Les Cévenols s'étaient
révoltés pour ne pas aller à
la messe, échapper à la
persécution, obtenir la délivrance de
leurs frères et soeurs captifs et la
liberté de conscience. Aussi, dans leurs
forêts et leur désert, leur principale
occupation et leur plus grand besoin étaient
de s'appliquer à leurs exercices
religieux.
Jean Cavalier nous donne dans ses
Mémoires, une courte description de leurs
saintes assemblées formées sur les
ruines de leurs temples. « À ces
fontaines sacrées, dit-il, nous puisions
joie et consolation dans nos épreuves et
nous y recevions cette force qui nous permettait de
supporter les souffrances sans nombre que, chaque
jour, nous endurions loin du bruit du monde ;
regardant au ciel, nous écoutions la Parole
de Dieu et chantions à haute voix les
louanges de notre Créateur. C'était
là que, par nos ferventes prières, nous nous
sentions armés d'un courage qui nous rendait
capables de braver résolument tous les
dangers, même la mort, et de remporter des
victoires
inespérées. »
Tous les pasteurs ayant été
mis à mort ou exilés (1), les Cévenols, ne voulant
pas se passer de conducteurs spirituels,
adressèrent vocation à ceux d'entre
eux qui étaient à la fois les plus
spirituels et les mieux doués. Salomon
Couderc, âgé d'environ trente-cinq
ans, avait surtout consacré son temps
à lire et méditer les Saintes
Écritures, si bien qu'il en savait par coeur
la plus grande partie. Aussi, dès qu'il eut
donné par son humilité comme par ses
exhortations les preuves de sa capacité, au
nom de la troupe, les chefs lui adressèrent
vocation pour le saint ministère.
Un jeune homme du Vivarais, appelé
Saint-Paul, qui avait le don de la parole et une
profonde piété, devint aussi pasteur
après que les soldats et leurs familles
eurent jeûné deux dimanches pour
implorer sur lui la bénédiction
divine. Le troisième dimanche, il donna la
sainte cène.
Moïse et Daire, tous deux nés
à Uzès, furent encore reçus au
nombre des ministres, avec deux autres jeunes
gens.
Saint-Paul et Moïse furent tués,
le premier dans un combat près de
Saint-Hippolyte, au bout de dix-huit mois, le
second peu de temps après. Daire fut
roué vif sur l'échafaud de
Montpellier en décembre 1703.
Quant à Salomon Couderc, il
prêcha dans les Hautes-Cévennes
jusqu'à la mort du capitaine Laporte, auquel
il succéda, s'acquittant extrêmement
bien de son double devoir de pasteur et d'officier.
En octobre 1704, il fit sa soumission à
Bâville à condition de pouvoir
s'exiler : « Salomon,
écrivait Bâville à Chamillard,
est le grand prophète des Cévennes,
il a trop de crédit pour l'y laisser, je lui
ai fait prendre le parti d'aller à
Genève. » Salomon devint un des
meilleurs prédicateurs de la cité du
refuge.
Les pasteurs cévenols
prêchaient deux fois chaque semaine et
présidaient le culte chaque soir. Toute la
troupe y assistait. On chantait les psaumes.
Au moment d'attaquer une armée
ennemie ou d'être attaqué par elle,
l'un des pasteurs priait, et il
exhortait les soldats à combattre avec
courage. Alors ceux-ci entonnaient un psaume et
descendaient les collines en chantant de tout leur
coeur, si bien que ces chants,
répétés et multipliés
par les échos du voisinage, remplissaient
les ennemis de terreur en leur faisant croire que
les Cévenols étaient beaucoup plus
nombreux qu'ils ne l'étaient en
réalité. « Quand ces
diables-là se mettaient à chanter
leur b.... de chanson : « Que
Dieu se montre seulement »
(Ps.
68), nous ne pouvions plus
être les maîtres de nos gens, disait un
officier catholique, ils fuyaient comme si tous les
diables avaient été à leurs
trousses. »
Les assemblées religieuses se
tenaient dans les forêts, souvent dans les
cavernes. On avertissait les protestants du
voisinage du jour et de l'heure de la
réunion. Des sentinelles étaient
placées à des distances convenables
afin qu'en cas de danger, elles puissent donner un
avertissement. Ces assemblées, toujours
nombreuses, ont parfois dépassé deux
mille personnes.
Les anciens prenaient un soin spécial
des pauvres et des malades.
« Ni querelles, ni haine, ni
calomnies, ni vols n'étaient connus au
milieu de nous, dit l'auteur des Mémoires. Tous nos biens
étaient en commun, nous n'étions
qu'un coeur et qu'une âme. Jurons,
blasphèmes, paroles obscènes
étaient complètement bannis de notre
société. »
« Tout ce que nous faisions, dit
Durand Fage, soit pour le général,
soit pour notre conduite particulière,
c'était toujours par ordre de l'Esprit. Les
plus simples, les enfants même,
étaient nos oracles, surtout quand ils
insistaient dans l'extase avec redoublement de
paroles et d'agitations, et que plusieurs disaient
une même chose. Mais dans la troupe où
j'étais, nos chefs, et
particulièrement M. Cavalier, étaient
doués de grâces extraordinaires ;
aussi les avait-on choisis à cause de cela,
car ils n'avaient aucune connaissance de la guerre
ni d'autre chose. Tout ce qu'ils avaient leur
était donné sur le champ. Dès
qu'il s'agissait de faire quelque chose sur quoi
les inspirations n'avaient rien dit, on allait
ordinairement au frère Cavalier.
Frère, lui disait-on, telle et telle chose
se passe, que ferons-nous ? Aussitôt, il
rentrait en lui-même,
et, après quelque élévation de
son coeur à Dieu, l'Esprit le frappait, on
le voyait un peu agité, et il disait ce
qu'il fallait faire. C'était merveille, dans
les batailles, de le voir le sabre à la
main, sur son cheval, et, dans de certaines
émotions de l'Esprit qui l'animait, courir
partout, encourager, fortifier, faire des
commandements qui surprenaient souvent, mais qui
étaient exécutés à
merveille et réussissaient de
même.
