(1). L'année
suivante
(1555), la ville de
Chambéry, qui était alors à la
France, vit périr sur le bûcher cinq
messagers de l'Évangile, sortis de
Genève pour visiter les vallées
vaudoises, alors soumises aussi à la
domination française. Trois étaient
ministres de l'Évangile, Jean Vernou,
de Poitiers ; Antoine Laborie, de
Cajarc en Quercy, et Jean Trigalet, de
Nîmes. Deux de leurs amis, Guiraud
Tauran, de Cahors, et un jeune écolier
gascon, Bertrand Bataille, les
accompagnaient, dans la pensée de revenir
sur leurs pas, au bout de peu de temps ; mais,
dit Crespin, « ils leur firent compagnie
jusqu'à la mort. »
Dénoncés par un espion, ils furent
arrêtés entre Annecy et Albertville,
et menés enchaînés à
Chambéry. Leur histoire, à partir de
ce moment, reproduit presque celle des cinq
étudiants sortis de Lausanne et
arrêtés à Lyon deux ans
auparavant : même courageuse confession
de l'Évangile, mêmes encouragements
donnés par Calvin à ces vaillants
confesseurs qui étaient naguère ses
élèves, mêmes touchantes
épîtres adressées par eux
à leurs parents et à leurs amis, et finalement
même
intrépidité en face de la mort
(2). Le
12
octobre 1555, après quatre mois
d'emprisonnement, ils apprirent qu'ils allaient
être conduits au supplice. Alors,
« tous d'une voix, ils
remercièrent Dieu de l'honneur qu'il leur
faisait. » L'un d'eux, cependant, Jean
Vernou, fut ému et trembla en face de la
mort qui approchait. À ses amis, qui
s'étonnaient de cette défaillance de
l'homme qui était leur aîné, il
dit : « Mes amis, je sens en moi la
plus grosse guerre qu'il est possible à
l'homme de soutenir ; toutefois, l'esprit
vaincra cette chair maudite, et je m'assure que ce
bon Dieu ne me laissera point. Je vous prie, mes
frères, que vous ne vous scandalisiez pas en
moi : je ne défaudrai point, car ce bon
Dieu nous a promis de nous assister en nos
afflictions. »
Le Seigneur, en effet, fortifia
merveilleusement son serviteur et le délivra
de toute crainte. Appelé à monter le
premier sur l'immense bûcher qui
s'élevait près du Pont-Rouge, il se
mit à genoux et prononça avec ferveur
la confession des péchés, depuis peu
introduite dans le culte
réformé :
« Seigneur Dieu et Père
tout-puissant, je connais sans feintise, devant ta
sainte majesté, que je suis un pauvre
pécheur, etc. » Puis il
confessa sa foi devant tous les assistants, recommanda
son esprit à
Dieu et « endura avec constance les
douleurs de la mort. »
Antoine Laborie se présenta ensuite
à la mort, « avec une face
joyeuse, comme s'il eût été
convié à un banquet. » Le
bourreau, qui devait l'étrangler avant de
jeter son corps dans le bûcher, paraissait
interdit par la façon dont ces hommes
allaient à la mort, et, au moment de mettre
la main sur lui, il lui demanda pardon. Laborie lui
répondit : « Mon ami, tu ne
m'offenses point, mais par ton ministère je
suis délivré d'une merveilleuse
prison. » Ayant dit cela, il le baisa.
Plusieurs des assistants, émus de
pitié, pleuraient. Le martyr dit à
son tour la confession des péchés et
confessa sa foi, puis il rendit l'esprit avec une
admirable constance.
Jean Trigalet, avant de mourir, pria pour
ses ennemis, puis il ajouta : « O
mon Dieu, je te vois déjà en esprit
là-haut en ton trône, et je vois les
cieux ouverts, comme tu les fis voir à ton
serviteur Étienne. »
Bertrand Bataille déclara devant tous
qu'ils n'étaient pas là pour avoir
dérobé ou tué, mais parce
qu'ils soutenaient « la querelle de
Dieu. » Et, après avoir
prié, Il fut mis à mort.
Le plus jeune des cinq, Guiraud Tauran, fut
appelé le dernier à la mort, et il
fut digne de ses frères. Comme eux, il
confessa sa foi devant tous, et, après avoir
récité des fragments des psaumes, il
se mit à prier « de grande ardeur
et de voix ferme, » et ainsi remit son
âme à Dieu.
