Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Pierre l'apôtre.

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Le titre du livre qui sert de base à cette étude nous en donne d'avance le contenu « les Actes des apôtres ». Des actes, c'est à cela que se mesure toute vie d'homme, ce sont les fruits de l'arbre, c'est ce qui donne au témoignage chrétien sa valeur.
Mais tandis que tant d'actes commis au cours de l'histoire sont tombés dans l'oubli, ou, ce qui est pire, ont laissé des traces de mal et de misère, les actes dont nous allons parler demeurent, et ont produit une intense bénédiction. Pourquoi : C'était des actes d'apôtres, « c'est-à-dire d'envoyés » ; des actes d'hommes envoyés par Christ, où Christ lui-même agissait. Lacordaire a bien marqué la différence entre ces actes-là et ceux de l'homme par ces lignes que je choisis pour suscription de cette étude : « Il y en a un qui est la pierre angulaire. « Hic est lapis. » Quiconque a voulu bâtir sans cette pierre n'a rien élevé que le premier vent n'ait dispersé, que le premier torrent n'ait détruit. Celui-là, rien ne le remplace. Quiconque a fait sans lui de la gloire n'a réussi qu'à déchaîner sur la terre le monde sanglant des batailles sans fin. Quiconque a fait sans lui de l'industrie n'a réussi qu'à abrutir les hommes et à transformer le monde en chaudière et les âmes immortelles en rouages souffrants et irrités, qui tournent, blasphèment et se brisent dans la nuit. Quiconque a fait sans lui de la science s'est enfoui dans les sables de la raison pure et de l'altière critique. Quiconque a fait sans lui de l'autorité a glissé dans le sang des victimes révolutionnaires, et quiconque a fait sans lui de la liberté s'est réveillé, serré à la gorge par un soldat qui lui a dit en le chargeant de fers : « Je suis la liberté. »


A. LES SOURCES DE L'APOSTOLAT.

Nous avons vu hier ce qui a fait de Pierre un homme. Qu'est-ce qui a fait de lui un apôtre ?

1. L'appel du Christ vivant.
J'ai contemplé, en commençant cette étude, un tableau que j'aime beaucoup : une rue de Jérusalem, déserte, la nuit. Dans l'embrasure d'une porte, fuyant la clarté de la lune, un homme est agenouillé, abîmé dans une douleur muette. Derrière lui se dresse une haute figure, et une main se pose sur son épaule. Sous le tableau, ces mots de
Luc 24 : 34 : « Il est apparu à Simon ». À lui, Pierre, le lâche, le renégat, qui s'accuse et pleure, Jésus est apparu vivant, après avoir souffert par lui et pour lui une douleur sans nom. Alors le coeur de Pierre s'est brisé, s'est donné. Et quand, une autre fois, au bord du lac, le Maître lui a demandé : « M'aimes-tu ? » il a pu répondre, et tout son coeur a passé dans cette réponse :
« Tu sais toutes choses, tu sais que je t'aime. » Et Jésus lui a dit : « Pais mes agneaux ! »

On parle aujourd'hui d'apparitions spirituelles, de phénomènes subjectifs, d'autosuggestion. Les amis de Jésus auraient tant désiré le revoir qu'ils ont cru le revoir ! L'apostolat reposerait sur un travail d'imagination. Croyez-vous qu'une telle conception aurait résisté aux faits, aurait donné à ces hommes la force de braver toute leur époque ? Car il ne faut pas juger les actes des apôtres d'après vingt siècles de christianisme. C'était un début. Ces hommes furent seuls, furent les premiers. Avant eux, il n'y avait rien, aucune base solide, aucune tradition. L'espérance nationale était contre eux. L intelligence aussi. Pour eux, il n'y avait qu'un fait,
ils ont vu et entendu le Christ vivant. Avec cette certitude au coeur ils ont brisé tous les obstacles et vaincu le monde.

Lorsque Pierre était prostré, dans la nuit, ce n'est pas lui qui est allé vers Jésus, c'est Jésus qui est venu vers lui. Ce n'est pas cette âme qui a reconnu et retrouvé son Sauveur, bien qu'elle le cherchât, c'est le Maître qui a reconnu et retrouvé cette âme. « Le vrai Maître de l'âme est celui qui vient vers elle et lui ouvre les yeux, et qu'elle-même n'aurait pas trouvé s'il ne s'était laissé trouver. Un chercheur ne trouve que ce qui est au niveau de son intelligence et à portée de sa main, et le Dieu qui croit découvrir une âme n'est jamais que sa créature. Il faut qu'il y ait chez le Maître quelque élément inexplicable au disciple, et notre coeur ne s'inclinerait pas devant une autorité dont elle aurait touché le fond, qui ne serait en réalité que le produit de ce coeur. C'est là la base de toute vocation chrétienne, de toute foi réelle à la résurrection : le seul Sauveur est celui qui se révèle, et qu'on ne reconnaît qu'à l'heure où il nous appelle. » (Paul Gounelle).

Pierre a été appelé directement par le Christ vivant, il a été envoyé par lui personnellement. Comme les autres, il a entendu l'ordre : « Vous serez mes témoins », mais seul il a eu cet ordre de marche direct : « Pais mes agneaux. » Il reçoit un mandat de chef. Ainsi seulement s'explique le fait que cet homme abattu, écrasé, humilié, disqualifié, se lève maintenant au milieu de ses frères, et parle en maître (
Actes 1: 15).

Pierre n'a jamais dans les discours que nous possédons de lui, parlé de son reniement. Le pardon de Jésus a tout effacé, il n'y a plus à y revenir. Il n'a jamais parlé de son appel au bord du lac, l'autorité intérieure lui suffit, et s'impose. Mais on sent partout dans sa vie la trace de ces deux heures capitales. Lui, l'homme orgueilleux, deviendra petit, il aura à accepter une dure école, assister au succès de son collègue Paul, à son influence grandissante, qui fera diminuer la sienne. C'est la plus dure épreuve pour un apôtre. Lui, l'homme qui a tremblé devant une servante, parlera dans les rues et apostrophera le sanhédrin. Il est devenu humble, il est devenu fort. On reconnaît « qu'il a été avec Jésus. » (
Actes 4 : 13).

