Selon la coutume, de donner à chacun de
ses protégés une devise, mon
directeur de conscience au Séminaire de
Paris m'avait donné celle-ci :
« Age quod agis »
(« Fais bien ce que tu fais »),
et il avait ajouté : « Que
cette devise puisse vous soutenir dans toutes les
circonstances de votre vie et vous permettre
d'accomplir pleinement votre devoir au service de
la vérité. »
Ce directeur de conscience, loin de se
douter du bouleversement qui s'opérerait un
jour dans ma vie, et convaincu que l'Eglise
catholique compterait un prêtre de plus dans
son sein, avait voulu dire :
« Devenez un prêtre attaché
à votre Église, obéissez
à vos supérieurs et soyez
animé d'un zèle ardent et
passionné pour la vérité que
vous servirez pleinement dans le
catholicisme ; car elle est là, et non
pas ailleurs. »
Je venais, au contraire, de
découvrir qu'elle était ailleurs, et
comme la doctrine romaine enseigne que
« la vérité ne peut pas
admettre de transaction avec l'erreur »,
je résolus de reprendre mon ancienne devise :
« Age
quod agis », mais au profit de la
cause nouvelle.
Tel fut l'ordre clair et précis
que le Christ, mon véritable directeur de
conscience, me dicta après ma
conversion.
Ma première résolution fut
de me mettre en rapport avec le prédicateur
protestant. Je me disposais à lui
écrire, lorsque je dus retourner à
Paris. J'eus l'impression, en arrivant dans la
ville, qu'elle n'était plus la même.
Mon expérience nouvelle me la faisait
apparaître sous un autre jour. Je concevais
les choses tout différemment ; certes,
je ne fermais pas les yeux devant
l'immoralité, le vice, les querelles, les
haines, les injustices, mais la puissance du mal ne
me semblait plus invincible.
Une pensée nouvelle me
poursuivait sans relâche faire triompher la
cause sublime du Christ ; faire
connaître la vérité qui
s'était révélée
à moi. Elle m'enhardissait, elle donnait
à ma vie des ailes, et je rêvais de
conquêtes pacifiques des âmes, pour
faire régner la justice, le droit et la
liberté.
Quelques jours après mon
arrivée à Paris, je me mis en demeure
d'écrire la lettre que des circonstances
imprévues m'avaient empêché de
rédiger plus tôt. Placé en face
du feuillet blanc, je me rendis compte de
l'impossibilité dans laquelle je me trouvais
d'exprimer ce que je ressentais. Mes aspirations
débordaient le cadre étroit
qu'assignent les mots à la pensée.
Aucune phrase ne me satisfaisait pleinement, et
c'est bien maladroitement
que
je rédigeai quelques pages.
Je décrivais surtout la
beauté de l'idéal que j'avais
rencontré sur ma route, après avoir
passé par le séminaire,
tâtonnant à travers la vie, et je
terminais en envisageant la possibilité de
poursuivre ma vocation en prêchant
l'Évangile au sein du
protestantisme.
Une lettre de réponse, pleine
d'affection et de sympathie, vint me procurer une
grande joie. Ce n'était pas un directeur de
conscience qui parlait à un de ses
protégés, mais un guide moral,
délicat et sûr. Je ne sentais pas une
main-mise sur ma personne pour la diriger et la
conduire, mais un doigt qui indiquait la route
à suivre. Ce n'était plus la main qui
prend, mais le doigt qui montre, et il me laissait
apercevoir la vérité uniquement dans
la personne du Christ.
Ces paroles, empreintes à la fois
de gravité et d'affection, gagnaient les
fibres les plus sensibles de mon coeur et
l'élevaient au-dessus des brumes du
passé. Il n'y avait pas de comparaison
possible entre, ce langage et celui de mes
professeurs d'autrefois. J'étais infiniment
heureux de m'engager dans le chemin indiqué.
Comment aurait-il pu me rebuter ? Le Christ
était là, présent. À
l'horizon, le ciel était pur et le chemin
qu'il me montrait était libre d'obstacles.
J'avais la certitude d'aboutir au port. Le peintre
Burnand a évoqué d'une manière
saisissante ce que je ressentais à cette
heure, lorsque Jésus, accompagné de ses disciples,
entoure de
son
bras l'épaule de l'apôtre Jean et lui
montre l'idéal qu'il doit atteindre.
J'étais entraîné et non
contraint. C'était plutôt la voix d'un
frère aîné qui m'invitait, que
l'autorité d'un père qui commandait.