En 1557, un autre Français, qui
s'était préparé au
ministère, à Genève, sous les
soins de Calvin, termina sa vie par le martyre,
après avoir exercé un fécond
apostolat en Saintonge. Comme un grand nombre des
premiers missionnaires évangéliques, Philibert Hamelin avait
été
prêtre. Amené à
l'Évangile à Saintes, il dut fuir
à Genève pour échapper
à la mort.
Bernard Palissy, qui fut son disciple et son
ami, nous apprend même qu'il fut mis en
prison en 1546, et que, par peur du bûcher,
il se laissa aller à « dissimuler
en sa confession. » Il établit
à Genève une imprimerie, d'où
sortirent un assez grand nombre d'ouvrages
religieux, et notamment une édition de l'Institution de
Calvin. Mais la
tranquillité dont il jouissait dans cette
ville de refuge ne pouvait le satisfaire ; il
aspirait à réparer sa faute, en
portant l'Évangile aux lieux où,
après l'avoir connu, il l'avait
renié. D'imprimeur, il devint donc
missionnaire. Il fit de fréquents voyages en
France, répandant sur son chemin la bonne
parole évangélique.
« Allant par le pays, » dit
Crespin, « il épiait souvent
l'heure où les gens des champs prenaient
leur réfection, comme ils ont de coutume, au
pied d'un arbre ou à l'ombre d'une haie. Et
là, feignant se reposer auprès d'eux, il prenait
occasion, par
petits
moyens et faciles, de les instruire à
craindre Dieu, à le prier avant et
après leur réfection, d'autant que
c'était lui qui leur donnait toutes choses
pour l'amour de son Fils Jésus-Christ. Et
sur cela, il demandait aux pauvres paysans s'ils ne
voulaient pas bien qu'il priât Dieu pour eux.
Les uns y prenaient grand plaisir et en
étaient édifiés ; les
autres étonnés, oyant choses non
accoutumées ; quelques-uns lui
couraient sus, parce qu'il leur montrait qu'ils
étaient en voie de damnation, s'ils ne
croyaient à l'Évangile. En recevant
leurs malédictions et outrages, il avait
souvent cette remontrance en la bouche :
« Mes amis, vous ne savez maintenant ce
que vous faites, mais un jour vous le saurez, et je
prie, Dieu de vous en faire la grâce
(4). »
Mais ce fut surtout à Saintes et dans
la presqu'île d'Arvert que Hamelin
exerça son ministère. Il y avait
là, depuis quelques années, de
petites communautés
évangéliques, auxquelles Calvin
recommanda son ami comme un « homme
craignant Dieu, » qui s'était
conduit à Genève
« saintement et sans
répréhension, » ayant
toujours « suivi bonne doctrine et saine
(5). » À Saintes même, ce
fut, au dire de Bernard Palissy, « par le
bon exemple, conseil et doctrine de maître
Philibert Hamelin, » que l'Eglise fut
« dressée. »
Quelques artisans se réunirent chaque
dimanche pour étudier ensemble la Parole de
Dieu ; ils désignèrent six
d'entre eux pour exhorter à tour de
rôle, de sorte que le tour de chacun revenait
toutes les six semaines. Il faut lire, dans
Palissy, l'admirable tableau qu'il fait des humbles
commencements de l'Eglise de Saintes et des travaux
apostoliques de Hamelin. « Il
était si parfait en ses oeuvres, »
dit-il, « que ses ennemis étaient
contraints de confesser qu'il était d'une
vie sainte
(7). »
Les succès mêmes de son
ministère le désignaient aux ennemis
de la cause réformée. Il fut donc
arrêté, mais la popularité dont
il jouissait faisait de lui un prisonnier
embarrassant il était tellement aimé
au pays, » dit Crespin, « que
ses juges craignaient d'en avoir fâcherie en
leurs personnes et qu'ils cherchaient plutôt
le moyen de le délivrer que de passer
outre. » Ses amis essayèrent de le
faire élargir. « Je pris la
hardiesse, » dit Bernard Palissy,
« d'aller remontrer à six des
principaux juges et magistrats de cette ville de
Saintes qu'ils avaient emprisonné un
prophète, un ange de Dieu, envoyé
pour annoncer sa parole et jugement de condamnation
aux hommes sur le dernier temps, leur assurant
qu'il y avait onze ans que je connaissais ledit
Philibert Hamelin d'une si sainte vie, qu'il me
semblait que les autres hommes étaient
diables au regard de lui
(8). » On tenta de le faire
évader, et l'un de
ses amis avait même obtenu du geôlier
qu'il le laissât échapper, en
échange d'une forte somme d'argent. Mais il
s'y refusa absolument, tant parce qu'il ne voulait
pas mettre le geôlier en peine, que parce
qu'il considérait qu'il était peu
convenable « à celui qui fait
état d'annoncer aux autres la Parole de Dieu
d'échapper et rompre les prisons par crainte
du danger, au lieu de maintenir, même dans
les flammes, la doctrine qu'il a
annoncée. »
Il fut conduit à Bordeaux où,
après avoir souffert toutes sortes de
mauvais traitements, il fut condamné
à mort. Avant d'aller au supplice, il mangea
avec les autres prisonniers, qu'il édifia
par sa joie et, par ses paroles pleines de foi et
d'espérance. En sa qualité d'ancien
prêtre, il fut conduit à
l'église de Saint-André, où on
le dégrada. On le ramena ensuite devant le
palais, où devait avoir lieu son supplice.
