« Maintenant,
Seigneur,
tu laisses aller ton serviteur en paix, selon ta
parole ; car mes yeux ont vu ton salut que tu
as préparé pour être, à
la face de tous les peuples, la lumière qui
doit éclairer les nations, et la gloire de
ton peuple d'Israël. »
Luc
II,
29-32.
Pour beaucoup de gens, Noël est surtout la
fête des enfants. Comme c'est un enfant qui
en est le héros, on a l'air de penser que
c'est surtout les enfants qu'elle intéresse.
On allume pour eux des arbres de Noël ;
on leur fait des cadeaux ; on leur montre dans
les clartés de cette fête une image de
la lumière du ciel, dans les joies de
famille un avant-goût de la joie du salut.
Tout cela est excellent, et conforme à la
pensée de Jésus, l'ami des enfants.
Soyons fidèles à ces pieuses et
aimables traditions, et faisons en sorte que cette
année, nos tristesses et nos
anxiétés ne privent pas tout à
fait nos enfants de la joie de Noël.
Toutefois, si Jésus est l'ami des enfants,
il est surtout le Sauveur des hommes qui,
étant plus coupables, ont encore plus besoin
de sa grâce que les enfants. Tout l'Evangile
l'atteste. Dans
les
récits mêmes qui se rapportent
à l'enfance de Jésus, les enfants ne
jouent qu'un rôle secondaire. Je pense
à ces involontaires, mais touchants petits
martyrs du Christ que le cruel Hérode fit
égorger à Bethléem. Les
bergers à qui l'ange annonça la
naissance du Sauveur étaient
vraisemblablement de jeunes hommes ; les
mages, ces savants et ces astronomes venus de
l'Orient, étaient à coup sûr
des hommes faits. Mais il y a place aussi pour les
vieillards dans cette histoire. Elle contient un
épisode qui est comme le triomphe des
vieillards, je veux parier de la
présentation de Jésus au temple de
Jérusalem. Là, un vieil homme et une
vieille femme, Siméon et Anne, discernent et
reconnaissent, par la direction du Saint-Esprit,
dans l'enfant que porte entre ses bras la Vierge
Marie, le Christ promis par les prophètes.
Leur foi est expansive, leur témoignage
précis, leur joie débordante ;
c'est comme un printemps spirituel qui
éclôt et fleurit chez eux parmi les
glaces de l'âge.
Permettez à un vieillard, mes
frères, de s'adresser à ses pareils
et de les encourager par ces exemples, par celui de
Siméon en particulier. Cherchons s'il n'y a
pas une expérience religieuse
décisive qui nous manque, comme elle
manquait à ce pieux vieillard, et que Dieu
nous appelle à faire aujourd'hui.
Aujourd'hui, ai-je dit, car, pour nous plus que
tout autre, c'est aujourd'hui ou jamais. Comme, au
jour de sa présentation,
Jésus était dans le temple de
Jérusalem, il est dans ce temple ; il
vient et il s'offre à nous
aujourd'hui ; ne laissons pas échapper
le bienfait de cette bienheureuse et providentielle
rencontre qui, comme à Siméon, nous
apporte le salut.
Ce fut un événement
décisif, singulièrement bienfaisant
et salutaire, de la vie morale et religieuse de
Siméon, que celui qui s'accomplit dans le
temple de Jérusalem, au moment où
nous transporte notre récit ; jugez-en
par son action de grâces si pleine
d'élévation et
d'émotion : « Seigneur, tu
laisses aller ton serviteur en paix, car mes yeux
ont vu ton salut. » En quoi consiste cet
événement ? Je l'ai
déjà dit : ce fut une rencontre
personnelle avec le Christ. Jusque-là, le
saint vieillard croyait en celui qui devait venir,
et l'attendait de toute son âme ;
maintenant il croit au Christ déjà
venu, déjà donné ; il
sait qui est le Christ. Pourtant, il n'a pas
entendu ses paroles de vie éternelle ;
il n'a pas été témoin de ses
oeuvres, comme le seront plus tard ses disciples.
À quel signe l'a-t-il reconnu ? Bien
sûr, son front n'était pas ceint d'une
auréole qui l'eût
désigné au premier venu, comme le
représentent la plupart des peintres. Y
avait-il sur ses traits d'enfant comme un sceau de
pureté et de majesté, dans son regard je ne sais
quelle
profondeur
divine ? Quoi qu'il en soit, l'Esprit qui
avait conduit Siméon au temple lui dit,
dès qu'il eut aperçu le petit
enfant : c'est lui !
