Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES MARTYRS SOUS FRANÇOIS 1ER

suite

JÉRÔME VINDOCIN


 (1).  Les prêtres continuaient à être nombreux parmi les premiers disciples de la Réforme, et naturellement aussi parmi ses martyrs. Jérôme Vindocin, un moine dominicain, qui était docte et éloquent, se rendit à Genève pour s'instruire dans la connaissance des doctrines évangéliques. La lecture de l'Institution de Calvin et les leçons du réformateur l'amenèrent à des convictions chrétiennes. Armé pour la lutte, il revint en Gascogne pour y prêcher le pur Évangile ; mais à peine arrivé, il fut arrêté, par l'ordre de l'inquisiteur Rochet, traduit devant la Cour de l'évêque d'Agen, et condamné à la dégradation, puis livré au bras séculier. Le 4 février 1539, il fut d'abord dégradé des ordres ecclésiastiques, avec le cérémonial accoutumé, puis brûlé vif dans une prairie située au bord de la Garonne. Cinq prêtres l'entouraient pour l'engager à renier sa foi ; « mais il les confondit tous et mourut heureusement au Seigneur. » Bien que la foule qui assistait à son supplice fût fort mal disposée à son égard nous savons, par le témoignage peu suspect du catholique Florimond de Roemond, dont le père assistait à l'exécution, que « plusieurs restèrent tout éperdus d'un tel spectacle, ne pouvant croire que celui qui, mourant, ne parlait que de Jésus-Christ, n'invoquait que Jésus-Christ, ne fût condamné à tort (2). »




AYMON DE LA VOYE
(3).

Quelques semaines avant le jour de Noël de l'année 1541, on arrêta à Sainte-Foy, en Agenois, le pasteur Aymon de la Voye. Ayant appris que le Parlement de Bordeaux avait ordonné son arrestation et qu'on allait venir pour le saisir, il refusa de s'enfuir, et « voyant l'infirmité de son troupeau, il demeura ferme, attendant ce qui plairait à Dieu (4). »

« Prévoyant qu'il ne verrait plus son troupeau, il fit en trois sermons un sommaire de toute la doctrine qu'il avait prêchée, exhortant chacun de persévérer en la confession d'icelle. » Emmené à Bordeaux, il « souffrit toutes sortes d'indignités, neuf mois durant (5). » Il fut mis à la torture, « aussi cruellement, » dit Crespin, « que jamais homme ait été. » Pendant qu'il souffrait les plus horribles tourments, le président, le saisissant par la barbe, lui demanda quels étaient ses complices. - « Mes complices, » répondit-il, « je n'en ai pas d'autres que ceux qui font la volonté de Dieu mon Père, qu'ils soient gentilshommes, marchands ou laboureurs. » Dans les tourments de la torture, il disait : « Ce corps périra, mais l'esprit vivra, et le royaume de Dieu demeurera éternellement. »

En allant au supplice, il chanta les psaumes 114 et 115. Il parla à la multitude, malgré ceux qui voulaient l'en empêcher. « Je meurs, non en hérétique, » dit-il, « mais en chrétien. » Puis il pria : « Seigneur, viens à mon aide, et ne tarde point ; ne dédaigne point l'oeuvre de tes mains ; pardonne à ceux-ci, car ils ne savent ce qu'ils font. » « Mes frères, messieurs les écoliers » s'écria-t-il en s'adressant à la jeunesse des écoles, qui était accourue au spectacle de sa mort, « je vous en prie, étudiez en l'Évangile ; il n'y a que la parole de Dieu qui demeure éternellement. Apprenez à connaître la volonté de Dieu. Ne craignez pas ceux qui n'ont de puissance que sur le corps et n'ont point de puissance sur l'âme. » Au moment où le bourreau mettait la main sur lui pour l'étrangler, avant de livrer son corps aux flammes, on l'entendit dire : « Seigneur, en tes mains je recommande mon âme. » Un jeune moine, chargé de le convertir au catholicisme, fut lui-même amené à l'Évangile par l'exemple et les entretiens de ce martyr.




L'
INQUISITION EN FRANCE.

Nous avons vu à l'oeuvre, pour la première fois, des inquisiteurs. Le pape Paul III essayait, dès lors, en effet, d'introduire l'Inquisition en France. Il nomma Mathurin Ory, de l'ordre des frères prêcheurs, inquisiteur général de la foi en France, et le roi, par lettres du 23 juin 1540, enjoignît à Ory d'exercer son office « tout ainsi qu'il lui était commis et mandé par la provision du pape (7). »

