Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

IV

LES CONSOLATIONS DE DIEU

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« Les consolations du Dieu fort sont-elles trop petites pour toi ? »
Job XV. 11


Le lecteur du livre de Job, qui a rencontré dans les discours des trois amis plus d'une belle sentence, et dans ceux de Job plus d'une plainte amère frisant le blasphème, est quelque peu surpris, à la fin du livre, d'apprendre que les trois amis sont blâmés pour n'avoir pas parlé de l'Éternel avec droiture, comme Job, et que c'est seulement sur l'intercession de Job que Dieu leur pardonne.

Cette appréciation divine est à coup sûr fort instructive et a ses raisons profondes ; elle nous montre que Dieu regarde au fond plutôt qu'à la forme, aux sentiments du coeur plutôt qu'à la correction extérieure et apparente du langage. Mais le blâme dont les trois amis sont l'objet ne doit pas nous empêcher de nous laisser instruire et édifier par les vérités qu'ils énoncent, sauf à en écarter l'élément d'erreur qu'y mêlent leurs fausses théories et leur orgueilleuse satisfaction d'eux-mêmes.

Ainsi, dans notre texte, Éliphaz se plaint que Job fasse trop peu de cas des exhortations de ses amis, qu'il qualifie sans façon de consolations divines, et Éliphaz a tort. Mais la question qu'il adresse à Job : « Les consolations du Dieu fort sont-elles trop petites pour toi ? » est belle et émouvante en elle-même. Appliqué aux vraies consolations de Dieu, le reproche qu'elle contient est très souvent justifié. Il l'est peut-être en ce qui vous concerne, mes chers frères. En ce temps d'affliction universelle, nous nous efforçons de pratiquer de notre mieux cet ordre de Dieu, qui inaugure la seconde partie du livre d'Esaïe : « Consolez, consolez mon peuple. » (Es, XL, 1)

Peut-être nous y prenons-nous mal ; peut-être nos discours méritent-ils plus d'une fois un blâme semblable à celui qu'ont encouru les amis de Job. Mais souvent aussi ce sont les vraies consolations de Dieu, celles qui sont contenues dans les paroles expresses de Jésus-Christ et de ses apôtres, celles qui expriment la substance même de l'Évangile, qui glissent sur vos coeurs et que vous déclarez insuffisantes. Qu'avez-vous à leur reprocher ? Que manque-t-il aux consolations du Dieu fort pour vous satisfaire, pour vous consoler en vérité ? C'est ce que je voudrais rechercher avec vous sous le regard de Dieu. Je crois qu'une sérieuse attention vous convaincra que, s'il y a défaut d'harmonie entre les consolations que vous apporte l'Évangile et les dispositions de vos coeurs, ce n'est pas à l'Évangile qu'il faut vous en prendre.


I

« Les consolations du Dieu fort sont-elles trop petites pour toi ? » Il y a en effet des gens aux yeux de qui ces divines consolations ne sont pas assez grandes, assez puissantes, assez sensibles pour répondre à leurs vrais besoins. Peut-être êtes-vous de ceux-là, mon cher auditeur. Votre pensée, que vous n'osez pas vous avouer tout-à-fait à vous-même, est au fond celle-ci : ma douleur, celle qui résulte de la séparation d'avec un être aimé, est toujours présente, poignante, déchirante, et tout me la rappelle. Quant aux consolations religieuses que vous me proposez, elles ne font sur mon esprit qu'une faible impression. Je ne les nie pas, je ne les repousse pas, j'y vois une réserve possible, un dédommagement, je ne veux pas dire un pis-aller ; mais elles sont bien incapables de me rendre le bonheur que j'ai perdu.

Qu'est-ce qu'une consolation ? - C'est une joie qui fait plus ou moins équilibre à notre douleur. Selon le cas, elle l'adoucit seulement, ou la domine ; elle peut aller jusqu'à l'absorber par moments. Ainsi, pour des parents qui pleurent un enfant, l'affection des enfants qui leur restent est une joie, et par conséquent une consolation. Pour telle personne qui, hier, était dans l'aisance et qui, aujourd'hui, est dans la gêne ou même dans la pauvreté, le bonheur de famille qu'elle goûte encore est une joie, et par conséquent une consolation. Pour telle autre, dont la santé est gravement altérée, la conscience d'une vie intérieure et spirituelle, sur laquelle la maladie n'a point de prise, est une joie et une consolation. Telles sont les consolations du Dieu fort. Ce sont des joies qu'il accorde à ceux qui l'aiment et se confient en lui, joies que le monde est aussi impuissant à leur ôter qu'il l'était à les leur donner.

