Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

III

LE Dr COKE EN FRANCE. - UNE TENTATIVE À PARIS

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Le Dr Coke, l'infatigable pionnier des missions wesleyennes, ne tarda pas à être informé de l'ouverture qui venait de se produire en Normandie. Ce fut lui qui, à la Conférence de 1791, réunie à Manchester, le 26 juillet, quelques mois seulement après la mort de Wesley, fit inscrire sur la liste des stations missionnaires cette mention : « France, William Mahy (1). » C'était donner le sceau de l'officiel à une oeuvre qui commençait à peine ; et c'était prendre pied résolument dans un pays où, après un siècle de cruelles persécutions, brillait enfin l'aurore de la liberté religieuse. Il n'est pas probable que la Conférence, absorbée par la crise amenée par la mort de Wesley, eût songé à commencer une mission en France à ce moment, si elle ne se fût pas trouvée en face de l'initiative courageuse des méthodistes des Îles. Elle n'eut pas à fonder cette oeuvre ; elle n'eut qu'à enregistrer sa naissance, et elle le fit probablement sans se rendre compte de l'importance de ce commencement.

Le devoir d'évangéliser le peuple français ne s'était pas encore imposé à la conscience des chrétiens anglais. Seuls, quelques Quakers et quelques Moraves avaient visité le Midi pour se rendre compte de l'état des protestants. Un quart de siècle de révolutions et de guerres devait s'écouler avant que retentît clairement, dans la conscience des chrétiens d'outre-Manche, l'appel du Macédonien : Venez nous secourir !

C'est l'honneur des Méthodistes d'avoir devancé de vingt-cinq ans les autres sociétés chrétiennes dans cette entreprise. Ils furent les précurseurs et les pionniers du réveil, en Normandie d'abord, puis au milieu des prisonniers de guerre sur les pontons britanniques. Le Dr Coke fut l'âme de cette double entreprise, et son nom mérite d'occuper une place honorable dans l'histoire de notre réveil religieux.

Dès 1791, il crut le moment venu de tenter un effort sérieux pour évangéliser la France. Les premiers actes de la Révolution française avaient créé un grand enthousiasme parmi tous les esprits éclairés et libéraux de l'Europe. La chute de la Bastille, et, avec elle, la destruction du despotisme de l'ancien régime et la proclamation de la liberté civile et religieuse, semblaient ouvrir une ère de paix et de liberté. Coke, dont l'âme était optimiste parce qu'elle était chrétienne, jugea qu'il convenait de ne pas se borner à occuper quelques villages de la côte normande, et il résolut de faire, à Paris même, une visite d'observation.

Le 22 septembre 1791, il arrivait à Jersey, en route pour Paris, accompagné de l'un de ses amis, M. Gibson. Il fit part à Jean de Quetteville de son désir de l'emmener avec lui et de le placer à Paris, dans le cas où il y aurait quelques perspectives de réussite dans cette ville. Le jeune prédicateur insulaire, qui était alors dans toute la ferveur de son zèle missionnaire, accepta sans hésiter les propositions du docteur. Celui-ci lui conféra, le jour même, dans la chapelle de Saint-Hélier, la double ordination de diacre et d'ancien, et le lendemain, ils s'embarquèrent sur un sloop qui les transporta à Regnéville, petit port de pêche sur la côte normande. Comme il n'y avait pas de voiture à trouver dans ce village, ils partirent à pied pour Coutances. Ils reçurent en route l'hospitalité dans le château d'un vieux gentilhomme infirme, auquel, en retour de son aimable accueil, ils annoncèrent l'Évangile.

Ils arrivèrent le soir à Coutances, et en repartirent le lendemain pour Courseulles. Le Dr Coke fur fort intéressé par l'oeuvre que William Mahy venait de commencer dans cette région. Il comprit que ce jeune prédicateur, pour avoir accès auprès des protestants, devait pouvoir leur administrer les sacrements et remplir toutes les fonctions pastorales. Il le consacra donc par l'imposition des mains, comme il l'avait fait pour de Quetteville (2). Puis, prenant congé de lui, Coke et ses deux compagnons partirent pour Paris. Ils espéraient prendre à Caen la voiture publique ; mais il se trouvait justement que, la veille, un grand nombre d'émigrés, en route pour la frontière, avaient fait main basse sur tous les véhicules disponibles, et ils durent se contenter d'une misérable carriole, dont le possesseur s'engagea à les transporter à Paris en trois jours. Ils partirent donc, ayant avec eux un membre de l'Assemblée nationale, qui leur avait demandé de l'accepter pour compagnon de route. Dans ses notes de voyage, le Dr Coke s'extasie sur la beauté du pays qu'il traverse, mais signale en même temps plusieurs symptômes affligeants de la démoralisation du peuple.

Arrivés à Paris, Coke et ses amis se mirent à la recherche de deux Anglais, dont ils avaient les noms et qui s'étaient adressés, quelques années auparavant, à lady Huntingdon, pour la presser d'envoyer un ministre à Paris. Cette demande était restée sans réponse, et le Dr Coke, en ayant entendu parler, avait pensé que de ce côté-là se trouverait peut-être l'ouverture providentielle qu'il cherchait. Ces deux Anglais étaient des professeurs qui, en ces temps troublés, n'avaient guère ni élèves ni leçons. Espérant sans doute relever leurs affaires par ce moyen, ils encouragèrent Coke à ouvrir un lieu de culte, lui promettant le plus grand succès. Celui-ci n'hésita pas, sur la foi de ces promesses, à louer une salle dans une rue très fréquentée près du Pont-Neuf, et à annoncer, par la voie des journaux, l'ouverture prochaine de prédications évangéliques. On lui conseilla, en même temps, de profiter de la vente qui allait avoir lieu de biens ecclésiastiques confisqués, pour se procurer un lieu de culte permanent. Les conditions qui lui furent offertes étaient si séduisantes (3.000 fr. pour une église pouvant contenir 2.000 personnes), qu'il n'hésita pas à conclure le marché.