L'inquisiteur général, qui avait d'ailleurs des inquisiteurs particuliers sous ses ordres, se transportait de ville en ville, stimulant le zèle des évêques, prenant connaissance des procédures faites par eux en matière d'hérésie et en ouvrant lui-même, lorsqu'il le jugeait nécessaire. Les inquisiteurs avaient le droit de procéder eux-mêmes aux arrestations, et les juges royaux étaient tenus de leur accorder l'aide du bras séculier pour l'exécution de leurs décrets. D'autre part, l'édit du 23 juillet 1543 accorda aux juges séculiers le droit de sévir, sans recourir aux juges d'Eglise, toutes les fois que « l'hérésie est claire et manifeste par les saints décrets et sanctions canoniques (8). » Il était difficile aux réformés d'échapper à ce vaste réseau de juridictions qui les enserrait de toutes parts. En avançant vers la fin de son règne, le roi très chrétien prenait de plus en plus au sérieux la promesse d'exterminer les hérétiques que comme tous ses prédécesseurs, il avait faite lors de son sacre.



 
MASSACRE DES
VAUDOIS DE PROVENCE (9).

Cette promesse, François 1er s'en souvint surtout lorsque, le 1er janvier 1545, il donna l'ordre au parlement d'Aix de mettre à exécution l'arrêt, prononcé cinq ans auparavant, contre les Vaudois de Provence, et fondé sur ce que « notoirement ils tenaient sectes vaudoises et luthériennes, réprouvées et contraires à fa sainte foi et religion chrétienne... » Cet arrêt, à l'exécution duquel il avait été sursis pour laisser aux Vaudois le temps d'abjurer, condamnait les chefs de famille vaudois de Mérindol à être brûlés vifs, leurs femmes, parents et serviteurs à être bannis du royaume ; leurs maisons devaient être rasées jusqu'aux fondements, les arbres fruitiers arrachés et le pays rendu inhabitable. François 1er enjoignit au parlement d'Aix d'anéantir les hérétiques et de « faire en sorte que le pays de Provence fût entièrement dépeuplé et nettoyé de pareils séducteurs. »

Il ne fut que trop obéi. Le premier président d'Oppède, assisté de l'avocat général Guérin et du baron de La Garde, se jeta sur cette population de gens paisibles et de bonnes moeurs, qui avaient défriché une contrée naguère inculte, et auxquels on ne pouvait reprocher que de lire la Bible et de se passer du ministère des prêtres.

Nous n'avons pas à raconter ici cet épouvantable massacre, sur lequel les historiens donnent des détails navrants. Bornons-nous à rappeler, d'après Henri Martin, qu'outre les trois petites villes vaudoises (Mérindol, Cabrières et Lacoste), « vingt-deux villages furent détruits ; des milliers de proscrits, traqués par les soldats, erraient, au milieu des forêts et des rochers, et arrachaient, pour apaiser la faim qui les dévorait, les herbes et les racines sauvages ; ni villes ni villages n'eussent osé les recevoir, le Parlement d'Aix et le gouvernement pontifical du Comtat ayant défendu, sous peine de la vie, que nul osât donner retraite, aide, secours, ni fournir argent et vivres à aucun Vaudois ou hérétique. Une multitude de femmes et d'enfants moururent de faim ; les plus robustes des proscrits gagnèrent, à travers les Alpes, Genève et la Suisse ; presque tous ceux qui tombèrent au pouvoir des soldats furent égorgés, pendus ou envoyés comme forçats sur les galères. Ce Canton, naguère heureux et florissant, fut changé en un désert plein de ruines noircies et de débris humains sans sépulture. Quatre à cinq mille victimes avaient péri par la main des bourreaux, un plus grand nombre par la faim, la misère et le désespoir, sans compter les infortunés qui encombraient les bancs des galères royales (10). »

Cette abominable boucherie, qui n'avait pas l'excuse des entraînements de la guerre civile, puisqu'elle eut lieu longtemps avant les guerres de religion, fut le crime du clergé, puisqu'elle s'accomplit sous les ordres de l'épiscopat et sous les yeux de prêtres venus de l'Etat pontifical ; ce fut le crime de la magistrature, puisque les bandes qui firent le massacre exécutaient un arrêt du parlement d'Aix et marchaient sous la conduite de son premier président ; ce fut le crime de la royauté, puisqu'après avoir donné l'ordre de l'exécution, François 1er, loin de punir ceux qui avaient outrepassé ses ordres, « approuva par lettres patentes, et sur l'avis du cardinal de Tournon, tout ce qui avait été fait contre les Vaudois. » Ce crime pèse donc sur la mémoire de François 1er et donne à son nom la sinistre illustration de celui de son petit-fils Charles IX.



 
L'AUTODAFÉ DE
MEAUX (11).

Après ce triste exploit, il semble que le roi et son cruel ministre auraient eu le droit de laisser quelque répit aux réformés. Il n'en fut rien, et les bûchers continuèrent à s'allumer, non seulement à Paris, que Bèze désigne comme « la ville sanguinaire et meurtrière entre toutes, » mais partout en France, où l'on brûlait les hérétiques, ordinairement un à un, mais souvent deux, trois, quatre ou plus en même temps. À Meaux, quatorze luthériens montèrent ensemble sur le bûcher ; un tel autodafé semblait dire qu'il n'y avait plus de Pyrénées et que l'Inquisition espagnole avait pris pied en France.