Le premier acte de Pierre, apôtre, a dû être pour lui d'une saisissante éloquence :
remplacer Judas ! Quel parallèle il a pu établir dans son coeur entre cet homme et lui ! Ce sont eux qui, dans la nuit fatale, ont été en contact direct avec Jésus et lui ont causé ses deux plus grands chagrins. Judas s'est pendu, et Pierre agit. Ils se ressemblaient certainement dans leur ardeur des premiers jours, ils ont prié ensemble. Pourquoi l'un a-t-il été « pris », et l'autre « laissé » ? C'est le mystère de la conscience et de l'action du Maître. Leur route a bifurqué au moment des larmes de Pierre. Judas, lui aussi, a eu un regard de Jésus dans le jardin, comme Pierre dans la cour. Mais Judas n'a pas pleuré. Deux vies d'hommes se sont jouées dans cette nuit-là. Notre vie peut dépendre aussi de l'accueil que nous faisons à un regard du Maître, quand nous l'avons trahi.

À propos de la vocation de Pierre, disons un mot des prétentions romaines.
Une vocation ne d'hérité pas. C'est Pierre qui a été appelé. On n'a pas le droit de transmettre un appel de Dieu à un successeur. Dieu seul appelle. Vérité redoutable. Nous ne pouvons pas faire de nos enfants, de nos amis, des chrétiens. Notre tâche à nous, c'est de rendre témoignage, mais l'oeuvre de la vocation s'accomplit en dehors de nous. Seulement n'y mettons pas obstacle. « Tout est accompli, bien avant que nous ayons rien achevé. Réveiller nos frères à cette vie spirituelle que Dieu ne se lasse pas de proposer à toute âme ; rendre leurs consciences réceptives à l'action divine dont ils sont les objets, telle est la tâche qui nous incombe. Nous ne devons rien de moins, mais nous ne pouvons rien de plus. » (G. Frommel).

Pour conclure ces réflexions au sujet de la vocation de l'apôtre, citons encore Frommel : « Heures bénies et solennelles ! où tous les intermédiaires tombent, où les distances s'effacent, où la présence de Jésus-Christ s'affirme pleine, réelle et bienheureuse, où Jésus-Christ parle, où Jésus-Christ se montre et devient comme visible à l'oeil de notre foi ; où les doutes s'évanouissent, où les problèmes se résolvent, où se prononcent les engagements décisifs, où se consomment les sacrifices sans repentir, où se prennent les décisions irrévocables ! Heures saintes et bénies ! Par elles nous sommes devenus les témoins de Jésus-Christ. »
C'est parce que Pierre a connu des heures semblables qu'il a pu signer ses lettres : « envoyé de Jésus-Christ. »

2. L'action du Saint-Esprit.
Il ne suffit pas d'avoir été envoyé. Il faut, après la rencontre avec le Maître, le contact permanent avec lui. C'est l'oeuvre du Saint-Esprit. Après la vision glorieuse, après l'appel, il donne la participation vivante et constante à l'oeuvre et à la personne de Jésus. Lui en Pierre, et Pierre en lui, le sarment attaché au cep, portant son fruit par la sève qui vient du cep. « Parce que je vis, dit Jésus, vous vivrez aussi. » Pierre a vécu désormais parce que Jésus vit, l'ancien Simon est mort définitivement. Jésus est la substance de sa vie, l'esprit de Jésus lui donne les paroles qu'il faut dire, les actes qu'il faut faire. Par l'Esprit, une vie d'homme, avec toutes ses possibilités, devient l'organe de Jésus, une puissance de foi et d'amour, la puissance que Jésus a conquise et qu'il nous transmet.

Par Lui, le témoignage de Pierre a l'accent de la certitude. Il ne dit plus ce qu'il a entendu dire, ni même ce qu'il a appris de Jésus. Il dit ce qu'il entend, directement, ce qu'il sait, ce qui est dit
en lui. Dans son langage, dans le timbre de sa voix, il y a quelque chose du Maître. « Le monde ne s'y trompe pas. Et, soit qu'il s'incline pour accueillir notre message, soit qu'il se dresse pour y résister, il discerne en nous les ambassadeurs et les représentants de Celui qui seul a droit de régner sur les consciences humaines », de Celui qui a dit : « Je suis la Vérité. »

Le Saint-Esprit assure à son possesseur « l'immédiateté », comme on désignait au moyen âge la situation des pays qui dépendaient directement de l'empereur, sans être soumis aux vassaux intermédiaires. L'Esprit soustrait l'apôtre à l'influence du milieu pour le placer sous celle de Dieu. Sans doute il reste Juif, attaché au temple, aux coutumes nationales, à la terre natale. Mais il ne dépend plus de ces choses. D'un bond sa pensée interroge celle de Dieu, et c'est l'Esprit qui lui donne ces deux certitudes, incroyables à l'époque où il vivait :
1° que le Messie a pu être crucifié,
2° que les païens ont accès au salut.

Un messie crucifié, c'était pour tout Juif un contresens, une énormité, un scandale. « Pierre, rempli du Saint-Esprit, affirme : Jésus est la pierre, la principale de l'angle, il n'y a de salut en aucun autre » (
Actes 4 : 9-11) - L'Esprit lui a révélé la grandeur de l'abaissement. Il sait que ce qui l'a sauvé, c'est la souffrance et la mort de son roi.

Pour l'admission des païens au salut, Pierre a reçu une révélation spéciale, sur le toit d'une maison, à Joppé, pendant qu'il priait. (
Actes 10 : 10 ). Nous voyons dans cette scène un des modes d'action de l'Esprit. S'il agit constamment dans l'apôtre, il lui donne à certaines heures des clartés spéciales. Dans les chemins obscurs où il marche fidèlement, jaillit tout à coup une étincelle révélatrice. « Une certitude est née, mystérieuse, une conviction si profonde, si personnelle, qu'elle demeure incommunicable ; mais rien ne peut l'ébranler ».

Hudson Taylor entend un ordre aussi distinct que si une voix lui avait parlé : « Va en Chine pour moi ! » « Je n'oublierai jamais, dit-il, le sentiment qui s'empara de moi. Les mots se refusent à l'exprimer. Je me sentais en présence de Dieu, concluant une alliance avec le Tout-Puissant. Il me semblait que je voulais retirer ma promesse, mais je ne le pouvais pas. Je crus m'entendre dire : ta prière est exaucée, tes conditions sont acceptées ; et depuis lors, la conviction que j'étais appelé à aller en Chine ne m'a jamais quitté ».
C'est Casalis qui s'engage au service de son pays. C'est notre ami Baudraz qui refuse de servir. L'Esprit souffle où il veut.