Pendant que se poursuivait cette transaction, la salle de culte provisoire avait été préparée, et Jean de Quetteville y donna sa première prédication à un auditoire qui comptait en tout trente-six personnes, y compris les deux professeurs anglais et leurs familles. Un peu déçu d'un si mince résultat, le prédicateur l'attribua modestement à l'obscurité de son nom et de son talent, et annonça que, le lendemain, le révérend docteur Coke, de l'Université d'Oxford, lirait un discours français de sa composition. Les titres du prédicateur ne réussirent pas à éveiller la curiosité du public, et, à l'heure fixée, six personnes seulement se présentèrent pour entendre le sermon, que le docteur avait pris tant de peine à composer, dans une langue qui ne lui était pas familière. Coke fut découragé, - on l'aurait été à moins, - et il se décida aussitôt à renoncer à une entreprise qui n'avait aucune chance de succès. Il retourna en Angleterre, « bien convaincu, dit l'un de ses biographes, que les Français étaient trop engoués de leur révolution et trop éblouis par leur nouvelle philosophie pour accorder la moindre attention aux vérités du christianisme ou au salut de leurs âmes » (3).

Avant de partir pour Londres, le Dr Coke s'occupa de résilier le marché qu'il avait fait pour l'achat d'une église. Grâce à la complaisance des agents du gouvernement, il put le faire sans trop de difficulté. De Quetteville resta quelques jours après lui à Paris pour achever de régler cette affaire, puis il quitta la capitale à son tour pour n'y plus revenir, et en secouant la poussière de ses pieds contre elle. « C'est la mère des abominations, écrivait-il à son ami Abraham Bishop, peu après son retour ; elle abonde en toutes sortes d'iniquités. » « La religion, disait-il encore, leur était moins que la boue des rues (4). » L'honnête insulaire avait éprouvé une impression de douloureux effroi en face de cette population à la fois démoralisée et impie, et il dut, en la quittant, ressentir quelque chose de ce qu'éprouva Lot en fuyant les villes maudites. Il ne se doutait pas que cette révolution, dont il entendit le grondement et dont il vit les excès, pendant son séjour à Paris, allait fonder en France un régime de liberté que la royauté avait toujours refusé.

Coke fit part à un ami de ses impressions en France dans les termes suivants : « J'ai passé environ cinq semaines en France, avec deux de nos prédicateurs français, l'un de Jersey et l'autre de Guernesey. En Normandie, nous avons eu quelques succès. Environ huit cents protestants des environs de Caen se sont placés sous nos soins. Trente d'entre eux qui manifestent de bons désirs se sont unis en réunions de classes ; six sont sérieusement réveillés. J'ai laissé les deux prédicateurs à l'oeuvre en Normandie. J'ai pris l'un d'eux avec moi à Paris ; mais notre succès dans cette ville dissolue n'a pas été égal à notre attente (5). »

Le Dr Coke ne cessa pas de tourner ses regards vers la France, et il attendait avec impatience le moment où prendraient fin les guerres et les, agitations politiques et où le fruit de la justice pourrait être semé en paix dans les sillons sanglants creusés par la Révolution. L'intensité de son désir de se vouer à l'évangélisation de notre pays se montra, en 1796. Il offrit alors de se consacrer entièrement à l'Eglise méthodiste des États-Unis, avec cette seule réserve : « à moins que la porte s'ouvre en France (6). » Et comme la porte ne s'ouvrait pas, il s'occupa des Français prisonniers ou réfugiés en Angleterre, et eut une influence très notable sur Pierre du Pontavice, comme nous le verrons plus loin.

Il mourut en plein Océan, en 1814, pendant l'un de ses voyages missionnaires, à la veille du moment où la France, après vingt ans de guerre, allait ouvrir ses portes à l'Évangile de paix.



IV

JEAN DE QUETTEVILLE EN NORMANDIE


Jean de Quetteville, à son retour de Paris, passa quelques semaines avec Mahy dans les villages de la campagne de Caen. « Le frère Mahy, écrivait-il, a établi une classe de dix ou onze membres ; plusieurs sont, je crois, profondément convaincus, et sept ont trouvé la paix avec Dieu. Mahy désire vivement que je lui succède ; mais l'état de ma santé et le voeu des amis de Jersey de m'avoir au milieu d'eux me font hésiter. J'attends de connaître la volonté de Dieu et je suis tout disposé à la suivre (7). »

De retour dans les Îles au commencement de 1792, de Quetteville ne tarda pas à se demander si sa place n'était pas après tout en France. « L'insuccès de ma précédente visite, écrivait-il à un ami, me faisait craindre d'en entreprendre une autre. J'étais extrêmement agité dans mon esprit, ne voulant aller que si j'avais l'assurance que le Seigneur y irait avec moi. Pendant l'hiver, un appel nous vint de Roscoff, et je demandai instamment au Seigneur de ne pas permettre que j'y allasse, à moins que ce ne fût pour sa gloire et pour le salut des âmes, et, dans son infinie miséricorde, il y mit empêchement (8). Pour ce qui est de mon retour en Normandie, je fus quelque temps sans discerner la volonté de Dieu. Un matin, dans un songe, je fus convaincu que je devais aller, et, après avoir encore prié à ce sujet pendant un jour ou deux, je vis, comme par un rayon soudain de lumière, que je devais faire ce voyage et partir après Pâques.

