Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

COMMENT JÉSUS-CHRIST MANGEAIT.

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Le Fils de l'Homme est venu mangeant et buvant, et l'on dit : Voilà un mangeur et un buveur, un ami des pécheurs. (Matth. XI. 19.)

Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelque autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu. (I Cor. X, 31.)

Le précepte apostolique qui nous enjoint de manger et de boire pour la gloire de Dieu, paraît à bien des gens excessif, extravagant, irréalisable. Nous mangeons et buvons, pourquoi ? - Parce que nous ne pouvons pas nous en passer, parce qu'il faut se nourrir pour vivre. Les animaux aussi mangent et boivent. Qu'est-ce que l'exercice de cette fonction si vulgaire et si matérielle peut avoir de commun avec la gloire de Dieu !

Réfléchissons pourtant. Si, dans notre vie, tout ce qui se rapporte au manger et au boire était exclu de toute relation avec la gloire de Dieu et par conséquent avec son service, ce service risquerait d'être singulièrement restreint. Car, non seulement les repas occupent une partie assez notable de notre temps, mais après avoir mangé pour pouvoir travailler, nous travaillons pour pouvoir manger. C'est la condition de la masse des hommes, c'est l'abrégé et la définition de leur existence, envisagée par le côté extérieur.

« Tout le travail de l'homme est pour sa bouche », lisons-nous dans l'Ecclésiaste.

Alors, nous ne travaillerions pas non plus pour la gloire de Dieu ? Que resterait-il pour le Seigneur, sinon un petit nombre de moments et d'actes qui portent, pour ainsi dire, l'estampille religieuse, comme le dimanche et le culte ? Réduire la vie chrétienne à de telles proportions, ce serait l'anéantir, ce serait méconnaître complètement l'esprit de la morale évangélique. S'il faut aimer Dieu de tout son coeur, il faut aussi le servir en tout temps et en toutes choses. Et puisque cela est obligatoire, cela doit aussi être possible. Il doit y avoir moyen de manger et de boire pour la gloire de Dieu. Pour le chrétien, ce n'est pas un joug, c'est un honneur et un privilège, c'est un affranchissement, un ennoblissement merveilleux de la vie humaine. Toutefois, il faut reconnaître que l'obligation est haute et que la pratique en est rare. De qui pouvons-nous apprendre ce glorieux secret, si ce n'est de Jésus-Christ, notre Maître et notre modèle ? Il est « venu mangeant et buvant », dit-il lui-même ; mais certainement il mangeait et buvait pour la gloire de Dieu. C'est sous cet angle particulier que nous vous présentons ce matin l'exemple de notre Sauveur. Nous rechercherons ensemble comment Jésus-Christ mangeait. Sujet fort humble et sans doute rarement traité dans la chaire chrétienne ; mais j'ai la confiance qu'il ne sera pas sans un intérêt sérieux ni sans application pratique.


I


Pour aborder la question par son côté le plus simple, demandons-nous d'abord, autant que les documents évangéliques nous permettent de le déterminer, ce que Jésus mangeait. Le jour de la multiplication des pains, les disciples s'étaient procuré comme provisions du pain et du poisson : c'était là probablement le fond de leur alimentation habituelle ; de celle du Maître, d'autant plus qu'ils étaient pêcheurs. Pourtant, Jésus mangeait aussi de la viande, en tout cas à la fête de Pâque : « J'ai fort désiré, dit-il au moment de son dernier repas, manger cette Pâque, » c'est-à-dire cet agneau de Pâque, « avec vous, avant que je souffre. » Dans la même circonstance, on voit qu'il buvait du vin : « Je ne boirai plus de ce fruit de la vigne, jusqu'à ce que je le boive nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. »

