Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XII

SIGNAL DE LA ROUTE

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Selon la coutume, de donner à chacun de ses protégés une devise, mon directeur de conscience au Séminaire de Paris m'avait donné celle-ci : « Age quod agis » (« Fais bien ce que tu fais »), et il avait ajouté : « Que cette devise puisse vous soutenir dans toutes les circonstances de votre vie et vous permettre d'accomplir pleinement votre devoir au service de la vérité. »

Ce directeur de conscience, loin de se douter du bouleversement qui s'opérerait un jour dans ma vie, et convaincu que l'Eglise catholique compterait un prêtre de plus dans son sein, avait voulu dire : « Devenez un prêtre attaché à votre Église, obéissez à vos supérieurs et soyez animé d'un zèle ardent et passionné pour la vérité que vous servirez pleinement dans le catholicisme ; car elle est là, et non pas ailleurs. »

Je venais, au contraire, de découvrir qu'elle était ailleurs, et comme la doctrine romaine enseigne que « la vérité ne peut pas admettre de transaction avec l'erreur », je résolus de reprendre mon ancienne devise : « Age quod agis », mais au profit de la cause nouvelle.
Tel fut l'ordre clair et précis que le Christ, mon véritable directeur de conscience, me dicta après ma conversion.

Ma première résolution fut de me mettre en rapport avec le prédicateur protestant. Je me disposais à lui écrire, lorsque je dus retourner à Paris. J'eus l'impression, en arrivant dans la ville, qu'elle n'était plus la même. Mon expérience nouvelle me la faisait apparaître sous un autre jour. Je concevais les choses tout différemment ; certes, je ne fermais pas les yeux devant l'immoralité, le vice, les querelles, les haines, les injustices, mais la puissance du mal ne me semblait plus invincible.

Une pensée nouvelle me poursuivait sans relâche faire triompher la cause sublime du Christ ; faire connaître la vérité qui s'était révélée à moi. Elle m'enhardissait, elle donnait à ma vie des ailes, et je rêvais de conquêtes pacifiques des âmes, pour faire régner la justice, le droit et la liberté.

Quelques jours après mon arrivée à Paris, je me mis en demeure d'écrire la lettre que des circonstances imprévues m'avaient empêché de rédiger plus tôt. Placé en face du feuillet blanc, je me rendis compte de l'impossibilité dans laquelle je me trouvais d'exprimer ce que je ressentais. Mes aspirations débordaient le cadre étroit qu'assignent les mots à la pensée. Aucune phrase ne me satisfaisait pleinement, et c'est bien maladroitement que je rédigeai quelques pages.
Je décrivais surtout la beauté de l'idéal que j'avais rencontré sur ma route, après avoir passé par le séminaire, tâtonnant à travers la vie, et je terminais en envisageant la possibilité de poursuivre ma vocation en prêchant l'Évangile au sein du protestantisme.

Une lettre de réponse, pleine d'affection et de sympathie, vint me procurer une grande joie. Ce n'était pas un directeur de conscience qui parlait à un de ses protégés, mais un guide moral, délicat et sûr. Je ne sentais pas une main-mise sur ma personne pour la diriger et la conduire, mais un doigt qui indiquait la route à suivre. Ce n'était plus la main qui prend, mais le doigt qui montre, et il me laissait apercevoir la vérité uniquement dans la personne du Christ.

Ces paroles, empreintes à la fois de gravité et d'affection, gagnaient les fibres les plus sensibles de mon coeur et l'élevaient au-dessus des brumes du passé. Il n'y avait pas de comparaison possible entre, ce langage et celui de mes professeurs d'autrefois. J'étais infiniment heureux de m'engager dans le chemin indiqué. Comment aurait-il pu me rebuter ? Le Christ était là, présent. À l'horizon, le ciel était pur et le chemin qu'il me montrait était libre d'obstacles. J'avais la certitude d'aboutir au port. Le peintre Burnand a évoqué d'une manière saisissante ce que je ressentais à cette heure, lorsque Jésus, accompagné de ses disciples, entoure de son bras l'épaule de l'apôtre Jean et lui montre l'idéal qu'il doit atteindre. J'étais entraîné et non contraint. C'était plutôt la voix d'un frère aîné qui m'invitait, que l'autorité d'un père qui commandait. Dans cette lettre, il était aussi question de la possibilité d'entreprendre des études. J'avais formulé une demande précise dans la mienne : « Pourrais-je, un jour, prêcher l'Évangile, comme le Christ m'y invitait. » J'aurais voulu partir de suite ; attendre me paraissait inutile, et je pensais que l'enthousiasme qui m'animait devait suffire pour convaincre et éveiller la foi dans les âmes ; mais cette lettre me faisait savoir qu'il était nécessaire d'entreprendre plusieurs années d'études.

