Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VI

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Revenons à nos troupes cévenoles.
En mai 1703, le pape Clément XI lança ses foudres et publia une croisade contre les protestants qu'il appelle « une engeance maudite. » Dans le but d'arrêter la contagion d'une peste si furieuse, dit-il, il veut suivre le louable exemple de ses prédécesseurs dans de pareils cas. Et pour encourager les fidèles catholiques à exterminer cette race maudite de méchantes gens qui, dans tous les âges, ont été en horreur à Dieu et aux rois, il accorde volontiers entière absolution de tout péché à tous ceux qui s'enrôleront dans cette sainte milice.

L'évêque d'Alais publia aussitôt la bulle papale en l'accompagnant d'un mandement dans lequel il exhortait les catholiques, par les entrailles de notre divin Sauveur, à ne donner aucun secours aux protestants, à ne leur fournir ni vivres, ni provisions, mais d'essayer de les exterminer par le fer et le feu. « Ceux qui accompliront ce devoir légitime recevront indulgence plénière pour tous leurs péchés. » Le ciel s'ouvrait tout grand aux assassins des huguenots, car ce qui purifiait de tout péché, ce n'était pas le sang de Jésus-Christ, mais la destruction de ceux qu'on appelait des hérétiques.

La guerre continuait donc avec une énergie et une cruauté plus farouche que jamais. Montrevel ne cessait d'envoyer des prisonniers à Bâville qui les envoyait à la mort.
Ces condamnés moururent héroïquement. L'un d'eux, Jean Vedel, chantait des psaumes en allant en prison. En passant dans les rues de Nîmes, il criait ; « Frères, le temps de la délivrance est arrivé ! Que rien ne vous épouvante ! L'Éternel combat pour vous. »

Devant ses juges, il se mit à genoux, pria avec une grande ferveur, puis il se releva et raconta courageusement qu'il appartenait à la troupe de Roland et qu'il avait combattu pour la gloire de Dieu. « Je suis heureux, ajouta-t-il, de mourir pour aller recevoir une récompense au ciel. Je me moque de tous les supplices auxquels vous pouvez me condamner. » Ces paroles n'étaient pas une simple bravade. Il fut grand et sublime sur l'échafaud comme il l'avait été pendant sa vie.

Bâville et Montrevel ne comprenaient rien à un pareil héroïsme. Les condamnés semblaient renaître et se multiplier.

Les protestants éprouvaient un profond besoin de se réunir pour s'édifier. Ils le faisaient malgré les dangers qu'ils couraient. Un dimanche, l'une de ces saintes assemblées composée en grande partie de vieillards, de femmes et d'enfants s'était réunie à Nîmes. Montrevel l'apprend, il y court avec ses dragons et tombe sur l'assemblée à coups de sabre. Le sang coule abondamment ; les victimes se laissent immoler sans se plaindre. Montrevel trouve que ses soldats ne tuent pas assez vite ; il ordonne de mettre le feu à la maison. Les martyrs poussent des cris affreux et s'efforcent de sortir de la fournaise. Des dragons, le sabre à la main, les immolent à la porte.

Une jeune fille, aidée par le valet de chambre du Maréchal, se sauve à travers les flammes ; elle est arrêtée et mise à mort. Le valet allait être exécuté quand les dames de la Miséricorde obtinrent sa grâce, mais Montrevel le chassa de sa maison. Comment aurait-il pu supporter la vue d'un homme qui avait été ému de compassion !
Quelques catholiques s'amusaient dans un jardin à côté de la maison qui brûlait. Montrevel s'imagine que ce sont des huguenots échappés au massacre : il ordonne de les passer au fil de l'épée malgré leurs cris et leurs protestations. Le tigre était altéré de sang.
Le lendemain, on trouva sous les décombres de la maison brûlée quatre-vingt cadavres.

L'évêque Fléchier ne fit pas entendre une parole de compassion, ni de condamnation. Il trouva tout naturel ces crimes qui déshonoraient son Église. « Ils osèrent même, dit-il, le dimanche des Rameaux, tenir une assemblée dans un moulin, sans aucune précaution, et dans le temps que nous chantions vêpres, chanter leurs psaumes et faire prêche ! Cet exemple était nécessaire pour arrêter l'orgueil de ce peuple. » Comment l'évêque mondain aurait-il pu flétrir ce qui faisait la joie du pape !

