Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES MARTYRS SOUS HENRI Il

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ANNE DU BOURG

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IV - LA CONFESSION DE FOI DE DU BOURG.

Avant de prononcer la sentence de dégradation, l'évêque de Paris, toujours docile aux directions du cardinal de Lorraine, voulut tenter un suprême effort pour ramener du Bourg à la foi catholique. Il alla le trouver à la Bastille, et lui fit les plus grandes protestations d'affection, l'assurant qu'il avait à coeur de conserver au roi et à l'État un si éminent serviteur, appartenant à une illustre famille, sur laquelle sa mort jetterait un déshonneur ineffaçable. Mais il l'avertit qu'au point où en étaient les choses, il ne restait qu'un seul moyen de lui sauver la vie ; c'était qu'il consentit à signer une confession de foi que le prélat avait fait rédiger par ses docteurs et qu'il lui apportait. Du Bourg parut touché de cette démarche et demanda à son visiteur de lui laisser cette formule pour qu'il l'examinât. Il demanda en même temps qu'on lui donnât du papier, une plume et de l'encre, pour qu'il pût rédiger son adhésion ou ses réserves. La demande était trop naturelle pour être repoussée. L'évêque, croyant avoir cause gagnée, se retira.

« L'évêque, » dit Crespin, « cuidant avoir pris le loup au piège, s'en retourna joyeux vers le cardinal. Et de là se semèrent bruits, que le caquet de du Bourg était bien rabaissé, et qu'il s'était accordé avec les Sorbonistes. Mais quand on revint vers lui, au lieu que l'évêque cuidait emporter sa confession signée, il en trouva une autre écrite et signée de la main de du Bourg, contraire à la sienne, tirée des Saintes Écritures, laquelle il dédiait à la cour de Parlement, étant du tout résolu de la sceller par sa mort, pour cruelle qu'on la lui sût présenter. L'évêque, crevant de dépit, alla trouver son cardinal, qui déjà s'était vanté devant le roi d'avoir gagné du Bourg (1). »

Les Actes des martyrs, de 1564, à la suite de cet incident de la visite de l'évêque, placent le texte de la Confession de foi de du Bourg, ce qui en fixe la composition aux derniers jours du mois de juin 1559, tout au commencement de sa captivité, et du vivant de Henri II, auquel même elle aurait peut-être été lue (2).

Les autres auteurs contemporains, ou bien n'en précisent pas la date ou bien la reculent jusqu'à la fin de la captivité, en novembre ou décembre 1559. Nous croyons devoir suivre, sur ce point encore, le premier récit de Crespin, qui est le plus précis de tous. Ce document se trouve bien à sa place logique au commencement de la captivité de du Bourg. C'est bien pendant sa mise au secret de neuf jours et pendant ses deux journées de discussions avec Eustache du Bellay et Démocharès, qu'a dû s'élaborer, dans l'esprit du prisonnier, cette oeuvre théologique, qu'il n'a eu qu'à jeter ensuite sur le papier, quand l'occasion lui en a été fournie par la visite de l'évêque. C'est bien au commencement du procès que devait se produire cet exposé de ses croyances, adressé au roi et au parlement. Ce que nous savons d'ailleurs des derniers temps de la vie du martyr, et des fatigues physiques et morales qui résultèrent pour lui de sa longue et dure détention et de sa lutte prolongée et infructueuse contre ses adversaires sur le terrain légal, ne permet guère de placer à cette époque cette oeuvre calme et forte. L'oeuvre des derniers jours de sa vie, ce fut l'Oraison au Sénat de Paris (3), qu'il suffit de comparer à la Confession pour comprendre que ces deux écrits n'appartiennent pas à la même période.

