Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE V

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 En 1703, le peuple protestant en France était dans un état lamentable. Presque toutes les grandes familles de la noblesse avaient disparu du protestantisme depuis longtemps une partie de la bourgeoisie avait abdiqué.

À la révocation de l'Édit de Nantes, presque un tiers des pasteurs avaient abjuré et deux tiers avaient pris le chemin de l'exil, dépouillés de leurs biens, privés de leurs enfants âgés de plus de sept ans. On les leur prenait pour les enfermer dans des cloîtres ou dans des prisons, et pour corrompre leurs âmes tendres par des instructions et des exemples d'erreur et d'idolâtrie. Il fallait une foi très grande pour accepter un tel sacrifice.

Quant au peuple protestant, il fit en grande partie semblant de se convertir au catholicisme. En 1685, un million de huguenots passa extérieurement à l'Eglise romaine. Nos grandes cités protestantes : Nîmes, Montpellier, Montauban, firent semblant de se convertir pour n'avoir pas à loger des dragons. Le relâchement de la piété et des moeurs était très grand. C'est pourquoi « cette chute si générale ne m'étonna point, écrivait le pasteur Jurieu. La lâcheté universelle avec laquelle on donna les signatures, était une suite naturelle de cette malheureuse mondanité à laquelle vous vous étiez laissés entraîner. »

Cependant il se produisit un réveil chez un grand nombre sous l'influence des prédicants d'abord, des prophètes ensuite. Quand tout manquait du côté des hommes, Dieu envoya à son peuple des inspirés qui prêchèrent avec force la repentance et la guerre sainte.

Depuis plus d'un an, ils luttaient contre des armées très supérieures en nombre et en ressources. Leurs regards se tournaient depuis longtemps vers leurs frères de l'étranger auxquels ils avaient adressé de nombreux appels, en leur montrant leur indigence, leur faiblesse, leur besoin d'être secourus et en leur traçant le tableau de leurs longues souffrances, de leur patience, de leur soumission, puis enfin de l'absolue nécessité de l'insurrection.

« Ce n'est point ici, disaient-ils, une révolte ni une rébellion contre notre roi ; nous lui avons toujours été soumis et fidèles, et on a vu pendant tout le traitement qu'on nous a fait, une obéissance si profonde qu'elle a été en admiration à toute la terre ; mais c'est un droit, de la nature qui nous oblige en conscience de nous armer, pour repousser la force ; autrement nous serions complices de nos propres malheurs, traîtres à nous-mêmes et à notre patrie.

« Nous savons que notre pauvre France est désolée et ruinée dans toutes ses provinces, que les peuples y crient et gémissent sous l'oppression, et que la justice et la bonne foi sont bannies. Nous ne voyons plus partout que violences, et nous ne savons pas qui gouverne la France ; nous n'y comprenons plus rien ; car jamais un bon roi, comme le nôtre, n'a pris plaisir à détruire ses sujets innocents, ni à les perdre, ni à les massacrer, parce qu'on les trouve priant Dieu dans leurs maisons ou dans des trous de terre. Peut-on inspirer à un roi la résolution de devenir l'ennemi d'un peuple dont il avait juré d'être le père et le protecteur ?

« Nous voyons tous les préparatifs de guerre qu'on fait contre nous, et que le Maréchal de Montrevel nous menace d'un grand nombre de troupes réglées pour nous détruire. Notre résolution et notre intrépidité ont, jusqu'à présent, déconcerté nos ennemis ; nous ne serons pas épouvantés de leur grand nombre ; nous les poursuivrons partout, sans pourtant faire du mal à ceux qui ne nous en veulent pas ; mais nous ferons de justes représailles contre les persécuteurs en vertu de la loi du talion, ordonnée par la Parole de Dieu et pratiquée par toutes les nations du monde ; et nous ne mettrons jamais bas les armes que nous ne puissions professer publiquement notre religion, pour faire revivre les édits et les déclarations qui en autorisaient le libre exercice. »

Ces plaintes si émouvantes, qui auraient dû rendre les États protestants conscients de leur solidarité et de leur responsabilité à l'égard de leurs frères de France, furent stériles.

La Cour de Louis XIV connaissait ces appels au secours adressés par les Cévenols aux Anglais et aux Hollandais ; elle en instruisit le Maréchal de Montrevel et Bâville. C'est alors que celui-ci fit à la Cour d'atroces propositions pour détruire par le fer et le feu tous les huguenots. Il s'agissait pour affamer les Cévenols et leurs familles, de faire des Hautes-Cévennes un désert en détruisant par l'incendie quatre cent soixante villages et hameaux. La Cour n'accepta que partiellement cette proposition.

Le Maréchal commença sa sinistre tragédie en brûlant Saint-Bauzeli et Souzet, deux bourgs à une lieue de Nîmes. En même temps, il donnait ordre à la garnison de Sommières de brûler tous les villages des environs. Canne, Serignac, Mandazel et Podignan furent réduits en cendres. Comme représailles, Cavalier fit dire à Montrevel que pour chaque village protestant brûlé, il mettrait le feu à deux villages catholiques, et il mit le feu aux faubourgs de Sommières, puis aux villages de Saint-Sériès et de Sauvigniarques ; Julien reçut l'ordre de brûler soixante bourgs ou villages, tous habités par des protestants, pendant que son collègue, le brigadier Planque, avec ses huit régiments d'infanterie et ses dix compagnies de misquelets, brûlait et détruisait tout ce qu'il trouvait sur son chemin. Du côté d'Uzès, les catholiques avaient pris les armes et tombaient sur les protestants, pillant et incendiant, puis tuant tous ceux qu'ils trouvaient.

Les Camisards étaient dans une grande consternation. Les incendies les privaient de tout moyen d'avoir des vivres. Les familles protestantes étaient aussi dans une horrible détresse. Tout leur manquait. Ce pauvre peuple affamé et persécuté serait tombé dans le désespoir sans les inspirations et les révélations de ses prophètes.

Dans ces circonstances tragiques, les officiers cévenols et leurs troupes montrèrent une grandeur d'âme extraordinaire et un courage surhumain. Roland attaqua la garnison de Genolhac et la passa au fil de l'épée. Cavalier se rendit du côté de Sommières et de la Vaunage pour protéger les huguenots qu'on voulait tous mettre à mort. À Nages, il convoqua à un culte le dimanche, les protestants du voisinage.

Plus de mille personnes y vinrent. Le curé Terrien, de Montprézat, avait averti le gouverneur de Nîmes qu'une assemblée était convoquée. Le colonel de Firmacon vint aussitôt avec une armée. Il trouva cinq à six cents soldats huguenots et deux mille hommes et femmes assemblés pour entendre la prédication de l'Évangile.

