Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES MARTYRS SOUS HENRI Il




LA CHAMBRE ARDENTE.

L'avènement de Henri Il au trône amena une recrudescence de persécutions contre les protestants. Sous son règne de douze ans (1547-1559), les prisons ne cessèrent de s'emplir d'hérétiques et les bûchers ne chômèrent jamais de victimes. Ce roi, que l'un de ses favoris, le cardinal de Lorraine, dépeignait comme étant « de doux esprit, mais de peu de jugement, et du tout propre à se laisser mener par le bout du nez, » fut, en effet, gouverné par ses favoris, qui lui persuadèrent que les réformés étaient les ennemis de la monarchie et qu'il fallait, dès le commencement du règne, leur enlever tout espoir devoir s'améliorer leur situation.

À cet effet, le roi établit, par un arrêt en date du 8 octobre 1547, dans le Parlement de Paris, une Chambre destinée uniquement à faire le procès des hérétiques et qui envoya tant de victimes au bûcher que le peuple lui donna le nom sinistre de Chambre ardente. Une grande obscurité régnait jusqu'à ces derniers temps sur les origines et le fonctionnement de ce tribunal. Grâce aux découvertes d'un érudit protestant, M. N. Weiss (1), on sait maintenant que la création de la Chambre ardente date des premiers mois du nouveau règne et l'on possède le texte d'un grand nombre de ses arrêts. Dans les lettres d'institution de cette nouvelle Chambre, le roi constate l'impuissance des efforts de son prédécesseur pour débarrasser le royaume des hérétiques : « Combien que feu notre très honoré seigneur et père, que Dieu absolve, eût de tout son pouvoir résisté, par le moyen de sa justice, aux erreurs, sectes et doctrines contraires à notre sainte foi catholique, et eût fait faire, des sectateurs et hérétiques, plusieurs grandes punitions exemplaires ; néanmoins, lesdites erreurs et doctrines hérétiques pullulent autant ou plus que jamais en notre Royaume, à notre très grand regret et déplaisir. » En conséquence, il créa cette Chambre, dite « seconde Tournelle criminelle, » avec la mission de « voir et juger tous et chacun les procès d'hérésie et erreurs contre notre sainte foi catholique. »

La Chambre ardente siégea de décembre 1547 à janvier 1550, soit environ vingt-cinq mois. M. Weiss estime à plus de six cents le nombre des arrêts rendus contre des luthériens par cette Cour pendant cette première période. Quand le roi jugea à propos de la dissoudre, ce fut pour renvoyer les accusés, soit devant la Chambre ordinaire, soit devant les juges d'Eglise. Elle fut d'ailleurs rétablie en 1553.

La Chambre ardente prit au sérieux la tâche. que lui assignait le roi. Son premier président, Pierre Lizet, « devait sa réputation principalement à l'acharnement avec lequel il avait poursuivi l'extirpation de l'hérésie. On lui attribuait l'institution de ce tribunal exceptionnel, et les arrêts qu'il y signa contribuèrent, certainement à lui faire donner le surnom de Chambre ardente. Ils se distinguent, non seulement par une sévérité implacable, mais encore par le soin avec lequel ils entrent dans une foule de détails destinés à terroriser les victimes et ceux qui étaient tentés de les imiter (2). » Le premier soin de la Chambre fut de hâter le procès des luthériens qui étaient en prison, et d'envoyer au bûcher tous ceux qui se refusaient à abjurer. Elle délégua aussi quelques-uns de ses membres en province pour y rechercher les partisans des doctrines nouvelles. À Langres, en Champagne, où une petite Église s'était fondée par les soins d'un évangéliste surnommé Séraphin (et dont le vrai nom était Robert Lelièvre), des poursuites furent faites, qui se terminèrent par deux autodafés, l'un de quatre victimes à Paris et le second de huit victimes à Langres (3). « C'est une des surprises, » dit M. Weiss, « que nos textes réservent aux historiens, que le nombre d'ecclésiastiques, docteurs en théologie, prêtres, chanoines, et surtout religieux de tout ordre, qui y figurent comme accusés, prisonniers, condamnés ou fugitifs. On voit fort bien qu'à cette époque encore la Réforme sortait des entrailles de l'Eglise catholique (4). »

