Voici un livre qui est appelé à
faire beaucoup de bien aux âmes
sincères et altérées de
vérité. C'est le témoignage
tout simple et sans prétention
littéraire d'un bon catholique, très
attaché à son Église qu'il
désirait servir comme prêtre, mais
qui, après une crise religieuse profonde,
s'est senti de plus en plus détaché
d'elle par suite d'expériences nombreuses
qui lui ont ouvert les yeux sur les erreurs de Rome
et le vide de tant de cérémonies
extérieures. Celles-ci peuvent plaire
à des natures artistiques, attirer
même des esprits protestants superficiels,
mais elles laissent trop souvent la conscience de
côté et ne parviennent pas à la
remuer ni à la réveiller. Elles
produisent un tout autre effet sur les âmes
profondes, assoiffées de sainteté et
de perfection.
Telle était l'âme de l'auteur
du présent ouvrage. Sans s'y être
attendu le moins du monde, et tout en
s'efforçant de remplir ses devoirs de
catholique romain le plus exactement possible, M.
Erni s'aperçut, non pas sans souffrance, que
la piété qu'on lui proposait comme l'idéal ne
correspondait plus aux aspirations de son
âme, et le détachement de ce qu'il
avait appris dans son milieu familial, et qu'il
avait cru être la vérité,
s'accomplit insensiblement, malgré tous ses
efforts pour y rester fidèle.
Il aurait pu alors abandonner
l'Évangile et faire comme tant d'autres, se
tourner résolument contre lui et devenir
athée. Il aurait pu surtout renoncer au
ministère et au service de Dieu ; ce ne
fut pas le cas : au contraire, il se
réfugia plus
délibérément que jamais
auprès du Sauveur auquel il n'avait pas
cessé de croire, bien qu'il eût
été défiguré à
ses yeux. Mieux que cela, il persista dans son
désir de lui consacrer sa vie et de le
servir en servant les hommes, et le
ministère évangélique lui
apparut plus beau et plus désirable que
jamais.
Il faut dire que le Dieu qui se laisse
toujours trouver des coeurs droits, mit sur son
chemin des protestants convaincus et pleins
d'amour, qui, par leur exemple, encore plus que par
leurs paroles, affermirent sa foi en
l'éclairant et l'amenèrent tout
naturellement et sans grand effort à la foi
protestante et au ministère
évangélique.
C'est l'histoire de cette âme si
honnête et si sincère que les lecteurs
trouveront dans les pages de ce volume. Nul doute
qu'ils n'y trouvent aussi, avec une émotion
profonde, une réelle édification.
Beaucoup d'entre eux auront en même temps
l'occasion, au contact de cette âme si belle
par son humilité et sa droiture, de
rectifier certaines idées fausses que d'aucuns ont
tout
intérêt à répandre, sur
le protestantisme et à maintenir dans les
esprits. Et ce travail pourra se faire sans haine
et sans amertume, étant donné le
caractère bienveillant et
profondément irénique de
l'auteur.
Nous souhaitons de tout coeur que ce petit
livre, qui respire une parfaite
honnêteté, fasse beaucoup de bien en
amenant à l'Évangile authentique de
Jésus-Christ un bon nombre d'âmes
sincères qui souffrent et qui risquent de
périr loin de lui.
Frank THOMAS,
Pasteur.
Dans l'air léger de ce dimanche de
Fête-Dieu, les cloches du grand Paris
s'étaient mises à sonner.
Leur voix claire et joyeuse, d'instant en
instant plus puissante, s'élevait au-dessus
de l'immense ville, comme une prière
commune, comme un appel à la vie :
« En ce merveilleux jour de mai,
nous vous prodiguons nos joies intimes,
semblaient-elles dire. Nous voudrions pour un temps
éloigner vos soucis et élever vos
coeurs vers ce Dieu que nous chantons dans
l'allégresse du jour
divin ! »
Paris tout entier sonnait maintenant,
dominé par l'énorme bourdon de
l'église Saint-Georges de La Villette,
où s'empressait une foule silencieuse.
Un cortège vient de déboucher
au détour de la rue. Au premier rang, deux
fillettes, dont les cheveux bouclés tombent
sur les épaules. Un peu timides dans leurs
robes surmontées d'une paire d'ailes, elles
avancent, à pas menus,
précédées d'un bambin
habillé de brocart, flanqué d'une
épée et d'une hallebarde en
miniature. Un suisse ouvre la marche.
Derrière les fillettes suivent le
porte-drapeau, un petit Jean-Baptiste, et un Jésus
enfant portant sa croix. Enfin, embarrassés
dans leurs soutanes bleues, une dizaine d'enfants
de choeur de cinq à six ans sont conduits
par un cruciféraire un peu plus
âgé.
Celui qui tente aujourd'hui, après
bien des changements et des bouleversements dans sa
vie, de placer sous les yeux du lecteur toutes les
impressions qu'il recueillit dans son jeune
âge, c'est ce jeune cruciféraire, qui,
précédant ses acolytes, s'avance vers
l'église, le coeur en joie, en ce jour de
Fête-Dieu.
L'attrait si spécial que je subissais
alors pour les cérémonies religieuses
s'explique en partie par l'éducation que je
reçus dès mon enfance au sein de ma
famille. Ma mère, originaire d'Alsace,
très fervente catholique, m'avait appris
dès mes plus jeunes années à
faire le signe de la croix avant de m'endormir.
Elle fut fière et heureuse lorsque, joignant
les mains, j'en vins à réciter par
coeur le Pater ou l'Ave Maria. Tous les dimanches,
elle m'emmenait à la messe, et mon âme
s'ouvrit, très jeune, à la douceur de
croire en Dieu et au bonheur de l'aimer.
