« Les
consolations du
Dieu fort sont-elles trop petites pour
toi ? »
Job
XV.
11
Le lecteur du livre de Job, qui a
rencontré dans les discours des trois amis
plus d'une belle sentence, et dans ceux de Job plus
d'une plainte amère frisant le
blasphème, est quelque peu surpris, à
la fin du livre, d'apprendre que les trois amis
sont blâmés pour n'avoir pas
parlé de l'Éternel avec droiture,
comme Job, et que c'est seulement sur
l'intercession de Job que Dieu leur pardonne.
Cette appréciation divine est
à coup sûr fort instructive et a ses
raisons profondes ; elle nous montre que Dieu
regarde au fond plutôt qu'à la forme,
aux sentiments du coeur plutôt qu'à la
correction extérieure et apparente du
langage. Mais le blâme dont les trois amis
sont l'objet ne doit pas nous empêcher de
nous laisser instruire et édifier par les
vérités qu'ils énoncent, sauf
à en écarter l'élément
d'erreur qu'y mêlent leurs fausses
théories et leur orgueilleuse satisfaction
d'eux-mêmes.
Ainsi, dans notre texte, Éliphaz
se plaint que Job fasse trop peu de cas des
exhortations de ses amis, qu'il qualifie sans
façon de consolations divines, et
Éliphaz a tort. Mais la question qu'il
adresse à Job : « Les
consolations du Dieu fort sont-elles trop petites
pour toi ? » est belle et
émouvante en elle-même.
Appliqué aux vraies consolations de Dieu, le
reproche qu'elle contient est très souvent
justifié. Il l'est peut-être en ce qui
vous concerne, mes chers frères. En ce temps
d'affliction universelle, nous nous
efforçons de pratiquer de notre mieux cet
ordre de Dieu, qui inaugure la seconde partie du
livre d'Esaïe : « Consolez,
consolez mon peuple. »
(Es,
XL, 1)
Peut-être nous y prenons-nous
mal ; peut-être nos discours
méritent-ils plus d'une fois un blâme
semblable à celui qu'ont encouru les amis de
Job. Mais souvent aussi ce sont les vraies
consolations de Dieu, celles qui sont contenues
dans les paroles expresses de Jésus-Christ
et de ses apôtres, celles qui expriment la
substance même de l'Évangile, qui
glissent sur vos coeurs et que vous déclarez
insuffisantes. Qu'avez-vous à leur
reprocher ? Que manque-t-il aux consolations
du Dieu fort pour vous satisfaire, pour vous
consoler en vérité ? C'est ce
que je voudrais rechercher avec vous sous le regard
de Dieu. Je crois qu'une sérieuse attention
vous convaincra que, s'il y a défaut
d'harmonie entre les consolations
que vous apporte l'Évangile et les
dispositions de vos coeurs, ce n'est pas à
l'Évangile qu'il faut vous en prendre.
« Les consolations du Dieu fort
sont-elles trop petites pour toi ? »
Il y a en effet des gens aux yeux de qui ces
divines consolations ne sont pas assez grandes,
assez puissantes, assez sensibles pour
répondre à leurs vrais besoins.
Peut-être êtes-vous de ceux-là,
mon cher auditeur. Votre pensée, que vous
n'osez pas vous avouer tout-à-fait à
vous-même, est au fond celle-ci : ma
douleur, celle qui résulte de la
séparation d'avec un être aimé,
est toujours présente, poignante,
déchirante, et tout me la rappelle. Quant
aux consolations religieuses que vous me proposez,
elles ne font sur mon esprit qu'une faible
impression. Je ne les nie pas, je ne les repousse
pas, j'y vois une réserve possible, un
dédommagement, je ne veux pas dire un
pis-aller ; mais elles sont bien incapables de
me rendre le bonheur que j'ai perdu.