L'homme de Dieu discerna le Christ dans
l'enfant Jésus comme on voit un fleuve dans
sa source, un arbre dans son germe. Pour lui, ce
petit enfant est celui qui apporte le salut ;
il est donc le Sauveur. Il est Celui dont Dieu a
préparé la venue pendant des
siècles ; il est donc l'instrument des
desseins de miséricorde de Dieu envers les
hommes. Il sera la gloire d'Israël et la
lumière des nations ; c'est donc le
genre humain qu'il est venu sauver. Par quel moyen,
à quel prix ? Ici surtout la
sûreté et la hauteur des vues de
Siméon nous étonne ; il a comme
une vision de la croix. Puisqu'il annonce que le
Christ sera contredit et qu'une épée
transpercera le coeur de sa mère, il
pressent que c'est par ses souffrances et par sa
mort que le Christ accomplira son oeuvre. J'ajoute
que Siméon s'approprie déjà
par la foi le fruit de cette oeuvre. Non seulement
il contemple en Jésus le Sauveur du monde,
mais il sait qu'il possède en lui son
Sauveur. Il le reçoit dans son coeur, en
même temps qu'il le reçoit dans ses
bras.
Les parents de l'enfant vont l'emmener loin
du temple et probablement Siméon ne le
reverra plus ici-bas, mais il pourrait
déjà s'écrier comme saint
Paul : « Rien ne me séparera
de l'amour du Christ. »
(Rom
VIII, 35.)
On pourrait dire que pour chaque disciple de
Jésus, il y a eu ou il y aura une rencontre
personnelle et décisive avec lui et qu'on y
retrouve, plus ou moins développés,
les trois traits que nous venons de
constater : foi en Jésus comme au
Sauveur du monde ; vision de sa croix ;
appropriation personnelle de son salut.
Je fais appel aux souvenirs et aux
expériences des chrétiens qui
m'entendent, Vous aviez entendu parler de
Jésus, mon frère ou ma soeur ;
vous aviez depuis votre enfance l'exacte
connaissance de son Évangile ; vous en
admettiez la vérité ; mais vous
n'en aviez pas encore éprouvé la
vertu. Un certain jour (jour béni et
providentiel !) une parole de Dieu, ou
prononcée dans la chaire chrétienne,
ou s'offrant à vous dans la lecture de nos
saints livres, a trouvé le chemin de votre
coeur et de votre conscience. Ce jour-là,
comme Siméon dans le temple de
Jérusalem, vous êtes entré en
relation personnelle avec Jésus ;
après avoir longtemps prié avec
angoisse et prié en vain, vous semblait-il,
un apaisement s'est fait, une lumière divine
a commencé de pénétrer dans
votre âme. Comme à Siméon
aussi, Jésus vous est apparu dans sa gloire
divine, comme celui qui apporte le salut aux
individus et aux nations. Tel Siméon encore,
vous avez eu comme une vision de la croix et vous
en avez senti l'attrait ; la rédemption
par le sang versé du Sauveur, qui
peut-être avait été pour vous
jusque-là un objet de
doute et de scandale, vous est devenue
inexprimablement chère et précieuse,
tout en conservant ses obscurités. Comme
pour Siméon enfin, Jésus est devenu
pour vous, non plus seulement le Sauveur du monde,
mais votre Sauveur ; non sans tremblement
peut-être, mais déjà avec
reconnaissance et avec un commencement de foi, vous
vous appropriez ces belles paroles :
« Tu laisses maintenant aller ton
serviteur en paix, car mes yeux ont vu ton
salut. »
Quant à vous, qui n'avez rien
éprouvé de semblable, et pour qui les
expériences religieuses d'autrui sont
plutôt un sujet d'inquiétude et
d'envie ; vous en particulier, à qui je
m'adressais en commençant, chers vieillards
qui, après des années de profession,
de pratique, ou en tout cas de bonne
réputation religieuse, n'osez pas tout
à fait vous croire et vous déclarer
chrétiens, vous avez du moins ce sentiment
douloureux que quelque chose vous manque, et que ce
quelque chose est l'essentiel. Ce n'est rien moins
qu'une rencontre personnelle avec
Jésus-Christ, comme celle qui fut
accordée à Siméon dans le
temple. Dieu, qui a préparé et
donné Jésus-Christ exprès pour
qu'il devînt le Sauveur de tous et par
conséquent le vôtre, est tout
prêt à vous accorder cette
grâce ; et jamais occasion plus propice
ne vous fut offerte que ce jour de Noël, rendu
plus solennel et plus émouvant que jamais
par notre affliction, qui est
celle du monde entier. Pour achever de former ou
d'accroître en vous et le désir du
salut, et la capacité de le recevoir,
considérons de plus près quelles
furent pour Siméon les conséquences
bénies de sa rencontre avec Jésus.