Le Martyrologe de Crespin ne fournit que peu de détails sur les exécutions des luthériens pendant les deux premières années du règne. Nous savons maintenant qu'elles furent très nombreuses ; malheureusement nous ne possédons guère que les noms des victimes, et souvent moins encore. « Pour quelques exécutions dont on retrouve la trace, combien y en a-t-il qui nous échappent ! Souvent, en effet, en l'absence de preuves suffisantes, la Cour condamnait les inculpés à la torture ordinaire ou extraordinaire, avec cette mention, « Et est retenu in mente curiae, que si ledit prisonnier confesse en ladite question lesdits cas dont il est chargé, il ne pourra révoquer sa confession et sera condamné au feu. » Ce retentum dispensait, en fait, le tribunal de prononcer un nouvel arrêt, de sorte qu'on ignore la destinée finale de beaucoup de ces pénitents envoyés au sinistre confessionnal de la Tour Bombec (5) ! »



L'ENTRÉE DE HENRI II DANS SA CAPITALE.

L'entrée solennelle de Henri Il à Paris, à la suite de son expédition en Italie, fut, en juin et juillet 1549, l'occasion de fêtes magnifiques. Fidèle au précédent établi par son père à la suite de l'affaire des Placards, le roi ordonna, pour le 4 juillet, une procession expiatoire, « rehaussée du supplice de quelques luthériens. Le Parlement, en grand costume, y figurait, accompagnant les reliques de la Sainte-Chapelle. Le roi et la reine suivaient le Saint-Sacrement, escortés du cardinal de Lorraine et des ducs de Guise et d'Aumale. Après la messe entendue à Notre-Dame, le roi dîna à l'évêché ; puis il assista, sur le parvis Notre-Dame, au supplice de deux prêtres, dont l'un était Florent Venot, qui, depuis quatre ans, expiait en prison le crime d'avoir voulu servir Dieu selon l'Évangile. Pour vaincre sa constance, on l'avait tenu six semaines dans cet horrible cachot en forme d'entonnoir, dit la chausse ou la poche d'Hypocras, où l'on ne pouvait ni s'asseoir, ni se tenir debout, ni se coucher. On lui coupa la langue pour l'empêcher de parler au peuple ; « néanmoins, » dit Crespin, « par signes et regards au ciel, il donnait courage à chacun, et lui-même se fortifiait, voyant la grâce que Dieu faisait aux autres (6). » Un autre prêtre, Léonard Galimar, périt en même temps que Venot. Il était accusé, outre le crime d'hérésie, d'avoir facilité l'émigration à Genève de plusieurs familles réformées.




LE  
TAILLEUR DU ROI (7).

Le roi et sa suite assistèrent à un autre supplice, qui eut lieu, le même jour, en la rue Saint-Antoine. Ce n'était pas un prêtre, mais un pauvre tailleur d'habits, que l'on surnomma le tailleur du roi, à cause de la courageuse attitude qu'il avait eue devant Henri II. Celui-ci, ayant manifesté le désir de montrer un luthérien à sa favorite Diane de Poitiers, le cardinal de Lorraine crut habile de choisir un artisan illettré, pensant qu'un tel interlocuteur serait facile à réduire au silence. Mais les choses tournèrent autrement qu'il ne l'avait prévu. Cet homme, nourri des saintes Écritures, se montra un adversaire redoutable pour le prélat. Et quand Diane de Poitiers voulut se mêler de discuter avec lui, « elle trouva, » dit Crespin, « son cousturier qui lui tailla son drap autrement qu'elle n'attendait. Car icelui, ne pouvant endurer une arrogance tant démesurée en celle qu'il connaissait être cause des persécutions si cruelles, lui dit : « Contentez-vous, Madame, d'avoir infecté la France, sans mêler votre venin et ordure en chose tant sainte et sacrée, comme est la vraie religion et la vérité de notre Seigneur Jésus-Christ. »

