La crise intime qui fit passer Pierre du Pontavice, d'abord du
catholicisme au protestantisme, puis de la vie mondaine à la vie
régénérée, fut l'oeuvre de la Bible, bien plus que celle de l'homme.
On peut toutefois indiquer trois hommes, comme ayant contribué à
l'amener à la foi évangélique : Richard Reece, qui, le premier,
lui révéla, par ses entretiens et par sa vie, ce qu'est une piété
vivante et joyeuse ; Thomas Coke, dont il fut le compagnon de
voyage et dont le caractère apostolique fit sur lui la plus vive
impression ; William Bramwell, l'homme à la foi puissante, sous
les prières duquel il trouva la paix de son âme.
Avant de troubler sa conscience, la lecture de la Bible
commença par renverser le fragile édifice de sa foi traditionnelle.
Avec le courage intellectuel qui le caractérisait, il ne voulut plus
pratiquer, même extérieurement, une religion à laquelle il ne croyait
plus. Il semble que son ami Reece lui ait alors suggéré l'idée de se
rattacher à l'Église anglicane (1).
Ainsi s'expliquerait la phrase qui ouvre la lettre suivante, en date
de « Jersey, 21 juin 1795 » (2) :
« Mon cher ami, - Mon dessein n'a jamais été de
quitter une religion corrompue pour en embrasser une qui ne l'est pas
moins. Dès le jour que j'ai commencé à lire sérieusement l'Évangile et
à examiner si ma religion y était conforme, dès ce jour, dis-je, je
formai la résolution de n'avoir pour guide que ce livre sacré, dont
vous m'avez fait présent (présent le plus précieux que jamais mortel
pût me faire) et de me conduire d'après ses principes, dussé-je être
le seul dans l'univers. Depuis que j'ai adopté, le principe de penser
d'après moi, j'ai découvert tant d'absurdités et tant d'erreurs, que
je me suis repenti bien des fois de n'avoir pas fait plus tôt usage de
ma raison. Mais aujourd'hui je m'en sers pour déchirer le bandeau avec
lequel on m'avait bandé les yeux. Et s'il n'est pas encore entièrement
déchiré, il n'est plus assez épais pour que je ne puisse pas voir à
travers. Tout concourt à me dégager de ces vieux préjugés, dont on a
imbu ma jeunesse.
« Quand je repasse en mon esprit tous les événements
qui ont accompagné celte guerre, je vois visiblement la main de
l'Éternel qui a tout dirigé pour changer la face de l'univers. Je ne
doute plus que tout ce que vous m'avez dit ne s'accomplisse un
jour ; et, quoique cela me priverait peut-être du bonheur de
retourner jamais dans mon pays, je ne puis m'empêcher, à cette pensée,
de ressentir au dedans de moi une joie secrète... »
Ici s'arrêtaient les confidences d'ordre religieux de du
Pontavice : le « cri terrible de guerre » venait de se
faire entendre, et sa lettre se terminait, comme nous l'avons vu, par
la nouvelle de son prochain départ pour la France, avec le détachement
d'émigrés en séjour à Jersey (3).
Les lettres qui suivirent, et que nous avons citées, se
taisent sur le développement ultérieur de cette crise, qui aboutit
enfin, en avril 1796, à une conversion décidée. Le projet, dont il
avait été souvent question dans les entretiens et dans la
correspondance de du Pontavice avec Richard Beece, avait enfin abouti.
Le Dr Coke s'était décidé à prendre le jeune émigré breton comme
compagnon de voyage et professeur de français. C'était ce qu'il
souhaitait par-dessus tout, d'abord parce que cet emploi l'arrachait
décidément à la vie du soldat de guerre civile, pour laquelle il
éprouvait une répugnance insurmontable, et ensuite parce qu'il ouvrait
devant lui une existence dans laquelle sa vie religieuse atteindrait
son plein développement, dans la communion de ces chrétiens
méthodistes qu'il avait appris à vénérer et à aimer à Jersey et à
Londres.
Ce fut à Sheffield qu'il rejoignit le Dr Coke, et ce fut
là aussi que ses aspirations religieuses aboutirent à la joyeuse
assurance du salut en Christ. Voici la lettre (4) où
il raconte sa conversion :
« À Chester, ce 12 mai 1796.
« Mon cher ami,
« Gloire soit à Dieu ! Il a enfin fini
l'ouvrage qu'il avait commencé par votre ministère. Quand je fis
connaissance avec vous, j'étais, hélas ! dans un état déplorable,
plongé dans toutes espèces de crimes, le coeur dépravé, endurci, la
conscience assoupie. Mon âme, paralysée par le crime (5),
n'était plus capable de ces sublimes élans vers son
Créateur dont elle est émanée. Au lieu de vivre dans
les cieux et de s'entretenir avec la Divinité, elle menait une vie
rampante sur la terre. Mon état était d'autant plus désespéré que je
révoquais en doute la divinité de Celui seul qui pouvait me guérir.
Vous me parlâtes de sa bonté et de sa miséricorde ; je commençai
à me réveiller de ma léthargie. Je désirai de m'instruire. Vous me
donnâtes une Bible que je dévorai. Je fus bientôt convaincu de la
divinité de Jésus-Christ, et que j'étais un misérable pécheur.
