Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

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 Les Cévenols s'étaient révoltés pour ne pas aller à la messe, échapper à la persécution, obtenir la délivrance de leurs frères et soeurs captifs et la liberté de conscience. Aussi, dans leurs forêts et leur désert, leur principale occupation et leur plus grand besoin étaient de s'appliquer à leurs exercices religieux.

Jean Cavalier nous donne dans ses Mémoires, une courte description de leurs saintes assemblées formées sur les ruines de leurs temples. « À ces fontaines sacrées, dit-il, nous puisions joie et consolation dans nos épreuves et nous y recevions cette force qui nous permettait de supporter les souffrances sans nombre que, chaque jour, nous endurions loin du bruit du monde ; regardant au ciel, nous écoutions la Parole de Dieu et chantions à haute voix les louanges de notre Créateur. C'était là que, par nos ferventes prières, nous nous sentions armés d'un courage qui nous rendait capables de braver résolument tous les dangers, même la mort, et de remporter des victoires inespérées. »

Tous les pasteurs ayant été mis à mort ou exilés (1), les Cévenols, ne voulant pas se passer de conducteurs spirituels, adressèrent vocation à ceux d'entre eux qui étaient à la fois les plus spirituels et les mieux doués. Salomon Couderc, âgé d'environ trente-cinq ans, avait surtout consacré son temps à lire et méditer les Saintes Écritures, si bien qu'il en savait par coeur la plus grande partie. Aussi, dès qu'il eut donné par son humilité comme par ses exhortations les preuves de sa capacité, au nom de la troupe, les chefs lui adressèrent vocation pour le saint ministère.

Un jeune homme du Vivarais, appelé Saint-Paul, qui avait le don de la parole et une profonde piété, devint aussi pasteur après que les soldats et leurs familles eurent jeûné deux dimanches pour implorer sur lui la bénédiction divine. Le troisième dimanche, il donna la sainte cène.

Moïse et Daire, tous deux nés à Uzès, furent encore reçus au nombre des ministres, avec deux autres jeunes gens.

Saint-Paul et Moïse furent tués, le premier dans un combat près de Saint-Hippolyte, au bout de dix-huit mois, le second peu de temps après. Daire fut roué vif sur l'échafaud de Montpellier en décembre 1703.

Quant à Salomon Couderc, il prêcha dans les Hautes-Cévennes jusqu'à la mort du capitaine Laporte, auquel il succéda, s'acquittant extrêmement bien de son double devoir de pasteur et d'officier. En octobre 1704, il fit sa soumission à Bâville à condition de pouvoir s'exiler : « Salomon, écrivait Bâville à Chamillard, est le grand prophète des Cévennes, il a trop de crédit pour l'y laisser, je lui ai fait prendre le parti d'aller à Genève. » Salomon devint un des meilleurs prédicateurs de la cité du refuge.

Les pasteurs cévenols prêchaient deux fois chaque semaine et présidaient le culte chaque soir. Toute la troupe y assistait. On chantait les psaumes.
Au moment d'attaquer une armée ennemie ou d'être attaqué par elle, l'un des pasteurs priait, et il exhortait les soldats à combattre avec courage. Alors ceux-ci entonnaient un psaume et descendaient les collines en chantant de tout leur coeur, si bien que ces chants, répétés et multipliés par les échos du voisinage, remplissaient les ennemis de terreur en leur faisant croire que les Cévenols étaient beaucoup plus nombreux qu'ils ne l'étaient en réalité. « Quand ces diables-là se mettaient à chanter leur b.... de chanson : « Que Dieu se montre seulement » (Ps. 68), nous ne pouvions plus être les maîtres de nos gens, disait un officier catholique, ils fuyaient comme si tous les diables avaient été à leurs trousses. »

Les assemblées religieuses se tenaient dans les forêts, souvent dans les cavernes. On avertissait les protestants du voisinage du jour et de l'heure de la réunion. Des sentinelles étaient placées à des distances convenables afin qu'en cas de danger, elles puissent donner un avertissement. Ces assemblées, toujours nombreuses, ont parfois dépassé deux mille personnes.

Les anciens prenaient un soin spécial des pauvres et des malades.
« Ni querelles, ni haine, ni calomnies, ni vols n'étaient connus au milieu de nous, dit l'auteur des Mémoires. Tous nos biens étaient en commun, nous n'étions qu'un coeur et qu'une âme. Jurons, blasphèmes, paroles obscènes étaient complètement bannis de notre société. »

« Tout ce que nous faisions, dit Durand Fage, soit pour le général, soit pour notre conduite particulière, c'était toujours par ordre de l'Esprit. Les plus simples, les enfants même, étaient nos oracles, surtout quand ils insistaient dans l'extase avec redoublement de paroles et d'agitations, et que plusieurs disaient une même chose. Mais dans la troupe où j'étais, nos chefs, et particulièrement M. Cavalier, étaient doués de grâces extraordinaires ; aussi les avait-on choisis à cause de cela, car ils n'avaient aucune connaissance de la guerre ni d'autre chose. Tout ce qu'ils avaient leur était donné sur le champ. Dès qu'il s'agissait de faire quelque chose sur quoi les inspirations n'avaient rien dit, on allait ordinairement au frère Cavalier. Frère, lui disait-on, telle et telle chose se passe, que ferons-nous ? Aussitôt, il rentrait en lui-même, et, après quelque élévation de son coeur à Dieu, l'Esprit le frappait, on le voyait un peu agité, et il disait ce qu'il fallait faire. C'était merveille, dans les batailles, de le voir le sabre à la main, sur son cheval, et, dans de certaines émotions de l'Esprit qui l'animait, courir partout, encourager, fortifier, faire des commandements qui surprenaient souvent, mais qui étaient exécutés à merveille et réussissaient de même.