Dans cette lettre, il était aussi question
de la possibilité d'entreprendre des
études. J'avais formulé une demande
précise dans la mienne :
« Pourrais-je, un jour, prêcher
l'Évangile, comme le Christ m'y
invitait. » J'aurais voulu partir de
suite ; attendre me paraissait inutile, et je
pensais que l'enthousiasme qui m'animait devait
suffire pour convaincre et éveiller la foi
dans les âmes ; mais cette lettre me
faisait savoir qu'il était nécessaire
d'entreprendre plusieurs années
d'études.
J'eus de la peine à m'en
convaincre, mais je compris la
témérité d'accomplir un
ministère sans une base solide, sans un
édifice intellectuel et spirituel pour
répondre aux attaques du siècle et
affirmer avec puissance les vérités
évangéliques, en les étayant
de toutes les connaissances nécessaires. Je
me résignai. J'avais hâte cependant
d'approfondir les causes et les grands principes de
la Réforme protestante. J'avais besoin de
compulser des historiens impartiaux, et je me
rendis chez le pasteur de mon quartier, qui me mit
entre les mains la Vie de Luther, par Kuhn, et
l'ouvrage de réfutation du Doyen
Doumergue : Les calomnies contre Calvin. Je
démasquais enfin la fragilité du
procédé historique employé
dans les manuels catholiques. Cette première
lecture me rassura pleinement et, pour un catholique
imbu de toutes
les
calomnies portées contre le protestantisme,
c'étaient les meilleurs pas que je pouvais
faire dans la voie de la vérité.
J'eus même l'occasion de mesurer la droiture
et la sincérité des historiens
protestants, reconnaissant les erreurs et les
fautes de leurs réformateurs, à
l'encontre des historiens catholiques, qui passent
sous silence celles des papes.
Plusieurs lettres de M. le pasteur B...
orientèrent définitivement ma
pensée et entretinrent mon enthousiasme. Un
mot précis, une idée claire, me
faisaient découvrir mon ignorance des
questions religieuses. Jamais le catholicisme
n'avait su satisfaire à ce point ma soif
ardente de lumière. Lorsque jadis
j'acceptais un dogme, il m'avait toujours fallu
amputer ma raison. Je ne sortais jamais indemne,
mais amoindri dans ma personnalité, lorsque
j'obéissais à toutes les
prescriptions dogmatiques.
Aujourd'hui, on me demandait de penser
et de croire, c'était beau et c'était
droit. Je goûtais ce bonheur et je comprenais
mieux les voies de Dieu.
Malheureusement, mon emploi ne me
laissait aucun loisir, et les quelques livres que
je lisais rapidement ne suffisaient plus à
mon besoin de connaître et d'étudier.
Je ne quittais pas de vue la possibilité
d'entreprendre des études et je demandais
à Dieu de m'en fournir l'occasion. Celle-ci
ne se fit pas attendre. En effet, six mois
après mon retour à Paris, je me
retrouvais en Suisse. Des circonstances
particulières avaient amené ce
changement dans mon existence, et
ce fût à Genève que je vins
habiter. La perspective de pouvoir faire des
études me parut moins lointaine, puisque
j'étais dans une ville universitaire. Une
seule préoccupation remplit ma
pensée : le ministère.
Genève, son lac et ses belles rives, ses
quais ombragés ; Genève,
cité de Calvin et berceau de la
Réforme, parlait à mon coeur.
Dès les premiers soirs, perdu dans les
campagnes environnantes, lorsque j'apercevais la
ville au bord du lac miroitant et les hautes
montagnes sous les feux du couchant, je sentais la
présence de Dieu dans ma vie, comme une
force pour l'alimenter, la soutenir et lui donner
confiance. J'entendais les appels
désespérés des peuples en
guerre, et j'avais hâte de partir pour panser
les blessures morales des hommes. Je n'avais pas
pris part au conflit par suite de ma
nationalité.
Chaque dimanche, j'attendais avec
impatience l'heure du culte pour aller
écouter un des prédicateurs de la
ville, et je fus bientôt un habitué du
Victoria Hall, vaste salle qui contenait mille
à mille cinq cents auditeurs. Ces cultes,
institués dans un but
d'évangélisation, attirent bien des
personnes qui n'entreraient pas dans un
temple.
L'expérience que je fis me
démontra que la vie religieuse et
l'adoration n'étaient pas liées
à un lieu de culte, mais
que la véritable religion est bien celle
« en Esprit et en
vérité », selon le
Christ.
Je trouvais Dieu présent dans mon
coeur pendant cette heure et la religion prit pour
moi un tout autre sens que jadis.
