Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES MARTYRS SOUS HENRI Il

suite

LES CINQ DE CHAMBÉRY

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 (1).  L'année suivante (1555), la ville de Chambéry, qui était alors à la France, vit périr sur le bûcher cinq messagers de l'Évangile, sortis de Genève pour visiter les vallées vaudoises, alors soumises aussi à la domination française. Trois étaient ministres de l'Évangile, Jean Vernou, de Poitiers ; Antoine Laborie, de Cajarc en Quercy, et Jean Trigalet, de Nîmes. Deux de leurs amis, Guiraud Tauran, de Cahors, et un jeune écolier gascon, Bertrand Bataille, les accompagnaient, dans la pensée de revenir sur leurs pas, au bout de peu de temps ; mais, dit Crespin, « ils leur firent compagnie jusqu'à la mort. » Dénoncés par un espion, ils furent arrêtés entre Annecy et Albertville, et menés enchaînés à Chambéry. Leur histoire, à partir de ce moment, reproduit presque celle des cinq étudiants sortis de Lausanne et arrêtés à Lyon deux ans auparavant : même courageuse confession de l'Évangile, mêmes encouragements donnés par Calvin à ces vaillants confesseurs qui étaient naguère ses élèves, mêmes touchantes épîtres adressées par eux à leurs parents et à leurs amis, et finalement même intrépidité en face de la mort (2). Le 12 octobre 1555, après quatre mois d'emprisonnement, ils apprirent qu'ils allaient être conduits au supplice. Alors, « tous d'une voix, ils remercièrent Dieu de l'honneur qu'il leur faisait. » L'un d'eux, cependant, Jean Vernou, fut ému et trembla en face de la mort qui approchait. À ses amis, qui s'étonnaient de cette défaillance de l'homme qui était leur aîné, il dit : « Mes amis, je sens en moi la plus grosse guerre qu'il est possible à l'homme de soutenir ; toutefois, l'esprit vaincra cette chair maudite, et je m'assure que ce bon Dieu ne me laissera point. Je vous prie, mes frères, que vous ne vous scandalisiez pas en moi : je ne défaudrai point, car ce bon Dieu nous a promis de nous assister en nos afflictions. »

Le Seigneur, en effet, fortifia merveilleusement son serviteur et le délivra de toute crainte. Appelé à monter le premier sur l'immense bûcher qui s'élevait près du Pont-Rouge, il se mit à genoux et prononça avec ferveur la confession des péchés, depuis peu introduite dans le culte réformé : « Seigneur Dieu et Père tout-puissant, je connais sans feintise, devant ta sainte majesté, que je suis un pauvre pécheur, etc. » Puis il confessa sa foi devant tous les assistants, recommanda son esprit à Dieu et « endura avec constance les douleurs de la mort. »

Antoine Laborie se présenta ensuite à la mort, « avec une face joyeuse, comme s'il eût été convié à un banquet. » Le bourreau, qui devait l'étrangler avant de jeter son corps dans le bûcher, paraissait interdit par la façon dont ces hommes allaient à la mort, et, au moment de mettre la main sur lui, il lui demanda pardon. Laborie lui répondit : « Mon ami, tu ne m'offenses point, mais par ton ministère je suis délivré d'une merveilleuse prison. » Ayant dit cela, il le baisa. Plusieurs des assistants, émus de pitié, pleuraient. Le martyr dit à son tour la confession des péchés et confessa sa foi, puis il rendit l'esprit avec une admirable constance.

Jean Trigalet, avant de mourir, pria pour ses ennemis, puis il ajouta : « O mon Dieu, je te vois déjà en esprit là-haut en ton trône, et je vois les cieux ouverts, comme tu les fis voir à ton serviteur Étienne. »

Bertrand Bataille déclara devant tous qu'ils n'étaient pas là pour avoir dérobé ou tué, mais parce qu'ils soutenaient « la querelle de Dieu. » Et, après avoir prié, Il fut mis à mort.