« Dans les occasions de grande
importance, on faisait la prière
générale, et chacun demandait
à Dieu qu'il lui plût
d'éclairer ses enfants dans l'affaire dont
il s'agissait. Incontinent, voilà qu'en
divers endroits, on apercevait quelqu'un saisi de
l'Esprit. Les autres couraient pour entendre ce qui
serait prononcé. Et ceux qui critiquent ici
sans savoir l'état des choses, auraient eu
beau crier que nous avions des inspirations de
commande : elles n'étaient pas de
commande, mais elles étaient de
demande ; car nous implorions le secours de
Dieu dans notre besoin, et sa bonté nous
répondait. Eh bien, disaient après
cela les chefs, qu'est-ce que Dieu a
ordonné ? Tous les inspirés avaient dit la
même chose,
par rapport à ce qui était en
question ; et d'abord on se mettait en devoir
d'obéir. Dans les commencements, plus que
dans la suite, on murmurait quelquefois, parce
qu'on manquait de foi et qu'on voulait être
plus sage que la Sagesse même, et cela
arrivait particulièrement aux nouveaux
incorporés dans la troupe, et à ceux
qui n'avaient pas d'inspirations. Serait-il bien
possible, disait-on quelquefois, que Dieu
voulût qu'on se gouvernât ainsi, ou
ainsi ? et alors on faisait souvent à
sa fantaisie, en supposant que peut-être
l'inspiration n'avait pas été bien
entendue. Mais on en était
châtié, et ceux qui avaient le plus de
soumission et d'humilité, ne manquaient pas
de faire des réflexions sur la faute qui
avait été commise.
« Devions-nous attaquer
l'ennemi ? Étions-nous
poursuivis ? La nuit nous
surprenait-elle ? Craignions-nous les
embuscades ? Arrivait-il quelque
accident ? Fallait-il manquer le lieu de
l'assemblée ? Nous nous mettions
d'abord en prière : Seigneur, fais-nous
connaître ce qu'il te plaît que nous
fassions pour ta gloire et notre bien ! Aussitôt
l'Esprit nous
répondait, et l'inspiration nous guidait en
tout.
« La mort ne nous effrayait
point ; nous ne faisions aucun cas de notre
vie, pourvu qu'en la perdant pour la querelle de
notre Sauveur et en obéissant à ses
commandements, nous remissions nos âmes entre
ses mains. Je ne crois pas qu'un seul de ceux qui
étaient inspirés dans notre troupe
ait été tué dans le combat ou
ait été pris et exécuté
à mort, qu'il n'en ait été
averti quelque temps auparavant. Alors on se
remettait avec humilité entre les mains de
Dieu et on se résignait à sa
volonté avec constance. On s'estimait
heureux de pouvoir le glorifier dans la mort comme
dans la vie. Je n'ai jamais ouï dire qu'aucun
de nos frères, qui ont été
appelés en grand nombre à sceller la
vérité par leur sang, ait eu la
moindre tentation de racheter sa vie par une
lâche révolte, comme plusieurs
auraient pu le faire s'ils avaient voulu. Ce
même Esprit-Saint qui les avait tant de fois
assistés, les accompagnait jusqu'au dernier
moment. De sorte qu'ils ne perdaient pas au change,
et que la mort ne leur était qu'un passage
à la vie.
« D'ailleurs, quand l'inspiration
nous avait dit : Marchez, ne crains point, ou
bien. Obéis à mon commandement, fais
telle ou telle chose, rien n'aurait
été capable de nous en
détourner : je parle des plus
fidèles et de ceux qui avaient le plus
éprouvé la vérité de
Dieu. Lorsqu'il s'agissait d'aller au combat, j'ose
dire que quand l'Esprit m'avait fortifié par
ses bonnes paroles :
« N'appréhende rien, mon enfant,
je te conduirai, je t'assisterai »,
j'entrais dans la mêlée comme si
j'avais été vêtu de fer, ou
comme si les ennemis n'eussent eu que des bras de
laine. Avec l'assistance de ces heureuses paroles
de l'Esprit de Dieu, nos petits garçons de
douze ans frappaient à droite et à
gauche comme de vaillants hommes. Ceux qui
n'avaient ni sabre ni fusil faisaient des
merveilles à coups de perches et à
coups de fronde ; et la grêle des
mousquetades avaient beau nous siffler aux oreilles
et percer nos chapeaux et nos manches, comme,
l'Esprit nous avait dit : Ne craignez rien,
cette grêle de plomb ne nous
inquiétait pas plus qu'aurait fait une menue
grêle ordinaire.
« Il en était de même
dans toutes les autres occasions
lorsque nous étions guidés par nos
inspirations. Nous ne posions point de sentinelles
autour de nos Assemblées, quand l'Esprit qui
avait soin de nous, nous avait
déclaré que cette précaution
n'était pas nécessaire. Et nous
aurions cru être en sûreté sous
les chaînes et dans les cachots, dont le duc
de Berwick et l'intendant Bâville auraient
été les portiers, si l'inspiration
nous eût dit : Vous serez
délivrés.
« Depuis ce temps-là, quand
nous avons été exposés
à d'autres sortes de persécutions,
elles ne nous ont pas effrayés non plus. On
a bien dit du mal de nous en mentant ; mais
l'Esprit qui nous console, nous a dit comme il
l'avait fait autrefois à de grands
serviteurs de Dieu : Réjouissez-vous,
mes enfants, et ne craignez rien. Ainsi, quand Dieu
l'a voulu, son bouclier nous a garantis,
tantôt des mousquetades de Montrevel et
tantôt des injures des diffamateurs.
« Dieu a répandu sur nous
des grâces différentes, et comme il
lui a plu de nous envoyer diversité de dons,
son bon plaisir a été aussi qu'il y
eût non seulement du plus ou du moins, mais
de la variété dans les extases de ceux qui ont
reçu de semblables dons. Chaque personne
même est diversement agitée, suivant
les circonstances et selon la nature des choses
qu'elle prononce. Mais tous ceux que l'inspiration
fait parler ont ceci de commun, c'est, comme je
l'ai déjà dit, que les paroles sont
formées dans leur bouche sans qu'ils y
contribuent par aucun dessein ; de même
que leurs corps sont mûs par une puissance
qui les domine, et à laquelle ils ne font
que prêter leurs organes. À l'instant
que mon coeur s'échauffe et que ma chair
frémit, j'élève mes
pensées à mon Dieu :
« Me voici, lui dis-je, Seigneur, aie
pitié de moi, dispose à ta
volonté de mon corps et de mon âme qui
sont à toi. » Je m'abandonne, je
me livre à lui ; et c'est lui, c'est sa
vertu grande et admirable qui fait et qui dit ce
que l'on voit et ce que l'on entend. Si c'est peu
de chose, qu'on en rie ; autrement, qu'on y
prenne garde.
« Je ferai ici quelques autres
remarques sur les inspirations, puisque l'occasion
s'en présente. Quelquefois, Dieu les
envoyait à ceux qui les craignaient et les
refusait à ceux qui les désiraient.