« En arrivant à Cherbourg, je trouvai qu'il n'y avait pas de place dans la diligence, et je partis à pied avec un Guernesiais qui était un homme sérieux. Nous ne fîmes que cinq lieues le premier jour, à cause de la pluie ; le lendemain, après avoir marché sept lieues, ma jambe droite s'enfla, et je sentis une douleur si vive au pied gauche qu'il me fut impossible de continuer mon voyage à pied.

« Lorsque j'arrivai chez le frère Mahy, je vis qu'il y avait si peu d'apparence de faire du bien que j'en fus affligé et je priai à ce sujet pendant un jour entier. Mon esprit était préoccupé de trois choses :
1° Devions-nous louer un local à Caen et essayer d'y prêcher ?
2° Quelle marche il convenait de suivre par rapport à l'administration de la Sainte Cène, que les protestants réclamaient avec insistance, quoique, à quelques exceptions près, ils n'eussent pas les dispositions requises ;
3° Comme il n'y avait pas assez d'ouvrage pour deux prédicateurs, que le frère Mahy avait été là déjà longtemps, et que, d'autre part, j'étais hors d'état de parcourir les campagnes à cause de mes douleurs aux jambes, lequel de nous deux devait rester ? Je demandai avec larmes au Seigneur de me diriger, et je fus convaincu qu'aucune porte ne nous était ouverte à Caen, que le frère Mahy devait rester et que nous devions soumettre à un examen ceux qui voudraient recevoir la Cène de nos mains (9). »

La question de l'admission à la Sainte-Cène devait être en effet fort embarrassante pour les deux missionnaires, qui, jeunes et sans expérience (ils n'avaient guère qu'une trentaine d'années), se trouvaient jetés dans un milieu fort différent de celui auquel ils étaient habitués. Dans les sociétés des îles de la Manche, cette question ne se posait pas (10), et si elle se fût posée, on l'aurait tranchée certainement dans le sens du rigorisme disciplinaire. Mahy et de Quetteville devaient donc éprouver une vive répugnance à admettre à la table de communion tous ceux qui s'y présenteraient. Voici, d'après la lettre déjà citée, comment ils résolurent ce difficile problème :

« Après avoir prêché plusieurs fois sur ce sujet, je leur dis que je ne pouvais pas donner la Cène à ceux qui ne voulaient pas abandonner le péché et chercher le Seigneur Jésus-Christ, et que je ne pouvais savoir où ils en étaient à cet égard qu'en m'entretenant avec eux un par un. Je fixai un soir dans ce but. La plupart ne voulurent pas être interrogés et nous ont quittés. Une cinquantaine se sont soumis et ont promis d'abandonner le péché et de chercher la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ. Le frère Mahy ne voulant pas leur donner la Cène, je la leur ai administrée moi-même, après beaucoup de combats intérieurs à ce sujet.

« Le Seigneur a condescendu à visiter et à bénir mon âme d'une manière extraordinaire, pendant que je leur distribuais la Cène et que je les exhortais ensuite solennellement à s'attacher au Seigneur. Je ne crois pas que j'aie jamais trouvé une plus grande bénédiction dans aucun service de ce genre. Que Dieu en soit béni à jamais ! S'il en avait été autrement, j'en aurais tant souffert ensuite. Le Seigneur m'a rendu capable de prêcher avec une mesure de puissance, et les auditeurs ont paru un peu touchés. J'ai vu des larmes couler des yeux de plusieurs. L'un des derniers soirs que j'y prêchai, une jeune femme pleura pendant une partie du service, et d'autres s'en retournèrent chez eux en larmes.

« Il y avait seulement neuf personnes en classe lorsque j'arrivai, deux ayant quitté. Deux femmes se sont rattachées depuis lors à la classe. C'est à Périers qu'elle se tient ; j'espère qu'il y en aura bientôt une à Beuville, car plusieurs personnes, dans cet endroit, paraissent convaincues. Je ne pense pas que plus d'une centaine de personnes continueront à se placer sous notre ministère. Les autres sont trop orgueilleuses et trop endurcies. Ce sont les plus pauvres qui nous demeurent attachés. À Courseulles, à l'exception de huit ou dix (parmi lesquels une femme sérieusement convertie), tous ont abandonné le frère Mahy en mars dernier, parce qu'il n'a pas voulu leur donner la Cène, les voyant endurcis dans le péché et négligeant les moyens de grâce. À Cresserons, ils ont fait la même chose, pendant que j'étais là. À Fresne, ils le feront aussi, s'ils ne l'ont pas déjà fait. Si nous voulions leur donner la Cène, ils continueraient à venir nous entendre ; mais il n'y a vraiment pas à espérer que nous leur fassions du bien. Après une année de travail parmi eux, ils sont les mêmes. Ils disent que nous sommes trop dévots, etc. Je ne sais pas si j'ai bien fait en voulant les examiner, mais j'ai cherché le Seigneur et agi selon la lumière que j'ai reçue. Je me sentais insuffisant pour la tâche qui m'était échue, et c'est là ce qui me troublait.

« Quant à Caen, il n'y a pas, dans cette ville, la moindre préparation ou disposition à recevoir l'Évangile, et je ne me suis pas senti la force d'y entreprendre quoi que ce soit. Mon esprit était lié à un point que je ne puis exprimer. J'éprouvais la même impression que pendant mon séjour à Paris et pendant le temps que j'ai passé à Cherbourg (11). »

Après les deux visites en France dont nous venons de parler, Jean de Quetteville resta dix ans sans y revenir. L'état de guerre entre la France et l'Angleterre interrompit toute communication, même par correspondance, entre les méthodistes des îles de la Manche et la petite mission fondée par eux en Basse-Normandie. De Quetteville profita de la courte paix de 1802, pour visiter cette oeuvre, toujours dirigée par William Mahy. Avant de revenir aux travaux de celui-ci, il sera intéressant de donner quelques détails sur cette visite (12).