Ici nous touchons à un redoutable problème : On peut se tromper, même sous l'action de l'Esprit. M. Ph. Bridel, dans un article de
l'Essor, a très bien montré que la conviction inspirée ne peut pas se soustraire au tempérament psychologique de l'individu. Torquemada se croyait peut-être inspiré en brûlant les hérétiques, et Calvin a certainement prié avant de brûler Servet. Ils ont cru agir sous l'action du Saint-Esprit. Ils n'ont pas regretté leurs actes. Il y a une inspiration qui n'est pas celle de Jésus, et qu'on prend sincèrement pour celle de Jésus.


T. Fallot, dans
l'Action bonne, a éclairé pour moi ce problème angoissant : « L'inspiration ne fait qu'une chose, elle confirme l'homme dans la tendance qui lui est propre. On ne saurait trop insister sur ce point. Je ne dis pas : l'inspiration laisse l'homme tel qu'il est. Je dis : elle l'aide à devenir ce qu'il vise à devenir.
D'un grossier soldat, elle fait un vaillant homme de guerre ; d'un patriote, un grand citoyen ; d'un ennemi de l'iniquité, un homme passionné de justice ; d'un croyant, un voyant... L'Esprit fait l'éducation de l'inspiré, à la condition que celui-ci se soumette librement à cette discipline salutaire. La bonne volonté, ce que l'Ancien Testament appelle le coeur droit, joue ici un rôle capital. Si tant d'inspirés, après avoir bien commencé, ont fait ici-bas si triste figure, c'est précisément parce que le coeur droit a fini par leur faire défaut... On n'explique rien, lorsqu'on traite l'inspiration comme une force aveugle qui ne connaît d'autre règle que son propre caprice. Elle ne demeure féconde qu'à la condition que l'inspiré fasse oeuvre de liberté, et qu'il domine ses pensées, au lieu de se laisser dominer par elles. Saint Paul ne se trompait pas lorsqu'il déclarait aux Corinthiens que les esprits des prophètes doivent être soumis aux prophètes. Comment expliquer que l'inspiration produise des résultats si variés ? Il me semble que la réponse s'impose. C'est la liberté de l'homme qui est en cause en cette affaire... Il en est de l'inspiration comme de chacun des dons de Dieu. L'homme reste libre d'en faire l'usage qui lui plaît, et la diversité des usages auxquels il fait servir le don de l'Esprit explique la diversité des résultats obtenus. »

Voilà le danger des Pentecôtes : l'action de l'Esprit se fait sentir à toutes les âmes présentes, mais elle les prend telles qu'elles sont, telles qu'elles s'offrent à lui, et les confirme dans leur tendance. Des coeurs droits, elle fait des témoins. Mais si le coeur droit n'est pas là, s'il reste à l'heure des Pentecôtes quelque levain impur dans nos âmes, ce levain entrera aussi en puissance, ce sera une inspiration, mais pas celle du Saint-Esprit. D'un homme aux pensées douteuses, elle peut faire un impur. La coexistence d'une vie religieuse intense, exaltée même, et d'une vie des sens qui n'est pas réglée, est un des problèmes les plus douloureux de la vie des âmes. Des autoritaires, elle fait des persécuteurs. Des rêveurs, elle fait des exaltés parfois dangereux.

La solution du problème nous est donnée dans la définition même de l'Esprit de Jésus, qui est l'Esprit S
aint. L'Esprit saint ne peut agir dans sa plénitude que là où il y a volonté de sainteté. Dès qu'il fonctionne dans un coeur partagé, son ressort est faussé, il n'est plus saint. Il y a une inspiration qui n'est pas celle du Saint-Esprit.
P. Dieterlen exprime très joliment cette réalité lorsqu'il dit d'Arnold Bovet : « Dieu se plut à utiliser ses dispositions, et lorsqu'en Bovet il fit mourir le vieil homme, il respecta l'architecte et l'engagea à son service ». Dieu respecte toujours en nous l'architecte, il nous prend comme nous nous donnons à lui. Autrement dit, la condition absolue d'une inspiration chrétienne, c'est le coeur droit, la volonté permanente et passionnée de sainteté, le contrôle d'une conscience aiguisée par la communion avec le Saint.

Sans doute, il y a des heures où l'Esprit nous emporte au-dessus de la terre, des heures de Pentecôte où on parle en langues, où la prière jaillit sans réserves et même sans phrases ; des heures où le visage resplendit comme celui d'un ange : Étienne ; où l'on est ravi jusqu'au troisième ciel : Paul ; où l'on tombe en extase : Pierre ; où l'exaltation est contagieuse : les réveils. « S'il faut redouter de ces heures les déviations malsaines, il ne faut pas les craindre, elles sont la floraison normale de la vie chrétienne. On ne saurait vivre pour Dieu sa vie, sans être admis parfois à la vivre en Dieu ; les visites de sa grâce sont de notre pèlerinage terrestre ce que les oasis sont à l'aridité du désert, le moyen même de le traverser, les lieux de repos, les ombrages bienfaisants, les sources d'eau vive qui permettent au voyageur fatigué de reprendre vaillamment sa course ». (G. Frommel).

Mais le serviteur n'est pas plus grand que le maître. Là où le maître resta sur la terre, il n'appartient pas au serviteur de s'envoler vers le ciel. En descendant du mont de la transfiguration, Jésus était maître de lui, et a guéri un malade. En sortant de la chambre haute, Pierre a tenu un discours rempli de bon sens et de raison. Ils ont gardé le libre contrôle de leur inspiration, et sa norme, qui est la sainteté et l'action bonne.

Si je me suis attardé sur ce sujet, au risque de m'écarter de celui de mon étude, c'est que la question d'inspiration et de conscience nous brûle l'âme à l'heure qu'il est. Je ne l'ai pas résolue, elle me reste pleine de trouble. Mais j'ai planté un jalon essentiel pour reconnaître l'action vraie du Saint-Esprit. Cette action, c'est la sainteté.