Le combat ne dura guère qu'une demi-heure. Les femmes montrèrent une très grande vaillance ; elles encouragèrent les hommes, prirent elles-mêmes des pierres et se battirent courageusement. Jamais le sexe faible ne montra plus d'énergie. Les mères aidaient leurs fils et les femmes leurs maris à combattre. Une jeune fille de dix-huit ans, Lucrèce Guignon, dite la Vivaraise, assise sur le penchant de la montagne, criait : Courage, vive l'épée de l'Éternel ! Puis elle sauta sur un mur, avec un sabre qu'elle avait pris à un dragon blessé, et elle taillait en pièces les ennemis avec une audace admirable. On se battait au chant des psaumes en criant : « Vive Dieu et notre bon Roi. Fin du clergé. »

Le Maréchal accourut avec un corps d'armée de dix mille hommes pour s'emparer de Cavalier qu'il ne put trouver. Il en était désespéré. Il écrivit à Chamillart le 4 décembre 1703 - « Ni vous, ni moi n'avons jamais rien vu de si singulier et de si extraordinaire que la conduite de ces enragés. Ne regardez pas cette diabolique révolte comme vous la regardez. Je ne peux pas promettre au Roi de détruire cette canaille, parce que, pour les détruire, il faut les trouver, et pour les trouver il faut qu'ils le veuillent, car quand ils ne le veulent pas, cela est absolument impossible, parce que tout le pays est pour eux. »

Cependant le brigadier Julien continuait à brûler les villages et les bourgs des Hautes-Cévennes où ne se trouvaient même plus d'habitants. Un autre officier papiste, encore plus cruel, écrivait à Chamillart : « Je fis passer par les verges jusqu'au sang quatre femmes ou filles qui avaient été plusieurs fois entendre prêcher la Blonde, fameuse prophétesse parmi les rebelles. » Pour lui, ce n'était pas assez de faire fouetter des femmes, il les faisait tuer sans jugement. Il écrivait au ministre de la guerre ; « Après avoir fait casser la tête à trois Camisards le matin, je fis le même soir tuer cinq femmes ou filles fanatiques ou prophétesses qui moururent fermes dans leur religion, sans vouloir entendre les raisons que le prêtre leur disait. »

Un monstre de cruauté, le capitaine La Rose, fit fusiller un jour une trentaine de personnes, sans épargner les femmes et les enfants. Il incendia ensuite quatre villages, commettant mille espèces de barbarie et insultant le sexe faible.

Entre Nîmes et Uzès, une troupe de scélérats papistes qui avait pris le nom de Cadets de la Croix-Blanche et qu'on appelait aussi Camisards blancs, avait reçu l'ordre de s'emparer des troupeaux et des biens des protestants et même de les tuer sans miséricorde.
Ils commettaient les pires atrocités, massacrant hommes, femmes et même les enfants au sein de leurs mères. Cavalier les battit dans une rencontre. Un grand nombre fut tué, les autres se dispersèrent. Une troupe de scélérats qui accomplissait les mêmes exploits du côté de Saint-Ambroise et de La Salle fut aussi taillée en pièces par les Camisards.
D'autres brigands se rendaient coupables des mêmes violences du côté de Nîmes ; Catinat alla en débarrasser le pays.

À Gaverness, près d'Aubois, soixante Cévenols, sans armes, avec des frondes, comme de nouveaux David, firent pleuvoir un tel déluge de pierres sur un détachement de dragons, qu'ils le mirent en fuite. Ces dragons restaient toujours la terreur des familles protestantes.
Peut-on se représenter l'affreuse misère de ces populations huguenotes et de ces armées camisardes !

« Qui la racontera, cette guerre ? s'écrie notre grand historien Michelet. Et le peut-on ? Voilà encore un côté sombre et désolant de l'affaire des Cévennes. Non, on ne peut plus la conter. Elle est presque autant impossible, enfouie et perdue sous la terre, que celle même des Albigeois. Les perfides récits des bourreaux ont menti, obscurci, tant qu'ils pouvaient. Et les récits protestants n'éclaircissent pas ; ce sont ceux des ministres, ennemis des fanatiques. »

Et Michelet a malheureusement raison. Antoine Court même ne rend pas justice aux Camisards et aux prophètes cévenols. Les pasteurs de Londres se montrent injustes à leur égard. À toutes les époques, le prêtre a été l'ennemi du prophète, l'homme de la lettre ne comprend pas l'homme de l'Esprit.

Les Hautes-Cévennes étaient un désert et pourtant la guerre continuait malgré les cruautés de plus en plus affreuses de Montrevel. Il fut assez barbare pour envoyer la prétendue tête de Jean Cavalier à son père et à sa mère, emprisonnés tous deux à Alais. Bâville annonça qu'il donnerait mille pistoles à celui qui lui apporterait la vraie tête du chef camisard.

Impuissant sur le champ de bataille, le Maréchal essaya de réussir en faisant mourir de faim les Camisards. Dans ce but, il ordonna aux habitants de la contrée, catholiques et protestants, d'apporter leurs provisions, dans les villes fortifiées. Blés, seigles, orges, froments et châtaignes devaient être apportés. Le fourrage qu'on ne pourrait enlever devait être brûlé. Quiconque garderait des provisions chez lui pour plus de quinze jours serait regardé comme rebelle.

Dès qu'ils eurent connaissance de ces ordres, les chefs cévenols s'emparèrent de tout le blé et de tout le vin qu'ils purent trouver chez les fermiers et le tirent transporter dans les magasins qu'ils avaient dans les cavernes des montagnes. Grâce à ces provisions, ils purent vivre une année, tout en subvenant aux besoins des femmes et des enfants protestants.

Les catholiques étaient presque aussi malheureux, au point de vue matériel, que les protestants. Faute de vivres, Ils durent bientôt quitter leurs maisons et leurs biens pour se retirer dans, les villes. Là, les officiers faisaient la distribution de nourriture à chaque famille. À son arrivée dans les Cévennes, le Maréchal de Villars fut effrayé de la disette qui régnait ; Il écrivait en août 1704 à Chamillart : « Je trouve qu'au lieu d'affamer les Camisards, plusieurs de nos petites villes sont réduites à la dernière extrémité et j'ai une lettre des habitants de Saint-Etienne, dans les Cévennes, déclarant qu'ils sont réduits à manger les chiens. » Il y eut une telle disette qu'à Alais on resta six mois avant de pouvoir se procurer du sel. Le bois et le fourrage manquaient, les terres demeuraient incultes, les habitants n'osant pas sortir des villes. Il est plus facile, de raconter ces détresses que de les réaliser d'une façon vivante.