Après sa résurrection, pour s'assurer qu'il avait vraiment un corps, les disciples placèrent devant lui du poisson grillé et un rayon de miel ; sans doute ce n'était pas la première fois. Enfin, nous savons que Jésus aimait les figues, puisque un jour, ayant faim, il en chercha sur un figuier couvert de feuilles et fut désappointé de n'en pas trouver. On comprend donc le contraste que Jésus lui-même établit entre son genre de vie et celui de son Précurseur : « Jean-Baptiste est venu ne mangeant ni ne buvant, le Fils de l'Homme est venu mangeant et buvant. » Certes, rien n'était plus injuste, plus sot et plus odieux que les calomnies de ces misérables qui osaient qualifier le Saint de Dieu de mangeur et de buveur. Il n'en est pas moins certain que Jésus n'a pas été ce qu'on appelle un ascète, c'est-à-dire un homme qui se fait en tout temps de l'abstinence un devoir et un mérite, qui recherche la privation pour la privation, qui part de ce principe, que tout ce qui est ôté au corps est toujours autant de gagné pour l'âme. Comme plus tard son disciple Saint Paul, il savait être dans la pauvreté, il savait aussi être dans l'abondance. Une abondance au moins relative dut régner, soit aux noces de Cana, soit à la table de tel hôte pharisien, chez qui Jésus fut invité en nombreuse compagnie, soit à celle de Simon le lépreux, soit même à Béthanie quand Marthe servait.

Non seulement Jésus ne s'est pas fait scrupule de prendre part à ces repas, mais il lui arrive de dire à son hôte : « Quand tu fais un festin, agis de telle ou telle sorte. » Jésus ne trouve donc pas mauvais qu'on donne de temps en temps un festin ; seulement il veut que ses disciples y apportent un autre esprit que les gens du monde et y appellent d'autres convives. Un jour, Jésus donna lui-même un festin à des milliers de gens dans la maison de son Père, c'est-à-dire en pleine campagne, sous le ciel de Dieu. Le menu était fort simple : du pain, du poisson et sans doute aussi l'eau d'une source, puisqu'il y avait beaucoup d'herbe en ce lieu-là. Mais tout cela était fort abondant, on emporta douze corbeilles pleines des restes du repas. Enfin, Jésus compare plus d'une fois le royaume des cieux à un festin, festin royal, festin de noces, où des boeufs et autres bêtes grasses sont servis à profusion, où les convives, vêtus d'habits de fête, venus d'orient et d'occident, seront à table avec Abraham, Isaac et Jacob, dans une salle splendidement éclairée.

Tous ces traits nous montrent à quel point le Fils de l'Homme a vécu d'une vie vraiment et pleinement humaine, à laquelle rien n'était étranger, excepté le mal. Il s'est fait le commensal et l'ami des péagers et des pécheurs ; il partageait, non pas sans doute leurs excès, mais leurs coutumes et leurs joies dans ce qu'elles avaient d'innocent, afin de les gagner et de les sauver. À l'exemple de notre Maître, nous avons le droit de maintenir avec un soin jaloux notre liberté chrétienne et le devoir de respecter scrupuleusement celle d'autrui. Nous ne souffrirons. pas qu'on nous asservisse et qu'on nous inquiète par des prescriptions et des interdictions arbitraires concernant l'usage de certains aliments, comme le fait l'Eglise romaine ; ce point seul marque la distance qui existe entre sa morale et celle de l'Évangile. Nous n'approuvons pas non plus une discipline rigoriste et minutieuse, s'étendant à tous les actes de la vie privée, comme celle que Calvin avait établie à Genève. Affranchis par Jésus-Christ, nous ne nous rendrons pas esclaves des hommes. Nous admirons, sans les partager, les scrupules excessifs du grand Pascal, qui, (d'après le témoignage de sa soeur) lorsque à table il trouvait quelque chose bon, s'en alarmait et s'en faisait un reproche. Nous entrons bien plus volontiers dans les pensées de l'apôtre Paul, ce généreux champion de la liberté chrétienne : « Ne vous laissez pas imposer des préceptes tels que ceux-ci : « Ne mange, ou ne goûte, ne touche point ! ... » Tout ce que Dieu a créé est bon, et rien n'est à rejeter, pourvu qu'on le prenne avec action de grâces... Dieu nous fournit toutes choses en abondance pour en jouir... « Toutes choses sont à vous, et vous êtes à Christ. »


