Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Le disciple de Vivent

(1690-1693)

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L'échec du mouvement provoqué par Vivent en 1689 ne diminua pas les espérances de cet intrépide chef. Il cheminait « le fusil au col ». On lui avait déclaré la guerre, il la faisait à ses ennemis, et comme un Camisard avant les Camisards, il se jugeait en droit de défendre sa vie menacée. À côté de lui, des hommes moins décidés, mais qui subissaient son ascendant, partageaient son rêve guerrier, que la souffrance continue exaspérait, et persistaient à croire à une insurrection possible. Roman, bien qu'il ait alors vécu un peu isolé dans son quartier des Hautes-Cévennes, semble avoir été entraîné, lui aussi, à ces illusions. En 1690 on le voit aux environs de Vialas, causant avec un dragon déserteur, d'origine catholique, devenu guide, lequel vient de ramener de Genève, à travers le Vivarais, deux pasteurs réfugiés. On prépare toujours une révolte qui doit déborder sur le Vivarais et le Dauphiné. Au début de 1691, il amène à Vivent, vers l'Aigoual, un certain « Monsieur Rencontre » qui n'est autre qu'un officier (Vaudois sans doute) venu pour se concerter avec les prédicants. En 1692 quand ceux-ci sont amassés autour de Lasalle, dans les Basses-Cévennes, attendant un débarquement promis par les Anglais au rivage d'Aigues-Mortes, Roman, jaloux de leurs succès, parle de venir les joindre.

Mais l'essentiel pour « le paquetier » est toujours de ranimer la foi ancienne. Son activité de prédicateur ne cesse pas. Maintenant on connaît son nom, et on le traque. Il est investi dans une maison de Castagnols (aujourd'hui Vialas). Le soir, croyant que les soldats ont disparu, il sort du logis. « À peine eus-je fait dix pas, écrit-il, que je les vis à mes trousses. Mais, m'en étant fui, ils me tirèrent six coups de fusil sans me toucher. Comme je me sentais vivement poursuivi, je me jetai dans la rivière où ils me perdirent de vue. Quand je fus de l'autre côté je jetai mes habits que l'eau avait rendus trop pesants, et bien qu'il gelât à pierre fendre (on était en mars 1689) je fus contraint de faire deux lieues en chemise, avant de trouver aucun secours ».

Le débarquement des Anglais n'a pas lieu ; des arrestations nombreuses rendent impossible aux prédicants le séjour dans les Basses-Cévennes; ils se dispersent pour l'hiver, et Vivent, découvert dans une grotte, y est tué les armes à la main (février 1692). Bâville a obtenu de précieux renseignements sur les agitateurs religieux qu'il poursuit opiniâtrement, et il fait afficher alors dans les Cévennes le signalement de tous les prédicateurs, en promettant 300 livres « à ceux qui les prendront morts ou vifs ». Roman est ainsi décrit : « Petit, âgé de 24 ans, les cheveux châtains bruns, le visage rond et brun, les yeux gris, le nez médiocre, la bouche grande ».

Ce Roman, que Bâville, un mois auparavant croyait « mort de maladie » et qu'il déclarait « principal acteur sous Vivent », allait passer au premier plan, à mesure que disparaissaient autour de lui d'autres personnalités que le dur intendant abattait l'une après l'autre. Pour un temps d'ailleurs, il s'éloigna. En mars 1692, quelques semaines après la mort de Vivent, il prit à cheval la route du Puy et passa à Genève. Il avait sans doute le désir de chercher à l'étranger un peu de repos, et d'y refaire des forces que peut-être la maladie dont parle Bâville avait minées. Mais il semble aussi qu'il voulait porter la nouvelle de la fin tragique de Vivent aux quelques amis de la Suisse qui avaient soutenu et guidé le rude prédicant.





Le disciple de Brousson

(1693-1697)

Une seconde période s'ouvrait dans l'histoire religieuse des Cévennes. Claude Brousson, depuis un an environ, en réfléchissant à la mission qu'il avait acceptée, s'était résolu à l'orienter d'une façon nouvelle. Gagné d'abord à des projets d'insurrection, il affirmait maintenant que le Royaume de Dieu ne s'établirait ni par l'effort des armées liguées contre Louis XIV, ni par des violences isolées qui puniraient les traîtres ou les persécuteurs. Il ne voulait plus se donner qu'à la prédication de l'Évangile « faite dans un esprit de douceur et de charité ». Vivent disparu, il amena à son idéal les anciens disciples de ce dernier. Il les forma au ministère pacifique, à une activité purement religieuse. Quand il se vit enfin forcé de quitter le Languedoc (1694) où l'habileté de Bâville l'avait privé de tous ses asiles, il y laissait un corps de prédicants qui cheminaient sans armes, n'ayant plus dans leur bissac que des livres de piété ou des manuscrits de sermons.