La bienheureuse rencontre de Siméon avec
Jésus dans le temple de Jérusalem fut
pour lui le couronnement et l'aboutissement du
passé, d'abord de tout le passé
d'Israël, puis de son propre passé, de
sa vie personnelle, qui tendait tout
entière, pour ainsi dire, vers ce moment et
vers cette grâce. Avec quelle émotion
ne dut-il pas se dire, tandis qu'il tenait le petit
enfant et qu'il l'élevait dans ses
bras : voici Celui que Dieu avait promis et
que l'humanité attendait ! Voici la
postérité de la femme qui
écrasera la tête du serpent !
Voici la semence bénie d'Abraham, qui sera
en bénédiction à toutes les
familles de la terre ! Voici le roi, fils de
David et fils de Dieu, dont la domination n'aura
point de limites, ni quant à
l'étendue, ni quant à la
durée, ni quant à la
perfection ! Voici celui qu'Esaïe
appelait « Emmanuel, Dieu avec
nous », et Jérémie :
« l'Éternel, notre justice. »
(Esaïe,
VII, 14 ; Jérémie
XXIII, 6.) Et
voici ce Serviteur de l'Éternel dont la
meurtrissure sera notre guérison et qui
portera nos iniquités pour les effacer et
les expier. Sur la tête de ce petit enfant,
reposent toutes les espérances du genre
humain ; aussi vrai que Dieu est vivant, il
n'est pas possible que ces espérances soient
anéanties ; celui que Dieu vient de
donner au monde réalisera sa sublime
vocation et accomplira son oeuvre tout
entière.
De ces aspirations du genre humain, dont je
viens de parler, et en particulier de celles du
peuple d'Israël, Siméon est comme
l'incarnation vivante. Nul Israélite n'est
plus fidèle que lui, nul ne craint Dieu et
n'observe ses commandements avec plus de
sincérité ; mais en même
temps, il sent que quelque chose lui manque. Il est
sous l'ancienne Alliance, et il soupire
après la nouvelle. Il est sous la loi, et la
loi ne lui a pas procuré la justice. Nourri
des prophéties, il est prophète
lui-même. Certes, c'est un grand
privilège d'attendre le salut ; mais il
en est un plus grand, c'est de le voir et de le
toucher. Voilà où tendent tous les
voeux du saint vieillard. Et cela lui est
promis ; Dieu lui a donné l'assurance
qu'il ne mourrait pas avant d'avoir vu le Christ.
Dans la prière et dans la foi, Siméon
n'a pas cessé d'attendre ce moment. Le voici
venu enfin ! La fidélité de Dieu
est justifiée ; le
but de la vie de Siméon est atteint ;
maintenant il peut mourir. Plusieurs d'entre vous,
mes frères, - cette fois encore je m'adresse
spécialement aux plus âgés - ne
trouvent-ils pas dans leur expérience plus
d'une analogie avec celle du pieux vieillard ?
Comme lui, ils craignent Dieu. Ils l'ont connu en
quelque mesure dès leur jeunesse ; ils
ont reçu de lui de nombreux bienfaits ;
ils ont tâché d'observer ses
commandements. Mais à eux aussi, il manque
quelque chose. Ils sont encore sous l'ancienne
Alliance plutôt que sous la nouvelle, sous la
loi plutôt que sous la grâce. Leur vie
chrétienne a été
jusqu'à ce jour plutôt un désir
qu'une possession, plutôt une
espérance qu'un accomplissement ;
allons jusqu'au bout - plutôt une souffrance
qu'une joie.
Mais quelque chose leur dit qu'ils ne
mourront point avant d'avoir reçu la
grâce qui leur manque, avant d'avoir, eux
aussi, vu et trouvé le Christ-Sauveur. Alors
enfin la plus profonde aspiration de leur âme
sera satisfaite ; alors le lent travail de
préparation que l'Esprit de Dieu est en
train d'accomplir en eux arrivera à son but
et à son terme ; alors ils pourront
mourir en paix. Mais il n'y a pas de bonne raison
pour qu'ils attendent, comme Siméon, cette
révélation de Dieu de jour en jour et
d'année en année. Encore une fois,
Jésus-Christ est déjà
venu ; il est près de nous, riche et
miséricordieux, envers tous ceux qui l'invoquent.