II


Portons maintenant notre attention sur une série de faits tout différents et qui peuvent paraître opposés. Si Jésus n'a pas fui systématiquement, anxieusement, l'abondance et le bien-être, à coup sûr, il les a encore moins recherchés. C'est le pain quotidien qu'il nous a appris à demander ; il est bien certain que pour lui-même, il ne demandait pas davantage. Comme il n'avait pas un lieu où reposer sa tête, ainsi son régime alimentaire était bien plutôt celui du pauvre que celui du riche. Lorsqu'il admettait quelque exception, ce n'était pas pour se satisfaire, (il n'a jamais cherché sa propre satisfaction) mais pour faire du bien. Un jour, il eut l'occasion de s'expliquer sur cette question. Il était entré chez ses bons amis de Béthanie ; Marthe prenait beaucoup de peine pour lui préparer un excellent repas, et jugea que Marie devrait bien l'aider dans cet important office. Jésus la reprit avec douceur : « Marthe ! Marthe ! dit-il, tu te mets en peine et tu t'agites pour beaucoup de choses. Mais (telle est la leçon de plusieurs bons manuscrits, admise par Godet) il n'est besoin, que de peu de choses ou plutôt d'une seule ». C'est à dire, d'abord : on peut se contenter à moins de frais; il faut simplifier la vie et restreindre les besoins physiques plutôt que les multiplier. Ensuite : à le bien comprendre, une seule chose est nécessaire, le salut de l'âme et la parole qui apporte ce salut. Écouter cette parole, voilà la bonne part, que Marie a choisie et qui ne lui sera point ôtée..

Cette préoccupation souveraine de l'âme, cette subordination absolue du corps, d'autres faits la constatent chez Jésus. Souvent, au cours de son activité de prédicateur et de Sauveur, assiégé par les auditeurs ou par les suppliants, il n'avait pas le temps de manger, et il ne s'en mettait pas en peine. Le soir de la multiplication des pains, il s'inquiéta de la faim de la foule, il ne pensa pas à sa propre faim. Un jour - c'était en Samarie, près du puits de Jacob - Jésus avait tout le temps de manger et pourtant il refusa la nourriture, parce qu'il était plongé dans une sorte d'extase. Voyant accourir à lui les Samaritains, empressés d'écouter et de croire, heureux de cet accueil auquel les Juifs ne l'avaient pas habitué, il répondit à ses disciples qui lui présentaient des aliments : « J'ai à manger d'une nourriture que vous ne connaissez pas... Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son oeuvre ». Pour lui, c'était la seule chose nécessaire !

C'est ici le lieu de rappeler que Jésus a approuvé le jeûne, sinon comme oeuvre légale et méritoire, du moins comme moyen de discipline, comme accompagnement et aide de la prière. Il l'a pratiqué aussi. Au commencement de sa carrière, après un jeûne de quarante jours, pressé par la faim, il aima mieux prolonger ce jeûne si pénible que l'abréger en obéissant à une suggestion qui ne venait pas de Dieu. Aussi recommande-t-il instamment à ses disciples d'être sobres, de se garder de ces excès du manger et du boire qui appesantissent le coeur et l'éloignent de Dieu. À ses yeux, « se traiter bien et magnifiquement tous les jours », c'est assez pour perdre son âme. Ce n'est pas pour « la nourriture qui périt » que le chrétien doit travailler, c'est pour « celle qui subsiste jusque dans la vie éternelle ».

Tout cela montre à quel point toute sensualité et toute gourmandise, pour ne rien dire de l'ivrognerie et d'excès pires encore, sont incompatibles avec la vie chrétienne. Défions-nous de ces complaisances pour la chair et pour les sens que tolère le christianisme affadi et amoindri de notre époque. Si un Saint-Paul croyait devoir traiter durement son corps et le tenir assujetti, à combien plus forte raison cette vigilance ne nous est-elle pas nécessaire, à nous qui sommes si fort au-dessous de la spiritualité et de l'héroïsme du grand apôtre, et qui n'avons pas comme lui le correctif et la discipline de la persécution ! - Je ne retire rien des principes de liberté que j'ai énoncés tout-à-l'heure : usons sans scrupule des biens que Dieu nous donne ; mangeons et buvons indifféremment de ce qui nous est présenté ; mais que le corps reste le moyen, l'âme, ou plutôt le règne de Dieu, le but ; mangeons et buvons pour la gloire de Dieu.


