« Prenez
garde qu'il ne
se trouve que vous ayez fait la guerre à
Dieu. »
Actes
V, 39.
C'est une question tragique et qui ne peut
qu'émouvoir profondément un coeur
chrétien, de savoir si dans le conflit qui
déchire et désole aujourd'hui
l'Europe, l'un des deux partis, et lequel, a le
droit de se considérer comme ayant Dieu de
son côté.
L'empereur d'Autriche, lorsqu'il a
lancé cette malheureuse déclaration
de guerre à la Serbie, qui a
été le commencement d'un si vaste
incendie, a solennellement affirmé qu'il
aurait souhaité de terminer ses jours dans
la paix, mais que la Providence en avait
décidé autrement.
À son tour, l'empereur d'Allemagne a
protesté que la guerre lui était
imposée ; à ce titre, il a
invité ses sujets à implorer la
protection de Dieu et à y compter. De notre
côté, on fait un usage moins
fréquent du nom de Dieu ; il vaut mieux
ne pas le prononcer que de le prendre en vain. Nous
n'en sommes pas moins persuadés,
légitimement à ce
qu'il me semble, que n'ayant ni cherché, ni
voulu, ni prévu la guerre, ayant
été obligés de l'accepter par
des raisons de justice, d'humanité, de
fidélité à la parole
donnée, il nous est permis d'invoquer avec
confiance le secours et la
bénédiction de Dieu. Je n'entrerai
pas plus avant dans ce débat, où il
ne nous est pas possible d'apporter une
impartialité complète, puisque nous
sommes à la fois juges et parties.
Mais notre texte parle d'une autre guerre,
faite, non plus à telle ou telle nation,
avec ou sans l'approbation de Dieu, mais à
Dieu même. Quiconque sait et considère
qui est Dieu et qui est l'homme, sent
aussitôt qu'une telle guerre ne pourrait
qu'être odieuse et ridicule à la fois.
On comprend que le mot de Gamaliel :
« Prenez garde qu'il ne se trouve que
vous avez fait la guerre à Dieu »,
ait fait tressaillir le sanhédrin et
arrêté au moins provisoirement ses
desseins meurtriers contre les apôtres. Mais
la guerre à Dieu est-elle vraiment
possible ? En quoi consiste-t-elle ?
A-t-elle réellement existé ?
Depuis quand, et qui en est coupable ?
Serait-il possible que tels et tels d'entre nous
fussent encore engagés dans une telle
guerre ? Et si tel était le cas,
comment en sortir ? Telles sont les questions
que je désire examiner avec vous ce matin,
sous le regard de Dieu. Elles nous
éloigneront de la politique actuelle, dont
nous ne sommes peut-être que trop enclins
à vous entretenir ; mais elles auront
l'avantage
de
s'adresser directement à nos consciences et
de nous amener à porter un jugement
plutôt sur nous-mêmes que sur nos
adversaires.
Si, après l'oeuvre des six jours, Dieu
s'est reposé et a cessé de produire
des créations entièrement nouvelles,
ce n'est pas que son but fût atteint et sa
pensée créatrice pleinement
réalisée. Mais il a trouvé bon
de ne pas agir seul ; il a destiné
l'homme, fait à son image, à devenir
son collaborateur, à poursuivre l'oeuvre de
Dieu, à établir le règne de
Dieu sur la terre en assujettissant la
matière à l'esprit. Malheureusement,
l'homme a été infidèle
à cette haute vocation ; il a
écouté la voix du tentateur, qui lui
suggérait des pensées de doute et de
défiance à l'égard de
Dieu ; il s'est rangé du
côté de l'ennemi de Dieu, et par
là il est devenu lui-même ennemi de
Dieu. Ne nous laissons pas ravir, cette conviction,
qui est le fond commun de la religion et de la
morale : Dieu étant la Lumière
ou le Bien personnifié, le mal est toujours
une révolte contre Dieu ; faire le mal,
consentir au mal, c'est faire la guerre à
Dieu. En entrant dans cette voie funeste, non
seulement l'homme a fait son propre malheur, mais
il a rendu, si j'ose dire, la
tâche de Dieu plus difficile ; il a
suscité à l'oeuvre divine les plus
sérieux obstacles, lui qui devait en
être l'auxiliaire et l'instrument. Il a
obligé Dieu, en quelque sorte, à ne
poursuivre désormais son but que par de
longs détours, à travers de
douloureux châtiments ; et, ce qui nous
confond surtout, par un sacrifice personnel infini
comme lui-même. Pour triompher des puissances
du mal, accueillies et secondées par
l'homme, il a fallu que Dieu descendît dans
la personne de son Fils sur cet étroit et
sanglant champ de bataille de la terre pour y
remporter la victoire décisive, celle de la
sainteté et de l'amour. Toutefois,
même après cette victoire, la lutte
dure encore à cause de la résistance
et de l'incrédulité des hommes. La
guerre de l'homme contre Dieu, tout en étant
infiniment inégale, est donc une guerre
réelle.