Qu'est-ce qu'une consolation ? -
C'est une joie qui fait plus ou moins
équilibre à notre douleur. Selon le
cas, elle l'adoucit seulement, ou la domine ;
elle peut aller jusqu'à l'absorber par moments.
Ainsi, pour des
parents
qui pleurent un enfant, l'affection des enfants qui
leur restent est une joie, et par conséquent
une consolation. Pour telle personne qui, hier,
était dans l'aisance et qui, aujourd'hui,
est dans la gêne ou même dans la
pauvreté, le bonheur de famille qu'elle
goûte encore est une joie, et par
conséquent une consolation. Pour telle
autre, dont la santé est gravement
altérée, la conscience d'une vie
intérieure et spirituelle, sur laquelle la
maladie n'a point de prise, est une joie et une
consolation. Telles sont les consolations du Dieu
fort. Ce sont des joies qu'il accorde à ceux
qui l'aiment et se confient en lui, joies que le
monde est aussi impuissant à leur ôter
qu'il l'était à les leur
donner.
On peut diviser ces joies en deux
classes : les futures et les
présentes ; celles qui se
résument dans l'attente de la vie
éternelle et celles qui se font sentir
à l'âme dès ici-bas. Sont-ce
les premières qui ne vous suffisent
pas ? Sont-ce les promesses de Dieu qui ne
vous paraissent pas assez belles, assez
attrayantes ? Vraiment vous êtes bien
difficile. L'apôtre Paul n'était pas
de votre avis, quand il disait que
« notre légère affliction
du temps présent n'est pas comparable
à la gloire qui nous attend. »
(2
Cor. IV, 17) Avez-vous
mesuré ce que signifie l'opposition de ces
deux épithètes :
« passager » et
« éternel » ?
Ne sentez-vous pas qu'entre une douleur, même
très vive, qui dure quelques jours, et une
félicité qui ne finira pas, il n'y a
pas de commune mesure ?
Mais le bonheur qui nous est promis n'a
pas une seule dimension, la longueur. Ce n'est pas
la hauteur qui lui manque, puisqu'on le goûte
dans le ciel. Ce n'est pas la profondeur, puisqu'il
habite au fond de l'âme qui se sent en pleine
harmonie avec son Créateur et avec sa
vocation. Ce n'est pas la largeur non plus qui
manque à la félicité
céleste, puisqu'elle est le partage d'une
innombrable société d'êtres,
dont chacun est heureux du bonheur de ses
frères autant que du sien propre.
Considérez ce bonheur sous son
aspect négatif : plus de douleur, toute
larme étant essuyée de nos yeux par
la main même du Père
céleste ; plus de mort, ce dernier
ennemi étant vaincu pour toujours ;
plus de péché, plus de reproche
intérieur de la conscience, plus de
désolante impuissance à faire le
bien. Considérez l'aspect positif du
même bonheur : le plein
développement de toutes nos
facultés ; la pleine satisfaction de
tous nos besoins ; l'intelligence
établie dans la contemplation et dans la
possession du vrai, et connaissant Dieu comme elle
a été connue de lui ; le coeur
se reposant dans l'amour de Dieu et rendu capable
lui-même d'aimer sans bornes; la
volonté trouvant dans son humble et entier
accord avec la volonté divine la
liberté parfaite.
Craignez-vous que cette
félicité stationnaire ne devienne
monotone à la longue et ne réponde
pas aux aspirations d'une âme qui veut
toujours aller plus haut et plus loin ?
Rassurez-vous : il y aura progrès dans
la lumière et dans la perfection,
progrès d'éternité en
éternité, puisque c'est Dieu
même qui sera notre partage, et que Dieu est
infini. Ou bien vous plaignez-vous de ce que vous
ne parvenez pas à vous représenter
votre état futur, de ce que vous ne vous
faites qu'une image très imparfaite du
bonheur céleste ?