Il résulte toutefois des textes les plus certains, que du Bourg rédigea une confession de foi vers la fin de son procès. Sa sentence de mort vise des « confessions réitérées et représentées en la Cour par ledit du Bourg (4). » N'est-il pas légitime de supposer que, dans les circonstances douloureuses qui l'obligèrent à renouveler la solennelle profession de sa foi, il reprit l'oeuvre composée par lui six mois auparavant pour l'évêque de Paris et pour le roi, et qu'il la remit à ses juges comme l'expression définitive de sa foi, en y ajoutant peut-être une conclusion ? Cette hypothèse, que semblent justifier les termes de la sentence, a l'avantage de concilier le récit des Actes des martyrs avec ceux de la Vraye Histoire, de Chandieu, de la Place et de tous ceux qui les ont copiés.

On n'analyse pas ces documents dans lesquels les Églises et les hommes du seizième siècle dessinèrent, en traits fermes et précis, les contours de leurs doctrines. Et quand surtout on se trouve en présence d'une oeuvre comme celle-ci, écrite dans un cachot et dont la calme et courageuse franchise eut pour récompense un bûcher en place de Grève, on sent qu'on n'a autre chose à faire qu'à écouter avec respect ce témoignage de la foi d'un glorieux martyr. Ne pouvant tout citer (5), bornons-nous à reproduire les premières phrases et la conclusion de ce document :

« Puisqu'il a plu à notre bon Père de me faire la grâce de vous avoir rédigé par écrit la confession de ma foi et de la forme de vivre que je veux suivre ; ensemble, afin que je réponde aux articles extraits des Ordonnances du roi, pour le tout joindre à mon procès, et sur ce donner sentence d'absolution ou condamnation : - Je vous déclare que je suis chrétien, et veux vivre et mourir pour ensuivre et maintenir la doctrine du bon Dieu Père éternel, et de son Fils unique Jésus-Christ, notre seul Sauveur, Médiateur et Avocat qui est de même substance que son Père, éternel et immortel ; et du Saint-Esprit, qui est la vertu de Dieu, procédant du Père et du Fils. »

Après avoir exposé sa foi avec une précision et une vigueur remarquables, et en appuyant ses vues de nombreux passages bibliques, du Bourg conclut ainsi :

« Moi donc, connaissant les grandes erreurs, superstitions et abus auxquels j'ai été plongé par ci-devant, maintenant je renonce à toutes idolâtries et fausses doctrines, qui sont contraires et contrevenantes à la doctrine de mon Maître Jésus-Christ, qui est la sainte et pure parole de Dieu, contenue aux livres canoniques du vieil et du nouveau Testament, révélée, par le Saint-Esprit, laquelle je prends pour mon guide et ma conduite en cette vie mortelle, comme la colonne de feu, conduisant les enfants d'Israël par le désert jusques en la terre promise et désirable ; ce sera la lanterne de mes pieds.

» Ensemble, je promets pour l'avenir et résidu de ma vie, cheminer et vivre selon la doctrine le mieux qui sera à moi possible, moyennant l'Esprit de Dieu qui m'assistera et dirigera en toutes mes voies, sans lequel je ne puis rien, avec lequel je puis tout, tellement que tout sera à la louange d'icelui, à l'avancement du royaume de son Fils, à l'édification de toute son Église et au salut de mon âme. Auquel seul je rends grâces éternelles ; lequel aussi je prie, au nom de son Fils notre Seigneur, me vouloir confirmer et entretenir par son Saint-Esprit en cette foi jusques à la fin, et me donner grâce, vertu et puissance de la confesser de coeur et de bouche, tant devant fidèles qu'infidèles, tyrans et bourreaux de l'Antéchrist, et icelle maintenir jusques à la dernière goutte de mon sang.

» Je désire grandement vivre et mourir en cette foi, sachant et étant bien assuré qu'elle a pour fondement la seule parole du Seigneur, et qu'en icelle ont vécu et sont morts tous les saints Pères, Patriarches, Prophètes et Apôtres de Jésus-Christ. C'est la vraie connaissance du Seigneur, en laquelle gît et consiste la béatitude et félicité de l'homme, comme dit Jésus-Christ : « Cette vie est la vie éternelle, ô Père, qu'on te connaisse seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. »