Afin d'empêcher qu'il ne fût entendu de
la foule, les trompettes sonnèrent sans
cesser ; toutefois on put voir, à sa
contenance, qu'il priait. Après l'avoir
étranglé, le bourreau jeta son corps
sur un bûcher où il fut réduit
en cendres.
L'affaire de la rue Saint-Jacques mérite
d'être racontée. Trois à quatre
cents protestants parisiens étaient réunis, le
soir du 4 septembre 1557, pour la
célébration de la sainte Cène,
dans une maison située derrière la
Sorbonne, en face du collège du Plessis. Des
prêtres, appartenant à ce
collège, avaient remarqué ce concours
inusité d'étrangers et avaient
deviné le motif de leur rassemblement. Ils
ameutèrent la populace, après avoir
fait provision de pierres pour lapider ceux qui
sortiraient. Quand, vers minuit, les fidèles
essayèrent de quitter le lieu de leur
réunion, ils furent accueillis par
d'effroyables vociférations et par une
grêle de pierres. Toute retraite semblait
impossible. Une foule fanatisée remplissait
les rues voisines et avait allumé de grands
feux pour que personne ne put échapper
à la faveur des ténèbres.
L'émotion était vive parmi les
protestants. Après avoir supplié Dieu
de leur venir en aide, les plus hardis se
décidèrent à se frayer un
chemin par la force. Les gentilshommes mirent
l'épée à la main et
marchèrent en tête ; les autres
suivirent. Ils avancèrent vers la populace,
qui s'ouvrit pour les laisser passer, tout en les
accablant d'injures et de coups. Un seul tomba sur
le pavé ; il fut foulé aux pieds
et tellement mutilé qu'il n'offrait plus de
forme humaine.
Ceux qui restaient dans la maison
étaient, pour la plupart, des femmes et des
enfants. À la pointe du jour ils
tentèrent de sortir, mais furent
refoulés à l'intérieur. Les
portes, qui avaient résisté
jusqu'à ce moment, allaient céder
sous la pression des assaillants, et les
assiégés, à genoux, se
préparaient à mourir, lorsqu'enfin le
lieutenant civil arriva avec une troupe de
sergents. Il fit d'abord sortir les hommes,
liés deux à deux, et ils
défilèrent sous les insultes du
peuple. Puis ce fut le tour des femmes, que les
sergents ne réussirent pas à
préserver des mauvais traitements ;
leurs vêtements furent mis en pièces,
leurs cheveux arrachés et leurs visages
souillés de fange et d'ordure. Cent ou cent
vingt protestants furent ce jour-là
incarcérés au Châtelet. Pour
leur faire place, on dut faire sortir des voleurs
et des brigands. Entassés dans le même
lieu, ces chrétiens persécutés
s'encourageaient par de pieuses exhortations.
