Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES AIGUILLONS.

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Il te serait dur de regimber contre les aiguillons. (Actes XXVI, 14.)

C'est une parole du Christ que je propose à votre méditation, mes frères, mais une parole prononcée plusieurs années après sa mort et sa résurrection, adressée à Saul, le persécuteur, au moment de cette vision mémorable qui fit de lui un chrétien et un apôtre. Comme il le faisait si souvent sur la terre, Jésus a recours au langage figuré ; il se sert d'une comparaison familière et frappante. Représentez-vous un boeuf qui tire la charrue. Son conducteur, qui marche à côté de lui, dirige l'attelage de la main gauche ; dans la droite, il tient un long bâton muni d'une pointe de fer, dont il se sert, selon le besoin, pour exciter l'animal s'il est trop lent, pour le ramener dans le sillon s'il s'en écarte, ou pour le châtier s'il est indocile. Le boeuf s'irrite, il regimbe, il donne de furieux coups de talon ; mais il ne peut atteindre ni l'aiguillon, ni celui qui le manie ; il ne fait de mal qu'à lui-même. Il lui est dur de regimber contre l'aiguillon. Céder le plus tôt et le plus complètement possible est évidemment ce qu'il a de mieux à faire.

Tel était Saul de Tarse avant sa conversion. À son insu, Dieu le destinait et le préparait à devenir le plus grand et le plus utile serviteur que Jésus-Christ ait jamais possédé. Loin d'entrer dans les vues de Dieu, Saul lui faisait une guerre acharnée ; il ne respirait que haine et meurtre contre le Nazaréen et contre ses disciples ; Jérusalem ne suffisant plus à son zèle fanatique, il se rendait à Damas pour y poursuivre ses tristes exploits. Comme il approchait de la ville, Jésus-Christ lui apparaît environné d'une éblouissante lumière et lui adresse ces simples paroles : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Il te serait dur de regimber contre les aiguillons ». Ému jusqu'au fond de l'âme, vaincu, terrassé, l'ancien persécuteur, devenu subitement docile comme un enfant, répond : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » Et telle est au fond l'histoire de tout pécheur qui se convertit.

Nous ne sommes pas et nous ne deviendrons jamais des Saint-Paul, et pourtant sur nous aussi Dieu a des vues ; il veut faire de chacun de nous un instrument de sa volonté, un collaborateur pour la venue de son règne. Nous commençons par regimber, par résister à l'appel divin, et plusieurs sont encore engagés dans cette lutte impie. Aujourd'hui Jésus-Christ les invite à déposer les armes et dit à chacun d'eux : « Il te serait dur de regimber plus longtemps contre les aiguillons ». Heureux celui qui, comme Saul de Tarse, ne résistera pas à la voix et à la vision célestes !


I


« Il te serait dur de regimber contre les « aiguillons ». Remarquez ce pluriel ». Il n'est pas dans toutes nos traductions, mais il est dans l'original. Et il convient parfaitement à l'application que nous avons en vue. Car il y a plusieurs aiguillons, au moyen desquels Dieu presse l'âme rebelle, la poursuit, la subjugue enfin.

Il y a d'abord « l'aiguillon de la force ou de la puissance ». D'une façon générale, la bête n'est pas de taille à tenir tête à l'homme ; mais que dire de l'homme qui lutte contre Dieu ? Peut-on imaginer une entreprise à la fois plus déplorable et plus ridicule ? D'après la fable antique, les Titans ont beau entasser mont sur mont pour escalader le ciel ; sans sortir de sa sérénité, Jupiter les foudroie. Que sera-ce donc, s'il s'agit, non plus du roi des dieux, mais du Dieu unique, Créateur et Maître absolu des cieux et de la terre, disposant de ses oeuvres comme le potier de l'argile qu'il façonne à son gré ? Lui résister, c'est folie autant que crime ; l'histoire des Pharaon, des Sanchérib et des Hérode nous montre où cela conduit.