Premières impressions
reçues, qui durent encore. Je n'offrais plus
à Dieu le parfum de l'encens, comme j'avais
eu l'occasion de le faire comme enfant de choeur,
mais je lui offrais toutes mes pensées,
toutes mes actions, toutes mes
prières.
La lente découverte de toutes les
richesses de l'Évangile mettait mon coeur en
émoi. Ah ! cet Évangile, si
simple, si vrai et si beau ; je l'avais
ignoré pendant des années. Je ne
connaissais rien ou presque rien de la vie de
Jésus. L'Eglise catholique m'avait
habitué à un Christ de plâtre,
d'ivoire ou de cuivre, à un petit enfant
habillé de brocart sur les genoux d'une
vierge à manteau d'or. Mais le Christ aux
mains rêches d'ouvrier, le Christ qui fait
glisser la varlope, le Christ frère
aîné d'une famille de sept enfants,
attendant la fin de leur éducation pour
commencer son ministère : ce
Christ-là, je l'avais ignoré.
J'avais ignoré aussi toutes les
paraboles aux riantes couleurs ; tous les
appels à la justice sociale et à
l'amour du prochain. Les quelques paroles et
portions de l'Évangile laissées entre
les mains des fidèles avaient
été vraiment insuffisantes pour me
faire connaître, d'une connaissance intime et profonde,
cette
personnalité géniale et puissante
qu'est le Christ.
Je le suivais pas à pas ; je
découvrais des trésors et des
richesses dans sa vie. Elle alimentait la
mienne ; je croyais entendre sa voix
prophétique, sa puissance d'indignation
devant les injustices. Plus que jamais, je
rêvais de le suivre et de marcher sur ses
traces : c'était bien le Maître
qu'il fallait à ma vie ; le
Maître que je pouvais présenter aux
foules.
Quelques mois s'écoulèrent
pendant lesquels je travaillais au service d'une
Compagnie d'Assurances. Entre temps, je
correspondais avec le pasteur B.... lui exprimant
souvent le désir de le rencontrer pour
m'entretenir avec lui. Ce jour arriva enfin. Une
lettre m'annonçant son passage à
Genève me donnait un rendez-vous. J'allais
pouvoir lui parler pour la première fois,
après des mois de relations
écrites.
Depuis quelques minutes, je parcourais
de long en large le vestibule des locaux de l'Union
Chrétienne de Jeunes Gens, lorsqu'il apparut
sur le seuil de la porte. J'allai au devant de lui
et me présentai. Il m'examina, puis il revit
sans doute le petit temple de Tavannes dans sa
mémoire ; il me chercha dans son
auditoire et, après un moment de silence, il
me dit : « Votre physionomie ne
m'est pas inconnue », et la conversation
s'engagea. Mon coeur, avide de s'épancher et
de faire connaître la joie nouvelle qui
l'animait, ne se contenait plus.
Je retraçai toute ma vie, en un
instant : mes joies enfantines, mes
déceptions au séminaire, mes luttes
à la sortie de la Maîtrise de Paris,
les difficultés qui suivirent, mes angoisses
et mes souffrances en perdant la foi, mes heures
d'espoir, ma vie nouvelle. Toute mon existence,
ramassée comme une poignée de cendres
au milieu desquelles brûlait encore un
charbon allumé, je la plaçai devant
ses yeux. Son regard droit et clair pouvait suivre
la lente ascension de mon âme vers la
lumière. Ses questions et l'entretien plein
de tact et de délicatesse qui suivirent me
permirent de franchir aisément les distances
qui pouvaient encore nous séparer.
Ses traits énergiques, empreints
de bonté, me donnaient pleine confiance dans
l'homme qui me parlait. Des figures de
prêtres aux yeux mi-clos derrière les
fenêtres à croisillon d'un
confessionnal traversèrent ma pensée,
et je pus mesurer la distance qui séparait
les deux religions.
Sur sa proposition, nous allâmes
au bord du lac. La bise soufflait et
violaçait les vagues. À l'horizon,
les montagnes fortement teintées se
découpaient durement sur le ciel. Dans le
grand temple de la nature, en contact avec ses
beautés, je me livrais plus ouvertement et
je parlais maintenant de toutes mes aspirations, de
l'irrésistible besoin qui me poussait
à faire connaître, à ceux qui
vivaient sans espoir et sans bonheur, la grande
espérance de l'Évangile. Je parlais
de l'ardente flamme qui brûlait au-dedans de moi et
me communiquait le
désir d'orienter et d'affranchir à
mon tour d'anciens séminaristes ou d'anciens
prêtres perdus dans la vie comme des
épaves. Je lui dépeignais
quelques-unes de ces vies amoindries,
rencontrées à ma sortie du
séminaire. Je lui dis toute la tristesse de
ces pauvres existences de jeunes hommes, sans feu
ni lieu, à la recherche de la
vérité, et l'apostolat spécial
qui pouvait s'imposer à moi, après
avoir passé par le même
chemin.