« Voici la foi en quoi je veux vivre et mourir, et ai signé cet écrit de mon seing, prêt à le sceller de mon propre sang, pour maintenir la doctrine du Fils de Dieu, lequel je prie humblement et de bon coeur vous ouvrir l'entendement de la foi, afin que vous puissiez connaître la vérité. Ce que je lui demande en la manière que nous sommes par lui-même enseignés de le prier, en disant : Notre Père qui es ès cieux, sanctifié soit ton nom, etc. »

L'homme qui, dans son cachot de la Bastille, élevait ainsi sa protestation consciencieuse contre les doctrines romaines et affirmait sa résolution de tout souffrir et de mourir, s'il le fallait, pour ses convictions évangéliques, n'était pas de ceux que l'on séduit par des flatteries. L'évêque de Paris et son maître le cardinal de Lorraine le comprirent, en lisant sa confession.

« Le Cardinal et l'Évêque se sentant au bout de leur rôle, » raconte naïvement Crespin, « et qu'il n'y avait moyen de gagner par leurs eaux bénites ce saint personnage, leur recours fut de le rendre odieux au Roi, auquel firent entendre la douceur de laquelle ils l'avaient voulu réduire au giron de l'Eglise, lui ayant présenté une confession des docteurs de Sorbonne, avec promesse de lui sauver la vie, ses états, biens et bonne renommée, s'il voulait seulement signer. Que lui, au lieu de s'humilier et requérir pardon, s'était élevé jusques à ce point, d'en avoir fait une à sa tête toute contraire, avec protestation d'y vouloir vivre et mourir ; en quoi se montrait une pertinacité et obstination digne de mort. Or, soit qu'ils eussent lu la confession de foi de du Bourg devant le Roi ou autrement, ils rendirent ledit seigneur tellement animé contre ledit du Bourg, que les minutes d'heures lui semblaient siècles tant qu'il eût vu réduit en cendres ce pauvre chrétien (6). »

La perte de du Bourg fut donc décidée.
Le 30 juin, l'évêque de Paris réunissait son conseil pour prendre son avis, et, après avoir déclaré du Bourg hérétique, ordonnait qu'il fût dégradé des Ordres qu'il avait reçus et livré au bras séculier.

Coïncidence étrange ! ce jour-même, Henri II, dont cette sentence exécutait les ordres, tombait frappé par la lance de Montgommery ! D'Aubigné raconte que, « comme on emportait le roi, il tourna la face devers la Bastille, lui échappant de dire avec un grand soupir qu'il avait injustement affligé les gens de bien qui étaient là-dedans. Le cardinal de Lorraine, qui se tenait près de lui, releva ses paroles et dit, en s'y opposant, que le diable les avait dictées (7). »



ANNE DU BOURG

LE PREMIER APPEL DE DU BOURG.


La sentence prononcée contre Anne du Bourg par l'évêque de Paris n'eût été définitive que s'il eût consenti à s'incliner devant elle, sans en appeler au Parlement. Son procès eût pu alors marcher rapidement et l'issue, si vivement désirée par le roi et par ses conseillers, n'eût pas été retardée pendant plus de six mois.

Mais le procès de l'illustre prisonnier ne faisait en réalité que commencer. Après sa période théologique, il allait entrer dans sa période purement juridique, et du Bourg était résolu à épuiser toutes les juridictions d'appel, pour obtenir la cassation de la sentence épiscopale. Il ne se faisait probablement pas illusion sur l'issue d'une pareille lutte ; mais il s'agissait de gagner du temps, et, dans les circonstances où se trouvait alors la France, le temps pouvait amener une amélioration sensible dans la situation religieuse.

