Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

II

PREMIÈRE COMMUNION

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Mon plus grand désir, après avoir été enfant de choeur dans une occasion exceptionnelle, fut de le devenir régulièrement.
Ma mère, en apprenant mes intentions, fut remplie de joie, et elle se rendit avec moi à la sacristie afin d'obtenir mon admission.

Après bien des recommandations et des instructions, le vicaire préposé aux cérémonies m'inscrivit sur la liste des servants pour la semaine suivante et me fit servir sa propre messe pour en apprendre l'ordonnance. Je fus très vite initié. M'approcher des autels devint un plaisir à nul autre comparable.
L'église, au parfum spécial et aux couleurs multiples, m'attirait. Je m'y rendais comme à une fête, heureux de retrouver mon Dieu et de rester quelques instants en sa présence.

Pas une seule fois l'idée ne me vint de m'absenter le dimanche, à la grand'messe et aux vêpres, comme la plupart des enfants de choeur. Souvent même, dans la semaine, je sollicitais encore l'autorisation d'assister à des mariages ou à des enterrements en qualité de servant, usant ainsi d'un droit que l'École congréganiste des Frères de Saint-Vincent de Paul octroyait à ses élèves enfants de choeur.

Ayant atteint ma dixième année, je dus suivre le cours de catéchisme que prescrit l'Eglise à partir de cet âge.
Le directeur de ce cours, M. l'abbé P.... devait occuper deux ans plus tard une grande place dans ma vie, mais au premier abord il n'éveilla guère ma sympathie.

C'était un Espagnol, petit et mince, le nez en bec d'aigle. Sa physionomie, à l'ordinaire fermée, ne s'animait que lorsqu'il dirigeait le patronage. Alors vif, plein d'entrain, grimpé sur des échasses, ou conduisant une course de traîneaux, il savait donner aux jeux une allure joyeuse qui nous ravissait. Et cela sans se départir jamais de son autorité, tellement sa soutane et sa grande fermeté nous en imposaient.

Sur sa demande, je me décidai à aller au patronage régulièrement. J'aimais à m'entretenir avec lui, bien qu'il parut difficile de pénétrer dans son intimité ; aussi, lorsqu'il nous plaça dans la nécessité de choisir un confesseur, je n'en voulus pas d'autre que lui. Sa présence même devint pour moi de plus en plus agréable ; son regard me parut plus doux à partir du jour où je me confessai à lui ; son sourire se fit si accueillant, il y eut tant de sollicitations secrètes dans sa voix, que je finis par l'affectionner beaucoup.

Un jour, je m'enhardis et me décidai à lui parler.
C'était un jeudi, après le cours de catéchisme. Tous les enfants avaient quitté la chapelle. Je m'attardai près de la porte pour pouvoir le reconduire, et lorsque nous eûmes fait quelques pas ensemble, tout d'une traite, comme quelqu'un qu'une longue marche aurait essoufflé, je lui confiai mes désirs, j'exposai devant lui mes rêves et mes aspirations : Je voulais être prêtre et employer ma vie au service de Dieu.

La conviction avec laquelle je plaidais ma cause fit passer dans son regard un éclair de joie. Il attendait sans doute cet aveu depuis longtemps, mais il voulut en tempérer l'enthousiasme par crainte d'un empêchement, et il me parla de la sorte :
« Oui, mon enfant, j'ai écouté avec plaisir ce que vous venez de me dire, mais je ne connais pas vos circonstances particulières, je ne sais si votre famille sera consentante et si elle approuvera votre décision ; je ne sais pas non plus si vous serez apte à entreprendre des études et à les poursuivre, quoique vous le paraissiez ; il y a peut-être des raisons majeures qui vous empêcheront de réaliser ce projet. Mon devoir me prescrit donc de modérer votre élan, afin qu'une décision contraire ne vous heurte pas. »

Je quittai le prêtre en lui demandant instamment de préparer une entrevue avec mes parents.
Cette entrevue eut lieu à quelques jours de là, et il fut convenu qu'après ma première communion et les vacances, j'entrerais au Séminaire de Paris. À partir de ce jour, mon confesseur devint mon protecteur, et il accomplit toutes les formalités nécessaires pour mon admission.