III


Ainsi, dans le domaine restreint qui nous occupe, nous avons essayé de définir et de caractériser ce qu'on pourrait appeler les deux pôles opposés de la conduite morale de Jésus : la liberté et le renoncement. Il nous reste à expliquer comment il a pratiqué d'avance le précepte de son apôtre : « Faites tout pour la gloire de Dieu » ; en d'autres termes, comment il ennoblissait et sanctifiait cette fonction si humble de l'existence terrestre, le manger et le boire, en la rattachant à sa mission divine. Il l'a fait avant tout par l'action de grâces. D'après Paul, c'est tout particulièrement l'action de grâces. qui sanctifie l'usage des dons de Dieu. Pensée juste et profonde ! En effet, négliger de rendre grâces, c'est ingratitude et matérialisme pratique ; c'est ne songer qu'à jouir égoïstement du bienfait sans penser au bienfaiteur. C'est orgueil aussi : c'est attribuer à soi-même et à son propre mérite les avantages que l'on possède, au lieu d'en bénir Dieu.
Rendre grâces au contraire, c'est proclamer notre entière dépendance à l'égard du Seigneur et confesser que nous n'avons rien que nous n'ayons reçu de lui ; c'est faire de chaque jouissance une occasion de foi et d'amour ; pour aller au fond des choses, c'est répondre à la bonté toujours renouvelée de notre Dieu par un acte, toujours renouvelé aussi, de consécration à son service. Jésus, nous le savons, considérait le pain quotidien comme un don de Dieu ; aussi n'omettait-il jamais de remercier son Père avant de prendre son repas. Il a rendu grâces avant la multiplication des pains ; il a rendu grâces avant cette dernière Pâque qui était en même temps le symbole et la prédiction de son amer sacrifice.

Et vous, mes frères, rendez-vous grâces à Dieu en famille, au commencement de chacun de vos repas ? Si vous ne l'avez pas encore fait, faites-le désormais. Que l'établissement, dans votre maison, de cette pratique pieuse, qui devrait être pour chaque foyer chrétien la chose la plus simple du monde et l'expression d'un besoin des coeurs, soit un fruit et un souvenir de notre méditation de ce jour. Si vous le faites déjà, veillez à ce que cette habitude, excellente en elle-même, ne dégénère pas en routine insignifiante et presque inconsciente. Soyez vraiment reconnaissants. Si depuis trente, quarante, cinquante ans ou plus que vous êtes ici-bas, vous n'avez pas un seul jour manqué du nécessaire, n'y aurait-il pas une légèreté et une ingratitude coupables à n'en pas bénir Dieu ?

Jésus sanctifiait aussi par de pieux entretiens les repas auxquels il prenait part. C'est à table qu'il a prononcé quelques-unes de ses plus belles exhortations et de ses plus touchantes paraboles. Il n'y prêchait pas cependant ; sa parole « toujours assaisonnée de sel avec grâce », prenait occasion des circonstances, de la situation, du repas lui-même, pour en tirer des leçons de vie éternelle. On a recueilli les « Propos de table » de Martin Luther ; ils renferment, avec beaucoup de traits, de génialité. de piété, d'une gaieté de bon aloi, des intempérances de langage qu'on regrette. Le laisser-aller du repas y prête facilement. Les propos de table du Seigneur Jésus sont toujours empreints d'une sagesse divine. En cela comme en toutes choses, il nous a donné un exemple. Le moment des repas, le seul, dans la plupart des maisons, où la famille entière soit réunie, - la famille agrandie quelquefois, - ce moment, dis-je, offre une occasion propice et même unique a celui qui, de l'abondance de son coeur, a toujours quelque chose de bon à tirer pour le bien de tous. Il y a des circonstances et des infirmités qui ne permettent plus guère à certains d'entre nous de se mêler à une conversation générale et surtout de la diriger. Vous qui le pouvez encore, efforcez-vous de donner à ces entretiens une direction telle que si Jésus apparaissait tout à coup et vous demandait comme un jour aux apôtres : « De quoi parliez-vous ? » vous ne soyez jamais confus.
Jésus sanctifiait aussi ses repas par l'exercice de la charité ou de la bienfaisance.

