Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Apologie des Assemblées du Désert

(1697)

Contre toute attente, dans ce refuge qu'il avait choisi, le prédicant harassé se trouva « sous une croix plus rude et plus pesante que dans les cavernes des Cévennes ».

Tandis que dans « les déserts » du Languedoc les prédicants, au péril de leur vie, reconstruisaient l'Eglise, à l'étranger les docteurs discutaient. Les protestants exilés, qui avaient abandonné patrie et biens pour garder leur âme sauve, reprochaient à leurs frères de France d'y être demeurés, et d'y vivre dans une perpétuelle hypocrisie. Restés, pour la plupart, fidèles à une conception politique qui montrait le Roi maître absolu de ses sujets, ils considéraient les assemblées pieuses comme des manifestations de rebelles, et ils accusaient les prédicateurs d'être cause de l'envoi aux galères ou à la potence de beaucoup de leurs auditeurs. Roman se vit donc traité de « tentateur », parce que son ministère autorisait les protestants à rester dans leurs montagnes natales, et de « persécuteur », en raison des conséquences douloureuses de ses cultes publics. Il se défendit de son mieux.

« J'expose ma vie, disait-il, pour l'amour de Dieu et de son peuple. La crainte des tourments que les hommes pourraient me faire souffrir, ni toute votre philosophie ne seront jamais capables de me détourner d'un si juste dessein. N'est-il pas de notre devoir de courir au secours de ceux que nous voyons périr par faute de lumière et d'exhortation, et de nous exhorter les uns les autres ? »

« Vous me répondez que pour cela il faut aller (simplement) de maison en maison. Mais hélas ! qui ne voit que la division est si grande que le mari se cache de sa femme, et la femme de son mari ?... Il faut de toute nécessité rassembler le résidu selon l'élection de grâce (Rom. XI, 5)...
Les prières dans les saintes assemblées sont infiniment plus ardentes que dans les lieux particuliers... C'est dans ces fraternelles assemblées que chacun donne gloire à Dieu, à la vue de son peuple. C'est là qu'ils s'édifient, se fortifient, et se consolent mutuellement en Dieu, par leur présence les uns avec les autres... Pouvez-vous vous imaginer que dans un temps, de persécution on puisse s'acquérir de si grands biens sans s'exposer à de grands maux ? Nous devons rendre grâces à Dieu de ce qu'en nos jours il y a des Confesseurs qui nous remettent en mémoire, le courage héroïque et l'intrépidité des premiers chrétiens, sur les galères et sur les échafauds»

« Vous me répliquerez qu'en France, il n'est pas permis de prêcher. Mais, si le Roi le défend, Dieu le commande. jugez vous-mêmes auquel il est plus juste d'obéir (Actes IV, 19). De plus, vous me demandez pourquoi ces gens-là ne sortent pas du royaume ? je vous dirai sur cela qu'il faut beaucoup de courage et de résolution pour tout abandonner. - Outre un grand nombre d'obstacles qui se présentent à leurs yeux, ils craignent les embûches sur les chemins, et les misères infinies où se précipitent ceux qui fuient. Il est donc d'une nécessité de la plus grande importance, d'aller prêcher à ces pauvres malheureux, et de leur remontrer leurs justes devoirs, en leur persuadant qu'il n'y a point de milieu : qu'il faut sortir du royaume, ou redresser leurs Églises aux dépens de leur sang ».

Et la conclusion éclate, impérieuse, dans laquelle Roman se donne tout entier : « Présentement il est question de savoir à qui Dieu redemandera ces âmes innocentes qui périssent faute de lumière. Pour ce qui est de moi, je suis fort convaincu que le plus court moyen pour rétablir les Églises de France aurait été d'y prêcher partout, parce que les martyrs, par leur constance, auraient lassé la cruauté de leurs ennemis ».

À la même date, Claude Brousson, en Hollande, tenait le même langage à des politiques qui se demandaient par quels moyens, et notamment par quelle attitude de soumission, on amènerait Louis XIV à rétablir les protestants dans leurs droits anciens. Les deux hommes n'étaient pas ornés des mêmes dons. Roman n'était qu'un pauvre prédicant, peu instruit, dont la modeste personnalité s'est effacée dans le rayonnement sublime de Brousson. Mais dans cet instant décisif, ils eurent l'âme pareille. Sans s'être concertés, à un mois d'intervalle, l'un et l'autre abandonnèrent, en Hollande et à Genève comités rivaux, diplomates et « philosophes », et revinrent poursuivre, dans la France désolée, leur tâche d'apôtres, qui seule leur importait.