« Dans les occasions de grande importance, on faisait la prière générale, et chacun demandait à Dieu qu'il lui plût d'éclairer ses enfants dans l'affaire dont il s'agissait. Incontinent, voilà qu'en divers endroits, on apercevait quelqu'un saisi de l'Esprit. Les autres couraient pour entendre ce qui serait prononcé. Et ceux qui critiquent ici sans savoir l'état des choses, auraient eu beau crier que nous avions des inspirations de commande : elles n'étaient pas de commande, mais elles étaient de demande ; car nous implorions le secours de Dieu dans notre besoin, et sa bonté nous répondait. Eh bien, disaient après cela les chefs, qu'est-ce que Dieu a ordonné ? Tous les inspirés avaient dit la même chose, par rapport à ce qui était en question ; et d'abord on se mettait en devoir d'obéir. Dans les commencements, plus que dans la suite, on murmurait quelquefois, parce qu'on manquait de foi et qu'on voulait être plus sage que la Sagesse même, et cela arrivait particulièrement aux nouveaux incorporés dans la troupe, et à ceux qui n'avaient pas d'inspirations. Serait-il bien possible, disait-on quelquefois, que Dieu voulût qu'on se gouvernât ainsi, ou ainsi ? et alors on faisait souvent à sa fantaisie, en supposant que peut-être l'inspiration n'avait pas été bien entendue. Mais on en était châtié, et ceux qui avaient le plus de soumission et d'humilité, ne manquaient pas de faire des réflexions sur la faute qui avait été commise.

« Devions-nous attaquer l'ennemi ? Étions-nous poursuivis ? La nuit nous surprenait-elle ? Craignions-nous les embuscades ? Arrivait-il quelque accident ? Fallait-il manquer le lieu de l'assemblée ? Nous nous mettions d'abord en prière : Seigneur, fais-nous connaître ce qu'il te plaît que nous fassions pour ta gloire et notre bien ! Aussitôt l'Esprit nous répondait, et l'inspiration nous guidait en tout.

« La mort ne nous effrayait point ; nous ne faisions aucun cas de notre vie, pourvu qu'en la perdant pour la querelle de notre Sauveur et en obéissant à ses commandements, nous remissions nos âmes entre ses mains. Je ne crois pas qu'un seul de ceux qui étaient inspirés dans notre troupe ait été tué dans le combat ou ait été pris et exécuté à mort, qu'il n'en ait été averti quelque temps auparavant. Alors on se remettait avec humilité entre les mains de Dieu et on se résignait à sa volonté avec constance. On s'estimait heureux de pouvoir le glorifier dans la mort comme dans la vie. Je n'ai jamais ouï dire qu'aucun de nos frères, qui ont été appelés en grand nombre à sceller la vérité par leur sang, ait eu la moindre tentation de racheter sa vie par une lâche révolte, comme plusieurs auraient pu le faire s'ils avaient voulu. Ce même Esprit-Saint qui les avait tant de fois assistés, les accompagnait jusqu'au dernier moment. De sorte qu'ils ne perdaient pas au change, et que la mort ne leur était qu'un passage à la vie.

« D'ailleurs, quand l'inspiration nous avait dit : Marchez, ne crains point, ou bien. Obéis à mon commandement, fais telle ou telle chose, rien n'aurait été capable de nous en détourner : je parle des plus fidèles et de ceux qui avaient le plus éprouvé la vérité de Dieu. Lorsqu'il s'agissait d'aller au combat, j'ose dire que quand l'Esprit m'avait fortifié par ses bonnes paroles : « N'appréhende rien, mon enfant, je te conduirai, je t'assisterai », j'entrais dans la mêlée comme si j'avais été vêtu de fer, ou comme si les ennemis n'eussent eu que des bras de laine. Avec l'assistance de ces heureuses paroles de l'Esprit de Dieu, nos petits garçons de douze ans frappaient à droite et à gauche comme de vaillants hommes. Ceux qui n'avaient ni sabre ni fusil faisaient des merveilles à coups de perches et à coups de fronde ; et la grêle des mousquetades avaient beau nous siffler aux oreilles et percer nos chapeaux et nos manches, comme, l'Esprit nous avait dit : Ne craignez rien, cette grêle de plomb ne nous inquiétait pas plus qu'aurait fait une menue grêle ordinaire.

« Il en était de même dans toutes les autres occasions lorsque nous étions guidés par nos inspirations. Nous ne posions point de sentinelles autour de nos Assemblées, quand l'Esprit qui avait soin de nous, nous avait déclaré que cette précaution n'était pas nécessaire. Et nous aurions cru être en sûreté sous les chaînes et dans les cachots, dont le duc de Berwick et l'intendant Bâville auraient été les portiers, si l'inspiration nous eût dit : Vous serez délivrés.

« Depuis ce temps-là, quand nous avons été exposés à d'autres sortes de persécutions, elles ne nous ont pas effrayés non plus. On a bien dit du mal de nous en mentant ; mais l'Esprit qui nous console, nous a dit comme il l'avait fait autrefois à de grands serviteurs de Dieu : Réjouissez-vous, mes enfants, et ne craignez rien. Ainsi, quand Dieu l'a voulu, son bouclier nous a garantis, tantôt des mousquetades de Montrevel et tantôt des injures des diffamateurs.

« Dieu a répandu sur nous des grâces différentes, et comme il lui a plu de nous envoyer diversité de dons, son bon plaisir a été aussi qu'il y eût non seulement du plus ou du moins, mais de la variété dans les extases de ceux qui ont reçu de semblables dons. Chaque personne même est diversement agitée, suivant les circonstances et selon la nature des choses qu'elle prononce. Mais tous ceux que l'inspiration fait parler ont ceci de commun, c'est, comme je l'ai déjà dit, que les paroles sont formées dans leur bouche sans qu'ils y contribuent par aucun dessein ; de même que leurs corps sont mûs par une puissance qui les domine, et à laquelle ils ne font que prêter leurs organes. À l'instant que mon coeur s'échauffe et que ma chair frémit, j'élève mes pensées à mon Dieu : « Me voici, lui dis-je, Seigneur, aie pitié de moi, dispose à ta volonté de mon corps et de mon âme qui sont à toi. » Je m'abandonne, je me livre à lui ; et c'est lui, c'est sa vertu grande et admirable qui fait et qui dit ce que l'on voit et ce que l'on entend. Si c'est peu de chose, qu'on en rie ; autrement, qu'on y prenne garde.