On peut diviser ces joies en deux classes : les futures et les présentes ; celles qui se résument dans l'attente de la vie éternelle et celles qui se font sentir à l'âme dès ici-bas. Sont-ce les premières qui ne vous suffisent pas ? Sont-ce les promesses de Dieu qui ne vous paraissent pas assez belles, assez attrayantes ? Vraiment vous êtes bien difficile. L'apôtre Paul n'était pas de votre avis, quand il disait que « notre légère affliction du temps présent n'est pas comparable à la gloire qui nous attend. » (2 Cor. IV, 17) Avez-vous mesuré ce que signifie l'opposition de ces deux épithètes : « passager » et « éternel » ? Ne sentez-vous pas qu'entre une douleur, même très vive, qui dure quelques jours, et une félicité qui ne finira pas, il n'y a pas de commune mesure ?
Mais le bonheur qui nous est promis n'a pas une seule dimension, la longueur. Ce n'est pas la hauteur qui lui manque, puisqu'on le goûte dans le ciel. Ce n'est pas la profondeur, puisqu'il habite au fond de l'âme qui se sent en pleine harmonie avec son Créateur et avec sa vocation. Ce n'est pas la largeur non plus qui manque à la félicité céleste, puisqu'elle est le partage d'une innombrable société d'êtres, dont chacun est heureux du bonheur de ses frères autant que du sien propre.

Considérez ce bonheur sous son aspect négatif : plus de douleur, toute larme étant essuyée de nos yeux par la main même du Père céleste ; plus de mort, ce dernier ennemi étant vaincu pour toujours ; plus de péché, plus de reproche intérieur de la conscience, plus de désolante impuissance à faire le bien. Considérez l'aspect positif du même bonheur : le plein développement de toutes nos facultés ; la pleine satisfaction de tous nos besoins ; l'intelligence établie dans la contemplation et dans la possession du vrai, et connaissant Dieu comme elle a été connue de lui ; le coeur se reposant dans l'amour de Dieu et rendu capable lui-même d'aimer sans bornes; la volonté trouvant dans son humble et entier accord avec la volonté divine la liberté parfaite.

Craignez-vous que cette félicité stationnaire ne devienne monotone à la longue et ne réponde pas aux aspirations d'une âme qui veut toujours aller plus haut et plus loin ? Rassurez-vous : il y aura progrès dans la lumière et dans la perfection, progrès d'éternité en éternité, puisque c'est Dieu même qui sera notre partage, et que Dieu est infini. Ou bien vous plaignez-vous de ce que vous ne parvenez pas à vous représenter votre état futur, de ce que vous ne vous faites qu'une image très imparfaite du bonheur céleste ?

Reconnaissez plutôt que cette imperfection même de notre imagination atteste la grandeur de ce bonheur futur qui dépasse toutes nos expériences actuelles. Elles ne peuvent être perçues ni par nos yeux ni par nos oreilles, et elles ne sont pas montées au coeur de l'homme, les choses que Dieu a réservées à ceux qui l'aiment ! Il n'est donc pas vrai que les consolations du Dieu fort soient trop petites ; que l'éternité ne soit pas assez longue pour nous consoler de nos misères temporelles ; que le ciel ne soit pas assez riche pour nous consoler de nos appauvrissements d'ici-bas ; que l'amour de Dieu ne soit pas assez chaud et assez tendre pour nous consoler, soit de la violence des haines, soit de la fragilité des affections terrestres.


II

J'ai parlé de l'amour de Dieu. Ce mot, ou plutôt ce fait divin, contient la réponse à une objection que je lis dans la pensée de plusieurs : « C'est aujourd'hui que je souffre ; or, les biens dont vous me parlez appartiennent à un avenir si éloigné, si différent du présent, qu'ils ne me touchent que médiocrement. » - Sans doute, notre état actuel est imparfait à cet égard ; la foi n'est pas la vue et l'espérance n'est pas la possession. Mais l'espérance elle-même est actuelle et elle est déjà un grand bien ; on peut dire qu'elle est la grosse moitié de chacun de nos bonheurs.