La vie inspirée est la vie sainte. Tout ce qui ne fait pas de nous des porteurs de la sainteté et des propagateurs de la sainteté, est étranger à l'action du Saint-Esprit. En disant cela, nous revenons tout droit à l'apôtre Pierre qui, dans sa lettre, semble obsédé par cette volonté de sainteté : « Puisque celui qui vous a appelés est saint, vous aussi soyez saints dans toute votre conduite, selon qu'il est écrit : Vous serez saints, car je suis saint... Vous êtes une race élue, une nation sainte, afin que vous annonciez les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière... lui qui a porté nos péchés en son corps sur le bois, afin que, morts aux péchés, nous vivions pour la justice. » Il dit aux femmes : « Que vos maris soient gagnés par votre conduite en remarquant votre manière de vivre » ... et aux maris : « Honorez vos femmes afin que rien ne vienne faire obstacle à vos prières... » et à tous : « Quels ne devez-vous pas être par la sainteté de la conduite et la piété... sans taches et irrépréhensibles dans la paix ! »

Sainte obsession ! Voilà la vraie action de l'Esprit. Le monde le sait mieux que nous. Il cherche les fruits de l'Esprit, non dans nos paroles, surtout pas dans nos discours, mais dans nos actes ; plus que cela, dans notre vie, dans ce fond de la personnalité dont les actes ne sont que les manifestations extérieures. Et il exige que ce fond soit saint. C'était l'essentiel du message de Pierre à l'Église ; quand on écrit ainsi, c'est qu'on est inspiré. Nous sommes moins renseignés sur la vie privée de Pierre que sur celle de Paul. Mais nous sentons, à ses accents, que l'Église a compris le fond de son âme quand elle l'a appelé : « Saint Pierre ». Il eût du reste repoussé ce titre avec énergie, car le premier effet de la sainteté, c'est qu'elle s'ignore.


B. - LES TRAVAUX DE L'APOSTOLAT

Lorsque Pierre s'éveilla, au lendemain de la Pentecôte, il dut être un moment comme « ceux qui font un rêve » (Ps. 126) : ces scènes étranges, cette puissance descendue sur ses compagnons et sur lui, la foule qui accourt, son propre discours, l'effet produit, foudroyant, extraordinaire ! Non, ce n'était pas un rêve. La promesse faite était réalisée. Aussi la première pensée de Pierre fut-elle certainement une prière. « Seigneur, merci pour ce que tu as fait, rends-moi fidèle pour ce que tu me donnes à faire ! »

L'importance de la prière dans la vie des apôtres est telle qu'on peut bien l'appeler le premier de leurs travaux. Pierre dit : « Vaquer à la prière » (
I Pierre 4 : 7). C'est pour lui une besogne sainte, une oeuvre. Il provoque l'élection des diacres pour que les apôtres puissent « s'appliquer à la prière » (Actes 6 : 4) (le verbe grec est ici encore plus énergique que la traduction, il signifie « mettre sa force à quelque chose »).

Ce qu'est la prière de Pierre, nous pouvons le deviner. Elle est alimentée, remplie par ses souvenirs, c'est un regard jeté sur le Christ, sa vie errante et solitaire, ses paroles, sa foi, son profond amour jusqu'à la mort, sa souffrance. Ce regard permet à celui qui prie de se voir alors sous son vrai jour, le renégat, le faible, lui qui a commis cette chose atroce dont il ne se consolera jamais. De là un cri de reconnaissance et d'absolue consécration, ce cri que rend
l'Imitation : Dummodo mea voluntas firma et recta ad te permaneat, fac de me quidquid tibi placuerit (1) , et que traduit un de nos cantiques :

« Entre tes mains j'abandonne
Tout ce que j'appelle mien ! »

Chaque matin, Pierre brise avec lui-même et prend contact avec son Sauveur, se réinstalle dans le domaine de l'Esprit. À son maître appartient la journée qui commence. Des tâches écrasantes attendent l'apôtre : il y a cette multitude de nouveaux convertis, des âmes de toutes les espèces ; il y a ses collègues qui lui demanderont des directions ; il y a des locaux à trouver, une répartition à faire de biens qui ont été donnés pour les pauvres ; il y a dès le début la question des païens qui se pose.
Tout cela, Pierre le dit à Dieu, « il vaque » à la prière. De la demande, il est conduit à l'intercession pour la mère de son Sauveur, pour son frère André, pour ses amis Jacques et Jean, pour son nouveau collègue Matthias, bientôt pour Paul qui travaille au loin. C'est parce que nous prions trop peu pour les autres que nous prions mal pour nous.

Un trait domine les prières et l'activité de Pierre, une invincible espérance. On l'a appelé
L'apôtre de l'espérance. Son enthousiasme de jeune homme est devenu une conviction mûrie, qui repose sur deux bases :
1° son expérience religieuse ;
2° l'attente du retour de Jésus.

Pierre sait ce que Jésus a fait pour lui, où il est allé le chercher. Dès lors, puisqu'il est allé si bas, puisqu'il a sauvé une âme aussi misérable que la sienne, tous les espoirs sont permis. Il sait qu'il n'y a pas d'âme si déchue, pas de coeur si triste, que Jésus ne puisse y pénétrer.
La base de L'espérance chrétienne est l'expérience de notre propre conversion. Puisqu'il m'a trouvé, là où j'étais, pourquoi ne te trouverait-il pas, et lui, et tous ?

Et puis,
Jésus reviendra, voilà ce qui lui permet d'endurer joyeusement luttes et souffrances : « La fin de toutes choses est proche... sa gloire apparaîtra ! » (I Pierre 4 : 7-13). Or Jésus n'est pas encore revenu. L'apôtre a-t-il donc été trompé dans son espérance ? Non. Il sentait lui-même que le retour du Seigneur dépendait de la foi des croyants, puisqu'il les invitait « à hâter ce jour » (2 Pierre 3 : 11). Il a quitté la terre avant l'aurore, mais sa puissante espérance nous est restée : Jésus reviendra.

Dieu mesure à chaque âge de l'Église sa tâche. Celle du début eût été écrasante sans cette vigoureuse espérance du retour de Christ. Lorsque l'Église a pris corps dans le monde, elle a compris qu'elle avait à y travailler avant d'entrer dans la gloire. Une autre espérance s'est emparée d'elle, le royaume de Dieu ici-bas, la volonté de Dieu sur la terre, plus par une transformation intérieure que par un bouleversement physique. Mais elle doit conserver la sainte impatience du retour de Jésus, et ne pas y mettre obstacle. Ce retour dépend, plus que nous ne le croyons peut-être, de la fidélité des croyants. Cette espérance, je le sais, a été troublée par les compositions saugrenues de ceux qui veulent calculer les temps et les moments, « qui font de la Bible une boîte de plots où l'on puise au hasard pour bâtir l'avenir, ou pour bombarder ceux qui n'ont pas la faculté d'avaler les pierres ». Il ne s'agit pas de calculer, mais d'espérer, et surtout d'aimer. Désespérerons-nous de voir se réaliser la promesse de Jésus : « J'attirerai tous les hommes à moi », de voir un jour notre pauvre monde enfin vaincu soupirant après son Roi ? S'il est venu pour moi, pourquoi ne viendrait-il pas pour tous ? Je le répète, la foi au retour de Christ est un corollaire de notre conversion et une affirmation d'humilité : celui qui m'a sauvé, et je sais qui je suis, peut bien sauver le monde !