Roman, en rentrant dans les Cévennes, vers le milieu de 1693, se plia à cette discipline. Nous ne savons rien de ses relations particulières avec Brousson, sinon qu'il avait reçu de lui « la main d'association ». Cette expression, pour vague qu'elle soit, se rapporte très probablement à une cérémonie que Brousson tenait pour une sorte de « consécration » ou « d'imposition des mains », et Roman se considéra dès lors comme autorisé à « distribuer les sacrements ».

Nous avons peine à le suivre dans ses courses. Il ne nous est montré que de loin en loin, revêtu d'une énergie tranquille, que rien ne décourage. Le voici en 1693, agissant seul, alors même qu'une douzaine d'autres prédicants sont dans la région. Il s'est attaché un jeune homme de la montagne de l'Aigoual, qu'on nomme « le Reynet » (le petit Rey), Quand les prédicants, à Montpellier (Noël 1694) essaient de s'unir en un « Synode » (vingt-et-un ans avant la restauration d'Antoine Court), Roman n'est pas au milieu d'eux : il n'a pas quitté ses Hautes Cévennes. Mais son absence est excusable : il traverse en effet une douloureuse épreuve.

« Auprès de la montagne du Bougés, dit-il, par une nuit fort obscure (en 1694) allant à l'assemblée faire les fonctions de mon ministère, je reçus un coup de balle à la jambe, proche de la cheville, si bien que mes frères furent obligés de me transporter d'une caverne à l'autre, ce qui dura plus de trois mois, parce que mes ennemis faisaient nuit et jour de fort exactes recherches pour m'attraper. Outre la plaie fort dangereuse que j'avais, Dieu m'affligea d'une fièvre maligne, en sorte qu'on désespéra de ma guérison ». « Mais », ajoute-t-il, « par le secours du Ciel je recouvrai ma santé contre toute espérance. Sitôt que je me sentis un peu de force, je me fis porter d'un lieu à l'autre, pour départir à mes frères le Pain de vie duquel ils étaient affamés. J'étais encore tout défait de visage, et ne pouvais m'appuyer sur ma jambe, ce qui m'obligea de prêcher assis fort longtemps. Ma plaie demeura deux ans ouverte, et il en sortit vingt-deux esquilles. Cependant j'ai été assez heureux pour ne pas rester boiteux, mais je ne pouvais pas faire une lieue à pied ».

Le 4 avril 1695 il prêche près de Vébron. On nous le dépeint : « marchant en boitant, n'appuyant que la pointe du pied ». À l'automne suivant, suivi de son fidèle Rey auquel il a appris à parler en public, on le voit à Meyrueis. L'hiver arrive : la neige l'oblige à descendre dans des régions plus clémentes. On signale son passage à St-Ambroix, toujours déguisé en colporteur, Il prêche sur la parole de Saint Paul : « Rachetez le temps, car les jours sont mauvais (Eph. V. 6) ». Mais l'assemblée est dénoncée, et il remonte aussitôt vers la Lozère. Il est épuisé, La plupart des prédicants ont été pris et exécutés. Il ne reste plus, dit-il « que des étudiants » et un autre prédicateur qui, comme lui, accomplit toutes les fonctions pastorales. Il parle de se retirer au, printemps dans la Suisse, d'où « l'on en enverra d'autres à sa place ».

Mais personne ne vint de la Suisse, et les Cévennes ne comblèrent pas les vides faits par la mort. Roman resta. Le 15 août 1696, auprès de Florac, les soldats envahissent la chambre où il est couché. Ils renversent le lit pour y chercher des livres, et vident la paillasse dans un trou du plancher où s'est jeté le prédicant, si bien qu'ils le soustraient eux-mêmes à leur perquisition. « Certes, dit Roman, j'ai toujours remarqué le doigt de Dieu bien clairement en des merveilles de cette nature ».

Les préliminaires de la paix européenne furent signés au début de 1697. Les Cévennes ne doutaient pas que Louis XIV n'y eût figure de vaincu. On se reprit à espérer. Roman, qui depuis quelques mois était entouré d'espions, tellement qu'il osait à peine cheminer dans son quartier ordinaire, de jour ou de nuit, pensa qu'il avait droit à quelque relâche, et pour être informé des événements politiques, revenant à son projet de l'année précédente, il partit pour Genève (juin 1697)


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