Il faut se rappeler en effet que, le jour même (30 juin 1559) où l'évêque de Paris rendait sa sentence de dégradation contre du Bourg, s'ouvrait une crise politique considérable par l'accident mortel survenu à Henri Il. Pendant cette agonie, qui dura dix jours, et dont les nouvelles traversèrent sans doute les murs de la Bastille, le magistrat prisonnier dut se sentir renaître à l'espérance. Le monarque, qui avait fait le serment impie de le voir brûler de ses yeux, avait été frappé dans l'oeil par la lance de Montgommery, à quelques pas de la Bastille, où ce même gentilhomme avait conduit les magistrats suspects de luthéranisme. Un tel coup de la Providence ne permettait-il pas d'en attendre d'autres ? N'était-ce pas seconder ses desseins que de faire traîner en longueur un procès, dont le cardinal de Lorraine et sa clique cherchaient à brusquer le dénouement ? Qui sait ce qu'amèneraient les quelques mois qui allaient suivre ? Anne du Bourg ne craignait pas la mort, il le prouva assez ; mais enfin, à l'âge de trente-huit ans, il lui était bien permis de croire que sa tâche n'était pas finie et que l'oeuvre de la réforme religieuse pouvait réclamer ses services. Il avait donc intérêt à recourir aux moyens dilatoires et à épuiser les juridictions d'appel.

La sentence de laquelle il faisait appel était, il est vrai, celle qui le dépouillait des ordres ecclésiastiques qu'il avait reçus. On se souvient qu'il occupait au Parlement de Paris un siège de conseiller-clerc, qu'il perdait, ipso facto, en perdant la qualité de clerc, dont le dépouillait la sentence épiscopale. Dans une des requêtes qu'il adressa au Parlement, il insista sur ce fait que, « si ladite sentence était exécutée, ce serait en conséquence le priver de son état de conseiller-clerc, lequel il ne pourrait tenir sans lesdits ordres (8). »

À notre point de vue moderne, il y avait quelque inconséquence, de la part de du Bourg, à vouloir demeurer nominalement diacre d'une église dont il s'était séparé ; mais cette inconséquence ne choquait personne en un temps où les domaines respectifs de l'Eglise et de l'État étaient mêlés à tel point que, pour obtenir certaines charges judiciaires, il fallait revêtir d'abord un caractère ecclésiastique, qui, dans de telles conditions, n'était guère qu'une vaine forme.

Souvenons-nous d'ailleurs que, pour Anne du Bourg, comme pour beaucoup d'autres à cette époque, il s'agissait, non de sortir de l'Eglise, mais de la réformer. La conclusion de sa véhémente harangue dans la Mercuriale avait été l'appel au Concile, conclusion qui nous paraît pleine de timidité et d'illusions, aujourd'hui que nous savons ce que valent les conciles ; mais ces illusions et cette timidité font honneur, après tout, aux hommes qui crurent que la vieille maison lézardée où leurs pères avaient vécu pouvait encore, avec des réparations, être rendue habitable pour leurs enfants.

Anne du Bourg en appela donc au Parlement. Pendant que se jugeait son appel, il fut transféré de la Bastille à la Conciergerie du Palais et écroué dans la tour carrée, qui existe encore aujourd'hui et dans laquelle se trouve l'horloge du Palais. Il fut jeté, dit Crespin, « dans le plus sale et infect de tous les cachots, auxquels on met seulement les plus grands voleurs, brigands et criminels qui soient en France (9) - » On assure qu'en y entrant, il dit « Le cardinal de Lorraine veut et il lui plaît que je sois ici ; J'y serai tant qu'il plaira au bon Dieu, qui sait toutes choses (10). »

Dans le but d'arriver à une prompte solution et d'arrêter court toute velléité d'indulgence chez les anciens collègues de du Bourg, devenus ses juges, il fut décidé que le cardinal Bertrandi, garde des sceaux, irait en personne présider les débats. La hâte d'en finir était telle que l'agonie du roi n'arrêta en rien la marche de l'affaire. Comme il fallait, avant tout, des juges dociles, on saisit du procès la Grand'Chambre, qui avait fait ses preuves contre l'hérésie. On osa même, afin de hâter le dénouement, refuser à du Bourg l'aide d'un conseil que l'on accordait aux pires criminels.
Il dut donc plaider lui-même « ses griefs d'appel. »

