« Conduis-moi
sur cette
roche qui est trop haute pour
moi. »
Ps.
LXI,
3.
Près d'une des stations balnéaires
du sud-est de la France se trouve un endroit, bien
connu de tous les baigneurs, qui a reçu le
nom paradoxal de
« Bout-du-Monde. » C'est le
fond d'un vallon pittoresque qui paraît
entièrement fermé par des rochers.
Pour aller plus loin, le voyageur, surtout si c'est
un de ces visiteurs d'eaux dont en
général les forces sont
limitées et le souffle est court, aurait
grand besoin qu'un guide expérimenté
lui montrât le chemin, et en même temps
le soutînt de sa main robuste dans cette
ascension difficile et fatigante, en un mot le
conduisît sur cette roche, qui est trop haute
pour lui.
Il n'est nullement indispensable d'escalader
les rochers du
« Bout-du-Monde », et je
suppose qu'en fait, peu de
baigneurs ont cette fantaisie. Mais, dans l'ordre
spirituel, il y a des roches qu'il faut gravir.
Rester en bas ou reculer serait renoncer à
accomplir notre tâche,
désespérer de notre vocation d'hommes
et de chrétiens. Cependant nous sommes
tentés de dire, et non sans raison :
« Je n'ai pas la force » ;
nous mesurons du regard la hauteur qui se dresse
devant nous, et le courage nous manque.
Que faire donc, sinon implorer le secours
d'un auxiliaire tout-puissant, d'un guide sûr
et infaillible, sinon nous associer à la
prière du psalmiste :
« Conduis-moi sur cette roche, qui est
trop haute pour moi » ? Dieu veuille
se servir de notre entretien de ce jour pour
provoquer cette requête et la faire jaillir
avec une foi brûlante du coeur de chacun de
nous !
Je viens de parler de prière, et c'est
justement le rocher de la prière que je
voudrais en premier lieu vous exhorter à
gravir. Il faut donc prier pour apprendre à
prier ; il n'y a pas là de
contradiction ; c'est la réalité
même, c'est notre expérience de tous
les jours. « Seigneur, enseigne-nous
à prier ! » disaient les
apôtres à Jésus Il n'y eut jamais de
requête mieux inspirée ni mieux
motivée que celle-là.
Elle est si haute, cette roche de la
prière, que lorsqu'on est parvenu au sommet,
on est vraiment près du ciel. Abraham la
gravit, et il obtint voix
délibérative, on pourrait dire voix
prépondérante, dans les conseils de
Dieu ; il aurait sauvé Sodome, si
Sodome avait pu être sauvée.
Moïse la gravit, et il s'entretint avec
l'Éternel face à face, comme un ami
avec son ami ; il obtint la grâce
d'Israël qui, au pied même du
Sinaï, avait violé l'alliance qu'il
venait de traiter avec Dieu. - Samuel la gravit, et
par son intercession il délivra son peuple,
et du joug des Philistins, et de l'anarchie
politique et religieuse qui avait été
son état habituel durant la période
des Juges. - David et les autres psalmistes
gravirent cette hauteur de la prière, et
leurs admirables requêtes nous ont
été conservées comme un
modèle et comme un secours efficace pour les
adorateurs et pour les suppliants jusqu'à la
fin des siècles. - Saint Paul gravissait
tous les jours, avec un corps meurtri, avec un
coeur brisé par les labeurs et les
épreuves de son apostolat, ce même
sommet sublime et, dans la prière, il
puisait journellement les forces qui lui
étaient nécessaires pour vaincre dans
le conflit gigantesque où il était
engagé contre le judaïsme, contre le
paganisme et contre les faux frères.
Mais laissons les disciples, même les
plus grands ; songeons
au
Maître. Vous savez que Jésus allait
prier chaque nuit ou chaque matin de très
bonne heure sur la montagne, et par là se
retrempait dans la communion de son Père en
vue du travail et des souffrances de la
journée. Une fois il gravit avec ses trois
apôtres préférés une
montagne plus haute, qu'une tradition probablement
erronée identifie avec le Thabor. Là,
le ciel s'ouvrit ; Moïse et Elie en
descendirent ; Dieu parla et rendit
témoignage à son Fils unique ;
Jésus fut transfiguré en
présence de ses disciples. Si tous les
hommes de Dieu n'ont été puissants
que par la prière, si Jésus
lui-même ne pouvait s'en passer, combien plus
ne nous est-elle pas indispensable ! Quelle
aspiration, on pourrait dire quel mal du pays
s'empare de nous, lorsque d'en bas nous mesurons du
regard cette roche ! Nous essayons donc de la
gravir ; je suis persuadé qu'il n'y a
aucun de vous, mes frères, qui ne l'ait
tenté ; en un temps comme le
nôtre on ne peut guère faire autrement
que de prier. Mais n'avez-vous pas comme moi
éprouvé votre impuissance ? La
valeur de la prière se mesure à la
foi ; pour prier avec succès, il
faudrait beaucoup de foi ; et la nôtre
est si faible et si intermittente !