La première communion approchait et devait, plus que jamais, me raffermir dans mes résolutions. Elle devint pour moi, à la suite d'une longue préparation, la formule de consécration au service de Dieu.

Après le recul des années, il me sera sans doute bien difficile de traduire ici la joie que j'en acquis. Je chercherai surtout à être sincère, sans me départir de la naïveté qui convient à cet âge.
J'essayerai de décrire avec exactitude toutes les émotions que j'en éprouvai. Si je n'avais fait plus tard l'expérience d'émotions plus fortes et plus grandes encore, je pourrais dire que ce fut le plus beau jour de ma vie. En tout cas, jusqu'à ce moment, jamais je n'avais éprouvé autant de joie, d'intense bonheur, un besoin aussi ardent de communion avec Dieu, et cet acte donna pleine satisfaction à mon âme d'enfant.

La dernière semaine tant attendue était maintenant achevée ; la dernière journée même s'écoulait, et la confession générale allait effacer tous mes péchés, me permettant de m'approcher de Dieu, l'âme entièrement pure.
À la suite de ce dernier soir de retraite, prêché par un prédicateur étranger, qui m'avait tenu depuis cinq jours en éveil, je me sentais à la fois dans des transes et dans de douces émotions. Pour cette dernière confession, j'avais noté tous mes péchés sur une feuille de papier, afin de n'en omettre aucun ; et c'est en tremblant que je les lus à mon confesseur.
Il me sembla vraiment qu'une main mystérieuse en effaça la trace, lorsqu'il prononça la formule d'absolution, et qu'une vigueur et une vie nouvelle me rendirent plus léger et joyeux.
Nous nous étions séparés ce soir-là, en chantant ce beau cantique :

« Trop longue nuit durera toujours.
« Rends-moi, Jésus, ma joie et mes amours. »

La nuit venue, c'est en rêvant au doux Jésus que je m'étais endormi. La crainte d'encourir les peines de l'Enfer, si je faisais une première communion dans de mauvaises dispositions, m'avait empêché de parler pendant toute la soirée.




Le lendemain matin, les premiers communiants étaient réunis dans la cour du patronage, notre lieu de rendez-vous. Je me joignis à eux, on vint nous donner des instructions pour observer l'ordre le plus rigoureux.

Tous revêtus du brassard et habillés de neuf, nous nous promenions par groupes, tenant gauchement nos cierges.
Les abbés, l'air affairé, traversaient la cour en surplis fraîchement plissés et nous accueillaient avec quelques paroles de circonstance.
J'étais heureux et j'étais anxieux. Depuis le matin, la joie envahissait mon âme, mais une peur affreuse me serrait le coeur, lorsque je saisissais la grandeur de l'acte que j'allais accomplir.
Oui, c'était Dieu lui-même, le Maître et le Créateur de l'Univers, que j'allais recevoir en moi. À cette pensée, mon coeur tressautait et lorsque le plus petit doute m'effleurait, j'étais jeté dans une profonde angoisse. Était-ce un péché ?
Si je ne pensais plus à rien, la peur de fixer mon attention sur des choses profanes, et de m'écarter de Dieu, m'effrayait plus encore.

Cependant, une émotion grandissante me gagna à l'approche du moment tant désiré, et ces pensées diverses s'évanouirent. Oui, c'était par amour que Dieu avait pris cette humble attitude envers les hommes ; Il voulait se donner en nourriture à leurs âmes pour les soutenir, les sauver, les garder.

La cloche au son aigu sonna le rassemblement. Les rangs des communiants pénétrèrent dans l'église. L'autel était chargé de fleurs les cierges élevaient leurs flammes de tous côtés le centre de l'église n'était plus qu'un joyau ; le rouge écarlate des draperies tranchait sur le blanc pur des linges d'autel ; les reliquaires, entourés de pierreries, scintillaient de toutes parts.