J'eus de la peine à m'en convaincre, mais je compris la témérité d'accomplir un ministère sans une base solide, sans un édifice intellectuel et spirituel pour répondre aux attaques du siècle et affirmer avec puissance les vérités évangéliques, en les étayant de toutes les connaissances nécessaires. Je me résignai. J'avais hâte cependant d'approfondir les causes et les grands principes de la Réforme protestante. J'avais besoin de compulser des historiens impartiaux, et je me rendis chez le pasteur de mon quartier, qui me mit entre les mains la Vie de Luther, par Kuhn, et l'ouvrage de réfutation du Doyen Doumergue : Les calomnies contre Calvin. Je démasquais enfin la fragilité du procédé historique employé dans les manuels catholiques. Cette première lecture me rassura pleinement et, pour un catholique imbu de toutes les calomnies portées contre le protestantisme, c'étaient les meilleurs pas que je pouvais faire dans la voie de la vérité. J'eus même l'occasion de mesurer la droiture et la sincérité des historiens protestants, reconnaissant les erreurs et les fautes de leurs réformateurs, à l'encontre des historiens catholiques, qui passent sous silence celles des papes.

Plusieurs lettres de M. le pasteur B... orientèrent définitivement ma pensée et entretinrent mon enthousiasme. Un mot précis, une idée claire, me faisaient découvrir mon ignorance des questions religieuses. Jamais le catholicisme n'avait su satisfaire à ce point ma soif ardente de lumière. Lorsque jadis j'acceptais un dogme, il m'avait toujours fallu amputer ma raison. Je ne sortais jamais indemne, mais amoindri dans ma personnalité, lorsque j'obéissais à toutes les prescriptions dogmatiques.
Aujourd'hui, on me demandait de penser et de croire, c'était beau et c'était droit. Je goûtais ce bonheur et je comprenais mieux les voies de Dieu.

Malheureusement, mon emploi ne me laissait aucun loisir, et les quelques livres que je lisais rapidement ne suffisaient plus à mon besoin de connaître et d'étudier. Je ne quittais pas de vue la possibilité d'entreprendre des études et je demandais à Dieu de m'en fournir l'occasion. Celle-ci ne se fit pas attendre. En effet, six mois après mon retour à Paris, je me retrouvais en Suisse. Des circonstances particulières avaient amené ce changement dans mon existence, et ce fût à Genève que je vins habiter. La perspective de pouvoir faire des études me parut moins lointaine, puisque j'étais dans une ville universitaire. Une seule préoccupation remplit ma pensée : le ministère.





XIII

ENTRAÎNÉ VERS LE BUT


Genève, son lac et ses belles rives, ses quais ombragés ; Genève, cité de Calvin et berceau de la Réforme, parlait à mon coeur. Dès les premiers soirs, perdu dans les campagnes environnantes, lorsque j'apercevais la ville au bord du lac miroitant et les hautes montagnes sous les feux du couchant, je sentais la présence de Dieu dans ma vie, comme une force pour l'alimenter, la soutenir et lui donner confiance. J'entendais les appels désespérés des peuples en guerre, et j'avais hâte de partir pour panser les blessures morales des hommes. Je n'avais pas pris part au conflit par suite de ma nationalité.

Chaque dimanche, j'attendais avec impatience l'heure du culte pour aller écouter un des prédicateurs de la ville, et je fus bientôt un habitué du Victoria Hall, vaste salle qui contenait mille à mille cinq cents auditeurs. Ces cultes, institués dans un but d'évangélisation, attirent bien des personnes qui n'entreraient pas dans un temple.

L'expérience que je fis me démontra que la vie religieuse et l'adoration n'étaient pas liées à un lieu de culte, mais que la véritable religion est bien celle « en Esprit et en vérité », selon le Christ.
Je trouvais Dieu présent dans mon coeur pendant cette heure et la religion prit pour moi un tout autre sens que jadis.
Premières impressions reçues, qui durent encore. Je n'offrais plus à Dieu le parfum de l'encens, comme j'avais eu l'occasion de le faire comme enfant de choeur, mais je lui offrais toutes mes pensées, toutes mes actions, toutes mes prières.