Reconnaissez plutôt que cette
imperfection même de notre imagination
atteste la grandeur de ce bonheur futur qui
dépasse toutes nos expériences
actuelles. Elles ne peuvent être
perçues ni par nos yeux ni par nos oreilles,
et elles ne sont pas montées au coeur de
l'homme, les choses que Dieu a
réservées à ceux qui
l'aiment ! Il n'est donc pas vrai que les
consolations du Dieu fort soient trop
petites ; que l'éternité ne soit
pas assez longue pour nous consoler de nos
misères temporelles ; que le ciel ne
soit pas assez riche pour nous consoler de nos
appauvrissements d'ici-bas ; que l'amour de
Dieu ne soit pas assez chaud et assez tendre pour
nous consoler, soit de la violence des haines, soit
de la fragilité des affections
terrestres.
J'ai parlé de l'amour de Dieu. Ce
mot, ou plutôt ce fait divin, contient la
réponse à une objection que je lis
dans la pensée de plusieurs :
« C'est aujourd'hui que
je souffre ; or, les biens dont vous me parlez
appartiennent à un avenir si
éloigné, si différent du
présent, qu'ils ne me touchent que
médiocrement. » - Sans doute,
notre état actuel est imparfait à cet
égard ; la foi n'est pas la vue et
l'espérance n'est pas la possession. Mais
l'espérance elle-même est actuelle et
elle est déjà un grand bien ; on
peut dire qu'elle est la grosse moitié de
chacun de nos bonheurs.
Celui qui espère n'est pas tout
à fait malheureux ; celui qui nourrit
en son coeur une espérance ferme, vivante,
infinie, possède un bonheur qui
dépasse son malheur, quel qu'il soit. Le
larron repentant à qui Jésus vient de
dire : « Aujourd'hui tu seras avec
moi dans le paradis »
(Luc
XXIII, 43), endure encore une
cruelle torture ; et pourtant, qui ne voudrait
être à sa place ? Au reste, son
bonheur n'est pas tout entier futur : s'il
n'est pas encore dans le paradis, il est
déjà avec Jésus ; cette
intime association avec le Saint, avec le Roi, avec
le Sauveur, le relève à ses propres
yeux et l'émeut d'une inexprimable joie. Il
en est de même du chrétien. S'il n'est
sauvé qu'en espérance, il est
déjà pardonné et
justifié ; il est déjà
enfant de Dieu ; il a déjà en
son coeur l'amour du Père, la communion avec
le Fils, le don et la présence du
Saint-Esprit.
Consultez à ce sujet
l'Écriture-sainte. Écoutez les cris d'allégresse et
les actions de grâces du psalmiste :
« Plusieurs disent : qui nous fera
voir des biens ? - Lève sur nous la
clarté de ta face, ô
Éternel !... Tu as mis plus de joie en
mon coeur qu'ils n'en ont lorsque leur froment et
leur meilleur vin sont abondants ... Ta face est un
rassasiement de joie... L'Éternel est mon
berger, je n'aurai point de disette... Mon
âme, bénis
l'Éternel ! »
(Ps,
IV, 7-8 ; XVI,
11 ; XXIII,
1 ; CIII,
1, 22 ; CIV,
1, 35.) Si tel était le
bonheur des saints de l'ancienne alliance, que
sera-ce de ceux de la nouvelle ?
Écoutez saint Pierre
écrivant à ses lecteurs :
« Quoique affligés pour un peu de
temps par diverses épreuves, vous vous
réjouissez d'une joie ineffable et
glorieuse. »
(1
Pierre I, 6.) Écoutez le
témoignage de saint Jean :
« De la plénitude du Christ, nous
avons tous puisé grâce pour
grâce. »
(Jean
I, 16.)
Écoutez le défi que saint
Paul jette à toutes les puissances de la
terre et de l'enfer : « Qui nous
séparera de l'amour du
Christ ? »
(Rom.
VIII, 35.)