« Je ferai ici quelques autres remarques sur les inspirations, puisque l'occasion s'en présente. Quelquefois, Dieu les envoyait à ceux qui les craignaient et les refusait à ceux qui les désiraient. Nous nous imaginions qu'il était du devoir de chaque fidèle de les demander ; mais j'ai rencontré ici des personnes éclairées qui sont d'un sentiment contraire et qui disent qu'il est seulement du devoir de ceux qui ont reçu ces grands dons d'en jouir avec actions de grâces, et aux autres, d'en profiter comme de motifs et d'aiguillon à la repentance ; et qu'il y aurait de la témérité à ceux-ci de désirer une chose si mystérieuse et si redoutable, vu la règle générale, qui est de ne demander à Dieu que ce qui est pour sa gloire, sans rien lui prescrire de particulier, principalement quand il s'agit de choses si extraordinaires et si incompréhensibles.

« Quoi qu'il en soit, je tiens pour très certain que ceux qui sont salutairement visités de cet Esprit qui console et qui fortifie, comme je le suis par la grâce de Dieu, doivent bien se donner de garde de se priver eux-mêmes d'une faveur si douce, et dont ils ressentent continuellement des effets si heureux. C'est pourtant une faute dont plusieurs sont coupables, si j'ai été bien informé. On m'a dit que le secret (secret abominable) pour éloigner cet esprit, c'est de s'éloigner de Dieu et de rompre tout commerce avec lui. À la vérité, il y a aussi des personnes qui ont été privées de cette sainte consolation, à leur grande douleur, sans que leur intention ait été de contribuer à la perte qu'ils ont faite. Fuir le mal et l'avoir en horreur, aimer le bien et tâcher d'en faire, mépriser la vanité et toutes les folies du monde, se rire des moqueurs profanes et chercher la compagnie des gens de bien, lire la Parole de Dieu et les livres de piété, fréquenter les saintes assemblées, chanter les psaumes, prier sans cesse, ce sont les vrais et assurés moyens d'entretenir ce bienheureux Esprit ; et il n'y a qu'à faire le contraire de ces choses-là pour l'éteindre. On saura que nous nous mettions à genoux quand nous écoutions les inspirations les uns des autres.

« L'intérêt mondain a fait commettre de grands crimes à plusieurs pères et mères de jeunes gens qui avaient reçu les grâces. Car comme les persécuteurs emprisonnaient et ruinaient toute une famille pour un inspiré, on cherchait à se garantir, et on le faisait en contristant l'Esprit. Je parle selon les idées qui nous étaient communes à tous. Je pourrais nommer ici bien des gens que j'épargne, parce qu'ils se sont peut-être repentis, qui ont maltraité leurs enfants de toutes les manières, voulant les empêcher de prophétiser (pour parler leur propre langage). Ce n'était pas qu'ils ne fussent bien convaincus que ces pauvres enfants tombaient involontairement dans leurs extases car la chose était manifeste. Mais ils s'imaginaient peut-être que Dieu retirerait plutôt son Esprit que de permettre qu'il fût en scandale, et que de petits innocents en souffrissent. Je ne sais que dire sur une chose si difficile. Ce sont des profondeurs. Dieu pouvait punir ceux qui l'offensaient ; et quelquefois sa volonté était de retirer plutôt son Esprit. Ses voies ne sont pas nos voies. Il y a dans cette dispensation beaucoup d'autres choses incompréhensibles qui ne sont peut-être que pour nous humilier.

« Toutes les diverses cruautés que l'on exerçait contre les inspirés ne faisaient qu'augmenter leur zèle. Ils le portaient dans les prisons et dans les monastères. Ils avaient surtout une ardeur incroyable pour les saintes assemblées.

« Il est arrivé sur ce sujet une chose singulière que je joindrai ici : Un homme de Vézenobres (à trois lieues d'Alais), voulant prévenir le malheur de voir sa maison rasée, etc., à cause de son petit garçon qui prophétisait, courut chez le curé, au premier moment que l'enfant tomba dans l'extase, afin qu'il fut témoin de la chose et qu'il fit son rapport comme bon lui semblerait. Mais quand le père et le curé revinrent, nonobstant toute leur diligence, l'enfant avait cessé de parler, sous l'opération, et le père lui-même fut saisi de l'Esprit, en présence de cet ennemi à qui il avait voulu livrer son fils. De sorte que ce malheureux père devint sur le champ la proie du persécuteur, qui ne s'imagina pas sans doute que cet accès fût le premier du père. Je n'ai pas su ce qui était arrivé dans la suite. »

Ce même Durand Fage raconte les précieuses expériences qu'il faisait :
« Au commencement de février 1703, j'eus l'occasion d'aller au Grand-Gallargues. Une jeune fille de 23 ans, Marguerite Bolle, ma parente, étant tombée en extase dans la maison où j'étais, dit entre autres choses en ma présence, que l'épée que je portais servirait à détruire les ennemis de la vérité. Pendant les quinze jours qui suivirent, j'eus de fréquents soupirs et des tressaillements que je ne pouvais ni empêcher ni prévenir. Mon esprit s'élevait continuellement à Dieu. Les divertissements ordinaires de ma jeunesse me parurent non seulement méprisables, mais ils me devinrent insupportables. L'idée de mes péchés occupait incessamment mon esprit, et c'est ce qui me causait tant de sanglots et de tressaillements. De sorte que ma bouche prononçait incessamment : Grâce ! Grâce ! Miséricorde ! Mon coeur consentait avec un grand zèle quand la parole était prononcée.

« Cependant, j'étais soutenu par une bonne espérance, et par une joie mêlée avec ma bonne tristesse. Et je reçus, trois semaines après, dans une seconde inspiration, des consolations infiniment douces, qui donnèrent à mon esprit une tranquillité et un contentement secrets qui jusque-là m'avaient été inconnus. Quand mon père et ma mère apprirent que Dieu avait daigné me visiter de ses grâces, ils eurent une grande joie, et tous leurs amis vinrent les féliciter. Depuis ce temps-là, j'ai toujours été et je suis encore dans cet état.