Le roi, irrité de cette verte réprimande adressée par ce luthérien à sa favorite, jura qu'il le verrait brûler de ses yeux. Il se plaça en effet à une fenêtre de l'hôtel du sieur de Rochepot, pour assister à l'agonie du manant qui avait osé lui tenir tête. Mal lui en prit, car le martyr ayant aperçu le roi ne détacha plus ses yeux de lui. Sous ce regard accusateur qui, du milieu des flammes, se fixait sur lui, Henri Il perdit contenance et quitta la place. On assure que, pendant quelque temps, il fut hanté par ce souvenir, au point d'en perdre le sommeil et qu'il se promit de ne plus tenter une semblable expérience.




L'ÉDIT DE
CHÂTEAUBRIANT.

La création de la Chambre ardente, suivie d'une recrudescence de rigueurs, loin de diminuer le nombre des protestants, parut le multiplier. Alors, comme aux premiers siècles, le sang des martyrs fut la semence de l'Eglise.

Le roi était forcé de constater, dans le préambule de ses édits, que l'hérésie couvait partout « comme feu sous la cendre. » Il stimulait, tantôt par des promesses tantôt par des menaces, les juges des parlements à se montrer impitoyables. Il confirmait les pouvoirs de Mathurin Ory et de ses acolytes comme inquisiteurs de la foi. Enfin, en 1551, il promulgua le fameux édit de Châteaubriant, code de la persécution en quarante-six articles, où rien n'est oublié et où tout acte, toute démarche, toute parole sentant l'hérésie sont rangés au nombre des actes criminels dignes du dernier supplice.

En envoyant à la mort tant d'hommes pieux et bons, cet édit a porté, comme l'a dit un historien, « des fruits meilleurs et plus abondants qu'on ne le pense. Nous ne lui devons pas seulement une multitude de paroles admirables de foi et de simplicité, comme il n'en tombe que de la bouche des confesseurs ; nous lui devons aussi, et en foule, des actes de renoncement, de patience, de fermeté, de courage civil, de dévouement, d'amour du prochain, d'amour fraternel : trésors sans lesquels il n'y a que pauvreté morale sur la terre et que Dieu amasse pour le ciel. Par suite de cet édit, les Français ont appris à penser par eux-mêmes, à vouloir, à sentir, en un mot, à être. Conformément à sa lettre, il a abouti à la mort ; mais à la vie par les résistances saintes qu'il a provoquées (8). »

Dans ce trésor de pieux et glorieux souvenirs, nous devons nous borner à recueillir quelques traits.
Plusieurs articles de l'édit de Châteaubriant visent des délits nouveaux résultant de l'émigration d'un grand nombre de protestants à Genève et ailleurs : défense d'apporter des livres quelconques de Genève et des autres lieux séparés de l'union du Saint-Siège ; défense de correspondre avec ceux qui se sont retirés à Genève et autres pays hérétiques et de leur envoyer de l'argent ; sur l'argent saisi, le tiers appartiendra aux dénonciateurs ; les porteurs de lettres hérétiques venant de Genève seront poursuivis comme hérétiques ; les biens de ceux qui auront transporté leur domicile dans cette ville seront confisqués.




THOMAS DE SAINT-PAUL
(9).

Ces mesures draconiennes furent appliquées avec rigueur et conduisirent au bûcher de nombreuses victimes. L'une d'elles fut Thomas de Saint-Paul, un adolescent de dix-huit ans, membre d'une famille de Soissons, qui, dès 1549, avait émigré à Genève. Fils aîné d'une mère veuve, Thomas fut obligé, en 1551 de faire un voyage en France pour régler des affaires de famille. C'était le moment où les chemins étaient peu sûrs pour les luthériens, comme on les appelait encore. Les primes offertes aux délateurs aiguillonnaient le zèle des hôteliers qui faisaient de plus gros profits en dénonçant les voyageurs suspects d'hérésie qu'en les hébergeant. De Genève à Paris, Thomas de Saint-Paul courut plusieurs fois le risque d'être arrêté. Il arriva cependant dans la capitale et descendit à une hôtellerie. Afin de mieux cacher son identité, il avait apporté avec lui une petite pacotille de marchandises qu'il cherchait à vendre.

