Le titre du livre qui
sert de
base à cette étude nous en donne
d'avance le contenu « les Actes des
apôtres ». Des actes, c'est
à cela que se mesure toute vie d'homme, ce
sont les fruits de l'arbre, c'est ce qui donne au
témoignage chrétien sa valeur.
Mais tandis que tant d'actes commis au cours de
l'histoire sont tombés dans l'oubli, ou, ce
qui est pire, ont laissé des traces de mal
et de misère, les actes dont nous allons
parler demeurent, et ont produit une intense
bénédiction. Pourquoi :
C'était des actes d'apôtres,
« c'est-à-dire
d'envoyés » ; des actes
d'hommes envoyés par Christ, où
Christ lui-même agissait. Lacordaire a bien
marqué la différence entre ces
actes-là et ceux de l'homme par ces lignes
que je choisis pour suscription de cette
étude : « Il y en a un qui
est la pierre angulaire. « Hic est
lapis. » Quiconque a voulu bâtir
sans cette pierre n'a rien élevé que
le premier vent n'ait dispersé, que le
premier torrent n'ait détruit.
Celui-là, rien ne le remplace. Quiconque a
fait sans lui de la gloire n'a réussi
qu'à déchaîner sur la terre le
monde sanglant des batailles sans fin. Quiconque a
fait sans lui de l'industrie n'a réussi
qu'à abrutir les hommes et à
transformer le monde en chaudière et les
âmes immortelles en rouages souffrants et
irrités, qui tournent, blasphèment et
se brisent dans la nuit. Quiconque a fait sans lui
de la science s'est enfoui dans les sables de la
raison pure et de l'altière critique.
Quiconque a fait sans lui de l'autorité a
glissé dans le sang des victimes
révolutionnaires, et quiconque a fait sans
lui de la liberté s'est
réveillé, serré à la
gorge par un soldat qui lui a dit en le chargeant
de fers : « Je suis la
liberté. »
Nous avons vu hier ce
qui a
fait de Pierre un homme. Qu'est-ce qui a fait de
lui un apôtre ?
1. L'appel
du Christ vivant.
J'ai contemplé, en commençant cette
étude, un tableau que j'aime beaucoup :
une rue de Jérusalem, déserte, la
nuit. Dans l'embrasure d'une porte, fuyant la
clarté de la lune, un homme est
agenouillé, abîmé dans une
douleur muette. Derrière lui se dresse une
haute figure, et une main se pose sur son
épaule. Sous le tableau, ces mots de Luc
24 :
34 :
« Il est apparu
à Simon ». À lui, Pierre,
le lâche, le renégat, qui s'accuse et
pleure, Jésus est apparu vivant,
après avoir souffert par lui et pour lui une
douleur sans nom. Alors le coeur de Pierre s'est
brisé, s'est donné. Et quand, une
autre fois, au bord du lac, le Maître lui a
demandé :
« M'aimes-tu ? » il a pu
répondre, et tout son coeur a passé
dans cette réponse :
« Tu sais toutes choses, tu sais que je
t'aime. » Et Jésus lui a
dit : « Pais mes
agneaux ! »
On parle aujourd'hui d'apparitions spirituelles, de
phénomènes subjectifs,
d'autosuggestion. Les amis de Jésus auraient
tant désiré le revoir qu'ils ont cru
le revoir ! L'apostolat reposerait sur un
travail d'imagination. Croyez-vous qu'une telle
conception aurait résisté aux faits,
aurait donné à ces hommes la force de
braver toute leur époque ? Car il ne
faut pas juger les actes des apôtres
d'après vingt siècles de
christianisme. C'était un début. Ces
hommes furent seuls, furent les premiers. Avant
eux, il n'y avait rien, aucune base solide, aucune
tradition. L'espérance nationale
était contre eux. L intelligence aussi. Pour
eux, il n'y avait qu'un fait, ils ont
vu et entendu le Christ
vivant. Avec
cette
certitude au coeur ils ont brisé tous les
obstacles et vaincu le monde.
Lorsque Pierre était prostré, dans la
nuit, ce n'est pas lui qui est allé vers
Jésus, c'est Jésus qui est venu vers
lui. Ce n'est pas cette âme qui a reconnu et
retrouvé son Sauveur, bien qu'elle le
cherchât, c'est le Maître qui a reconnu
et retrouvé cette âme. « Le
vrai Maître de l'âme est celui qui
vient vers elle et lui ouvre les yeux, et
qu'elle-même n'aurait pas trouvé s'il
ne s'était laissé trouver. Un
chercheur ne trouve que ce qui est au niveau de son
intelligence et à portée de sa main,
et le Dieu qui croit découvrir une âme
n'est jamais que sa créature. Il faut qu'il
y ait chez le Maître quelque
élément inexplicable au disciple, et
notre coeur ne s'inclinerait pas devant une
autorité dont elle aurait touché le
fond, qui ne serait en réalité que le
produit de ce coeur. C'est là la base de
toute vocation chrétienne, de toute foi
réelle à la
résurrection : le seul Sauveur est
celui qui se révèle, et qu'on ne
reconnaît qu'à l'heure où il
nous appelle. » (Paul Gounelle).
Pierre a été appelé
directement par le Christ vivant, il a
été envoyé par lui
personnellement. Comme les autres, il a entendu
l'ordre : « Vous serez mes
témoins », mais seul il a eu cet
ordre de marche direct : « Pais mes
agneaux. » Il reçoit un mandat de
chef. Ainsi seulement s'explique le fait que cet
homme abattu, écrasé, humilié,
disqualifié, se lève maintenant au
milieu de ses frères, et parle en
maître (Actes
1:
15).
Pierre n'a jamais dans les discours que nous
possédons de lui, parlé de son
reniement. Le pardon de Jésus a tout
effacé, il n'y a plus à y revenir. Il
n'a jamais parlé de son appel au bord du
lac, l'autorité intérieure lui
suffit, et s'impose. Mais on sent partout dans sa
vie la trace de ces deux heures capitales. Lui,
l'homme orgueilleux, deviendra petit, il aura
à accepter une dure école, assister
au succès de son collègue Paul,
à son influence grandissante, qui fera
diminuer la sienne. C'est la plus dure
épreuve pour un apôtre. Lui, l'homme
qui a tremblé devant une servante, parlera
dans les rues et apostrophera le sanhédrin.
Il est devenu humble, il est devenu fort. On
reconnaît « qu'il a
été avec Jésus. »
(Actes
4 :
13).