La lente découverte de toutes les richesses de l'Évangile mettait mon coeur en émoi. Ah ! cet Évangile, si simple, si vrai et si beau ; je l'avais ignoré pendant des années. Je ne connaissais rien ou presque rien de la vie de Jésus. L'Eglise catholique m'avait habitué à un Christ de plâtre, d'ivoire ou de cuivre, à un petit enfant habillé de brocart sur les genoux d'une vierge à manteau d'or. Mais le Christ aux mains rêches d'ouvrier, le Christ qui fait glisser la varlope, le Christ frère aîné d'une famille de sept enfants, attendant la fin de leur éducation pour commencer son ministère : ce Christ-là, je l'avais ignoré.

J'avais ignoré aussi toutes les paraboles aux riantes couleurs ; tous les appels à la justice sociale et à l'amour du prochain. Les quelques paroles et portions de l'Évangile laissées entre les mains des fidèles avaient été vraiment insuffisantes pour me faire connaître, d'une connaissance intime et profonde, cette personnalité géniale et puissante qu'est le Christ.
Je le suivais pas à pas ; je découvrais des trésors et des richesses dans sa vie. Elle alimentait la mienne ; je croyais entendre sa voix prophétique, sa puissance d'indignation devant les injustices. Plus que jamais, je rêvais de le suivre et de marcher sur ses traces : c'était bien le Maître qu'il fallait à ma vie ; le Maître que je pouvais présenter aux foules.

Quelques mois s'écoulèrent pendant lesquels je travaillais au service d'une Compagnie d'Assurances. Entre temps, je correspondais avec le pasteur B.... lui exprimant souvent le désir de le rencontrer pour m'entretenir avec lui. Ce jour arriva enfin. Une lettre m'annonçant son passage à Genève me donnait un rendez-vous. J'allais pouvoir lui parler pour la première fois, après des mois de relations écrites.

Depuis quelques minutes, je parcourais de long en large le vestibule des locaux de l'Union Chrétienne de Jeunes Gens, lorsqu'il apparut sur le seuil de la porte. J'allai au devant de lui et me présentai. Il m'examina, puis il revit sans doute le petit temple de Tavannes dans sa mémoire ; il me chercha dans son auditoire et, après un moment de silence, il me dit : « Votre physionomie ne m'est pas inconnue », et la conversation s'engagea. Mon coeur, avide de s'épancher et de faire connaître la joie nouvelle qui l'animait, ne se contenait plus. Je retraçai toute ma vie, en un instant : mes joies enfantines, mes déceptions au séminaire, mes luttes à la sortie de la Maîtrise de Paris, les difficultés qui suivirent, mes angoisses et mes souffrances en perdant la foi, mes heures d'espoir, ma vie nouvelle. Toute mon existence, ramassée comme une poignée de cendres au milieu desquelles brûlait encore un charbon allumé, je la plaçai devant ses yeux. Son regard droit et clair pouvait suivre la lente ascension de mon âme vers la lumière. Ses questions et l'entretien plein de tact et de délicatesse qui suivirent me permirent de franchir aisément les distances qui pouvaient encore nous séparer.

Ses traits énergiques, empreints de bonté, me donnaient pleine confiance dans l'homme qui me parlait. Des figures de prêtres aux yeux mi-clos derrière les fenêtres à croisillon d'un confessionnal traversèrent ma pensée, et je pus mesurer la distance qui séparait les deux religions.

Sur sa proposition, nous allâmes au bord du lac. La bise soufflait et violaçait les vagues. À l'horizon, les montagnes fortement teintées se découpaient durement sur le ciel. Dans le grand temple de la nature, en contact avec ses beautés, je me livrais plus ouvertement et je parlais maintenant de toutes mes aspirations, de l'irrésistible besoin qui me poussait à faire connaître, à ceux qui vivaient sans espoir et sans bonheur, la grande espérance de l'Évangile. Je parlais de l'ardente flamme qui brûlait au-dedans de moi et me communiquait le désir d'orienter et d'affranchir à mon tour d'anciens séminaristes ou d'anciens prêtres perdus dans la vie comme des épaves. Je lui dépeignais quelques-unes de ces vies amoindries, rencontrées à ma sortie du séminaire. Je lui dis toute la tristesse de ces pauvres existences de jeunes hommes, sans feu ni lieu, à la recherche de la vérité, et l'apostolat spécial qui pouvait s'imposer à moi, après avoir passé par le même chemin.
Je revoyais tous ceux qui, malgré leur attachement à Rome, se libéraient de son joug, froissés dans leur piété, et pratiquaient leurs devoirs religieux à leur manière.