Tous les hommes, étant
pécheurs, sont plus ou moins dans un
état d'inimitié contre Dieu
jusqu'à ce qu'ils se soient
réconciliés avec lui. Mais cette
inimitié est, à des degrés
divers, consciente, volontaire, opiniâtre. Il
y a des hommes qui font la guerre à Dieu
délibérément et qui s'y
obstinent. Tel était ce pharaon qui,
à l'ordre divin apporté par
Moïse, de laisser partir le peuple
d'Israël, répondit :
« Qui est l'Éternel, pour que
j'obéisse à sa
voix ? » qui, à la suite de
chacun des fléaux par lesquels
l'Égypte fut visitée, endurcit son
coeur et ne céda un moment, après la
mort des premiers-nés, que
pour s'en repentir ensuite et périr dans la
révolte. Mais le peuple d'Israël
lui-même ne fit guère mieux quand, au
pied du Sinaï, il adora le veau d'or ;
quand il fatigua Moïse par ses murmures
toujours renouvelés ; quand plus tard
il se montra rebelle à la voix de ses
prophètes, les persécuta, les mit
à mort et, par ses retours continuels
à l'idolâtrie, contraignit enfin
l'Éternel à le chasser de la terre
promise.
Au temps de Jésus-Christ, les
pharisiens et les principaux du peuple, en rejetant
et en crucifiant le Sauveur et en manifestant la
même hostilité contre les
apôtres, faisaient presque sciemment la
guerre à Dieu. L'avertissement de Gamaliel
était donc bien à sa place. S'il y
avait chez ces hommes une part d'ignorance, celle
de la mauvaise volonté était plus
grande ; s'ils avaient été
sincères, ils auraient vu dans l'admirable
guérison de l'impotent autre chose qu'un
motif d'inquiétude et de haine contre ceux
qui l'avaient opérée.
De nos jours encore, Dieu a des ennemis
déclarés. Tels sont les apôtres
de l'athéisme ; tels sont les fauteurs
de la corruption nationale, ceux qui la flattent et
entretiennent, pour en vivre, des vices tels que
l'alcoolisme et l'immoralité. N'ai-je pas le
droit d'ajouter : tels sont ceux qui ont
déchaîné sur le monde la guerre
actuelle ?
D'autres font la guerre à Dieu sans
le savoir et même en se persuadant qu'ils le
servent. Tel était ce
Saül de Tarse qui, en persécutant les
disciples du Nazaréen, croyait
défendre la loi de Dieu et venger son
honneur. Aussi fut-il près de mourir de
douleur et de honte quand il s'aperçut que,
dans son zèle aveugle, il faisait la guerre
à Dieu et regimbait contre l'aiguillon de sa
grâce. Il peut y avoir aujourd'hui de tels
hommes parmi les adversaires de notre foi et - qui
sait ? - parmi ceux de notre patrie et de la
cause que nous croyons juste. Ne jugeons pas, afin
de n'être pas jugés ; pardonnons
afin que Dieu nous pardonne.
Toutefois, la plupart de ceux qui font la
guerre à Dieu ont bien une certaine
conscience de ce qu'il y a de grave et de coupable
dans leur état moral, et de la condamnation
qu'ils ont encourue. Ils en éprouvent
parfois de la douleur et de la crainte ; il y
a chez eux un commencement de repentir. Mais ils ne
vont pas jusqu'au bout ; ils n'ont pas le
courage de renoncer sérieusement et
définitivement au mal ; leurs bonnes
résolutions sont suivies de rechutes et
leurs repentirs passagers de retours aux actions ou
aux habitudes mauvaises qu'ils avaient paru
délaisser. Tel fut le caractère des
réformes religieuses accomplies pour un peu
de temps en Juda sous l'influence de quelques rois
pieux. Et tel est peut-être, mes
frères, la vie d'un bon nombre d'entre nous.