Le premier acte de Pierre, apôtre, a dû
être pour lui d'une saisissante
éloquence : remplacer
Judas ! Quel
parallèle
il a pu établir dans son coeur entre cet
homme et lui ! Ce sont eux qui, dans la nuit
fatale, ont été en contact direct
avec Jésus et lui ont causé ses deux
plus grands chagrins. Judas s'est pendu, et Pierre
agit. Ils se ressemblaient certainement dans leur
ardeur des premiers jours, ils ont prié
ensemble. Pourquoi l'un a-t-il été
« pris », et l'autre
« laissé » ? C'est
le mystère de la conscience et de l'action
du Maître. Leur route a bifurqué au
moment des larmes de Pierre. Judas, lui aussi, a eu
un regard de Jésus dans le jardin, comme
Pierre dans la cour. Mais Judas n'a pas
pleuré. Deux vies d'hommes se sont
jouées dans cette nuit-là. Notre vie
peut dépendre aussi de l'accueil que nous
faisons à un regard du Maître, quand
nous l'avons trahi.
À propos de la vocation de Pierre, disons un
mot des prétentions romaines. Une
vocation ne
d'hérité pas. C'est
Pierre qui a été
appelé. On n'a pas le droit de transmettre
un appel de Dieu à un successeur. Dieu seul
appelle. Vérité redoutable. Nous ne
pouvons pas faire de nos enfants, de nos amis, des
chrétiens. Notre tâche à nous,
c'est de rendre témoignage, mais l'oeuvre de
la vocation s'accomplit en dehors de nous.
Seulement n'y mettons pas obstacle.
« Tout est accompli, bien avant que nous
ayons rien achevé. Réveiller nos
frères à cette vie spirituelle que
Dieu ne se lasse pas de proposer à toute
âme ; rendre leurs consciences
réceptives à l'action divine dont ils
sont les objets, telle est la tâche qui nous
incombe. Nous ne devons rien de moins, mais nous ne
pouvons rien de plus. » (G. Frommel).
Pour conclure ces réflexions au sujet de la
vocation de l'apôtre, citons encore
Frommel : « Heures bénies et
solennelles ! où tous les
intermédiaires tombent, où les
distances s'effacent, où la présence
de Jésus-Christ s'affirme pleine,
réelle et bienheureuse, où
Jésus-Christ parle, où
Jésus-Christ se montre et devient comme
visible à l'oeil de notre foi ;
où les doutes s'évanouissent,
où les problèmes se résolvent,
où se prononcent les engagements
décisifs, où se consomment les
sacrifices sans repentir, où se prennent les
décisions irrévocables ! Heures
saintes et bénies ! Par elles nous sommes
devenus les témoins de
Jésus-Christ. »
C'est parce que Pierre a connu des heures
semblables qu'il a pu signer ses lettres :
« envoyé de
Jésus-Christ. »
2. L'action
du
Saint-Esprit.
Il ne suffit pas d'avoir été
envoyé. Il faut, après la rencontre
avec le Maître, le contact permanent avec
lui. C'est l'oeuvre du Saint-Esprit. Après
la vision glorieuse, après l'appel, il donne
la participation vivante et constante à
l'oeuvre et à la personne de Jésus.
Lui en Pierre, et Pierre en lui, le sarment
attaché au cep, portant son fruit par la
sève qui vient du cep. « Parce que
je vis, dit Jésus, vous vivrez
aussi. » Pierre a vécu
désormais parce que Jésus vit,
l'ancien Simon est mort définitivement.
Jésus est la substance de sa vie, l'esprit
de Jésus lui donne les paroles qu'il faut
dire, les actes qu'il faut faire. Par l'Esprit, une
vie d'homme, avec toutes ses possibilités,
devient l'organe de Jésus, une puissance de
foi et d'amour, la puissance que Jésus a
conquise et qu'il nous transmet.
Par Lui, le témoignage de Pierre a l'accent
de la certitude. Il ne dit plus ce qu'il a entendu
dire, ni même ce qu'il a appris de
Jésus. Il dit ce qu'il entend, directement,
ce qu'il sait, ce qui est dit en lui.
Dans son langage, dans le timbre de sa
voix, il y a quelque chose du Maître.
« Le monde ne s'y trompe pas. Et, soit
qu'il s'incline pour accueillir notre message, soit
qu'il se dresse pour y résister, il discerne
en nous les ambassadeurs et les
représentants de Celui qui seul a droit de
régner sur les consciences
humaines », de Celui qui a dit :
« Je suis la
Vérité. »
Le Saint-Esprit assure à son possesseur
« l'immédiateté »,
comme on désignait au moyen âge la
situation des pays qui dépendaient
directement de l'empereur, sans être soumis
aux vassaux intermédiaires. L'Esprit
soustrait l'apôtre à l'influence du
milieu pour le placer sous celle de Dieu. Sans
doute il reste Juif, attaché au temple, aux
coutumes nationales, à la terre natale. Mais
il ne dépend plus de ces choses. D'un bond
sa pensée interroge celle de Dieu, et c'est
l'Esprit qui lui donne ces deux certitudes,
incroyables à l'époque où il
vivait :
1° que le Messie a pu être
crucifié,
2° que les païens ont accès au
salut.
Un messie crucifié, c'était pour tout
Juif un contresens, une énormité, un
scandale. « Pierre, rempli du
Saint-Esprit, affirme : Jésus est la
pierre, la principale de l'angle, il n'y a de salut
en aucun autre » (Actes
4 :
9-11)
- L'Esprit lui a
révélé la grandeur de
l'abaissement. Il sait que ce qui l'a sauvé,
c'est la souffrance et la mort de son roi.
Pour l'admission des païens au salut, Pierre a
reçu une révélation
spéciale, sur le toit d'une maison, à
Joppé, pendant qu'il priait. (Actes
10 :
10
). Nous voyons dans cette
scène un des modes d'action de l'Esprit.
S'il agit constamment dans l'apôtre, il lui
donne à certaines heures des clartés
spéciales. Dans les chemins obscurs
où il marche fidèlement, jaillit tout
à coup une étincelle
révélatrice. « Une
certitude est née, mystérieuse, une
conviction si profonde, si personnelle, qu'elle
demeure incommunicable ; mais rien ne peut
l'ébranler ».
Hudson Taylor entend un ordre aussi distinct que si
une voix lui avait parlé :
« Va en Chine pour moi ! »
« Je n'oublierai jamais, dit-il, le
sentiment qui s'empara de moi. Les mots se refusent
à l'exprimer. Je me sentais en
présence de Dieu, concluant une alliance
avec le Tout-Puissant. Il me semblait que je
voulais retirer ma promesse, mais je ne le pouvais
pas. Je crus m'entendre dire : ta
prière est exaucée, tes conditions
sont acceptées ; et depuis lors, la
conviction que j'étais appelé
à aller en Chine ne m'a jamais
quitté ».
C'est Casalis qui s'engage au service de son pays.
C'est notre ami Baudraz qui refuse de servir.
L'Esprit souffle où il veut.
Ici nous touchons à un redoutable
problème : On peut se tromper,
même sous l'action de l'Esprit. M. Ph.