Si nous ne
le
voyons pas, c'est qu'un nuage
d'incrédulité nous le cache.
Oh ! que Dieu daigne le dissiper
aujourd'hui !
En même temps que l'admirable
révélation accordée à
Siméon dans le temple fut pour lui
l'aboutissement et le couronnement du passé,
elle fut aussi la garantie d'un bienheureux et
éternel avenir. Avant d'avoir vu
Jésus, Siméon aurait craint de
mourir, parce que la promesse que Dieu lui avait
faite n'était pas encore accomplie.
Maintenant, il peut s'en aller en paix. Je n'oublie
pas qu'il appartient à l'ancienne Alliance,
c'est-à-dire à une époque
où la vie et l'immortalité
n'étaient pas encore, ou n'étaient
que très imparfaitement manifestées.
Mais, s'il appartient encore à l'ancienne
Alliance, il touche à la nouvelle. Il est
pareil à un sommet couvert de neige que font
resplendir les rayons du soleil levant. Chacun des
mots qu'il prononce dans le temple est un
témoignage de son espérance.
« Tu laisses aller ton
serviteur », dit-il ; s'il est le
serviteur de Dieu, comment pourrait-il
périr ? - « Tu laisses aller
ton serviteur » .... !
où ? Non pas dans le néant, sans
doute, mais, dans le repos que Dieu a
préparé à ses serviteurs.
C'est pourquoi le pieux vieillard ajoute :
« Tu laisses aller ton serviteur
en paix. » Grâce au Sauveur qui lui
est donné, qu'il tient dans ses bras,
Siméon est maintenant en paix avec
Dieu ; comment pourrait-il être
séparé de son amour ? -
« Car mes yeux ont vu ton
salut. » Ce salut serait-il seulement
pour la vie présente ?
S'achèverait-il à la mort ?
N'est-il pas plutôt la victoire sur la mort,
le don et le commencement d'une bienheureuse
éternité ? C'est
jusque-là que va l'espérance de
Siméon.
La vôtre, mes frères, doit ou
devrait dépasser de beaucoup la sienne. Car
nous avons les paroles de vie éternelle que
Jésus-Christ a prononcées ; nous
avons sa glorieuse résurrection, qui est la
démonstration de la vie future et
céleste et son triomphe complet sur la
mort ; nous avons les sublimes
déclarations des apôtres touchant la
participation de tous les croyants à la vie,
à la sainteté, à la gloire,
à la royauté du Christ ; nous
avons la révélation du ciel dans
l'Apocalypse... Sommes-nous donc prêts, comme
Siméon et plus que Siméon, à
nous en aller en paix ? Est-ce qu'en ce jour
de Noël notre joyeuse action de grâces
fait écho à la sienne ? S'il
n'en est pas ainsi, ou si du moins quelque chose
manque à notre espérance et à
notre assurance, ce n'est pas que la
révélation de Dieu manque de
clarté ; elle nous a été
donnée bien plus complètement qu'au
vieil Israélite : il n'avait devant lui
que l'enfant de Bethléem,
nous avons le Christ ressuscité et vivant au
siècle des siècles. Si donc il ne
nous suffit pas, comme il suffisait à
Siméon, c'est que nous ne l'avons pas
reçu comme lui de tout notre coeur ;
c'est que cette rencontre personnelle et
décisive avec le Sauveur - qui est le
principal sujet de notre méditation de ce
jour - n'a pas encore eu lieu pour nous. Il faut
que nos yeux, comme ceux de Siméon,
s'ouvrent pour le voir et pour voir en lui le don
de Dieu ; que nos bras s'ouvrent pour le
recevoir ; que nos coeurs s'ouvrent pour
l'aimer ; que nos bouches s'ouvrent pour le
bénir et en même temps pour prendre et
pour manger ce Pain de vie qui est
Jésus-Christ lui-même, et qui nous est
offert aujourd'hui dans la Sainte-Cène.
À ce prix seulement, nous pourrons nous en
aller en paix quand Dieu nous appellera ; et
quelques-uns d'entre nous ne peuvent se dissimuler
qu'en ce qui les concerne, cet appel ne peut
être que tout proche.