Nous nous imaginions qu'il
était du devoir de chaque fidèle de
les demander ; mais j'ai rencontré ici
des personnes éclairées qui sont d'un
sentiment contraire et qui disent qu'il est
seulement du devoir de ceux qui ont reçu ces
grands dons d'en jouir avec actions de
grâces, et aux autres, d'en profiter comme de
motifs et d'aiguillon à la repentance ;
et qu'il y aurait de la
témérité à ceux-ci de
désirer une chose si mystérieuse et
si redoutable, vu la règle
générale, qui est de ne demander
à Dieu que ce qui est pour sa gloire, sans
rien lui prescrire de particulier, principalement
quand il s'agit de choses si extraordinaires et si
incompréhensibles.
« Quoi qu'il en soit, je tiens
pour très certain que ceux qui sont
salutairement visités de cet Esprit qui
console et qui fortifie, comme je le suis par la
grâce de Dieu, doivent bien se donner de
garde de se priver eux-mêmes d'une faveur si
douce, et dont ils ressentent continuellement des
effets si heureux. C'est pourtant une faute dont
plusieurs sont coupables, si j'ai été
bien informé. On m'a dit que le secret
(secret abominable) pour éloigner cet
esprit, c'est de s'éloigner de Dieu et de rompre
tout
commerce avec lui. À la
vérité, il y a aussi des personnes
qui ont été privées de cette
sainte consolation, à leur grande douleur,
sans que leur intention ait été de
contribuer à la perte qu'ils ont faite. Fuir
le mal et l'avoir en horreur, aimer le bien et
tâcher d'en faire, mépriser la
vanité et toutes les folies du monde, se
rire des moqueurs profanes et chercher la compagnie
des gens de bien, lire la Parole de Dieu et les
livres de piété, fréquenter
les saintes assemblées, chanter les psaumes,
prier sans cesse, ce sont les vrais et
assurés moyens d'entretenir ce bienheureux
Esprit ; et il n'y a qu'à faire le
contraire de ces choses-là pour
l'éteindre. On saura que nous nous mettions
à genoux quand nous écoutions les
inspirations les uns des autres.
« L'intérêt mondain a
fait commettre de grands crimes à plusieurs
pères et mères de jeunes gens qui
avaient reçu les grâces. Car comme les
persécuteurs emprisonnaient et ruinaient
toute une famille pour un inspiré, on
cherchait à se garantir, et on le faisait en
contristant l'Esprit. Je parle selon les
idées qui nous
étaient communes à tous. Je pourrais
nommer ici bien des gens que j'épargne,
parce qu'ils se sont peut-être repentis, qui
ont maltraité leurs enfants de toutes les
manières, voulant les empêcher de
prophétiser (pour parler leur propre
langage). Ce n'était pas qu'ils ne fussent
bien convaincus que ces pauvres enfants tombaient
involontairement dans leurs extases car la chose
était manifeste. Mais ils s'imaginaient
peut-être que Dieu retirerait plutôt
son Esprit que de permettre qu'il fût en
scandale, et que de petits innocents en
souffrissent. Je ne sais que dire sur une chose si
difficile. Ce sont des profondeurs. Dieu pouvait
punir ceux qui l'offensaient ; et quelquefois
sa volonté était de retirer
plutôt son Esprit. Ses voies ne sont pas nos
voies. Il y a dans cette dispensation beaucoup
d'autres choses incompréhensibles qui ne
sont peut-être que pour nous humilier.
« Toutes les diverses
cruautés que l'on exerçait contre les
inspirés ne faisaient qu'augmenter leur
zèle. Ils le portaient dans les prisons et
dans les monastères. Ils avaient surtout une
ardeur incroyable pour les saintes
assemblées.
« Il est arrivé sur ce
sujet une chose singulière que je joindrai
ici : Un homme de Vézenobres (à
trois lieues d'Alais), voulant prévenir le
malheur de voir sa maison rasée, etc.,
à cause de son petit garçon qui
prophétisait, courut chez le curé, au
premier moment que l'enfant tomba dans l'extase,
afin qu'il fut témoin de la chose et qu'il
fit son rapport comme bon lui semblerait. Mais
quand le père et le curé revinrent,
nonobstant toute leur diligence, l'enfant avait
cessé de parler, sous l'opération, et
le père lui-même fut saisi de
l'Esprit, en présence de cet ennemi à
qui il avait voulu livrer son fils. De sorte que ce
malheureux père devint sur le champ la proie
du persécuteur, qui ne s'imagina pas sans
doute que cet accès fût le premier du
père. Je n'ai pas su ce qui était
arrivé dans la suite. »
Ce même Durand Fage raconte les
précieuses expériences qu'il
faisait :
« Au commencement de
février 1703, j'eus l'occasion d'aller au
Grand-Gallargues. Une jeune fille de 23 ans,
Marguerite Bolle, ma parente, étant
tombée en extase dans la maison où
j'étais, dit entre autres choses en ma présence,
que
l'épée que je portais servirait
à détruire les ennemis de la
vérité. Pendant les quinze jours qui
suivirent, j'eus de fréquents soupirs et des
tressaillements que je ne pouvais ni empêcher
ni prévenir. Mon esprit s'élevait
continuellement à Dieu. Les divertissements
ordinaires de ma jeunesse me parurent non seulement
méprisables, mais ils me devinrent
insupportables. L'idée de mes
péchés occupait incessamment mon
esprit, et c'est ce qui me causait tant de sanglots
et de tressaillements. De sorte que ma bouche
prononçait incessamment :
Grâce ! Grâce !
Miséricorde ! Mon coeur consentait avec
un grand zèle quand la parole était
prononcée.
« Cependant, j'étais
soutenu par une bonne espérance, et par une
joie mêlée avec ma bonne tristesse. Et
je reçus, trois semaines après, dans
une seconde inspiration, des consolations
infiniment douces, qui donnèrent à
mon esprit une tranquillité et un
contentement secrets qui jusque-là m'avaient
été inconnus. Quand mon père
et ma mère apprirent que Dieu avait
daigné me visiter de ses grâces, ils
eurent une grande joie, et tous
leurs amis vinrent les féliciter. Depuis ce
temps-là, j'ai toujours été et
je suis encore dans cet état.