Comme il traitait une affaire avec un homme, il ne put s'empêcher de le reprendre doucement au sujet des blasphèmes dont il assaisonnait sa conversation. Celui-ci, irrité, le soupçonna aussitôt d'être un luthérien. Un homme qui ne jurait ni ne blasphémait et qui ne pouvait pas souffrir qu'on le fît en sa présence, était fort suspect d'hérésie et était sûrement de ces gens de Genève qui, comme dit Crespin, « ont l'honneur de Dieu en plus grande recommandation que leur vie propre. » Dénoncé à Jean André, libraire au Palais, qui faisait métier d'espion aux gages du président Lizet, il fut arrêté et conduit au Châtelet. Inhabile dans l'art de feindre, il confessa sa foi et « il ne put être ébranlé, » dit Crespin, « ni par menaces de tourments horribles qu'on lui proposait devant les yeux, ni par la douceur de cette vie, laquelle les juges promettaient de lui sauver, sans note d'ignominie ni d'amende publique, au cas qu'il voulût se dédire ; mais la bonté et vérité de Dieu le rendait invincible contre tous assauts. »

Malgré la commisération qu'inspirait à quelques juges son extrême jeunesse, on le mit à la question. pour l'obliger à dénoncer les chrétiens qu'il connaissait. Mais il ne nomma que ceux qui étaient à l'étranger, « hors de la puissance de l'Antéchrist. » Quant à ses amis qui étaient en France, il répondit à ceux qui le pressaient de questions à leur sujet : « Pourquoi me tourmentez-vous pour vous nommer tant de gens de bien ? Que gagneriez-vous à les tourmenter, comme vous me faites maintenant ? Si je pensais que leur exemple vous dût servir d'imitation je vous les nommerais volontiers comme les autres mais je sais que, s'il vous était possible, vous leur feriez pis que vous ne me faites. »

Le calme de ce jeune chrétien, que les angoisses de la torture ne parvenaient pas à vaincre, exaspéra ses juges, qui lui crièrent : « Tu nommeras tes complices, ou tu seras démembré en pièces. » Les mains des bourreaux s'étant lassées à tendre les cordes, Maillard, docteur de Sorbonne, et ses acolytes leur prêtèrent main-forte ; mais toute la furie de ces tourmenteurs en soutane échoua devant la constance de Thomas.

Condamné à être brûlé vif, il fut mené à la place Maubert, accompagné de Maillard, qui espérait sans doute que la vue du bûcher serait plus efficace pour le fléchir que ne l'avait été la chambre de torture. Au moment où allait commencer le supplice, il lui dit qu'il avait charge de la part des juges, de lui offrir la vie sauve, s'il voulait abjurer. Il répondit qu'il aimerait mieux mourir dix mille fois que de renier son Sauveur. Il fut alors attaché par des cordes, puis élevé en l'air et plongé dans les flammes du bûcher. On l'en retira sur l'ordre de Maillard, qui lui offrit de nouveau la vie, s'il se rétractait. Mais le martyr lui fit cette admirable réponse : « Puisque je suis en train d'aller à Dieu, remettez-moi et me laissez aller. » Et la flamme eut bientôt fait son oeuvre et soustrait cet héroïque jeune homme à la rage de ses bourreaux.



 
JEAN
JOERY (10).