La fureur de Montrevel et la bulle du pape amenèrent sur les Cévennes un nouveau déluge de maux. Ce n'était plus la guerre, mais des massacres continuels. Des villages protestants étaient brûlés, leurs populations mises à mort ou envoyées à Bâville qui les faisait exécuter. Les prisons étant toutes pleines, on n'avait plus d'autre ressource que de tuer ceux qu'on arrêtait.




Au milieu de ces horreurs, un homme vivait tranquille en apparence dans son château. C'était François Petit, baron de Salgas. D'un caractère doux et timide, il avait abjuré, des lèvres, mais non de coeur. Sa femme, Lucrèce de Briguac, l'avait imité. Bourrelée de remords, elle résolut de fuir à l'étranger. Un jour que son mari était à la chasse, elle s'échappa et se réfugia à Genève. Dès que le baron sut sa femme à l'abri de tout danger, il s'empressa de la dénoncer à Bâville. Il redoutait d'être arrêté. La peur le rendait lâche. Le 11 février 1703, il assista à une assemblée religieuse à Vébron. Effrayé des conséquences que cet acte pouvait avoir pour lui, il écrivit à Bâville qu'il y était allé par contrainte, et en même temps, il offrit ses services à Montrevel contre ses coreligionnaires.
Sur ses sollicitations, deux chefs cévenols déposèrent les armes. Montrevel parut content et le manda à Nîmes. Effrayé, Salgas n'osa s'y rendre, il s'excusa. Le malheureux fut arrêté, enfermé dans le fort de Saint-Hippolyte, puis à Alais.

Cet homme, jusque-là timide et traître, va devenir un héros. Désormais, il manifestera autant de courage qu'il a montré de lâcheté. Devant les magistrats, il se défendit noblement et fièrement. Il aurait gagné cent fois sa cause, s'il avait eu de vrais juges, au lieu d'avoir des accusateurs décidés à le condamner. Le 27 juin 1708, Montrevel fit rendre un arrêt qui condamnait Salgas aux galères à perpétuité et le dégradait de sa noblesse. Ses biens furent confisqués et son château des Rousses démoli.

Conduit à Cette, on ôta au baron ses habits de gentilhomme pour le revêtir de la casaque des forçats. Désormais, il ramera sur les galères royales. Le vieillard montra dans son infortune une grandeur d'âme qui fit l'admiration de ses gardiens. Dieu devint de plus en plus pour lui la grande réalité. Son caractère se transformait de jour en jour à l'image du caractère de Jésus-Christ.

Un jour, les évêques de Lodève et de Montpellier eurent le triste courage de s'amuser aux dépens de ce noble vieillard. Pour l'humilier, ils demandèrent au capitaine de la galère de faire ramer le malheureux condamné en leur présence. Les prélats se souriaient l'un à l'autre d'un air moqueur pendant que le saint vieillard saisissait la rame de ses mains débiles et en frappait l'eau trois fois. Il allait continuer, quand le surveillant, indigné de la cruauté des prélats, cria :
« C'est assez, à bas les rames. »

Pendant huit ans, le pieux galérien supporta la chaleur du jour, le froid de la nuit et la misérable nourriture qu'il recevait. De jour en jour, son âme, en communion avec Dieu, se purifiait et se fortifiait. La mort de Louis XIV le délivra. En 1716, il eut la joie de retrouver son épouse à Genève. Quelques mois après, Dieu le recueillit dans ses demeures éternelles.