Il débarqua à Diélette vers la fin de mars 1802, et se mit immédiatement à évangéliser ceux qu'il rencontra sur son chemin. « Je prêchai hier au soir, écrivait-il à sa femme, au petit village de Diélette, dans la maison d'un aristocrate, qui souffrit deux mois de prison pour ses opinions. Aristocrates et démocrates étaient à genoux à la prière et je trouvai une onction divine en leur parlant ; mais je crains que leurs coeurs n'aient pas été atteints. Ils ont admiré la prédication et en ont rendu un bon témoignage ; mais je voudrais quelque chose de plus. Je vais ce soir prêcher dans un plus grand village situé à trois quarts de lieue d'ici. Oh ! que j'ai besoin des prières des âmes fidèles et du puissant secours de Dieu ! Sans lui, je ne puis rien faire. Que ces pauvres gens sont à plaindre de n'avoir pas la Parole divine pour connaître la vérité ! Certainement nos méthodistes devraient se réunir pour faire imprimer deux ou trois mille exemplaires du Nouveau-Testament pour les répandre parmi ces pauvres catholiques. En les visitant à domicile, on pourrait en laisser dans chaque famille un exemplaire, qui ferait un bien considérable, ne fût-ce qu'en dissipant les ténèbres de la superstition, en détruisant plusieurs préjugés et en convainquant le peuple que les vrais pasteurs ont plus à coeur leur salut que leurs propres prêtres, et que les vrais protestants sont plus généreux et plus zélés pour leur bien que les catholiques. »

Le 1er avril, il écrit de Cherbourg : « J'ai prêché mardi soir, comme je vous l'avais annoncé, dans un hameau voisin de Diélette. Le peuple écoute la parole et se prosterne à la prière. Les prêtres sont aristocrates et du grand nombre de ceux qui se sont réfugiés dans les Îles. J'arrivai hier à Cherbourg. Je prêchai dans la petite chambre où loge le frère Thomas Sarchet. On m'a dit que le peuple était très satisfait de ma prédication, mais que, pour faire un bon essai, il faudrait rester quinze jours. On a bien dit à la femme de la maison qu'on lui fera des affaires ; mais tout culte est libre en France... J'espère qu'on pourrait faire quelque chose à Cherbourg, en y faisant un plus long séjour. Mais quelle ignorance y règne ! quelle corruption !

« Je suis entré dans une maison entre Diélette et Cherbourg. Les gens m'ont dit que, s'ils m'eussent attendu, ils auraient réuni leurs voisins pour m'entendre, quoiqu'il fût onze heures du matin. Un vieillard jurait contre les prêtres ; je lui ai dit qu'il ne fallait pas jurer et que j'avais pitié d'eux. Certainement les méthodistes devraient faire tous leurs efforts pour procurer la connaissance de l'Évangile à ce grand peuple, qui a été si longtemps dupe de leurs erreurs. J'ai d'ailleurs trouvé autant de liberté à prêcher ici que dans nos îles, bien que fatigué, enrhumé et privé de toute possibilité de recueillement. »

Pendant cette dernière tournée en Normandie, qui dura trois ou quatre mois, de Quetteville ne se borna pas à visiter le champ de travail de Mahy ; il fit quelques tournées missionnaires dans la région. Il consacra une semaine à Crocy, près Falaise, où il prêcha quatre fois le dimanche et tous les soirs pendant les autres jours. Ses auditeurs, presque tous catholiques, se montrèrent respectueux et attentifs, et quelques-uns parurent touchés. Plusieurs demandèrent au missionnaire de devenir leur pasteur et se déclarèrent prêts à se constituer en Église protestante. Mais ses devoirs le rappelaient dans les Îles. Il ne devait plus revenir en Normandie, où William Mahy demeura seul.



V

WILLIAM MAHY EN NORMANDIE


Quoique Mahy ait consacré près de dix-neuf ans de sa vie à l'évangélisation de la Basse-Normandie (1791-1809), nous serons forcément très bref sur cette mission prolongée. Les documents font presque complètement défaut, et lui-même n'a laissé aucun écrit. Nous n'avons pas eu entre les mains une seule lettre de lui, soit qu'elles n'aient pas été conservées, soit surtout parce que les communications postales régulières entre la France et les îles normandes durent cesser pendant les longues guerres de la République et de l'Empire. Nous en sommes donc réduit aux quelques détails recueillis par ses successeurs, ou notés par sa femme, dans une courte relation écrite plusieurs années après sa mort.

Mentionnons d'abord la tentative que fit Mahy pour fonder un culte à Caen. C'était le désir du Dr Coke qu'il ne s'enfermât pas dans les villages où l'oeuvre avait commencé, et qu'il louât un local dans la ville de Caen, où les protestants avaient un grand besoin d'être réveillés. Il n'y avait pas d'action commune possible avec le pasteur ou avec ses riches paroissiens, qui tenaient en profond mépris l'évangéliste méthodiste qui prenait soin bénévolement des protestants de la campagne, abandonnés à eux-mêmes par décision consistoriale. Mais il était permis d'espérer qu'une oeuvre fidèle d'évangélisation pourrait avoir quelque accès auprès du peuple. Mahy voulut au moins en avoir le coeur net, et, dans les derniers jours de 1792, il loua une salle de réunion dans la rue Notre-Dame.

Nous avons sous les yeux la minute de l'accord intervenu entre le prédicateur et le propriétaire. Le lecteur sera peut-être curieux de lire cette pièce, rédigée dans le style que la Révolution avait mis à la mode.