Mais Jésus-Christ étant le Fils unique et bien-aimé du Père, le Roi qu'il a oint de son Esprit et établi « sur Sion, sa montagne sainte », lui faire la guerre ou la faire à Dieu, c'est la même chose. Avec tout l'emportement de son fanatisme, avec toutes les ressources de son génie, qu'avait pu faire contre lui Saul de Tarse ? Jeter en prison un certain nombre de ses disciples, en faire périr quelques autres, arracher peut-être à quelques pauvres femmes terrorisées une apostasie bientôt amèrement déplorée, rien de plus. Il n'avait pas arrêté un seul jour les progrès de l'Évangile. Ainsi les autres persécuteurs, un Néron, un Dioclétien, un Philippe II d'Espagne, un Louis XIV, n'ont remporté que des victoires apparentes ou passagères ; en général ils ont vécu assez pour voir l'avortement de leurs desseins.
De nos jours, ceux qui se flattent d'avoir remplacé définitivement la foi par la science, d'avoir porté par leurs lois un coup mortel à la religion, d'avoir ruiné la Bible par leur critique, d'avoir éteint les étoiles du ciel avec leur philosophie, ne réussiront pas davantage. En dépit de l'incrédulité contemporaine, Jésus-Christ ne cesse pas d'étendre ses conquêtes spirituelles parmi les nations païennes et, sur terre chrétienne, de délivrer les plus misérables esclaves du vice. Ce sont là les victoires qu'il recherche ; mais, s'il est des individus qui les lui refusent obstinément et qui résistent définitivement à son Esprit, il est inévitable et il est juste qu'ils soient tôt ou tard brisés et détruits. « Il faut que Jésus-Christ règne, » dira plus tard Paul lui-même, « jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds ». À force de regimber contre l'aiguillon, l'animal indocile se blesse jusqu'à en mourir.


II


Je change à peine de sujet en mentionnant « l'aiguillon du châtiment ». Il y a une part de châtiment dans la dispensation de Dieu à l'égard de Saul de Tarse. L'homme fort est jeté à terre ; le conducteur d'Israël erre en tâtonnant, environné de ténèbres subites ; l'oppresseur des disciples de Jésus est plongé dans une angoisse profonde et passe par une sorte de mort qui dure trois jours. Ainsi il n'est pas rare que la main de Dieu se soit visiblement appesantie sur les adversaires du Christ. Pour ne mentionner que quelques-uns de ceux que j'ai déjà nommés, qu'on se rappelle la fin misérable de Néron, la vieillesse lamentable de Philippe Il et de Louis XIV. Mais laissons les hommes du passé et les puissants de la terre, venons à nous-mêmes. S'il y a quelqu'un ici qui ait résisté à Dieu ; qui, malgré les avertissements répétés du Seigneur, ait persisté dans un péché connu comme tel, n'a-t-il pas senti plus d'une fois l'aiguillon du châtiment ? Vous aviez, mon frère, recherché follement le plaisir, et la souffrance est venue ; vous vous étiez fait un dieu de l'argent, et vous avez éprouvé des revers de fortune ; vous avez consacré les plus belles années de votre vie au service du monde, et des années de faiblesse et de tristesse leur ont succédé. N'est-ce pas assez ? Voulez-vous continuer la lutte ? Voulez-vous obliger le Seigneur à enfoncer plus avant l'aiguillon dans votre chair ? Un apôtre écrivait aux Hébreux : « Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang en combattant contre le péché ». Moi je vous dis au contraire : Vous avez déjà résisté à Dieu jusqu'à saigner sous sa verge ; voulez-vous lui résister jusqu'à la mort, la mort de votre âme ? « Humiliez-vous plutôt sous sa puissante main, et il vous relèvera ».


III


Mais voici un plus noble « aiguillon », celui de la « vérité ». Je ne crois pas me tromper en conjecturant qu'avant sa rencontre avec Jésus sur le chemin de Damas, Saul en avait déjà plus d'une fois senti les atteintes. Malgré ses préventions, la mort sainte et triomphante d'Étienne ne put manquer de produire sur lui quelque impression. À la vue de la patience et de la douceur des victimes innocentes qu'il maltraitait et traînait devant les tribunaux, il dut avoir plus d'une fois l'âme traversée d'un remords. Mais il repoussait ces pensées meilleures comme des suggestions de Satan. Il s'efforçait d'étouffer ce commencement de lutte intérieure en se livrant à un redoublement de zèle persécuteur.