« Vers le commencement de mars 1703, je me trouvais à Langlade, chez une veuve de nos fidèles amis, où se trouvait aussi un de nos frères qui était de Calvisson. L'Esprit le saisit soudainement, et je me souviens de deux choses qu'il dit dans son inspiration : la première, que nous n'avions rien à craindre, quoique les ennemis fussent autour de nous ; la seconde, qu'il y aurait une bataille dans la plaine de Calvisson, où les femmes combattraient avec nous, et que Dieu nous donnerait la victoire. En effet, environ deux mois après, les ennemis étaient venus fondre sur une assemblée qui se fit à Nages, joignant la plaine de Calvisson, dans laquelle assemblée je me trouvais, les femmes se défendirent à coups de pierre avec un grand courage, chantant toujours les psaumes, et nous fortifiant par leur exemple, et nous remportâmes la victoire qui avait été prédite. »

Elie Marion assure que « de même que Dieu réprimait quand il lui plaisait la force du feu et qu'il faisait parmi nous d'autres merveilles semblables, il arrêtait aussi la force des balles de fusil, de sorte qu'elles frappaient quelquefois à plomb et comme à bout touchant ceux que Dieu voulait garantir, sans qu'ils en fussent offensés. Un de nos soldats m'a fait voir son justaucorps percé de trois balles, à deux pouces l'une de l'autre, vis-à-vis des reins, m'assurant qu'il avait pris les trois balles qui étaient demeurées entre la chemise et la chair... Un de mes amis reçut un coup de fusil tiré d'une fenêtre en bois, où il était ; la balle perça la forme du chapeau sans le blesser, et il la prit entre le chapeau et ses cheveux. Ceux d'entre nous qui, avant de s'engager dans les batailles, ou en d'autres occasions, avaient été avertis dans l'inspiration qu'ils n'avaient rien à craindre, - ce qui était ordinaire - n'ont jamais été, que je sache, ni tués, ni blessés. Peu de temps après que j'eus pris les armes, l'Esprit m'assura que je serais garanti des dangers de mort et que je verrais la fin de cette guerre. »

Le même témoin raconte encore les deux faits suivants :
« Au commencement d'octobre 1703, le Maréchal de Montrevel monta dans nos Hautes-Cévennes pour brûler et saccager tout. Alors comme nous étions dans une assemblée, le frère La Veille, qui avait un grand don de prédication, fut saisi de l'Esprit et dit, sous l'opération, que notre ennemi n'exécuterait pas ce qu'il avait entrepris, mais qu'il serait obligé, dans trois jours, de descendre plus vite qu'il n'était monté. En effet, le dimanche suivant, dès le matin (précisément trois jours après l'avertissement donné au frère La Veille), plusieurs exprès furent dépêchés au Maréchal pour lui faire savoir qu'il y avait des vaisseaux anglais proches de la côte, afin qu'il se hâtât de revenir avec ses troupes. Nos soldats interceptèrent une de ces lettres, que j'ai lue et dont je marquerai ici quelques circonstances, parce qu'il y a eu des gens qui ont contesté le fait. Le gouverneur de Cette mandait au Maréchal que deux navires anglais, d'un tel port et de tant de pièces de canon, menaçaient d'une descente ; qu'ils avaient fait divers signaux et qu'on avait tiré quelques volées de canon sur eux, que toute la côte était en alarme et qu'il eût à hâter son retour. Ainsi fit monsieur le Maréchal. Il rappela les détachements qu'il avait déjà mis en campagne pour mettre le feu partout, et il marcha jour et nuit.

Le jour de Pâques 1704, après que nous eûmes participé à la sainte-cène, le frère Abraham Mazel tomba dans une grande extase, et entre les diverses choses que l'Esprit lui fit dire, il prononça ceci : Je te dis, mon enfant, qu'un des principaux de tes frères, qui est ici présent et qui a reçu le don d'annoncer ma parole, sera mis à mort par la main de ses ennemis. Abraham, étant revenu de son extase, regarda fixement tous ceux de la compagnie qui avaient le don de la prédication, et s'arrêtant enfin sur le frère Moulines, qui commandait une petite troupe et qui avait reçu un talent admirable, il lui dit : Frère, préparez-vous, c'est à vous à qui Dieu s'adresse. Abraham parla ainsi par une inspiration secrète, comme cela lui arrivait souvent. Malines reçut avec une profonde résignation l'avertissement de Dieu et en profita sans doute en vrai fidèle, tel qu'il était. Le 15 ou 16 de mai suivant, il fut tué d'un coup de fusil dans un combat. »

Le Théâtre sacré des Cévennes abonde en faits extraordinaires qui nous révèlent que Dieu était visiblement au milieu de son peuple persécuté et qu'il a très souvent averti ses enfants des dangers qu'ils couraient, des pièges qu'on leur tendait, des traîtres qui se trouvaient parmi eux comme le prouvent les témoignages suivants :

« Notre troupe étant entre Ners et Las-Cour-de-Creviez, raconte Durand Fage, le frère Cavalier, notre chef, eut une vision. Il était assis, et il se leva soudainement, en nous disant ces paroles : Ah ! mon Dieu, je viens de voir en vision que le Maréchal de Montrevel qui est à Alais vient de donner des lettres contre nous à un courrier qui va les porter à Nîmes. Qu'on se hâte, et on trouvera le courrier, habillé d'une telle manière, monté sur un tel cheval et accompagné de telles et telles personnes. Courez, hâtez-vous, vous le trouverez sur le bord du Gardon. À l'instant, trois de nos hommes montèrent à cheval, Ricard, Bouré et un autre; et ils rencontrèrent sur le bord de la rivière, dans l'endroit marqué, et l'homme et ceux qui étaient avec lui, dans toutes les circonstances que le frère Cavalier avaient spécifiées. Cet homme fut amené à la troupe, et on le trouva chargé des lettres du Maréchal ; de sorte que nous fûmes informés par une admirable révélation de diverses choses dont nous fîmes ensuite un heureux usage. Le courrier fut renvoyé à pied. J'étais dans la troupe quand cela arriva, et j'atteste ce que j'ai vu. »

Voici un fait raconté par Jean Cavalier, de Sauve, le cousin du chef camisard du même nom :
« Après la bataille de Gaverne, nous nous en allâmes au château de Rouvière, à une demi-lieue de Sauve. Comme j'étais avec le chef Cavalier, mon cousin, et plusieurs des principaux de la troupe, il dit tout haut : Je me sens tout contristé ; un Judas m'a baisé aujourd'hui. Cependant, on prépara le dîner ; environ vingt personnes se trouvèrent à table, tant de ceux de la troupe que des amis du voisinage. Entre autres, il y avait un certain N., protestant de profession, qui avait été ami de l'illustre M. Brousson ; il avait aussi toute la confiance de M. Cavalier, et nous le regardions tous ensemble avec d'autant plus d'estime, qu'il avait toujours fréquenté nos saintes assemblées ; qu'il aidait souvent à les convoquer ; qu'il recevait les charités de ceux qui nous communiquaient leurs secours d'argent, et qu'il avait même souffert la prison pour quelqu'une de ces bonnes oeuvres ; c'était un homme de 45 ans.