Enfin la révélation que
Siméon reçut dans le temple fut pour
lui le point, de départ d'une immense et
magnifique espérance, non plus seulement
pour lui-même, mais pour son peuple et pour
le genre humain. Son exemple nous montre à la fois
combien la
préoccupation du salut personnel est
légitime, et combien il est impossible que
l'enfant de Dieu s'en contente et s'y absorbe tout
entier. S'il est sauvé, il ne peut faire
autrement que d'avoir faim et soif du salut des
autres ; s'il connaît le Christ, son
plus grand désir sera de le voir devenir roi
des âmes et de l'univers. Telle est bien, non
seulement l'ambition de Siméon, mais aussi
sa ferme espérance et sa certitude
prophétique. Après avoir dit :
« Mes yeux ont vu ton salut »,
il ajoute : « Que tu as
préparé pour être
représenté à tous les peuples,
lumière qui doit éclairer les
nations, et gloire de ton peuple
d'Israël. » Ce qui prouve
l'élévation et la largeur des vues
messianiques de Siméon, c'est que dans ses
paroles, le salut des nations est mentionné
en première ligne.
Le genre humain est le but, Israël est
le moyen ; or le but est plus que le moyen.
Jésus-Christ est donc avant tout, pour le
saint vieillard, la lumière qui doit
éclairer les nations. La comparaison de son
avènement avec le lever du soleil s'impose
en quelque sorte ; Zacharie, le père de
Jean-Baptiste, l'emprunte au prophète
Esaïe. Siméon la reproduit sous une
forme brève, et Jésus lui-même
dira à son tour. « Je suis la
lumière du monde. »
(Jean
VIII, 12; IX.
5.) Comme celle du soleil, cette
lumière ira grandissant jusqu'à son
midi, c'est-à-dire
« jusqu'à ce
que la terre soit couverte de la connaissance de
l'Éternel, comme le fond de la mer de ses
eaux, »
(Es.
XL, 9.) comme s'exprime le
prophète Esaïe ; ou
« jusqu'à ce que toute langue
confesse que Jésus-Christ est le Seigneur,
à la gloire de Dieu le
Père, »
(Phil.
Il, 11.) pour parler avec
saint Paul.
Quel amour et quelle reconnaissance ne
devons-nous pas aux Missions qui sont en train de
réaliser cette prophétie !
Siméon n'en est pas moins un bon patriote et
un fervent Israélite. Il n'oublie pas que
Celui qui est la lumière des nations est
aussi la gloire d'Israël. Il est la gloire du
peuple élu, parce qu'il lui appartient,
parce que le salut vient des Juifs, et parce que
Jésus reproduit et réunit en sa
personne, en le portant à la perfection,
tout ce qu'il y a eu de grand et de beau en
Israël, depuis la foi d'Abraham jusqu'à
l'héroïsme des prophètes.
Oh ! quand ce noble et malheureux peuple
ouvrira-t-il les yeux pour connaître enfin
celui qu'il a rejeté et qu'il a
percé, et qui est pourtant sa
gloire !
Et nous, mes frères, nous
unissons-nous de coeur à ces belles paroles
de Siméon ? Saluons-nous avec
enthousiasme, en ce jour de Noël,
l'avènement de Celui qui est la
lumière des nations et la gloire
d'Israël ? S'il y a chez nous de la
froideur et de l'hésitation, ne serait-ce
pas parce que nous n'avons pas
fait l'expérience religieuse qui faisait
déborder de joie le coeur du vieillard, le
jour où il vit Jésus ? Mais je
vous entends. Il n'est que trop vrai, dites-vous,
que notre foi et notre piété
personnelle ont de grandes lacunes ; mais il y
a autre chose encore qui nous paralyse et qui
arrête l'action de grâces sur nos
lèvres. Comment nous livrer à la
joie, comment proclamer sans
arrière-pensée la grandeur et
l'universalité du salut, alors que les
événements semblent démentir
la prophétie de Siméon. ? alors
que sur la terre, c'est la guerre qui règne
et non pas la paix ? alors que l'harmonie de
l'hymne angélique paraît
étouffée par les cris de
colère et de douleur qui retentissent d'un
bout à l'autre du monde
civilisé ?
Hélas ! le fait n'est que trop
réel, et il est affligeant au-delà de
toute expression ; mais il n'est pas nouveau.