À ces déclarations
apostoliques je pourrais en joindre d'autres
semblables, empruntées à
l'expérience des chrétiens de tous
les temps, si leur surabondance même ne m'en
empêchait. Je ne ferai qu'une
exception : écoutez Adèle Kamm,
en proie à des douleurs physiques
intolérables et presque
incessantes, et se considérant comme la plus
heureuse des créatures, tant elle trouvait
de joie dans la communion de son Dieu et dans le
service de ses semblables, surtout de ses
compagnons de souffrance. Ces faits ne sont pas
moins réels que les faits matériels
les mieux constatés, et ils attestent que
les consolations du Dieu fort ne sont pas trop
petites pour ceux qui leur ouvrent leur coeur. En
savez-vous quelque chose, mes chers
auditeurs ? Connaissez-vous le bonheur de
l'âme dont l'iniquité est
pardonnée et dont le péché est
couvert ? Avez-vous goûté la
douceur de la communion avec Jésus-Christ et
de la communion avec les frères ?
Savez-vous quel réconfort le chrétien
trouve dans la prière, et comment la Parole
de Dieu relève les plus abattus et fortifie
les plus faibles ? Ignorez-vous que c'est
souvent sous le coup des plus grandes afflictions
que Dieu nous fait le mieux éprouver son
amour, et que la douleur elle-même, en
creusant l'âme plus profondément, en
fait jaillir plus abondamment une source
d'espérance et même de joie ?
Si vous ne savez rien de tout cela, ne
vous en prenez qu'aux lacunes de votre
expérience, et placez-vous humblement
à l'école de l'Esprit de Dieu. Si
vous en savez quelque chose, vous ne serez plus
tentés de trouver trop petites les
consolations du Dieu fort ; vous vous
écrierez plutôt : ô
Dieu ! frappe, afflige, retranche, dépouille.
Fais de moi ce
qu'il te plaît, pourvu que ton oeuvre
s'accomplisse en moi, que je sois transformé
à l'image de Jésus-Christ, que chez
moi l'homme intérieur grandisse et se
fortifie par la ruine même de l'homme
extérieur, pourvu que je possède
enfin dès ici-bas cet avant-goût de
ton salut, infiniment plus désirable que
tous les biens de la terre
réunis !
Mais j'entends votre objection :
tout cela serait beau, décisif, vraiment
consolant, si l'on pouvait n'en pas douter ;
mais comment en être sûr ? Les
consolations du Dieu fort ne seraient pas trop
petites, je le veux bien, si elles étaient
certaines ; mais voilà
précisément ce dont je ne puis me
convaincre.
Je réponds : les
consolations de l'Évangile sont certaines,
déjà, en ce sens qu'effectivement
elles consolent, que depuis deux mille ans elles
ont apporté à des millions
d'affligés, vivants ou mourants, un
soulagement, un apaisement, qui sont une
véritable délivrance. Ce fait n'est
pas sérieusement contestable et n'est
même guère contesté. Les plus
raisonnables parmi les incroyants nous disent
volontiers qu'ils
regrettent de ne pouvoir partager notre foi,
sachant qu'elle fait le bonheur de la vie.
N'était-il pas consolé, cet
apôtre Paul dont la vie était un
martyre de tous les jours et qui pouvait dire
cependant : « Je suis
réjouis, je me glorifie dans les afflictions
que j'endure pour Christ » ?
(2
Cor. XI, 30 ; XII,
10.)
N'était-il pas consolé,
cet apôtre Jean qui disait :
« Nous sommes dès à
présent enfants de Dieu... Quand le Christ
paraîtra, nous lui serons semblables, parce
que nous le verrons tel qu'il
est » ?
(1
Jean III, 2.)
N'étaient-ils pas
consolés, ces chrétiens d'Asie
Mineure à qui l'apôtre Pierre
écrivait, comme je l'ai déjà
rappelé : « Au milieu
même de l'épreuve, vous vous
réjouissez d'une joie ineffable, remportant
le prix de votre foi, le salut de vos
âmes » ?
(1
Pierre I, 8.)