Bridel, dans un article de l'Essor, a
très
bien montré que
la conviction inspirée ne peut pas se
soustraire au tempérament psychologique de
l'individu. Torquemada se croyait peut-être
inspiré en brûlant les
hérétiques, et Calvin a certainement
prié avant de brûler Servet. Ils ont
cru agir sous l'action du Saint-Esprit. Ils n'ont
pas regretté leurs actes. Il y a une
inspiration qui n'est pas celle de Jésus, et
qu'on prend sincèrement pour celle de
Jésus.
T. Fallot, dans l'Action
bonne, a
éclairé pour
moi ce
problème angoissant :
« L'inspiration ne fait qu'une chose,
elle confirme l'homme dans la tendance qui lui est
propre. On ne saurait trop insister sur ce point.
Je ne dis pas : l'inspiration laisse l'homme
tel qu'il est. Je dis : elle l'aide à
devenir ce qu'il vise à devenir.
D'un grossier soldat, elle fait un vaillant homme
de guerre ; d'un patriote, un grand
citoyen ; d'un ennemi de l'iniquité, un
homme passionné de justice ; d'un
croyant, un voyant... L'Esprit fait
l'éducation de l'inspiré, à la
condition que celui-ci se soumette librement
à cette discipline salutaire. La bonne
volonté, ce que l'Ancien Testament appelle
le coeur droit, joue ici un rôle capital. Si
tant d'inspirés, après avoir bien
commencé, ont fait ici-bas si triste figure,
c'est précisément parce que le coeur
droit a fini par leur faire défaut... On
n'explique rien, lorsqu'on traite l'inspiration
comme une force aveugle qui ne connaît
d'autre règle que son propre caprice. Elle
ne demeure féconde qu'à la condition
que l'inspiré fasse oeuvre de
liberté, et qu'il domine ses pensées,
au lieu de se laisser dominer par elles. Saint Paul
ne se trompait pas lorsqu'il déclarait aux
Corinthiens que les esprits des prophètes
doivent être soumis aux prophètes.
Comment expliquer que l'inspiration produise des
résultats si variés ? Il me
semble que la réponse s'impose. C'est la
liberté de l'homme qui est en cause en cette
affaire... Il en est de l'inspiration comme de
chacun des dons de Dieu. L'homme reste libre d'en
faire l'usage qui lui plaît, et la
diversité des usages auxquels il fait servir
le don de l'Esprit explique la diversité des
résultats obtenus. »
Voilà le danger des Pentecôtes :
l'action de l'Esprit se fait sentir à toutes
les âmes présentes, mais elle les
prend telles qu'elles sont, telles qu'elles
s'offrent à lui, et les confirme dans leur
tendance. Des coeurs droits, elle fait des
témoins. Mais si le coeur droit n'est pas
là, s'il reste à l'heure des
Pentecôtes quelque levain impur dans nos
âmes, ce levain entrera aussi en puissance,
ce sera une inspiration, mais pas celle du
Saint-Esprit. D'un homme aux pensées
douteuses, elle peut faire un impur. La coexistence
d'une vie religieuse intense, exaltée
même, et d'une vie des sens qui n'est pas
réglée, est un des problèmes
les plus douloureux de la vie des âmes. Des
autoritaires, elle fait des persécuteurs.
Des rêveurs, elle fait des exaltés
parfois dangereux.
La solution du problème nous est
donnée dans la définition même
de l'Esprit de Jésus, qui est l'Esprit
Saint. L'Esprit
saint
ne
peut agir dans sa plénitude que là
où il y a volonté
de sainteté. Dès qu'il
fonctionne dans un coeur partagé, son
ressort est faussé, il n'est plus saint. Il
y a une inspiration qui n'est pas celle du
Saint-Esprit.
P. Dieterlen exprime très joliment cette
réalité lorsqu'il dit d'Arnold
Bovet : « Dieu se plut à
utiliser ses dispositions, et lorsqu'en Bovet il
fit mourir le vieil homme, il respecta l'architecte
et l'engagea à son service ». Dieu
respecte toujours en nous l'architecte, il nous
prend comme nous nous donnons à lui.
Autrement dit, la condition absolue d'une
inspiration chrétienne, c'est le coeur
droit, la volonté permanente et
passionnée de sainteté, le
contrôle d'une conscience aiguisée par
la communion avec le Saint.
Sans doute, il y a des heures où l'Esprit
nous emporte au-dessus de la terre, des heures de
Pentecôte où on parle en langues,
où la prière jaillit sans
réserves et même sans phrases ;
des heures où le visage resplendit comme
celui d'un ange : Étienne ;
où l'on est ravi jusqu'au troisième
ciel : Paul ; où l'on tombe en
extase : Pierre ; où l'exaltation
est contagieuse : les réveils.
« S'il faut redouter de ces heures les
déviations malsaines, il ne faut pas les
craindre, elles sont la floraison normale de la vie
chrétienne. On ne saurait vivre pour Dieu sa
vie, sans être admis parfois à la
vivre en Dieu ; les visites de sa grâce
sont de notre pèlerinage terrestre ce que
les oasis sont à l'aridité du
désert, le moyen même de le traverser,
les lieux de repos, les ombrages bienfaisants, les
sources d'eau vive qui permettent au voyageur
fatigué de reprendre vaillamment sa
course ». (G. Frommel).
Mais le serviteur n'est pas plus grand que le
maître. Là où le maître
resta sur la terre, il n'appartient pas au
serviteur de s'envoler vers le ciel. En descendant
du mont de la transfiguration, Jésus
était maître de lui, et a guéri
un malade. En sortant de la chambre haute, Pierre a
tenu un discours rempli de bon sens et de raison.
Ils ont gardé le libre contrôle de
leur inspiration, et sa norme, qui est la
sainteté et l'action bonne.
Si je me suis attardé sur ce sujet, au
risque de m'écarter de celui de mon
étude, c'est que la question d'inspiration
et de conscience nous brûle l'âme
à l'heure qu'il est. Je ne l'ai pas
résolue, elle me reste pleine de trouble.
Mais j'ai planté un jalon essentiel pour
reconnaître l'action vraie du Saint-Esprit.
Cette action, c'est la sainteté.