Cependant la guerre continuait. Les Cévenols, privés de maisons et de biens, n'ayant plus rien à perdre, réduits au désespoir, se joignirent tous aux troupes camisardes. Les détachements de Montrevel étaient battus presque toujours. Dans l'hiver 1703 à 1704, ils furent défaits à Nages, aux rochers d'Aubais, à Martignarques et au pont de Salindre. Le colonel de La Jonquière pillait, tuait les protestants de tout âge et de tout sexe. Il cherchait Cavalier, décidé, disait-il, à le poursuivre jusqu'au jour du jugement. Les infortunés habitants de la plaine du Gard, venaient chaque jour raconter leurs détresses au chef camisard. C'étaient les lamentations sans fin d'un père, d'une mère, d'un frère, d'une soeur, dont les parents avaient été tués. Pour arrêter tant de cruautés, il fallait infliger une sanglante défaite aux ennemis. Cavalier rencontra le colonel de La Jonquière aux Devois-de-Martignargues et lui tua plusieurs centaines d'hommes et vingt-quatre officiers. C'est surtout avec des bâtons que les Camisards combattaient. De La Jonquière dut abandonner son cheval pour sauver sa vie. C'était une bête de très grande valeur qui servit à Cavalier pendant trois ans. Les Cévenols n'eurent pas un homme de tué dans cette rencontre, mais deux des leurs, blessés, moururent. Ils s'emparèrent de toutes les armes et munitions abandonnées par leurs ennemis, et ils recueillirent une somme considérable en argent et en or. Quand le lieutenant-général de La Lande arriva avec quinze cents hommes sur le champ de bataille, les Camisards avaient disparu. Il alla pour se consoler, attaquer Roland au Pont-de-Salindres, entre Auduze et Saint-Jean-du-Gard. Les troupes de Roland battirent l'armée royale à coups de pierre. De La Lande dût se sauver tête nue ; il laissa tomber son chapeau et n'eut pas le temps de le ramasser, ce qui amusa fort ses officiers.




Ces victoires n'arrêtaient pas les atrocités. À Saint-André-de-Valborgne, il se passa une scène étrange, horrible. Un grand nombre de protestants, dont les maisons avaient été incendiées, s'étaient retirés à Aussilargues, paroisse de Saint-André. La faim leur fit franchir les barrières qu'on leur avait prescrites. Planque l'apprit, les fit surprendre au lit et conduire à l'église.

Quelques moments après, cinq femmes ou filles franchirent le seuil de l'église.
« Faites votre devoir », dit Planque à ses soldats. Ceux-ci portèrent la main à la poignée de leur sabre.
Deux jeunes filles, l'aînée n'avait pas huit ans, s'écrièrent, en jetant des cris perçants :
« Grâce ! Grâce ! pour notre mère, ne la tuez pas ! Au nom de Dieu, ne la tuez pas. »
La pauvre mère jeta sur ses enfants un regard de tristesse indicible.
« Grâce ! Grâce ! » crient les enfants.
Planque n'est pas touché, mais importuné ; à ses soldats qui hésitent, il dit brutalement :
« Dépêchez-vous. »

Un officier et des soldats emmenèrent la mère ; les deux enfants se jettent alors sur eux, furieuses comme des lionnes, en criant :
« Non, vous ne la tuerez pas ! nous vous l'arracherons ! »

« Une bête sauvage eût compris leurs cris de douleur. Planque ne les comprit pas ; la mère fut assassinée sous les yeux de ses enfants. Quelques moments après, il y avait trente victimes qui gisaient par terre, baignées dans leur sang. On ne daigna pas même leur donner un coin de terre pour y reposer en paix, c'eût été trop de peine et d'honneur ; on les jeta comme des chiens immondes, dans le Gardon, qui les emporta dans sa course rapide et les déposa le long de ses bords, où elles furent rongées par les oiseaux de proie et dévorées par les bêtes sauvages (1). »

Impuissant à vaincre et à soumettre les Camisards, Montrevel reçut du ministre d'État Chamillard une lettre très sévère et fut rappelé. Avant de partir, il infligea à Jean Cavalier une sanglante défaite, près de Nages. Le chef camisard fut trahi par un de ses espions et tomba dans un piège que lui tendit le Maréchal. Jamais la vie de Cavalier n'avait encore couru de si grands dangers. Après examen de la situation, il comprit qu'il n'avait plus à attendre que la mort. Le combat fut si acharné, si sanglant, et les soldats se serraient de si près qu'ils se prenaient aux cheveux et se tuaient à coups de baïonnette. Nous ne raconterons pas les détails de cette lutte acharnée d'où Cavalier sortit presque miraculeusement vivant, mais il avait perdu dans ce jour infortuné, en une seule fois, plus d'hommes que dans tous les combats précédents - quatre cents soldats cévenols, dit le chef huguenot, six cents. dit Bâville, restèrent sur le terrain.

Un second malheur suivit ce premier. Quelques traîtres informèrent le général La Lande que les Camisards avaient leurs magasins, munitions et hôpitaux dans les bois, et par la terreur on obligea une vieille femme à tout révéler. Les soldats ennemis découvrirent d'abord l'hôpital avec douze blessés qu'ils massacrèrent, puis les magasins d'armes et de munitions dont ils s'emparèrent, et les moulins à poudre qu'ils mirent en pièces. C'était, pour les Cévenols, la ruine. Peut-on s'étonner qu'un jeune homme de 22 ans, qui luttait depuis longtemps, se soit découragé et ait prêté l'oreille à des propositions de paix ?