Elle est faite de hauts et de bas,
d'espérances et de découragements, de
conversions qui n'aboutissent pas et de
péchés auxquels
nous ne renonçons pas. En cet état,
nous ne pensons pas être tout à fait
des ennemis de Dieu, mais nous n'oserions affirmer
que nous sommes ses enfants. Et pourtant
Jésus a dit : « Quiconque
n'est pas pour moi est contre moi. » Ne
nous complaisons donc pas dans dans cet affligeant
et humiliant partage du coeur ; n'essayons pas
de nous faire une justice avec nos bons
désirs, nos regrets impuissants, nos
velléités de retour à Dieu et
de réforme de notre conduite. Que
penserait-on, dans l'ordre politique et national,
d'un homme qui agirait de telle sorte, qui serait
partagé entre la France et l'Allemagne, et
dont la vie se passerait en alternatives de
fidélité et de trahison ?
Personne ne s'étonnerait ni ne
s'indignerait, s'il était fusillé
comme un rebelle. Prenez garde donc, vous qui
n'avez pas encore donné votre coeur et
consacré votre vie à Dieu, prenez
garde que, malgré vos prières, votre
profession religieuse et vos bonnes oeuvres
intermittentes, il ne se trouve à la fin que
vous lui avez fait la guerre.
Il vaut la peine d'y prendre garde, car il n'y a
pas de plus grand malheur ni de plus grand crime
que d'être l'auteur d'une guerre injuste.
C'est pourquoi il n'y a pas d'homme aujourd'hui
dans le monde à qui je
craindrais plus de ressembler et dont je
redouterais plus de partager le sort, ici-bas et
dans l'éternité, que l'empereur
d'Allemagne. Cela ne doit pas nous empêcher
de prier pour lui et de croire qu'à lui
aussi, par sa grâce toute puissante, Dieu
peut pardonner.
Mais revenons à la guerre à
Dieu. Celle-ci est toujours et entièrement
injuste. Ici, on ne peut plus parler de torts
réciproques, comme il y a lieu de le faire
en général dans les conflits humains,
toute la justice est du côté de Dieu,
toute l'injustice du côté de l'homme.
Le contester, ce serait nier la sainteté de
Dieu et par conséquent Dieu même.
Pensez à cela, ô vous qui êtes
en guerre avec Dieu, en ce sens que vous êtes
ouvertement ou secrètement en révolte
contre sa volonté providentielle.
Non seulement vous ne comprenez pas les
voies de Dieu, ce qui est le lot de tout homme,
mais elles sont pour vous un objet de
scandale ; vous trouvez mauvais qu'il ait
commandé ou permis ceci ou cela ; vous
vous plaignez de ce que Dieu vous afflige plus que
d'autres et plus. que vous ne l'avez
mérité, de ce que vous avez plus que
votre part des peines de la vie, de ce que le
bonheur honnête et légitime dont vous
avez joui un peu de temps vous a été
ravi pour toujours. Toutes ces pensées sont
coupables et blasphématoires ; elles
sont folie à l'égard du Dieu
souverain, impiété et calomnie
à l'égard du Dieu juste et saint, ingratitude à
l'égard du Dieu qui est amour. Dieu ne vous
prend que ce qu'il vous avait donné, ou
plutôt prêté, et il a le droit
de le reprendre quand et comme il lui plaît.
La seule attitude qui nous convienne est celle que
Jésus lui-même a prise quand il a
dit : « Père, que ta
volonté soit faite ! » C'est
dans cette humiliation et dans cette
poussière que la bonté de Dieu
descendra jusqu'a nous pour nous relever, pour nous
accorder la délivrance intérieure, si
la délivrance extérieure n'est plus
possible.
Vous n'êtes pas moins dans le faux et
dans le mal, ô vous qui vous insurgez contre
la volonté morale de Dieu, celle qui
s'exprime dans ses commandements, celle qui
demande, non plus seulement à être
acceptée, mais à être
obéie. Vous pensez que Dieu exige trop de sa
faible créature, qu'il nous demande trop de
renoncements et de sacrifices, qu'il n'est pas
possible de lui donner cet amour suprême
qu'il réclame ; que vous pouvez bien
vous permettre de faire certaines concessions
à vos penchants naturels, de conserver telle
habitude, de persister dans telle façon
d'agir au sujet de laquelle vous éprouvez
bien quelques scrupules, mais qui n'est pourtant
pas si condamnable. Tant que vous pensez et tant
que vous vivez de la sorte, vous faites la guerre
à Dieu ; en vain vous alléguez
que sur d'autres points vous lui êtes soumis.