Celui qui espère n'est pas tout à fait malheureux ; celui qui nourrit en son coeur une espérance ferme, vivante, infinie, possède un bonheur qui dépasse son malheur, quel qu'il soit. Le larron repentant à qui Jésus vient de dire : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis » (Luc XXIII, 43), endure encore une cruelle torture ; et pourtant, qui ne voudrait être à sa place ? Au reste, son bonheur n'est pas tout entier futur : s'il n'est pas encore dans le paradis, il est déjà avec Jésus ; cette intime association avec le Saint, avec le Roi, avec le Sauveur, le relève à ses propres yeux et l'émeut d'une inexprimable joie. Il en est de même du chrétien. S'il n'est sauvé qu'en espérance, il est déjà pardonné et justifié ; il est déjà enfant de Dieu ; il a déjà en son coeur l'amour du Père, la communion avec le Fils, le don et la présence du Saint-Esprit.

Consultez à ce sujet l'Écriture-sainte. Écoutez les cris d'allégresse et les actions de grâces du psalmiste : « Plusieurs disent : qui nous fera voir des biens ? - Lève sur nous la clarté de ta face, ô Éternel !... Tu as mis plus de joie en mon coeur qu'ils n'en ont lorsque leur froment et leur meilleur vin sont abondants ... Ta face est un rassasiement de joie... L'Éternel est mon berger, je n'aurai point de disette... Mon âme, bénis l'Éternel ! » (Ps, IV, 7-8 ; XVI, 11 ; XXIII, 1 ; CIII, 1, 22 ; CIV, 1, 35.) Si tel était le bonheur des saints de l'ancienne alliance, que sera-ce de ceux de la nouvelle ?

Écoutez saint Pierre écrivant à ses lecteurs : « Quoique affligés pour un peu de temps par diverses épreuves, vous vous réjouissez d'une joie ineffable et glorieuse. » (1 Pierre I, 6.) Écoutez le témoignage de saint Jean : « De la plénitude du Christ, nous avons tous puisé grâce pour grâce. » (Jean I, 16.)

Écoutez le défi que saint Paul jette à toutes les puissances de la terre et de l'enfer : « Qui nous séparera de l'amour du Christ ? » (Rom. VIII, 35.)

À ces déclarations apostoliques je pourrais en joindre d'autres semblables, empruntées à l'expérience des chrétiens de tous les temps, si leur surabondance même ne m'en empêchait. Je ne ferai qu'une exception : écoutez Adèle Kamm, en proie à des douleurs physiques intolérables et presque incessantes, et se considérant comme la plus heureuse des créatures, tant elle trouvait de joie dans la communion de son Dieu et dans le service de ses semblables, surtout de ses compagnons de souffrance. Ces faits ne sont pas moins réels que les faits matériels les mieux constatés, et ils attestent que les consolations du Dieu fort ne sont pas trop petites pour ceux qui leur ouvrent leur coeur. En savez-vous quelque chose, mes chers auditeurs ? Connaissez-vous le bonheur de l'âme dont l'iniquité est pardonnée et dont le péché est couvert ? Avez-vous goûté la douceur de la communion avec Jésus-Christ et de la communion avec les frères ? Savez-vous quel réconfort le chrétien trouve dans la prière, et comment la Parole de Dieu relève les plus abattus et fortifie les plus faibles ? Ignorez-vous que c'est souvent sous le coup des plus grandes afflictions que Dieu nous fait le mieux éprouver son amour, et que la douleur elle-même, en creusant l'âme plus profondément, en fait jaillir plus abondamment une source d'espérance et même de joie ?

Si vous ne savez rien de tout cela, ne vous en prenez qu'aux lacunes de votre expérience, et placez-vous humblement à l'école de l'Esprit de Dieu. Si vous en savez quelque chose, vous ne serez plus tentés de trouver trop petites les consolations du Dieu fort ; vous vous écrierez plutôt : ô Dieu ! frappe, afflige, retranche, dépouille. Fais de moi ce qu'il te plaît, pourvu que ton oeuvre s'accomplisse en moi, que je sois transformé à l'image de Jésus-Christ, que chez moi l'homme intérieur grandisse et se fortifie par la ruine même de l'homme extérieur, pourvu que je possède enfin dès ici-bas cet avant-goût de ton salut, infiniment plus désirable que tous les biens de la terre réunis !

