Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES MARTYRS SOUS HENRI Il

suite

GEOFFROY GUÉRIN

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 (1). Les supplices n'avaient pourtant pas cessé dans Paris, et l'on n'attendit pas même, pour rallumer les bûchers, que les ambassadeurs des princes allemands, qui étaient venus solliciter la grâce des prisonniers, eussent quitté la capitale. Un jeune homme, nommé Geffroy, Guérin, avait d'abord faibli et renié sa foi pour échapper à la mort. Mais bientôt, relevé par la grâce divine, il écrivit à ses frères : « Réjouissez-vous de ce que moi, pauvre brebis égarée, J'ai été retrouvé par le bon pasteur... Je suis et serai à lui pour jamais, nonobstant ma faute bien lourde... Il n'a point rejeté ma prière, il a oui mes pleurs et mon gémissement, comme il a fait pour son serviteur Pierre. » Le ministre Macar, qui réussit à pénétrer dans la prison de Guérin, déclara, dans une lettre à Calvin, que, venu pour le confirmer dans sa foi, il fut lui-même confirmé dans la sienne par les paroles du jeune athlète chrétien.

Le jour de son exécution, il réveilla dès l'aube son compagnon de cachot, et, le menant auprès du soupirail par lequel on pouvait voir une étroite bande du ciel : « Et que sera-ce, » lui dit-il ; « quand nous serons élevés par-dessus toutes ces choses, pour être avec notre Seigneur et jouir de sa gloire, si nous demeurons fermes en la confession de sa vérité ! » On le conduisit dans la chapelle de la prison, où on lui lut l'arrêt qui le condamnait à être brûlé. Il employa le temps qui lui restait à vivre à chanter des psaumes. En traversant le préau de la prison, il exhorta un prisonnier, auquel il avait appris à lire, à étudier les saintes Écritures, et il dit aux autres : « Adieu, mes amis, je m'en vais à une mort pour avoir la vie. » Sur le tombereau, on l'entendit prier : « Seigneur Dieu, qu'il te plaise de m'armer de force et de constance, pour résister au tourment qui m'est apprêté. Ne me donne point une charge plus grande que je ne puis porter. Je me suis toujours attendu à tes promesses et ai longtemps désiré la mort, qui est maintenant bien prochaine. Ne me délaisse donc point, mais fais que je persévère jusqu'à la fin dans cette foi, dont je fais ici confession. » Et il récita le symbole des apôtres.

Arrivé à la place Maubert, il dut subir les outrages et les brutalités d'une populace altérée de son sang et qui avait elle-même cherché le bois et dressé le bûcher. On l'arracha aux mains du bourreau, et il aurait été mis en pièces par ce peuple fanatisé, si les soldats n'avaient prêté main-forte à l'exécuteur. Un greffier vint encore lui offrir la grâce d'être étranglé avant d'être brûlé, s'il voulait se dédire et crier : Jésus Maria. Mais il répondit : « J'ai assez confessé ce que je croyais et déclaré la religion en laquelle je voulais vivre et mourir. Passez outre. » Il fût alors hissé sur le bûcher, et la flamme enveloppa bientôt son, corps. « Seigneur Dieu, » l'entendit-on dire, « ouvre tes cieux pour recevoir ton serviteur. »



 
JEAN
MOREL (2).

Vers le même temps un autre jeune chrétien mourait en prison, victime des privations et peut-être du poison. Il se nommait Jean Morel, et avait été gagné à l'Évangile en voyant mourir Danville et Rébéziès. Dans une perquisition qui fut faite chez lui, on découvrit des livres protestants, qu'il étudiait avec ardeur. C'en fut assez pour qu'il fût arrêté. Il eut à subir de longs interrogatoires, dans lesquels il fit preuve d'une connaissance approfondie de la doctrine évangélique. Son frère essaya de l'ébranler, en lui conseillant de ne donner aux juges que des réponses évasives sur les doctrines controversées. Il s'engageait, s'il suivait son conseil, à obtenir sa grâce. Morel prêta l'oreille à ces avis ; mais cette défaillance ne dura qu'un moment. Rien n'est émouvant comme les pages dans lesquelles ce jeune chrétien raconte les tourments de sa conscience après qu'il eut consenti à rétracter ses convictions évangéliques (3).