Le Maréchal de Villars, qui succéda à Montrevel comme général en chef des troupes qui luttaient contre les Camisards, était un des meilleurs généraux de Louis XIV, Aussi habile diplomate que grand capitaine, il fit faire des propositions de paix au chef camisard, Puis il l'invita, le 16 mai 1704, à venir à Nîmes.

Les protestants, qui croyaient au rétablissement de l'Édit de Nantes, pleuraient de joie. Cavalier arriva à Nîmes, salué par une population enthousiaste. Tout le monde voulait voir ce jeune héros qui traitait avec le plus grand roi de la terre.

L'entrevue eut lieu dans le jardin des Récollets. Bâville, Villars et La Lande reçurent Cavalier et s'entretinrent avec lui.
Le chef camisard entendit des paroles flatteuses, mais peu de promesses précises. Villars l'invita à mettre ses demandes par écrit et qu'il les enverrait à la Cour. En attendant la réponse, les hostilités furent suspendues et la liberté de conscience accordée.

Les protestants étaient dans une grande joie ; ils voyaient en Cavalier le restaurateur de leur culte. Sans crainte des dragons, on lisait la Parole de Dieu, on chantait, on prêchait, on célébrait la sainte Cène. C'était une résurrection. Une ère de liberté commençait.
Voilà ce que pensait le peuple. C'était une illusion.

La réponse de la Cour fut très peu satisfaisante. La liberté de conscience était accordée, mais non la permission de rebâtir des temples. Les galériens pour la foi devaient être mis en liberté dans les six semaines et les exilés pour cause de religion pouvaient rentrer en France avec promesse d'être remis en possession de leurs biens.

Le Maréchal et Bâville signèrent ce traité au nom du roi ; Cavalier et son lieutenant Billard le signèrent au nom des Camisards.
Tout n'était pas fini. Roland refusa de signer le traité. « Tu es fou, dit-il à Cavalier, tu oublies que je suis ton chef ; tu as trahi tes frères et tu devrais en mourir de honte ! Je ne veux plus avoir affaire avec toi, car tu n'es plus qu'un vil agent du Maréchal. Va lui dire que je suis résolu à mourir l'épée à la main jusqu'à l'entier rétablissement de l'Édit de Nantes. »

Roland finit pourtant par accepter que Salomon Couderc allât avec Cavalier trouver Villars pour demander une amélioration du traité qui le rendit acceptable. À Nîmes, Cavalier fit son rapport à Villars, lui déclarant que le seul moyen de ramener Roland à la raison était d'exécuter fidèlement le traître. Le Maréchal parut très inquiet et fâché. Puis Salomon Couderc prit la parole.

Le prophète cévenol ne se laissa pas intimider par le Maréchal de Villars entouré de Bâville et de La Lande. Il parla avec le courage d'un croyant qui n'a d'autre crainte que la crainte de déplaire à Dieu. « En échange de notre soumission, dit-il, nous voulons le rétablissement de l'Édit de Nantes. »

Villars étonné s'emporta. Il se sentait en face d'un homme plus grand moralement que lui et il était humilié.

Salomon demeura ferme. Il quitta Villars sans lui donner la lettre de Roland. Le lendemain, il demanda à La Lande de vouloir bien la lui remettre en lui disant : « Général, sans liberté de conscience, point de paix. »
- « Il serait cependant temps, après vos échecs multipliés, de vous rendre, lui répondit d'un ton brusque La Lande, dépêchez-vous. »

Le prophète garda une attitude royale. Regardant fixement La Lande, il lui dit : « Les défenseurs ne manqueront pas à l'Éternel. Je monterai sur la montagne et douze mille hommes se lèveront à ma voix. »

La Lande porta au Maréchal la lettre de Roland. Le chef des enfants de Dieu demandait la délivrance des prisonniers et des forçats, la restitution des biens confisqués, la diminution des impôts et le rétablissement de l'Édit de Nantes.