La vie
inspirée
est la vie sainte. Tout
ce qui ne fait pas de nous des
porteurs de la sainteté et des propagateurs
de la sainteté, est étranger à
l'action du Saint-Esprit. En disant cela, nous
revenons tout droit à l'apôtre Pierre
qui, dans sa lettre, semble obsédé
par cette volonté de sainteté :
« Puisque celui qui vous a appelés
est saint, vous aussi soyez saints dans toute votre
conduite, selon qu'il est écrit : Vous
serez saints, car je suis saint... Vous êtes
une race élue, une nation sainte, afin que
vous annonciez les vertus de celui qui vous a
appelés des ténèbres à
son admirable lumière... lui qui a
porté nos péchés en son corps
sur le bois, afin que, morts aux
péchés, nous vivions pour la
justice. » Il dit aux femmes :
« Que vos maris soient gagnés par
votre conduite en remarquant votre manière
de vivre » ... et aux maris :
« Honorez vos femmes afin que rien ne
vienne faire obstacle à vos
prières... » et à
tous : « Quels ne devez-vous pas
être par la sainteté de la conduite et
la piété... sans taches et
irrépréhensibles dans la
paix ! »
Sainte obsession ! Voilà la vraie
action de l'Esprit. Le monde le sait mieux que
nous. Il cherche les fruits de l'Esprit, non dans
nos paroles, surtout pas dans nos discours, mais
dans nos actes ; plus que cela, dans notre
vie, dans ce fond de la personnalité dont
les actes ne sont que les manifestations
extérieures. Et il exige que ce fond soit
saint. C'était l'essentiel du message de
Pierre à l'Église ; quand on
écrit ainsi, c'est qu'on est inspiré.
Nous sommes moins renseignés sur la vie
privée de Pierre que sur celle de Paul. Mais
nous sentons, à ses accents, que
l'Église a compris le fond de son âme
quand elle l'a appelé :
« Saint Pierre ». Il eût
du reste repoussé ce titre avec
énergie, car le premier effet de la
sainteté, c'est qu'elle s'ignore.
Lorsque Pierre
s'éveilla, au lendemain de la
Pentecôte, il dut être un moment comme
« ceux qui font un rêve »
(Ps.
126) :
ces scènes
étranges, cette puissance descendue sur ses
compagnons et sur lui, la foule qui accourt, son
propre discours, l'effet produit, foudroyant,
extraordinaire ! Non, ce n'était pas un
rêve. La promesse faite était
réalisée. Aussi la première
pensée de Pierre fut-elle certainement une
prière. « Seigneur, merci pour ce
que tu as fait, rends-moi fidèle pour ce que
tu me donnes à faire ! »
L'importance de la prière dans la vie des
apôtres est telle qu'on peut bien l'appeler
le premier de leurs travaux. Pierre dit :
« Vaquer à la
prière » (I
Pierre 4 : 7).
C'est pour lui une besogne sainte,
une oeuvre. Il provoque l'élection des
diacres pour que les apôtres puissent
« s'appliquer à la
prière » (Actes
6 :
4)
(le verbe grec est ici encore plus
énergique que la traduction, il signifie
« mettre sa force à quelque
chose »).
Ce qu'est la prière de Pierre, nous pouvons
le deviner. Elle est alimentée, remplie par
ses souvenirs, c'est un regard jeté sur le
Christ, sa vie errante et solitaire, ses paroles,
sa foi, son profond amour jusqu'à la mort,
sa souffrance. Ce regard permet à celui qui
prie de se voir alors sous son vrai jour, le
renégat, le faible, lui qui a commis cette
chose atroce dont il ne se consolera jamais. De
là un cri de reconnaissance et d'absolue
consécration, ce cri que rend l'Imitation :
Dummodo
mea voluntas firma et recta ad te
permaneat, fac de me quidquid tibi placuerit
(1)
, et que traduit un
de nos cantiques
:
Chaque matin, Pierre
brise
avec lui-même et prend contact avec son
Sauveur, se réinstalle dans le domaine de
l'Esprit. À son maître appartient la
journée qui commence. Des tâches
écrasantes attendent l'apôtre :
il y a cette multitude de nouveaux convertis, des
âmes de toutes les espèces ; il y
a ses collègues qui lui demanderont des
directions ; il y a des locaux à
trouver, une répartition à faire de
biens qui ont été donnés pour
les pauvres ; il y a dès le
début la question des païens qui se
pose.
Tout cela, Pierre le dit à Dieu,
« il vaque » à la
prière. De la demande, il est conduit
à l'intercession pour la mère de son
Sauveur, pour son frère André, pour
ses amis Jacques et Jean, pour son nouveau
collègue Matthias, bientôt pour Paul
qui travaille au loin. C'est parce que nous prions
trop peu pour les autres que nous prions mal pour
nous.
Un trait domine les prières et
l'activité de Pierre, une invincible
espérance. On l'a appelé L'apôtre de
l'espérance. Son
enthousiasme de jeune homme est
devenu une conviction mûrie, qui repose sur
deux bases :
1° son expérience religieuse ;
2° l'attente du retour de Jésus.
Pierre sait ce que Jésus a fait pour lui,
où il est allé le chercher.
Dès lors, puisqu'il est allé si bas,
puisqu'il a sauvé une âme aussi
misérable que la sienne, tous les espoirs
sont permis. Il sait qu'il n'y a pas d'âme si
déchue, pas de coeur si triste, que
Jésus ne puisse y pénétrer. La base de
L'espérance chrétienne est
l'expérience de notre propre conversion. Puisqu'il
m'a
trouvé,
là où j'étais,
pourquoi ne te trouverait-il pas, et lui, et
tous ?
Et puis, Jésus
reviendra, voilà
ce qui lui permet
d'endurer joyeusement luttes et souffrances :
« La fin de toutes choses est proche...
sa gloire apparaîtra ! »
(I
Pierre 4 :
7-13). Or
Jésus
n'est
pas encore revenu. L'apôtre a-t-il donc
été trompé dans son
espérance ? Non. Il sentait
lui-même que le retour du Seigneur
dépendait de la foi des croyants, puisqu'il
les invitait « à hâter ce
jour » (2
Pierre 3 : 11).
Il a quitté la terre avant
l'aurore, mais sa puissante espérance nous
est restée : Jésus
reviendra.
Dieu mesure à chaque âge de
l'Église sa tâche. Celle du
début eût été
écrasante sans cette vigoureuse
espérance du retour de Christ. Lorsque
l'Église a pris corps dans le monde, elle a
compris qu'elle avait à y travailler avant
d'entrer dans la gloire. Une autre espérance
s'est emparée d'elle, le royaume de Dieu
ici-bas, la volonté de Dieu sur la terre,
plus par une transformation intérieure que
par un bouleversement physique. Mais elle doit
conserver la sainte impatience du retour de
Jésus, et ne pas y mettre obstacle. Ce
retour dépend, plus que nous ne le croyons
peut-être, de la fidélité des
croyants. Cette espérance, je le sais, a
été troublée par les
compositions saugrenues de ceux qui veulent
calculer les temps et les moments, « qui
font de la Bible une boîte de plots où
l'on puise au hasard pour bâtir l'avenir, ou
pour bombarder ceux qui n'ont pas la faculté
d'avaler les pierres ». Il ne s'agit pas
de calculer, mais d'espérer, et surtout
d'aimer. Désespérerons-nous de voir
se réaliser la promesse de
Jésus : « J'attirerai tous
les hommes à moi », de voir un
jour notre pauvre monde enfin vaincu soupirant
après son Roi ? S'il est venu pour moi,
pourquoi ne viendrait-il pas pour tous ? Je le
répète, la foi au retour de Christ
est un corollaire de notre conversion et une
affirmation d'humilité : celui qui m'a
sauvé, et je sais qui je suis, peut bien
sauver le monde !