Comme nous étions tous à table, N. à la droite de mon cousin et moi à sa gauche, l'Esprit me saisit avec de grandes agitations au milieu du repas ; et entre autres paroles, il me fit prononcer celles-ci : Je te dis, mon enfant, qu'un de ceux qui sont assis à cette table et qui a trempé la main dans le même plat que mon serviteur, a dessein de l'empoisonner. Presque aussitôt que mon inspiration eut cessé, une parente de M. Cavalier, qui était dans la même chambre auprès du feu, tomba en extase et dit en propres termes : Il y a ici un Judas qui a baisé mon serviteur et qui est venu pour l'empoisonner. Dès que mon cousin eut entendu ce que j'avais prononcé, il s'était abstenu de manger et avait ordonné que les portes fussent gardées ; mais après qu'il eut reçu le second avertissement par la bouche de la jeune fille, il fit redoubler la garde. La compagnie continua de dîner. Comme on était encore à table, le frère Ravanel (celui qui a souffert le martyre) fut soudainement saisi de l'Esprit avec des agitations très grandes : Je t'assure, mon enfant, lui dit l'Esprit, qu'il y a présentement un traître assis à cette table qui a reçu une somme d'argent pour empoisonner mon serviteur, et même toute la troupe, s'il lui était possible. Je te dis qu'il a promis à l'ennemi d'empoisonner le chef et qu'il s'est proposé en entrant dans cette maison, d'empoisonner l'eau de la citerne et le seau, pour tâcher de détruire le troupeau, s'il ne peut pas faire périr le berger. À l'instant que M. Cavalier eut entendu ces paroles, il défendit qu'on puisât de l'eau, et il fit garder la citerne du château après que l'on eût jeté le seau dedans.

« Dans le même temps, on vint dire dans la chambre où nous étions, que le frère Du Plan, brigadier de la troupe, qui était dans une autre chambre, venait de tomber dans une extase extraordinaire, avec de fortes violentes agitations. J'y courus et j'entendis qu'il prononça ces paroles : Je te déclare, mon enfant, qu'il y a dans cette maison un homme qui a vendu mon serviteur pour une somme d'argent. il a mangé à la même table que lui. Mais je te dis que ce traître sera reconnu, et qu'il sera convaincu de son crime. Je te dis qu'il a dessein présentement de jeter le poison qu'il a caché sur lui, ou de le mettre dans les habits de quelqu'un de la compagnie, mais je permettrai qu'il soit reconnu et nommé par son nom.

« M. Cavalier ayant été averti de l'inspiration de Du Plan, le fit venir dans une chambre particulière, avec les trois personnes qui avaient eu des inspirations, et tous ceux qui avaient mangé avec nous à la même table. On avait commencé à fouiller plusieurs de ces mêmes personnes, lorsque Du Plan, qui marchait au milieu de ses agitations, entra dans la chambre ; il vint droit à N. et lui mettant la main sur le bras, il l'accusa et le censura avec beaucoup de véhémence, disant : Ne vois-tu pas, misérable, que je vois toutes choses ? que je sonde les coeurs et les reins, et que les plus secrètes pensées me sont découvertes : n'appréhendes-tu pas mes jugements terribles ? oserais-tu nier le complot que tu as fait avec les ennemis de mon peuple ? Confesse, malheureux, confesse ton crime ?

« N. voulut s'excuser ; mais Du Plan, dans un redoublement de l'inspiration, déclara positivement que le poison était dans la tabatière et dans la manche du justaucorps de celui qui était accusé, de sorte qu'il fut pleinement convaincu, J'étais présent et j'ai vu tout cela. Le poison était dans du papier. M. Cavalier ayant des raisons particulières pour ne pas faire mourir ce traître, et sa mort n'ayant pas été ordonnée par aucune des quatre inspirations, il se contenta de le censurer et de lui présenter quantité de choses qu'il n'est pas nécessaire que je rapporte ici. De sorte, que la nuit étant venue, N. eut la liberté de s'en retourner chez lui. Il y eut ordre à la troupe de se préparer pour la prière générale, en actions de grâces de la délivrance admirable que Dieu nous avait accordée.

« Aussitôt que le malheureux N. fut revenu chez lui, le commandant du lieu et les révérends pères capucins qui l'avaient mis en oeuvre eurent regret de l'argent qu'ils avaient avancé et le redemandèrent. L'ancien Judas rapporta bonnement ce qu'il avait reçu ; mais celui-ci, plus intéressé, voulait garder ses écus. Les moines avaient quelque tort, car leur assassin avait assez risqué ; ils devaient du moins lui laisser quelque chose. Cependant ils le pressèrent ; et il promit, pour se rendre digne de son salaire, qu'il donnerait la liste des personnes de la ville qui avaient le plus de communication avec M. Cavalier, afin qu'on les saisit. En effet, peu de temps après, le Maréchal de Montrevel étant revenu à Sauve, N. eut un entretien particulier avec lui, et le Maréchal fit arrêter autour de soixante personnes, au nombre desquels je fus.

« On nous conduisit à Sommières, de là à Montpellier, et de Montpellier à Perpignan.

« Je dirai par occasion, que, comme nous étions sur la mer, dans un grand orage et dans une grande frayeur, un jeune garçon du nombre des prisonniers eut une inspiration, et dit entre autre chose : Je suis Celui qui vous conduit ; ne craignez point ; dans quatre heures vous serez au port. Et cela arriva.