Jamais les protestants n'auraient supporté tous leurs maux sans les inspirations et les révélations de leurs prophètes. Elles étaient leur lumière, leur joie, leur force, leur consolation, leur nourriture. Si le repas servi par un ange au prophète Elie lui donna la force de marcher quarante jours et quarante nuits jusqu'à la montagne de Dieu à Horeb, le repas spirituel que Dieu servait à son peuple persécuté, par le moyen des inspirés, le rendait capable de marcher vaillamment dans le désert de ce monde. On ne peut comprendre la révolte des Cévenols, la persévérance de ces hommes et de ces femmes, cette lutte d'un peuple faible contre un roi tyran très puissant, la fidélité des galériens et des prisonniers, qu'à la lumière de l'Esprit de prophétie.

Claude Brousson, le célèbre pasteur du désert, l'homme de foi et de réveil qui mourut martyr, parle des prophètes cévenols avec un saint enthousiasme. Il n'eut pas voulu, dit-il, pour des millions, être privé du privilège d'avoir été témoin de si grandes choses. Il composa un écrit dans lequel il racontait ce qu'il avait vu et entendu. Malheureusement, cet écrit est perdu. Il écrivait à un ami :
« La Providence divine m'a fait passer, contre mon intention, dans un pays qui semblait abandonné ; mais où j'ai vu, ouï, appris, par un très grand nombre de témoignages indubitables, de si grandes merveilles qu'elles feront le sujet de l'étonnement et l'admiration de toute la terre, et celui de la consolation et de la justification de Monsieur Jurieu et de ses semblables. Il y a des gens qui ont travaillé à ensevelir les merveilles de Dieu ; mais Dieu saura bien les faire connaître. »

Il est de notre devoir, à nous protestants français, de ne pas laisser dans l'oubli ces merveilles de Dieu. Recueillons donc encore les témoignages des hommes qui ont expérimenté et vu ces faits surnaturels rapportés dans le Théâtre sacré des Cévennes.

Écoutons le témoignage d'Elie Marion :
« Le premier jour de l'année 1703, comme nous étions retirés, la famille et quelques parents pour passer la journée en prières et autres exercices de piété, l'un de mes frères reçut une inspiration ; et, quelques moments après, je sentis tout-à-coup une grande chaleur, qui me saisit le coeur et qui se répandit par tout le dedans de mon corps. Je me trouvai un peu oppressé, ce qui me forçait à faire de grands soupirs ; je les retenais tant qu'il m'était possible à cause de la compagnie. Quelques minutes après, une puissance à laquelle je ne pus résister davantage s'empara de moi et me fit faire de grands cris, entrecoupés par de grands sanglots, et mes yeux versèrent des torrents de larmes. - Je fus alors violemment frappé par une idée affreuse de mes péchés, qui me parurent noirs et hideux, et en nombre infini. Je les sentais comme un fardeau qui m'accablait la tête, et plus ils s'appesantissaient sur moi, plus mes cris redoublaient et mes pleurs. Ils me remplirent l'esprit d'horreur, et dans mon angoisse, je ne pouvais ni parler, ni prier Dieu. Toutefois, je ressentais quelque chose de bon et d'heureux, qui ne permettait pas à ma frayeur de se tourner en murmure ni en désespoir. Mon Dieu me frappait et m'encourageait tout ensemble. Alors, mon frère retomba dans une seconde extase, et dit à voix haute que c'étaient mes péchés qui me faisaient souffrir. Et, en même temps, il se mit à en faire une longue énumération et à les représenter devant toutes les personnes qui étaient là, comme s'il les avait vus ou lus dans mon coeur ; je n'aurais pu faire moi-même un portrait plus juste de mon propre état.

Dès qu'il eut achevé cet épouvantable tableau, sans en rien oublier, et en insistant sur les péchés qui affligeaient le plus mon esprit, je me trouvai beaucoup soulagé. Quelque calme étant ainsi survenu, mon fardeau s'allégea aussi, et je goûtai avec une grande joie la liberté qui me fut rendue de pouvoir élever mon coeur et ma voix vers Dieu. Je profitai de ce temps heureux et je ne cessai d'implorer la grâce de mon Père céleste qui, selon sa clémence infinie, parla aussi de paix à mon coeur et essuya les larmes de mes yeux. Je passai doucement la nuit, niais, à mon réveil, je tombai dans des agitations semblables à celles qui, depuis ce temps-là jusqu'à présent, m'ont toujours saisi dans l'extase et qui furent accompagnées de sanglots très fréquents. Cela m'arriva trois ou quatre fois par jour, pendant trois semaines ou un mois, et Dieu me mit au coeur d'employer ce temps-là en jeûnes et en oraisons. Plus j'allai en avant, plus ma consolation s'augmenta, et enfin, loué soit mon Dieu, j'entrai en possession de ce bienheureux contentement d'esprit qui est un grand gain. Je me trouvai tout changé. Les choses, qui m'avaient été les plus agréables, avant que mon Créateur m'eût fait un coeur nouveau, me devinrent dégoûtantes et même insupportables. Et enfin ce fut une nouvelle joie pour mon âme, lorsqu'après ce mois d'extases muettes, si je puis les appeler ainsi, il plut à Dieu de délier ma langue et de mettre sa parole en ma bouche.
Comme son Saint-Esprit avait mû mon corps, pour le réveiller de sa léthargie et pour en terrasser l'orgueil, sa volonté fut aussi d'agiter ma langue et mes lèvres, et de se servir de ces faibles organes selon son plaisir. Je n'entreprendrai pas d'exprimer quelle fut mon admiration et ma joie, lorsque je sentis et que j'entendis couler de ma bouche un ruisseau de paroles saintes, dont mon esprit n'était point l'auteur, et qui réjouissaient mes oreilles. Dans la première inspiration que Dieu m'envoya, en déliant ma langue, son Saint-Esprit me parla en ces propres termes : Je t'assure, mon enfant, que je t'ai destiné pour ma gloire, dès le ventre de ta mère. Heureuses paroles qui seront gravées dans mon coeur, jusqu'au dernier soupir de ma vie. Ce même esprit de sagesse et de grâce, me déclara aussi qu'il fallait que je prisse les armes, que je me joignisse à mes frères, qui depuis environ six mois combattaient vaillamment pour la cause de Dieu. Je partis donc de la maison de mon père au commencement du mois de février, et j'allai au désert m'enrôler dans une troupe de soldats chrétiens, que j'ai eu l'honneur de commander quelque temps après.