Malgré nous, des doutes nous
assaillent touchant la puissance, la bonté
et la fidélité de Dieu. Pour
intercéder - et c'est bien
d'intercéder qu'il s'agit ; ce n'est
pas assez d'implorer Dieu pour
nous-mêmes ! - pour intercéder,
dis-je, il faut aussi beaucoup d'amour, et nos
coeurs sont si
froids ! Nous savons mal porter et nous
approprier, non seulement le fardeau des douleurs
du genre humain, mais même celles de nos
proches. Pour être en quelque mesure digne de
l'exaucement, il faudrait être juste,
c'est-à-dire d'accord avec Dieu ; et il
y a encore une si grande distance, pour ne pas dire
une si grande opposition, entre les pensées
de Dieu et les nôtres ; nous sommes
encore si égoïstes et si
charnels ! C'est pourquoi nous nous
décourageons ; nous nous arrêtons
pour ainsi dire aux étages inférieurs
de la roche ; là notre souffle
s'épuise, nos jambes fatiguées
refusent leur service, nos yeux
s'élèvent avec désespoir vers
ce sommet qui paraît inaccessible, ce sommet
où Dieu nous attend, et trop souvent nous
redescendons ou nous retombons. Écrions-nous
plutôt avec le psalmiste : mon Dieu,
conduis-moi sur cette roche qui est trop haute pour
moi ! N'es-tu pas le Créateur et
l'inspirateur de la prière ? N'est-ce
pas ton Esprit qui, dans le coeur de celui qui ne
sait pas comment prier (cela arrivait même
à un saint Paul), pousse d'ineffables
soupirs ? N'est-elle pas d'accord avec ta
volonté, avec tes promesses, cette strophe
finale d'un beau cantique de Vinet :
Si tu ne m'enseignes pas à prier, si tu
ne daignes pas subvenir à ma tiédeur
et à mon impuissance, je suis perdu. Mais si
tu m'enseignes à prier, ô Dieu de
toute grâce, si tu me soutiens et si tu me
portes jusqu'au sommet de la roche, j'aurai moi
aussi une communion libre et filiale avec
toi ; comme Abraham, j'aurai, tout
chétif que je suis, ma part d'influence sur
tes conseils et sur tes volontés ;
comme Moïse, je m'entretiendrai avec toi comme
un ami avec son ami, je pourrai et j'obtiendrai
quelque chose pour le bien et le salut de mon
peuple ; comme les psalmistes,
j'éprouverai que la requête
commencée dans la faiblesse et dans les
larmes se termine dans l'action de grâces et
dans le triomphe de la foi ; comme saint Paul,
je deviendrai capable d'accepter et de surmonter
les épreuves, quelles qu'elles soient, que
tu jugeras bon de m'envoyer ; comme
Jésus-Christ enfin, je puiserai toute force
et toute grâce dans le trésor
inépuisable du Père céleste et
je serai à mon tour transfiguré
à l'image de son Fils. Car Dieu a tout
promis à la prière de la foi, sans en
excepter la prière elle-même.
Une autre roche sur laquelle nous avons
besoin que Dieu nous conduise et nous
élève, c'est celle de l'intuition
religieuse et croyante de l'avenir, en un mot de
l'espérance chrétienne. Vous pourriez
m'objecter que cette roche n'est pas autre que
celle de la prière, et je n'y contredis pas.
Mais la remarque est sans importance en ce qui
touche l'application spirituelle que j'ai en vue.
Disons, si vous voulez, pour fixer les
idées, qu'il s'agit d'un autre sommet de la
même chaîne.
Ce sont surtout les prophètes que
Dieu a placés sur cette hauteur, d'où
ils ont contemplé de vastes et lumineux
horizons. Ce secours et cette consolation leur
étaient bien nécessaires, car, aussi
bien que nous, souvent plus que nous, ils ont
vécu dans des temps tragiques et sombres.
C'est à tort que nous nous persuaderions que
nos épreuves surpassent celles de tous ceux
qui nous ont devancés. Mais, au milieu
même des plus grands malheurs, ils ont
attendu et salué par la foi des jours
meilleurs, et ils n'ont pas perdu courage.