Mais j'entends votre objection : tout cela serait beau, décisif, vraiment consolant, si l'on pouvait n'en pas douter ; mais comment en être sûr ? Les consolations du Dieu fort ne seraient pas trop petites, je le veux bien, si elles étaient certaines ; mais voilà précisément ce dont je ne puis me convaincre.

Je réponds : les consolations de l'Évangile sont certaines, déjà, en ce sens qu'effectivement elles consolent, que depuis deux mille ans elles ont apporté à des millions d'affligés, vivants ou mourants, un soulagement, un apaisement, qui sont une véritable délivrance. Ce fait n'est pas sérieusement contestable et n'est même guère contesté. Les plus raisonnables parmi les incroyants nous disent volontiers qu'ils regrettent de ne pouvoir partager notre foi, sachant qu'elle fait le bonheur de la vie. N'était-il pas consolé, cet apôtre Paul dont la vie était un martyre de tous les jours et qui pouvait dire cependant : « Je suis réjouis, je me glorifie dans les afflictions que j'endure pour Christ » ? (2 Cor. XI, 30 ; XII, 10.)
N'était-il pas consolé, cet apôtre Jean qui disait : « Nous sommes dès à présent enfants de Dieu... Quand le Christ paraîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est » ? (1 Jean III, 2.)
N'étaient-ils pas consolés, ces chrétiens d'Asie Mineure à qui l'apôtre Pierre écrivait, comme je l'ai déjà rappelé : « Au milieu même de l'épreuve, vous vous réjouissez d'une joie ineffable, remportant le prix de votre foi, le salut de vos âmes » ? (1 Pierre I, 8.)

De telles expériences n'appartiennent pas seulement au passé ; elles sont actuelles, elles se renouvellent journellement. Quel est celui d'entre nous qui n'a pas connu tel chrétien à la fois exceptionnellement affligé et admirablement consolé ? Souvent cette consolation redouble et abonde en face de la mort, cette pierre de touche décisive. Nous avons vu, sur le seuil de l'éternité, l'espérance se changer presque en possession et la lumière d'une joie céleste briller dans des yeux qui allaient se fermer pour toujours ; nous avons entendu des paroles d'actions de grâces et de triomphe dont nous nous demandions si elles ne venaient pas déjà de l'autre côté du voile. C'est à ce moment suprême où le mensonge ne peut se concevoir, où l'illusion même est presque impossible, que la foi acquiert plus de certitude que jamais, et les consolations de l'Évangile plus de douceur.

Quelques-uns cependant contestent encore. Qui sait, disent-ils, si ces élans de l'âme, si ces bienheureuses anticipations de l'éternité, si ces ravissements de joie, même ceux de la dernière heure, sont autre chose qu'une exaltation passagère de l'imagination ? Qui sait s'ils correspondent à des réalités existant hors de nous et au-dessus de nous ?...

Je reconnais, mes frères, qu'il n'est pas possible de constater dès à présent ces réalités à la façon d'un fait matériel, ou de les démontrer à la façon d'un théorème de géométrie. Elles sont objet de foi, et la foi est une sorte de pari sublime, pour rappeler une expression de Pascal, une courageuse résolution de l'âme, qui affirme ce qu'elle ne voit pas, ce qu'elle ne peut pas prouver par la logique pure. Mais il en est de même au fond de toutes les vérités d'ordre moral. On ne démontre pas comme deux et deux font quatre la vertu d'un homme de coeur, le dévouement d'un ami, la fidélité d'une femme, le courage d'un soldat. On y croit cependant, on bâtit tout son bonheur et toute sa vie sur des convictions de ce genre, et l'on a de bonnes raisons de le faire.