« Terme et conditions du louage convenu et arrêté entre le citoyen Caugy, propriétaire d'une certaine maison située dans la rue appelée la rue Notre-Dame, donnant sur la rue de l'Odon à Caen, d'une part ; le citoyen Mahy, prédicateur du Saint Évangile, établi par la Conférence des Sociétés unies des Méthodistes en Angleterre et ailleurs, selon l'ordre et les Règles de feu le Révérend Monsieur Jean Wesley, A. M., Compagnon (13) de l'Université d'Oxford, d'autre part.

« Par les présentes est convenu et accordé entre lesdites parties que le dit citoyen Caugy loue au dit citoyen Mahy la grande chambre du premier étage de la susdite maison sans cheminée, et une autre petite à gauche en entrant à cheminée ; de plus, un cabinet, le tout de plain pied, tout bien conditionné, pour le terme et espace de trois mois, à commencer à compter de ce jour et date ; par le prix et somme de trente livres, argent de France, payable au commencement de la jouissance du dit terme en assignats. Et ce pour que le dit citoyen Mahy, ou tout autre prédicateur qu'il jugera à propos d'y introduire, puisse y former telles congrégations qu'il trouvera propre et convenable, pour leur prêcher et annoncer l'Évangile dans les principes protestants. Et ne sera loisible à l'une ou l'autre des parties de casser ou annuler le dit louage, si ce n'est à la fin des trois mois. Et le dit Caugy promet et s'oblige de fournir et garantir le dit louage au commencement de la jouissance, le tout sur l'obligation de tous et chacune des dites parties, leurs biens meubles et héritages présents et futurs et de leurs hoirs.

« En foi de quoi les dites parties ont signé double, à Caen, le vingt-quatrième décembre mille sept cent quatre-vingt-douze, quatrième de la Liberté et premier de l'Égalité Française.
« CAUGY. »
« MAHY, Prédicateur. »

Mahy prêcha, « pendant quelque temps » dans ce local, « à une assemblée passablement nombreuse, composée presque uniquement de catholiques romains, dont un certain nombre paraissaient très attentifs et pénétrés et auront, je pense, dit la veuve Mahy, sujet d'en bénir le Seigneur éternellement » (14). Les réunions durent être discontinuées, quelques mois après avoir commencé. On était en 1793, l'année de la Terreur et du culte de la Raison, et il ne pouvait pas être question de poursuivre cet essai d'un culte libre, au moment où la tempête révolutionnaire se déchaînait sur les cultes reconnus.

Avant ce moment, Mahy eut à souffrir du mauvais vouloir du pasteur de Caen. Voici comment sa veuve raconte cet incident : nous laissons à son récit sa forme naïve.

« Tout paraissait en bonne harmonie ; mais Satan qui rode sans cesse, cherchant qui il pourra dévorer, s'opposa bientôt à l'oeuvre du Seigneur et se servit à cet effet du ministre de la ville de Caen, lequel officiait dans ces églises. Il eut quelques conversations avec un homme de l'île d'Aurigny qui vint à cette époque en France. Cet homme lui dit, en mentant, toute sorte de mal des Méthodistes ; de sorte que ce ministre écrivit immédiatement des lettres à tous les anciens des églises pour les avertir de se défier de ce soi-disant pasteur, qui s'était introduit adroitement parmi eux, et de ne pas le recevoir. « Vous devez, leur dit-il, lui demander s'il est admis à la charge du ministère, où sont ses ordres, etc. Refusez de l'entendre jusqu'à ce qu'il soit venu vers moi, et, s'il vient, laissez-moi faire. Ces gens-là sont comme autrefois chez nous les moines fanatiques, bigots et fripons. Il y en a un qui a eu l'adresse de prendre à une dame une montre à répétition qu'elle avait (15). De sorte que vous ne pouvez trop vous défier de ces gens-là. »

« Il ajouta plusieurs propos semblables. Il en résulta que plusieurs de ceux qui avaient mis de l'empressement à se rendre aux assemblées se retirèrent et se déclarèrent les ennemis de la bonne cause. Cela amena une grande division entre les protestants. À Cresserons, presque tous se retirèrent aussitôt. À Périers, le troupeau ne fut pas séparé ; quelques-uns des anciens cessèrent d'assister à la prédication, mais cela ne dura pas longtemps ; car, voyant que la doctrine était conforme à la parole de Dieu et que celui qui l'annonçait la pratiquait lui-même, cela attira la confiance générale des protestants de Périers. Beuville éprouva une forte secousse de la part du ministre et des anciens. Il y avait dans cette église un grand ordre dans le culte et l'on y gardait la discipline dans toutes les formes. Les anciens qui faisaient le service étaient des pharisiens orthodoxes. On se réunit dans le lieu de culte et chacun déclara son sentiment. Un ancien sur quatre resta avec nous. Notre nombre était de beaucoup plus grand, et nous eûmes l'usage du lieu de culte, d'autant que le maître de la maison était de notre sentiment » (16).

Voici comment les choses se passèrent d'après le récit de Toase :
L'un des anciens de Beuville vint essayer d'expulser Mahy de la salle où il tenait le culte dans cette localité ; mais le propriétaire de la maison, Jacques Martin, qui, avec ses quatre enfants, s'était joint à la Société, se leva et dit : « La maison est à moi ; je n'ai rien vu ni entendu en M. Mahy que de bonnes choses, et je suis décidé à rester auprès de lui, et ceux qui voudront faire comme moi seront les bienvenus. » La fermeté de ce brave homme n'empêcha pas de se retirer ceux qui ne cherchaient qu'un prétexte pour le faire, mais elle conserva à l'oeuvre de Beuville son lieu de culte (17).