C'est sur les instances des soeurs de
charité, auprès de la
supérieure, que je fus enrôlé
comme cruciféraire dans le cortège
que nous avons vu tout à l'heure, se rendant
à l'église.
J'avais neuf ans.
En entrant dans l'église toute
saturée d'encens, traversée par les
rayons lumineux qui descendent des vitraux, une
grande émotion m'étreint. Plus je m'approche de
l'autel, plus
le
trouble de mon âme s'accentue. Comment ne pas
trembler à la pensée de me trouver
tout près du Dieu qui punit de l'Enfer. Et
pourtant ce Dieu est bon, puisqu'Il accepte de se
montrer aux hommes sur l'autel... Et voici que la
crainte cède au désir de le voir de
près, de me mêler à ceux qui
ont le privilège d'être ses ministres
et d'opérer le grand miracle de sa venue
dans l'Hostie !
Notre petite troupe est venue se placer
à droite de l'autel, auprès des
marche. Les grandes orgues vibrent. J'entends la
sonnette du choeur s'agiter ! Le suisse,
précédant les officiants, laisse
tomber sa hallebarde et sa canne en rafale sur les
dalles...
C'en est assez : dans cette
atmosphère surnaturelle, je sens mon coeur
subjugué, conquis par la beauté de la
cérémonie, attiré vers ces
hommes revêtus d'or et de fine dentelle, qui
se jettent dans des poses de recueillement ou
d'adoration ! Sans comprendre le sens de tous
leurs actes, j'en suis le cours avec un
intérêt croissant jusqu'au moment
où le prêtre, s'étant
baissé sur l'hostie, prononce les paroles de
la consécration : « Hic est
enim corpus meun ». Alors, tandis que le
servant annonce par un roulement de sonneries la
présence de Dieu, je ne peux me contenir, et
sans crainte, avec transport même, je Lui
parle, je Lui dis ma joie d'être
auprès de Lui...
La soeur est venue me frapper sur
l'épaule. J'ai l'impression de m'éveiller
et je sens alors mes jambes endolories par
l'agenouillement prolongé.
Le recueillement de tout à l'heure a
fait place à une grande animation. Le
bedeau, le sacristain, les bonnes soeurs, s'agitent
en tous sens pour préparer la procession. De
tous côtés, on chuchote, les chaises
grincent sur les dalles, les livres de messe se
ferment, les cannes tombent, et le :
« Ite missa est » des grands
jours de fêtes, en chant grégorien,
s'achève dans un grand brouhaha.
Le cortège rapidement formé se
dirige vers la cour du patronage où doit se
dérouler la procession. Du fond de
l'église, on entend déjà les
chants qui s'élèvent, purs sous le
ciel printanier...
Mais voici notre tour. Conduits par la soeur
chargée de nous surveiller, nous parvenons
enfin auprès du Reposoir tout en fleurs.
À peine sommes-nous rangés que le
prêtre arrive, tenant dans ses mains
l'ostensoir d'or serti de pierres
précieuses, étincelant sous les feux
du soleil.
Avec quelle émotion je suis des yeux
tous les mouvements de l'officiant. Il a gravi les
degrés qui le conduisent au reposoir. Il
arrive devant l'autel rustique dressé pour
la circonstance.
Soudain, une vision généreuse,
magnifique, surgit et s'impose à
moi :
Ah ! s'il m'arrivait un jour
d'être comme ce prêtre, qui avance
là devant moi, grave et majestueux ;
si, comme lui, je pouvais tenir Dieu dans mes
mains, si, comme lui, je pouvais
passer toute ma vie sous son regard et à son
ombre, ne serait-ce pas la plus belle des
existences que je puisse choisir.
N'avais-je pas été le
témoin, malgré mon jeune âge,
de bien des scènes d'ivresse, de querelles,
de batailles. Est-ce que mon père et ma
mère ne parlaient pas souvent entre eux,
après avoir lu le journal, de tout un monde
inconnu pour moi, mais que je sentais m'environner,
un monde malheureux où régnaient le
mensonge, le vol, le crime ?
En pensant à toutes ces choses, le
désir de devenir prêtre grandit en moi
- Oui, je dénoncerai le mal comme le
prêtre le dénonce du haut de la
chaire, je réconcilierai le querelleur avec
son adversaire, j'empêcherai les
scènes d'ivresse en raisonnant les
malheureux buveurs, je pardonnerai aux pauvres
menteurs, voleurs et criminels, et je puiserai la
force d'accomplir cette bonne oeuvre en
m'approchant de Dieu, bien près, bien
près, tout près, comme ce
prêtre vénérable à la
tête finement encadrée de boucles
d'argent, aux yeux francs et bons.
Il était monté vers l'autel,
tenant religieusement l'ostensoir sacré,
puis il s'agenouilla et adora en silence. La foule
baissait la tête, prosternée sous le
soleil de midi.
Quant à moi, je me voyais
arrivé à l'âge de ce
prêtre, ayant servi Dieu toute ma vie, tenant
à mon tour l'ostensoir précieux et me
recueillant à son ombre. Je me vis heureux
de quitter cette terre, pour
jouir de la félicité céleste,
en la compagnie ininterrompue de Dieu, dans le ciel
bleu...
J'avais laissé s'envoler mes
rêves, et la soeur vint de nouveau me tirer
de mon absence. Le défilé devant les
fidèles pour le retour avait
commencé. Officiants et enfants de choeur se
rendaient à la sacristie pour quitter leurs
vêtements de cérémonie. La
banalité de la vie succédait à
ces instants de transports et d'enchantement, mais
une idée nouvelle avait pris naissance en
moi : devenir prêtre.
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