Abraham a vécu en qualité
d'étranger et de voyageur dans le pays de la
promesse ; sa foi a été soumise
à de rudes épreuves ; mais, dit
Jésus, « il s'est réjoui de
voir mon jour, il l'a vu et il en a eu de la joie. »
( Jean,
VIII, 56.) - Jacob, parvenu
à la fin d'une carrière qu'il
déclare avoir été courte et
mauvaise, interrompt la bénédiction
que sur son lit de mort il prononce sur ses fils
par ce cri et par cet élan de
confiance : « O Éternel, j'ai
attendu ton salut ! »,
(Genèse
XLIX, 18.) Moïse,
dont on peut dire que tout le jour il
étendit les bras vers un peuple rebelle et
contredisant, prévit et prédit, et
les infidélités de ce peuple, et les
châtiments divins, multipliés,
croissants, qu'il attirerait sur sa
tête ; mais, au-delà de ces
sombres nuages, il entrevit l'oeuvre de la
repentance et du relèvement.
Elie crut un moment être le seul et le
dernier serviteur de Dieu en Israël ; il
demanda à Dieu comme une faveur de reprendre
son âme. Mais Dieu lui fit entendre le son
doux et subtil de sa grâce, succédant
au tonnerre et à la flamme du jugement.
Esaïe, l'un des plus heureux,
cependant, parmi les prophètes, fut aux
prises avec l'impie et l'incrédule
Achaz ; sous Ézéchias
même, il ne put méconnaître les
signes précurseurs d'une ruine prochaine.
Mais Dieu le soutint par d'admirables
révélations : la naissance et le
règne d'Emmanuel, le Saint-Esprit
répandu sans mesure sur le rejeton de
David ; la colline de Sion
élevée au-dessus de toutes les
montagnes et devenue le centre religieux de
l'univers ; l'Egyptien et I'Assyrien s'unissant
à
l'israélite pour former un nouveau peuple de
Dieu ; la terre couverte de la connaissance de
l'Éternel, comme le fond de la mer par ses
eaux.
Jérémie assista, aussi
clairvoyant qu'impuissant, à l'agonie, puis
à la chute de Jérusalem et versa des
larmes amères sur ce désastre
inouï, mais il se consola en saluant et en
annonçant la nouvelle alliance où
Dieu écrirait sa loi dans les coeurs et se
ferait connaître à tout son peuple en
lui pardonnant ses péchés.
Ezéchiel et Daniel
prophétisèrent dans l'exil, mais
Ezéchiel vit le souffle de l'Esprit de Dieu
passer sur les ossements desséchés
d'Israël pour leur rendre la vie ; Daniel
vit la statue à la tête d'or et aux
pieds d'argile s'écrouler au choc de la
pierre détachée de la montagne, et le
règne de Dieu et de ses saints se substituer
définitivement aux cruelles monarchies de la
terre. - Le second Esaïe, le grand inconnu,
comme on l'a nommé, fut témoin des
mêmes détresses qu'Ezéchiel et
que Daniel ; mais il vit en esprit ce qui
n'avait été encore manifesté
aussi clairement à aucun
prophète : le Serviteur de
l'Éternel, navré pour nos forfaits,
brisé pour nos iniquités, prolongeant
ses jours après sa mort expiatoire et ne
cessant pas d'intercéder pour les
transgresseurs.
Jean-Baptiste périt, on peut dire,
assassiné dans sa prison, mais ce ne fut pas
sans avoir montré à ses disciples
l'Agneau de Dieu qui devait porter le
péché du monde et, par son
baptême de feu et
d'Esprit, reléguer dans l'ombre le Baptiste
lui-même avec son baptême d'eau.
Naturellement, les apôtres, les hommes
de Dieu de la nouvelle Alliance, qui ont
été persécutés comme
les prophètes, ainsi que l'avait
annoncé leur Maître, ont
été, eux aussi, transportés
par l'Esprit de Dieu sur la roche de la
prophétie et de l'espérance. Saint
Pierre, qui a vécu dans l'attente de la mort
par laquelle il devait glorifier Dieu, vit
l'héritage incorruptible,
réservé dans le ciel aux
fidèles qui, de leur côté,
sont, par la puissance de Dieu, gardés pour
cet héritage ; il vit aussi les
nouveaux cieux et la nouvelle terre, où la
justice habitera. - Saint Paul, dont la vie fut un
long martyre, contempla des hauteurs de sa foi la
mort vaincue, la résurrection universelle,
tout genou fléchissant au nom du Christ,
Dieu tout en tous enfin ; c'est la plus vaste
expression qu'ait jamais revêtue
l'espérance chrétienne.