Je revoyais tous ceux qui, malgré
leur attachement à Rome, se
libéraient de son joug, froissés dans
leur piété, et pratiquaient leurs
devoirs religieux à leur
manière.
Je ne me lassais pas de dire à
celui qui m'avait ouvert les yeux à des
réalités vivantes, et qui
m'écoutait le front pensif, en marchant
à mes côtés, toute la force de
l'appel que j'entendais et, comme la guerre avait
révélé des situations
intolérables, des misères profondes,
des tortures morales et des souffrances physiques,
plus que jamais, je me sentais prêt à
partir pour annoncer le message de
vérité et de paix. Annoncer
l'Évangile de l'amour en renversant dans les
âmes les barrières qui empêchent
leur envol vers Dieu, la source du bien et la
réalisation du bonheur, voilà ce que
je demandais à mon confident d'aujourd'hui.
En le quittant ce soir-là, sur le quai de la
gare, il me promit son appui et je retournai
heureux chez moi.
Deux jours après, je revenais au
local de l'Union Chrétienne de Jeunes Gens
pour me procurer une Bible.
J'allais enfin connaître « Le
Livre ». N'avait-il pas été
pour moi le « Livre
défendu » ! Certes, la
défense, quoique rigoureuse, n'avait pas
été rappelée dans les cours de
catéchisme au séminaire. On en avait
parlé assez vaguement entre
élèves. Je me souvenais d'avoir
entendu dire que sa lecture n'était permise
qu'après le sous-diaconat et en latin.
Est-ce par mesure de prudence que la lecture de la
Bible n'est permise qu'après le voeu
d'obéissance aux supérieurs ? En
tous cas, jamais je ne l'avais eue en
mains.
Voici, d'ailleurs, la règle du
Concile de Trente :
« Comme l'expérience a démontré que, si l'on permet sans distinction la lecture de la Bible en langue vulgaire, il en résultera, à cause de la témérité des hommes, plus d'inconvénients que d'avantages, il dépendra de l'évêque ou de l'inquisiteur, qui s'entendra là-dessus avec le curé ou avec le confesseur, de permettre cette lecture aux personnes qu'ils auront connu pouvoir le faire sans danger et en recueillir un accroissement de foi et de piété. Cette permission leur sera donnée par écrit. Quiconque osera, sans une permission de ce genre, lire ou posséder la Bible, ne pourra recevoir l'absolution de ses péchés qu'après avoir remis la Bible à son curé.
Les libraires qui, sans avoir la dite permission, auront vendu la Bible traduite en langue vulgaire, perdront le prix de leurs livres, qui sera consacré par les évêques à des usages pieux ; ils seront encore passibles d'autres peines, suivant la qualité du délitet d'après le jugement de l'évêque. Les prêtres eux-mêmes ne pourront la lire ni l'acheter qu'avec une permission de leurs supérieurs. »
À peine eus-je formulé mon
désir de lire la Bible que le
secrétaire de l'Union Chrétienne
s'excusa de me laisser seul un instant, et quelques
minutes après il revenait en me tendant un
paquet ficelé :
« Voilà, me dit-il, un petit
cadeau ; j'éprouve beaucoup de plaisir
à vous l'offrir, puissiez-vous trouver dans
ce livre la nourriture de votre âme et
conserver à travers la vie la même
sérénité dans l'épreuve
que dans la joie. »
C'était une Bible.
Ému, je lui exprimai toute ma
reconnaissance. Trouverai-je les termes qui
conviennent pour exprimer toute la joie que me
procura sa lecture ; les paroles de
Pascal : « Joie, joie, joie, pleurs
de joie » me paraissent seules capables
de traduire l'état de mon âme au cours
de cette première lecture. C'était un
émerveillement qui me saisissait de page en
page.
Je sentais Dieu bien près, tout
près de moi, comme je l'avais
désiré jadis en voulant approcher
l'ostensoir d'or Je voyais distinctement les signes
de son amour en faisant éclore des
personnalités telles que les
prophètes. Richesse des images, puissance
des idées, profondeur des états de
conscience, expression sublime, conception
géniale de la religion ! Et l'on
m'avait caché ces trésors !
Peut-être ne les aurais-je jamais
connus !
