Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PRÉFACE

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Voici un livre qui est appelé à faire beaucoup de bien aux âmes sincères et altérées de vérité. C'est le témoignage tout simple et sans prétention littéraire d'un bon catholique, très attaché à son Église qu'il désirait servir comme prêtre, mais qui, après une crise religieuse profonde, s'est senti de plus en plus détaché d'elle par suite d'expériences nombreuses qui lui ont ouvert les yeux sur les erreurs de Rome et le vide de tant de cérémonies extérieures. Celles-ci peuvent plaire à des natures artistiques, attirer même des esprits protestants superficiels, mais elles laissent trop souvent la conscience de côté et ne parviennent pas à la remuer ni à la réveiller. Elles produisent un tout autre effet sur les âmes profondes, assoiffées de sainteté et de perfection.

Telle était l'âme de l'auteur du présent ouvrage. Sans s'y être attendu le moins du monde, et tout en s'efforçant de remplir ses devoirs de catholique romain le plus exactement possible, M. Erni s'aperçut, non pas sans souffrance, que la piété qu'on lui proposait comme l'idéal ne correspondait plus aux aspirations de son âme, et le détachement de ce qu'il avait appris dans son milieu familial, et qu'il avait cru être la vérité, s'accomplit insensiblement, malgré tous ses efforts pour y rester fidèle.

Il aurait pu alors abandonner l'Évangile et faire comme tant d'autres, se tourner résolument contre lui et devenir athée. Il aurait pu surtout renoncer au ministère et au service de Dieu ; ce ne fut pas le cas : au contraire, il se réfugia plus délibérément que jamais auprès du Sauveur auquel il n'avait pas cessé de croire, bien qu'il eût été défiguré à ses yeux. Mieux que cela, il persista dans son désir de lui consacrer sa vie et de le servir en servant les hommes, et le ministère évangélique lui apparut plus beau et plus désirable que jamais.

Il faut dire que le Dieu qui se laisse toujours trouver des coeurs droits, mit sur son chemin des protestants convaincus et pleins d'amour, qui, par leur exemple, encore plus que par leurs paroles, affermirent sa foi en l'éclairant et l'amenèrent tout naturellement et sans grand effort à la foi protestante et au ministère évangélique.

C'est l'histoire de cette âme si honnête et si sincère que les lecteurs trouveront dans les pages de ce volume. Nul doute qu'ils n'y trouvent aussi, avec une émotion profonde, une réelle édification. Beaucoup d'entre eux auront en même temps l'occasion, au contact de cette âme si belle par son humilité et sa droiture, de rectifier certaines idées fausses que d'aucuns ont tout intérêt à répandre, sur le protestantisme et à maintenir dans les esprits. Et ce travail pourra se faire sans haine et sans amertume, étant donné le caractère bienveillant et profondément irénique de l'auteur.

Nous souhaitons de tout coeur que ce petit livre, qui respire une parfaite honnêteté, fasse beaucoup de bien en amenant à l'Évangile authentique de Jésus-Christ un bon nombre d'âmes sincères qui souffrent et qui risquent de périr loin de lui.

Frank THOMAS,
Pasteur.





I

ÉVEIL D'UNE VOCATION


Dans l'air léger de ce dimanche de Fête-Dieu, les cloches du grand Paris s'étaient mises à sonner.
Leur voix claire et joyeuse, d'instant en instant plus puissante, s'élevait au-dessus de l'immense ville, comme une prière commune, comme un appel à la vie :
« En ce merveilleux jour de mai, nous vous prodiguons nos joies intimes, semblaient-elles dire. Nous voudrions pour un temps éloigner vos soucis et élever vos coeurs vers ce Dieu que nous chantons dans l'allégresse du jour divin ! »

Paris tout entier sonnait maintenant, dominé par l'énorme bourdon de l'église Saint-Georges de La Villette, où s'empressait une foule silencieuse.
Un cortège vient de déboucher au détour de la rue. Au premier rang, deux fillettes, dont les cheveux bouclés tombent sur les épaules. Un peu timides dans leurs robes surmontées d'une paire d'ailes, elles avancent, à pas menus, précédées d'un bambin habillé de brocart, flanqué d'une épée et d'une hallebarde en miniature. Un suisse ouvre la marche. Derrière les fillettes suivent le porte-drapeau, un petit Jean-Baptiste, et un Jésus enfant portant sa croix. Enfin, embarrassés dans leurs soutanes bleues, une dizaine d'enfants de choeur de cinq à six ans sont conduits par un cruciféraire un peu plus âgé.

Celui qui tente aujourd'hui, après bien des changements et des bouleversements dans sa vie, de placer sous les yeux du lecteur toutes les impressions qu'il recueillit dans son jeune âge, c'est ce jeune cruciféraire, qui, précédant ses acolytes, s'avance vers l'église, le coeur en joie, en ce jour de Fête-Dieu.

L'attrait si spécial que je subissais alors pour les cérémonies religieuses s'explique en partie par l'éducation que je reçus dès mon enfance au sein de ma famille. Ma mère, originaire d'Alsace, très fervente catholique, m'avait appris dès mes plus jeunes années à faire le signe de la croix avant de m'endormir. Elle fut fière et heureuse lorsque, joignant les mains, j'en vins à réciter par coeur le Pater ou l'Ave Maria. Tous les dimanches, elle m'emmenait à la messe, et mon âme s'ouvrit, très jeune, à la douceur de croire en Dieu et au bonheur de l'aimer.