« Après cette séparation, continue Mme Mahy, bientôt leurs assemblées, pasteur et troupeau, furent en confusion, de sorte que plusieurs années s'écoulèrent ainsi. Mais la parole du Seigneur était efficace dans nos assemblées et ceux qui avaient choisi le bon parti s'affermissaient de plus en plus. Il y eut des classes formées à Périers et à Beuville, et environ une vingtaine de personnes y assistaient, plusieurs desquelles paraissaient pénétrées de l'importance du salut. L'empressement était tel que le matin à quatre heures, pendant les beaux jours d'été, les hommes de travail venaient à la prédication, avant d'aller à leur journée. Plusieurs de ceux qui allaient en classe reçurent le pardon de leurs péchés et le don de la prière, et la parole du Seigneur agissait avec onction et puissance » (18).

La situation générale de la France devenait de plus en plus grave. À l'intérieur, le régime terroriste frappait des milliers de victimes. À l'extérieur, une coalition formidable menaçait la France sur toutes ses frontières, et le gouvernement anglais, sous l'habile direction de Pitt, était à la fois l'instigateur et le banquier de cette coalition. On disait que ses agents secrets, répandus surtout dans les provinces de l'ouest, y prenaient des renseignements sur l'état de nos forces, de nos places et de nos approvisionnements et répandaient l'or à pleines mains pour provoquer la trahison. Tout étranger devint un suspect, il l'était doublement s'il était sujet britannique. Les étrangers furent d'abord mis sous la surveillance des comités révolutionnaires. Puis un décret de la Convention, en date du 1er août 1793, dénonça Pitt comme l'ennemi du genre humain et ordonna que tous les étrangers domiciliés en France depuis le 14 juillet 1789 seraient mis en état d'arrestation (19).

La situation de Mahy en Normandie était, à ce moment, des plus difficiles. Regardé comme un intrus par le pasteur et le consistoire de Caen, il devait être fortement soupçonné d'espionnage par les autorités politiques, d'abord parce qu'il était originaire des îles de la Manche, l'un des quartiers généraux des émigrés, et ensuite parce que la présence de cet étranger dans les villages de la côte normande semblait inexplicable, à des hommes qui ne comprenaient pas qu'on s'expatriât pour le seul plaisir de prêcher l'Évangile aux Français de la Révolution. Il ne fût pourtant ni arrêté ni sérieusement inquiété, tant à cause de son caractère irréprochable que de la sagesse qu'il montra en se tenant à l'écart des partis politiques. S'étant marié avec une Française de Beuville, la demoiselle Houel, il se fit naturaliser et se fixa définitivement en France (20).

La marche des événements fit de lui, pendant quelques années, l'unique pasteur de la Basse-Normandie. Le signal des défections ecclésiastiques vint de Paris. Le 7 novembre 1793, Gobel, évêque constitutionnel de Paris, déposa son caractère ecclésiastique à la tribune de la Convention. D'autres suivirent son exemple, entre autres Julien, pasteur de Toulouse, qui déclara qu'il n'aurait désormais « d'autre Divinité que la liberté, d'autre Évangile que la Constitution républicaine ». Les protestants de Paris suivirent le mouvement et le pasteur Marron apporta à la Commune de Paris les coupes de la Sainte-Cène, et prononça ces paroles équivoques : « Recevez, citoyens, mon serment inviolable de ne pas rester au-dessous de votre zèle pour étendre le règne de la Raison. Honte à tous ces échafaudages de mensonges et de puérilités que l'ignorance et la mauvaise foi ont décorés du nom de théologie. » Il y eut des résistances honorables de la part de plusieurs pasteurs, mais la plupart se soumirent et cessèrent toute activité pastorale (21). Ce fut le cas pour les deux pasteurs de la Basse-Normandie, Duvernet et Gourjon. Ils n'apostasièrent pas, mais ils se soumirent et déclarèrent « renoncer à faire aucune fonctions quelconques de ministres, désirant en tout se conformer aux décrets de la Convention » (22). Cette attitude montrait assez que l'on était loin des temps héroïques et que l'Eglise réformée avait grand besoin d'un réveil.

Resté seul à prendre soin des troupeaux protestants abandonnés, Mahy se dévoua sans bruit et avec fidélité à cette tâche. Si le culte public dut être suspendu pendant quelque temps, rien ne l'empêchait de porter de maison en maison les consolations et les exhortations d'un ministre chrétien. Beaucoup de protestants sans doute se laissèrent entraîner par le courant d'incrédulité qui passait ; mais, chez d'autres, les besoins religieux persistaient. On ne saurait trop admirer l'oeuvre de conservation protestante et de conquêtes spirituelles que poursuivit Mahy pendant ces années difficiles.

Outre les Églises des environs de Caen, il visita régulièrement le groupe d'Églises protestantes qui se trouvent dans la région connue sous le nom de Bocage : Condé-sur-Noireau, Athis, Sainte-Honorine et Fresne (23). « Notre cher pasteur, dit Mme Mahy, fut appelé à aller exercer dans ces églises toutes les fonctions du ministère. Il y eut beaucoup d'âmes réveillées par son moyen, dont plusieurs témoignent encore aujourd'hui qu'elles lui doivent d'avoir été amenées à la connaissance du Seigneur. Il prêcha aussi à douze lieues plus loin, dans une paroisse où il y avait autrefois beaucoup de protestants (24), et même un temple qui fut démoli au temps de la persécution. Un grand nombre de personnes, quoique papistes, lui firent un bon accueil et vinrent écouter la parole de Dieu, qui ne leur avait jamais été annoncée dans sa pureté. « Oh ! disaient-ils, si vous pouviez toujours demeurer avec nous pour être notre pasteur, nous laisserions les prêtres. » Cela dura quelque temps ; mais il ne put pas y aller assez souvent à cause de l'éloignement, et aussi parce qu'il était nécessaire de cultiver l'oeuvre commencée dans les églises protestantes. Il en résulta que les assemblées diminuèrent et que Satan en détourna plusieurs. Il y eut toutefois des personnes converties, qui ont depuis lors terminé leur carrière dans le triomphe de la foi. J'espère aussi que les quelques vieillards protestants qui se trouvaient dans cette localité ont été aidés à achever leur course dans la crainte du Seigneur. Au reste, Dieu seul connaît combien les visites de ses chers serviteurs ont été en bénédiction à ces pauvres âmes égarées loin des chemins de la vie. J'aime à croire que plusieurs en béniront le Seigneur à jamais.