« Vers le temps de Pâques 1703, la troupe du frère Castanet se joignit à celle d'Abraham Mazel. Salomon Couderc (qui commandait avec Abraham Mazel), l'un de nos plus excellents prédicateurs, et qui avait reçu d'autres grands dons, eut ordre, par inspiration, de purifier ces deux troupes unies, dont plusieurs s'amusaient à de certaines manières mondaines, et dont quelques autres avaient désobéi à des commandements qui leur avaient été faits. L'Esprit ordonna au frère Salomon de faire arranger cette troupe par lignes (elle était de 4 à 500 hommes) et de mettre à part ceux qui lui seraient indiqués intérieurement. Alors Salomon, saisi de l'Esprit, marcha avec des agitations, les yeux ouverts ; et comme il envisageait chaque homme, de rang en rang, il recevait des avertissements secrets qui lui faisaient connaître ceux qui devaient être rejetés. Il les tirait du rang, et ils s'allaient mettre ensemble dans un lieu qui leur avait été marqué. Les pauvres gens obéissaient, en fondant en larmes, et allaient se jeter les genoux en terre, à l'endroit où on les conduisait. Il y en eut 60 ou 70 qui furent ainsi rejetés. Comme j'avais déjà quelque commandement dans la troupe, je ne fus pas dans l'obligation de me mettre au rang de ceux qui devaient être ainsi mis au creuset, et je m'estimai heureux de pouvoir me garantir de cette terrible épreuve ; car lorsque Salomon eut ordre de le faire, j'en fus effrayé et j'en tremblai tout. Je me tins donc un peu à l'écart, avec un bon serviteur de Dieu, que nous appelions le Cadet Mallié, et quelques autres, et nous nous mimes là en prières.
Salomon, toujours rempli et mû de l'Esprit, dit beaucoup de choses touchantes à ceux dont la bonne conduite avait été récompensée. Et, un moment après, suivant un ordre secret qu'il reçut de l'Esprit, il commanda que ceux qui avaient été rejetés, s'approchassent : toute l'assemblée étonnée fondit en larmes. Il leur adressa de fortes censures, la grande vertu continuant d'opérer en lui ; il leur fit de pressantes exhortations, après quoi il leur déclara la bonne nouvelle que le sacrifice de leur coeur froissé avait été agréable à Dieu, et qu'ils étaient reçus en grâce. Chacun se réunit dans son rang en versant des larmes de joie, et Salomon fit une admirable prière.

« J'ai dit que j'avais été extraordinairement ému de cet acte si terrible et si solennel. Pendant que tout cela s'était fait, j'avais été toujours prosterné devant Dieu, implorant sa miséricorde, afin que je ne fusse jamais du nombre des malheureux rejetés. Comme Salomon finissait sa prière, je fus saisi de l'Esprit qui me fit prononcer diverses choses ; et mon âme étant toujours frappée des mêmes idées, je répandis des larmes de sang en abondance. Le sang était vermeil comme s'il eût sorti de mes veines. Il en coula sur mon habit et sur mon fusil, et même jusqu'en terre. Ces pleurs extraordinaires furent versés dans la détresse de mon esprit. Cela arriva en présence d'un grand nombre de personnes, en plein midi, dans un lieu appelé les Vernèdes.

« Comme j'étais avec frère La Valette, qui avait de grands dons, et entre autres, celui de la prédication, il eut un ordre secret de donner la sainte Cène. Mais dans les réflexions qu'il faisait sur un acte si solennel et si auguste, il était effrayé de son indignité. Hélas ! mon Dieu ! disait-il, qui suis-je moi ? Je n'oserais entreprendre une chose si fort au-dessus de mon état, j'en suis incapable et indigne. Comme il était ainsi travaillé de doutes, l'Esprit me saisit en m'agitant beaucoup et découvrit ses pensées, me faisant prononcer d'une voix ferme que la volonté de Dieu était que son serviteur exécutât ses ordres et qu'il consolât son peuple selon le commandement qu'il en avait reçu. Après cette seconde déclaration, nous nous mîmes promptement en devoir d'obéir. Et comme nous ne savions pas la manière dont on célébrait cette sainte cérémonie, nous consultâmes des personnes expérimentées. Le frère La Valette présenta le pain et le vin au peuple, et moi je mettais la coupe entre ses mains. Nous eûmes un grand nombre de communiants.

C'était une chose admirable de voir tous ces pauvres chrétiens affamés et altérés de la pâture céleste, qui venaient à la sainte table, avec une contenance dévote, le visage arrosé de larmes de contrition et de joie tout ensemble. Si on savait chez les étrangers ! Si ceux qui nous insultent étaient informés de l'état naturel des choses ! Mais la volonté du Seigneur soit faite ! Nous eûmes des sermons excellents, avant et après la communion ; car Dieu mettait des choses admirables sur ce sujet en la bouche de ses serviteurs. Nous ne perdions pas un seul mot de tout ce qu'ils prononçaient et je ne doute pas que Dieu ne disposât le terrain de nos coeurs en même temps qu'il y semait sa Parole.

« Après l'exhortation du soir qui fut faite par le frère Mouline, je reçus une inspiration dans laquelle l'Esprit me fit prononcer ces divines paroles, entre autres : Je te dis, mon enfant, je t'assure que les anges se sont réjouis au ciel de votre journée. Aussi fut-ce pour nous une journée de louange et de joie.

Depuis ce temps-là, nous continuâmes de distribuer la Sainte-Cène du Seigneur de trois en trois mois, dans les assemblées, deux dimanches de suite. Le frère Abraham y faisait une fonction extraordinaire. L'Esprit lui avait ordonné, par une inspiration, de se tenir debout, proche de la table, le visage tourné vers l'assemblée, et d'arrêter ceux qui approcheraient sans s'être suffisamment préparés (selon qu'il lui serait donné à connaître), en les exhortant de s'en aller prier et de revenir recevoir la consolation qu'ils cherchaient. Comme ces paroles leur étaient dites en douceur et charité fraternelle, aussi étaient-elles reçues en grande humilité, comme un encouragement et une aide à la piété de ces braves gens. Ils se détournaient en pleurant, ils allaient se prosterner devant Dieu et lui demander par des soupirs qui ne se peuvent exprimer des grâces qui leur étaient accordées. Ils revenaient consolés et on les recevait.

« Aussitôt que les ennemis eurent appris que j'avais quitté la maison de mon père et que je m'étais joint aux Camisards, comme on les appelait, ils observèrent de très près toutes les personnes de la famille, et ce n'était pas sans quelque raison ; car effectivement mon père et mon frère P. étaient fréquemment occupés à nous apporter des vivres et d'autres choses. Mais l'Esprit saint qui visitait fort souvent mes frères, les avertissait de tout et veillait pour toute la maison. Comme il y avait garnison dans le bourg, personne n'en pouvait sortir sans rencontrer quelque sentinelle ou quelque corps de garde, et ces gens-là fouillaient presque toujours ceux qui sortaient. Mais, par une assistance particulière de Dieu, aucun de ceux de notre famille n'a jamais été surpris : il n'y allait pas de moins que de la vie.