À peine les garçons furent-ils rangés d'un côté et les filles de l'autre, que la sonnette du choeur s'agita et les grandes orgues vibrèrent dans l'air embaumé, annonçant l'entrée solennelle.
Le suisse avait revêtu ses plus beaux atours ; les enfants de choeur, leurs plus belles soutanes et leurs plus beaux surplis ; les officiants, les dalmatiques et la chappe de fils d'or.
Un coup de claquoir fit lever toute l'assemblée et le prêtre entonna l' « Aspergesme ».

Je ne prenais plus garde à la magnificence des cérémonies. Trop de sentiments divers et d'émotions violentes m'assiégeaient maintenant pour me permettre de rester attentif à tout ce qui se passait autour de moi. Je ne pouvais pas même m'associer aux prières préparatoires à la communion, et je m'élevais de plus en plus au-dessus de la vie réelle. Ma grande préoccupation était de me mettre, dès maintenant, en contact avec ce Jésus, à la fois présent et invisible, matériel et immatériel, que l'on m'avait appris à connaître, afin de mieux préparer sa venue dans mon coeur. Mon anxiété grandissait, car je croyais ne pas lui avoir préparé une place suffisamment belle et pure ; elle ne s'apaisait que lorsque mon regard rencontrait celui du grand Crucifié pendu à la voûte, de l'église. Alors, une autre pensée me dominait : me détacher de ce monde de misère, comme on nous l'avait enseigné, et ne plus vivre que par Jésus et pour Lui, en Lui donnant tous les instants de ma vie.

C'est partagé entre ces sentiments que je m'approchai de la table de communion. Lorsque je revins à ma place, débordant de joie, et que l'hostie fondit dans ma bouche, je me mis à pleurer doucement et en silence, promettant à Dieu de Lui appartenir et de me consacrer à Lui sans retour.




« Eh bien ! mon enfant, êtes-vous heureux ? » me dit mon protecteur, le lendemain soir, à la sortie de l'église où nous venions de recevoir le sacrement de Confirmation. Comme ces deux journées pleines d'émotions me faisaient plus que jamais désirer le moment où je pourrais entrer au Séminaire, je lui réitérai mon ardent désir de devenir prêtre. « Réfléchissez bien, me répondit-il, pendant qu'il en est encore temps ; j'ai remarqué votre piété, votre goût pour les choses d'En-Haut ; j'ai suivi vos progrès dans la voie de l'Eglise, mais vous êtes encore jeune et vous pouvez changer ; vous voyez ce qui est beau dans le ministère, mais il y a des luttes à soutenir, des combats à livrer, et le ministère du prêtre n'est pas seulement fait de joies. »

Cependant, après m'avoir adressé ces avertissements, il continua :
« Bien entendu, j'envisage qu'il serait téméraire de vous faire attendre plus longuement et de mettre votre patience à l'épreuve. Le diocèse de Paris manque de prêtres et Saint-Nicolas demande des élèves ; vous pourrez donc entrer au mois d'octobre, j'en ai averti le Supérieur. Vous recevrez dans cette maison de Dieu une instruction soignée, et je suivrai avec plaisir vos progrès. Vous avancerez dans l'obéissance à la loi de Dieu et dans Sa crainte ; vous vous élèverez progressivement au-dessus du monde trompeur, et votre vie, employée au service de Dieu, sera une bénédiction pour votre famille et pour vous-même. »

Quelques jours après, j'étais en Alsace, où une lettre m'avait précédé, avertissant le curé du village de ma venue, et lui demandant de me donner quelques notions de latin.
« Rosa, la rose » m'entraînait trop facilement, je l'avoue, vers la campagne si belle, si ensoleillée de ce coin d'Alsace.

C'est à regret qu'il me fallut revenir à Paris, mais avec joie que je préparai ma malle pour mon entrée à Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
J'avais treize ans.





III

ENTRÉE AU SÉMINAIRE


Je me suis efforcé, dans les pages précédentes, de faire comprendre au lecteur tout ce que la religion catholique a d'attraits et de charmes pour une âme d'enfant.

Nombreux sont ceux qui garderont un souvenir enchanteur des moments qu'ils ont passés dans l'église jusqu'à leur Première Communion ; viennent les années passionnées de la jeunesse, et ils déserteront l'Eglise ; mais, plus tard, quand ils auront besoin d'un baume qui apaise les souffrances de leur existence enfiévrée, ils reviendront trouver le calme dans ce milieu poétique.