Le plus jeune des cinq, Guiraud Tauran, fut appelé le dernier à la mort, et il fut digne de ses frères. Comme eux, il confessa sa foi devant tous, et, après avoir récité des fragments des psaumes, il se mit à prier « de grande ardeur et de voix ferme, » et ainsi remit son âme à Dieu.




PHILIBERT HAMELIN
(3).

En 1557, un autre Français, qui s'était préparé au ministère, à Genève, sous les soins de Calvin, termina sa vie par le martyre, après avoir exercé un fécond apostolat en Saintonge. Comme un grand nombre des premiers missionnaires évangéliques, Philibert Hamelin avait été prêtre. Amené à l'Évangile à Saintes, il dut fuir à Genève pour échapper à la mort.

Bernard Palissy, qui fut son disciple et son ami, nous apprend même qu'il fut mis en prison en 1546, et que, par peur du bûcher, il se laissa aller à « dissimuler en sa confession. » Il établit à Genève une imprimerie, d'où sortirent un assez grand nombre d'ouvrages religieux, et notamment une édition de l'Institution de Calvin. Mais la tranquillité dont il jouissait dans cette ville de refuge ne pouvait le satisfaire ; il aspirait à réparer sa faute, en portant l'Évangile aux lieux où, après l'avoir connu, il l'avait renié. D'imprimeur, il devint donc missionnaire. Il fit de fréquents voyages en France, répandant sur son chemin la bonne parole évangélique. « Allant par le pays, » dit Crespin, « il épiait souvent l'heure où les gens des champs prenaient leur réfection, comme ils ont de coutume, au pied d'un arbre ou à l'ombre d'une haie. Et là, feignant se reposer auprès d'eux, il prenait occasion, par petits moyens et faciles, de les instruire à craindre Dieu, à le prier avant et après leur réfection, d'autant que c'était lui qui leur donnait toutes choses pour l'amour de son Fils Jésus-Christ. Et sur cela, il demandait aux pauvres paysans s'ils ne voulaient pas bien qu'il priât Dieu pour eux. Les uns y prenaient grand plaisir et en étaient édifiés ; les autres étonnés, oyant choses non accoutumées ; quelques-uns lui couraient sus, parce qu'il leur montrait qu'ils étaient en voie de damnation, s'ils ne croyaient à l'Évangile. En recevant leurs malédictions et outrages, il avait souvent cette remontrance en la bouche : « Mes amis, vous ne savez maintenant ce que vous faites, mais un jour vous le saurez, et je prie, Dieu de vous en faire la grâce (4). »

Mais ce fut surtout à Saintes et dans la presqu'île d'Arvert que Hamelin exerça son ministère. Il y avait là, depuis quelques années, de petites communautés évangéliques, auxquelles Calvin recommanda son ami comme un « homme craignant Dieu, » qui s'était conduit à Genève « saintement et sans répréhension, » ayant toujours « suivi bonne doctrine et saine (5). » À Saintes même, ce fut, au dire de Bernard Palissy, « par le bon exemple, conseil et doctrine de maître Philibert Hamelin, » que l'Eglise fut « dressée. »

Quelques artisans se réunirent chaque dimanche pour étudier ensemble la Parole de Dieu ; ils désignèrent six d'entre eux pour exhorter à tour de rôle, de sorte que le tour de chacun revenait toutes les six semaines. Il faut lire, dans Palissy, l'admirable tableau qu'il fait des humbles commencements de l'Eglise de Saintes et des travaux apostoliques de Hamelin. « Il était si parfait en ses oeuvres, » dit-il, « que ses ennemis étaient contraints de confesser qu'il était d'une vie sainte (7). »