Pierre s'est relevé, après avoir prié, non pas comme nous trop souvent, avec le sentiment d'un pénible devoir accompli, d'une corvée faite, mais avec l'espoir au coeur. Il n'a pas prié pour licencier Dieu, mais pour le garder avec lui. La prière chrétienne ne finit pas. Écoutez le Saint de Fogazzaro : « Priez sans trêve. Lorsque l'homme aime d'un véritable amour, soit une personne humaine, soit une idée de sa propre intelligence, son esprit adhère en secret, sans interruption, à l'objet aimé, dans le moment même où il se livre à toutes les besognes de la vie, besognes d'esclave ou besognes de roi. Et cette préoccupation ne l'empêche pas d'être attentif à sa tâche, et il n'a pas besoin d'adresser de longs discours à ce qu'il aime. Vous, portez toujours dans votre âme le Père, que tant de fois vous avez senti comme un esprit d'amour qui soufflait en vous, et vous inspirait le désir ineffable de vivre pour lui. Si vous faites cela, votre action sera tout entière animée par l'esprit de vérité ».

Portant dans son âme le Père, et le visage tout illuminé de l'espérance qu'il va communiquer à ses frères, l'apôtre est sorti de sa maison, et a rejoint ses amis dans la chambre haute. C'est là qu'on se réunit le matin pour régler les affaires de la journée. Quelles belles réunions de prières, dans cet humble local ! Plusieurs fois l'Esprit descendit sur le petit groupe. Ils ne sont qu'un coeur et qu'une âme, ces hommes si différents ! On dit d'eux : « Voyez comme ils s'aiment ! » Plus de dispute de préséance, plus de querelles pour savoir qui est le plus grand ! Pas de reproche contre Pierre, de méchante allusion à la nuit terrible. De sa part, pas d'acte autoritaire. On dit toujours : Pierre et Jean. Ils sont inséparables.
Le secret de cette union nous est donné par la manière dont Pierre comprend cet autre travail d'apôtre :
la direction de l'Église. Sa tâche, il la décrit lui-même : « Paître le troupeau de Dieu qui est sous sa garde, non par contrainte, mais volontairement selon Dieu ; non pour un gain sordide, mais avec dévouement ; non comme dominant sur ceux qui vous sont échus en partage, mais en étant les modèles du troupeau ». (I Pierre 5 : 2-3).

L'Église fut dirigée par Pierre « non par contrainte, mais volontairement ». Nous en avons la preuve dans l'affection qu'on lui témoignait. D'instantes supplications montaient pour lui dans la nuit, pendant qu'il était en prison. Et quand, délivré, il frappe à la porte, l'humble servante est si heureuse qu'elle oublie de lui ouvrir ! (
Actes 12 : 13). « Non pour un gain sordide »... le désintéressement de Pierre est complet. Rien ne le choque comme un intérêt d'argent. Il y a dans les Actes une scène tragique, la mort des deux époux Ananias et Saphira, qui ont essayé, non de voler l'Église, mais de faire semblant de tout lui donner en gardant quelque chose pour eux. Je ne juge pas la sévérité de Pierre à cette occasion. Si nos Églises devaient voir mourir tous ceux qui mentent à Dieu, il y aurait une hécatombe plus formidable que celle de la guerre. Mais je constate que la passion de la sainteté et la haine du péché forment un trait essentiel du gouvernement de Pierre. Pour oser parler ainsi devant l'Église, cet homme a dû avoir les mains parfaitement nettes. Il dirige bien « en étant le modèle du troupeau ».
Une des qualités de Pierre chef d'Église est de ne pas se laisser surcharger de besognes accessoires au point de ne plus trouver de temps de faire l'essentiel. Le choix des diacres est une preuve de sagesse et d'humilité. Il y a tant de chrétiens qui se croient indispensables, qui n'admettent pas que quoi que ce soit se fasse sans eux ! Pierre sut partager les responsabilités. C'était d'une saine pédagogie ; pour intéresser les nouveaux convertis à l'Église, il fallait leur donner du travail. Il sut choisir les hommes, leur témoigner de la confiance, les animer de son espoir, et puis les laisser aller. On sent qu'Étienne, par exemple, jouit d'une entière liberté d'action ; l'aîné n'a pas eu peur des succès de son cadet !

Un jour, Pierre amena avec lui pour le repas de midi un homme inconnu à une partie des chrétiens, et trop connu des autres. Converti depuis trois ans, après avoir été un acharné persécuteur, il est revenu à Jérusalem. Que de suspicions, que de préventions ont dû compliquer ce premier contact de Paul avec l'Église chrétienne, nous pouvons le deviner. Pierre l'a reçu, entouré, couvert de son affection, protégé contre les méfiances. J'aime à penser à ce séjour d'une quinzaine de Paul chez Pierre, aux conversations de ces deux hommes. De quoi parlent-ils, sur le toit de la maison, à la fraîcheur du soir ? De Jésus, que Pierre a connu, que Paul a vu. Et quand le premier a raconté à l'autre quelques traits de la vie du Maître, ensemble ils prient. Il faut de la part de Pierre une grande largeur d esprit pour accepter ainsi ce nouveau venu, qui a de grands projets, qui rêve d'une conquête du monde païen à laquelle les douze n'ont pas pensé. Ils en discutent là-haut sur le toit. Pierre a beaucoup d'objections à faire : est-ce bien la pensée de Jésus ? est-ce réalisable ? ne serait-il pas plus prudent de commencer simplement par le peuple de Dieu ? n'est-ce pas contraire à la vocation, à l'espérance d'Israël ? Graves problèmes. Mais devant l'apôtre de l'espérance Paul dessine un tableau si beau que Pierre s'émeut. Ensemble ils prient pour avoir la lumière.