« De tous côtés, »
dit Antoine de Chandieu, qui était alors
l'un des pasteurs de Paris, « de tous
côtés, psaumes se chantaient et
retentissait tout le Châtelet des louanges de
Dieu, suffisant témoignage d'une
singulière assurance qu'ils portaient en
leur coeur de leur innocence
(10). »
Il ne fut pas question de châtier les
auteurs de cette agression : ils
étaient du côté de la bonne
cause ; mais on voulut faire un exemple de ces
protestants assez audacieux pour
célébrer leur culte à deux pas
de la Sorbonne. On répandit contre eux les
accusations les plus calomnieuses, jusqu'à
prétendre que leurs assemblées
étaient le théâtre
d'infâmes débauches. Les calomnies,
propagées au moyen de pamphlets, les uns
anonymes, les
autres signés par des prêtres
(notamment par Cénalis, évêque
d'Avranches, et de Mouchi, docteur de Sorbonne),
furent réfutées avec une
éloquente indignation par l'un des pasteurs
de Paris, Antoine de Chandieu, dans une Remontrance au roi,
que l'on réussit
à faire arriver dans la chambre de Henri II,
et dans une Apologie ou défense des bons
Chrétiens, qui fut imprimée et
répandue. Mais ce fut en vain que le pasteur
réclama pour ses ouailles infortunées
une enquête équitable et une justice
impartiale. Ni le roi, ni Ses conseillers, ni les
prêtres, ni le peuple n'étaient
disposés à faire taire leurs
préventions.
La plupart des personnes arrêtées dans l'affaire de la rue Saint-Jacques languirent longtemps dans les cachots et plusieurs y périrent. Sept montèrent sur le bûcher. Le premier fut Nicolas Clinet, vieillard de soixante ans, qui était maître d'école à Paris et surveillant ou ancien de l'Eglise de cette ville. Le second, Taurin Gravelle, était avocat au Parlement de Paris, et également l'un des anciens de l'Eglise. C'était dans la maison de l'un de ses parents que l'assemblée avait été surprise. En même temps qu'eux fut conduite au supplice la dame de Graveron, Philippe de Luns, âgée seulement de vingt-trois ans, veuve depuis peu d'un ancien de l'Eglise. Cette jeune femme, dit Chandieu, « se montrant si admirable en sainteté de vie, était en exemple à un chacun. Sa maison était toujours ouverte à l'assemblée du Seigneur... Étant demeurée veuve, elle ne laissa pas de continuer à servir Dieu, si bien qu'elle fut prise en cette assemblée avec les autres. Elle eut de durs assauts en la prison et par les Sorbonistes, mais elle demeura victorieuse. Sa réponse ordinaire était : qu'elle avait appris de la Parole de Dieu la foi qu'elle confessait et voulait vivre et mourir en icelle (12). » On eût peut-être hésité à envoyer à la mort cette jeune femme, mais sa fortune avait excité la convoitise du marquis de Trans, gendre du garde des sceaux, Bertrandi, qui obtint à son profit la confiscation des biens de la dame de Graveron.
Ce fut le 27 septembre 1558, sur la place
Maubert, qu'eut lieu l'exécution. Les trois
condamnés, après avoir enduré
la question, et résisté aux assauts
des prêtres, furent mis chacun sur un
tombereau et menés au supplice. Un
conseiller de la cour pressa la dame de Graveron de
prendre entre ses mains une croix de bois, en lui
disant que l'Évangile commandait à
chacun de porter sa croix :
« Messieurs, »
répondit-elle, « vous me faites
bien porter ma croix, en m'ayant
injustement condamnée et en m'envoyant
à la mort pour la querelle de notre Seigneur
Jésus-Christ, lequel n'a pas voulu parler de
cette croix que vous dites. »
L'arrêt de la Cour portait que les
condamnés auraient la langue coupée,
s'ils refusaient de se convertir. Ils se soumirent
sans résistance à cette aggravation
de supplice. Requise par le bourreau de donner sa
langue, Philippe de Luns dit joyeusement :
« Puisque je ne plains pas mon corps,
plaindrai-je ma langue ? Non,
non ! » Elle avait voulu, pour aller
à la mort, quitter ses vêtements de
deuil et avait revêtu, dit Chandieu,
« son chaperon de velours et autres
accoutrements de fête, » afin de
bien montrer à la foule que la mort
était la bienvenue pour elle. Clinet et
Gravelle furent brûlés vifs, et leurs
regards tournés vers le ciel
témoignèrent jusqu'au bout de la
fermeté de leur foi et de la
sérénité de leur âme.