En quittant le Maréchal, Cavalier s'était dirigé vers Calvisson où il arriva le 28 mai. Ses soldats l'attendaient avec une vive impatience. Quant à lui, il éprouvait un grand malaise. Sa conscience ne lui donnait plus de repos. Ravanel alla au-devant de lui avec ses principaux officiers.
- « À quelle condition as-tu traité ? » lui dit-il.

Cavalier donne une réponse évasive.
Son lieutenant insiste.
- « On prépare les habits », répond Cavalier, il faut aller en Portugal.

En entendant ces paroles, les officiers sont consternés et lui crient : « Lâche ! traître ! tu nous as vendus. » Et ses soldats l'accueillent avec des huées.
Un Camisard, ému de pitié, plaide la cause de son ancien chef. « Frères, dit-il, vous traitez Cavalier comme un larron et un brigand ; il faut lui pardonner s'il a mal fait dans le passé ; dans l'avenir il fera mieux. »

Les soldats cévenols ne l'écoutent pas et poursuivent leur route ; Cavalier les suit et tente un dernier effort au moment où on le couche en joue : « Qui m'aime me suive », s'écrie-t-il en pleurant.
Ces larmes, cette voix tant aimée émeuvent quelques Camisards qui s'arrêtent, hésitent, rompent les rangs et se joignent à leur chef.

Ravanel et sa troupe, indignés de ce qu'ils regardent comme une désertion, continuent leur marche en criant : « Vive l'épée de l'Éternel. »




Dans ses Mémoires de la guerre des Cévennes, Cavalier passe à peu près sous silence tous ces faits. Sa situation était horriblement difficile. Il n'avait avec lui qu'une quarantaine d'hommes qui le suivaient par affection plus que par conviction. Il n'osait ni retourner au camp des enfants de Dieu où il était regardé comme un traître, ni se présenter devant Villars aux yeux duquel il n'avait plus de valeur. Il lui avait promis la soumission des Camisards et ceux-ci étaient plus que jamais décidés à lutter et à verser leur sang pour conquérir la liberté de conscience. Découragé il se retira à Gardès où le baron d'Aigaliers vint le trouver. « Le Maréchal est content de vous, lui dit-il, il ne doute pas de votre fidélité. »

En réalité, Villars était fort embarrassé ; il avait le coeur navré. Il avait écrit à la Cour que la guerre était finie et tout était à recommencer. Son roi orgueilleux et puissant, tant de fois vainqueur de l'Europe, ne pouvait vaincre une poignée de paysans.

Cavalier était encore plus malheureux. L'inquiétude le rongeait. Toutes les promesses qui lui avaient été faites étaient violées. Quant à lui, il était prisonnier et on se proposait de l'enfermer dans la forteresse de Brisach. Il le comprit à temps, s'évada avec ses hommes et arriva à Montbéliard, d'où il se dirigea vers Lausanne. En arrivant, il se rendit à la cathédrale pour bénir Dieu qui les avait délivrés, ses fidèles soldats et lui, des griffes de leurs ennemis. C'était le 1er Septembre 1704. Le chef camisard ne devait jamais revoir ses chères Cévennes. Il avait 23 ans.

Prenons ici congé de lui. Il arrivait en Suisse, d'où il se rendit en Hollande, puis en Angleterre, précédé d'une immense réputation. Sa fière résistance à Bâville et à deux maréchaux de France, ses négociations avec Villars avaient fait de lui un héros. Ses admirateurs étaient souvent déçus en le voyant.
Il avait gardé un air paysan, il était petit et semblait avoir 18 ans.

Sa mission héroïque était terminée. Réfugié en Irlande, il fit un mariage malheureux. À l'âge de 57 ans, il évoquait dans une lettre les jours lointains de la guerre des Cévennes et il citait les vers d'un psaume qu'il avait souvent chanté, à l'heure des batailles, avec ses Camisards :

Ah ! souviens-toi d'un peuple racheté
Qui de tout temps t'échut en partage,
Et du saint Mont qui fut son héritage
Que l'on a vu par toi-même habité.
Hâte tes pas, viens confondre à jamais
Ses ennemis.

Le vieux guerrier « qui était un grand général par le seul don de la nature », était aussi, malgré ses fautes, un grand chrétien, un inspiré. Il mourut à l'âge de 58 ans à Chelsea, dans le comté de Middlesex, en Angleterre, en 1740. Il était gouverneur de l'île de Jersey.


(1) P. PUAUX : Histoire de la Réformation, tome 6. 
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