« En général, partout où mon mari a prêché, il a réveillé des âmes et en a amené plusieurs à la connaissance des voies du Seigneur. Il allait de lieu en lieu inviter les âmes à recevoir le salut de Dieu par Christ. C'est ainsi qu'il a parcouru sa course pénible avec une patience admirable et un zèle infatigable. Son don pour la prédication était convainquant et persuasif, et ses textes admirablement choisis pour s'adapter à l'état de son auditoire ; il les traitait avec l'assistance de la grâce et les lumières du Saint-Esprit. Comme on se servait des psaumes pour le chant au culte public du dimanche, il avait l'habitude de faire une explication sur les versets qu'on chantait, et il le faisait avec une clarté et une onction touchantes. J'ai vu quelquefois la plus grande partie de l'assemblée répandre des larmes abondantes, tant la parole était puissante de par le Seigneur.

« Il y aurait encore beaucoup de choses à dire dont je ne me souviens pas, conclut Mme Mahy, qui serviraient à montrer combien son ministère fut laborieux et utile dans cette grande nation, où il a défriché une terre aride et privée de la vraie connaissance de Dieu (25). »

Pendant douze ans, Mahy fut seul à défricher le champ où Dieu l'avait placé. Mais en 1802, lors de la paix d'Amiens, il put enfin recevoir la visite d'abord de Jean de Quetteville, dont nous avons parlé dans notre précédent chapitre, puis de Pierre du Pontavice, qui lui fut associé pendant quelque temps. Ses conversations pieuses, pendant le temps qu'ils furent ensemble et ses lettres affectueuses lorsqu'ils furent séparés, furent pour l'âme de Mahy comme une rosée bienfaisante sur une terre altérée. Mais la longue solitude dans laquelle il avait vécu tant d'années, l'opposition qui lui avait été faite et les commotions politiques de l'époque avaient eu un retentissement douloureux dans son âme délicate ; il tomba dans un état de profonde mélancolie qui affecta sa raison. Il eut ce qu'on appelle la manie de la persécution et imagina que ses ennemis l'avaient empoisonné (26). Ses amis pensèrent que, s'il était possible de le transporter à Guernesey, son île natale, il pourrait recouvrer la raison au milieu de sa famille et de ses amis et entouré de scènes paisibles qui lui rappelleraient les années de sa jeunesse. Mais la guerre sévissait alors dans toute sa furie et semblait rendre ce transfert impossible. « Son aimable et pieuse campagne, dit Toase, et ses amis firent, pendant longtemps, des démarches répétées et inutiles auprès du gouvernement de Napoléon. À la fin, grâce surtout à l'influence de M. S. (27), on lui accorda l'autorisation d'être transféré à Guernesey, à bord d'un vaisseau muni d'une licence. » (28) L'air natal parut d'abord lui être propice, et une amélioration sensible se fit dans son état. Le 4 juillet 1810, de Quetteville écrivait à du Pontavice, qui lui avait demandé de ses nouvelles : « Notre frère William Mahy ne se rétablit pas, comme nous l'avions d'abord espéré ; toutefois il continue à prêcher, et nous devons tous prier pour lui. Sa femme nous a dit bien des choses de vous et du bon effet de votre ministère ; ce qui répond aux sentiments que j'en ai toujours eus et au témoignage que j'en ai rendu à ceux qui s'en informaient... Puisque vous n'êtes qu'à sept lieues du Havre, j'espère que vous aurez la bonté de visiter le petit troupeau de Beuville aussi souvent qu'il vous sera possible. » (29)

Quand du Pontavice reçut cette lettre à Bolbec, où il était alors pasteur réformé, il se préparait à se rendre à Beuville, pour y mourir auprès de ses amis méthodistes. William Mahy lui survécut trois ans. Transporté dans une maison de santé près de Manchester, pour y recevoir les soins que nécessitait son état, il y mourut le 1er décembre 1813, trois ans, jour pour jour, après la mort de du Pontavice. Ses dernières paroles furent : « Ma seule espérance est dans la miséricorde de Dieu ». Sa femme conclut ainsi sa relation : « Sa sépulture a été honorable, parmi les frères à Manchester. Il a été inhumé le 4 décembre 1813, âgé de 46 ans. Le ministre qui a lu le service funèbre se nomme John Kershaw. »

La Conférence wesleyenne de 1814 enregistra dans ses Minutes la mort du pionnier du méthodisme en France, dans les termes suivants :

« William Mahy, né à Guernesey, fut réveillé du sommeil du péché par le ministère de M. Jean de Quetteville. Quelques semaines plus tard, il trouva la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ. En 1790, il fut employé pour deux ou trois mois comme prédicateur itinérant à Jersey et Aurigny ; dans cette dernière île, sa fidélité l'exposa au danger de perdre la vie. Peu de temps après, il fut envoyé en France, et, pendant dix-huit ans et demi, il y endura beaucoup d'épreuves et d'afflictions. Il prêcha dans un grand nombre de localités et organisa plusieurs petites sociétés ; mais, par suite des préjugés du peuple, de la méchanceté des prêtres, des circonstances de l'époque et de son épreuve personnelle, il n'eut pas tout le succès qu'il désirait. Il plut à Dieu, dont les voies sont mystérieuses, de le priver de sa raison ; il dut être ramené à Guernesey, et, peu de temps après, être envoyé en Angleterre, pour y recevoir les soins médicaux que réclamait son état. Il termina sa vie de souffrance le 1er décembre 1813, dans la cinquantième année de son âge, et avec une joyeuse espérance de l'immortalité. Il dit, peu avant de mourir : « Ma confiance est dans les mérites de mon Sauveur, et la miséricorde de mon Dieu ne m'abandonne pas. »