Relevé de sa défaillance momentanée, Jean Morel fut dès lors inébranlable dans la confession de sa foi. Ses interrogatoires, dans lesquels il ferma la bouche à plusieurs docteurs papistes, eurent un grand retentissement et dénotent une connaissance approfondie de l'Écriture et une admirable énergie morale. « Plus il approchait de sa fin, » dit Chandieu, qui avait été son maître, « plus on voyait à l'oeil l'Esprit de Dieu s'augmenter en lui. » Il mourut à la Conciergerie, « non sans soupçon de poison. » Son corps fut exhumé, à la requête du procureur général, et porté dans un tombereau au parvis Notre-Dame, où il fut brûlé le 27 février 1558.



 
JEAN
BARBEVILLE (4).

Dans sa prison, Jean Morel ramena à la foi et à la fidélité un maçon normand, Jean Barbeville, qui, après avoir professé la foi évangélique, l'avait reniée. Il fut merveilleusement changé, grâce à l'exemple et aux prières de ce saint jeune homme, et dès lors il n'eut qu'un désir, celui de glorifier Dieu par sa mort. En qualité de relaps, il ne pouvait échapper au bûcher.

Il tint tête à ses juges ecclésiastiques avec une vigueur et une verdeur de propos remarquables. L'un d'eux lui ayant dit qu'il n'était qu'une « pauvre bête » et ne devait pas se mêler d'interpréter les Écritures, Barbeville répondit : « Bien ! prenez le cas que je ne suis qu'une bête et un âne, mais n'avez-vous jamais lu que Dieu ouvrit la bouche de l'ânesse du prophète Balaam pour la faire parler contre lui, pour autant que, la chargeant de coups, il voulait prophétiser mensonge contre les enfants de Dieu ? Si Dieu a ouvert la bouche d'une bête, êtes-vous ébahi maintenant s'il ouvre la mienne pour me faire parler contre les faussetés et mensonges que vous semez entre le peuple de Dieu ? »

L'inquisiteur, Bénédicti, l'ayant déclaré hérétique, il fut envoyé devant la Grand'Chambre du Parlement de Paris, qui le condamna au feu. « On n'eût su voir, » dit Chandieu, « homme moins étonné de la mort qu'il était, et le zèle de Dieu s'accroissait en lui à vue d'oeil, tellement qu'il n'avait la bouche fermée. Ou il instruisait ceux qu'il rencontrait, ou étant seul, il ne cessait de chanter psaumes, en se réjouissant. » Revenu lui-même au bon Berger, il lui amena une pauvre brebis perdue, un misérable voleur, qui apprit de lui le secret de mourir en paix.

Il fut conduit bâillonné sur la place de Grève. On devait l'étrangler avant de le brûler, « mais la fureur du peuple ne voulut souffrir que la peine fut ainsi modérée. Et de peur qu'on n'aperçût sa constance en son visage, on dressa des fagots contre lui jusques au-dessus de sa tête. Mais la corde qui tenait ses mains serrées s'étant rompue, il commença à dresser ses mains jointes au ciel, ce qui étonna toute la troupe de ces bourreaux. Ainsi doucement, et sans grands signes de douleur, combien que la cruauté fût extrême, il rendit son âme à Dieu. »

Ce fut en mars 1559 que fut exécuté Barbeville. Quelques jours après lui, un vigneron , Pierre Chepet (5), était brûlé à la place Maubert, avec des raffinements odieux de cruauté. Ces deux exécutions étaient l'oeuvre de la Grand'Chambre du Parlement, composée des membres les plus fanatiques de ce corps. L'autre Chambre, qui comptait une majorité d'hommes plus modérés, penchait vers la tolérance et s'était bornée à bannir du royaume quatre luthériens traduits devant elle. Cette indulgence irrita les conseillers du roi et amena la fameuse Mercuriale du 10 juin, bientôt suivie du procès d'Anne du Bourg. Henri II, qui le fit arrêter, mourut d'ailleurs avant lui.

Mais ces événements méritent une étude plus détaillée, que nous allons leur consacrer.



LE PALAIS DE JUSTICE DE PARIS AU SEIZIÈME SIÈCLE


(1) Crespin, t. II, p 590.

(2) Crespin, t. II, p. 605.

(3) Voir plus haut p. 26, un extrait de la confession de ce jeune confesseur.

(4) Crespin, t. II, p. 641.

(5) Crespin, t. II, p. 646. Voyez plus loin notre étude sur la Bible livre des martyrs.
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