« Vers le commencement de mars
1703, je me trouvais à Langlade, chez une
veuve de nos fidèles amis, où se
trouvait aussi un de nos frères qui
était de Calvisson. L'Esprit le saisit
soudainement, et je me souviens de deux choses
qu'il dit dans son inspiration : la
première, que nous n'avions rien à
craindre, quoique les ennemis fussent autour de
nous ; la seconde, qu'il y aurait une bataille
dans la plaine de Calvisson, où les femmes
combattraient avec nous, et que Dieu nous donnerait
la victoire. En effet, environ deux mois
après, les ennemis étaient venus
fondre sur une assemblée qui se fit à
Nages, joignant la plaine de Calvisson, dans
laquelle assemblée je me trouvais, les
femmes se défendirent à coups de
pierre avec un grand courage, chantant toujours les
psaumes, et nous fortifiant par leur exemple, et
nous remportâmes la victoire qui avait
été prédite. »
Elie Marion assure que « de
même que Dieu réprimait quand il lui
plaisait la force du feu et qu'il faisait parmi
nous d'autres merveilles
semblables, il arrêtait aussi la force des
balles de fusil, de sorte qu'elles frappaient
quelquefois à plomb et comme à bout
touchant ceux que Dieu voulait garantir, sans
qu'ils en fussent offensés. Un de nos
soldats m'a fait voir son justaucorps percé
de trois balles, à deux pouces l'une de
l'autre, vis-à-vis des reins, m'assurant
qu'il avait pris les trois balles qui
étaient demeurées entre la chemise et
la chair... Un de mes amis reçut un coup de
fusil tiré d'une fenêtre en bois,
où il était ; la balle
perça la forme du chapeau sans le blesser,
et il la prit entre le chapeau et ses cheveux. Ceux
d'entre nous qui, avant de s'engager dans les
batailles, ou en d'autres occasions, avaient
été avertis dans l'inspiration qu'ils
n'avaient rien à craindre, - ce qui
était ordinaire - n'ont jamais
été, que je sache, ni tués, ni
blessés. Peu de temps après que j'eus
pris les armes, l'Esprit m'assura que je serais
garanti des dangers de mort et que je verrais la
fin de cette guerre. »
Le même témoin raconte encore
les deux faits suivants :
« Au commencement d'octobre 1703,
le Maréchal de Montrevel
monta dans nos Hautes-Cévennes pour
brûler et saccager tout. Alors comme nous
étions dans une assemblée, le
frère La Veille, qui avait un grand don de
prédication, fut saisi de l'Esprit et dit,
sous l'opération, que notre ennemi
n'exécuterait pas ce qu'il avait entrepris,
mais qu'il serait obligé, dans trois jours,
de descendre plus vite qu'il n'était
monté. En effet, le dimanche suivant,
dès le matin (précisément
trois jours après l'avertissement
donné au frère La Veille), plusieurs
exprès furent dépêchés
au Maréchal pour lui faire savoir qu'il y
avait des vaisseaux anglais proches de la
côte, afin qu'il se hâtât de
revenir avec ses troupes. Nos soldats
interceptèrent une de ces lettres, que j'ai
lue et dont je marquerai ici quelques
circonstances, parce qu'il y a eu des gens qui ont
contesté le fait. Le gouverneur de Cette
mandait au Maréchal que deux navires
anglais, d'un tel port et de tant de pièces
de canon, menaçaient d'une descente ;
qu'ils avaient fait divers signaux et qu'on avait
tiré quelques volées de canon sur
eux, que toute la côte était en alarme
et qu'il eût à hâter son retour.
Ainsi fit monsieur le Maréchal. Il rappela les
détachements qu'il avait déjà
mis en campagne pour mettre le feu partout, et il
marcha jour et nuit.
Le jour de Pâques 1704, après
que nous eûmes participé à la
sainte-cène, le frère Abraham Mazel
tomba dans une grande extase, et entre les diverses
choses que l'Esprit lui fit dire, il
prononça ceci : Je te dis, mon
enfant, qu'un des principaux de tes frères,
qui est ici présent et qui a reçu le
don d'annoncer ma parole, sera mis à mort
par la main de ses ennemis. Abraham,
étant revenu de son extase, regarda fixement
tous ceux de la compagnie qui avaient le don de la
prédication, et s'arrêtant enfin sur
le frère Moulines, qui commandait une petite
troupe et qui avait reçu un talent
admirable, il lui dit : Frère,
préparez-vous, c'est à vous à
qui Dieu s'adresse. Abraham parla ainsi par une
inspiration secrète, comme cela lui arrivait
souvent. Malines reçut avec une profonde
résignation l'avertissement de Dieu et en
profita sans doute en vrai fidèle, tel qu'il
était. Le 15 ou 16 de mai suivant, il fut
tué d'un coup de fusil dans un
combat. »
Le Théâtre sacré des
Cévennes abonde en faits extraordinaires
qui
nous
révèlent que Dieu était
visiblement au milieu de son peuple
persécuté et qu'il a très
souvent averti ses enfants des dangers qu'ils
couraient, des pièges qu'on leur tendait,
des traîtres qui se trouvaient parmi eux
comme le prouvent les témoignages
suivants :
« Notre troupe étant entre
Ners et Las-Cour-de-Creviez, raconte Durand Fage,
le frère Cavalier, notre chef, eut une
vision. Il était assis, et il se leva
soudainement, en nous disant ces paroles :
Ah ! mon Dieu, je viens de voir en vision que
le Maréchal de Montrevel qui est à
Alais vient de donner des lettres contre nous
à un courrier qui va les porter à
Nîmes. Qu'on se hâte, et on trouvera le
courrier, habillé d'une telle
manière, monté sur un tel cheval et
accompagné de telles et telles personnes.
Courez, hâtez-vous, vous le trouverez sur le
bord du Gardon. À l'instant, trois de nos
hommes montèrent à cheval, Ricard,
Bouré et un autre; et ils
rencontrèrent sur le bord de la
rivière, dans l'endroit marqué, et
l'homme et ceux qui étaient avec lui, dans
toutes les circonstances que le frère
Cavalier avaient spécifiées. Cet
homme fut amené à la troupe, et on le
trouva chargé des lettres du
Maréchal ; de sorte que nous
fûmes informés par une admirable
révélation de diverses choses dont
nous fîmes ensuite un heureux usage. Le
courrier fut renvoyé à pied.
J'étais dans la troupe quand cela arriva, et
j'atteste ce que j'ai vu. »
Voici un fait raconté par Jean
Cavalier, de Sauve, le cousin du chef camisard du
même nom :
« Après la bataille de
Gaverne, nous nous en allâmes au
château de Rouvière, à une
demi-lieue de Sauve. Comme j'étais avec le
chef Cavalier, mon cousin, et plusieurs des
principaux de la troupe, il dit tout haut : Je me sens tout
contristé ; un Judas
m'a baisé aujourd'hui. Cependant, on
prépara le dîner ; environ vingt
personnes se trouvèrent à table, tant
de ceux de la troupe que des amis du voisinage.