Sur le chemin de Damas, cela ne lui est plus possible. Car l'éblouissante lumière physique qui l'environne, effaçant la clarté du soleil à son midi, est une image de la lumière morale qui lui apparaît tout-à-coup et l'accable. Jésus de Nazareth, qu'il croyait mort, est vivant, puisqu'il est là devant ses yeux. Puisqu'il est rayonnant d'une gloire divine, puisque sa voix a un accent divin, il ne peut être un faux messie. Mais alors ? ... Alors, tout le passé de Saul, tout son pharisaïsme, toute sa justice s'écroule comme un château de cartes. L'orgueilleux docteur n'est plus qu'un humble enfant qui s'assied à l'école de son nouveau maître pour apprendre et pour épeler la vérité. - O vous qui n'en êtes pas encore là, vous qui, peut-être sous des apparences religieuses correctes, portez en vous un fonds opiniâtre de doute et d'incrédulité, vraisemblablement vous n'avez pas eu et vous n'aurez jamais de vision semblable à celle de Saul ; mais n'avez-vous pas senti, vous aussi, à vos heures, des atteintes de l'aiguillon de la vérité ? Ne vous rappelez-vous pas telles paroles du Christ, paroles de répréhension ou de promesse, de jugement ou de grâce, qui sont entrées dans votre coeur comme autant de flèches ? telle conversion admirable ou telle mort glorieuse, qui vous ont porté à vous dire tout bas : « Que ne suis-je à la place de ce converti ou de ce mourant ? »
N'avez-vous été mis plus d'une fois, soit par le cours de vos propres pensées, soit par quelque lecture ou quelque prédication, en face de ce raisonnement si simple et si juste : « Si l'on connaît l'arbre à ses fruits (et comment en douter ?) certainement l'Évangile doit être vrai ; car il n'y a jamais eu de vie plus pure et plus belle que celle de Jésus de Nazareth et, fort au-dessous de la sienne, celles de ses fidèles disciples. Il n'y a pas d'autre puissance morale supérieure ni égale à celle qui, d'un Saul de Tarse, a fait un Saint Paul. » Oh ! si de telles vérités vous apparaissent, ne fût-ce que comme des éclairs, ne fermez pas les yeux, ne vous détournez pas pour ne pas les voir. Ne vous laissez pas arrêter par la crainte des conséquences, des confessions et des sacrifices à faire, des jugements humains à endurer ; ce serait montrer que vous êtes bien éloigné de la sincérité d'un Saul de Tarse. Il n'est peut-être pas dur, hélas ! en ce sens qu'il n'est ni difficile, ni rare, de regimber contre l'aiguillon de la vérité ; mais certainement il n'est rien de plus funeste ni de plus coupable.


IV


Procédant du dehors au dedans, nous descendons toujours plus avant dans les profondeurs de l'âme humaine et nous y trouvons « la conscience ». C'est un « aiguillon » aussi, et un aiguillon qui vient de Dieu. Ici, je ne fais plus de distinctions, je ne pose plus de questions ; je suis sûr que nous avons tous senti cet aiguillon-là. Mais aucun de nous, probablement, n'en a souffert autant que Saul sur le chemin de Damas. Jusque-là, il paraissait et croyait être en règle avec la loi de Dieu ; le voici forcé de s'avouer qu'il était incrédule, égaré, ennemi de Dieu et de son Christ, meurtrier de ses frères. Quelle découverte ! Quelle confusion !
Quelle humiliation ! Quelle inexprimable douleur ! Saint Paul ne s'en consola jamais tout-à-fait ; plus tard, quand il devra insister, pour la gloire de Dieu, sur l'indépendance et sur l'origine divine de son apostolat, il s'empressera d'ajouter : « Je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, moi qui ai persécuté l'Eglise de Dieu ».

Vous vous applaudissez peut-être d'être à l'abri d'un semblable reproche et de n'avoir jamais été entraîné à de si coupables excès. Prenez garde. L'apôtre dit aussi ; « J'ai obtenu miséricorde, parce que J'ai agi par ignorance, étant dans l'incrédulité ». Pouvez-vous, de bonne foi, alléguer la même excuse ? Est-ce par ignorance que nous avons été et que nous sommes encore égoïstes, charnels, toujours en souci de notre intérêt et de notre bien-être, ménagers de nos forces, de notre temps et de notre argent, quand il s'agit de servir Dieu et notre prochain ? Est-ce par ignorance que nous succombons encore tous les jours à des tentations que nous connaissons trop bien ? Le témoignage de notre conscience est net et décisif à cet égard ; lui avons-nous obéi ou lui avons-nous résisté ? Avons-nous dit avec le Psalmiste : « O Dieu ! aie pitié de moi... J'ai péché contre toi, contre toi proprement ; je le confesse afin que tu sois trouvé vrai quand tu parles et juste quand tu juges... Lave-moi parfaitement de mon iniquité... Crée en moi un coeur pur ... Ne me retire pas ton Esprit Saint ! » ? Et si nous avons parlé et prié ainsi, avons-nous persévéré dans cette attitude ? Notre vie a-t-elle été en harmonie avec notre prière ? ... 0 mes frères, je vous en conjure, qu'aucun de vous ne persiste à regimber contre cet aiguillon divin de la conscience ! Le plus grand de tous les malheurs, c'est d'arriver à ne plus le sentir. Imitons plutôt la prompte docilité de Saul, son humiliation profonde, son retour immédiat et définitif au Seigneur et au Sauveur qu'il a mortellement combattu et offensé : « Reviens puisqu'il pardonne », - dit un beau cantique : « cède enfin et soi sauvé ! »