Les succès mêmes de son ministère le désignaient aux ennemis de la cause réformée. Il fut donc arrêté, mais la popularité dont il jouissait faisait de lui un prisonnier embarrassant il était tellement aimé au pays, » dit Crespin, « que ses juges craignaient d'en avoir fâcherie en leurs personnes et qu'ils cherchaient plutôt le moyen de le délivrer que de passer outre. » Ses amis essayèrent de le faire élargir. « Je pris la hardiesse, » dit Bernard Palissy, « d'aller remontrer à six des principaux juges et magistrats de cette ville de Saintes qu'ils avaient emprisonné un prophète, un ange de Dieu, envoyé pour annoncer sa parole et jugement de condamnation aux hommes sur le dernier temps, leur assurant qu'il y avait onze ans que je connaissais ledit Philibert Hamelin d'une si sainte vie, qu'il me semblait que les autres hommes étaient diables au regard de lui (8). » On tenta de le faire évader, et l'un de ses amis avait même obtenu du geôlier qu'il le laissât échapper, en échange d'une forte somme d'argent. Mais il s'y refusa absolument, tant parce qu'il ne voulait pas mettre le geôlier en peine, que parce qu'il considérait qu'il était peu convenable « à celui qui fait état d'annoncer aux autres la Parole de Dieu d'échapper et rompre les prisons par crainte du danger, au lieu de maintenir, même dans les flammes, la doctrine qu'il a annoncée. »

Il fut conduit à Bordeaux où, après avoir souffert toutes sortes de mauvais traitements, il fut condamné à mort. Avant d'aller au supplice, il mangea avec les autres prisonniers, qu'il édifia par sa joie et, par ses paroles pleines de foi et d'espérance. En sa qualité d'ancien prêtre, il fut conduit à l'église de Saint-André, où on le dégrada. On le ramena ensuite devant le palais, où devait avoir lieu son supplice. Afin d'empêcher qu'il ne fût entendu de la foule, les trompettes sonnèrent sans cesser ; toutefois on put voir, à sa contenance, qu'il priait. Après l'avoir étranglé, le bourreau jeta son corps sur un bûcher où il fut réduit en cendres.



 
LA
SURPRISE DE LA RUE SAINT-JACQUES (9).

L'affaire de la rue Saint-Jacques mérite d'être racontée. Trois à quatre cents protestants parisiens étaient réunis, le soir du 4 septembre 1557, pour la célébration de la sainte Cène, dans une maison située derrière la Sorbonne, en face du collège du Plessis. Des prêtres, appartenant à ce collège, avaient remarqué ce concours inusité d'étrangers et avaient deviné le motif de leur rassemblement. Ils ameutèrent la populace, après avoir fait provision de pierres pour lapider ceux qui sortiraient. Quand, vers minuit, les fidèles essayèrent de quitter le lieu de leur réunion, ils furent accueillis par d'effroyables vociférations et par une grêle de pierres. Toute retraite semblait impossible. Une foule fanatisée remplissait les rues voisines et avait allumé de grands feux pour que personne ne put échapper à la faveur des ténèbres. L'émotion était vive parmi les protestants. Après avoir supplié Dieu de leur venir en aide, les plus hardis se décidèrent à se frayer un chemin par la force. Les gentilshommes mirent l'épée à la main et marchèrent en tête ; les autres suivirent. Ils avancèrent vers la populace, qui s'ouvrit pour les laisser passer, tout en les accablant d'injures et de coups. Un seul tomba sur le pavé ; il fut foulé aux pieds et tellement mutilé qu'il n'offrait plus de forme humaine.