Ce fut aussi en revenant de Genève, en cette même année 1551, qu'un autre jeune homme, Jean Joëry, de l'Albigeois, fut arrêté. Il était accompagné d'un jeune domestique, qui partageait ses convictions et qu'il traitait comme un frère. Ils apportaient une charge de livres, protestants, qui les dénoncèrent, Arrêtés à Mende, ils furent condamnés à être brûlés, Joëry en appela, non pas qu'il espérât échapper à la mort, mais parce que, « si notre Seigneur l'appelait à rendre témoignage de sa vérité, il désirait fort que ce fût à Toulouse. » Envoyé, avec son serviteur, devant le Parlement de cette ville, « il y fit ample confession de sa foi, rendant bonne raison de tout par l'autorité de l'Écriture. » Son jeune compagnon, peu instruit encore, était parfois embarrassé par les arguties des docteurs ; mais il les renvoyait alors à son maître, et il répondait à ceux qui voulaient ébranler sa confiance en lui : « Je l'ai toujours connu de si bonne et sainte vie, que je me tiens pour assuré qu'il m'a enseigné la vérité contenue en la Parole de Dieu. »

On les conduisit à la place Saint-Georges, où devait périr sur la roue Jean Calas, deux cent onze ans plus tard. Le serviteur fut attaché le premier sur le bûcher, où des moines cherchèrent encore à obtenir de lui une abjuration. Joëry s'empressa de le rejoindre sur les fagots, et, le voyant en larmes, lui dit : « Hé quoi ! mon frère, tu pleures ! Ne sais-tu pas que nous allons voir notre bon Maître, et que nous serons bientôt hors des misères de ce monde »
Le serviteur lui répondit : « Je pleurais parce que vous n'étiez pas avec moi. » - « Il n'est pas temps de pleurer, » reprit Joëry, « mais de chanter au Seigneur ! » Et pendant que la flamme commençait à lécher leurs membres, ils entonnèrent un psaume.

Joëry, « comme s'il se fût oublié soi-même, » dit Crespin, pour penser au jeune garçon son compagnon, « se levait contre le poteau tant qu'il pouvait, et se retournait pour lui donner courage. Et ayant aperçu qu'il était passé, il ouvrit l'a bouche comme pour humer la flamme et la fumée, et baissant le cou, rendit l'esprit. »



 
LES CINQ DE
LYON (11).

Lausanne, comme Genève, voyait affluer dans ses murs des réfugiés, et, dans son académie récemment fondée, des jeunes gens venus de France se formaient en vue d'y retourner pour exercer le ministère évangélique. Pierre Viret, pasteur de l'église de Lausanne et Théodore de Bèze, professeur à l'Académie, donnaient une attention toute spéciale à la préparation de ces candidats au ministère, qui étaient surtout candidats au martyre. C'est de Lausanne que partirent, au printemps de 1552, cinq étudiants français, munis de lettres de recommandation des pasteurs de cette ville, auxquelles Calvin joignit la sienne, à leur passage à Genève. C'étaient Martial Alba, de Montauban ; Pierre Escrivain, de Boulogne en Gascogne ; Bernard Seguin, de la Réole en Bazadois Charles Favre, de Blanzac en Angoumois, et Pierre Navihères, de Limoges. Leur but, en rentrant dans leur pays, était, dit l'un d'eux, de « servir à l'honneur et à la gloire de Dieu et tâcher d'amener à la connaissance de son Fils Jésus-Christ tous ceux qu'il lui plairait d'appeler par leur moyen. » Entre Genève et Lyon, ils rencontrèrent un homme qui se rendait comme eux à Lyon et qui les invita à le venir voir ; ils se rendirent à cette invitation, mais, comme ils étaient à table chez lui, le prévôt, escorté de ses sergents, fit irruption dans la maison et les arrêta. C'était le 1er Mai 1552. Conduits dans les prisons de l'archevêque, ils furent examinés sur leur foi, reconnus entachés d'hérésie et livrés au bras séculier. Mais ils en appelèrent de cette sentence, et, grâce à l'intervention des autorités bernoises qui les réclamèrent comme leurs écoliers, ils obtinrent un sursis qui fit traîner en longueur leur procès pendant plus d'une année.

Cette année de captivité nous a valu de précieuses lettres, dont les unes ont été publiées dans le Martyrologe de Crespin, tandis que les autres, conservées à la bibliothèque vadiane de Saint-Gall, n'ont été mises en lumière que de nos jours (12) Il semble que Dieu ait voulu que ces jeunes lévites, à défaut du ministère de la parole auquel ils s'étaient préparés, aient pu ainsi rendre témoignage par leurs écrits en attendant de le faire par leur mort sur le bûcher.