De telles expériences
n'appartiennent pas seulement au
passé ; elles sont actuelles, elles se
renouvellent journellement. Quel est celui d'entre
nous qui n'a pas connu tel chrétien à
la fois exceptionnellement affligé et
admirablement consolé ? Souvent cette
consolation redouble et abonde en face de la mort,
cette pierre de touche décisive. Nous avons
vu, sur le seuil de l'éternité,
l'espérance se changer presque en possession
et la lumière d'une joie céleste
briller dans des yeux qui allaient se fermer pour toujours ;
nous
avons
entendu des paroles d'actions de grâces et de
triomphe dont nous nous demandions si elles ne
venaient pas déjà de l'autre
côté du voile. C'est à ce
moment suprême où le mensonge ne peut
se concevoir, où l'illusion même est
presque impossible, que la foi acquiert plus de
certitude que jamais, et les consolations de
l'Évangile plus de douceur.
Quelques-uns cependant contestent
encore. Qui sait, disent-ils, si ces élans
de l'âme, si ces bienheureuses anticipations
de l'éternité, si ces ravissements de
joie, même ceux de la dernière heure,
sont autre chose qu'une exaltation passagère
de l'imagination ? Qui sait s'ils
correspondent à des réalités
existant hors de nous et au-dessus de
nous ?...
Je reconnais, mes frères, qu'il
n'est pas possible de constater dès à
présent ces réalités à
la façon d'un fait matériel, ou de
les démontrer à la façon d'un
théorème de géométrie.
Elles sont objet de foi, et la foi est une sorte de
pari sublime, pour rappeler une expression de
Pascal, une courageuse résolution de
l'âme, qui affirme ce qu'elle ne voit pas, ce
qu'elle ne peut pas prouver par la logique pure.
Mais il en est de même au fond de toutes les
vérités d'ordre moral. On ne
démontre pas comme deux et deux font quatre
la vertu d'un homme de coeur, le dévouement
d'un ami, la fidélité d'une femme, le
courage d'un soldat. On y croit cependant, on
bâtit tout son bonheur et toute sa vie sur des
convictions
de ce genre, et l'on a de bonnes raisons de le
faire.
Il n'en est pas autrement des
vérités de l'Évangile, des
vérités qui consolent. Je ne les
aperçois pas par moi-même avec une
clarté parfaite, mais en leur faveur j'ai le
témoignage d'hommes qui voyaient, d'hommes
qui savaient. J'ai d'abord celui de
Jésus-Christ lui-même :
« Je sais où je vais »,
dit-il... « Dans la maison de mon
Père il y a beaucoup de demeures ; si
cela n'était pas, je vous l'aurais
dit ; je vais vous préparer le
lieu. » J'ai le témoignage des
apôtres, éclairés et
dirigés par le Saint-Esprit, qui les rendait
capables de dire, eux aussi : nous savons.
« Nous savons que, si notre tente
d'ici-bas est détruite, nous avons une
demeure stable qui nous attend dans le
ciel. »
Ces certitudes de la foi et de la
révélation, je les vois, non pas
anticipées, ce serait trop dire, mais
préparées et comme confirmées
d'avance par les généreux
pressentiments des âmes les plus hautes qui
aient honoré l'humanité, soit en
Israël - rappelez-vous les vastes et sublimes
espérances qui jaillissent ici et là,
comme autant de rayons prophétiques, du fond
de l'âme du psalmiste chez les païens
eux-mêmes ; rappelez-vous les
dernières paroles de Socrate mourant et ses
démonstrations de l'immortalité de
l'âme. À ces intuitions de tant de
nobles intelligences s'ajoute et répond,
depuis que Jésus-Christ est venu, un fait
positif, celui de sa résurrection, cette
victoire sur la mort qu'il a remportée, non
pas seulement pour lui-même, mais pour nous,
et qui nous est attestée avec une conviction
entière et une unanimité parfaite par
ceux qui l'ont vu, entendu et touché.