L'apôtre Jacques affirme avec raison que celui qui
transgresse,
le sachant et le voulant, un seul commandement, est
coupable comme s'il les transgressait tous ;
car il témoigne et prouve qu'il y a quelque
chose qu'il préfère à la loi
de Dieu, et que pour lui faire commettre un
péché quelconque, il suffit d'une
tentation assez forte. Oh ! que Dieu nous
accorde la vision de cette volonté divine,
sainte, agréable, parfaite, dont parle saint
Paul ! Nous comprendrons que nous y conformer
et nous y ranger sans réserve est notre
honneur et notre bonheur en même temps que
notre devoir ; nous ne serons plus
portés à l'éluder par de
honteux marchandages ; une seule
désobéissance volontaire nous
inspirera plus de crainte et plus d'horreur que
toutes les privations et tous les maux d'ici-bas.
La guerre à Dieu, qui est toujours
injuste, est en même temps insensée.
Elle l'est d'abord en ce sens qu'elle fait le
malheur de tous ceux qui s'y sont engagés.
Considérez l'esclave d'une passion
quelconque, le sensuel, l'ami de l'argent,
l'ambitieux, l'égoïste, quelle que soit
la forme de son égoïsme. Est-il
heureux ? Je ne parle pas de ses échecs
et de ses déceptions, beaucoup plus nombreux
que ses succès ; s'il réussit
à se procurer les biens
qu'il cherche en dehors des voies de Dieu et en
foulant aux pieds sa sainte loi, est-il
heureux ? - Non ! Il a des moments
d'ivresse et de triomphe, mais au fond il n'est pas
satisfait ; il est de plus en plus
désabusé et
dégoûté de la vie. j'entends de
la vie présente ; car, pour ce qui est
de la vie à venir, il s'efforce de n'y pas
penser ou de n'y pas croire, tant il en a peur.
Comme l'a dit saint Paul, « le salaire du
péché, c'est la
mort » ; on traduirait plus
littéralement : « la solde du
péché » ; le
péché est comparé à un
général, qui paie à ses trop
dociles soldats, ou plutôt à ses
malheureux esclaves, quel salaire ? la mort.
Il n'en peut être autrement.
S'il y a un Dieu, il est impossible que,
dans le monde qu'il gouverne, son ennemi soit
heureux ; et à la longue il est
impossible qu'il vive. Toutes choses concourent au
bien de ceux qui aiment Dieu ; quant à
celui qui n'aime pas Dieu, toutes choses concourent
à sa ruine, jusqu'à ce qu'il se
repente. Si l'heure de ce repentir, si salutaire et
si nécessaire, n'a pas encore sonné
pour tel ou tel d'entre nous, pourquoi serait-elle
différée ? La vie est
courte.
La guerre contre Dieu est insensée
encore en ce sens qu'en un tel conflit, la victoire
est impossible et la défaite certaine. La
chose semble tellement évidente qu'il est
inutile de s'y arrêter. Et pourtant, il faut
avouer qu'à ne considérer que le
spectacle des choses humaines, il y a des moments
où l'on pourrait douter de
l'issue finale, où le mal parait l'emporter
sur le bien, où l'empire de Satan, que
Jésus lui-même appelle le Prince de ce
monde, paraît mieux établi que celui
de Dieu. Ne sommes-nous pas dans un de ces
moments ? L'ennemi du genre humain, qui est
meurtrier dès le commencement, a-t-il jamais
remporté une victoire plus signalée
et plus détestable que le jour où il
a réussi à mettre aux prises, dans un
immense et impitoyable conflit, les principales
nations chrétiennes, s'il est permis de leur
donner encore ce nom ?
Après le meurtre d'Abel, la terre a
bu comme à regret le sang de cette
première et innocente victime, et son cri
est monté vers le ciel ; qu'est-ce donc
aujourd'hui où, sur un champ de bataille qui
embrasse des milliers de kilomètres, la
terre est journellement abreuvée du sang de
ses enfants les plus jeunes, les plus nobles, les
plus dignes et les plus capables de vivre ?