Bien des fois je me prosternai et demandai le pardon de
mes fautes, en répandant des larmes. Bien des fois je m'aperçus que
Dieu n'était pas insensible à mes pleurs. Je reçus de lui bien des
consolations, et même quelquefois j'eus des moments heureux. Mais il y
avait de grands obstacles à ma parfaite conversion. Les préjugés de
mon enfance n'étaient pas encore vaincus. J'étais environné d'hommes
corrompus. Dieu fut touché de me voir exposé à tant de dangers. Il m'a
tiré de parmi ces hommes corrompus et m'a jeté au milieu d'un peuple
pieux pour apprendre d'eux à l'adorer. Il m'a donné la force de
vaincre tous mes anciens préjugés. Quand je me rappelle toutes les
circonstances de ma vie, depuis que je vous ai connu, j'y vois le
doigt de Dieu. Les livres qui se trouvaient entre mes mains semblaient
quelquefois être tombés du ciel pour moi. Souvent même il semblait que
la main de Dieu les ouvrît juste à l'endroit qu'il voulait que je
lusse. Ainsi il me préparait pour ce jour à jamais mémorable pour moi,
jour de ma nouvelle naissance.
« Sheffield est le lieu qui m'a vu renaître. Il y a
eu mardi dernier quinze jours que j'allai chez M. Bramwell (6),
pour lui faire lire des livres français. J'avais lu tout
le matin la Bible. Les passages où Dieu dit qu'il pardonnera à tous
ceux qui se repentiront et qu'Il accordera tout ce qu'on lui demandera
avec foi, attirèrent particulièrement mon attention. Je priai Dieu de
me pardonner, et, me reposant sur sa parole, je laissai ma lecture,
bien persuadé qu'un jour il me pardonnerait. Il me vint à l'esprit que
Dieu avait dit que les prières des hommes pieux avaient beaucoup de
pouvoir, et que je ferais bien d'engager M. Bramwell à prier pour ma
conversion. Il dînait ce jour-là avec moi chez M. Holy. L'après-midi,
il m'emmena chez lui. M. Taylor (7) vint
nous y rejoindre. Ils s'entretinrent de diverses choses qui n'avaient
nul rapport à moi. M. Taylor, avant de nous quitter, nous demanda si
nous voulions prier. Je me mis à genoux. Je ne m'attendais nullement
aux bénédictions que Dieu était prêt à faire pleuvoir sur moi. Ils
commencèrent à prier pour ma conversion. Peu à peu je me sentis ému,
et Dieu toucha tellement mon coeur que je fondis en larmes. M.
Bramwell et M. Taylor me parurent pleins du Saint-Esprit (8),
et la chambre remplie de la présence de Dieu sans pouvoir en douter (9).
Dieu était au milieu de nous ; il me semblait que
j'étais devant son tribunal, et là, tremblant comme un criminel, je
demandais, par mes soupirs et mes pleurs, la rémission de mes péchés.
Il me fut miséricordieux au delà de toute expression ; il ne me
laissa pas longtemps dans mes angoisses ; il
me consola, et même je suis sûr qu'il me pardonna. Il fit entendre à
mon âme attristée ces douces paroles : Je ne me souviendrai
plus de tes péchés ; j'essuierai toutes les larmes de tes yeux
(10), et une foule d'autres
passages. Il me parlait, je lui parlais. O bonté infinie ! il
daignait s'entretenir avec moi ! Pour mettre le comble à ses
bénédictions, il remplit mon coeur d'une joie inexprimable. Depuis ce
moment, je me réjouis dans le Seigneur, et l'Esprit rend
témoignage avec mon esprit que je suis enfant de Dieu (11).
Je sens que Dieu est en moi et moi en Lui. Il a promis de Vivre dans
le coeur de tous les fidèles pour qu'ils ne soient qu'un en Lui.
« Ainsi, mon cher ami, nous ne faisons plus qu'un
maintenant. Plaise à Dieu que nous ne soyons jamais désunis, mais au
contraire réunis encore plus étroitement, non seulement en esprit,
mais même en corps dans les cieux. C'est ce que je désire de toute mon
âme.
« Votre sincère ami pour toujours.
« P. PONTAVICE. »
Au terme de cette crise, qui avait duré environ deux ans, Pierre du Pontavice était parvenu à une expérience personnelle de la grâce de Dieu en Jésus-Christ. Les épreuves de l'exil, les déceptions des espérances trompées et d'une carrière brisée, l'isolement loin de sa famille et de sa patrie, au lieu de le plonger dans le découragement ou de le pousser. à la frivolité, avaient mûri son caractère et disposé son coeur à écouter et à recevoir les appels de l'Évangile. Dépouillant cet orgueil de caste, si marqué chez ses compagnons d'exil, il fréquenta ces humbles chrétiens méthodistes, qu'on lui représentait comme « le rebut du genre humain et les balayures du monde » (12), et chez lesquels il trouva une piété simple et joyeuse, qu'il ambitionna de posséder lui-même. Dieu ne trompe jamais une telle ambition. Du Pontavice eut à Sheffield son chemin de Damas, où il rencontra Jésus-Christ et se donna à lui pour toujours. Dès ce jour, son attitude devant son Maître fut celle de saint Paul. « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? »
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