À quelle compagnie
préférez-vous appartenir ?
À celle des croyants, des saints et des
martyrs de tous les siècles, ou à
celle des railleurs et des sceptiques ?
Voulez-vous croire avec Jésus-Christ, ou
nier avec Voltaire ? croire avec saint Paul,
ou douter avec Renan ?
Essayez de réaliser
l'hypothèse de la négation et de
l'incrédulité, examinez si elle n'est
pas plus difficile à admettre que
l'affirmation de la foi. Quoi ! il n'y aurait
rien au-delà de la tombe ! L'homme, en
mettant le pied sur le rivage de
l'éternité, n'y trouverait que le
vide ! Dieu, s'il y a un Dieu, lui
dirait ; « Tu as eu tort
d'espérer, tort de croire au Christ, tort de
te confier en moi » ! L'homme donc
qui a cru à la justice et à la
bonté de Dieu serait meilleur que Dieu, qui
ne justifierait pas la bonne opinion que l'homme
avait de lui ! Le dernier soupir de
Jésus lui-même aurait
été recueilli non par le Père,
mais par le néant ! Si tout cela est
impossible, absurde, impie, alors, c'est que
l'Évangile a raison, c'est que les
consolations du Dieu fort ne trompent pas.
Mais il vous reste une objection, un sujet de
plainte : « Que les consolations du
Dieu fort ne soient pas trop petites pour ceux qui
les reçoivent, je l'admets ; qu'elles
soient certaines, je n'y contredis pas ; mais
elles ont, en ce qui me concerne, un défaut
grave, c'est qu'elles ne sont point assez larges.
Elles ne sont pas pour moi, elles ne descendent pas
jusqu'à moi. Elles sont
réservées à un petit nombre
d'élus, à un cénacle de saints
ou d'âmes particulièrement
religieuses. Pour moi, Je ne suis qu'un homme avec
ses faiblesses, avec ses misères, avec ses
ignorances, et quand vous m'invitez à
prendre une part de vos consolations surnaturelles,
il me semble que vous parlez une langue
étrangère. »
Que faudrait-il donc pour qu'à
votre avis les consolations de l'Évangile
fussent assez larges ? Qu'elles fussent
offertes à un très grand nombre
d'hommes, par exemple à tous ceux que
n'accable pas un de ces malheurs qui ne peuvent pas
et ne veulent pas être consolés, ou
encore à tous ceux qui n'ont pas
complètement mérité leur
malheur, qui n'ont pas offensé Dieu trop
gravement, qui n'ont pas attendu,
pour le chercher et l'invoquer, le jour de
l'épreuve ? - Ce n'est pas assez au
gré de l'amour de Dieu. Les consolations de
Dieu sont plus larges que cela : elles sont
pour tous ceux qui en ont besoin, pour tous ceux
qui souffrent, sans exception.
Jésus-Christ a dit, en ouvrant
ses bras tout grands à tous ceux qui
pleurent : « Venez à moi,
vous tous qui êtes travaillés et
chargés et je vous soulagerai. »
(Matth.
XI, 28.) La consolation est
une partie, un aspect du salut ; or le salut
est pour tous. Les déclarations
universalistes de l'Évangile sont si
nombreuses qu'il est impossible de les renfermer
ici. En voici une, une seule :
« Dieu a enfermé tous les hommes
sous la rébellion, pour faire
miséricorde à tous. »
(Rom.
XI, 32.) Dans le même
sens, on peut dire : Dieu a courbé tous
les hommes sous le poids de l'affliction, pour leur
accorder à tous ses consolations.
Que faudrait-il encore, à votre
avis, pour que les consolations divines fussent
assez larges ? Qu'elles fussent données
à bon marché, en échange et en
retour de quelques preuves de bonne volonté,
de quelques essais de réparation, d'un temps
de patience et d'attente ? - Ce n'est pas
assez au gré de l'amour divin. Les
consolations de Dieu sont plus larges que cela.