On comprendra avec quelle douce émotion j'attendais le jour bienheureux de mon entrée au Séminaire.
Ce jour arriva.




Les préparatifs de départ sont terminés. Ma malle est prête. L'heure approche.
De la croisée, je guette l'arrivée de la voiture. Paris est invisible. Un brouillard dense me cache le spectacle immense de la ville, que j'aimais à contempler de ma chambre, au sixième étage d'un grand immeuble. Rien à mes yeux..., rien que le manteau gris, sillonné, tout proche, de rues inanimées et ternes.

Mon âme est dans la joie, et, plutôt que de contempler le morne tableau, je préfère regarder une dernière fois ma petite chambre, si fraîche, si gaie... Une dernière fois ! Eh ! oui ; je ne la reverrai plus, ma chambrette... Ni ce cher foyer que je vais quitter pour de longs mois, pour des années. J'entre aujourd'hui dans une famille inconnue. Et la mienne, la seule vraie, je la laisserai derrière moi, je m'en éloignerai insensiblement, je ne lui appartiendrai plus. C'est à peine si, de temps en temps, il me sera permis de la revoir...

Un indéfinissable malaise s'empare de moi. Pourquoi n'ai-je plus le même enthousiasme ? Pourquoi cette séparation m'apparaît-elle si pénible aujourd'hui ? Ne serait-ce pas Satan qui besogne en moi à ce moment et veut me faire oublier le but du sacrifice que j'accomplis ? Soyons fort ! La joie ne doit pas désemplir mon âme en ce jour béni !

Trêve à ces réflexions ! La voiture est là. Adieu maison aimée, adieu ma chambrette, adieu mes parents bien aimés, adieu... Ma mère ne me quitte pas encore, heureusement ; elle m'accompagnera jusqu'au Séminaire.

Le trajet est long. Il faut traverser Paris d'une extrémité à l'autre. Et tandis que le Paris que j'ai tant aimé disparaît à son tour, je me mets à penser au jour où l'évêque m'imposera les mains, me permettant pour la première fois de dire la messe à l'église de mon quartier...

Nous voici devant la porte massive du Séminaire. Les murs sont hauts ; ma nouvelle demeure est triste et sévère. Un silence de monastère règne, que seul vient troubler le pas du concierge à notre arrivée.
Nous entrons. Un immense bâtiment aux multiples fenêtres rectangulaires frappe mes regards. Des statues de saints, sur les pelouses, engagent au respect. Les fleurs automnales qui parsèment les plates-bandes augmentent l'impression de mélancolie de ce lieu.
Nous traversons les allées solitaires ; nous pénétrons dans un long corridor où nos pas résonnent, et nous voici au parloir. Il est animé par les nouveaux arrivants, qui, aussitôt après, les formalités d'usage, se dirigent à la file indienne avec draps, oreillers et couvertures vers le dortoir.

Les murs nus du dortoir, l'enfilade des lits de fer, le grand mur qui entoure la maison et ne laisse au regard qu'un coin de ciel, gris aujourd'hui, tout me fait penser à ma chambrette si gaie, et au grand Paris que j'aimais à découvrir chaque matin. Mais chassons les vains regrets. Il faut descendre au parloir et dire un dernier adieu à ma mère.

La cloche tinte. Les anciens nous toisent dans le couloir froid. « En rangs, silence, silence ! » C'est la vie du séminaire qui commence.

Au bout du couloir vient de surgir le directeur, M. l'abbé B..., long et maigre, cheveux rares, yeux gris, regard froid, joues glabres émaciées par deux traits en profondeur. Il marmotte quelque prière entre ses lèvres. C'est son habitude, lorsqu'il dirige la marche des élèves, en rangs silencieux. Il attend, sur le seuil de la chapelle, que le silence soit complet et donne l'ordre d'entrer.
Qu'elle est simple et propice au recueillement la petite chapelle du séminaire ! J'écoutai pieusement la prière du Supérieur. Puis les rangs se sont reformés d'eux-mêmes et les élèves ont regagné le dortoir.