Lorsque, dans ce dernier repas auquel j'ai déjà fait plusieurs fois allusion et où fut instituée la sainte Cène, Judas sortit dans la nuit. les autres disciples eurent aussitôt l'idée que Jésus l'avait chargé de faire quelque don aux pauvres. Cela prouve que la chose arrivait fréquemment, et qu'en général chaque repas, si modeste et si frugal qu'il pût être, était pour Jésus une occasion de se souvenir des besoins des nécessiteux et d'y pourvoir selon ses ressources. Peu d'entre nous, à coup sûr, sont vraiment privés des moyens et de la possibilité d'exercer la bienfaisance, puisque le pauvre Jésus l'a exercée, lui qui était lui-même un assisté ! Il est vrai que pour se permettre ce luxe de la charité, il faut s'en interdire d'autres. C'est pourquoi Jésus a donné ce commandement à ses disciples : « Lorsque tu feras un festin, n'invite pas tes parents, tes amis, ni tes riches voisins, de peur qu'ils ne te rendent la pareille (voilà une crainte que le monde ne connaît pas !) ; mais invite les pauvres, les impotents, les boiteux et les aveugles ».
On ne peut inviter tout le monde, c'est pourquoi Jésus veut que nous invitions de préférence ceux pour qui notre invitation est un bienfait. On a beaucoup dit que ce précepte du Sauveur ne devait pas être pris à la lettre, et je crois bien qu'on n'a pas tout-à-fait tort, et que Jésus n'a pas entendu nous interdire de jamais recevoir à notre table des parents ou des amis. J'y consens donc : interprétons ce précepte avec largeur ; adaptons-le aux exigences de la vie moderne ; mais ainsi interprété, que faisons-nous pour nous y conformer ? Si nous ne faisons rien, - rien d'extraordinaire, rien que ce que tout le monde fait, - je crains bien que nous ne sachions pas encore manger et boire pour la gloire de Dieu. Car la gloire de Dieu ne se sépare pas du service du prochain, et le prochain, au sens évangélique, c'est surtout celui qui a besoin de nous.

Enfin Jésus a sanctifié ses repas, ou plutôt l'acte du manger et du boire, par un symbolisme sublime. Il a voulu que la plus modeste et la plus élémentaire de toutes les fonctions, celle de l'alimentation quotidienne, devînt l'image et le mémorial de ce qu'il y a de plus sacré au monde : le sacrifice du Sauveur, ainsi que l'entretien et le renouvellement de notre vie spirituelle par la foi en lui. Il a dit : « Toutes les fois que vous mangerez et que vous boirez, faites ceci en mémoire de moi ». Nos traducteurs disent : « Toutes les fois que vous « en » mangerez et que vous « en » boirez, mais cet « en » n'est pas dans le texte. Jésus-Christ semble avoir voulu que, pour ses disciples, la pensée et le souvenir de son sacrifice fussent associés à chacun de leurs repas. Aussi lisons-nous qu'à l'origine, chaque jour, les fidèles, dans leurs maisons, « rompaient le pain et prenaient leurs repas avec joie et simplicité de coeur » ; ils rompaient le pain, c'est-à-dire qu'ils prenaient la Sainte Cène.

Bientôt cet usage a été modifié, et je ne dis pas qu'il n'y ait pas eu de bonnes raisons pour cela. Je crains cependant qu'en faisant de la célébration de la Sainte Cène une solennité exceptionnelle, on n'en ait plus ou moins modifié le caractère et l'esprit. Calvin aurait voulu qu'on la distribuât chaque dimanche ; il y voyait une partie intégrante du culte chrétien. Il ne dépend pas de nous de changer d'un jour à l'autre la pratique qui a prévalu. Mais rien ne nous empêche, à coup sûr, de nous souvenir personnellement de l'institution et de l'idée premières de la Sainte Cène ; de considérer, chaque fois que nous nous mettons à table, que nous n'avons pas seulement un corps, mais une âme, et que le pain de vie, qui est Jésus-Christ, n'est pas moins indispensable à notre âme que l'aliment terrestre ne l'est à notre corps. Rien ne nous empêche d'élever notre pensée et notre coeur vers Dieu, non seulement comme le dispensateur du pain quotidien, mais aussi comme le Père « qui a donné et livré à la mort son Fils unique, afin que, croyant en lui, » nous nourrissant de lui, mangeant sa chair et buvant son sang, « nous ne périssions, pas, mais nous eussions la vie éternelle ». C'est en demeurant et en croissant ainsi dans la communion du Sauveur, que nous apprendrons à manger et à boire pour la gloire de Dieu.

Amen.

Nîmes, Petit-Temple, 28 novembre 1909.

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