Bientôt, Pierre verra clair. Dès lors, il appuiera Paul sans réserve, attitude d'autant plus digne de louange qu'elle lui vaudra des attaques et des ennuis sans nombre, et que surtout il verra grandir l'influence de l'apôtre des gentils aux dépens de la sienne. Mais il a appris l'humilité et a dû souvent tressaillir de joie et d'espérance, en apprenant les nouvelles de la mission lointaine. Cependant les détails de cette mission lui causèrent bien des soucis : comment concilier la loi, l'interdiction légale de manger avec les païens, avec l'oeuvre entreprise ? C'est là que Pierre, essayant de rester Juif fidèle, tout en donnant à Paul la main d'association, se brûla les doigts. Il y eut conflit entre les deux apôtres (
Galates 2), et Paul, ne se rendant pas suffisamment compte des difficultés auxquelles se heurtait son collègue de Jérusalem, fut assez dur dans ses reproches.

Qu'importe ? Ces deux hommes se sont sentis frères, et la tradition qui les fait mourir le même jour et au même lieu est un beau symbole de ce qui fit la grandeur de ces deux vies : leur fraternité d'armes au service du même roi.

Oh ! ces premières
amitiés chrétiennes, quelle source de joie ! Ces hommes, unis par tant de souvenirs communs, par tant de communes espérances, par tant de souffrances supportées coude à coude ! Ces conversations entre Pierre et Jean, entre Pierre et Paul ! Les visites que Pierre faisait à la "sainte mère" de son Maître chez son meilleur ami ! Puis des figures plus humbles : Corneille le capitaine, Simon le corroyeur, qui reçoit l'apôtre dans sa maison pendant une tournée missionnaire, et d'autres, jusqu'à la petite servante Rhode, qui participe à la réunion de prières en faveur de l'ami prisonnier, et qui allant ouvrir la porte à l'inconnu, le laisse dehors tant elle est contente que ce soit lui !

Cette fraternité trouvait son expression parfaite à l'heure du dîner. Ces gens qui avaient tout en commun et qui avaient l'air de tant s'aimer, attiraient naturellement une quantité de pauvres, et les apôtres avaient fort à faire à passer de table en table et de maison en maison, serrer la main à tous ces amis et veiller à ce que tout se passe avec ordre. Des jeunes gens dévoués leur sont adjoints, et Pierre, déchargé du soin matériel, peut apporter librement une parole d'encouragement à ces coeurs troublés, à ces malades,
ces pauvres qui cherchent un refuge pour leurs maux. Il me semble le voir aller et venir, messager d'espérance !

Tel, après son repas, se repose. Pierre, lui, entre dans la lutte : il faut recruter l'Église, appeler tous les hommes à Jésus. Où trouver une meilleure tribune que celle choisie par le Maître ? Après-midi, Pierre monte au temple, ce temple tout rempli pour lui des souvenirs de la sainte semaine.

Vous connaissez la scène : cet impotent anxieux qui fixe ses regards sur ceux de l'apôtre et s'allume de son espérance. Puis la guérison miraculeuse. Que penser de ce pouvoir surhumain transmis par le Maître à ses disciples ? Quelle place donner dans l'évangélisation à
la guérison par la foi ?
Plusieurs serviteurs de Dieu ont possédé le don de guérison, Christophe Blumhardt, Dorothée Trudel et d'autres, après les apôtres. « La source de leur puissance, dit Pierre Dieterlen, c'est qu'ils ont pris Dieu au mot et la Bible au sérieux. Les expressions admirables du langage biblique : repentance, pardon, sacrifice, délivrance, que nous répétons si facilement sans y faire attention et parfois sans y croire, avaient pour eux toute leur valeur. Il leur était permis de ne pas mutiler les promesses contenues dans ces mots : guérison et délivrance, parce qu'ils ne se permettaient pas de diminuer le contenu redoutable de ceux-ci : sacrifice, renoncement. Dans leur vie comme dans leur bouche, les choses de Dieu conservaient leur divine grandeur ; et c'est pour cela que dans leur bouche comme dans leur vie, elles retrouvaient toute leur merveilleuse puissance ».

Le nom de Jésus, que nous accolons si souvent à des prières qui sont des injures à Dieu, était pour Pierre un nom vivant. Ce que nous avons de lui, si vite volatilisé, il l'avait au complet. Et ce que nous donnons, si chichement, en gardant pour nous le meilleur, il le donnait à fond : « Ce que j'ai, je te le donne, lève-toi ! » Du Sauveur auquel il avait tout donné, il se sentait le droit de tout demander.

Cependant je remarque que Pierre a rarement usé de ce don. Les apôtres, comme le Maître, ont redouté leur propre pouvoir. Quand Pierre se promenait dans les rues, et que les malades essayaient de se traîner à l'ombre de son manteau, « on les plaçait sur son passage, sur des lits et des couchettes, afin que son ombre au moins les couvrît » (
Actes 5 : 15), je suis sûr qu'il a eu peur. On venait à lui, non pour l'âme, mais pour le corps, non vers le serviteur de Jésus, mais vers le guérisseur magique. Il a dû revivre là quelques-unes des heures les plus tragiques du ministère de son Maître, alors que celui-ci refusait des miracles, fuyait la foule qui espérait des guérisons, et avait l'air de fermer son coeur aux appels de la misère, devant en quelque sorte refouler la pitié qui lui sortait du coeur pour pouvoir rester le sauveur, et non un magicien, et souffrant de voir ce peuple malheureux s'obstiner à chercher auprès de lui un bonheur illusoire, qu'il ne pouvait pas lui donner. Car à quoi bon guérir les corps, si les âmes restaient aussi vides, aussi misérables qu'avant, si la guérison même les lançait dans la perdition en leur rendant les moyens de se perdre ?

Il y a de la part des apôtres une grande sagesse à ne pas avoir versé dans cette direction. La tentation dut être grande pour eux, il y a plus de gloire à être un guérisseur miraculeux qu'un évangéliste. Il y avait là certes un moyen de recruter l'Église. Mais, à l'école de Jésus, Pierre a appris à se défier de son propre pouvoir et à chercher avant tout l'âme.
Nous avons le droit de demander à Dieu la guérison pour nous et pour les nôtres. Mais quelle responsabilité s'il nous l'accorde !
Une vie qu'il nous rend doit lui appartenir.