Lorsque, quelques jours après, je
lus les admirables lettres de
l'apôtre Paul aux premières
églises qu'il avait fondées, je
sentis qu'un jour nouveau se levait dans ma vie.
J'avais bien conscience que j'en étais
encore au petit jour, lorsque la nature est encore
engourdie sous la rosée, mais le ciel bleu
était déployé au-dessus de ma
tête, et la première lueur du soleil
illuminait un côté de ce ciel
où mon âme, jusque-là
ensommeillée, s'éveillait.
Beau jour de rencontre avec
l'idéal tant cherché ! Beau jour
que l'oubli ne saurait atteindre ! Beau jour
où tout un passé de mélancolie
et de tristesse se fondit pour faire place à
une radieuse clarté !
Et je ne vis pas seulement celle
première lueur de soleil qui se lève,
mais, en lisant et relisant ce livre, je vis le
globe étincelant répandre sur les
campagnes ses rayons lumineux.
Comme le Poverello d'Assise, dans ma
pauvreté, j'avais découvert la vraie
joie et je chantais un hymne à la
création et à la
créature.
Ces pages, j'aimais les relire ;
elles étincelaient dans mon âme comme
des étoiles dans la nuit ; je sentais
que mon coeur était fait pour elles, et
qu'elles étaient faites pour lui. Un parfum
d'aromate évoquait une
sépulture ; mais un autre parfum, celui
d'un vase d'albâtre brisé, me
rappelait une renaissance. Une scène faisait
jaillir des pleurs, mais une autre des paroles de
vie. Un baiser montrait une trahison, mais un
repentir me rappelait un pardon. Une croix
symbolisait un pauvre lit d'agonie, mais un tombeau qui
s'ouvre faisait toucher
le
triomphe éclatant de l'Esprit !
Ce fut là une première
école ; Dieu alimentait directement mon
âme à la source même de la
vie.
Bientôt je ne pus plus
résister au désir d'entreprendre des
études. Il me parut urgent d'étendre
mes connaissances pour apprécier davantage
encore les Écritures et pour me permettre de
faire connaître et aimer l'Évangile
à d'autres. Je pris la décision
d'aller trouver celui que j'entendais chaque
dimanche avec une émotion nouvelle, pour lui
demander conseil.
J'attendais depuis un moment dans son
salon, lorsqu'il vint au-devant de moi et me
conduisit dans son bureau ; je pris place en
face de lui. Il me demanda l'objet de ma visite.
Pendant une heure environ, je plaçai, devant
ses yeux les étapes incertaines et
douloureuses de mon existence pour en arriver aux
lueurs d'espoir et de certitude de la vie que je
menais présentement. Attentif, il ne
m'interrompit que pour me faire préciser
certains faits ou certaines pensées. J'en
vins enfin impatiemment à dire le but exact
de ma visite, et, mû par une force
intérieure qui me permit de parler sans
contrainte, je développais
passionnément la beauté du
ministère entrevu. Oui, je percevais un
appel qui se faisait entendre sans
relâche : « Ta vie, tu
l'emploieras à secourir les
détresses, à essuyer les larmes,
à apaiser les haines. Ta vie est à
moi, car je l'ai disputée à l'emprise des
ténèbres, de l'erreur et du mensonge.
Ta vie, c'est mon Christ qui l'a sauvée. Tu
ne seras plus prêtre désormais, mais
le témoin de son amour et de sa tendresse.
Ta vie, elle devra servir à redresser
d'autres vies, elle sera une semence dans le champ
du monde ; puisse-t-elle faire éclore
d'autres âmes à la
vérité. Ta vie sera joyeuse si tu me
la consacres, elle sera dénuée de
tout sens si tu la gardes comme un avare. Ta vie
sera le ministère de
l'amour. »
Les coudes appuyés au bras de son
fauteuil, les mains jointes sous le menton, le
pasteur m'écoutait. Son visage paternel et
souriant se détendit quand je me tus, et il
me parla de la grande bonté de Dieu qui
encourage ses enfants dans le bien. Il me fit
entrevoir la possibilité d'entreprendre des
études et me promit de présenter ma
demande au président de la Faculté
Libre de Théologie dans laquelle il
professait. Avant de nous séparer, il pria.
J'emportai de cet accueil le meilleur
souvenir.
Je rendis visite au président de
la Faculté et je lui fis la même
demande ; elle fut bien accueillie. Un autre
professeur m'entendit à son tour et m'assura
son appui.
Enfin, je reçus une lettre me
fixant un rendez-vous au bureau de la
Faculté ; ma demande avait
été agréée. Je devais
terminer l'année scolaire dans une
école préparatoire et passer en
Faculté l'année suivante.
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