Quant à la dame de Graveron, elle fut
étranglée, « après
avoir été flamboyée aux pieds
et au visage. »
Cette triple exécution montra, comme
le fait remarquer Chandieu, que la grâce de
Dieu peut également triompher de
« l'inconstance de la jeunesse, trop
désireuse des plaisirs de ce monde, de la
débilité de la vieillesse et de
l'infirmité d'une femme
délicate. »
bourg Saint-Germain, deux autres exécutions eurent lieu, celles du médecin Nicolas Le Cène et de Pierre Gabart, homme de loi. La canaille parisienne arracha des mains du bourreau les condamnés et procéda elle-même à leur exécution, avec tous les raffinements de la barbarie, « tellement, » dit Chandieu, « que ce fut la mort la plus cruelle du monde, car ils furent longuement tenus en l'air à petit feu et avaient les parties basses toutes brûlées, que le haut n'était point encore offensé. Toutefois ils ne laissèrent point, la vue tournée vers le ciel, de montrer témoignages infinis de leur foi et constance. »
La mort des deux dernières victimes de
l'affaire de la rue Saint-Jacques mérite
d'être racontée avec quelques
détails. C'étaient deux
étudiants, François
Rébéziès et Frédéric Danville.
« Ne crains-tu pas d'être
brûlé, » demanda au premier
le président de Saint-André,
« comme les principaux de ta compagnie
l'ont été ces jours passés
à la place Maubert, et ne
crains-tu pas de mettre tes parents en
déshonneur à tout
jamais ? »
Rébéziès répondit
« Il est tout certain que tous ceux qui
voudront vivre en Jésus-Christ souffriront
persécution et que, quant à moi, je
me préparais au gibet, ou à quelque
autre tourment, en voulant soutenir sa querelle,
mais tout cela, et mort et vie, m'est un gain au
Seigneur. Quant au déshonneur de mes
parents, le Seigneur nous a dit que quiconque aime
son père ou sa mère plus que lui
n'est pas digne de lui. » Le
président tout étonné
s'écria : « Jésus
Maria ! que veut dire aujourd'hui cette
jeunesse qu'ainsi elle veuille se faire
brûler à
crédit ! » On voulut les
obliger à dénoncer leurs
coreligionnaires, et la Cour du Châtelet, qui
les jugeait, ordonna qu'ils fussent soumis à
la question.
« Bien, Messieurs, »
répondit Rébéziès,
« je suis tout prêt à
endurer tous tourments pour mon
Dieu. »
On lui appliqua d'abord la question par
l'eau. Il fut étendu, les pieds et les mains
liés, par des cordes fixées à
des anneaux de fer. Avant de donner le signal
à l'exécuteur, le conseiller dit
à Rébéziès :
« Fais le signe de la croix, et
recommande-toi à la vierge
Marie. » -
« Jamais ! »
répondit l'adolescent, « je ne me
recommande à aucun autre qu'à mon
Dieu ; il est suffisant pour me garantir et me
délivrer de la gueule des lions. »
Sur un signe du juge, les cordes furent tendues
autour des poulies, et le corps suspendu en l'air
par les quatre membres.
« Viens, Seigneur, »
priait le martyr, « montre ton effort, et que
l'homme ne
soit
pas le plus fort ! » On lui renversa
la tête, et le bourreau lui versa lentement
un seau d'eau dans la gorge. Ce genre de torture
amenait chez le patient des nausées et une
demi-suffocation intolérables.
Rébéziès ne fléchit
pourtant pas. « Ne veux-tu rien
dire ? » lui demandèrent
alors les juges. - « Je ne puis vous dire
autre chose que ce que je vous ai dit, »
répondit-il.
« Qu'on le
lâche, » cria le juge,
« et qu'on l'approche du feu. »
- C'était la question par le feu
succédant à la question par
l'eau ; mais pas plus le feu que l'eau
n'amollit le jeune confesseur de Christ, qui se
borna à dire à ses tourmenteurs
« Est-ce ainsi que vous traitez les
enfants de Dieu »
Danville, quoique affaibli par la maladie,
supporta les mêmes tortures avec la
même intrépidité.
« Le Seigneur nous a
soutenus, » écrivait
Rébéziès, « comme il
nous a promis qu'il ne nous donnera point chose que
nous ne puissions soutenir. »
Ramenés en prison, « ils ne
cessaient de louer Dieu de son
assistance. » Danville toutefois
gémissait. Les autres prisonniers lui ayant
demandé s'il souffrait beaucoup, il leur
dit : « Ce n'est pas pour le mal que
j'endure que je gémis, mais pour le mal que
vous aurez à endurer aussi bien que nous.