C'est sur les instances des soeurs de charité, auprès de la supérieure, que je fus enrôlé comme cruciféraire dans le cortège que nous avons vu tout à l'heure, se rendant à l'église.
J'avais neuf ans.

En entrant dans l'église toute saturée d'encens, traversée par les rayons lumineux qui descendent des vitraux, une grande émotion m'étreint. Plus je m'approche de l'autel, plus le trouble de mon âme s'accentue. Comment ne pas trembler à la pensée de me trouver tout près du Dieu qui punit de l'Enfer. Et pourtant ce Dieu est bon, puisqu'Il accepte de se montrer aux hommes sur l'autel... Et voici que la crainte cède au désir de le voir de près, de me mêler à ceux qui ont le privilège d'être ses ministres et d'opérer le grand miracle de sa venue dans l'Hostie !

Notre petite troupe est venue se placer à droite de l'autel, auprès des marche. Les grandes orgues vibrent. J'entends la sonnette du choeur s'agiter ! Le suisse, précédant les officiants, laisse tomber sa hallebarde et sa canne en rafale sur les dalles...

C'en est assez : dans cette atmosphère surnaturelle, je sens mon coeur subjugué, conquis par la beauté de la cérémonie, attiré vers ces hommes revêtus d'or et de fine dentelle, qui se jettent dans des poses de recueillement ou d'adoration ! Sans comprendre le sens de tous leurs actes, j'en suis le cours avec un intérêt croissant jusqu'au moment où le prêtre, s'étant baissé sur l'hostie, prononce les paroles de la consécration : « Hic est enim corpus meun ». Alors, tandis que le servant annonce par un roulement de sonneries la présence de Dieu, je ne peux me contenir, et sans crainte, avec transport même, je Lui parle, je Lui dis ma joie d'être auprès de Lui...

La soeur est venue me frapper sur l'épaule. J'ai l'impression de m'éveiller et je sens alors mes jambes endolories par l'agenouillement prolongé.

Le recueillement de tout à l'heure a fait place à une grande animation. Le bedeau, le sacristain, les bonnes soeurs, s'agitent en tous sens pour préparer la procession. De tous côtés, on chuchote, les chaises grincent sur les dalles, les livres de messe se ferment, les cannes tombent, et le : « Ite missa est » des grands jours de fêtes, en chant grégorien, s'achève dans un grand brouhaha.
Le cortège rapidement formé se dirige vers la cour du patronage où doit se dérouler la procession. Du fond de l'église, on entend déjà les chants qui s'élèvent, purs sous le ciel printanier...

Mais voici notre tour. Conduits par la soeur chargée de nous surveiller, nous parvenons enfin auprès du Reposoir tout en fleurs. À peine sommes-nous rangés que le prêtre arrive, tenant dans ses mains l'ostensoir d'or serti de pierres précieuses, étincelant sous les feux du soleil.
Avec quelle émotion je suis des yeux tous les mouvements de l'officiant. Il a gravi les degrés qui le conduisent au reposoir. Il arrive devant l'autel rustique dressé pour la circonstance.

Soudain, une vision généreuse, magnifique, surgit et s'impose à moi :
Ah ! s'il m'arrivait un jour d'être comme ce prêtre, qui avance là devant moi, grave et majestueux ; si, comme lui, je pouvais tenir Dieu dans mes mains, si, comme lui, je pouvais passer toute ma vie sous son regard et à son ombre, ne serait-ce pas la plus belle des existences que je puisse choisir.

N'avais-je pas été le témoin, malgré mon jeune âge, de bien des scènes d'ivresse, de querelles, de batailles. Est-ce que mon père et ma mère ne parlaient pas souvent entre eux, après avoir lu le journal, de tout un monde inconnu pour moi, mais que je sentais m'environner, un monde malheureux où régnaient le mensonge, le vol, le crime ?

En pensant à toutes ces choses, le désir de devenir prêtre grandit en moi - Oui, je dénoncerai le mal comme le prêtre le dénonce du haut de la chaire, je réconcilierai le querelleur avec son adversaire, j'empêcherai les scènes d'ivresse en raisonnant les malheureux buveurs, je pardonnerai aux pauvres menteurs, voleurs et criminels, et je puiserai la force d'accomplir cette bonne oeuvre en m'approchant de Dieu, bien près, bien près, tout près, comme ce prêtre vénérable à la tête finement encadrée de boucles d'argent, aux yeux francs et bons.
Il était monté vers l'autel, tenant religieusement l'ostensoir sacré, puis il s'agenouilla et adora en silence. La foule baissait la tête, prosternée sous le soleil de midi.

Quant à moi, je me voyais arrivé à l'âge de ce prêtre, ayant servi Dieu toute ma vie, tenant à mon tour l'ostensoir précieux et me recueillant à son ombre. Je me vis heureux de quitter cette terre, pour jouir de la félicité céleste, en la compagnie ininterrompue de Dieu, dans le ciel bleu...

J'avais laissé s'envoler mes rêves, et la soeur vint de nouveau me tirer de mon absence. Le défilé devant les fidèles pour le retour avait commencé. Officiants et enfants de choeur se rendaient à la sacristie pour quitter leurs vêtements de cérémonie. La banalité de la vie succédait à ces instants de transports et d'enchantement, mais une idée nouvelle avait pris naissance en moi : devenir prêtre.


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