Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

LA CONVERSION

(1796)

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La crise intime qui fit passer Pierre du Pontavice, d'abord du catholicisme au protestantisme, puis de la vie mondaine à la vie régénérée, fut l'oeuvre de la Bible, bien plus que celle de l'homme. On peut toutefois indiquer trois hommes, comme ayant contribué à l'amener à la foi évangélique : Richard Reece, qui, le premier, lui révéla, par ses entretiens et par sa vie, ce qu'est une piété vivante et joyeuse ; Thomas Coke, dont il fut le compagnon de voyage et dont le caractère apostolique fit sur lui la plus vive impression ; William Bramwell, l'homme à la foi puissante, sous les prières duquel il trouva la paix de son âme.

Avant de troubler sa conscience, la lecture de la Bible commença par renverser le fragile édifice de sa foi traditionnelle. Avec le courage intellectuel qui le caractérisait, il ne voulut plus pratiquer, même extérieurement, une religion à laquelle il ne croyait plus. Il semble que son ami Reece lui ait alors suggéré l'idée de se rattacher à l'Église anglicane (1). Ainsi s'expliquerait la phrase qui ouvre la lettre suivante, en date de « Jersey, 21 juin 1795 » (2) :

« Mon cher ami, - Mon dessein n'a jamais été de quitter une religion corrompue pour en embrasser une qui ne l'est pas moins. Dès le jour que j'ai commencé à lire sérieusement l'Évangile et à examiner si ma religion y était conforme, dès ce jour, dis-je, je formai la résolution de n'avoir pour guide que ce livre sacré, dont vous m'avez fait présent (présent le plus précieux que jamais mortel pût me faire) et de me conduire d'après ses principes, dussé-je être le seul dans l'univers. Depuis que j'ai adopté, le principe de penser d'après moi, j'ai découvert tant d'absurdités et tant d'erreurs, que je me suis repenti bien des fois de n'avoir pas fait plus tôt usage de ma raison. Mais aujourd'hui je m'en sers pour déchirer le bandeau avec lequel on m'avait bandé les yeux. Et s'il n'est pas encore entièrement déchiré, il n'est plus assez épais pour que je ne puisse pas voir à travers. Tout concourt à me dégager de ces vieux préjugés, dont on a imbu ma jeunesse.

« Quand je repasse en mon esprit tous les événements qui ont accompagné celte guerre, je vois visiblement la main de l'Éternel qui a tout dirigé pour changer la face de l'univers. Je ne doute plus que tout ce que vous m'avez dit ne s'accomplisse un jour ; et, quoique cela me priverait peut-être du bonheur de retourner jamais dans mon pays, je ne puis m'empêcher, à cette pensée, de ressentir au dedans de moi une joie secrète... »

Ici s'arrêtaient les confidences d'ordre religieux de du Pontavice : le « cri terrible de guerre » venait de se faire entendre, et sa lettre se terminait, comme nous l'avons vu, par la nouvelle de son prochain départ pour la France, avec le détachement d'émigrés en séjour à Jersey (3).
Les lettres qui suivirent, et que nous avons citées, se taisent sur le développement ultérieur de cette crise, qui aboutit enfin, en avril 1796, à une conversion décidée. Le projet, dont il avait été souvent question dans les entretiens et dans la correspondance de du Pontavice avec Richard Beece, avait enfin abouti. Le Dr Coke s'était décidé à prendre le jeune émigré breton comme compagnon de voyage et professeur de français. C'était ce qu'il souhaitait par-dessus tout, d'abord parce que cet emploi l'arrachait décidément à la vie du soldat de guerre civile, pour laquelle il éprouvait une répugnance insurmontable, et ensuite parce qu'il ouvrait devant lui une existence dans laquelle sa vie religieuse atteindrait son plein développement, dans la communion de ces chrétiens méthodistes qu'il avait appris à vénérer et à aimer à Jersey et à Londres.

Ce fut à Sheffield qu'il rejoignit le Dr Coke, et ce fut là aussi que ses aspirations religieuses aboutirent à la joyeuse assurance du salut en Christ. Voici la lettre (4) où il raconte sa conversion :

« À Chester, ce 12 mai 1796.