« Il montra, » dit Crespin, « la crainte et révérence qu'il portait à Dieu, qui l'avait amené à ce point de préférer son honneur et gloire à toutes choses de ce monde. » Il demanda à ses juges de prendre connaissance de la confession de foi qu'il avait présentée aux juges commissaires et des interrogatoires auxquels il avait été soumis ; il exprima l'espoir « qu'on les trouverait conformes à la vérité contenue ès Saintes-Écritures du vieil et nouveau Testament, et aux docteurs anciens et approuvés, et que par là on trouverait l'abus manifeste de l'évêque. » Il dit « qu'avant de le déclarer hérétique, il fallait que les dits livres de la Sainte-Écriture et ceux des anciens docteurs fussent préalablement déclarés hérétiques et rejetés, pour approuver les inventions du pape et les rêveries des sorbonistes et moines. ». Il conclut en disant « qu'il voulait demeurer à la source de laquelle il avait tiré sa confession (11). »

La Cour était trop disposée à donner au roi mourant un témoignage de son zèle à seconder le dernier acte politique de son règne, pour s'arrêter à peser les termes de la confession et des interrogatoires de du Bourg, et, dès le 5 juillet, cinq jours après la sentence épiscopale et cinq jours avant la mort du roi, elle déboutait le plaignant de son appel, et rendait, selon la formule consacrée, ce verdict : Bien jugé, mal appelé !

Du Bourg en appela aussitôt de la sentence de l'évêque à la juridiction ecclésiastique supérieure, celle de l'archevêque de Sens, « non tant, » dit Crespin, « pour prolonger ses jours, comme il a plusieurs fois protesté, que plutôt par ce moyen avoir plus d'opportunité de faire connaître la religion, et profiter en plusieurs lieux autant qu'il pourrait (12). »

Le 10 juillet, Henri II mourait au palais des Tournelles, où il avait été transporté de la rue Saint-Antoine. « Son corps fut exposé, selon l'usage, dans la grande salle qui, encore toute décorée pour les noces royales, fut transformée en chapelle ardente. Tout le monde remarqua, au-dessus du lit de parade, une tapisserie à personnages représentant la conversion de saint Paul, avec les paroles bien, connues : Saul ! Saul ! pourquoi me persécutes-tu ? Ces mots circulaient de bouche en bouche. Le connétable de Montmorency, chargé de la garde du corps, dut faire changer la tapisserie, dont le texte donnait lieu aux plus étranges commentaires. Ainsi s'affirmait l'idée de la justice divine parmi ceux qui avaient mis les protestants hors la loi, et applaudi à leurs supplices. Mongommery apparaissait Comme un vengeur ; mais le châtiment dont il avait été l'instrument involontaire serait-il une délivrance pour l'Eglise réformée de Paris ? C'était là le secret d'un nouveau règne (13). »

Si l'agonie de Henri II n'avait pas arrêté le cours des poursuites contre les conseillers suspects de luthéranisme, sa mort ne devait pas amener un revirement en leur faveur. Son fils et successeur, François II, était un adolescent débile de corps et d'esprit, que son mariage avec la reine d'Écosse, Marie Stuart, mettait sous la dépendance du cardinal de Lorraine et de François de Guise, devenus ses oncles, et qui allaient gouverner la France sous son nom. La tolérance ne devait pas être le don de joyeux avènement du nouveau roi, et, pour bien marquer leur dessein de suivre les errements du passé, les conseillers de François II lui firent signer, dès le quatrième jour de son règne, la confirmation de la commission des juges délégués pour instruire le procès des conseillers détenus à la Bastille.

L'archevêque de Sens, auquel du Bourg en appelait comme au supérieur hiérarchique de l'évêque de Paris, était alors ce même cardinal Jean Bertrandi qui venait, comme garde des sceaux, de présider au jugement de son premier appel. Loin de se récuser, il assembla son conseil, et « fit toute diligence de juger l'appel, encore qu'il eût présidé aux autres jugements ; laquelle iniquité du Bourg, fut contraint de boire comme les précédentes (14). » Comme il s'y attendait, la première sentence fut confirmée sans aucune hésitation devant cette deuxième juridiction.
Et de nouveau aussi, du Bourg interjeta appel comme d'abus devant le Parlement.