Je ne me lassais pas de dire à celui qui m'avait ouvert les yeux à des réalités vivantes, et qui m'écoutait le front pensif, en marchant à mes côtés, toute la force de l'appel que j'entendais et, comme la guerre avait révélé des situations intolérables, des misères profondes, des tortures morales et des souffrances physiques, plus que jamais, je me sentais prêt à partir pour annoncer le message de vérité et de paix. Annoncer l'Évangile de l'amour en renversant dans les âmes les barrières qui empêchent leur envol vers Dieu, la source du bien et la réalisation du bonheur, voilà ce que je demandais à mon confident d'aujourd'hui. En le quittant ce soir-là, sur le quai de la gare, il me promit son appui et je retournai heureux chez moi.

Deux jours après, je revenais au local de l'Union Chrétienne de Jeunes Gens pour me procurer une Bible. J'allais enfin connaître « Le Livre ». N'avait-il pas été pour moi le « Livre défendu » ! Certes, la défense, quoique rigoureuse, n'avait pas été rappelée dans les cours de catéchisme au séminaire. On en avait parlé assez vaguement entre élèves. Je me souvenais d'avoir entendu dire que sa lecture n'était permise qu'après le sous-diaconat et en latin. Est-ce par mesure de prudence que la lecture de la Bible n'est permise qu'après le voeu d'obéissance aux supérieurs ? En tous cas, jamais je ne l'avais eue en mains.
Voici, d'ailleurs, la règle du Concile de Trente :

« Comme l'expérience a démontré que, si l'on permet sans distinction la lecture de la Bible en langue vulgaire, il en résultera, à cause de la témérité des hommes, plus d'inconvénients que d'avantages, il dépendra de l'évêque ou de l'inquisiteur, qui s'entendra là-dessus avec le curé ou avec le confesseur, de permettre cette lecture aux personnes qu'ils auront connu pouvoir le faire sans danger et en recueillir un accroissement de foi et de piété. Cette permission leur sera donnée par écrit. Quiconque osera, sans une permission de ce genre, lire ou posséder la Bible, ne pourra recevoir l'absolution de ses péchés qu'après avoir remis la Bible à son curé.

Les libraires qui, sans avoir la dite permission, auront vendu la Bible traduite en langue vulgaire, perdront le prix de leurs livres, qui sera consacré par les évêques à des usages pieux ; ils seront encore passibles d'autres peines, suivant la qualité du délit

et d'après le jugement de l'évêque. Les prêtres eux-mêmes ne pourront la lire ni l'acheter qu'avec une permission de leurs supérieurs. »

À peine eus-je formulé mon désir de lire la Bible que le secrétaire de l'Union Chrétienne s'excusa de me laisser seul un instant, et quelques minutes après il revenait en me tendant un paquet ficelé : « Voilà, me dit-il, un petit cadeau ; j'éprouve beaucoup de plaisir à vous l'offrir, puissiez-vous trouver dans ce livre la nourriture de votre âme et conserver à travers la vie la même sérénité dans l'épreuve que dans la joie. »
C'était une Bible.

Ému, je lui exprimai toute ma reconnaissance. Trouverai-je les termes qui conviennent pour exprimer toute la joie que me procura sa lecture ; les paroles de Pascal : « Joie, joie, joie, pleurs de joie » me paraissent seules capables de traduire l'état de mon âme au cours de cette première lecture. C'était un émerveillement qui me saisissait de page en page.

Je sentais Dieu bien près, tout près de moi, comme je l'avais désiré jadis en voulant approcher l'ostensoir d'or Je voyais distinctement les signes de son amour en faisant éclore des personnalités telles que les prophètes. Richesse des images, puissance des idées, profondeur des états de conscience, expression sublime, conception géniale de la religion ! Et l'on m'avait caché ces trésors ! Peut-être ne les aurais-je jamais connus !