« Je n'ai pas été particulièrement informé des raisons qui rendirent N. odieux à ceux qui l'avaient employé ; quoiqu'il en soit, il fut envoyé lui-même à Perpignan, dans la prison où j'étais, justement un mois après que j'y fus arrivé. Nous fûmes fort surpris de le voir ; et on peut bien penser que nos prisonniers le reçurent d'une manière qui ne lui fut pas fort agréable. C'est ce qui l'obligea en partie, de se tenir seul dans sa chambre ; mais d'ailleurs, il y fut porté par une profonde mélancolie. Il tomba malade ; et quelques semaines après, il me fit prier de l'aller voir. Il me raconta un songe qui l'inquiétait. « J'ai songé, dit-il, que je me suis trouvé tout nu, et que personne n'a voulu me donner aucune chose pour me couvrir. Comme j'ai voulu me cacher dans le lieu secret, je suis tombé dans l'ordure ; j'y ai été plongé jusqu'à la bouche et j'ai crié ; mais personne n'est venu me secourir, et je suis demeuré mort dans ce vilain lieu. » Peu de jours après, se trouvant plus mal, il fut mis à l'hôpital, demeurant toujours dans une profonde tristesse et ne parlant que de Satan et que des troubles où il était jour et nuit. Je l'ai vu plusieurs fois dans ce déplorable état.

Enfin on lui donna du vin émétique, et il mourut dans l'opération de ce remède, ayant jeté une si prodigieuse quantité d'ordure par la bouche et autrement tant avant sa mort qu'aussitôt après, qu'on fut obligé de l'envelopper dans son propre matelas, sans le nettoyer, pour le porter dans sa fosse. Je suis témoin de toutes ces choses. »

La déposition suivante de Durand Fage est encore plus extraordinaire, elle est appuyée par Jean Cavalier et par de nombreux témoins :
« Au mois d'août 1703, le frère Cavalier, notre chef, convoqua une assemblée proche de la tuilerie de Sérignan, entre Quissac et Sommières, un jour de dimanche. Vers les deux ou trois heures après-midi, Dieu se manifesta à nous par un signe admirable. Le frère Clary, homme d'environ trente ans, et qui avait reçu des dons extraordinaires, tomba en extase. J'ajouterai, si l'on veut, que c'était lui qui avait la distribution de nos vivres. Après de grandes agitations, entre les diverses choses qu'il prononça, il dit à haute voix qu'il y avait deux hommes dans l'assemblée qui étaient venus pour la vendre et que s'ils ne se repentaient pas de leur mauvais dessein, lui, Clary, déclarait de la part de Dieu qu'il irait les saisir. Sur cela, le frère Cavalier, qui ne doutait pas de la vérité de l'inspiration, ordonna incontinent à ceux de sa troupe qui étaient, je crois, au nombre d'environ cinq à six cents, d'entourer l'assemblée, pour empêcher que personne ne s'évadât.

« Dans ce même temps, Clary continuant dans l'extase, se leva, marcha en sanglotant et ayant les yeux fermés, avec d'assez grandes agitations de tête et les mains jointes élevées. Il approcha dans cet état du traître qui était au milieu de l'assemblée, et mit la main sur lui. Son compagnon qui en fut effrayé, se vint déclarer lui-même, se jetant aux pieds du frère Cavalier, en demandant grâce. Le frère Cavalier les fit lier tous deux, en attendant ce qui serait résolu touchant cette affaire. Mais Clary, toujours dans l'extase, dit hautement qu'il y avait beaucoup de personnes dans l'assemblée qui murmuraient, et qui soupçonnaient qu'il y avait eu de l'intelligence entre lui et les deux hommes que l'on avait arrêtés, que Dieu vaincrait leur incrédulité et qu'il voulait manifester sa puissance.

Je te dis, mon enfant, lui dit l'Esprit, à peu près en ces termes, que je veux faire connaître ma force et ma vérité. Je veux que l'on allume tout présentement un feu, et que tu te mettes au milieu, sans que les flammes te fassent aucun mal. Ne crains rien, mon enfant, obéis à mon commandement, et je serai avec toi, je te conserverai. Il se fit alors un grand cri de ceux qui avaient murmure, dont le nombre n'était pas petit. Ils protestèrent qu'ils ne doutaient plus, et demandèrent à Dieu, avec cris et larmes, qu'il retirât le témoignage du feu. Mais le frère Cavalier, après délibération, ordonna que le feu fût fait, et je fus du nombre de ceux qui ramassèrent le bois. Ce bois, sec et menu, fut entassé en un moment, au milieu de l'assemblée, parce que nous en trouvâmes tout près de là, qui était destiné pour l'usage de la tuilerie. Le feu fut allumé, et je ne sais si ce ne fut point Clary lui-même qui l'alluma. Comme les flammes commençaient à s'élever, il entra au milieu, se tenant debout, et ayant les mains jointes et élevées. Il était toujours dans l'extase ; je jugeais qu'il parlait, mais je n'avais garde d'entendre ce qu'il disait, puisque, outre les six cents hommes de la troupe, il y avait environ autant d'autres personnes, de tout âge et sexe, qui étaient venus des villages voisins, et qui, tous ensemble, faisaient un grand cercle autour du feu ; tous fondant en larmes, chantant des psaumes, et criant grâce et miséricorde. Entre ces personnes, était la femme de Clary, qui criait et pleurait, en priant Dieu. J'étais à côté d'elle, et je la rassurais autant qu'il m'était possible. Ses deux soeurs étaient là aussi, leur père, un de leurs frères et quelques parents de Clary.

« Toute l'assemblée fut témoin que les flammes, qui s'élevaient de beaucoup au-dessus de sa tête, l'environnaient aussi de tous côtés, de telle manière que ceux qui auraient fait le tour l'en auraient vu entièrement enveloppé. Il demeura dans cet état jusqu'à ce que les flammes fussent éteintes et que le bois, qu'on avait toujours repoussé, fût tout consumé. Alors il sortit, encore en quelque agitation, et chacun peut juger avec quelle admiration tous ceux qui purent l'embrasser, et particulièrement ses proches et intimes amis, lui témoignèrent leur joie, et comment chacun bénit Dieu. Le frère Cavalier fit la prière, et ensuite, après avoir entendu la confession des deux hommes arrêtés, qui demandèrent grâce et qui témoignèrent une repentance que l'on jugea être sincère, il les exhorta fortement à être fidèles, leur déclarant que Dieu ne manquerait pas de les livrer une autre fois entre nos mains, s'ils retombaient en pareille faute. De sorte qu'ils furent mis en pleine liberté. Ils dirent que leur grande pauvreté avait été la cause de leur tentation. Clary avait une veste blanche que sa femme lui avait apportée le matin ; elle ne fut pas le moins du monde offensée, ni un seul cheveu de sa tête non plus. »