« Étant revenu au Palais pour la seconde fois » raconte Crespin, « il fut mis en une grande chambre sur la salle où mangent les prisonniers qui sont à la table du geôlier ; et pource qu'on se doutait que ses gardes ne fussent luthériens, ils furent changés. Là il reçut plus gracieux traitement du concierge, soit pour la crainte qu'on ne le délivrât après la mort du Roi, soit qu'il y ait été induit par humanité et courtoisie ; toutefois il ne lui était loisible de mettre seulement la tête à la fenêtre, tant il était gardé de près (15). »
« Cependant, » raconte Chandieu, « beaucoup de temps se passait ; et lui étant en la Conciergerie, eut moyen de faire entendre de ses nouvelles à l'Eglise, pour avertir de l'état auquel étaient ses affaires, des demandes qu'on lui avait faites, et de la grâce de Dieu par laquelle il avait confessé notre Seigneur Jésus-Christ sans crainte. Il priait surtout qu'on ne s'offensât point, si on le voyait interjeter tant de fois appel nouveau de l'un à l'autre. Que ce n'était point qu'il voulût gagner du temps, et prolonger sa vie par subterfuges, mais afin d'ôter toute occasion de penser qu'il se précipitât et qu'il fût cause de sa mort avant le temps, s'il oubliait quelque chose qui pût servir à sa justification. Car quant à lui, il se sentait si bien fortifié par la grâce de Dieu, que l'heure de sa mort lui était une heure souhaitable, et qu'il l'attendait avec toute joie. C'était la teneur de ses lettres (16). »

Les lettres de du Bourg ne nous sont malheureusement pas parvenues, mais nous en avons un fidèle écho dans les lignes qui précèdent, et qui sont de l'un des pasteurs de l'Eglise de Paris, Antoine de la Roche-Chandieu, lequel les avait certainement vues.

Le Journal de Bruslart mentionne aussi ces lettres dont du Bourg fut « trouvé saisi, » « lettres pernicieuses, » dit ce chroniqueur catholique, « qu'il recevait et écrivait aux fidèles et à ceux de la Parole (17). » On se demande par quelle voie le prisonnier réussissait à communiquer avec ses frères. Les Actes des martyrs de 1564 nous donnent, sur ce point, le curieux détail suivant : « Ce devis et communication se faisait par un petit trou à passer la main, par lequel on lui baillait lettres, livres et autres choses, et lui disait-on en secret ce qu'on voulait. Mais le geôlier s'en étant aperçu, fit boucher la petite fenêtre de la chambre où ledit trou était. » 


(1) Actes des martyrs, de 1564, p 919. 

(2) « Soit qu'ils eussent lu la confession de du Bourg devant le Roy, » dit Crespin. (Édit. de 1564, p. 926.)

(3) Nous parlerons plus loin de ce curieux écrit, qui a échappé aux historiens qui ont raconté le martyre de du Bourg.

(4) Mémoires de Condé, t. I, p. 299.

(5) La France protestante (art. du Bourg) donne le texte entier de la confession. On la trouve aussi dans l'Histoire des martyrs, de Crespin (éd. de Toulouse), t. III: p. 689.

(6) Crespin, édit. de 1564, p. 926.

(7) Agrippa d'Aubigné, Histoire universelle, t. I, liv. II, chap. XI.

(8) Mémoires de Condé, t. I, p. 271.

(9) Crespin, édit de 1564, p. 926. 

(10) Ibid.

(11) Crespin, édit. de 1564, p. 926.

(12) Crespin, édit. de 1564, p. 927. 

(13) Jules Bonnet, L'Eglise réformée de Paris sous Henri II. (Bull. de l'hist. du prot. franç., 1878, p. 449.)

(14) Crespin, édit. de 1564, p. 927

(15) Ibid., p. 927.

(16) Histoire des persécutions et martyrs de l'Eglise de Paris, p. 391, 

(17) Journal de Bruslart, dans les Mémoires de Condé, t. 1, p. 5.
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