Ma première nuit au Séminaire fut agitée ; je ne parvins à m'assoupir qu'au matin et m'éveillai en sursaut au son de la cloche qui mit sur pied tous les élèves. Le surveillant attitré du dortoir était présent à notre saut du lit et nous saluait courtoisement au passage.

À partir de ce moment, nos actes étaient méthodiquement calculés, étroitement surveillés. Du matin au soir, astreints à une règle inflexible, nous devions vivre dans le silence le plus complet. Au réfectoire, comme ailleurs, le silence était de rigueur. Pendant tout le repas, un élève, juché sur une chaire, lisait des péricopes de la vie des saints. Et lorsque nous avions besoin de pain, pour ne pas rompre le silence, nous élevions le couteau au-dessus de notre tête ; le vin nous était servi quand nous élevions la fourchette. C'était le seul langage permis avec les domestiques.

Je voyais mes compagnons soumis à cette discipline, et acceptant cette vie morne sans peine apparente. Leur physionomie était bien figée, il est vrai ; les plus anciens surtout avaient l'air détachés de toutes choses, mais ils paraissaient accoutumés à vivre ainsi, et je résolus de les imiter sans murmure.

Avec un grand soulagement, je vis arriver la récréation ! Il fallut cependant, avant de pouvoir nous ébattre, écouter la lecture fastidieuse du règlement. Un article interdisait, sous peine de notes disciplinaires, tout rassemblement et tout conciliabule.




Les jours se succédaient, tous semblables, partagés entre les heures de classe, d'étude, de récréation et de réfectoire, calmes et monotones. Rien ne venait troubler le rythme accompli par les élèves au son de la cloche. On aurait dit qu'un mécanisme invisible commandait jusqu'au moindre geste des séminaristes.

Je me pliai avec peine à cette existence décolorée. Avoir treize ans ! Être plein de vie et de forces tumultueuses ! Et vivre dans le silence, sans que rien vînt relever la monotonie des jours ! Je comprends ce jeune séminariste dont parle Renan, lorsqu'il était lui-même à Saint-Nicolas : « Un d'eux, écrit-il, plus âgé que moi, m'avouait que, chaque soir, il mesurait la hauteur du dortoir du troisième étage au-dessus du pavé de la rue Saint-Victor (1). »

Les semaines passèrent ; je me détachai peu à peu des affections familiales ; l'intérêt que je portais au monde ambiant fit place à l'insouciance de vivre. Le travail était le seul refuge qui me fût permis, puisque l'amitié était proscrite de la vie séminariste.
La règle était formelle à ce sujet : « Les amitiés particulières, disait le règlement, sont strictement défendues et passibles d'une note disciplinaire. »
Les surveillants venaient-ils à connaître une telle amitié, ils ne manquaient pas de rappeler à l'ordre les délinquants ; et, le samedi soir, le Supérieur leur adressait de sévères réprimandes devant tous les élèves réunis et leur attribuait -une mauvaise note de discipline.

Quand aurions-nous pu nous lier intimement avec un camarade ? À la promenade nous étions toujours rangés trois par trois. Partout ailleurs nous devions garder le silence. Du reste, l'amitié eût-elle été possible, nous l'aurions évitée avec méfiance. Nous conservions toujours nos distances. N'étions-nous pas, en effet, tenus d'ouvrir nos âmes à notre directeur de conscience, choisi parmi nos professeurs, et ne devions-nous pas lui faire connaître toutes nos pensées ?
J'avais le sentiment d'être espionné sans cesse ce sentiment était partagé par mes camarades ; et jamais nous n'osions parler de nos pensées intimes.

La lente succession des jours eut raison des protestations de ma nature ardente et me rendit docile à la discipline du séminaire. Je triomphais des moments de découragement en me rappelant les paroles de mon protecteur : « Ce n'est que par des luttes et des souffrances qu'on suit le Christ. »
Pour répondre à ma vocation, j'obéissais.


(1) E. RENAN : Souvenirs d'Enfance et de Jeunesse. (A Saint-Nicolas-du-Chardonnet). 
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