Bornons-nous à citer un court extrait de l'une de ces lettres, pour montrer dans quelles dispositions ces jeunes gens se préparaient à la mort :

« Nous ne voyons devant nos yeux que confusion, cruels tourments et l'horrible face de la mort ; nous mourons tous les jours et à toute heure pour notre Seigneur Jésus et pour l'espérance que nous avons en lui, toutefois nous ne perdons courage aucunement, ni ne nous troublons point ; mais, étant assurés et certains de l'amour et charité que notre bon Dieu nous porte, étant environnés de ses ailes, et cachés sous les plaies de Jésus-Christ, nous dépitons toute la rage du monde et du diable, de la mort et de l'enfer, et nous réjouissons d'une joie et liesse incompréhensible et inénarrable, attendant, en grand désir et repos de conscience, cette bienheureuse journée en laquelle notre Seigneur apparaîtra pour nous recueillir en son royaume céleste, auquel nous vivrons et régnerons avec lui éternellement. N'avons-nous donc pas grande matière de nous réjouir et de nous glorifier en la croix de notre Seigneur Jésus, puisque notre bon Dieu nous fait tant de bien et d'honneur que de nous recevoir au nombre de ses martyrs, nous qui ne sommes que pauvres vers de terre, et de nous retirer de ce val de misères et de maux pour nous emmener en son royaume éternel ? Oui, vraiment (13) ! »


Pendant leur long emprisonnement, les cinq étudiants eurent à subir les assauts des prêtres et religieux qui avaient mission de les ramener au giron de l'Eglise romaine. Ils eurent aussi à tenir tête aux tentatives de parents et d'amis qui essayaient de les décider à sauver leur vie en reniant leur foi. D'autre part, ils reçurent d'abondantes consolations par les lettres que leur écrivirent Calvin et Viret et par les sympathies des fidèles dont l'écho réussissait à percer les murs de leur prison.

À la fin de février 1553, arriva de Paris l'arrêt de la Cour du Parlement qui rejetait l'appel des cinq étudiants. Un dernier effort, tenté par les seigneurs de Berne auprès du cardinal de Tournon, retarda encore l'issue du procès. Le 16 mai enfin, ils reçurent avis que leur pourvoi était rejeté, et lecture leur fut faite de la sentence qui les condamnait à être brûlés vifs le jour même. Ils se mirent alors à prier et à chanter des psaumes, en attendant d'être menés au supplice. Sur la charrette, ils entonnèrent le psaume IX, puis s'encouragèrent en répétant des passages de l'Écriture, et témoignèrent leur foi, en récitant le symbole des apôtres.

Arrivés à la place des Terreaux, ils furent attachés au poteau qui surmontait le bûcher. Le plus âgé, Martial Alba, fut attaché le dernier. Il demanda la permission d'embrasser ses frères et ils échangèrent le suprême baiser, en se disant : « Adieu, mon frère ! » Au milieu des flammes qui bientôt les enveloppèrent, on entendit ces mots : « Courage, frères, courage ! » « Ce furent là, » dit Crespin, « les dernières paroles entendues du milieu du feu, qui bientôt consuma les corps de ces cinq vaillants champions et vrais martyrs du Seigneur. »




AUTRES MARTYRS DE LYON.

Vers la même époque, la ville de Lyon envoya au bûcher d'autres martyrs de Jésus-Christ. Pierre Bergier (14), de Bar-sur-Seine, eut la joie, pendant sa captivité, d'amener au Sauveur un malfaiteur, Jean Chambon, qui fit ensuite une fin triomphante. Lui-même édifia, par son attitude et par ses paroles, la foule réunie sur la place des Terreaux pour le voir mourir. « Oh ! que la moisson est grande ! » s'écria-t-il, « Seigneur, envoie de bons moissonneurs. » « Seigneur, » dit-il au moment où l'on mettait le feu au bûcher, « que ton nom est gracieux et doux ! » On l'entendit encore dire : « Seigneur, je te recommande mon âme ! » puis, avec une expression d'indicible béatitude, il dit, comme Étienne : « Aujourd'hui, je vois les cieux ouverts. » Puis il rendit l'esprit.