« Mon cher ami,
« Gloire soit à Dieu ! Il a enfin fini l'ouvrage qu'il avait commencé par votre ministère. Quand je fis connaissance avec vous, j'étais, hélas ! dans un état déplorable, plongé dans toutes espèces de crimes, le coeur dépravé, endurci, la conscience assoupie. Mon âme, paralysée par le crime (5), n'était plus capable de ces sublimes élans vers son Créateur dont elle est émanée. Au lieu de vivre dans les cieux et de s'entretenir avec la Divinité, elle menait une vie rampante sur la terre. Mon état était d'autant plus désespéré que je révoquais en doute la divinité de Celui seul qui pouvait me guérir. Vous me parlâtes de sa bonté et de sa miséricorde ; je commençai à me réveiller de ma léthargie. Je désirai de m'instruire. Vous me donnâtes une Bible que je dévorai. Je fus bientôt convaincu de la divinité de Jésus-Christ, et que j'étais un misérable pécheur.

Bien des fois je me prosternai et demandai le pardon de mes fautes, en répandant des larmes. Bien des fois je m'aperçus que Dieu n'était pas insensible à mes pleurs. Je reçus de lui bien des consolations, et même quelquefois j'eus des moments heureux. Mais il y avait de grands obstacles à ma parfaite conversion. Les préjugés de mon enfance n'étaient pas encore vaincus. J'étais environné d'hommes corrompus. Dieu fut touché de me voir exposé à tant de dangers. Il m'a tiré de parmi ces hommes corrompus et m'a jeté au milieu d'un peuple pieux pour apprendre d'eux à l'adorer. Il m'a donné la force de vaincre tous mes anciens préjugés. Quand je me rappelle toutes les circonstances de ma vie, depuis que je vous ai connu, j'y vois le doigt de Dieu. Les livres qui se trouvaient entre mes mains semblaient quelquefois être tombés du ciel pour moi. Souvent même il semblait que la main de Dieu les ouvrît juste à l'endroit qu'il voulait que je lusse. Ainsi il me préparait pour ce jour à jamais mémorable pour moi, jour de ma nouvelle naissance.

« Sheffield est le lieu qui m'a vu renaître. Il y a eu mardi dernier quinze jours que j'allai chez M. Bramwell (6), pour lui faire lire des livres français. J'avais lu tout le matin la Bible. Les passages où Dieu dit qu'il pardonnera à tous ceux qui se repentiront et qu'Il accordera tout ce qu'on lui demandera avec foi, attirèrent particulièrement mon attention. Je priai Dieu de me pardonner, et, me reposant sur sa parole, je laissai ma lecture, bien persuadé qu'un jour il me pardonnerait. Il me vint à l'esprit que Dieu avait dit que les prières des hommes pieux avaient beaucoup de pouvoir, et que je ferais bien d'engager M. Bramwell à prier pour ma conversion. Il dînait ce jour-là avec moi chez M. Holy. L'après-midi, il m'emmena chez lui. M. Taylor (7) vint nous y rejoindre. Ils s'entretinrent de diverses choses qui n'avaient nul rapport à moi. M. Taylor, avant de nous quitter, nous demanda si nous voulions prier. Je me mis à genoux. Je ne m'attendais nullement aux bénédictions que Dieu était prêt à faire pleuvoir sur moi. Ils commencèrent à prier pour ma conversion. Peu à peu je me sentis ému, et Dieu toucha tellement mon coeur que je fondis en larmes. M. Bramwell et M. Taylor me parurent pleins du Saint-Esprit (8), et la chambre remplie de la présence de Dieu sans pouvoir en douter (9).
Dieu était au milieu de nous ; il me semblait que j'étais devant son tribunal, et là, tremblant comme un criminel, je demandais, par mes soupirs et mes pleurs, la rémission de mes péchés. Il me fut miséricordieux au delà de toute expression ; il ne me laissa pas longtemps dans mes angoisses ; il me consola, et même je suis sûr qu'il me pardonna. Il fit entendre à mon âme attristée ces douces paroles : Je ne me souviendrai plus de tes péchés ; j'essuierai toutes les larmes de tes yeux (10), et une foule d'autres passages. Il me parlait, je lui parlais. O bonté infinie ! il daignait s'entretenir avec moi ! Pour mettre le comble à ses bénédictions, il remplit mon coeur d'une joie inexprimable. Depuis ce moment, je me réjouis dans le Seigneur, et l'Esprit rend témoignage avec mon esprit que je suis enfant de Dieu (11). Je sens que Dieu est en moi et moi en Lui. Il a promis de Vivre dans le coeur de tous les fidèles pour qu'ils ne soient qu'un en Lui.