Ceux qui restaient dans la maison étaient, pour la plupart, des femmes et des enfants. À la pointe du jour ils tentèrent de sortir, mais furent refoulés à l'intérieur. Les portes, qui avaient résisté jusqu'à ce moment, allaient céder sous la pression des assaillants, et les assiégés, à genoux, se préparaient à mourir, lorsqu'enfin le lieutenant civil arriva avec une troupe de sergents. Il fit d'abord sortir les hommes, liés deux à deux, et ils défilèrent sous les insultes du peuple. Puis ce fut le tour des femmes, que les sergents ne réussirent pas à préserver des mauvais traitements ; leurs vêtements furent mis en pièces, leurs cheveux arrachés et leurs visages souillés de fange et d'ordure. Cent ou cent vingt protestants furent ce jour-là incarcérés au Châtelet. Pour leur faire place, on dut faire sortir des voleurs et des brigands. Entassés dans le même lieu, ces chrétiens persécutés s'encourageaient par de pieuses exhortations. « De tous côtés, » dit Antoine de Chandieu, qui était alors l'un des pasteurs de Paris, « de tous côtés, psaumes se chantaient et retentissait tout le Châtelet des louanges de Dieu, suffisant témoignage d'une singulière assurance qu'ils portaient en leur coeur de leur innocence (10). »

Il ne fut pas question de châtier les auteurs de cette agression : ils étaient du côté de la bonne cause ; mais on voulut faire un exemple de ces protestants assez audacieux pour célébrer leur culte à deux pas de la Sorbonne. On répandit contre eux les accusations les plus calomnieuses, jusqu'à prétendre que leurs assemblées étaient le théâtre d'infâmes débauches. Les calomnies, propagées au moyen de pamphlets, les uns anonymes, les autres signés par des prêtres (notamment par Cénalis, évêque d'Avranches, et de Mouchi, docteur de Sorbonne), furent réfutées avec une éloquente indignation par l'un des pasteurs de Paris, Antoine de Chandieu, dans une Remontrance au roi, que l'on réussit à faire arriver dans la chambre de Henri II, et dans une Apologie ou défense des bons Chrétiens, qui fut imprimée et répandue. Mais ce fut en vain que le pasteur réclama pour ses ouailles infortunées une enquête équitable et une justice impartiale. Ni le roi, ni Ses conseillers, ni les prêtres, ni le peuple n'étaient disposés à faire taire leurs préventions.




NICOLAS CLINET, TAURIN GRAVELLE, PHILIPPE DE LUNS
(11).

La plupart des personnes arrêtées dans l'affaire de la rue Saint-Jacques languirent longtemps dans les cachots et plusieurs y périrent. Sept montèrent sur le bûcher. Le premier fut Nicolas Clinet, vieillard de soixante ans, qui était maître d'école à Paris et surveillant ou ancien de l'Eglise de cette ville. Le second, Taurin Gravelle, était avocat au Parlement de Paris, et également l'un des anciens de l'Eglise. C'était dans la maison de l'un de ses parents que l'assemblée avait été surprise. En même temps qu'eux fut conduite au supplice la dame de Graveron, Philippe de Luns, âgée seulement de vingt-trois ans, veuve depuis peu d'un ancien de l'Eglise. Cette jeune femme, dit Chandieu, « se montrant si admirable en sainteté de vie, était en exemple à un chacun. Sa maison était toujours ouverte à l'assemblée du Seigneur... Étant demeurée veuve, elle ne laissa pas de continuer à servir Dieu, si bien qu'elle fut prise en cette assemblée avec les autres. Elle eut de durs assauts en la prison et par les Sorbonistes, mais elle demeura victorieuse. Sa réponse ordinaire était : qu'elle avait appris de la Parole de Dieu la foi qu'elle confessait et voulait vivre et mourir en icelle (12). » On eût peut-être hésité à envoyer à la mort cette jeune femme, mais sa fortune avait excité la convoitise du marquis de Trans, gendre du garde des sceaux, Bertrandi, qui obtint à son profit la confiscation des biens de la dame de Graveron.