Peu après, Matthieu Dymonet (15), un enfant de Lyon, qui avait été arraché à une vie de dissipation par l'exemple des cinq écoliers, monta sur le bûcher, après avoir tenu tête aux obsessions des prêtres et à celles de ses parents et amis qui ne comprenaient pas que celui qui naguère les amusait par ses propos frivoles sacrifiât maintenant sa vie à ses convictions religieuses.

Un autre des prisonniers de Lyon, Denis Peloquin (16), de Blois, était le frère d'Étienne Peloquin, qui avait souffert le martyre à Paris en 1549. Il conduisait sa soeur à Genève, lorsqu'il fut arrêté et jeté dans les prisons de Lyon. Ses lettres nous le montrent heureux d'ajouter un nouveau lustre par son martyre à celui de sa famille.

« Je loue Dieu, » écrit-il, « de ce qu'il m'appelle à un tel honneur, de porter témoignage à sa sainte vérité. O heureuse race ! O heureux lignage des Peloquins ! Y avait-il donc en nous quelque chose de plus qu'aux autres, par quoi le Seigneur ait été ému à nous faire tant de grâce ? Il est bien certain que non ; mais sa seule grâce et bonté a trouvé la cause en elle-même. »

Voici comment il envisageait la mort qui l'attendait :

« Ils pensent nous mener à la mort ; mais au contraire, ils nous mènent à la vie. Ils pensent nous ruiner ; mais ils sont instruments pour nous faire entrer en possession de la gloire éternelle, laquelle nous a été préparée avant la constitution du monde. »

Ce fut à Villefranche, près de Lyon, que Peloquin subit le dernier supplice, après dix mois de captivité. Le feu avait presque consumé le bas du corps, qu'il élevait encore ses mains calcinées au ciel, en invoquant l'aide du Seigneur.

Lyon eut encore, en cette même année 1553, une triple exécution, celle de Louis de Marsac, gentilhomme du Bourbonnais, de son cousin et d'un menuisier, Étienne Gravot, de Gien (17). Ils moururent en chantant le cantique de Siméon. Leur sérénité, en allant au supplice, fut en édification au peuple et redoubla la rage de leurs ennemis. L'un d'eux, ne pouvant pas dissimuler son dépit, s'écria : « Faudra-t-Il donc souffrir qu'un tas de coquins tiennent tête à une monarchie ! »

Ces exécutions répétées, dont Lyon eut le spectacle en 1553, montrent assez que la seconde ville du royaume tenait à honneur de suivre les traces de la première.


(1) La Chambre ardente. Étude sur la liberté de conscience en France sous François 1er, et Henri Il (1540-1550), suivie d'environ cinq cents arrêts inédits rendus par le Parlement de Paris de mai 1547 à mars 1550, par N. Weiss, bibliothécaire de la Société de l'histoire du protestantisme français. Paris, 1889. 

(2) Weiss, p. LXXII.

(3) Voyez plus loin notre étude sur les Martyrs de Langres.

(4) Weiss, p. LXXX.

(5) Weiss, p. XCIII.

(6) Crespin, t. I, p. 540. 

(7) Crespin, t. I, p. 540.

(8) Lutteroth, La Réformation en France, p. 57. 

(9) Crespin, t. I, p. 558.

(10) Crespin, t. I, p. 560.

(11) Crespin, t. I, p. 585-674.

(12) D'abord, d'une manière partielle, par le pasteur H. Martin, Genève, 1854 ; puis, en 1878, par J. Guillaume Fick, dans une édition complète.

(13) Crespin, t. I, p. 607.

(14) Crespin, t. I, p. 674. 

(15) Ibid., t. I, p. 712. 

(16) Ibid., t. II p. 683.

(17) Crespin, t. 1, p. 725.
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