« Le chef Cavalier reçut ordre par ses propres inspirations, et par celles de plusieurs autres, d'administrer la Sainte Cène. Et il lui fut aussi ordonné, moi étant présent, par une inspiration particulière, de faire une revue de la troupe, et de mettre à part, jusqu'à un autre temps, ceux que l'Esprit lui ferait connaître comme n'étant pas encore assez bien disposés pour être admis à la communion. Suivant cette inspiration, il fit assembler la troupe en pleine campagne; et après qu'il eût fait la prière générale, tous demeurèrent à genoux, chacun priant en particulier. Alors le frère Cavalier se tenant debout au milieu de la troupe, étant lui-même en prière et dans quelques émotions de l'Esprit dont il était rempli par la volonté de Dieu, ceux de la troupe s'approchaient de lui par douzaine environ, et se jetaient une seconde fois à genoux devant Dieu, pour recevoir la déclaration qui leur serait faite par son serviteur. Il les regardait attentivement, et l'Esprit lui donnait à connaître ceux qui n'étaient pas préparés encore. Il les faisait mettre à part, en leur témoignant qu'ils seraient reçus une autrefois, lorsqu'ils seraient en état. Et ceux qui étaient admis, il leur adressait une exhortation convenable. J'ai été présent deux fois à cette extraordinaire cérémonie, et j'eus la joie d'être admis la première fois. Tant ceux qui étaient reçus que ceux qui étaient renvoyés à un autre temps, s'allaient mettre encore en prière, les uns d'un côté et les autres de l'autre, chacun s'humiliant devant Dieu selon son état. La Sainte Cène se donnait et se recevait avec un zèle si grand, que je ne pourrais l'exprimer : on voyait une humiliation profonde, et des visages mouillés de larmes qui étaient des larmes de repentance et de joie tout ensemble. Dieu était là et son Saint-Esprit y était répandu. Ceux qui n'ont pas été témoins d'un pareil spectacle et qui sont prévenus par des idées qui ne sont pas justes, ne sont pas capables de juger d'une chose si sainte et si admirable.

« Outre l'examen dont je viens de parler et qui n'était que pour ceux qui portaient les armes, comme il venait une infinité de gens des villes et des villages pour communier, il arrivait que le serviteur de Dieu qui donnait la Cène, et qui était toujours rempli du don extraordinaire de l'Esprit en cette rencontre, renvoyait quelquefois de certaines personnes qu'il connaissait n'être pas assez préparées ; mais il ne les rejetait pas absolument, sinon très rarement ; il leur disait : Allez prier Dieu, mon frère, ma soeur, et puis revenez. De sorte que ces gens-là se présentaient un quart d'heure après, tout en pleurs et pleins d'un nouveau zèle, et ils étaient admis. Je sais que les chefs des autres troupes, et ceux qui avaient reçu la vocation extraordinaire au saint ministère de l'Évangile, en usaient tous ainsi. »

« Comme nous étions proche du village de Fons, à deux lieues de Nîmes (septembre 1703), dans un bois où nous étions retirés après avoir été poursuivis pendant deux jours, il arriva que plusieurs inspirations concoururent à dire qu'il y avait dans la troupe un traître qui avait été séduit par sa femme et qui avait un dessein formé de tuer le frère Cavalier. Ce traître, nommé La Salle, avait été papiste ; mais il avait depuis longtemps fait la fonction de bon protestant, et le frère Cavalier avait eu tant de confiance en lui qu'il en avait fait un de ses gardes, et qu'il se servait de lui en diverses occasions particulières. Nos inspirations insistèrent, en assez grand nombre, et entre autres celle du frère Ravanel et la mienne. Sur ces instances, nous allâmes rapporter la chose au frère Cavalier qui, pour lors, était un peu éloigné du gros de la troupe. Nous le trouvâmes pensif, car il avait eu lui-même des avertissements sur cela, comme je le dirai tout à l'heure. Il ordonna que La Salle fût saisi, ce qui fût aussitôt exécuté. D'abord cet homme se mit à crier miséricorde, sans nier le fait, demandant fortement à voir le frère Cavalier. Mais le frère Cavalier ne le voulut point voir. De sorte que La Salle ayant pleinement confessé qu'il avait été suborné pour commettre le crime dont il était accusé par leur inspiration, il fut conclu qu'il aurait la tête coupée, parce que si ou l'avait fait passer par les armes, selon la pratique ordinaire, le bruit des fusils aurait pu nous attirer l'ennemi qui nous cherchait et qui pouvait être proche de nous.

« Le frère Cavalier avait un double sujet de tristesse. Il se voyait privé, par un accident douloureux, d'un homme qui l'avait aimé et dont il avait été bien servi ; et d'ailleurs, il se reprochait d'avoir eu quelque façon dissimulé l'avertissement que Dieu lui avait envoyé ; ou plutôt de n'en avoir pas profité aussitôt qu'il l'aurait dû faire. Car lorsqu'il consentit a la mort du traître, il nous dit qu'il avait eu lui-même un avertissement en vision du mauvais dessein de cet homme ; dans laquelle vision le dit La Salle étant couché auprès de lui, avait voulu par trois fois le tuer d'un coup de pistolet, et que chacun de ces trois coups avait manqué.

« Dès qu'il eut été résolu de faire mourir La Salle et qu'on eut ordonné qu'il fût exhorté et consolé, selon que cela se faisait en pareille occasion, je m'éloignai de l'endroit de l'exécution et je m'en allai vers le frère Cavalier, qui n'avait pas voulu non plus en être témoin. Comme toute la troupe était en prière pour le criminel, le frère Cavalier qui était assis à terre tomba en extase et eut des agitations extraordinaires. Dans la violence des mouvements qui le soulevaient et qui le secouaient rudement, l'Esprit lui dit : Je t'assure, mon enfant, que si tu murmures contre mon commandement, je t'abandonnerai. Je t'avais fait connaître qu'il fallait que ce traître fût mis à mort, et tu m'as résisté. Prends garde, mon enfant, car je déclare que si tu n'obéis pas aux ordres que je te donne, je t'abandonnerai et je donnerai mon troupeau à conduire à d'autres qui le conduiront aussi bien que toi. Je fus extraordinairement touché, de même que les autres qui étaient présents, de cette terrible extase du frère Cavalier. »