Lorsque, quelques jours après, je lus les admirables lettres de l'apôtre Paul aux premières églises qu'il avait fondées, je sentis qu'un jour nouveau se levait dans ma vie. J'avais bien conscience que j'en étais encore au petit jour, lorsque la nature est encore engourdie sous la rosée, mais le ciel bleu était déployé au-dessus de ma tête, et la première lueur du soleil illuminait un côté de ce ciel où mon âme, jusque-là ensommeillée, s'éveillait.

Beau jour de rencontre avec l'idéal tant cherché ! Beau jour que l'oubli ne saurait atteindre ! Beau jour où tout un passé de mélancolie et de tristesse se fondit pour faire place à une radieuse clarté !
Et je ne vis pas seulement celle première lueur de soleil qui se lève, mais, en lisant et relisant ce livre, je vis le globe étincelant répandre sur les campagnes ses rayons lumineux.
Comme le Poverello d'Assise, dans ma pauvreté, j'avais découvert la vraie joie et je chantais un hymne à la création et à la créature.

Ces pages, j'aimais les relire ; elles étincelaient dans mon âme comme des étoiles dans la nuit ; je sentais que mon coeur était fait pour elles, et qu'elles étaient faites pour lui. Un parfum d'aromate évoquait une sépulture ; mais un autre parfum, celui d'un vase d'albâtre brisé, me rappelait une renaissance. Une scène faisait jaillir des pleurs, mais une autre des paroles de vie. Un baiser montrait une trahison, mais un repentir me rappelait un pardon. Une croix symbolisait un pauvre lit d'agonie, mais un tombeau qui s'ouvre faisait toucher le triomphe éclatant de l'Esprit !
Ce fut là une première école ; Dieu alimentait directement mon âme à la source même de la vie.

Bientôt je ne pus plus résister au désir d'entreprendre des études. Il me parut urgent d'étendre mes connaissances pour apprécier davantage encore les Écritures et pour me permettre de faire connaître et aimer l'Évangile à d'autres. Je pris la décision d'aller trouver celui que j'entendais chaque dimanche avec une émotion nouvelle, pour lui demander conseil.

J'attendais depuis un moment dans son salon, lorsqu'il vint au-devant de moi et me conduisit dans son bureau ; je pris place en face de lui. Il me demanda l'objet de ma visite. Pendant une heure environ, je plaçai, devant ses yeux les étapes incertaines et douloureuses de mon existence pour en arriver aux lueurs d'espoir et de certitude de la vie que je menais présentement. Attentif, il ne m'interrompit que pour me faire préciser certains faits ou certaines pensées. J'en vins enfin impatiemment à dire le but exact de ma visite, et, mû par une force intérieure qui me permit de parler sans contrainte, je développais passionnément la beauté du ministère entrevu. Oui, je percevais un appel qui se faisait entendre sans relâche : « Ta vie, tu l'emploieras à secourir les détresses, à essuyer les larmes, à apaiser les haines. Ta vie est à moi, car je l'ai disputée à l'emprise des ténèbres, de l'erreur et du mensonge. Ta vie, c'est mon Christ qui l'a sauvée. Tu ne seras plus prêtre désormais, mais le témoin de son amour et de sa tendresse. Ta vie, elle devra servir à redresser d'autres vies, elle sera une semence dans le champ du monde ; puisse-t-elle faire éclore d'autres âmes à la vérité. Ta vie sera joyeuse si tu me la consacres, elle sera dénuée de tout sens si tu la gardes comme un avare. Ta vie sera le ministère de l'amour. »

Les coudes appuyés au bras de son fauteuil, les mains jointes sous le menton, le pasteur m'écoutait. Son visage paternel et souriant se détendit quand je me tus, et il me parla de la grande bonté de Dieu qui encourage ses enfants dans le bien. Il me fit entrevoir la possibilité d'entreprendre des études et me promit de présenter ma demande au président de la Faculté Libre de Théologie dans laquelle il professait. Avant de nous séparer, il pria. J'emportai de cet accueil le meilleur souvenir.
Je rendis visite au président de la Faculté et je lui fis la même demande ; elle fut bien accueillie. Un autre professeur m'entendit à son tour et m'assura son appui.

Enfin, je reçus une lettre me fixant un rendez-vous au bureau de la Faculté ; ma demande avait été agréée. Je devais terminer l'année scolaire dans une école préparatoire et passer en Faculté l'année suivante.

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