« Ainsi, mon cher ami, nous ne faisons plus qu'un maintenant. Plaise à Dieu que nous ne soyons jamais désunis, mais au contraire réunis encore plus étroitement, non seulement en esprit, mais même en corps dans les cieux. C'est ce que je désire de toute mon âme.
« Votre sincère ami pour toujours.

« P. PONTAVICE. »

Au terme de cette crise, qui avait duré environ deux ans, Pierre du Pontavice était parvenu à une expérience personnelle de la grâce de Dieu en Jésus-Christ. Les épreuves de l'exil, les déceptions des espérances trompées et d'une carrière brisée, l'isolement loin de sa famille et de sa patrie, au lieu de le plonger dans le découragement ou de le pousser. à la frivolité, avaient mûri son caractère et disposé son coeur à écouter et à recevoir les appels de l'Évangile. Dépouillant cet orgueil de caste, si marqué chez ses compagnons d'exil, il fréquenta ces humbles chrétiens méthodistes, qu'on lui représentait comme « le rebut du genre humain et les balayures du monde » (12), et chez lesquels il trouva une piété simple et joyeuse, qu'il ambitionna de posséder lui-même. Dieu ne trompe jamais une telle ambition. Du Pontavice eut à Sheffield son chemin de Damas, où il rencontra Jésus-Christ et se donna à lui pour toujours. Dès ce jour, son attitude devant son Maître fut celle de saint Paul. « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? »


(1) On sait que le Méthodisme n'était pas encore constitué en Église indépendante et que les Méthodistes se considéraient comme membres de l'Église anglicane.

(2) La seconde partie de cette lettre inédite, adressée à M. Reece, à Guernesey, a été citée plus haut, page 47

(3) Voy. plus haut, page 47.

(4) Lettre à Richard Reece, à Londres. Cette lettre a paru dans le Magasin méthodiste des Îles de la Manche, 1817, page 6, et a été reproduite en 1839 dans le Magasin wesleyen, de Paris, sous une forme retouchée et modifiée, peut-être par du Pontavice lui-même. Nous la donnons d'après l'original, que nous avons sous les yeux.

(5) Il faut entendre sans doute ce mot de crime dans le sens de péché, qu'il a souvent dans la langue des prédicateurs catholiques anciens.

(6) William Bramwell, né en 1759, mort en 1818.11 fut un des hommes de réveil les plus puissants qu'ait eu le Méthodisme. La fécondité extraordinaire de son ministère résidait plus encore dans la sainteté de sa vie que dans l'éloquence de sa prédication. Sa biographie, publiée en français par J. de Quetteville, a fait beaucoup de bien, malgré les défauts de son style. Adolphe Monod a écrit, après l'avoir lue : « Le fond est admirable. Il y a là une ambition de sainteté, une puissance de prière, une grâce de renoncement, d'humilité, de charité, que je me souviens à peine d'avoir vues ailleurs. » Une autre biographie abrégée a paru, il y a quelques années, par les soins du pasteur Challand.

(7) Thomas Taylor fut président de la Conférence en 1796 et 1809.

(8) Ces mots sont en anglais dans l'original : Full of the Holy Ghost. 

(9) En anglais dans le texte : no doubt.

(10) Ce texte et le suivant sont en anglais dans l'original. Il est évident que du Pontavice ne connaissait alors que la Bible anglaise et que les textes de l'Écriture se présentaient naturellement dans cette langue à sa mémoire.

(11) En anglais dans l'original.

(12) Mag. méth., 1817, p. 6. Cette phrase est empruntée à la lettre où du Pontavice raconte sa conversion, non pas toutefois à l'original de cette lettre, que nous avons reproduit plus haut (page 58), mais à une copie retouchée par du Pontavice lui-même, et que Jean de Quetteville a eue sous les yeux en rédigeant la notice de 1817. Pontavice gardait copie de ses lettres dans des cahiers, qui furent communiqués à de Quetteville, mais qui n'ont pas été conservés. 
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