Pierre s'est relevé, après avoir
prié, non pas comme nous trop souvent, avec
le sentiment d'un pénible devoir accompli,
d'une corvée faite, mais avec l'espoir au
coeur. Il n'a pas prié pour licencier Dieu,
mais pour le garder avec lui. La prière
chrétienne ne finit pas. Écoutez le
Saint de Fogazzaro : « Priez sans
trêve. Lorsque l'homme aime d'un
véritable amour, soit une personne humaine,
soit une idée de sa propre intelligence, son
esprit adhère en secret, sans interruption,
à l'objet aimé, dans le moment
même où il se livre à toutes
les besognes de la vie, besognes d'esclave ou
besognes de roi. Et cette préoccupation ne
l'empêche pas d'être attentif à
sa tâche, et il n'a pas besoin d'adresser de
longs discours à ce qu'il aime. Vous, portez
toujours dans votre âme le Père, que
tant de fois vous avez senti comme un esprit
d'amour qui soufflait en vous, et vous inspirait le
désir ineffable de vivre pour lui. Si vous
faites cela, votre action sera tout entière
animée par l'esprit de
vérité ».
Portant dans son âme le Père, et le
visage tout illuminé de l'espérance
qu'il va communiquer à ses frères,
l'apôtre est sorti de sa maison, et a rejoint
ses amis dans la chambre haute. C'est là
qu'on se réunit le matin pour régler
les affaires de la journée. Quelles belles
réunions de prières, dans cet humble
local ! Plusieurs fois l'Esprit descendit sur
le petit groupe. Ils ne sont qu'un coeur et qu'une
âme, ces hommes si différents !
On dit d'eux : « Voyez comme ils
s'aiment ! » Plus de dispute de
préséance, plus de querelles pour
savoir qui est le plus grand ! Pas de reproche
contre Pierre, de méchante allusion à
la nuit terrible. De sa part, pas d'acte
autoritaire. On dit toujours : Pierre et Jean.
Ils sont inséparables.
Le secret de cette union nous est donné par
la manière dont Pierre comprend cet autre
travail d'apôtre : la
direction de l'Église. Sa tâche,
il la
décrit lui-même :
« Paître le troupeau de Dieu qui
est sous sa garde, non par contrainte, mais
volontairement selon Dieu ; non pour un gain
sordide, mais avec dévouement ; non
comme dominant sur ceux qui vous sont échus
en partage, mais en étant les modèles
du troupeau ». (I
Pierre 5 : 2-3).
L'Église fut dirigée par Pierre
« non par contrainte, mais
volontairement ». Nous en avons la preuve
dans l'affection qu'on lui témoignait.
D'instantes supplications montaient pour lui dans
la nuit, pendant qu'il était en prison. Et
quand, délivré, il frappe à la
porte, l'humble servante est si heureuse qu'elle
oublie de lui ouvrir ! (Actes
12 :
13).
« Non pour un gain
sordide »... le
désintéressement de Pierre est
complet. Rien ne le choque comme un
intérêt d'argent. Il y a dans les
Actes une scène tragique, la mort des deux
époux Ananias et Saphira, qui ont
essayé, non de voler l'Église, mais
de faire semblant de tout lui donner en gardant
quelque chose pour eux. Je ne juge pas la
sévérité de Pierre à
cette occasion. Si nos Églises devaient voir
mourir tous ceux qui mentent à Dieu, il y
aurait une hécatombe plus formidable que
celle de la guerre. Mais je constate que la passion
de la sainteté et la haine du
péché forment un trait essentiel du
gouvernement de Pierre. Pour oser parler ainsi
devant l'Église, cet homme a dû avoir
les mains parfaitement nettes. Il dirige bien
« en étant le modèle du
troupeau ».
Une des qualités de Pierre chef
d'Église est de ne pas se laisser surcharger
de besognes accessoires au point de ne plus trouver
de temps de faire l'essentiel. Le choix des diacres
est une preuve de sagesse et d'humilité. Il
y a tant de chrétiens qui se croient
indispensables, qui n'admettent pas que quoi que ce
soit se fasse sans eux ! Pierre sut partager
les responsabilités. C'était d'une
saine pédagogie ; pour
intéresser les nouveaux convertis à
l'Église, il fallait leur donner du travail.
Il sut choisir les hommes, leur témoigner de
la confiance, les animer de son espoir, et puis les
laisser aller. On sent qu'Étienne, par
exemple, jouit d'une entière liberté
d'action ; l'aîné n'a pas eu peur
des succès de son cadet !
Un jour, Pierre amena avec lui pour le repas de
midi un homme inconnu à une partie des
chrétiens, et trop connu des autres.
Converti depuis trois ans, après avoir
été un acharné
persécuteur, il est revenu à
Jérusalem. Que de suspicions, que de
préventions ont dû compliquer ce
premier contact de Paul avec l'Église
chrétienne, nous pouvons le deviner. Pierre
l'a reçu, entouré, couvert de son
affection, protégé contre les
méfiances. J'aime à penser à
ce séjour d'une quinzaine de Paul chez
Pierre, aux conversations de ces deux hommes. De
quoi parlent-ils, sur le toit de la maison,
à la fraîcheur du soir ? De
Jésus, que Pierre a connu, que Paul a vu. Et
quand le premier a raconté à l'autre
quelques traits de la vie du Maître, ensemble
ils prient. Il faut de la part de Pierre une grande
largeur d esprit pour accepter ainsi ce nouveau
venu, qui a de grands projets, qui rêve d'une
conquête du monde païen à
laquelle les douze n'ont pas pensé. Ils en
discutent là-haut sur le toit. Pierre a
beaucoup d'objections à faire : est-ce
bien la pensée de Jésus ? est-ce
réalisable ? ne serait-il pas plus
prudent de commencer simplement par le peuple de
Dieu ? n'est-ce pas contraire à la
vocation, à l'espérance
d'Israël ? Graves problèmes. Mais
devant l'apôtre de l'espérance Paul
dessine un tableau si beau que Pierre
s'émeut. Ensemble ils prient pour avoir la
lumière.
Bientôt, Pierre verra clair. Dès lors,
il appuiera Paul sans réserve, attitude
d'autant plus digne de louange qu'elle lui vaudra
des attaques et des ennuis sans nombre, et que
surtout il verra grandir l'influence de
l'apôtre des gentils aux dépens de la
sienne. Mais il a appris l'humilité et a
dû souvent tressaillir de joie et
d'espérance, en apprenant les nouvelles de
la mission lointaine. Cependant les détails
de cette mission lui causèrent bien des
soucis : comment concilier la loi,
l'interdiction légale de manger avec les
païens, avec l'oeuvre entreprise ? C'est
là que Pierre, essayant de rester Juif
fidèle, tout en donnant à Paul la
main d'association, se brûla les doigts. Il y
eut conflit entre les deux apôtres
(Galates
2), et Paul, ne
se rendant pas
suffisamment compte des difficultés
auxquelles se heurtait son collègue de
Jérusalem, fut assez dur dans ses
reproches.