Toutefois, soyez forts et ne soyez pas
épouvantés, vous assurant de l'aide
de ce bon Dieu, qui nous a secourus comme vous
voyez. » Quant à
Rébéziès, il était, dit
Crespin, tout rompu de la torture, et en avait une
épaule beaucoup
plus élevée que l'autre et le col
tout tors, et ne pouvait remuer. Toutefois il pria
ses frères de le mettre sur un lit, et il
acheva d'écrire sa confession
(15). La
nuit
étant venue, ils se réjouissaient
tous deux ensemble et se consolaient l'un l'autre
par la méditation de la vie céleste
et du mépris de ce monde, chantant psaumes
jusques au point du jour.
« Le jour venu, ils furent
mandés pour aller devant les juges, et
s'attendant à recevoir sentence de mort, ils
embrassèrent leurs frères, les
exhortant, à se préparer au combat.
Toutefois ils n'eurent point encore sentence.
Seulement on leur demanda s'ils ne voulaient point
déclarer leurs complices. Ils
répondirent que non. On leur demanda encore
s'ils voulaient demeurer opiniâtres en leurs
erreurs. - « Nous n'avons
point, » dirent-ils, "soutenus d'erreurs,
mais seulement la pure vérité de
Dieu, et, par la grâce de Dieu, nous
demeurerons fermes en icelle jusqu'à la
mort. »
« Sur les onze heures, ils furent
tirés du cachot et menés à la
chapelle, louant Dieu d'un coeur joyeux. Là
ils eurent sentence d'être menés en
des tombereaux à la place Maubert,
embaillonnés et être attachés
chacun à son poteau, et, après qu'on
les aurait étranglés, être mis
en cendre. Incontinent on leur présenta des croix,
mais
ils les refusèrent, disant qu'ils avaient la
croix de Jésus-Christ empreinte en leurs
coeurs. Rébéziès criait
à son compagnon :
« Mon frère, garde-toi de
ces séducteurs. » En attendant
qu'on les emmenât, ils ne cessèrent de
chanter psaumes et louanges à Dieu,
jusqu'à ce que les docteurs vinrent
interrompre leur chant. L'un était de Mouchi
(16), l'autre
Maillard. »
Ils eurent encore à subir les efforts
de ces deux docteurs, pour les amener à
abjurer leur foi. Puis on les emmena à la
place Maubert, après les avoir
bâillonnés. « Quand ils
furent arrivés au lieu du supplice, un
prêtre présenta une croix de bois
à Frédéric Danville ;
mais se retournant, il lui dît qu'il la
portait en son coeur. » Puis le
prêtre lui dit : « Ne
voulez-vous point croire en la vierge
Marie ? » Il répondit assez
intelligiblement et dit par trois fois :
« Règne un seul
Dieu ! » Lors ceux qui
étaient plus près de lui criaient que
c'était un luthérien méchant,
il répondit : « Je suis
chrétien. » Attachés chacun
à un poteau vis-à-vis l'un de
l'autre, ils s'encourageaient du regard et de la
voix, autant que le leur permettait le
bâillon qu'on leur avait mis pour les
empêcher de parler au peuple.
« Combattons, mon frère,
combattons ! » se disaient-ils l'un
à l'autre. « Seigneur,
assiste-nous aujourd'hui, » priaient-ils,
« afin que nous ayons jouissance de la vie,
éternelle. »
« Incontinent après, »
dit Chandieu, « ils rendirent leurs
esprits au Seigneur doucement, comme s'ils
n'eussent aucunement
enduré. »
Ces exécutions montraient assez le
sort qui attendait les autres prisonniers de la rue
Saint-Jacques. Douze ou treize allaient être
jugés, lorsque la Cour reçut du roi
l'ordre d'arrêter les poursuites. Les
intérêts de la politique de Henri Il
le portaient alors à ménager les
princes protestants d'Allemagne, dont il
recherchait l'alliance, et qui lui
demandèrent la grâce des prisonniers.
On en élargit donc un certain nombre, en se
contentant d'exiger d'eux quelque promesse
ambiguë. On voit, par les lettres de Calvin,
qu'en janvier 1558, il y avait encore trente
prisonniers dans les cachots de Paris. En
février 1559, il écrivait de nouveau
à quelques-unes des victimes de la rue
Saint-Jacques qui étaient encore en
captivité. Il recueillait pour eux des
aumônes et leur promettait des secours,
« quand je devrais, »
disait-il, « y engager tête et
pieds. »
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