Le peuple s'est rassemblé autour des apôtres, et Pierre lui parle. Jetons un coup d'oeil sur ce côté du travail apostolique :
la parole. L'effet des discours de Pierre est énorme. Pourquoi ? parce qu'ils sont l'expression d'une conviction. Quand on l'entend parler, on reconnaît « qu'il a été avec Jésus ». Tout est là. Il ne prêche pas une doctrine, il proclame un fait : le Messie est venu, il vient, il reviendra. Ce qui fait de lui un témoin, ce n'est pas un certain enseignement reçu, c'est la vie et la personnalité du Christ. Il parle avec puissance, parce qu'il ne parle ni de lui, ni pour lui, ni par lui, mais de Jésus, pour Jésus et par Jésus. Trésor inépuisable que nous sommes appelés à distribuer à pleines mains et sans crainte. « Il est clair que nous portons ce trésor dans des vases de terre, et que tout ce qui dépend de nous, c'est que le vase n'ait pas de fêlure par où s'échappe l'eau vive, ni d'impureté où elle se corrompe. » (Vinet).

Le succès de la prédication apostolique correspond à un quadruple effort :

1. Un effort d'humilité. Je cite Dieterlen : « Un père disait de son fils qui venait de prononcer son premier sermon » : « C'est-il prêcher, ça » ? N'avez-vous jamais
pensé dans le secret de votre coeur : « C'est-il parlé ça ! » On peut combattre ces mouvements d'orgueil comme le père Lacordaire, qui, après avoir remué une foule immense par sa prédication, se jetait par terre et appelait un moine qui lui marchait dessus. Mais on pourrait encore se relever, en disant : « C'est-il humilié, ça ? » et ce serait de nouveau de l'orgueil, et le pire de tous. » Le danger est effrayant pour quiconque doit parler. Je ne sais qu'un moyen d'y parer, c'est de garder le souvenir poignant, mais béni par son aiguillon même, d'heures où, comme Pierre, nous avons renié le Maître, d'heures dont il n'est pas question de s'enorgueillir, et dont la vision fait monter au front le rouge de la honte. En pensant à son reniement, Pierre a certainement éprouvé ce qu'Augustin a exprimé par ces mots :
Félix culpa ! (faute bénie). Hélas oui, nous en sommes là, si misérables dans notre orgueil, que nous devons bénir les chutes dont le souvenir est assez affreux pour nous ramener à l'humilité, c'est-à-dire à la vérité.

2. Un effort de vérité, presque aussi difficile. Écoutez Fallot : « Voici un homme qui parle de choses grandes et belles ; il exalte l'amour de Dieu, il flétrit le péché, il recommande la prière. Jadis il a ressenti l'amour de Dieu, combattu le péché, pratiqué la prière, mais tout cela n'existe plus pour lui qu'à l'état de souvenir. Quand il en parle avec tant de chaleur, vous vous imaginez qu'il s'agit d'expériences actuelles. Erreur : simple affaire de mémoire ! ni le coeur, ni la conscience ne sont en jeu. - N'est-ce pas l'explication des misérables avortements de tant d'admirables mouvements suscités par l'esprit de Dieu ? C'est le mensonge qui a tout ruiné. Les initiateurs du mouvement avaient, dans la force de Dieu, prononcé de puissantes paroles, et ces paroles avaient été efficaces parce qu'elles étaient vraies, parce qu'elles exprimaient les sentiments dont les coeurs débordaient. Ceux qui sont venus après eux, désireux de continuer leur oeuvre, n'ont eu ni leur foi, ni leur haine du mal, ni leur amour héroïque des âmes ; mais ils ont parié comme s'ils possédaient tout cela. Ce qui était naturel chez les premiers est devenu procédé chez les seconds... Pour pouvoir prêcher la vérité, il faut avant tout marcher dans la vérité ! »

Pierre et Paul ont forgé de toutes pièces des mots considérables pour exprimer des expériences débordantes. Ils furent dans la vérité. Les mots, ils nous les ont transmis, mais ne dépassent-ils pas singulièrement nos pauvres expériences ? Ne sont-ils pas devenus « procédé » au lieu de vérité ? « Ça ne prend plus, parce que ça ne nous a pas pris d'abord ! » Quel effort à faire pour ne jamais dépasser nos réalités personnelles, pour ne pas recouvrir notre vide de mots immenses, fabriqués par des géants, pour ne pas vivre du passé, ou des autres ! Et s'il vous semble que c'est nous condamner à rester pauvres d'éloquence et petits d'effets, rappelons-nous que Jésus a dit : « Fidèle dans les petites choses. »


3. Un effort
d'intelligence
. Pierre savait que l'Évangile confond la sagesse des intelligents. Il n'en est pas moins un prédicateur remarquable par sa connaissance des hommes et des saints livres, et par la saine raison de ses exposés. Le christianisme est fait pour être pensé, et il faut le bien penser et le bien dire. « Jésus savait bien, dit M. Flournoy, que ce n'est pas par l'érudition, les brillants tournois de mots et d'idées abstraites que la vie se communique et s'entretient, puisqu'il a été le premier â proclamer que la Lettre tue, tandis que c est l'Esprit qui vivifie. Mais il a bien aperçu aussi, et bien montré par son exemple, que le meilleur moyen d'empêcher la Lettre de tuer, c'est encore de la posséder au point d'en être le maître et de la ployer au service même de l'Esprit. »

Le même auteur raconte l'histoire d'un ouvrier qui, après avoir lu tel livre réputé chrétien, fatras insipide, s'écriait : « Il se peut bien que Jésus-Christ soit obscur, mais il ne peut pas être bête ! » Et il ajoute finement : « Parole profonde en sa naïveté, et que je voudrais voir affichée, en guise d' « écriteau biblique », dans tous les bureaux de rédaction des journaux, livres ou petits traités religieux. » Oui, parole à méditer, et que je rapproche de l'exclamation de Vinet : « Quand on entend dire à certains chrétiens qu'il faut abjurer entièrement la raison, l'intelligence et le bon sens... on voudrait bien savoir par où ils croient ! »

C'est la gloire de la Réformation d'avoir remis en évidence le rôle de la parole, d'avoir remplacé le prêtre au langage mystérieux et incompréhensible par le prédicateur, qui met au service du Christ l'une des plus belles des facultés humaines : la raison. Ils ont suivi en cela la route tracée par le plus grand des missionnaires, l'apôtre Paul, qui fut un penseur, et qui servit Christ aussi par son intelligence et son érudition pharisienne. Les Réformateurs furent des savants. Jean fut un théologien. Pierre fut un travailleur et savait ce qu'il voulait dire.