Entre autres, il y avait un certain N., protestant
de profession, qui avait été ami de
l'illustre M. Brousson ; il avait aussi toute
la confiance de M. Cavalier, et nous le regardions
tous ensemble avec d'autant plus d'estime, qu'il
avait toujours fréquenté nos
saintes assemblées ; qu'il aidait
souvent à les convoquer ; qu'il
recevait les charités de ceux qui nous
communiquaient leurs secours d'argent, et qu'il
avait même souffert la prison pour quelqu'une
de ces bonnes oeuvres ; c'était un
homme de 45 ans.
Comme nous étions tous à
table, N. à la droite de mon cousin et moi
à sa gauche, l'Esprit me saisit avec de
grandes agitations au milieu du repas ; et
entre autres paroles, il me fit prononcer
celles-ci : Je te dis, mon enfant, qu'un de
ceux qui sont assis à cette table et qui a
trempé la main dans le même plat que
mon serviteur, a dessein de l'empoisonner. Presque aussitôt que
mon inspiration eut
cessé, une parente de M. Cavalier, qui
était dans la même chambre
auprès du feu, tomba en extase et dit en
propres termes : Il y a ici un Judas qui a
baisé mon serviteur et qui est venu pour
l'empoisonner. Dès que mon cousin eut
entendu ce que j'avais prononcé, il
s'était abstenu de manger et avait
ordonné que les portes fussent
gardées ; mais après qu'il eut
reçu le second avertissement par la bouche
de la jeune fille, il fit redoubler la garde. La compagnie
continua de
dîner. Comme on était encore à
table, le frère Ravanel (celui qui a
souffert le martyre) fut soudainement saisi de
l'Esprit avec des agitations très
grandes : Je t'assure, mon enfant, lui
dit l'Esprit, qu'il y a présentement un
traître assis à cette table qui a
reçu une somme d'argent pour empoisonner mon
serviteur, et même toute la troupe, s'il lui
était possible. Je te dis qu'il a promis
à l'ennemi d'empoisonner le chef et qu'il
s'est proposé en entrant dans cette maison,
d'empoisonner l'eau de la citerne et le seau, pour
tâcher de détruire le troupeau, s'il
ne peut pas faire périr le berger.
À l'instant que M. Cavalier eut entendu ces
paroles, il défendit qu'on puisât de
l'eau, et il fit garder la citerne du château
après que l'on eût jeté le seau
dedans.
« Dans le même temps, on
vint dire dans la chambre où nous
étions, que le frère Du Plan,
brigadier de la troupe, qui était dans une
autre chambre, venait de tomber dans une extase
extraordinaire, avec de fortes violentes
agitations. J'y courus et j'entendis qu'il
prononça ces paroles : Je te
déclare, mon enfant, qu'il y a dans cette
maison un homme qui a vendu mon
serviteur pour une somme d'argent. il a
mangé à la même table que lui.
Mais je te dis que ce traître sera reconnu,
et qu'il sera convaincu de son crime. Je te dis
qu'il a dessein présentement de jeter le
poison qu'il a caché sur lui, ou de le
mettre dans les habits de quelqu'un de la
compagnie, mais je permettrai qu'il soit reconnu et
nommé par son nom.
« M. Cavalier ayant
été averti de l'inspiration de Du
Plan, le fit venir dans une chambre
particulière, avec les trois personnes qui
avaient eu des inspirations, et tous ceux qui
avaient mangé avec nous à la
même table. On avait commencé à
fouiller plusieurs de ces mêmes personnes,
lorsque Du Plan, qui marchait au milieu de ses
agitations, entra dans la chambre ; il vint
droit à N. et lui mettant la main sur le
bras, il l'accusa et le censura avec beaucoup de
véhémence, disant : Ne
vois-tu pas, misérable, que je vois toutes
choses ? que je sonde les coeurs et les reins,
et que les plus secrètes pensées me
sont découvertes :
n'appréhendes-tu pas mes jugements
terribles ? oserais-tu nier le complot que tu
as fait avec les ennemis de mon
peuple ? Confesse, malheureux, confesse ton
crime ?
« N. voulut s'excuser ; mais
Du Plan, dans un redoublement de l'inspiration,
déclara positivement que le poison
était dans la tabatière et dans la
manche du justaucorps de celui qui était
accusé, de sorte qu'il fut pleinement
convaincu, J'étais présent et j'ai
vu tout cela. Le poison était dans du
papier. M. Cavalier ayant des raisons
particulières pour ne pas faire mourir ce
traître, et sa mort n'ayant pas
été ordonnée par aucune des
quatre inspirations, il se contenta de le
censurer et de lui présenter quantité
de choses qu'il n'est pas nécessaire que je
rapporte ici. De sorte, que la nuit étant
venue, N. eut la liberté de s'en retourner
chez lui. Il y eut ordre à la troupe de se
préparer pour la prière
générale, en actions de grâces
de la délivrance admirable que Dieu nous
avait accordée.
« Aussitôt que le malheureux
N. fut revenu chez lui, le commandant du lieu et
les révérends pères capucins
qui l'avaient mis en oeuvre eurent regret de
l'argent qu'ils avaient avancé et le
redemandèrent. L'ancien Judas rapporta bonnement
ce qu'il
avait reçu ; mais celui-ci, plus
intéressé, voulait garder ses
écus. Les moines avaient quelque tort, car
leur assassin avait assez risqué ; ils
devaient du moins lui laisser quelque chose.
Cependant ils le pressèrent ; et il
promit, pour se rendre digne de son salaire, qu'il
donnerait la liste des personnes de la ville qui
avaient le plus de communication avec M. Cavalier,
afin qu'on les saisit. En effet, peu de temps
après, le Maréchal de Montrevel
étant revenu à Sauve, N. eut un
entretien particulier avec lui, et le
Maréchal fit arrêter autour de
soixante personnes, au nombre desquels je fus.
« On nous conduisit à
Sommières, de là à
Montpellier, et de Montpellier à
Perpignan.
« Je dirai par occasion, que,
comme nous étions sur la mer, dans un grand
orage et dans une grande frayeur, un jeune
garçon du nombre des prisonniers eut une
inspiration, et dit entre autre chose : Je
suis Celui qui vous conduit ; ne craignez
point ; dans quatre heures vous serez au
port. Et cela arriva.