Il n'en est pas autrement des vérités de l'Évangile, des vérités qui consolent. Je ne les aperçois pas par moi-même avec une clarté parfaite, mais en leur faveur j'ai le témoignage d'hommes qui voyaient, d'hommes qui savaient. J'ai d'abord celui de Jésus-Christ lui-même : « Je sais où je vais », dit-il... « Dans la maison de mon Père il y a beaucoup de demeures ; si cela n'était pas, je vous l'aurais dit ; je vais vous préparer le lieu. » J'ai le témoignage des apôtres, éclairés et dirigés par le Saint-Esprit, qui les rendait capables de dire, eux aussi : nous savons. « Nous savons que, si notre tente d'ici-bas est détruite, nous avons une demeure stable qui nous attend dans le ciel. »

Ces certitudes de la foi et de la révélation, je les vois, non pas anticipées, ce serait trop dire, mais préparées et comme confirmées d'avance par les généreux pressentiments des âmes les plus hautes qui aient honoré l'humanité, soit en Israël - rappelez-vous les vastes et sublimes espérances qui jaillissent ici et là, comme autant de rayons prophétiques, du fond de l'âme du psalmiste chez les païens eux-mêmes ; rappelez-vous les dernières paroles de Socrate mourant et ses démonstrations de l'immortalité de l'âme. À ces intuitions de tant de nobles intelligences s'ajoute et répond, depuis que Jésus-Christ est venu, un fait positif, celui de sa résurrection, cette victoire sur la mort qu'il a remportée, non pas seulement pour lui-même, mais pour nous, et qui nous est attestée avec une conviction entière et une unanimité parfaite par ceux qui l'ont vu, entendu et touché.

À quelle compagnie préférez-vous appartenir ? À celle des croyants, des saints et des martyrs de tous les siècles, ou à celle des railleurs et des sceptiques ? Voulez-vous croire avec Jésus-Christ, ou nier avec Voltaire ? croire avec saint Paul, ou douter avec Renan ?

Essayez de réaliser l'hypothèse de la négation et de l'incrédulité, examinez si elle n'est pas plus difficile à admettre que l'affirmation de la foi. Quoi ! il n'y aurait rien au-delà de la tombe ! L'homme, en mettant le pied sur le rivage de l'éternité, n'y trouverait que le vide ! Dieu, s'il y a un Dieu, lui dirait ; « Tu as eu tort d'espérer, tort de croire au Christ, tort de te confier en moi » ! L'homme donc qui a cru à la justice et à la bonté de Dieu serait meilleur que Dieu, qui ne justifierait pas la bonne opinion que l'homme avait de lui ! Le dernier soupir de Jésus lui-même aurait été recueilli non par le Père, mais par le néant ! Si tout cela est impossible, absurde, impie, alors, c'est que l'Évangile a raison, c'est que les consolations du Dieu fort ne trompent pas.


III

Mais il vous reste une objection, un sujet de plainte : « Que les consolations du Dieu fort ne soient pas trop petites pour ceux qui les reçoivent, je l'admets ; qu'elles soient certaines, je n'y contredis pas ; mais elles ont, en ce qui me concerne, un défaut grave, c'est qu'elles ne sont point assez larges. Elles ne sont pas pour moi, elles ne descendent pas jusqu'à moi. Elles sont réservées à un petit nombre d'élus, à un cénacle de saints ou d'âmes particulièrement religieuses. Pour moi, Je ne suis qu'un homme avec ses faiblesses, avec ses misères, avec ses ignorances, et quand vous m'invitez à prendre une part de vos consolations surnaturelles, il me semble que vous parlez une langue étrangère. »

Que faudrait-il donc pour qu'à votre avis les consolations de l'Évangile fussent assez larges ? Qu'elles fussent offertes à un très grand nombre d'hommes, par exemple à tous ceux que n'accable pas un de ces malheurs qui ne peuvent pas et ne veulent pas être consolés, ou encore à tous ceux qui n'ont pas complètement mérité leur malheur, qui n'ont pas offensé Dieu trop gravement, qui n'ont pas attendu, pour le chercher et l'invoquer, le jour de l'épreuve ? - Ce n'est pas assez au gré de l'amour de Dieu. Les consolations de Dieu sont plus larges que cela : elles sont pour tous ceux qui en ont besoin, pour tous ceux qui souffrent, sans exception.

Jésus-Christ a dit, en ouvrant ses bras tout grands à tous ceux qui pleurent : « Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés et je vous soulagerai. » (Matth. XI, 28.) La consolation est une partie, un aspect du salut ; or le salut est pour tous. Les déclarations universalistes de l'Évangile sont si nombreuses qu'il est impossible de les renfermer ici. En voici une, une seule : « Dieu a enfermé tous les hommes sous la rébellion, pour faire miséricorde à tous. » (Rom. XI, 32.) Dans le même sens, on peut dire : Dieu a courbé tous les hommes sous le poids de l'affliction, pour leur accorder à tous ses consolations.