« Soit qu'ils eussent dessein de venir à nous qui étions dans la troupe, soit qu'ils voulussent aller aux assemblées, leur méthode constante était de consulter l'Esprit de Dieu, qui, par sa miséricorde, entretenait une si douce communication avec eux, par les inspirations qu'il accordait à mes frères, que comme ils n'entreprenaient jamais rien sans avoir demandé humblement conseil, aussi obtenaient-ils toujours une réponse favorable. Allons, mes enfants, disait mon père, allons, demandons à Dieu qu'il lui plaise de nous faire connaître sa volonté. Aussitôt, les jeunes gens se mettaient en prière, et lui avec eux ; l'Esprit tombait incontinent sur eux ou sur l'un d'eux, et les paroles qu'ils prononçaient étaient des oracles certains. Dès qu'ils avaient assuré, dans l'inspiration, qu'il n'y avait rien à craindre, on ne craignait rien, et on entreprenait tout. Cela est arrivé cent fois ; mais j'en rapporterai un exemple mémorable.

« Après que mon frère Pierre eut aussi pris les armes (ce qu'il fit par inspiration), mon père devint plus suspect que jamais aux persécuteurs. Et même, comme ils avaient de violents soupçons contre lui, ils résolurent de le faire mourir sans forme de procès. Le nommé Campredon, seul délégué de l'intendant Bâville, se mit dans l'esprit (ou en fit semblant) que mon père avait pris des mesures avec nous, pour nous livrer la garnison de Barre, notre bourg, qui était d'environ quatre cents hommes. Il s'imagina aussi diverses autres choses ; et, en un mot, il forma la résolution de faire passer mon père par les armes. Alors, M. Julien, d'Orange, que nos Camisards surnommaient l'apostat, monta dans nos Cévennes, avec un autre homme de sa sorte, nommé Viala, subdélégué. Ces deux messieurs, pour dire cela en passant, mirent tout à feu et à sang dans quarante-cinq paroisses qui n'étaient habitées que par des protestants. Alors Campredon communiqua à Julien le dessein qu'il avait de faire mourir mon père, en même temps qu'on ferait une pareille, exécution sur un paysan qu'ils avaient convaincu d'avoir rendu quelques services aux Camisards.

« Quelques-uns de nos amis, ayant appris ce mauvais dessein, coururent en avertir mon père. « Sauvez-vous, lui disaient-ils, vous n'avez pas un moment à perdre, autrement vous êtes perdu vous-même. » Mais mon père avait un autre conseiller qu'ils ne connaissaient pas. Incontinent, sans s'émouvoir davantage, il appela mon frère qui avait entendu la triste nouvelle. Viens, mon enfant, lui dit-il, prions Dieu ensemble, demandons-lui son secours, et il nous enseignera ce que nous aurons à faire, Un moment après, mon frère, saisi par l'Esprit, tomba en extase et prononça ces paroles au milieu de ses agitations : Aie bon courage, mon enfant, je te dis que ton père n'a rien à craindre, ni personne de cette maison. Je te dis que j'ai suscité un de ses propres ennemis qui sollicitera sa grâce et qui l'obtiendra. Après cette heureuse réponse, mon père, ferme comme un rocher, ne s'inquiéta plus de rien, et demeura chez lui comme à l'ordinaire. Cependant, le sieur Doise, qui commandait la garnison, ayant eu quelque bruit du dessein de Campredon, s'en alla trouver le sieur Julien et lui représenta que le bourg était perdu s'il faisait mourir Marion, qui, d'ailleurs, était un bon homme et qui était utile à beaucoup de gens. Vous n'avez qu'à compter, dit-il à M. Julien, que si vous faites mourir cet homme, ses deux fils qui sont sous les armes, et dont l'un est chef, n'auront ni repos ni patience qu'ils se soient vengés ; ils assembleront les troupes de Roland et des autres qui rôdent ici autour, et ils mettront le bourg au pillage. Pour moi, ajouta M. Doise, je vous déclare que je quitterai le lieu et la garnison. Cela frappa Julien et le fit changer de dessein, de sorte qu'il se contenta de faire seulement peur à mon père. Quand on vint le prendre dans sa maison et qu'il traversa le bourg, tous ses amis pleuraient en lui disant le dernier adieu. Mais lui, plein de confiance, avait une contenance assurée et n'appréhendait rien. M. Julien se contenta de le réprimander à sa mode, et il lui dit qu'il devait la vie à M. Doise. Il ne le renvoya qu'après l'avoir contraint à être présent au martyre du pauvre paysan, qui souffrit la mort avec patience et courage. Je n'ai pas vu ces choses-là, mais je les donne comme extraites des mémoires de mon père, qui est présentement à Lausanne, et que je mets ici au nombre des témoins occulaires. »

Donnons encore la parole à Jean Cavalier, de Sauve. Il va nous raconter un fait qui eut de nombreux témoins. Tous furent remplis d'un salutaire effroi. La vertu d'en haut, dit-il, n'y fut pas moins manifestée que lorsqu'il plut à Dieu de garantir son serviteur Clary au milieu des flammes dont il éteignit la force.

« Compan est un jeune homme modeste, honnête, plein de zèle pour Dieu, et qui en avait aussi reçu de grands dons. Il était un des plus considérés de notre troupe. Nous nous trouvâmes tous ensemble dans une grande assemblée que M. Cavalier avait convoquée un jour de dimanche pour donner la communion. (C'était dans le bois de Rocaillette, près de Pierredon.) Après les divers exercices du matin, le frère Compan fut saisi de l'Esprit, et au milieu des agitations, il dit quelque chose d'équivalent à ceci : Mon enfant, je veux que tu fasses connaître à mon peuple combien terribles sont les flammes de ma fureur contre ceux qui m'irritent, et que tu lui donnes aussi des signes de ma clémence pour ceux qui se repentent et qui me révèrent. Après cela, il se fit faire place, au milieu de l'assemblée, qui forma un grand cercle autour de lui. Il lui fut dit qu'il s'approchât de l'abîme d'où sortait le feu dévorant et qu'il y présentât la main. Il s'approcha d'un certain endroit à sa gauche et avança la main ; mais il la retira en faisant des cris effroyables. Il reçut le même ordre deux ou trois fois, et toujours il se recula avec frayeur et précipitation, en faisant aussi des cris qui faisaient peur.