« Je n'ai pas été
particulièrement informé des raisons qui rendirent
N.
odieux à ceux qui l'avaient
employé ; quoiqu'il en soit, il fut
envoyé lui-même à
Perpignan, dans la prison où
j'étais, justement un mois après que
j'y fus arrivé. Nous fûmes fort
surpris de le voir ; et on peut bien penser
que nos prisonniers le reçurent d'une
manière qui ne lui fut pas fort
agréable. C'est ce qui l'obligea en partie,
de se tenir seul dans sa chambre ; mais
d'ailleurs, il y fut porté par une profonde
mélancolie. Il tomba malade ; et
quelques semaines après, il me fit prier de
l'aller voir. Il me raconta un songe qui
l'inquiétait. « J'ai songé,
dit-il, que je me suis trouvé tout nu, et
que personne n'a voulu me donner aucune chose pour
me couvrir. Comme j'ai voulu me cacher dans le lieu
secret, je suis tombé dans l'ordure ;
j'y ai été plongé
jusqu'à la bouche et j'ai crié ;
mais personne n'est venu me secourir, et je suis
demeuré mort dans ce vilain
lieu. » Peu de jours après, se
trouvant plus mal, il fut mis à
l'hôpital, demeurant toujours dans une
profonde tristesse et ne parlant que de Satan et
que des troubles où il était jour et
nuit. Je l'ai vu plusieurs fois dans ce
déplorable état.
Enfin on lui donna du vin
émétique, et il mourut dans
l'opération de ce remède, ayant
jeté une si prodigieuse quantité
d'ordure par la bouche et autrement tant avant sa
mort qu'aussitôt après, qu'on fut
obligé de l'envelopper dans son propre
matelas, sans le nettoyer, pour le porter dans sa
fosse. Je suis témoin de toutes ces
choses. »
La déposition suivante de Durand Fage
est encore plus extraordinaire, elle est
appuyée par Jean Cavalier et par de nombreux
témoins :
« Au mois d'août 1703, le
frère Cavalier, notre chef, convoqua une
assemblée proche de la tuilerie de
Sérignan, entre Quissac et Sommières,
un jour de dimanche. Vers les deux ou trois heures
après-midi, Dieu se manifesta à nous
par un signe admirable. Le frère Clary,
homme d'environ trente ans, et qui avait
reçu des dons extraordinaires, tomba en
extase. J'ajouterai, si l'on veut, que
c'était lui qui avait la distribution de nos
vivres. Après de grandes agitations, entre
les diverses choses qu'il prononça, il dit
à haute voix qu'il y avait deux hommes dans
l'assemblée qui étaient venus pour la
vendre et que s'ils ne se
repentaient pas de leur mauvais dessein, lui,
Clary, déclarait de la part de Dieu qu'il
irait les saisir. Sur cela, le frère
Cavalier, qui ne doutait pas de la
vérité de l'inspiration, ordonna
incontinent à ceux de sa troupe qui
étaient, je crois, au nombre d'environ cinq
à six cents, d'entourer l'assemblée,
pour empêcher que personne ne
s'évadât.
« Dans ce même temps, Clary
continuant dans l'extase, se leva, marcha en
sanglotant et ayant les yeux fermés, avec
d'assez grandes agitations de tête et les
mains jointes élevées. Il approcha
dans cet état du traître qui
était au milieu de l'assemblée, et
mit la main sur lui. Son compagnon qui en fut
effrayé, se vint déclarer
lui-même, se jetant aux pieds du frère
Cavalier, en demandant grâce. Le frère
Cavalier les fit lier tous deux, en attendant ce
qui serait résolu touchant cette affaire.
Mais Clary, toujours dans l'extase, dit hautement
qu'il y avait beaucoup de personnes dans
l'assemblée qui murmuraient, et qui
soupçonnaient qu'il y avait eu de
l'intelligence entre lui et les deux hommes que
l'on avait arrêtés, que Dieu vaincrait
leur incrédulité et qu'il voulait
manifester sa puissance.
Je te dis, mon enfant, lui dit
l'Esprit, à peu près en ces
termes, que je veux faire connaître ma force
et ma vérité. Je veux que l'on allume
tout présentement un feu, et que tu te
mettes au milieu, sans que les flammes te fassent
aucun mal. Ne crains rien, mon enfant, obéis
à mon commandement, et je serai avec toi, je
te conserverai. Il se fit alors un grand cri de
ceux qui avaient murmure, dont le nombre
n'était pas petit. Ils protestèrent
qu'ils ne doutaient plus, et demandèrent
à Dieu, avec cris et larmes, qu'il
retirât le témoignage du feu. Mais le
frère Cavalier, après
délibération, ordonna que le feu
fût fait, et je fus du nombre de ceux qui
ramassèrent le bois. Ce bois, sec et menu,
fut entassé en un moment, au milieu de
l'assemblée, parce que nous en
trouvâmes tout près de là, qui
était destiné pour l'usage de la
tuilerie. Le feu fut allumé, et je ne sais
si ce ne fut point Clary lui-même qui
l'alluma. Comme les flammes commençaient
à s'élever, il entra au milieu, se
tenant debout, et ayant les mains jointes et
élevées. Il était toujours
dans l'extase ; je jugeais qu'il parlait, mais
je n'avais garde d'entendre ce
qu'il disait, puisque, outre les six cents hommes
de la troupe, il y avait environ autant d'autres
personnes, de tout âge et sexe, qui
étaient venus des villages voisins, et qui,
tous ensemble, faisaient un grand cercle autour du
feu ; tous fondant en larmes, chantant des
psaumes, et criant grâce et
miséricorde. Entre ces personnes,
était la femme de Clary, qui criait et
pleurait, en priant Dieu. J'étais à
côté d'elle, et je la rassurais autant
qu'il m'était possible. Ses deux soeurs
étaient là aussi, leur père,
un de leurs frères et quelques parents de
Clary.
« Toute l'assemblée fut
témoin que les flammes, qui
s'élevaient de beaucoup au-dessus de sa
tête, l'environnaient aussi de tous
côtés, de telle manière que
ceux qui auraient fait le tour l'en auraient vu
entièrement enveloppé. Il demeura
dans cet état jusqu'à ce que les
flammes fussent éteintes et que le bois,
qu'on avait toujours repoussé, fût
tout consumé. Alors il sortit, encore en
quelque agitation, et chacun peut juger avec quelle
admiration tous ceux qui purent l'embrasser, et
particulièrement ses proches et intimes
amis, lui témoignèrent leur joie, et comment
chacun bénit
Dieu. Le frère Cavalier fit la
prière, et ensuite, après avoir
entendu la confession des deux hommes
arrêtés, qui demandèrent
grâce et qui témoignèrent une
repentance que l'on jugea être
sincère, il les exhorta fortement à
être fidèles, leur déclarant
que Dieu ne manquerait pas de les livrer une autre
fois entre nos mains, s'ils retombaient en pareille
faute. De sorte qu'ils furent mis en pleine
liberté. Ils dirent que leur grande
pauvreté avait été la cause de
leur tentation. Clary avait une veste blanche que
sa femme lui avait apportée le matin ;
elle ne fut pas le moins du monde offensée,
ni un seul cheveu de sa tête non
plus. »
« Le chef Cavalier reçut
ordre par ses propres inspirations, et par celles
de plusieurs autres, d'administrer la Sainte
Cène. Et il lui fut aussi ordonné,
moi étant présent, par une
inspiration particulière, de faire une revue
de la troupe, et de mettre à part,
jusqu'à un autre temps, ceux que l'Esprit
lui ferait connaître comme n'étant pas
encore assez bien disposés pour être
admis à la communion. Suivant cette
inspiration, il fit assembler la
troupe en pleine campagne; et après qu'il
eût fait la prière
générale, tous demeurèrent
à genoux, chacun priant en particulier.