« Je crois que ce fut vers le mois d'octobre ou novembre 1703, que, comme notre troupe était proche de Pierredon, un certain nommé Languedoc, sergent dans le régiment de Menon, se vint jeter parmi nous comme déserteur, déclarant qu'il voulait à l'avenir combattre pour la cause de Dieu. Quelques-uns des nôtres savaient qu'il était de famille protestante ; et ses discours nous parurent si raisonnables, que nous le reçûmes d'abord sans difficulté, comme nous avions déjà admis d'autres déserteurs. Mais il arriva deux jours après que ce malheureux fut lui-même témoin, dans une assemblée, des diverses inspirations qui l'indiquèrent évidemment et qui le déclarèrent traître. L'un de ceux qui parlèrent dans l'inspiration dit positivement que ce méchant homme était venu pour nous vendre, et qu'on serait convaincu si on cherchait dans sa manche, où on trouverait une lettre de l'ennemi. Sur cela, il fut incontinent saisi et fouillé ; et on trouva effectivement dans la manche de son justaucorps une lettre du lieutenant-général La Lande qui, entre autres choses, lui faisait des reproches de ce qu'il n'avait pas encore exécuté sa promesse. L'accusé étant ainsi marqué du doigt de Dieu, avoua d'abord et lui donna gloire. Il fit même une grande confession de ses péchés, et ne demanda pour toute grâce, que les prières des gens de bien qu'il avait eu le malheur de vouloir trahir. Il obtint abondamment ce qu'il désirait, et nous fûmes tous persuadés que Dieu lui avait fait miséricorde. J'ai été témoin de ce fait. »

Jean Cavalier, de Sauve, déclare exact ce récit en ajoutant que ce traître fut accusé par un concours d'inspirations unanimes, qu'il confessa franchement son mauvais dessein, qu'il fut exécuté et qu'il fit une mort édifiante.
Que de fois Dieu sauva les assemblées religieuses par le moyen des révélations.

Claude Arnassan raconte les faits suivants :
« Comme j'étais sous les armes dans la troupe du frère Cavalier, notre principal chef, qui est présentement colonel, et sous qui j'ai servi dix à onze mois, il eut quelques raisons de s'éloigner de la troupe, pour des affaires particulières, et il me prit avec lui. Nous étions prêts à manger un morceau dans la maison où nous allâmes, après qu'il y eut achevé son affaire, lorsqu'il fut doucement saisi de l'Esprit, et qu'il dit, sans qu'il parut presque avoir d'agitation : Mon enfant, je te dis que tes ennemis sont proches ; retire-toi ; tes frères combattent. Sur cela, il se leva sans manger, et dès que nous fûmes sortis, nous aperçûmes trois ou quatre compagnies ennemies qui approchaient de la maison d'où nous venions de sortir. Nous les évitâmes, et sur le soir, nous joignîmes la troupe comme elle poursuivait ces mêmes ennemis. »

« Comme nous étions en marche après avoir brûlé le village de Belvezé, le frère Serre, qui avait le don fut saisi de l'Esprit, et dit qu'un certain homme de la troupe, et qui était d'un tel lieu, avait pris de l'interdit à Belvezé, et que Dieu permettrait qu'il fût tué à deux jours de là, dans un combat. En effet, nous rencontrâmes l'ennemi deux jours après ; nous nous battîmes et nous perdîmes un seul de nos gens, qui était du lieu nommé par le frère Serre. »

« Un autre jour, le frère Cavalier, aujourd'hui colonel, tomba en extase proche de Saint-Hippolyte, en ma présence et de huit ou dix autres qui étaient en selle fort proche de lui. L'Esprit lui dit : Mon enfant, je te dis qu'on te fera de grandes propositions ; mais ne te fie point à eux. Les paroles qu'il prononça ensuite m'échappèrent ; mais je me souviens qu'il dit encore ceci - Tu parleras au roi. Je suppose qu'il a eu depuis des avertissements positifs, puisqu'il a traité ; car on ne faisait rien qui fût de quelque conséquence dans nos troupes, sans la direction des inspirations. »

« Une maladie m'ayant obligé de quitter la troupe en août 1703, Je m'en retournai chez moi. Le lendemain matin, une fille que je connaissais me vint solliciter de retourner à la troupe, et me dit avec instance que je serais pris par l'ennemi avant la fin de la semaine, si je ne retournai pas, m'assurant qu'elle en avait été avertie par une inspiration. Je lui répondis qu'il m'était impossible de suivre la troupe, et je demeurai. Mais le jeudi suivant, un détachement passa dans le village et nous emmena à Alais, mon frère et moi. Nous y fûmes quinze jours, et de là on nous transféra au fort de Nîmes, où je fus retenu jusqu'au mois de janvier. »

« Je partis de Londres en juin 1703, pour faire un voyage dans les Cévennes, raconte David Flottard. J'y vis le chef Roland et plusieurs de sa troupe, dans l'inspiration. C'était par ces inspirations que toutes leurs affaires se réglaient et se gouvernaient ; j'ai été témoin de cela, et les chefs n'avaient le commandement qu'à cause de l'excellence de ce même don qui était en eux. Je crois qu'il y avait bien près de la moitié de leurs soldats qui étaient inspirés.

« Les uns avaient le talent ou le don de la prière et de l'exhortation. D'autres semblaient prédire particulièrement la destinée de l'Eglise et de ses ennemis, et les révolutions de diverses choses dans le monde. Quelques-uns avaient de fréquents avertissements particuliers touchant leur propre conduite, et sur ce qui concernait la guerre ; d'autres encore avaient été rendus participants de plusieurs de ces grâces et même de toutes ensemble. Ils me disaient que quand ils avaient bien ponctuellement obéi aux inspirations, toutes choses leur avaient réussi, et qu'au contraire leurs disgrâces n'étaient venues que de manque d'exactitude. J'ai remarqué en eux tous un grand zèle pour la gloire de Dieu et une parfaite résignation à sa volonté, soit dans la vie soit dans la mort. Tout leur exercice et tous leur plaisir, dans le désert, consistait en prières et en chant de psaumes. »

(1) Un tiers des pasteurs, hélas ! avaient abjuré pour ne pas s'exiler. 
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