Qu'importe ? Ces deux hommes se sont sentis
frères, et la tradition qui les fait mourir
le même jour et au même lieu est un
beau symbole de ce qui fit la grandeur de ces deux
vies : leur fraternité d'armes au
service du même roi.
Oh ! ces premières amitiés
chrétiennes, quelle
source de
joie ! Ces hommes, unis par tant de souvenirs
communs, par tant de communes espérances,
par tant de souffrances supportées coude
à coude ! Ces conversations entre
Pierre et Jean, entre Pierre et Paul ! Les
visites que Pierre faisait à la "sainte
mère" de son Maître chez son meilleur
ami ! Puis des figures plus humbles :
Corneille le capitaine, Simon le corroyeur, qui
reçoit l'apôtre dans sa maison pendant
une tournée missionnaire, et d'autres,
jusqu'à la petite servante Rhode, qui
participe à la réunion de
prières en faveur de l'ami prisonnier, et
qui allant ouvrir la porte à l'inconnu, le
laisse dehors tant elle est contente que ce soit
lui !
Cette fraternité trouvait son expression
parfaite à l'heure du dîner. Ces gens
qui avaient tout en commun et qui avaient l'air de
tant s'aimer, attiraient naturellement une
quantité de pauvres, et les apôtres
avaient fort à faire à passer de
table en table et de maison en maison, serrer la
main à tous ces amis et veiller à ce
que tout se passe avec ordre. Des jeunes gens
dévoués leur sont adjoints, et
Pierre, déchargé du soin
matériel, peut apporter librement une parole
d'encouragement à ces coeurs
troublés, à ces
malades, ces
pauvres
qui
cherchent un refuge pour leurs maux. Il me semble
le voir aller et venir, messager
d'espérance !
Tel, après son repas, se repose. Pierre,
lui, entre dans la lutte : il faut recruter
l'Église, appeler tous les hommes à
Jésus. Où trouver une meilleure
tribune que celle choisie par le
Maître ? Après-midi, Pierre monte
au temple, ce temple tout rempli pour lui des
souvenirs de la sainte semaine.
Vous connaissez la scène : cet impotent
anxieux qui fixe ses regards sur ceux de
l'apôtre et s'allume de son espérance.
Puis la guérison miraculeuse. Que penser de
ce pouvoir surhumain transmis par le Maître
à ses disciples ? Quelle place donner
dans l'évangélisation à la guérison
par
la foi ?
Plusieurs serviteurs de Dieu ont
possédé le don de guérison,
Christophe Blumhardt, Dorothée Trudel et
d'autres, après les apôtres.
« La source de leur puissance, dit Pierre
Dieterlen, c'est qu'ils ont pris Dieu au mot et la
Bible au sérieux. Les expressions admirables
du langage biblique : repentance, pardon,
sacrifice, délivrance, que nous
répétons si facilement sans y faire
attention et parfois sans y croire, avaient pour
eux toute leur valeur. Il leur était permis
de ne pas mutiler les promesses contenues dans ces
mots : guérison et délivrance,
parce qu'ils ne se permettaient pas de diminuer le
contenu redoutable de ceux-ci : sacrifice,
renoncement. Dans leur vie comme dans leur bouche,
les choses de Dieu conservaient leur divine
grandeur ; et c'est pour cela que dans leur
bouche comme dans leur vie, elles retrouvaient
toute leur merveilleuse puissance ».
Le nom de Jésus, que nous accolons si
souvent à des prières qui sont des
injures à Dieu, était pour Pierre un
nom vivant. Ce que nous avons de lui, si vite
volatilisé, il l'avait au complet. Et ce que
nous donnons, si chichement, en gardant pour nous
le meilleur, il le donnait à fond :
« Ce que j'ai, je te le donne,
lève-toi ! » Du Sauveur
auquel il avait tout donné, il se sentait le
droit de tout demander.
Cependant je remarque que Pierre a rarement
usé de ce don. Les apôtres, comme le
Maître, ont redouté leur propre
pouvoir. Quand Pierre se promenait dans les rues,
et que les malades essayaient de se traîner
à l'ombre de son manteau, « on les
plaçait sur son passage, sur des lits et des
couchettes, afin que son ombre au moins les
couvrît » (Actes
5 :
15),
je suis sûr qu'il a eu peur.
On venait à lui, non pour l'âme, mais
pour le corps, non vers le serviteur de
Jésus, mais vers le guérisseur
magique. Il a dû revivre là
quelques-unes des heures les plus tragiques du
ministère de son Maître, alors que
celui-ci refusait des miracles, fuyait la foule qui
espérait des guérisons, et avait
l'air de fermer son coeur aux appels de la
misère, devant en quelque sorte refouler la
pitié qui lui sortait du coeur pour pouvoir
rester le sauveur, et non un magicien, et souffrant
de voir ce peuple malheureux s'obstiner à
chercher auprès de lui un bonheur illusoire,
qu'il ne pouvait pas lui donner. Car à quoi
bon guérir les corps, si les âmes
restaient aussi vides, aussi misérables
qu'avant, si la guérison même les
lançait dans la perdition en leur rendant
les moyens de se perdre ?
Il y a de la part des apôtres une grande
sagesse à ne pas avoir versé dans
cette direction. La tentation dut être grande
pour eux, il y a plus de gloire à être
un guérisseur miraculeux qu'un
évangéliste. Il y avait là
certes un moyen de recruter l'Église. Mais,
à l'école de Jésus, Pierre a
appris à se défier de son propre
pouvoir et à chercher avant tout
l'âme.
Nous avons le droit de demander à Dieu la
guérison pour nous et pour les nôtres.
Mais quelle responsabilité s'il nous
l'accorde ! Une
vie qu'il nous rend doit lui
appartenir.
Le peuple s'est rassemblé autour des
apôtres, et Pierre lui parle. Jetons un coup
d'oeil sur ce côté du travail
apostolique : la
parole. L'effet
des
discours de Pierre est énorme.
Pourquoi ? parce qu'ils sont l'expression
d'une conviction. Quand on l'entend parler, on
reconnaît « qu'il a
été avec Jésus ».
Tout est là. Il ne prêche pas une
doctrine, il proclame un fait : le Messie est
venu, il vient, il reviendra. Ce qui fait de lui un
témoin, ce n'est pas un certain enseignement
reçu, c'est la vie et la personnalité
du Christ. Il parle avec puissance, parce qu'il ne
parle ni de lui, ni pour lui, ni par lui, mais de
Jésus, pour Jésus et par
Jésus. Trésor inépuisable que
nous sommes appelés à distribuer
à pleines mains et sans crainte.
