclusivement occupé des
choses de Dieu ; il vaquait tellement à
la prière et à la lecture de la
Parole sainte, qu'à Nazareth aussi bien
qu'à Jérusalem, il ne cessait pas
d'être chez son Père ». Et
je ne doute pas que cela ne soit vrai.
L'évangéliste nous le laisse
supposer, mais il nous dit quelque chose de tout
différent, que nous n'aurions jamais
inventé de nous-mêmes :
« Il était soumis à ses
parents ».
À Jérusalem, il
s'était montré plus pieux et plus
sage qu'eux : n'était-il pas naturel et
juste qu'il conservât désormais
vis-à-vis d'eux cette attitude de
supériorité ? - Non ; cela
n'eût pas convenu à un enfant, et
Jésus devait être un véritable
enfant, le modèle des enfants, pour devenir
un véritable homme, le modèle des hommes. Or, la
vertu par
excellence de l'enfant est l'obéissance
à ses parents ; c'est en la pratiquant
qu'il en acquiert d'autres. Il en était
ainsi de Jésus : en obéissant
à ses parents, il obéissait au
Père céleste, qui l'avait
placé sous leur autorité. On se le
représente dans l'atelier du charpentier
Joseph, obéissant exactement aux
instructions de celui qu'on appelait son
père, le regardant faire et faisant comme
lui. Telle fut, d'après son propre
témoignage, l'attitude que plus tard il eut
constamment à l'égard de son
Père céleste.
Chers enfants, lorsque, au cours
de
cet hiver, nous irons voir vos parents et nous les
interrogerons sur votre compte, nous serons sans
doute très heureux d'apprendre que vous
aimez votre instruction et que vous y apportez du
zèle et de la bonne volonté ;
mais ce qui nous fera le plus de plaisir, c'est de
recueillir de la bouche de vos parents ce
témoignage : « Depuis que
notre enfant suit vos leçons, il est devenu
plus obéissant et plus soumis ; nous
n'avons jamais à nous plaindre de sa
conduite ». Cela nous prouvera que vous
êtes de ces auditeurs qui cherchent à
mettre en pratique ce qu'ils entendent, qui
bâtissent sur le roc et non sur le
sable ; et si vous le faites, les orages de la vie,
les eaux
débordées de la tentation ou de
l'adversité, ne renverseront pas l'humble
édifice dont, avec l'aide de Dieu, nous
allons nous appliquer à poser les
fondements.
Amen.
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