PLACE MAUBERT À PARIS

Ce fut le 27 septembre 1558, sur la place Maubert, qu'eut lieu l'exécution. Les trois condamnés, après avoir enduré la question, et résisté aux assauts des prêtres, furent mis chacun sur un tombereau et menés au supplice. Un conseiller de la cour pressa la dame de Graveron de prendre entre ses mains une croix de bois, en lui disant que l'Évangile commandait à chacun de porter sa croix : « Messieurs, » répondit-elle, « vous me faites bien porter ma croix, en m'ayant injustement condamnée et en m'envoyant à la mort pour la querelle de notre Seigneur Jésus-Christ, lequel n'a pas voulu parler de cette croix que vous dites. »

L'arrêt de la Cour portait que les condamnés auraient la langue coupée, s'ils refusaient de se convertir. Ils se soumirent sans résistance à cette aggravation de supplice. Requise par le bourreau de donner sa langue, Philippe de Luns dit joyeusement : « Puisque je ne plains pas mon corps, plaindrai-je ma langue ? Non, non ! » Elle avait voulu, pour aller à la mort, quitter ses vêtements de deuil et avait revêtu, dit Chandieu, « son chaperon de velours et autres accoutrements de fête, » afin de bien montrer à la foule que la mort était la bienvenue pour elle. Clinet et Gravelle furent brûlés vifs, et leurs regards tournés vers le ciel témoignèrent jusqu'au bout de la fermeté de leur foi et de la sérénité de leur âme. Quant à la dame de Graveron, elle fut étranglée, « après avoir été flamboyée aux pieds et au visage. »

Cette triple exécution montra, comme le fait remarquer Chandieu, que la grâce de Dieu peut également triompher de « l'inconstance de la jeunesse, trop désireuse des plaisirs de ce monde, de la débilité de la vieillesse et de l'infirmité d'une femme délicate. »



 
NICOLAS LE CÈNE ET PIERRE

bourg Saint-Germain, deux autres exécutions eurent lieu, celles du médecin Nicolas Le Cène et de Pierre Gabart, homme de loi. La canaille parisienne arracha des mains du bourreau les condamnés et procéda elle-même à leur exécution, avec tous les raffinements de la barbarie, « tellement, » dit Chandieu, « que ce fut la mort la plus cruelle du monde, car ils furent longuement tenus en l'air à petit feu et avaient les parties basses toutes brûlées, que le haut n'était point encore offensé. Toutefois ils ne laissèrent point, la vue tournée vers le ciel, de montrer témoignages infinis de leur foi et constance. »



 
FRANÇOIS
RÉBÉZIÈS ET FRÉDÉRIC DANVILLE (14).

La mort des deux dernières victimes de l'affaire de la rue Saint-Jacques mérite d'être racontée avec quelques détails. C'étaient deux étudiants, François Rébéziès et Frédéric Danville. « Ne crains-tu pas d'être brûlé, » demanda au premier le président de Saint-André, « comme les principaux de ta compagnie l'ont été ces jours passés à la place Maubert, et ne crains-tu pas de mettre tes parents en déshonneur à tout jamais ? » Rébéziès répondit « Il est tout certain que tous ceux qui voudront vivre en Jésus-Christ souffriront persécution et que, quant à moi, je me préparais au gibet, ou à quelque autre tourment, en voulant soutenir sa querelle, mais tout cela, et mort et vie, m'est un gain au Seigneur. Quant au déshonneur de mes parents, le Seigneur nous a dit que quiconque aime son père ou sa mère plus que lui n'est pas digne de lui. » Le président tout étonné s'écria : « Jésus Maria ! que veut dire aujourd'hui cette jeunesse qu'ainsi elle veuille se faire brûler à crédit ! » On voulut les obliger à dénoncer leurs coreligionnaires, et la Cour du Châtelet, qui les jugeait, ordonna qu'ils fussent soumis à la question.
« Bien, Messieurs, » répondit Rébéziès, « je suis tout prêt à endurer tous tourments pour mon Dieu. »