Comment finira tout cela ? La guerre, surtout
dans ces proportions, n'est-elle pas le suicide de
l'humanité ? Je ne suis pas
prophète ; je comprends la
pensée de ceux qui croient au retour
prochain du Christ pour juger le monde. Mais, que
ce soit par ce retour ou autrement, le mal sera
vaincu ; la guerre, l'injustice et
l'humanité auront leur terme ; le
règne de Dieu viendra, nous en voyons les
signes précurseurs. La guerre
elle-même est l'occasion de pieuses
pensées et d'actes
généreux ; jamais on n'a tant donné, tant
servi et
tant prié. Et jamais guerre n'a
été plus hautement et plus
visiblement condamnée par la conscience du
genre humain ; tout le monde sent et crie
qu'il faut que se soit la dernière ; on
peut espérer qu'après cette guerre,
ces infâmes théories allemandes qui
préconisent la guerre comme
nécessaire, qui la veulent inhumaine et
impitoyable, et qui voient dans la force l'unique
base et l'unique mesure du droit, retourneront
à l'enfer, d'où elles sont sorties.
Quand la justice et la paix triompheront, quelle ne
sera pas la joie de ceux qui, à travers les
jours les plus sombres, n'auront pas cessé
de croire en Dieu et de le servir lui seul !
Quelle ne sera pas la confusion de ceux qui lui
auront fait la guerre, tout en invoquant son nom
peut-être ! Ayons toujours devant les
yeux cette fin glorieuse ; prions Dieu de nous
révéler sa volonté et de
diriger dès aujourd'hui toutes nos
pensées et tous nos efforts vers la venue de
son règne, qui n'est qu'un autre nom de
l'accomplissement du bien.
Heureusement cette guerre à Dieu, qui est
tout ensemble injuste, insensée et
désespérée, a encore ce
caractère (c'est assurément son seul
mérite) que nul n'est contraint d'y
persister, que chacun est libre
en même temps qu'obligé d'y renoncer
dès aujourd'hui. Il n'en est pas ainsi des
guerres internationales ; il ne dépend
pas de nous de mettre immédiatement un terme
à celle qui désole l'Europe.
Mais la paix avec Dieu nous est à
tous gratuitement et généreusement
offerte. Chose admirable ! Dieu, qui a pour
lui tout le droit, puisque, comme nous l'avons vu,
toute la justice est de son côté et
toute l'injustice du côté de
l'homme ; Dieu, qui a toute la puissance et
qui pourrait d'un mot anéantir ses
adversaires ; Dieu enfin, qui a tant de sujets
de se plaindre de notre ingratitude, de notre
légèreté, de notre mauvaise
foi, Dieu a le premier fait des démarches en
vue de la paix.
Dieu était en Christ, dit saint Paul,
réconciliant le monde avec lui-même,
n'imputant pas aux hommes leurs
péchés ; nous vous en supplions
au nom de Christ, réconciliez-vous avec Dieu
(2
Cor. V. 19, 20.).
Ce n'est donc pas assez de dire que Dieu veut la
paix ; de son côté, la paix est
déjà faite. Si un homme bon et
puissant, que nous aurions gravement
offensé, venait à nous la main tendue
et nous disait : « Je vous en prie,
faisons la paix », il faudrait que nous
fussions bien méchants, bien défiants
et bien ingrats pour douter de ses intentions
à notre égard.
Ne doutons donc pas de la grâce de
Dieu manifestée en Jésus-Christ. Y
croire de coeur et pour tout de
bon, en ce qui nous concerne personnellement, c'est
faire le premier pas vers la paix avec Dieu.
Refuser d'y croire, c'est faire Dieu menteur, c'est
mettre en suspicion la parole qu'il nous a
donnée par ses prophètes, par ses
apôtres et par son Fils unique, c'est
l'assimiler (peut-il y avoir une offense plus
grave ?) à ce souverain pour qui,
à son éternelle honte, un
traité solennel revêtu de sa
signature, n'est qu'une chiffon de papier. Ne
faisons pas cette injure à notre Père
céleste, quand il nous déclare qu'il
nous aime, qu'il nous a pardonné d'avance,
qu'il a donné son Fils et qu'il l'a
livré à la mort pour être notre
Sauveur miséricordieux et tout puissant, qui
n'a jamais repoussé le plus faible et le
plus indigne de ceux qui viennent à
lui.