Dieu console, comme il sauve,
gratuitement, pour rien ; il console et il
sauve par grâce. Voyez Jésus-Christ,
comme il s'empresse de consoler, avant même
qu'on le lui ait demandé, le paralytique qui
n'ouvre pas la bouche : « Prends
courage, mon enfant ; tes péchés
te sont pardonnés »
(Matth.
IX, 2.) ; la femme
courbée en deux, qui peut-être ne se
doutait même pas de la présence du
Sauveur : « O femme, tu es
guérie de ta maladie »
(Marc
V, 34.) ; la veuve de
Naïn éplorée et penchée
sur le brancard où gisait son fils
mort : « Ne pleure pas »
(Luc
VIl, 13.) ; le brigand sur
la croix, dont la situation semblait
désespérée et sans
remède : « Aujourd'hui
même, tu seras avec moi dans le
paradis. » Ainsi notre Père
céleste ne peut voir souffrir aucun de ses
enfants sans qu'il soit ému de compassion
pour lui et sans qu'aussitôt il cherche
à le consoler.
Cependant, objecterez-vous, le salut de
la consolation divine qui y est attachée a
bien ses conditions, la foi et la repentance...
Sans doute, ces conditions sont inévitables,
elles résultent de la nature des choses. La
foi : comment un homme serait-il
consolé par un ami en qui il n'a pas de
confiance, par une bonne nouvelle à laquelle
il ne croit pas ? La repentance : comment
le père de l'enfant
prodigue pourrait-il ouvrir les bras à son
fils, tant que celui-ci n'a pas quitté la
terre étrangère et n'a pas
confessé son péché ?
Comment Dieu pourrait-il visiter, toucher,
réjouir par son amour, un coeur qui est
éloigné de lui et en révolte
contre lui ? Exprimons cette
vérité aussi simplement que
possible : pour qu'un enfant soit
consolé par sa mère, il faut qu'il
vienne à elle et se jette dans ses
bras ; pour que Dieu nous console, il faut que
nous venions à lui avec l'abandon et la
confiance d'un enfant. Venez donc, ô
désolés, ô inconsolés
d'ici-bas, ô vous qui avez
éprouvé la vanité et
l'insuffisance des consolations terrestres, comme
le dit si bien Lamartine :
- « On sent que ta tendre parole
- À d'autres ne peut se mêler,
- Seigneur, et qu'elle ne console
- Que ceux qu'on n'a pu consoler. »
Dieu, lui, n'est jamais à bout de consolations, ses consolations ne sont pas trop petites, même pour les plus malheureux. À vous qui pleurez sur un tombeau, ou plutôt sur un être aimé à qui vous n'avez pas même eu la douceur de rendre les derniers devoirs, Dieu parlera de vie éternelle et de revoir dans le ciel. À vous qui avez été épargnés jusqu'ici, mais qui tremblez pour ceux que vous savez exposés tous les jours à de grands périls, Dieu parlera des soins paternels de sa Providence, de sa miséricorde et de sa fidélité, qui délivre dans la mort quand elle ne délivre pas de la mort. À vous qui vous sentez coupables et qui craignez la mort et le jugement, Dieu parlera de son pardon et de l'alliance de grâce qu'il a traitée avec le monde par Jésus-Christ. À vous pour qui la guerre est un scandale et qui êtes inquiets pour l'avenir du royaume de Dieu, Dieu parlera de sa toute-puissance qui ne peut être vaincue, de son dessein d'amour qui ne peut être anéanti, de sa sagesse qui sait faire tourner à l'accomplissement de ce dessein les événements mêmes qui semblent lui être le plus contraires. L'affliction est pour un temps, la consolation est éternelle. Demain, là-haut, quand Dieu essuiera toutes larmes de nos yeux, aucun de nous ne sera tenté de trouver ses consolations trop petites.
Amen.
Grand-Temple, 7 mars 1915,
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