« Ensuite, il fit connaître qu'il s'approchait de la porte du ciel, qui était à droite : il frappa, et une voix terrible (qui sortait de sa propre bouche) demanda ce qu'il voulait. Il répondit qu'il demandait la grâce d'entrer ; et à l'instant, la voix l'ayant menacé, son corps se mit comme en un peloton, après des agitations étranges ; et cette masse fut soulevée de terre et jetée quinze ou vingt pas en arrière. Il se relevait, sans avoir été blessé ; il revenait frapper à la porte et demandait grâce et miséricorde ; mais il était rejeté encore, avec de grands reproches et de nouvelles menaces ; et cela fut réitéré plusieurs fois. Mais il ne se rebuta point, et enfin, quelle joie ! la porte du ciel lui fut ouverte. Il témoigna qu'il voyait les armées d'anges qui assistaient devant le trône de Dieu, et les milliers de bienheureux, revêtus de robes blanches, qui chantaient des cantiques de louange et de bénédiction. Il chanta mélodieusement comme étant avec eux, et nous fûmes témoins de toutes ces merveilles, étonnés et ravis nous-mêmes, comme on peut le penser. »

Elie Marion raconte qu'un M. S., du voisinage de Florac, lui a dit avoir vu dans un coin d'étable, une petite fille de 7 à 8 ans, qui priait Dieu en pleurant. Il lui demanda ce qu'elle avait : elle répondit qu'elle ne savait où aller, parce que son père la battait quand elle avait des inspirations, mais qu'elle voulait pourtant toujours prier Dieu. M. S., fort ému de cela, dit à la petite fille qu'elle n'avait qu'à venir dans sa maison quand elle sentirait les premières émotions. Elle le fit, et M. S. fut tellement touché des inspirations qu'elle reçut chez lui, et en général de l'état de cette petite fille, qu'il fut entièrement convaincu, lui et toute sa famille.

Voici une déposition de Sara Dalgone, de Vallon, près d'Uzès, faite à Londres le 23 novembre 1706 :
« J'ai souvent assisté à des assemblées que nos pauvres protestants persécutés faisaient dans des lieux écartés pour prier Dieu ensemble, selon l'ancienne manière de nos Églises de France. On s'assembla ainsi pendant plusieurs années dans notre province avant qu'il y eût personne qui se dit être immédiatement inspiré de Dieu. Mais, dès le commencement de l'année 1701, et plus tôt même, nous vîmes paraître dans nos Cévennes diverses personnes des deux sexes et de tout âge (particulièrement des enfants et des jeunes gens) qui tombèrent dans de certains accès, comme de convulsions extraordinaires, qui n'altéraient pourtant pas leur santé, non plus que leur esprit. Durant ces accès, ces personnes-là disaient mille belles choses pour porter ceux qui les écoutaient à la vraie et solide piété, à une sérieuse réformation de moeurs, à l'horreur pour l'idolâtrie papiste et pour toutes sortes de superstitions. Ils prophétisaient aussi beaucoup de choses ; ils menaçaient terriblement les pécheurs endurcis, et ils promettaient des bénédictions infinies à ceux qui abandonneraient leur mauvais train pour vivre selon Dieu.

« Un de mes voisins avait une petite fille de huit à neuf ans, qu'il avait plu à Dieu de mettre dans cet état, et je l'ai vue plusieurs fois pendant qu'elle avait ses inspirations, car on parlait communément ainsi. Une fois, comme je la vis chancelante, je la mis sur mes genoux et tout son accès y passa. Elle ne respirait que par soupirs, sa poitrine était agitée et tout son corps était tremblotant.

Quelques minutes après qu'elle eut été saisie de cette manière, elle parla comme cela lui arrivait d'ordinaire. Je me souviens qu'elle dit, entre autres choses, que nous ne devions pas être surpris si Dieu nous affligeait et s'il exposait notre pays à tant de persécutions différentes de la part des hommes : que c'étaient nos péchés qui nous avaient attiré tous ces châtiments, et que nous en avions mérité de beaucoup plus grands ; mais que si nous amendions notre vie, Dieu nous délivrerait et nous bénirait. J'étais bien touché de ce que disait cet enfant. Elle parla toujours bon français autant que j'en puis juger. Mais, quoi qu'il en soit, je suis très assuré, qu'il lui aurait été impossible de parler à l'ordinaire comme elle parlait dans l'inspiration, et il est même très constant qu'elle ne se serait jamais avisée de s'exprimer autrement que dans le patois du pays ; car on ne parlait pas plus français dans notre petit bourg que si nous n'eussions pas été partie du royaume de France.

« Il y avait autour de nous quelques papistes méchants et dangereux, de qui ceux qui avaient des inspirations se cachaient. Mais il y en avait d'autres qui étaient de fort bonnes gens, et qui admiraient les merveilles que Dieu faisait dans tous ses enfants ; ils en étaient édifiés comme nous. »

Écoutons le témoignage de Jacques Bresson, de Brignan, entre Nîmes et Alais :
« J'ai vu dans les Cévennes un grand nombre de personnes de l'un et de l'autre sexe qui recevaient des inspirations. Je suis persuadé que j'en ai vu autour de quatre à cinq cents, soit dans les diverses assemblées où je me suis trouvé, soit ailleurs. Quand ils étaient saisis de l'Esprit, ils avaient tous des agitations, les uns d'une manière, les autres d'une autre, plus ou moins ; mais les mouvements de la tête, de la poitrine et de l'estomac étaient les plus ordinaires. Quand ils commençaient à parler, l'Esprit qui les animait leur faisait presque toujours prononcer ces paroles : Je te dis, mon enfant, etc., et ils parlaient toujours en français dans le temps de l'extase.

- « Comme il y avait quantité de ces inspirés dans mon voisinage, et de ma connaissance particulière, j'ai eu souvent l'occasion de me rencontrer avec eux quand ils tombaient dans leurs extases. Il y avait beaucoup d'enfants de sept à huit ans. Mais je ferai une mention particulière d'un enfant de trois ans, que j'ai vu quatre ou cinq fois dans les agitations, pendant l'inspiration. Il parlait distinctement, assez haut, en bon français, et faisait des exhortations fort touchantes.

- « Quand je demandais aux personnes plus avancées en âge, s'ils se souvenaient assez bien de ce que leur bouche avait prononcé pour le répéter, ou pour en faire entendre toute la substance, ils me répondaient qu'ils ne s'en souvenaient pas assez pour cela.