(1) Dans les Minutes (ou Actes) de la Conférence de 1791, la France est mentionnée immédiatement après les Îles de la Manche. Il en est de même en 1792. Mais dès l'année suivante, sans doute à cause de l'état de guerre, la mention de la France est supprimée, quoique William Mahy continue à y résider. 

(2) Le Dr Coke avait été chargé par Wesley d'organiser l'Eglise méthodiste épiscopale d'Amérique, dont il fut le premier évêque. Mais ces pouvoirs épiscopaux, qu'il possédait en Amérique, il ne devait pas les exercer en Angleterre. Il crut sans doute que cette règle de conduite ne l'empêchait pas de faire des ordinations en vue de la France, Plusieurs de ses collègues anglais se plaignirent toutefois de l'initiative qu'il avait prise en consacrant de Quetteville et Mahy, et la Conférence de 1792 décida qu' « aucune ordination n'aurait lieu dans le corps méthodiste sans que le consentement de la Conférence eût préalablement été obtenu. » (Etheridge, Life of Coke, note XVII).

(3) Drew, Life of D, Coke, p. 244.

(4) De Quetteville, Les Commencements du méthodisme en France. (Mag. méth. des Îles de la Manche, 1836, page 171.)

(5) Lettre à Churchey (décembre 1791), dans Etheridge. Life of Coke, page 435.

(6) Etheridge, page 275.

(7) Lettre à Abraham Bishop, missionnaire en Nouvelle-Ecosse, du 14 janvier 179

(8) Quelques Anglais en séjour à Roscoff, en Bretagne, avaient demandé qu'on leur envoyât un prédicateur. Joseph Sutcliffe, alors en résidence à Jersey, y fit une visite vers la fin de 1791, mais, après examen, il ne jugea pas qu'il y eût lieu d'y placer un agent. Un second essai tenté, en 1816, par Amice Ollivier, n'eut pas plus de succès.

(9) Lettre à Brackenbury, du 8 juin 1792.

(10) Wesley, par égard pour l'Eglise anglicane, s'était toujours refusé à autoriser ses prédicateurs à administrer les sacrements, et exhortait les membres des sociétés à communier à l'église paroissiale. ils y étaient peu disposés en général, à cause de l'attitude hostile de la plupart des ministres officiels. Ce ne fut qu'après la mort de Wesley que, sur les réclamations de plus en plus vives des sociétés, le droit pour leurs conducteurs spirituels de leur administrer les sacrements fut reconnu par la Conférence.

(11) Lettre à Brackenbury, du 8 juin 1792.

(12) Voy. la Vie de Jean de Quetteville, par Henri de Jersey. Londres, 1847, pages 108-112.
 

(13) En anglais : Fellow. 

(14) Relation manuscrite de la veuve Mahy.

(15) D'après Toase (Wesleyan Mission in France, page 18), le pasteur de Caen attribuait à Wesley lui-même ce larcin. Il est probable que la narration de la veuve Mahy est la plus correcte.

(16) Relation manuscrite.

(17) Toase, p. 19.

(18) Relation manuscrite.

(19) Thiers, Histoire de la Révolution, livre XVI.

(20) « Notre cher frère fut obligé de se faire inscrire domicilié Français, pour avoir la liberté de prêcher sans être molesté et ouvertement ». (Relation de la veuve Mahy.)

(21) Voy. Ed. de Pressensé, l'Eglise et la Révolution. 2, édit., p. 457, et A. Lods, l'Eglise réformée de paris sous la Révolution.

(22) Ce furent les termes de la déclaration du pasteur de Condé-sur-Noireau. Voy. plus haut, page 9.

(23) Localité qu'il ne faut pas confondre avec Fresne-Camilly, près de Caen. C'est ce Fresne, dans le Bocage, qui a donné à l'Eglise méthodiste deux excellents pasteurs, Frédéric Prunier et son fils, Onésime Prunier.
(24) il s'agit évidemment de Crocy, que visita aussi de Quetteville en 1802, comme on l'a vu dans le chapitre précédent, page 27.

(25) Relation manuscrite.

(26) Ce qui parait étrange, c'est que sa femme crut aussi à un empoisonnement. Voici ce quelle en dit dans sa Relation : « Il a donc passé ainsi le cours de sa laborieuse vie missionnaire en France, jusqu'à l'époque funeste où il fut empoisonné par quelques-uns des émissaires de Satan qui, jaloux de la prospérité du culte protestant, selon toute apparence lui donnèrent une dose de poison qui l'a conduit au tombeau... Mais, que dirons-nous ? le Seigneur l'a permis, toute mort des bien-aimés de l'Éternel est précieuse à ses yeux... Il a été retranché par la force de l'angoisse et de la douleur. C'est ainsi qu'il a passé de cette vallée de larmes et d'adversité dans la Canaan céleste, pour se reposer de ses pénibles travaux et pour y boire à longs traits au pur Océan des délices éternelles. »

(27) Probablement le pasteur Sabonnadière, de Caen.

(28) Toase, The Wesleyan Mission in France, page 21.

(29) Vie de J. de Quetteville, page 130.
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