Il revient à ceci : si la venue du
Christ est une source inépuisable de
reconnaissance et de joie, l'accueil que lui fait
le monde est la plupart du temps un sujet
d'humiliation et de tristesse. Cela, Siméon
l'a déjà compris. Il annonce
positivement que Celui qui apporte et personnifie
le salut sera en butte à la contradiction et
que, s'il est une occasion de relèvement
pour les uns, il sera une occasion de chute pour
les autres, afin que les pensées du coeur de
chacun soient découvertes. Mais cette
mélancolique perspective n'empêche pas
le vieux prophète de se réjouir, de bénir Dieu, de
croire de
tout son coeur en Jésus, comme étant
la lumière des nations et la gloire
d'Israël. Bien plus : il entrevoit, comme
nous l'avons déjà expliqué,
que la contradiction même dont Jésus
sera l'objet servira les desseins de Dieu et
provoquera de la part du Messie le sacrifice qui
sauvera le monde. Entrons dans ces pensées,
mes frères, et suivons, jusqu'au bout
l'exemple de Siméon. Comme lui, tandis que
nous célébrons en ce jour de
Noël la naissance de Jésus-Christ, nous
souffrons de l'opposition violente, non plus
future, mais présente, soulevée
contre lui, et l'on pourrait dire qu'une
épée nous transperce
l'âme.
Nous voyons en effet notre Sauveur
compromis, déshonoré, crucifié
à nouveau par des chrétiens de
profession, comme il n'a pu l'être ni par les
païens, ni par les Juifs. Ni Pierre, qui l'a
renié, ni Judas, qui l'a trahi, ni
Caïphe, qui l'a condamné, ni le
misérable valet qui l'a souffleté,
n'ont outragé le Seigneur Jésus plus
gravement que les auteurs responsables de la
guerre, je veux dire l'empereur d'Allemagne et ses
conseillers, qui s'efforcent de le rendre complice
de leurs crimes et qui couvrent de son nom et du
nom de son Père l'attentat inouï qu'ils
ont commis contre l'humanité.
Qui parle de la faillite du
christianisme ? Ce qui fait notre malheur et
celui du genre humain, ce qui nous tue, ce n'est
pas le christianisme, c'est l'antichristianisme,
d'autant plus odieux qu'il prend des dehors
religieux et qu'il
usurpe
un langage chrétien. Car c'est l'orgueil et
l'esprit de domination qui ont
préparé et voulu là guerre
actuelle, et Jésus, c'est l'humilité
même ; c'est le nationalisme aveugle qui
exalte un seul peuple au mépris et au
détriment de tous les autres, et
Jésus est, à titre égal, le
frère de tous les hommes et le Sauveur de
toutes les nations, c'est l'inhumanité et la
haine, et Jésus n'a jamais commandé
et pratiqué que l'amour ; c'est la
concurrence brutale et meurtrière entre les
États, et la société que
Jésus est venu constituer est celle
où chacun se fait par amour le serviteur de
ses frères. Loin donc que la guerre actuelle
doive nous faire douter de l'Évangile, elle
doit nous ramener d'un christianisme officiel et
mensonger au christianisme primitif et
authentique ; elle doit nous jeter, au nom de
toute la grandeur de nos souffrances et de toute la
véhémence de nos indignations, dans
les bras de Celui qui seul peut nous
délivrer de la haine et nous garantir contre
la tyrannie païenne de la force
matérielle et de la culture sans entrailles,
en nous apprenant à nouveau le secret et en
nous communiquant la puissance de l'amour. Comme
Dieu a fondé son royaume par la croix du
Christ, il peut, par les désastres de la
guerre actuelle, amener un magnifique
développement de ce royaume et un renouveau
inattendu de la foi. Si nous ne pouvons pas, par
nous-mêmes et tout de suite, produire ces beaux
résultats de la crise actuelle, nous pouvons
les solliciter et les hâter par une
prière croyante et
persévérante. Et nous pouvons
dès aujourd'hui pour notre propre compte,
comme Siméon, recevoir le Sauveur et le
salut, ou pour la première fois, ou pour la
centième, mais cette fois d'une façon
complète et définitive ; prendre
Jésus-Christ dans nos mains, en quelque
sorte, avec le pain et le vin de la
Sainte-Cène : surtout lui ouvrir nos
coeurs, pour qu'il les éclaire de sa
lumière, qu'il les purifie par sa
grâce, qu'il y règne à jamais
et qu'il fasse de nous les collaborateurs de son
règne.
Amen.
Petit-Temple, Noël 1915.
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