Saint Jean, exilé à Patmos
pour le témoignage qu'il avait rendu
à l'Évangile, y reçut les
mystérieuses et splendides visions dont le
dernier mot est le triomphe complet du Christ,
toute puissance ennemie vaincue et jetée
dans l'abîme, la nouvelle Jérusalem
descendant du ciel d'auprès de Dieu, le
fleuve de vie et l'arbre de vie, cet arbre dont les
fruits nourrissent les habitants de la cité
céleste et dont les feuilles sont pour la
guérison des Gentils.
C'est toujours au Seigneur Jésus
lui-même qu'il faut en revenir. Vous vous
rappelez qu'au début de sa carrière,
le Tentateur le plaça sur une haute montagne
d'où il lui montra tous les royaumes de la
terre pour l'éblouir et le séduire,
s'il était possible, par cette vision
fascinatrice. Jésus en détourna les
yeux ; il l'écarta comme de la main et
dit : « Retire-toi de moi,
Satan ! » Comment douter que Dieu
n'ait à son tour conduit son Fils unique sur
la roche dont nous parlons en ce moment, celle de
la vision prophétique et de
l'espérance triomphante, pour lui montrer
son royaume de sainteté et d'amour
établi définitivement sur les ruines
de toutes les puissances ennemies ? Certes,
Jésus est monté plus haut que
personne sur cette roche sublime ; il y a en
quelque sorte fait sa demeure ; c'est de
là qu'il vit Satan tomber du ciel comme un
éclair ; c'est là, comme
à moitié chemin entre terre et ciel,
qu'il prononça sa prière
sacerdotale : « Père, que
ceux que tu m'as donnés soient un, comme
nous sommes un, afin que le monde
croie !... »
Oui, sommes-nous tentés de dire,
c'est bon pour Jésus-Christ ; c'est bon
même pour les prophètes et pour les
apôtres ; mais nous qui, au moins autant
qu'eux, avons besoin d'espérance et de
consolation, mais qui n'avons pas reçu les
mêmes lumières surnaturelles, comment
pourrons-nous gravir cette hauteur de l'intuition
prophétique ? Nous l'essayons, mais à mesure
que nous montons, le brouillard qui nous environne
devient plus épais, les nuages plus
sombres ; le bruit des cris et des
gémissements qui viennent d'en bas ne cesse
pas de nous poursuivre. 0 Dieu ! aie
pitié de notre faiblesse, de nos
découragements, de nos doutes !
Conduis-nous sur cette roche, qui est trop haute
pour nous ! Fais que, portant dans nos mains
le flambeau de ta Parole, nous traversions
courageusement les ténèbres !
Malgré tous les sujets de tristesse et
d'inquiétude qui nous accablent, fais-nous
la grâce d'espérer quand même
d'espérer pour nos propres âmes le
pardon, la paix, la vie éternelle ;
pour nos chers soldats, le salut, s'il se peut, sur
la terre, et en tout cas dans le ciel ; pour
notre chère patrie, la délivrance et
la victoire au moment et dans les conditions
où tu jugeras bon de la lui accorder ;
pour l'humanité enfin, la venue de ton
règne !
Tout cela, tu l'as déjà
montré à tes serviteurs dans le
passé ; ce n'est pas une
révélation nouvelle que nous
implorons, mais nous te prions d'ouvrir les yeux de
nos âmes et de fortifier notre foi, afin que,
comme les prophètes et comme les
apôtres, au-delà de toutes les
misères d'ici-bas, nous contemplions les
merveilles et les triomphes de ta grâce et
nous attendions ton jour !
Une dernière roche qu'il est
indispensable de gravir et sur laquelle il est
nécessaire que Dieu nous conduise, c'est la
roche du sacrifice. Certes, il est bon de prier, il
est bon d'espérer. Par la prière,
nous demandons à Dieu ce dont nous avons
besoin aujourd'hui ; par l'espérance,
nous attendons de lui ce dont nous aurons besoin
demain. Mais demander et recevoir, ce n'est pas
toute la religion ; donner vaut mieux que
recevoir. Le point culminant de nos relations avec
Dieu et le but de tout le reste, c'est l'offrande
que nous sommes appelés à lui faire
de nos personnes et de nos vies. C'est ce que nous
apprend avant tout l'exemple d'Abraham. N'est-il
pas remarquable que nous rencontrions cette noble
figure à l'entrée de chacune des
avenues qui conduisent au royaume de Dieu ?