On lui appliqua d'abord la question par l'eau. Il fut étendu, les pieds et les mains liés, par des cordes fixées à des anneaux de fer. Avant de donner le signal à l'exécuteur, le conseiller dit à Rébéziès : « Fais le signe de la croix, et recommande-toi à la vierge Marie. » - « Jamais ! » répondit l'adolescent, « je ne me recommande à aucun autre qu'à mon Dieu ; il est suffisant pour me garantir et me délivrer de la gueule des lions. » Sur un signe du juge, les cordes furent tendues autour des poulies, et le corps suspendu en l'air par les quatre membres.
« Viens, Seigneur, » priait le martyr, « montre ton effort, et que l'homme ne soit pas le plus fort ! » On lui renversa la tête, et le bourreau lui versa lentement un seau d'eau dans la gorge. Ce genre de torture amenait chez le patient des nausées et une demi-suffocation intolérables. Rébéziès ne fléchit pourtant pas. « Ne veux-tu rien dire ? » lui demandèrent alors les juges. - « Je ne puis vous dire autre chose que ce que je vous ai dit, » répondit-il.

« Qu'on le lâche, » cria le juge, « et qu'on l'approche du feu. » - C'était la question par le feu succédant à la question par l'eau ; mais pas plus le feu que l'eau n'amollit le jeune confesseur de Christ, qui se borna à dire à ses tourmenteurs « Est-ce ainsi que vous traitez les enfants de Dieu »

Danville, quoique affaibli par la maladie, supporta les mêmes tortures avec la même intrépidité. « Le Seigneur nous a soutenus, » écrivait Rébéziès, « comme il nous a promis qu'il ne nous donnera point chose que nous ne puissions soutenir. »

Ramenés en prison, « ils ne cessaient de louer Dieu de son assistance. » Danville toutefois gémissait. Les autres prisonniers lui ayant demandé s'il souffrait beaucoup, il leur dit : « Ce n'est pas pour le mal que j'endure que je gémis, mais pour le mal que vous aurez à endurer aussi bien que nous. Toutefois, soyez forts et ne soyez pas épouvantés, vous assurant de l'aide de ce bon Dieu, qui nous a secourus comme vous voyez. » Quant à Rébéziès, il était, dit Crespin, tout rompu de la torture, et en avait une épaule beaucoup plus élevée que l'autre et le col tout tors, et ne pouvait remuer. Toutefois il pria ses frères de le mettre sur un lit, et il acheva d'écrire sa confession (15). La nuit étant venue, ils se réjouissaient tous deux ensemble et se consolaient l'un l'autre par la méditation de la vie céleste et du mépris de ce monde, chantant psaumes jusques au point du jour.

« Le jour venu, ils furent mandés pour aller devant les juges, et s'attendant à recevoir sentence de mort, ils embrassèrent leurs frères, les exhortant, à se préparer au combat. Toutefois ils n'eurent point encore sentence. Seulement on leur demanda s'ils ne voulaient point déclarer leurs complices. Ils répondirent que non. On leur demanda encore s'ils voulaient demeurer opiniâtres en leurs erreurs. - « Nous n'avons point, » dirent-ils, "soutenus d'erreurs, mais seulement la pure vérité de Dieu, et, par la grâce de Dieu, nous demeurerons fermes en icelle jusqu'à la mort. »

« Sur les onze heures, ils furent tirés du cachot et menés à la chapelle, louant Dieu d'un coeur joyeux. Là ils eurent sentence d'être menés en des tombereaux à la place Maubert, embaillonnés et être attachés chacun à son poteau, et, après qu'on les aurait étranglés, être mis en cendre. Incontinent on leur présenta des croix, mais ils les refusèrent, disant qu'ils avaient la croix de Jésus-Christ empreinte en leurs coeurs. Rébéziès criait à son compagnon :
« Mon frère, garde-toi de ces séducteurs. » En attendant qu'on les emmenât, ils ne cessèrent de chanter psaumes et louanges à Dieu, jusqu'à ce que les docteurs vinrent interrompre leur chant. L'un était de Mouchi (16), l'autre Maillard. »