- « J'ai été plusieurs fois témoin que ceux qui avaient reçu les grâces s'occupaient beaucoup, entre autres bonnes choses, à faire réconcilier ceux qui vivaient mal ensemble : c'était un de leurs premiers soins. Et tout le monde voyait que ce qu'ils faisaient et disaient tendait toujours au bien et en produisait.

- « Ma Soeur reçut le don à l'âge de quinze ans. Quelquefois l'Esprit la saisissait et la faisait parler deux fois en un jour, et quelquefois cela ne lui arrivait qu'une fois en deux ou trois jours. J'étais jeune et volontaire, et elle me faisait des remontrances, en ajoutant que mes fautes et toutes mes irrégularités la faisaient souffrir.

- « Pendant que j'étais dans la troupe, j'ai vu bien des fois M. Cavalier, notre chef, dans les agitations et dans l'inspiration. »

Recueillons encore le témoignage de Mathieu Boissier :
« Peu après la paix de Ryswick (1697), je vins passer quelque temps à Loriol, lieu de ma naissance, en Dauphiné. Quelques amis me convièrent à me trouver dans une assemblée qui devait se faire proche de là, le dimanche matin suivant. Quand j'entrai dans l'assemblée, il y avait une jeune fille qui parlait en prédicateur, avec une liberté et une éloquence qui me partirent admirables. Cette jeune fille ne savait un peu lire que depuis qu'elle avait été honorée des inspirations de l'Esprit divin. Après qu'elle eut achevé de parler, arrivèrent diverses personnes qui avaient eu un grand désir de l'entendre. Il y a de l'apparence qu'elle en jugea ainsi, car elle dit qu'elle n'était pas capable de parler d'elle-même. Mais à l'instant, elle se jeta à genoux, et pria Dieu ardemment que si c'était son bon plaisir, il déliât sa langue, afin qu'elle pût encore annoncer sa Parole et consoler son peuple. Presque aussitôt elle fut exaucée ; l'Esprit la saisit et elle fit une grande prière. Je croyais entendre parler quelque ange, tant étaient belles les paroles qui sortaient de sa bouche. Après la prière, elle fit chanter un psaume, et elle l'entonna mélodieusement. Ensuite, elle fit un discours si excellent, si pathétique et si bien suivi, avec une hardiesse si sainte et un si grand zèle, qu'on était bien forcé de croire qu'il y avait quelque chose en elle qui n'était pas humain. Une pauvre jeune fille de cette sorte n'était assurément capable en aucune manière de parler ainsi.

« Je m'en retournai pénétré jusqu'à l'âme, et rempli des idées de toutes les choses merveilleuses que cette fidèle servante du Seigneur avait prononcées, et j'en écrivis une grande partie, du mieux qu'il me fut possible. Elle citait les passages de l'Ancien et du Nouveau Testament comme si elle avait su toute la Bible par coeur, et elle en faisait des applications si justes et si heureuses qu'on en était ravi. Elle fit de grandes complaintes sur l'état lamentable des églises de France, qui étaient ou dans les cachots, ou sur les galères, ou dans les couvents, ou dans l'exil, ajoutant avec véhémence qu'il ne s'en fallait prendre qu'à nos péchés. Mais elle ajouta aussi les plus grandes et les plus douces consolations qui puissent être désirées. Elle promit grâce, paix, bénédiction, bonheur et joie éternelle de la part du Dieu tout-puissant et riche en miséricorde, à ceux qui ne rejetteraient pas opiniâtrement les sollicitations paternelles de sa bonté. Et elle promit aussi de la même part, d'une manière forte et précise, avec instance, que la religion serait rétablie dans le royaume.

« Je me souviens qu'elle censura avec une belle hardiesse un certain petit livre de M. Merlat, ministre français, réfugié à Lausanne, qui a eu le malheur d'écrire contre les grâces qu'il a plu à Dieu de répandre sur une partie de ses serviteurs dans le Dauphiné et dans le Vivarais, comme si c'était ou des illusions ou des opérations de l'esprit d'erreur. Elle détruisit puissamment cette diabolique idée, et il n'y avait qu'à l'entendre, pour voir triompher la vérité même contre cette accusation atroce du Père du mensonge.

- « J'ai vu plusieurs fois à Genève une fille du Languedoc qui avait des inspirations. Elle dit, dans ses extases, diverses choses qui me concernaient, et dont il était absolument impossible qu'elle pût être informée naturellement. Elle avait une communication admirable avec l'Esprit divin. J'ai été témoin en diverses occasions, que quand elle demandait à Dieu, par une ardente prière, qu'il lui plût de lui manifester sa volonté (si toutefois il le jugeait à propos pour sa gloire), presque aussitôt l'Ange céleste, agitait ses organes et lui faisait prononcer ce qui était ordonné de la part de l'Esprit. Les voyants étaient ainsi consultés, et eux, ils consultaient ainsi Dieu.

« Un jour, cette fille dit beaucoup de choses terribles contre ces moqueurs prétendus beaux-esprits, mais réellement insensés et dénués d'intelligence, qui se rient des secrètes merveilles de l'incompréhensible, seulement parce qu'ils ne les sauraient comprendre. Et plût à Dieu que tous les orgueilleux vers de terre qui tiennent ce misérable langage, eussent été témoins de la véhémence et de la merveilleuse puissance de cette censure divine, je suis sûr qu'ils en auraient tremblé.

- « Lorsque j'étais, l'année passée, à Amersfort, j'eus l'occasion de converser avec un brave garçon des Cévennes, nommé Compan ; il est présentement en Espagne, dans le régiment de M. Cavalier. Il avait reçu de grands dons, et aussi était-il pénétré de reconnaissance pour toutes les grâces que Dieu lui avait faites. Mais le souvenir lui en était doux et amer tout ensemble ; car il était grandement affligé de ce que Dieu ne se communiquait plus tant à lui depuis qu'il était sorti des Cévennes ; et il disait que c'était ses péchés qui l'avaient rendu indigne des fréquentes visites du Saint-Esprit. Je lui dis tout ce que je pus pour le consoler ; et, entre autres choses, je lui représentai que Dieu agissait selon les temps et les occasions, ou pour mieux dire, selon sa sagesse, laquelle nous devions toujours adorer, lors même qu'elle nous était le plus incompréhensible. Comme nous parlions ainsi, la bonté paternelle de Dieu lui fut soudainement manifestée par un saisissement de l'Esprit, qui lui donna de secrètes consolations. M. Cavalier, avec qui j'étais venu de Lausanne, était présent lorsque tout ce que je viens de dire arriva.