V


Ces derniers mots nous mettent déjà en présence du dernier et du plus pénétrant des « aiguillons » divins, celui de « l'amour ». C'est contre celui-là surtout qu'il est dur de regimber. Saul s'en garde bien. En même temps que la majesté royale de Jésus-Christ l'éblouit, que son évidente messianité convainc son entendement, que son juste reproche bouleverse sa conscience, la divine bonté de Jésus-Christ brise son coeur. Car, tandis que Saul cherchait Jésus pour le tuer à nouveau dans la personne de ses disciples, Jésus cherchait Saul pour le sauver.

Il y a plus de tendresse encore que de sévérité dans cette question : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Elle fait penser au mot de César mourant : « Et toi aussi, Brutus ? » Jésus a discerné les trésors et les capacités pour le bien que recèle cette âme ardente ; il éprouve pour son fougueux adversaire une sympathie toute spéciale ; il l'a choisi pour devenir son témoin et son martyr, et pour effacer quelques jours d'aveugle inimitié par une vie entière de dévoûment, d'activité féconde, de consécration absolue. Peut-on s'étonner que celui qui a été l'objet d'une dispensation si miséricordieuse soit devenu l'apôtre de la grâce ? Mes frères, nous ne sommes, vous et moi, que de pauvres individualités à côté de celle-là ; et pourtant Dieu nous aime, nous aussi, il nous veut à lui ; comme je le disais tout-à-l'heure, il nous a destinés à quelque chose de bon et il nous cherche. N'avez-vous pas senti plus d'une fois, au cours de votre vie, ce que j'appellerai, d'après mon texte, l'aiguillon de son amour ? Ne l'avez-vous pas senti dans vos joies et dans vos peines, dans les circonstances extérieures et dans vos expériences intérieures, surtout dans telles paroles de l'Évangile que son Esprit vous rappelait et vous appliquait ? Vous avez regimbé peut-être en actes, sinon en paroles ; vous avez pris des résolutions, fait des promesses, mais vous ne vous êtes pas donnés à Dieu. Votre Sauveur ne s'est point lassé ; il vous poursuit aujourd'hui même de ses appels. Il dit au plus coupable d'entre nous : « Il y a pardon auprès de moi pour tous tes péchés » ; à celui qui a vieilli dans l'indifférence, dans l'impénitence, dans l'amour du monde : « Il y a en moi assez de grâce pour faire de toi un homme nouveau, plus que vainqueur en celui qui t'a aimé ». Pour t'assurer ces bienfaits immenses et immérités, j'ai donné ma vie et plus que ma vie ; j'ai souffert la croix.

Voilant mes splendeurs divines
Sous l'horrible affront,
Pour toi saignent les épines
Sur mon front.

Laissez-moi rappeler encore un autre cantique -

Pécheur, je me tiens à la porte ;
Finirai-je par t'attendrir ?
Entends-tu ma voix douce et forte ?
Veux-tu m'ouvrir ?

Aurez-vous le coeur de regimber contre cet aiguillon-là ? Répondrez-vous à celui qui vous presse de la sorte : « Seigneur, je ne crois pas à ton amour ; ta croix ne me dit rien ; ton sang versé me laisse indifférent ; je ne me soucie pas de la vie éternelle que tu m'offres » ?

Il vous serait dur de regimber ainsi, car vous porteriez sur votre coeur, pour l'éternité peut-être, le poids, la honte, et le remords de cette ingrate rébellion. Oh ! la simplicité, la droiture, l'intégrité, l'humilité et le courage d'un Saul de Tarse, qui, sans un instant d'hésitation ni de délai, tombe aux pieds de son royal adversaire devenu son Rédempteur et son unique Maître ! Accomplis en nous, Seigneur, le même miracle par ta grâce !

Amen.

Nîmes, Petit-Temple, 30 juin 1912.

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