Pour lui, la roche du sacrifice s'est
appelée Morija. Jamais ascension ne fut plus
douloureuse que celle qu'il fit à
côté de son fils Isaac. Comment
exprimer l'émotion poignante que dut causer
au patriarche cette question pleine de
candeur : « Mon père, voici
le feu et voici le bois ; mais où est
la victime pour le sacrifice ? » La
victime, ce devait être Isaac ; Abraham
avait immolé à la volonté
divine son bonheur, ses espérances, ses
affections, tout ce
qu'il
avait de plus cher au monde.
Si Dieu n'a donné qu'une fois un
ordre pareil, il n'en est pas moins vrai qu'il
attend de chacun de ses serviteurs une
obéissance sans bornes, un don complet de
lui-même. Chacun des prophètes, chacun
des apôtres, dut gravir à son tour la
roche du sacrifice. Pensez à Elie et
à son tragique isolement ; à
Jérémie et à son long
martyre ; à Étienne, qui meurt
en confessant Jésus-Christ et en
intercédant pour ses bourreaux ;
à saint Paul, qui portait partout en son
corps les meurtrissures du Seigneur Jésus
(Gal.
VI, 17.). Mais, ici surtout,
c'est au Sauveur lui-même qu'il en faut
revenir, c'est lui qui seul a réalisé
la perfection du sacrifice. Voyez-le à
Gethsémané, acceptant la coupe
amère des mains de son Père
céleste ; à Golgotha, livrant
son corps au plus cruel et au plus infamant de tous
les supplices et son âme à
d'insondables détresses,tandis qu'il
succombe, lui le Saint et le Juste, sous le poids
du péché du monde. Voilà le
vrai Dieu ; c'est le Dieu qui se donne, Celui
dont le nom est amour. Voilà le vrai
homme ; c'est celui qui est obéissant
et aimant jusqu'à la mort, qui est venu pour
servir et pour donner sa vie. Voilà le vrai
Christ, le vrai roi, celui qui est couronné
d'épines. « Loin de
moi », s'écrie avec raison le
poète chrétien,
« vision grossière - de grandeur
et de dignité ! » - loin de
moi, vision plus grossière encore,
déification insensée et païenne
de la force matérielle et de l'oppression
militaire ! - « Comme au ciel, il
n'est sur la terre - Rien de grand que la
charité ! » Le sacrifice du
Christ domine toute l'histoire et tout
l'univers ; sa croix est devenue comme la
constellation qui éclaire nos
ténèbres et que les blasphèmes
des chrétiens apostats ne réussiront
pas mieux à éteindre que les cris de
triomphe de l'incrédulité.
Mais ce n'est pas assez de contempler et
d'adorer la croix, il faut la porter. Il faut
gravir nous-mêmes la roche du
sacrifice ; aujourd'hui nous le comprenons
mieux qu'autrefois. Le dévouement de nos
soldats qui donnent journellement leur vie pour la
patrie et pour nous, nous remplit d'une tendre et
ardente admiration. Chacun de nous s'efforce de
suivre leur exemple le moins mal qu'il peut ;
chacun tient à s'imposer quelque labeur,
quelque privation, quelque gêne, irai-je
jusqu'à dire quelque souffrance ? pour
l'intérêt commun. C'est bien. Mais que
d'imperfections dans notre sacrifice ! Est-il
toujours sincère ? La mode et
l'entraînement n'y ont-ils aucune part ?
Est-il complet ? Est-il offert à Dieu,
et aux hommes pour Dieu et selon Dieu ? Ne
renferme-t-il aucun élément
d'étroitesse et de haine ? Sera-t-il
durable ? Survivra-t-il aux circonstances
tragiques et exceptionnelles
qui l'ont fait naître ? O Dieu,
conduis-nous toi-même sur cette roche du
sacrifice, qui est trop haute pour nous !
Apprends-nous à aimer en
vérité, à nous donner tout
entiers ! Unis-nous si étroitement
à notre Sauveur que, comme saint Paul, nous
n'aspirions qu'à connaître toujours
mieux la communion de ses souffrances, aussi bien
que la vertu de sa résurrection ! Si,
pour que cette prière soit exaucée,
il est nécessaire que cette épreuve
spéciale, que nous redoutons par dessus
tout, ne nous soit point épargnée,
que ta volonté soit faite !
Amen.
Grand-Temple, 8 août 1915.
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