« Il est clair que nous portons ce
trésor dans des vases de terre, et que tout
ce qui dépend de nous, c'est que le vase
n'ait pas de fêlure par où
s'échappe l'eau vive, ni d'impureté
où elle se corrompe. »
(Vinet).
Le succès de la prédication
apostolique correspond à un quadruple
effort :
1. Un
effort d'humilité.
Je
cite Dieterlen : « Un père
disait de son fils qui venait de prononcer son
premier sermon » :
« C'est-il prêcher,
ça » ? N'avez-vous jamais
pensé dans le secret de votre coeur :
« C'est-il parlé
ça ! » On peut combattre ces
mouvements d'orgueil comme le père
Lacordaire, qui, après avoir remué
une foule immense par sa prédication, se
jetait par terre et appelait un moine qui lui
marchait dessus. Mais on pourrait encore se
relever, en disant : « C'est-il
humilié, ça ? » et ce
serait de nouveau de l'orgueil, et le pire de
tous. » Le danger est effrayant pour
quiconque doit parler. Je ne sais qu'un moyen d'y
parer, c'est de garder le souvenir poignant, mais
béni par son aiguillon même, d'heures
où, comme Pierre, nous avons renié le
Maître, d'heures dont il n'est pas question
de s'enorgueillir, et dont la vision fait monter au
front le rouge de la honte. En pensant à son
reniement, Pierre a certainement
éprouvé ce qu'Augustin a
exprimé par ces mots : Félix
culpa ! (faute
bénie).
Hélas oui, nous en sommes là, si
misérables dans notre orgueil, que nous
devons bénir les chutes dont le souvenir est
assez affreux pour nous ramener à
l'humilité, c'est-à-dire à la
vérité.
2. Un
effort de
vérité, presque
aussi
difficile.
Écoutez Fallot : « Voici un
homme qui parle de choses grandes et belles ;
il exalte l'amour de Dieu, il flétrit le
péché, il recommande la
prière. Jadis il a ressenti l'amour de Dieu,
combattu le péché, pratiqué la
prière, mais tout cela n'existe plus pour
lui qu'à l'état de souvenir. Quand il
en parle avec tant de chaleur, vous vous imaginez
qu'il s'agit d'expériences actuelles.
Erreur : simple affaire de
mémoire ! ni le coeur, ni la conscience
ne sont en jeu. - N'est-ce pas l'explication des
misérables avortements de tant d'admirables
mouvements suscités par l'esprit de
Dieu ? C'est le mensonge qui a tout
ruiné. Les initiateurs du mouvement avaient,
dans la force de Dieu, prononcé de
puissantes paroles, et ces paroles avaient
été efficaces parce qu'elles
étaient vraies, parce qu'elles exprimaient
les sentiments dont les coeurs débordaient.
Ceux qui sont venus après eux,
désireux de continuer leur oeuvre, n'ont eu
ni leur foi, ni leur haine du mal, ni leur amour
héroïque des âmes ; mais ils
ont
parié comme s'ils possédaient tout
cela. Ce qui
était naturel chez les premiers est devenu
procédé chez les seconds... Pour
pouvoir prêcher la vérité, il
faut avant tout marcher dans la
vérité ! »
Pierre et Paul ont forgé de toutes
pièces des mots considérables pour
exprimer des expériences débordantes.
Ils furent dans la vérité. Les mots,
ils nous les ont transmis, mais ne
dépassent-ils pas singulièrement nos
pauvres expériences ? Ne sont-ils pas
devenus
« procédé » au
lieu de vérité ?
« Ça ne prend plus, parce que
ça ne nous a pas pris
d'abord ! » Quel effort à
faire pour ne jamais dépasser nos
réalités personnelles, pour ne pas
recouvrir notre vide de mots immenses,
fabriqués par des géants, pour ne pas
vivre du passé, ou des autres ! Et s'il
vous semble que c'est nous condamner à
rester pauvres d'éloquence et petits
d'effets, rappelons-nous que Jésus a
dit : « Fidèle dans les
petites choses. »
3. Un effort d'intelligence.
Pierre
savait que l'Évangile confond la sagesse des
intelligents. Il n'en est pas moins un
prédicateur remarquable par sa connaissance
des hommes et des saints livres, et par la saine
raison de ses exposés. Le christianisme est
fait pour être pensé, et il faut le
bien penser et le bien dire.
« Jésus savait bien, dit M.
Flournoy, que ce n'est pas par l'érudition,
les brillants tournois de mots et d'idées
abstraites que la vie se communique et
s'entretient, puisqu'il a été le
premier â proclamer que la Lettre tue, tandis
que c est l'Esprit qui vivifie. Mais il a bien
aperçu aussi, et bien montré par son
exemple, que le meilleur moyen d'empêcher la
Lettre de tuer, c'est encore de la posséder
au point d'en être le maître et de la
ployer au service même de
l'Esprit. »
Le même
auteur
raconte l'histoire d'un ouvrier qui, après
avoir lu tel livre réputé
chrétien, fatras insipide,
s'écriait : « Il se peut bien
que Jésus-Christ soit obscur, mais il ne
peut pas être bête ! »
Et il ajoute finement : « Parole
profonde en sa naïveté, et que je
voudrais voir affichée, en guise d'
« écriteau biblique »,
dans tous les bureaux de rédaction des
journaux, livres ou petits traités
religieux. » Oui, parole à
méditer, et que je rapproche de
l'exclamation de Vinet : « Quand on
entend dire à certains chrétiens
qu'il faut abjurer entièrement la raison,
l'intelligence et le bon sens... on voudrait bien
savoir par où ils
croient ! »
C'est la
gloire de la
Réformation d'avoir remis en évidence
le rôle de la parole, d'avoir remplacé
le prêtre au langage mystérieux et
incompréhensible par le prédicateur,
qui met au service du Christ l'une des plus belles
des facultés humaines : la raison. Ils
ont suivi en cela la route tracée par le
plus grand des missionnaires, l'apôtre Paul,
qui fut un penseur, et qui servit Christ aussi par
son intelligence et son érudition
pharisienne. Les Réformateurs furent des
savants. Jean fut un théologien. Pierre fut
un travailleur et savait ce qu'il voulait dire.
Comprenez-moi
bien.