Comprenez-moi bien. Je ne veux pas dire qu'on ne puisse être chrétien sans parler. Je veux dire que lorsqu'on parle, il faut parler aussi bien qu'on peut le faire. Je ne prétends pas qu'il faille être savant, ni même intelligent, pour faire une bonne étude biblique. J'en ai entendu de magnifiques faites par des gens qui savaient à peine lire. Mais je prétends que lorsqu'on sait lire, il faut s'en servir ; que lorsqu'on sait penser, il faut vouloir penser, et mettre tout ce que nous avons d'intelligence et de connaissances au service du Sauveur. « Elle a fait ce qu'elle a pu », disait Jésus d'une pauvre femme. Il n'en demande pas davantage, mais il n'en exige pas moins. Pour sa gloire, rien ne saurait être négligé.

4. Un effort d'amour et d'espérance. « Ce qu'il faut, disait Robert de Félice mourant, c'est la régénération des âmes ! » Ce que nous voulons en parlant, ce sont des âmes, ces belles âmes si tristes que Jésus seul peut rendre lumineuses. Nous avons des ambitions illimitées, comme les promesses de Dieu. L'apôtre Pierre est magnifique dans ses prétentions pour les âmes ; elles sont, dit-il, « une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis » (I Pierre 2 : 9), merveilleuse vision de ce peuple composé d'esclaves, de servantes, de parias ! Elles ont droit à toutes les grâces, « un héritage incorruptible, sans tache, inaltérable », et au grand devoir « annoncer les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière ». Elles doivent, « comme des pierres vivantes, s'édifier pour former une maison spirituelle, s'aimer ardemment les unes les autres, se revêtir d'humilité, croître dans la grâce, et s'offrir en victimes spirituelles pour la gloire de Christ ». Elles ont droit « aux plus grandes, aux plus précieuses promesses... jusqu'à ce que le jour vienne à paraître et que l'étoile du matin se lève dans vos coeurs ! » (II Pierre 1 : 4-19).

Quel message, reposant à fond sur la réalité, et s'envolant dans les hauteurs inexplorées de Dieu ! Ajoutons encore, pour compléter ce tableau de la prédication apostolique, la manière touchante avec laquelle Pierre parle des souffrances de Jésus. On y sent le coeur du disciple fidèle, et comme un regret persistant de n'avoir pas pu veiller une heure avec lui, « lui qui, injurié, ne rendait point d'injures ; maltraité, ne faisait point de menaces... lui qui a porté lui-même nos péchés en son corps sur le bois... lui par les meurtrissures duquel vous avez été guéris. » (I Pierre 2 : 23-24.)

On comprend que je parle maintenant de ce que fut pour Pierre la suprême joie, le plus beau des travaux de l'apostolat, la souffrance pour Jésus. « Le serviteur n'est pas plus grand que le maître. S'ils vous haïssent, sachez qu'ils m'ont haï avant vous. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ». L'apôtre pense sans doute à ces paroles au moment où, sur la fin de l'après-midi, la police du temple vient l'arrêter.

Il n'est pas si grand que son maître : on n'avait pas osé mettre la main sur Jésus en plein jour, on prend moins de précautions avec lui : Quelle joie enfin de pouvoir en quelque sorte réparer sa trahison, clamer bien haut sa foi là même où il a « flanché » ! Son assurance étonne ses juges, qui le connaissent pour un homme du peuple ; n'a-t-il pas l'accent provincial ? c'est un ancien pêcheur. Si seulement on pouvait le faire taire ! Mais menaces et promesses n'y font rien, il ne peut pas « ne pas parler de ce qu'il a vu et entendu. » (Actes 4 : 20.)

La première fois on le relâche, et, tout joyeux, il rejoint l'Église qui prie. L'émotion de cette heure est telle qu'une nouvelle effusion de l'Esprit se produit.

La seconde fois, on lui inflige le supplice du fouet, comme à son Maître, peut-être dans le même local ! Ce que ses juges regardent comme infamant lui est une gloire.

La troisième fois il est jeté au cachot, lourdement enchaîné entre deux soldats. Cette fois il est bien, lui aussi, « mis au nombre des malfaiteurs. » Dans la nuit, il dort, attendant le supplice. À Jésus seul appartenait le glorieux privilège de boire la coupe jusqu'à la lie. Humble et joyeux, Pierre accepte d'être délivré. Il va frapper à la porte de Marie, et la brave servante « dans sa joie, au lieu d'ouvrir, courut annoncer que Pierre était devant la porte. » Quelle belle réunion d'actions de grâces !
Après avoir quitté ses amis, Pierre regagne sa maison. Cette nuit commencée en prison, il l'achève en prière. Il s'offre à nouveau à Celui qui l'a miraculeusement délivré, il offre son corps et son âme. Il voit dans l'avenir son immense espérance se réaliser, car Celui qui l'a sauvé doit régner. Il voit les païens admis à la table divine, et pense à son ami Paul qui travaille au loin. Lui-même a des projets de voyage ; sa présence n'est plus indispensable à Jérusalem ; Simon, le corroyeur de Joppé, l'a invité à passer quelques jours chez lui.

De là, qui sait ? Peut-être ira-t-il plus loin ? Il rêve d'évangélisation lointaine. N'y a-t-il pas des millions de Juifs répandus dans l'empire et qui ont droit au salut ? Il y en a à Corinthe, à Rome. Oh ! aller jusqu'à Rome porter la croix, quelle gloire ! Pourquoi pas ? Rien ne retient l'apôtre ; sa femme, aide fidèle, l'accompagnera ; ensemble, ils porteront le message qui leur remplit le coeur. (I Cor. 9 : 5).

Et s'il faut mourir, comme Étienne est mort, lapidé ; comme Jacques est mort, décapité ! Eh bien, à la garde de Dieu ! Si peut-être, oh ! cela lui paraît trop beau, mais à son horizon spirituel se dresse une croix !... si peut-être il était jugé digne de mourir comme son Roi, comme il aurait dû mourir, lui, le disciple fidèle, à côté du Maître, à la place de ces brigands, ... si peut-être cela arrivait un jour !... « Non, s'écrie l'apôtre, je ne suis pas digne de souffrir comme toi, ... non, pas comme toi, mais la tête en bas ! »

Pendant que Pierre prie, peu à peu le jour s'est levé, et l'étoile du matin contemple le Mont des Oliviers et la colline de la croix. Il chante maintenant : « Nous attendons, selon ta promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle terre, où la justice habitera. À toi soit la gloire, maintenant, et pour l'éternité ! »

PAUL VITTOZ.


(1) «Pourvu que ma volonté te reste attaché sans hésitation, fais de moi ce que tu voudras» 
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