Ils eurent encore à subir les efforts de ces deux docteurs, pour les amener à abjurer leur foi. Puis on les emmena à la place Maubert, après les avoir bâillonnés. « Quand ils furent arrivés au lieu du supplice, un prêtre présenta une croix de bois à Frédéric Danville ; mais se retournant, il lui dît qu'il la portait en son coeur. » Puis le prêtre lui dit : « Ne voulez-vous point croire en la vierge Marie ? » Il répondit assez intelligiblement et dit par trois fois : « Règne un seul Dieu ! » Lors ceux qui étaient plus près de lui criaient que c'était un luthérien méchant, il répondit : « Je suis chrétien. » Attachés chacun à un poteau vis-à-vis l'un de l'autre, ils s'encourageaient du regard et de la voix, autant que le leur permettait le bâillon qu'on leur avait mis pour les empêcher de parler au peuple. « Combattons, mon frère, combattons ! » se disaient-ils l'un à l'autre. « Seigneur, assiste-nous aujourd'hui, » priaient-ils, « afin que nous ayons jouissance de la vie, éternelle. » « Incontinent après, » dit Chandieu, « ils rendirent leurs esprits au Seigneur doucement, comme s'ils n'eussent aucunement enduré. »

Ces exécutions montraient assez le sort qui attendait les autres prisonniers de la rue Saint-Jacques. Douze ou treize allaient être jugés, lorsque la Cour reçut du roi l'ordre d'arrêter les poursuites. Les intérêts de la politique de Henri Il le portaient alors à ménager les princes protestants d'Allemagne, dont il recherchait l'alliance, et qui lui demandèrent la grâce des prisonniers. On en élargit donc un certain nombre, en se contentant d'exiger d'eux quelque promesse ambiguë. On voit, par les lettres de Calvin, qu'en janvier 1558, il y avait encore trente prisonniers dans les cachots de Paris. En février 1559, il écrivait de nouveau à quelques-unes des victimes de la rue Saint-Jacques qui étaient encore en captivité. Il recueillait pour eux des aumônes et leur promettait des secours, « quand je devrais, » disait-il, « y engager tête et pieds. » 


(1) Crespin, t. II, p. 201. 

(2) La notice consacrée par Crespin aux cinq martyrs de Chambéry n'occupe pas moins de quarante-cinq pages de l'édition de Toulouse (t. II p. 201-245). Nous y renvoyons pour les détails, comme aussi à la Notice que M. Jules Bonnet a consacrée à ces martyrs dans le Bulletin de l'histoire du protestantisme français, 1879, p. 434, et qu'il a reproduite dans les Récits du XVIe siècle, 2e série, p. 39.

(3) Crespin, t. II, p. 468.

(4) Crespin, t. Il, p. 468.

(5) Cette lettre adressée aux fidèles « dispersés en aucunes isles de France, » est du 12 octobre 1553. Voyez Calvini Opera, t. XIV, p. 637 ; Lettres françaises, t. I, p. 407.

(7) Oeuvres de Bernard Palissy, édit. A. France (1880). p. 114.

(8) Oeuvres de Palissy, p. 134.

(9) Crespin, t. II, p. 542.

(10) A. de La Roche-Chandieu, Histoire des persécutions et martyrs de l'Eglise de Paris Lyon, 1563. Reproduite presque en entier dans l'Histoire des Martyrs de Crespin. 

(11) Crespin, t. II, p. 563-565.

(12) Crespin, t. II, p. 565.

(13) Crespin, t. II, p. 568. 

(14
). Ibid., t. III, p. 571.

(15) il s'agit d'une relation de leurs interrogatoires et de leurs souffrances, conservée par Crespin, t. II, p. 574.

(16) Antoine de Mouchi, dit Démocharés, docteur de Sorbonne, auteur d'un pamphlet contre les protestants. Voy. Crespin, t. Il, p. 558, notes.
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