Je ne veux pas dire qu'on ne puisse être
chrétien sans parler. Je veux dire que
lorsqu'on parle, il faut parler aussi bien qu'on
peut le faire. Je ne prétends pas qu'il
faille être savant, ni même
intelligent, pour faire une bonne étude
biblique. J'en ai entendu de magnifiques faites par
des gens qui savaient à peine lire. Mais je
prétends que lorsqu'on sait lire, il faut
s'en servir ; que lorsqu'on sait penser, il
faut vouloir penser, et mettre tout ce que nous
avons d'intelligence et de connaissances au service
du Sauveur. « Elle a fait ce qu'elle a pu
», disait Jésus d'une pauvre femme. Il
n'en demande pas davantage, mais il n'en exige pas
moins. Pour sa gloire, rien ne saurait être
négligé.
4. Un
effort d'amour et
d'espérance. « Ce
qu'il
faut, disait
Robert de Félice mourant, c'est la
régénération des
âmes ! » Ce que nous voulons
en parlant, ce sont des âmes, ces belles
âmes si tristes que Jésus seul peut
rendre lumineuses. Nous avons des ambitions
illimitées, comme les promesses de Dieu.
L'apôtre Pierre est magnifique dans ses
prétentions pour les âmes ; elles
sont, dit-il, « une race élue, un
sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple
acquis » (I
Pierre 2 : 9),
merveilleuse vision de ce peuple
composé d'esclaves, de servantes, de parias
! Elles ont droit à toutes les grâces,
« un héritage incorruptible, sans
tache, inaltérable », et au grand
devoir « annoncer les vertus de celui qui
vous a appelés des ténèbres
à son admirable lumière ».
Elles doivent, « comme des pierres
vivantes, s'édifier pour former une maison
spirituelle, s'aimer ardemment les unes les autres,
se revêtir d'humilité, croître
dans la grâce, et s'offrir en victimes
spirituelles pour la gloire de Christ ». Elles
ont droit « aux plus grandes, aux plus
précieuses promesses... jusqu'à ce
que le jour vienne à paraître et que
l'étoile du matin se lève dans vos
coeurs ! » (II
Pierre
1 : 4-19).
Quel
message,
reposant à fond sur la
réalité, et s'envolant dans les
hauteurs inexplorées de Dieu ! Ajoutons
encore, pour compléter ce tableau de la
prédication apostolique, la manière
touchante avec laquelle Pierre parle des
souffrances de Jésus. On y sent le coeur du
disciple fidèle, et comme un regret
persistant de n'avoir pas pu veiller une heure avec
lui, « lui qui, injurié, ne
rendait point d'injures ; maltraité, ne
faisait point de menaces... lui qui a porté
lui-même nos péchés en son
corps sur le bois... lui par les meurtrissures
duquel vous avez été
guéris. » (I
Pierre 2 : 23-24.)
On
comprend que je
parle maintenant de ce que fut pour Pierre la
suprême joie, le plus beau des travaux de
l'apostolat, la
souffrance pour Jésus. « Le
serviteur n'est pas
plus grand que le maître. S'ils vous
haïssent, sachez qu'ils m'ont haï avant
vous. S'ils m'ont persécuté, ils vous
persécuteront aussi ».
L'apôtre pense sans doute à ces
paroles au moment où, sur la fin de
l'après-midi, la police du temple vient
l'arrêter.
Il n'est
pas si grand
que son maître : on n'avait pas
osé mettre la main sur Jésus en plein
jour, on prend moins de précautions avec
lui : Quelle joie enfin de pouvoir en quelque
sorte réparer sa trahison, clamer bien haut
sa foi là même où il a
« flanché » ! Son
assurance étonne ses juges, qui le
connaissent pour un homme du peuple ; n'a-t-il
pas l'accent provincial ? c'est un ancien
pêcheur. Si seulement on pouvait le faire
taire ! Mais menaces et promesses n'y font
rien, il ne peut pas « ne pas parler de
ce qu'il a vu et entendu. » (Actes
4 :
20.)
La
première
fois on le relâche, et, tout joyeux, il
rejoint l'Église qui prie. L'émotion
de cette heure est telle qu'une nouvelle effusion
de l'Esprit se produit.
La seconde
fois, on
lui inflige le supplice du fouet, comme à
son Maître, peut-être dans le
même local ! Ce que ses juges regardent
comme infamant lui est une gloire.
La
troisième
fois il est jeté au cachot, lourdement
enchaîné entre deux soldats. Cette
fois il est bien, lui aussi, « mis au
nombre des malfaiteurs. » Dans la nuit,
il dort, attendant le supplice. À
Jésus seul appartenait le glorieux
privilège de boire la coupe jusqu'à
la lie. Humble et joyeux, Pierre accepte
d'être délivré. Il va frapper
à la porte de Marie, et la brave servante
« dans sa joie, au lieu d'ouvrir, courut
annoncer que Pierre était devant la
porte. » Quelle belle réunion
d'actions de grâces !
Après avoir quitté ses amis, Pierre
regagne sa maison. Cette nuit commencée en
prison, il l'achève en prière. Il
s'offre à nouveau à Celui qui l'a
miraculeusement délivré, il offre son
corps et son âme. Il voit dans l'avenir son
immense espérance se réaliser, car
Celui qui l'a sauvé doit régner. Il
voit les païens admis à la table
divine, et pense à son ami Paul qui
travaille au loin. Lui-même a des projets de
voyage ; sa présence n'est plus
indispensable à Jérusalem ;
Simon, le corroyeur de Joppé, l'a
invité à passer quelques jours chez
lui.
De là, qui
sait ? Peut-être ira-t-il plus
loin ? Il rêve
d'évangélisation lointaine. N'y
a-t-il pas des millions de Juifs répandus
dans l'empire et qui ont droit au salut ? Il y
en a à Corinthe, à Rome. Oh !
aller jusqu'à Rome porter la croix, quelle
gloire ! Pourquoi pas ? Rien ne retient
l'apôtre ; sa femme, aide fidèle,
l'accompagnera ; ensemble, ils porteront le
message qui leur remplit le coeur. (I
Cor. 9 : 5).
Et s'il
faut mourir,
comme Étienne est mort, lapidé ;
comme Jacques est mort,
décapité ! Eh bien, à la
garde de Dieu ! Si peut-être, oh !
cela lui paraît trop beau, mais à son
horizon spirituel se dresse une croix !... si
peut-être il était jugé digne
de mourir comme son Roi, comme il aurait dû
mourir, lui, le disciple fidèle, à
côté du Maître, à la
place de ces brigands, ... si peut-être cela
arrivait un jour !... « Non,
s'écrie l'apôtre, je ne suis pas digne
de souffrir comme toi, ... non, pas comme toi, mais
la tête en bas ! »
Pendant
que Pierre
prie, peu à peu le jour s'est levé,
et l'étoile du matin contemple le Mont des
Oliviers et la colline de la croix. Il chante
maintenant : « Nous attendons, selon
ta promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle
terre, où la justice habitera. À toi
soit la gloire, maintenant, et pour
l'éternité ! »
PAUL VITTOZ.
(1) «Pourvu que ma volonté te reste attaché sans hésitation, fais de moi ce que tu voudras»
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