« Compan me raconta beaucoup de choses prodigieuses qui avaient été publiquement exposées aux yeux de tout le monde dans les Cévennes, et que je crois pouvoir et devoir appeler des miracles. Au reste, chacun doit savoir que toutes ces merveilles qu'il a plu à Dieu de faire éclater, depuis le commencement du siècle, sur le théâtre sacré des Cévennes et sur les frontières du pays de Rouergue, sont de la même nature, dans toutes les circonstances, que celles qui ont fait tant de bruit depuis l'année 1688, dans le Dauphiné et le Vivarais. Dieu opère présentement encore ces mêmes merveilles dans ces provinces, malgré Satan et ses suppôts. »

Dieu révélait fréquemment aux inspirés l'avenir ; il leur faisait connaître des choses qui se passaient loin d'eux comme nous l'avons vu plusieurs fois précédemment et comme le montre encore le fait suivant raconté par Elie Marion :

« Quelques jours après mon arrivée de Genève, je me rencontrai proche de Saint-Jean-de-Gardonenque avec plusieurs de nos frères dont l'un, nommé Daniel, me raconta au long comment ils avaient su par une inspiration qu'ils avaient eue, les circonstances des projets sur lesquels je m'étais entretenu à Nyon, dans le pays de Vaud, avec M. Flotard, touchant les secours que l'on avait proposé de leur envoyer. Daniel avait reçu cet avertissement de l'Esprit en présence de plusieurs personnes, et dans le même temps que nos affaires étaient sur le tapis. Si de pareils événements m'avaient été nouveaux, j'aurais dû être bien surpris d'entendre raconter le détail des particularités de cette entreprise, et principalement de certaines choses qui avaient été très secrètes entre M. Flotard et moi. »

Durand Fage parle d'une petite fille de onze ans qu'il connut à Saint-Laurent-d'Aigouze. Elle était l'enfant d'un nommé Dumas, de Monoblet ; elle avait été mise en prison par son propre père à cause de ses inspirations.

S'étant échappée, elle était venue se réfugiée à Saint-Laurent-d'Aigouze, où on la cachait de famille en famille, et où tous la chérissaient. Elle ne savait pas lire, elle était timide quand elle n'était pas inspirée. « Je fus surpris et touché, dit-il, de la manière douce et hardie avec laquelle elle se mit tout d'un coup à dire, d'une voix douce et assez haute : Abattez-vous, peuple de Dieu, prosternez-vous humblement devant Lui, et que notre aide soit au nom du Seigneur !

Elle fit une assez longue prière et une exhortation qui dura environ trois quarts d'heure, parlant bon français. Je suis bien certain que cette fille n'était pas capable, par elle-même, ni de parler comme elle parla, ni de prononcer les choses admirables qu'elle prononça. Ceux d'entre nous qui avaient le don proprement dit d'exhortation, n'avaient la parole entrecoupée de sanglots, comme les autres, que dans le commencement de leurs discours ; après cela, c'était une facilité de parler si grande, qu'on voyait aisément que leur bouche n'était autre chose que l'organe d'une puissance supérieure.

« Après divers exercices de piété qui se tirent dans cette assemblée, la jeune fille de onze ans tomba une seconde fois en extase. J'étais sorti, mais des gens qui la connaissaient et me connaissaient aussi, m'assurèrent le lendemain qu'elle avait dit de moi, en me désignant assez clairement, que je recevrais un don de Dieu, si je continuais à fréquenter les saintes assemblées. Cela m'émut, car, d'un côté, j'aurais accepté un don de Dieu avec joie ; mais j'avais oui parler si différemment de ces gens inspirés, que je ne savais qu'en croire : cela me faisait peur. Cependant, j'avais été réjoui par la prière toute divine et par l'exhortation de la petite servante du Seigneur. Que le nom de Dieu soit béni, répondis-je à ceux qui me rapportèrent ce qu'elle avait dit : que sa sainte volonté soit faite. J'avais 21 ans. Je m'en retournai alors à Aubuys, chez mon père, où j'eus le malheur de porter les armes, dans la milice, contre les Camisards (1).

« Au commencement de février, j'eus l'occasion d'aller au Grand-Garlargues, et une jeune fille de 23 ans, Marguerite Bolle, ma parente, étant tombée en extase dans la maison où j'étais, dit entre autres choses, en ma présence, que l'épée que je portais servirait à détruire les ennemis de la vérité.

« On souhaita que je fisse quelque lecture de piété après-midi ; et comme je prononçais ces paroles : Augmente-nous la foi, je sentis tout d'un coup un fardeau sur ma poitrine, qui m'arrêta pour un moment la respiration. En même temps, des ruisseaux de larmes coulèrent de mes yeux, et il me fut impossible de parler davantage. On ne s'en étonna pas, car on jugea bien ce que c'était. Je demeurai pendant une heure et demie dans cet état, et la jeune fille, ayant reçu une nouvelle inspiration, dit que je pleurais pour mes péchés, ce qui était vrai.

« Sur les six heures du soir, comme j'étais dans une autre maison, je fus soudainement saisi d'un frissonnement. En même temps, ma langue et mes lèvres furent subitement forcées de prononcer avec véhémence des paroles que je fus tout étonné d'entendre, n'ayant pensé à rien et ne m'étant pas proposé de parler. Les choses que je dis furent principalement des exhortations à la repentance, et cela dura trois ou quatre minutes. Je tombai incontinent après dans une espèce d'évanouissement ; mais cela se passa aussitôt et fut suivi d'un nouveau frissonnement, qui ne fit que passer ; après quoi je me trouvai parfaitement libre et dans l'état ordinaire. Mais pendant les jours qui suivirent, j'eus de fréquents soupirs et des tressaillements que je ne pouvais ni prévenir, ni empêcher. Mon esprit s'élevait perpétuellement à Dieu. Les divertissements ordinaires de ma jeunesse me parurent non seulement méprisables, mais ils me devinrent insupportables. L'idée de mes péchés occupait incessamment mon esprit, et c'est ce qui me causait tant de sanglots et de tressaillements. De sorte que ma bouche prononçait incessamment : Grâce ! Grâce ! Miséricorde ! Mon coeur consentait avec un grand zèle, quand la parole était prononcée.

« Cependant j'étais soutenu par une bonne espérance et par une joie mêlée avec ma bonne tristesse. Et je reçus, trois semaines après, dans une seconde inspiration, des consolations infiniment douces, qui donnèrent à mon esprit une tranquillité et un contentement secret qui, jusque-là, m'avaient été inconnus. Quand mon père et ma mère apprirent que Dieu avait daigné me visiter de ses grâces, ils en eurent une grande joie et tous leurs amis les en vinrent féliciter. Depuis ce temps-là, j'ai toujours été et je suis encore dans le même état. »


(1) Le gouvernement français forçait ainsi les protestants à marcher les uns contre les autres. 
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