Un second pas vers la paix avec Dieu, c'est
de nous soumettre entièrement à lui,
c'est d'ôter de nos coeurs et de nos vies
tout ce qui est contraire à sa
volonté sainte. Un sujet rebelle,
amnistié par son souverain, nourrira-t-il
encore des pensées de révolte contre
lui ? Le fils prodigue, reçu dans la
maison et serré dans les bras de son
père, se plaindra-t-il encore d'avoir
à le servir ? Dites plutôt qu'il
n'y aura pas d'enfant ni de serviteur plus
dévoué que ce fils repentant, pas de
sujet plus fidèle que celui qui aura
été l'objet d'une grâce si
grande et si peu méritée. Ainsi, mes
frères, si vous avez compris aujourd'hui
combien insensée et
combien criminelle est toute guerre faite à
Dieu, et si vous êtes touchés de la
bonté de Dieu qui pardonne à de si
grands coupables, renoncez dès aujourd'hui,
de tout votre coeur et pour toujours, à
toute opposition faite à la volonté
divine. Que votre obéissance soit une
obéissance d'amour ; que vos coeurs ne
soient plus partagés entre Dieu et le
monde ; faites votre compte qu'ayant
été rachetés à un grand
prix, vous n'êtes plus à
vous-mêmes, mais à Celui qui est mort
et ressuscité pour vous. Il n'y a de vraie
paix avec Dieu qu'à ce prix et hors de la
paix avec Dieu, il n'y a que péché et
misère, dans ce monde et dans l'autre.
Pour celui qui est en paix avec Dieu, la vie
cessera-t-elle d'être un combat ? - Non,
sans doute, mais à la guerre contre Dieu
succédera une guerre toute différente
et même toute contraire, la guerre pour Dieu,
pour son service, pour sa gloire et pour
l'avancement de son règne. Telle
était celle où les apôtres
étaient engagés, alors qu'en
présence des meurtriers du Christ ils
rendaient témoignage à sa
résurrection et au salut qui se trouve en
lui seul, et qu'ils refusaient de se laisser
imposer silence par les injonctions et les menaces
du sanhédrin. Cette guerre-là est
toute sainte : sainte dans son but,
puisqu'elle n'a en vue que l'accomplissement de la
volonté de Dieu, la venue de son
règne, le salut des âmes pour
lesquelles Jésus-Christ est mort ;
sainte dans la personne de ceux qui la font ;
ce sont ceux
que le
nouveau Testament appelle des saints,
c'est-à-dire tous les disciples de
Jésus-Christ, hommes ou femmes, jeunes ou
vieux, savants ou ignorants, illustres ou obscurs.
La guerre pour Dieu est sainte encore par
les moyens qu'elle emploie ; car elle n'exerce
aucune violence, elle ne fait de mal à
personne, et les seules armes auxquelles elle ait
recours sont des oeuvres de justice et d'amour et
des paroles de vérité. J'ajoute que
la guerre pour Dieu est placée sous la
bénédiction d'une promesse de
victoire. S'il est impossible, comme l'affirme avec
raison Gamaliel, qu'une entreprise tentée
contre Dieu réussisse, il n'est pas moins
impossible que des efforts et des sacrifices faits
pour la cause de Dieu et de la vérité
aboutissent à une défaite finale. Je
vous en conjure donc, mes frères,
renonçons aujourd'hui à toute guerre
contre Dieu, afin de nous consacrer
entièrement à la guerre pour Dieu. Si
le sanhédrin juif, malgré ses
préventions et son hostilité, a
cédé à l'avis de Gamaliel, ne
serez-vous pas dociles, vous, chrétiens,
à la voix de Jésus-Christ, qui vous a
parlé par son faible serviteur ? Et
puisque nous sommes aujourd'hui, malgré
nous, engagés dans une guerre contre des
hommes en qui nous persistons à voir des
frères, apportons dans cette guerre qui nous
est imposée tant de sérieux et
d'amour, des visées si hautes et si pures,
tant de vigilance à fuir le mal et
d'application sincère à rechercher le bien de tous,
que
cette guerre elle-même devienne, autant que
cela est possible, une guerre pour Dieu.
Amen.
Petit-Temple, 18 avril 1915
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