Alors le frère Cavalier se tenant debout au
milieu de la troupe, étant lui-même en
prière et dans quelques émotions de
l'Esprit dont il était rempli par la
volonté de Dieu, ceux de la troupe
s'approchaient de lui par douzaine environ, et se
jetaient une seconde fois à genoux devant
Dieu, pour recevoir la déclaration qui leur
serait faite par son serviteur. Il les regardait
attentivement, et l'Esprit lui donnait à
connaître ceux qui n'étaient pas
préparés encore. Il les faisait
mettre à part, en leur témoignant
qu'ils seraient reçus une autrefois,
lorsqu'ils seraient en état. Et ceux qui
étaient admis, il leur adressait une
exhortation convenable. J'ai été
présent deux fois à cette
extraordinaire cérémonie, et j'eus la
joie d'être admis la première fois.
Tant ceux qui étaient reçus que ceux
qui étaient renvoyés à un
autre temps, s'allaient mettre encore en
prière, les uns d'un côté et
les autres de l'autre, chacun s'humiliant devant
Dieu selon son état. La Sainte Cène
se donnait et se recevait avec un zèle si grand,
que je ne
pourrais l'exprimer : on voyait une
humiliation profonde, et des visages
mouillés de larmes qui étaient des
larmes de repentance et de joie tout ensemble. Dieu
était là et son Saint-Esprit y
était répandu. Ceux qui n'ont pas
été témoins d'un pareil
spectacle et qui sont prévenus par des
idées qui ne sont pas justes, ne sont pas
capables de juger d'une chose si sainte et si
admirable.
« Outre l'examen dont je viens de
parler et qui n'était que pour ceux qui
portaient les armes, comme il venait une
infinité de gens des villes et des villages
pour communier, il arrivait que le serviteur de
Dieu qui donnait la Cène, et qui
était toujours rempli du don extraordinaire
de l'Esprit en cette rencontre, renvoyait
quelquefois de certaines personnes qu'il
connaissait n'être pas assez
préparées ; mais il ne les
rejetait pas absolument, sinon très
rarement ; il leur disait : Allez prier
Dieu, mon frère, ma soeur, et puis revenez.
De sorte que ces gens-là se
présentaient un quart d'heure après,
tout en pleurs et pleins d'un nouveau zèle,
et ils étaient admis. Je sais que les chefs
des autres troupes, et ceux qui
avaient reçu la vocation extraordinaire au
saint ministère de l'Évangile, en
usaient tous ainsi. »
« Comme nous étions proche
du village de Fons, à deux lieues de
Nîmes (septembre 1703), dans un bois
où nous étions retirés
après avoir été poursuivis
pendant deux jours, il arriva que plusieurs
inspirations concoururent à dire qu'il y
avait dans la troupe un traître qui avait
été séduit par sa femme et qui
avait un dessein formé de tuer le
frère Cavalier. Ce traître,
nommé La Salle, avait été
papiste ; mais il avait depuis longtemps fait
la fonction de bon protestant, et le frère
Cavalier avait eu tant de confiance en lui qu'il en
avait fait un de ses gardes, et qu'il se servait de
lui en diverses occasions particulières. Nos
inspirations insistèrent, en assez grand
nombre, et entre autres celle du frère
Ravanel et la mienne. Sur ces instances, nous
allâmes rapporter la chose au frère
Cavalier qui, pour lors, était un peu
éloigné du gros de la troupe. Nous le
trouvâmes pensif, car il avait eu
lui-même des avertissements sur cela, comme
je le dirai tout à l'heure. Il ordonna que
La Salle fût saisi, ce qui
fût aussitôt exécuté.
D'abord cet homme se mit à crier
miséricorde, sans nier le fait, demandant
fortement à voir le frère Cavalier.
Mais le frère Cavalier ne le voulut point
voir. De sorte que La Salle ayant pleinement
confessé qu'il avait été
suborné pour commettre le crime dont il
était accusé par leur inspiration, il
fut conclu qu'il aurait la tête
coupée, parce que si ou l'avait fait passer
par les armes, selon la pratique ordinaire, le
bruit des fusils aurait pu nous attirer l'ennemi
qui nous cherchait et qui pouvait être proche
de nous.
« Le frère Cavalier avait
un double sujet de tristesse. Il se voyait
privé, par un accident douloureux, d'un
homme qui l'avait aimé et dont il avait
été bien servi ; et d'ailleurs,
il se reprochait d'avoir eu quelque façon
dissimulé l'avertissement que Dieu lui avait
envoyé ; ou plutôt de n'en avoir
pas profité aussitôt qu'il l'aurait
dû faire. Car lorsqu'il consentit a la mort
du traître, il nous dit qu'il avait eu
lui-même un avertissement en vision du
mauvais dessein de cet homme ; dans laquelle
vision le dit La Salle étant couché
auprès de lui, avait voulu par trois fois le tuer
d'un
coup de
pistolet, et que chacun de ces trois coups avait
manqué.