Dernières épreuves en France

(1697-1698)

Roman n'était demeuré cette fois que trois semaines à Genève. Pendant son absence, il avait recommandé ses fidèles à plusieurs « charitables Anciens », établis par ses soins en certains lieux. Il essayait donc, selon sa propre expression, de « redresser » les Églises, c'est-à-dire de faire sortir les Réformés de l'état chaotique où les laissait, depuis la Révocation, l'absence de pasteurs réguliers et de consistoires (conseils presbytéraux). Brousson codifia vers 1695 ou 1696 des directives qu'il avait sûrement indiquées dès 1691 et 1692, et qui concernaient l'organisation des « Églises du désert ». Roman, dans ce domaine, suivit sûrement les indications de son grand conseiller. Il parle de « quatre-vingts Églises » du Vivarais ou des Cévennes, dont à son retour il entreprit la visite. Les « Anciens » (conseillers presbytéraux) convoquaient de « petites assemblées ». Roman, comme pasteur en titre, prêchait et se réservait le privilège de baptiser et de distribuer la Cène. Nous savons qu'il bénissait aussi les mariages.. Quand Brousson (qui l'avait perdu de vue depuis 1694) traversa le Vivarais à la fin de 1697, peu après notre prédicant, il admira l'activité disciplinée, l' « habileté » dont celui-ci maintenant faisait preuve.

Au mois de juillet 1697 « le marchandou », qu'on nommait alors « Antoine », nous ne savons pourquoi, était à nouveau dans son canton de la Lozère et du Bougés. « je me vis obligé, écrit-il, de marcher ou de prêcher toutes les nuits : de trois, ou de deux en deux lieues, je faisais des assemblées ». Mais les temps étaient durs. Bâville allait recommencer les dragonnades, cette fois pour obliger les « Nouveaux Convertis » à assister à la messe, et il parlait ouvertement des bienfaits de l'Inquisition. La guerre européenne était achevée ; les soldats n'étant plus retenus aux frontières inondèrent les Cévennes. « Non seulement, dit Roman, il me fallait sans cesse prendre garde à moi, mais encore avoir toujours mon âme entre les mains, comme prêt à la rendre ».

À la fin de l'année, il fut rejoint dans la montagne, par le prédicant Daniel Bas. Ce dernier était un Genevois que Bâville avait retenu quelques années dans la Tour de Constance, le soupçonnant d'être un guide. Bas s'était lié, dans sa prison, avec un prédicant cévenol, si bien qu'après avoir réussi à s'évader d'Aigues-Mortes, au lieu de regagner Genève il était devenu prédicateur. Après avoir parcouru les Hautes et les Basses Cévennes, et visité même le Rouergue, Bas remonta vers la Lozère, sans doute parce que Roman était ; avec lui, le seul prédicant qui subsistât dans le pays.

Nous trouvons les deux hommes le 29 décembre 1697, entre le Pont-de-Montvert et St-Maurice-de-Ventalon, célébrant la fête de Noël dans le domaine de Monteuq, devant une assemblée qu'on estima de quatre mille personnes. La réunion fit du bruit. Le fameux abbé du Chayla « inspecteur des Cévennes » que Roman désigne comme son acharné persécuteur, dirigea les mouvements de troupes et les informations qui devaient châtier les coupables. Bas, malade, trouva alors un asile vers Castagnols, mais cette dernière épreuve « lui ôta toute espérance pour le rétablissement des Églises de France ». Il ne voulut plus qu'ordonner « suivant Jésus-Christ » le devoir de la fuite : « Si vous êtes persécutés en un lieu, fuyez en un autre ». Après une dernière aventure où il faillit être pris avec Brousson (qu'il avait rencontré vers Le Vigan), il dit adieu aux Cévennes, et rentra dans la Genève où il était né.

Roman, par contre, obstiné dans son oeuvre, « conseillait que tout restât ». Brousson poursuivit ses courses, et passa dans le Rouergue, pour atteindre le Béarn, où il fut arrêté quelques mois plus tard. Roman ne sortit, pas des Cévennes auxquelles il s'était voué. En avril 1698 il prêche aux environs de Vébron, dans une grotte que les gouttes d'eau tombant de sa voûte comme des larmes ont fait nommer - titre douloureusement symbolique - « la Baume dolente ». Cinq hommes, à cette occasion, sont envoyés aux galères, et trois filles (trois soeurs) à la Tour de Constance.

Le 4 novembre 1698, Brousson, que Bâville s'était fait amener de Pau, fut étranglé sur la roue à Montpellier. De la plaine de Nîmes à l'Aigoual et au Mont Lozère, Roman restait seul de tous les prédicants, avec un certain Olivier, dont nous savons très peu de chose. L'affection des protestants fidèles s'attacha d'autant plus fortement à lui. Une suprême épreuve allait lui révéler à quel point il s'était acquis l'amour de ce peuple qui ne voulait pas mourir.


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