Que faudrait-il encore, à votre avis, pour que les consolations divines fussent assez larges ? Qu'elles fussent données à bon marché, en échange et en retour de quelques preuves de bonne volonté, de quelques essais de réparation, d'un temps de patience et d'attente ? - Ce n'est pas assez au gré de l'amour divin. Les consolations de Dieu sont plus larges que cela. Dieu console, comme il sauve, gratuitement, pour rien ; il console et il sauve par grâce. Voyez Jésus-Christ, comme il s'empresse de consoler, avant même qu'on le lui ait demandé, le paralytique qui n'ouvre pas la bouche : « Prends courage, mon enfant ; tes péchés te sont pardonnés » (Matth. IX, 2.) ; la femme courbée en deux, qui peut-être ne se doutait même pas de la présence du Sauveur : « O femme, tu es guérie de ta maladie » (Marc V, 34.) ; la veuve de Naïn éplorée et penchée sur le brancard où gisait son fils mort : « Ne pleure pas » (Luc VIl, 13.) ; le brigand sur la croix, dont la situation semblait désespérée et sans remède : « Aujourd'hui même, tu seras avec moi dans le paradis. » Ainsi notre Père céleste ne peut voir souffrir aucun de ses enfants sans qu'il soit ému de compassion pour lui et sans qu'aussitôt il cherche à le consoler.

Cependant, objecterez-vous, le salut de la consolation divine qui y est attachée a bien ses conditions, la foi et la repentance... Sans doute, ces conditions sont inévitables, elles résultent de la nature des choses. La foi : comment un homme serait-il consolé par un ami en qui il n'a pas de confiance, par une bonne nouvelle à laquelle il ne croit pas ? La repentance : comment le père de l'enfant prodigue pourrait-il ouvrir les bras à son fils, tant que celui-ci n'a pas quitté la terre étrangère et n'a pas confessé son péché ? Comment Dieu pourrait-il visiter, toucher, réjouir par son amour, un coeur qui est éloigné de lui et en révolte contre lui ? Exprimons cette vérité aussi simplement que possible : pour qu'un enfant soit consolé par sa mère, il faut qu'il vienne à elle et se jette dans ses bras ; pour que Dieu nous console, il faut que nous venions à lui avec l'abandon et la confiance d'un enfant. Venez donc, ô désolés, ô inconsolés d'ici-bas, ô vous qui avez éprouvé la vanité et l'insuffisance des consolations terrestres, comme le dit si bien Lamartine :

« On sent que ta tendre parole
À d'autres ne peut se mêler,
Seigneur, et qu'elle ne console
Que ceux qu'on n'a pu consoler. »

Dieu, lui, n'est jamais à bout de consolations, ses consolations ne sont pas trop petites, même pour les plus malheureux. À vous qui pleurez sur un tombeau, ou plutôt sur un être aimé à qui vous n'avez pas même eu la douceur de rendre les derniers devoirs, Dieu parlera de vie éternelle et de revoir dans le ciel. À vous qui avez été épargnés jusqu'ici, mais qui tremblez pour ceux que vous savez exposés tous les jours à de grands périls, Dieu parlera des soins paternels de sa Providence, de sa miséricorde et de sa fidélité, qui délivre dans la mort quand elle ne délivre pas de la mort. À vous qui vous sentez coupables et qui craignez la mort et le jugement, Dieu parlera de son pardon et de l'alliance de grâce qu'il a traitée avec le monde par Jésus-Christ. À vous pour qui la guerre est un scandale et qui êtes inquiets pour l'avenir du royaume de Dieu, Dieu parlera de sa toute-puissance qui ne peut être vaincue, de son dessein d'amour qui ne peut être anéanti, de sa sagesse qui sait faire tourner à l'accomplissement de ce dessein les événements mêmes qui semblent lui être le plus contraires. L'affliction est pour un temps, la consolation est éternelle. Demain, là-haut, quand Dieu essuiera toutes larmes de nos yeux, aucun de nous ne sera tenté de trouver ses consolations trop petites.

Amen.

Grand-Temple, 7 mars 1915,

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