« Dès qu'il eut
été résolu de faire mourir La
Salle et qu'on eut ordonné qu'il fût
exhorté et consolé, selon que cela se
faisait en pareille occasion, je m'éloignai
de l'endroit de l'exécution et je m'en allai
vers le frère Cavalier, qui n'avait pas
voulu non plus en être témoin. Comme
toute la troupe était en prière pour
le criminel, le frère Cavalier qui
était assis à terre tomba en extase
et eut des agitations extraordinaires. Dans la
violence des mouvements qui le soulevaient et qui
le secouaient rudement, l'Esprit lui dit : Je
t'assure, mon enfant, que si tu murmures contre mon
commandement, je t'abandonnerai. Je t'avais fait
connaître qu'il fallait que ce traître
fût mis à mort, et tu m'as
résisté. Prends garde, mon enfant,
car je déclare que si tu n'obéis pas
aux ordres que je te donne, je t'abandonnerai et je
donnerai mon troupeau à conduire à
d'autres qui le conduiront aussi bien que toi. Je
fus extraordinairement touché, de même
que les autres qui étaient présents,
de cette terrible extase du frère
Cavalier. »
« Je crois que ce fut vers le mois
d'octobre ou novembre 1703, que, comme notre troupe
était proche de Pierredon, un certain
nommé Languedoc, sergent dans le
régiment de Menon, se vint jeter parmi nous
comme déserteur, déclarant qu'il
voulait à l'avenir combattre pour la cause
de Dieu. Quelques-uns des nôtres savaient
qu'il était de famille protestante ; et
ses discours nous parurent si raisonnables, que
nous le reçûmes d'abord sans
difficulté, comme nous avions
déjà admis d'autres
déserteurs. Mais il arriva deux jours
après que ce malheureux fut lui-même
témoin, dans une assemblée, des
diverses inspirations qui l'indiquèrent
évidemment et qui le
déclarèrent traître. L'un de
ceux qui parlèrent dans l'inspiration dit
positivement que ce méchant homme
était venu pour nous vendre, et qu'on serait
convaincu si on cherchait dans sa manche, où
on trouverait une lettre de l'ennemi. Sur cela, il
fut incontinent saisi et fouillé ; et
on trouva effectivement dans la manche de son
justaucorps une lettre du
lieutenant-général La Lande qui,
entre autres choses, lui faisait des reproches de
ce qu'il n'avait pas encore exécuté
sa promesse. L'accusé
étant ainsi marqué du doigt de Dieu,
avoua d'abord et lui donna gloire. Il fit
même une grande confession de ses
péchés, et ne demanda pour toute
grâce, que les prières des gens de
bien qu'il avait eu le malheur de vouloir trahir.
Il obtint abondamment ce qu'il désirait, et
nous fûmes tous persuadés que Dieu lui
avait fait miséricorde. J'ai
été témoin de ce
fait. »
Jean Cavalier, de Sauve, déclare
exact ce récit en ajoutant que ce
traître fut accusé par un concours
d'inspirations unanimes, qu'il confessa franchement
son mauvais dessein, qu'il fut
exécuté et qu'il fit une mort
édifiante.
Que de fois Dieu sauva les assemblées
religieuses par le moyen des
révélations.
Claude Arnassan raconte les faits
suivants :
« Comme j'étais sous les
armes dans la troupe du frère Cavalier,
notre principal chef, qui est présentement
colonel, et sous qui j'ai servi dix à onze
mois, il eut quelques raisons de s'éloigner
de la troupe, pour des affaires
particulières, et il me prit avec lui. Nous
étions prêts à manger un
morceau dans la maison où nous
allâmes, après qu'il y eut achevé son affaire,
lorsqu'il fut doucement saisi de l'Esprit, et qu'il
dit, sans qu'il parut presque avoir
d'agitation : Mon enfant, je te dis que tes
ennemis sont proches ; retire-toi ; tes
frères combattent. Sur cela, il se leva
sans manger, et dès que nous fûmes
sortis, nous aperçûmes trois ou quatre
compagnies ennemies qui approchaient de la maison
d'où nous venions de sortir. Nous les
évitâmes, et sur le soir, nous
joignîmes la troupe comme elle poursuivait
ces mêmes ennemis. »
« Comme nous étions en
marche après avoir brûlé le
village de Belvezé, le frère Serre,
qui avait le don fut saisi de l'Esprit, et dit
qu'un certain homme de la troupe, et qui
était d'un tel lieu, avait pris de
l'interdit à Belvezé, et que Dieu
permettrait qu'il fût tué à
deux jours de là, dans un combat. En effet,
nous rencontrâmes l'ennemi deux jours
après ; nous nous battîmes et
nous perdîmes un seul de nos gens, qui
était du lieu nommé par le
frère Serre. »
« Un autre jour, le frère
Cavalier, aujourd'hui colonel, tomba en extase
proche de Saint-Hippolyte, en ma présence et
de huit ou dix autres qui étaient en selle
fort proche de lui. L'Esprit lui
dit : Mon enfant, je te dis qu'on te fera
de grandes propositions ; mais ne te fie point
à eux. Les paroles qu'il prononça
ensuite m'échappèrent ; mais je
me souviens qu'il dit encore ceci - Tu parleras
au roi. Je suppose qu'il a eu depuis des
avertissements positifs, puisqu'il a
traité ; car on ne faisait rien qui
fût de quelque conséquence dans nos
troupes, sans la direction des
inspirations. »
« Une maladie m'ayant
obligé de quitter la troupe en août
1703, Je m'en retournai chez moi. Le lendemain
matin, une fille que je connaissais me vint
solliciter de retourner à la troupe, et me
dit avec instance que je serais pris par l'ennemi
avant la fin de la semaine, si je ne retournai pas,
m'assurant qu'elle en avait été
avertie par une inspiration. Je lui répondis
qu'il m'était impossible de suivre la
troupe, et je demeurai. Mais le jeudi suivant, un
détachement passa dans le village et nous
emmena à Alais, mon frère et moi.
Nous y fûmes quinze jours, et de là on
nous transféra au fort de Nîmes,
où je fus retenu jusqu'au mois de
janvier. »
« Je partis de Londres en juin
1703, pour faire un voyage dans
les Cévennes, raconte David Flottard. J'y
vis le chef Roland et plusieurs de sa troupe, dans
l'inspiration. C'était par ces inspirations
que toutes leurs affaires se réglaient et se
gouvernaient ; j'ai été
témoin de cela, et les chefs n'avaient le
commandement qu'à cause de l'excellence de
ce même don qui était en eux. Je crois
qu'il y avait bien près de la moitié
de leurs soldats qui étaient
inspirés.
« Les uns avaient le talent ou le
don de la prière et de l'exhortation.
D'autres semblaient prédire
particulièrement la destinée de
l'Eglise et de ses ennemis, et les
révolutions de diverses choses dans le
monde. Quelques-uns avaient de fréquents
avertissements particuliers touchant leur propre
conduite, et sur ce qui concernait la guerre ;
d'autres encore avaient été rendus
participants de plusieurs de ces grâces et
même de toutes ensemble. Ils me disaient que
quand ils avaient bien ponctuellement obéi
aux inspirations, toutes choses leur avaient
réussi, et qu'au contraire leurs
disgrâces n'étaient venues que de
manque d'exactitude. J'ai remarqué en eux
tous un grand zèle pour
la gloire de Dieu et une parfaite
résignation à sa volonté, soit
dans la vie soit dans la mort. Tout leur exercice
et tous leur plaisir, dans le désert,
consistait en prières et en chant de
psaumes. »
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