Depuis plus de vingt ans qu'elle existait, cette aînée des Églises réformées du royaume avait maintenu sa position au milieu des tempêtes qui l'avaient assaillie, Les artisans qui la composaient « n'avaient d'autre exercice, » dit Crespin, « en travaillant de leurs mains, que de conférer de la Parole de Dieu et se consoler en icelle. Spécialement les jours de dimanche et fêtes étaient employés à lire les Écritures et à s'enquérir de la bonne volonté du Seigneur. Plusieurs des villages faisaient le semblable, en sorte qu'on voyait en ce diocèse-là reluire une image de l'Eglise renouvelée. » La famille Le Clerc, qui avait donné à l'Eglise de France son premier martyr, continuait à se distinguer par sa piété. L'un de ses membres, Pierre Le Clerc, simple cardeur de laine, mais, « outre l'intégrité de sa vie, » dit Bèze, « fort exercé ès Écritures (12), » fut élu ministre par les fidèles, après plusieurs jours consacrés au jeûne et à la prière. L'Eglise s'organisa régulièrement ; les assemblées religieuses se célébrèrent dans la maison d'un vieillard nommé Étienne Mangin, et les sacrements furent fidèlement administrés. Les réunions de culte comptèrent bientôt de trois à quatre cents personnes.

Le 8 septembre 1546, l'assemblée fut surprise ; soixante-deux personnes furent arrêtées, enchaînées et transportées à Paris sur des charrettes. Leur procès ne fut pas long. Le 4 octobre, le Parlement condamnait Étienne Mangin, Pierre et François Le Clerc, et onze autres, à être brûlés vifs, après avoir subi la torture et avoir eu la langue coupée. Les autres accusés furent condamnés à diverses peines, et leurs biens furent confisqués ; la maison où se célébrait le culte réformé fut démolie et une chapelle, en l'honneur du saint sacrement, fut construite sur son emplacement.

Les quatorze condamnés à mort furent ramenés de Paris à Meaux, où devait avoir lieu leur supplice. On les soumit à la question extraordinaire. L'un d'eux criait aux bourreaux, pendant qu'ils le torturaient : « Courage, mes amis ! n'épargnez pas ce misérable corps, qui a tant résisté à l'esprit et a tant été contraire au vouloir de son Créateur. » Au moment de les emmener au lieu de l'exécution, le bourreau coupa la langue. à huit d'entre eux. Le premier, après que le bourreau la lui eut coupée, put encore dire intelligiblement : « Le nom de Dieu soit béni ! » Quatorze bûchers étaient dressés sur la place du Marché. En y montant, ceux qui n'avaient pas eu la langue coupée, parce qu'on les jugeait moins dangereux, chantaient des psaumes ; les autres se joignaient de leur mieux à leur psalmodie, qui continua, jusqu'à ce que, dit Crespin, « les saintes hosties de Jésus-Christ furent toutes brûlées en suave odeur au Seigneur (13) »




MORT DE
FRANÇOIS 1er

François 1er mourut le 31 mars 1547, troublé, sur son lit. de mort, par le souvenir du massacre des Vaudois. Il chargea son fils de punir ceux qui avaient abusé de son nom pour verser le sang de ses sujets. Il y eut, en effet, des poursuites commencées devant le Parlement de Paris. Elles aboutirent à faire condamner à mort l'un des agents de d'Oppède, l'avocat général Guérin, et il fut frappé moins encore pour avoir pris part à l'égorgement de tout un peuple, que pour avoir commis des malversations aux dépens du Trésor. Quant au baron d'Oppède, qui était le grand coupable, il fut acquitté, remonta sur son siège de magistrat et put recommencer à faire le procès aux hérétiques. 


(1) Crespin, t. I, p. 342. 

(2) Histoire de l'hérésie, p. 866. 

(3) Crespin, t. 1, p. 317. 

(4)Th. de Bèze, Histoire ecclésiastique, édition de Toulouse, t. I, p. 16. 

(5) Hist. eccl, t. I, p. 16.

(7) Édits des rois de France, t. IV, p. 226.

(8) Lutteroth, La Réformation en France pendant sa première période, p. 37.

(9) La Persécution et saccagement de ceux de Mérindol et Cabrière, etc., peuple fidèle en Provence, dans Crespin, t. I, p. 381-419.

(10) H. Martin, Histoire de France, édit. de 1842, t. IX, p. 438. 

(11) Crespin, t. I, p. 493.

(12) Hist. eccl., t. I, p. 29.

(13) Crespin, t. I, p. 493.
Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant